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29 juin 2016, à LA Briqueterie Amiens QU’EST-CE QU’UN LIEU INTERMÉDIAIRE ? Synthèse rédigée par Sébastien Gazeau pour ARTfactories/Autre(s)pARTs. Les photographies ont été réalisées par Fred Ortuño pour ARTfactories/Autre(s)pARTs CONTEXTE Depuis deux ans, les lieux intermédiaires sont en train de prendre la place des friches, espaces-projets et autres Nouveaux Territoires de l’Art (NTA) dans les discours des acteurs culturels. Le 29 juin 2016, au sein de la Briqueterie à Amiens, les participants au 20e atelier de réflexion d’ARTfactories / Autre(s)pARTs ont cherché à analyser les réalités et les enjeux que recouvre cette notion. Synthèse - Atelier de réflexion #20 – qu'est-ce qu'un lieu intermédiaire ? 1 Atelier de réflexion #20 Façade arrière de la Briqueterie, Amiens.

Atelier de réflexion #20 - artfactories.net · se référait à Eric Méchoulan, fondateur de la revue Intermédialités. Ce concept vise à mettre à jour la ... Philippe Henry

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29 juin 2016, à LA Briqueterie Amiens –

QU’EST-CE QU’UN LIEU

INTERMÉDIAIRE ?

Synthèse rédigée par Sébastien Gazeau pourARTfactories/Autre(s)pARTs.

Les photographies ont été réalisées par Fred Ortuño pourARTfactories/Autre(s)pARTs

►CONTEXTE

Depuis deux ans, les lieux intermédiaires sont

en train de prendre la place des friches, espaces-projets et autres Nouveaux Territoires

de l’Art (NTA) dans les discours des acteurs culturels. Le 29 juin 2016, au sein de la

Briqueterie à Amiens, les participants au 20e atelier de réflexion d’ARTfactories /

Autre(s)pARTs ont cherché à analyser les réalités et les enjeux que recouvre cette notion.

Synthèse - Atelier de réflexion #20 – qu'est-ce qu'un lieu intermédiaire ?

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Atelier de réflexion #20

Façade arrière de la Briqueterie, Amiens.

Brève histoire d’une

expression

En apparaissant à l’article 3.14 de la loi dite LCAPrelative à la liberté de création, à l’architecture et aupatrimoine du 8 juillet 2016 « contribuer audéveloppement et au soutien des initiatives portéespar le secteur associatif, les lieux intermédiaires etindépendants, les acteurs de la diversité culturelle etde l’égalité des territoires », les lieux intermédiaireset indépendants sont redevenus un objet politique.Cette inscription est le fruit d’un processus auquel lesmembres de la Coordination nationale des lieuxintermédiaires et indépendants (CNLII) ont largementcontribué. D’abord en réactivant cette notion àl’occasion du 1er Forum national des lieuxintermédiaires (Collectif 12, Mantes-la-Jolie, 28/29janvier 2014), puis en la portant au débat public lorsdes Assises de la jeune création (Centre national de ladanse, Paris, 30 juin 2015), prémices de la loi LCAP.Avant cela, Philippe Henry, membre fondateurd’ARTfactories/Autre(s)pARTS et associé aux premierstravaux de la CNLII avait remis l’expression au goût dujour à la faveur d’une étude publiée en mai 2010, puisd’un article de synthèse en janvier 2013. Lors de cetatelier de réflexion à Amiens, il rappelait que la notionétait apparue pour la première fois avec cette acceptiondans le rapport Lextrait remis en mai 2001 à MichelDuffour, alors secrétaire d’État au patrimoine et à ladécentralisation culturelle.

Lieux...Au cours d’une longue introduction, Jules Desgoutteposait tout d’abord plusieurs jalons pour apprécierl’étendue des enjeux théoriques et pratiques sous-jacents à la notion de lieux intermédiaires. Il notait quecelle-ci concernait uniquement des lieux, restrictiondont il rappelait qu’elle continue à faire débat au seind’ARTfactories/Autre(s)pARTs dont certains membresœuvrent via des lieux tandis que d’autres font sans.Citant le philosophe Jean-Luc Nancy, il précisait que leslieux sont des endroits déjà constitués, en partie écrits,au contraire des espaces qui sont plus ouverts,indéterminés, disposés à l’invention d’aventureshumaines originales telles qu’on en trouve dans les“lieux” en question. D’où le choix, longtemps revendiquéà ARTfactories/Autre(s)pARTs, de privilégier le terme“d’espace-projet”...

intermédiAires…Puis Jules Desgoutte proposait d’élargir la notiond’intermédiaire à celles d’intermédiation etd’intermédialité. Pour la première, il renvoyait à l’articlede Philippe Henry qui en parle comme d’un “système demédiation complexe”. Pour la seconde, moins usitée, ilse référait à Eric Méchoulan, fondateur de la revueIntermédialités. Ce concept vise à mettre à jour lasubtilité des relations et les effets d’influenceréciproque qui existent entre les pratiques et lestechniques, entre les productions symboliques et leursmodes d’expression, entre les sujets et les objets.L’intermédialité tente de saisir les effets de passage quis’opèrent entre des plans qui ne sont plus envisagéscomme séparés, mais comme s’interpénétrant. C’est lesens premier d’intérêt (inter esse en latin, “être entre”),qui rappelle que l’on est intéressé par quelque chose dufait que l’on se trouve impliqué dans cette chose. Ceciconduit également à reprendre l’étymologie du motmédia, qui renvoie au milieu où des échanges seproduisent, et non, comme on l’entend généralement,aux outils et aux techniques qui véhiculent le contenude ces échanges. En ce sens, l’intermédialité permet dereconsidérer notre être au monde, au sens où il n’y apas un message, un messager, un récepteur et unenvironnement distincts les uns des autres, mais unecontinuité et une circulation perpétuelle entre cescatégories.

Être conscient de ces effets de passage et de cesinfluences réciproques permet de considérer ànouveaux frais et de façon plus fine la complexité despratiques humaines. Jules Desgoutte prenait en exemplela cantine mise en place à la friche Lamartine enexpliquant que celle-ci ne pouvait pas se réduire à lafonction d’un lieu où l’on mange. Il insistait sur lamultitude des expériences sensibles qu’elle génère,expériences aux effets tout aussi innombrables sur lesrelations entre les personnes, entre le lieu et sonenvironnement, entre l’espace de la cantine et les autresespaces situés à la friche Lamartine, etc. Dans cette

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perspective, l’intermédialité offre un concept fertilepour interroger le sens et les modes opératoires duprojet culturel qui s’expérimente dans un lieuintermédiaire.

Une personne durant cet atelier relevait la nature trèsmatérialiste d’une telle approche, qui refuse parexemple l’idée d’un inconscient collectif ou d’un air dutemps qui sur-déterminerait les existences et leséchanges entre les hommes. Matérialisme revendiquépar Jules Desgoutte, pour qui le conceptd’intermédialité contrevient à toute philosophieessentialiste, au profit d’une philosophie de la co-présence et de l’expérience sensible.

LA Briqueterie à lAa

lumière des lieux “

intermédiAires”

Réclamé par la Briqueterie, dont le projet était à cemoment-là remis en question par un programme derénovation décidé par les collectivités publiques,cet atelier de réflexion devait donner à ses“habitants” des arguments pour mieux plaider leurcause.

L’une d’entre eux, Delphine Hermant, prenant appui surl’article de Philippe Henry, proposait alors uneprésentation détaillée des pratiques à l’œuvre ausein de la Briqueterie.

Elle expliquait tout d’abord que ces pratiques étaientmultiples, à la fois mues par le projet de vivre ensemble(entre résidents, entre résidents et habitants du

quartier, etc.) et celui de créer. Aux yeux de leursinterlocuteurs qui leur demandent de se donner des“rôles identifiés et clairs”, cette position est jugéeambivalente et débouche sur des jugements àl’emporte-pièce. Dans le milieu culturel par exemple, laBriqueterie est repérée comme un lieu de théâtre, alorsque toutes les disciplines artistiques y sont pratiquées.À la ville d’Amiens en revanche, en fonction desservices, on considère qu’elle est portée par des artistesou bien par des acteurs sociaux. Ces confusionsconduisent à des situations parfois très paradoxales :les collectivités publiques prévoient un programme derénovation du bâtiment pour un million d’euros alorsque les techniciens de la ville, lorsqu’ils y interviennent,mentionnent sur leurs tablettes une intervention augymnase municipal situé de l’autre côté de la rue,gymnase bien identifié, lui, dans les lignes budgétairesde la ville ! À ce défaut de reconnaissance de leurcomplexité constitutive, les membres de la Briqueterieopposent un projet volontairement divers, hétérogèneet irréductible à des cases institutionnellesinappropriées.

Ce projet n’échappe pourtant pas à descontradictions qui lui sont propres et dont ceux quile portent ne savent pas toujours se dépêtrer. Entémoignait cet aveu de Delphine Hermant : “C’estparce qu’on n’est pas reconnu que l’on fait ce quel’on fait, mais c’est aussi pour être reconnu que l’onfait ce que l’on fait.” Il semblait donc que l’inconfortoù se trouve la Briqueterie n’était pas seulement dûaux attendus de leurs partenaires, mais peut-êtreégalement à la difficulté de ses membres às’entendre entre eux sur leurs positionnementsrespectifs et collectif.

Des principes et des ActesS’ensuivaient plusieurs témoignages à proposd’expériences vécues au sein de lieux intermédiaires.

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Omar Toujid racontait comment, dans un espace commecelui de la friche RVI puis de la friche Lamartine (Lyon),il était possible de se trouver soi-même en seconfrontant aux autres. Il insistait sur la nécessité d’êtreagile pour faire avec les autres, et comment cette agilitépermet d’envisager un environnement et ses différentescontraintes (humaines, matérielles, etc.) comme uneinvitation à l’invention permanente. Ce à quoiPhilippe Henry ajoutait qu’il était également possible derencontrer, dans des lieux intermédiaires, des artistesarcboutés sur des conceptions très rigides de leurs rôleset de leurs fonctions au sein de la société, autrement ditpas toujours capables de se remettre en question et deréinventer leurs pratiques.

Existe-t-il des modes d’organisation qui soient aussi subtils que le concept d’intermédialité, fondation supposée des lieux intermédiaires ?

Pour dépasser les positions de principe et les contre-exemples, il était alors question de regarder commentdes lieux s’organisent pour mettre en pratique desprojets culturels qui se veulent pluriels. Existe-t-il desmodes d’organisation qui soient aussi subtils que leconcept d’intermédialité, fondation supposée des lieuxintermédiaires ? En somme, comment une telleconception se traduit-elle sur le plan du fonctionnementinterne ? Prenant appui sur l’observation minutieuse denombreux lieux, Philippe Henry notait la récurrence detrois formes dans leur mode de gouvernance. Premièreforme : “l’assemblée générale”, autrement dit un tempsoù la diversité des parties prenantes peut s’exprimer.C’est un organe d’orientation où peu de décisionsopératoires se prennent, mais où s’inventent peu à peuet se débattent la philosophie et le fonctionnementd’ensemble du lieu. Deuxième forme : “le petit grouped’animation-direction”, soit quelques personnesprenant la responsabilité de faire réellement “tourner la

boutique” au quotidien et sur le moyen terme.Troisième forme : “les groupes de travail”, mis en placesur des sujets précis, souvent transversaux et disposantd’une autonomie au moins partielle de décision sur desquestions directement opérationnelles.

Revenant sur ce dernier point, les membres de laBriqueterie disaient mettre un point d’honneur à ce quequiconque puisse “nommer un chantier et en prendre laresponsabilité”, autrement dit à faire d’une questionpersonnelle un enjeu collectif et de veiller à la mise enœuvre des actions qui en découleraient. Cet exempleillustrait bien l’enjeu de taille autour duquel lesparticipants à cet atelier tournaient : celui de la

distribution et de la négociation des pouvoirs ausein de ces organisations. À ce titre, Christian Mahieurelevait que les instances de représentation et dedécision propres aux associations, cadre juridiquemajoritairement adopté par les lieux intermédiaires, estplutôt inadapté à ces modes de fonctionnementhorizontaux, où tout est perpétuellement remis enquestion, depuis le projet global jusqu’aux détails lesplus (a priori) insignifiants. Dans la foulée, ons’interrogeait sur les outils à mettre en place pouraccueillir les nouveaux arrivants dans ces lieux trèsouverts, mais aussi sur les procédures à inventer pourgérer les conflits entre personnes, notamment lorsqu’il

s’agit de se séparer del’une d’entre elles.

Jules Desgoutte ajoutaitdeux caractéristiques àcelles déjà mentionnéespour cerner ce qui sepasse dans les lieuxintermédiaires,caractéristiques quidéplaçaient la discussionsur le terrain politique,étant entendu selon luique “l’organisationinterne d’un lieu est

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La Briqueterie, à côté de la Maison des sports.

toujours connectée à notre appartenance à un corpssocial”. La première est que notre rapport au salariat yest reconfiguré, au sens où la relation de subordinationemployeur/employé n’y est pas l’unique mode derelation au travail. La seconde est que le rapport autemps s’y éprouve autrement. Faisant le constat que lacapture du temps est le moyen de production de lavaleur aujourd’hui (via les outils de production,d’échange et de consommation de biens et de servicesimmatériels), il proposait d’apprécier ces lieux commeétant des espaces où il est possible, via des modes desocialisation autres (le fait d’être présentsphysiquement les uns aux autres, avec tout le risque etl’imprévisibilité que cela représente), de modifier notrerapport au temps.

Les coordonnées d’un lieuLa deuxième partie de cet atelier débutait avec l’analysepar Philippe Henry du document de travail réalisé parDelphine Hermant. Il mettait en perspective troiscaractéristiques communes aux lieux intermédiaires etd’ailleurs partagées par la Briqueterie, tout encherchant à mieux cerner la singularité de cetteexpérience.

Selon lui et en tout premier lieu, les lieuxintermédiaires oscillent entre deux “polarités” : unefabrique artistique et un espace d’intermédiationartistique et culturelle. La première polarité renvoie àl’idée d’une autonomie de l’art, la seconde à despratiques où arts, territoires et populations s’insèrentdans une même dynamique. À la Briqueterie, PhilippeHenry croyait voir un métissage de ces deux polarités,

notamment du fait de la collaboration de professionnelset de non-professionnels. Par ailleurs, il repérait qu’unepluralité de projets et d’organisations étaientrassemblés à La Briqueterie, avec une très netteprédominance d’organisations artistiques, ce qui estassez typique en France. Avant d’ajouter que les publics

de ces projets et organisations étaient plutôt distinctsles uns des autres que mélangés. Enfin, il notait parmiles activités de la Briqueterie un net penchant pour lafonction de production d’événements ou d’œuvresartistiques, tendance confirmée par le projet envisagépar les membres de La Briqueterie de proposer desprestations de services faisant appel aux compétencesde ses “habitants” (scénographie et décor pour desévénements, animations, etc.). Philippe Henry concluaitce bref diagnostic en situant la Briqueterie actuellementau tiers de l’axe entre les deux polarités évoquées plushaut, plutôt du côté “fabrique artistique”, ajoutant quecette grille d’analyse pouvait servir à n’importe quelacteur d’un lieu intermédiaire pour prendre consciencede son positionnement culturel et de son rapport à l’art.

Les hommes sont ce qu’ils

font de ce que leur fAit

un lieuLes spécificités d’un lieu induisent-elles un mode defonctionnement collectif particulier ? La question dubâtiment faisait retour dans la conversation, comme sila réalité physique du lieu pouvait éclairer le sens duprojet qui s’y déploie.

Omar Toujid tentait un décodage rapide del’agencement de la Briqueterie. Il observait par exempleque le rez-de-chaussée (stockage) et le premier étage(bureaux), ouverts et d’un seul tenant, avaient été

partitionnés en sous-espaces dont les frontières sontnéanmoins peu marquées. Il comparait cet agencementà celui de la friche Lamartine où les espaces sontglobalement séparés les uns des autres, notamment pardes portes. Partant de la structure du bâtiment et de cequi en avait été fait, il montrait que l’endroit avait été

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réaménagé et qu’il était donc l’expression d’un choix(plus ou moins conscient) indiquant, a contrario, unmode de fonctionnement. Sa démonstration donnait del’eau au moulin de l’intermédialité. Il ne s’agissait passelon lui de chercher à savoir qui inspirait quoi,mais de repérer les effets d’influence réciproquequi apparaissent entre, en l’occurrence, unbâtiment et ses habitants.

Le rApport Au publicLa place du public est un enjeu central au sein des lieuxintermédiaires. À la Briqueterie, un grand nombred’œuvres s’inventent au fil des échanges avec le public.Ces créations ne sont pas envisagées selon lerapport traditionnel scène/salle, mais selon leprincipe d’une circularité féconde entre sesmultiples parties prenantes, le public étant un typede partie prenante. Jules Desgoutte ajoutait deuxobservations qui allaient dans ce sens. D’une part sur lerôle des personnes qui fréquentent les lieuxintermédiaires, souvent en situation d’être tantôtacteurs tantôt spectateurs de ce qui s’y passe. D’autrepart sur le type de relation qui s’instaure entre cespersonnes dont l’objectif est plutôtd’échanger/créer/faire ensemble que de séduire oud’être séduit par l’autre.

Comment contribue-t-on à la vie d’un lieu ? à la réalisation d’une œuvre ? à un projet collectif ? Quels sont les différents degrés d’appropriation de ces lieux, de ces créations, de ces projets par les personnes qui y prennent part à un moment ou à un autre ?

Contrairement aux lieux culturels institutionnels où elleest la grande affaire, la question du rapport au public (etplus précisément de “plaire à son public”) seraitremplacée dans les lieux intermédiaires par celle de lacontribution. Comment contribue-t-on à la vie d’unlieu ? à la réalisation d’une œuvre ? à un projetcollectif ? Quels sont les différents degrésd’appropriation de ces lieux, de ces créations, de cesprojets par les personnes qui y prennent part à unmoment ou à un autre ? Philippe Henry observait que cetype de pratiques se caractérise par une très grandeplasticité et par une diversification des partiesprenantes (partenaires publics et privés, participantsprofessionnels et non-professionnels, issus de secteursculturels et autres). Il précisait que ces pratiquesn’étaient pas l’apanage des lieux intermédiaires,(certains, quoiqu’ils s’en réclament, ayant des pratiques

très “classiques”), prenant en exemple le Théâtre del’Agora, scène nationale Evry-Essonne, le Channel àCalais ou le Centre chorégraphique national de Caen,dont les directeurs, selon lui, portent de véritablesprojets d’intermédiation artistique et culturelle.

Forces et fAiblesses de lAa

contributionEn remettant en question une approche manichéiste dusecteur culturel avec d’un côté les bons lieuxintermédiaires et de l’autre les mauvaises institutions,ces exemples obligeaient les discutants à débattre deleur rapport au pouvoir et à la domination. Ilsreconnaissaient que les lieux intermédiaires sont plutôtdu côté de la précarité économique tandis que lesinstitutions se trouvent dans des situations plusconfortables. Certains voyaient dans cette précarité unesource d’émulation, mais d’autres admettaient qu’ellepouvait aussi produire de l’immobilisme et setransformer en incapacité à se réinventer, à changer sespratiques. Quelqu’un constatait ainsi que nombred’habitants de ces lieux disposent de compétencesmultiples et de grande valeur, mais qu’ils n’arrivent pastoujours à les employer au bon endroit, c’est-à-direautrement que dans une logique de survie. Pour quecette endurance à la précarité devienne unecompétence positive, notamment en termeséconomiques, Philippe Henry suggérait de trouver lesarguments pour la valoriser aux yeux des partenaires.Omar Toujid présentait cette capacité à faire avec “lesmoyens du bord” comme une force inestimable. JulesDesgoutte relevait en quoi il s’agissait aussi d’unefaiblesse, dans l’environnement économique dominantactuel, car les échanges entre les personnes sontsouvent non-marchands dans ces lieux et la valeur

qui s’y crée est en grande partie non-monétaire. Ilvoyait là une ligne de partage entre deux conceptions dela contribution, l’une cherchant à monétariser au

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maximum les échanges entre personnes (un archétypeétant Google ou Facebook qui prospèrent grâce aux fluxcontributifs des internautes), les autres ne visant riend’autre que la production et la circulation de savoir-faire et de savoir-vivre.

Toujours dans le but de mieux caractériser les lieuxintermédiaires, Philippe Henry demandait enfin à cequ’on repère bien plus pragmatiquement les outils etles cadres concrets de mutualisation qu’ils instaurent,puis d’observer les fonctionnements, les dynamiques deprojet et les intermédiations qu’ils créent. Il donnait enexemple la tontine mise en place à la Briqueterie, unsystème d’épargne solidaire assez rare dans les lieuxintermédiaires mais qui témoigne d’une traductionconcrète de ce qui, trop souvent, demeure au stade dudiscours. Selon lui, c’est en mettant en place ce type depratiques coopératives et en apprenant à les mettre envaleur que les lieux intermédiaires pourront égalementgagner une meilleure reconnaissance de leurs différentsinterlocuteurs.

Synthèse réalisée par Sébastien Gazeau pourARTfactories/Autre(s)pARTs

Les photographies ont été réalisées par FrédéricOrtuño pour ARTfactories / Autre(s)pARTs

POUR EN SAVOIR PLUS

> Becker Howard S., Les Mondes de l’art, Paris, Flammarion, 1982.

> Detienne Marcel, Vernant Jean-Pierre, Les ruses de l’intelligence. La mètis des Grecs, Flammarion, Champs Essais, 2009.

> Henry Philippe, Les fabriques culturelles d’hier à aujourd’hui : entre fabriques d’art et démarches artistiques partagées, janvier 2013.

> Henry Philippe, Quel devenir pour les friches culturelles en France ? D’une conception culturelle des pratiques artistiques à des centres artistiques territorialisés., 2 vol., mai 2010.

> Jeanpierre Laurent, Roueff Olivier (dir.), La culture et ses intermédiaires. Dans les arts, le numérique et les industries créatives, Paris, Archives contemporaines, 2014.

> Sur l’économie de la contribution : http://arsindustrialis.org/economie-de-la-contribution

> La boîte à outils proposée sur le site internet de la Coordination nationale des lieux intermédiaires et indépendants

Synthèse - Atelier de réflexion #20 – qu'est-ce qu'un lieu intermédiaire ?

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