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CONTRE Ils pratiquent la même discipline : les haies hautes, l’un sur 110 m, l’autre sur 100 m. Pourtant, leurs avis sur les compléments alimentaires sont diamétralement opposés, comme un symbole de la fracture qui apparaît dans le monde de l’athlétisme. POUR Adrianna LAMALLE (100 m haies) 25 ans, née le 27 sept. 1982 aux Abymes (Guadeloupe). 1,70 m ; 58 kg. Entraîneur : François Pépin. CM : demi-finaliste (100m haies, 2005, 2007). CE : finaliste (100m haies, 2006). Records : 100 m haies, 12’’67. Salle, 60 m haies, 8’’02 (2006). Ladji DOUCOURÉ (110 m haies) 24 ans, né le 28 mars 1983 à Juvisy-sur- Orge (Essonne). 1,83 m ; 75 kg. Entraîneur : Renaud Longuèvre. JO : 8 e (110 m haies, 2004). CM : 1 er (110 m haies et 4 x 100 m, 2005) ; demi-finaliste (110 m haies, 2003, 2007). CE : demi-finaliste (110 m haies, 2006). CE en salle : 1 er (60 m haies, 2005). Records : 110 m haies, 12’’97 (RF, 2005). Salle, 60 m haies, 7’’42 (RF, 2005). Le réseau de distribution en France 58 12 9 8 13 % Pharmacies Magasins spécialisés Grandes et moyennes surfaces Autres (vente à distance, Internet) Parapharmacies AVEC LES ENTRA Î Î NEURS N AVEC LE M É É DECIN F D É É D D É É RAL R L lé t C es st le poids du march é ial mond du secteur. ecteur. À À À elle seule, l elle seule, l Europe Europe re pr é é sen t 18 nte 18 illi dd milliards d euros. C om mme le e chiffr re d r ur affaires du secteu en n France en 2006. France en 2006 2006 006 on Soit une augmentatio Soit une augmentati i S it t ti i Si i de 7,5 % par rapport à 2005. es aux compl é ments alimentaires. C est le premier produit cit é par les appelants pratiquant l uant l athl athlé étisme, devant les tisme, devant les stimula ants et les anabolisants. JEAN-PIERRE FOUILLOT, médecin et spécialiste du sujet, estime que la prise de compléments peut être un premier pas vers le dopage. « On entre dans la conduite dopante » « UN SPORTIF de haut niveau a- t-il besoin de compléments ali- mentaires ? – La réponse est, a priori, non. Une bonne partie de leur utilisation est totalement inutile. Pour le reste, ça doit se faire dans des conditions très strictes et adaptées aux besoins. Sinon, on arrive à une aberration qui consiste à apporter des rations pro- téiques de l’ordre de 2 à 3 grammes par kilo et par jour alors que les besoins ne vont pas dépasser au grand maximum 1,5 g. De ce fait, on va augmenter le travail du rein pour éliminer l’azote par les urines. Prendre des compléments, est-ce une conduite dopante ? – À partir du moment où on cherche un produit pour améliorer sa perfor- mance, déjà, en esprit, on entre dans la conduite dopante. On est mentale- ment prêt à tenter d’accéder un jour ou l’autre à un produit plus actif qui, lui, fera partie des produits interdits. Mais je ne dis pas qu’il faut proscrire totale- ment les compléments. Il faut tenir compte des apports alimentaires, donc faire un bilan diététique et éventuelle- ment avoir recours à certains complé- ments hydriques, protidiques, gluci- diques, pour répondre aux besoins de l’exercice intense. « Acheter sur Internet, c’est du très haut risque » Que penser d’un athlète qui prend des compléments et qui se nourrit dans les fast-foods ? – Qu’il doit absolument se rendre chez un nutritionniste ou une diététi- cienne parce qu’une alimentation équilibrée, c’est la base dont il a besoin ! Il y a désormais des sportifs qui prennent carrément des substituts de repas. C’est déraisonnable, totale- ment inacceptable. Y a-t-il un effet placebo avec les compléments ? – Il est connu pour tout produit, y compris les compléments alimen- taires. C’est la raison pour laquelle il faut faire très attention aux justifica- tions d’efficacité des compléments. Beaucoup d’études ne sont pas réali- sées dans des conditions expérimen- tales strictes et en particulier pas en double aveugle (la personne qui admi- nistre le produit et le patient ne savent pas s’il s’agit ou non d’un placebo). En 2007, un sportif peut-il encore tenir le discours : je me suis fait piéger, j’ai acheté un produit via Internet ? – Acheter sur Internet, c’est vraiment du très, très haut risque. La semaine dernière, j’en ai encore vu un qui avait été contrôlé positif aux stéroïdes ana- bolisants sur une prise de complé- ments achetés sur Internet. Des cas comme celui-là, il y en a eu, il y en a et il y en aura encore… Trouvez-vous normal que cer- tains sportifs fassent de la publi- cité pour des compléments ali- mentaires ? – Ça me choque beaucoup. Je vais vous donner un exemple. Il y a quelques années, près d’une centaine de sportifs de haut niveau, parmi les- quels Tim Montgomery, Marion Jones, Kelly White et Dwain Chambers, ont attesté qu’ils avaient obtenu leurs per- formances grâce à un complément ali- mentaire, le ZMA. Un complément qui avait été fabriqué par… le laboratoire BALCO (*) ! » – S. Tu. (*) À l’origine d’une des plus grandes affaires de dopage de l’athlétisme, qui a abouti à la suspension de Montgo- mery et White et à la condamnation à quatre mois de prison du patron du laboratoire, Victor Conte. Un complément, c’est quoi ? Les coaches font le dos rond ON NOUS AVAIT pourtant prévenus. « Ouh là, les coaches, ils ne voudront pas parler de ça. » Et on n’a pas été déçus. Silence, embarras, langue de bois, tout y est passé pour élu- der un sujet « un peu tabou », selon les mots de l’un d’entre eux. Renaud Longuèvre, le coach de Ladji Doucouré, est loquace, lui. Et pour cause, la lutte contre les compléments alimen- taires est l’un de ses combats de toujours : « Je connais par cœur le discours de certains sur le rééquilibrage nutritionnel supposé, lâche, énervé, l’ancien perchiste. J’entends ça depuis que des sprinteurs des années 2000 comme Greene, Boldon ou d’autres ont dit qu’on ne pouvait pas faire sans les compléments alimentaires. Mais ces trucs-là, ça va à l’encontre de l’idée que j’ai du sport de haut niveau. Dès que tu ne bases plus ta progression sur le talent et le travail, tu ne joues plus le jeu. » Le jeune coach de Ronald Pognon, Pierre-Jean Vazel, est l’un des partisans du « rééquilibrage nutritionnel » : « Les athlètes ne sont pas des gens lambdas. Il faut comprendre qu’ils puissent avoir des carences. Les compléments peuvent être une solution. Si cette consommation est encadrée par un médecin, cela ne doit pas poser de problèmes. » Si la posi- tion de Longuèvre trouve un écho parmi les coaches, certains n’ont pas les moyens de la mettre en application. François Pépin, entraîneur de la hurdleuse Adrianna Lamalle et de Leslie Djhone, déplore son impuissance : « Ma position, elle est très claire. Je n’en veux pas, parce qu’on ne sait jamais ce qu’il y a dedans. Mais tout en disant cela, je sais très bien que mes athlètes en prennent. Qu’est ce que je peux faire ? Être derrière eux tout le temps ? Ce n’est pas sérieux. Donc, je suis attentif. Ils savent que si je perçois la moindre dérive, c’est la porte. » Quel rôle peuvent tenir les coaches ? Longuèvre apporte une première réponse : « On peut activement participer à la nutrition de nos athlètes en collaboration avec un médecin. Dans notre structure, les athlètes font des prises de sang et si on décèle des carences, notre médecin prescrit du fer ou du magnésium, seulement notre médecin ! » Pépin fait appel à une prise de conscience collective : « Quand ils compren- dront que tous ces trucs-là, c’est de la poudre de perlimpin- pin, peut-être qu’ils arrêteront. » HUGO DELOM Deymié : « Un échec personnel » SA VOIX HÉSITANTE et ses silences répétés trahissent son embarras. Philippe Deymié est en plein doute. En moins de trois mois, le médecin fédéral de l’athlétisme français a vu deux athlètes avec lesquels il « s’entretenait régulière- ment » être contrôlés positifs à la testostérone. De quoi mettre l’homme en charge du suivi médical des athlètes de l’équipe de France dans une situation inconfortable : « Je l’ai un peu vécu comme un échec personnel parce que j’avais l’impression que nous avions fait un gros travail de sensibilisation sur les dangers des compléments alimen- taires achetés sur Internet, mais apparemment ça n’a pas suffi. » En théorie, le bilan médical effectué chaque année par les athlètes doit prévenir ce genre de situations, en théorie seu- lement, puisqu’au moment des visites médicales annuelles certains athlètes omettent de signaler l’ensemble de leur consommation en compléments. « J’en ai conscience, reprend le docteur Deymié. Certains athlètes craignent qu’on leur interdise de prendre des compléments, mais je suis un peu démuni. Dans l’idéal, il faudrait un suivi diété- tique permanent. » Certains médecins, en constatant les récents dégâts causés par les compléments, auraient arrêté d’en prescrire, pas lui : « Je continue de penser qu’ils peuvent être un moyen pour pallier les carences nutritionnelles ponctuelles des athlètes. Je n’en prescris jamais systématiquement mais quand je constate qu’en raison de leur mode de vie ou pour des rai- sons financières ils ne peuvent pas maintenir une stratégie nutritionnelle adaptée, je n’hésite pas. » Plus que dans l’interdiction des compléments alimentaires (« inapplicable »), c’est dans leur meilleure utilisation et régulation que le médecin fédéral voit une possible solu- tion : « Tester régulièrement les compléments alimentaires est une fausse garantie, parce que si je décide de tester les gélules et les poudres d’une marque, qui me dit que dans le colis suivant il n’y aura pas des produits interdits ? Je crois que pour éviter ce genre de cas il faut aller vers une meil- leure prise en charge diététique de l’athlète, l’éduquer sur le plan nutritionnel avec des choses très simples comme lui apprendre à faire les courses ou lui expliquer ce qu’est une stratégie nutritionnelle adaptée. » – H. De. « DEPUIS MES ANNÉES juniors, je prends des compléments sous forme de vitamines, de sels minéraux. Ce sont des produits naturels certifiés bio que l’on peut trouver en gélules, ampoules ou comprimés. Cela sert à me tonifier avant des stages diffi- ciles. Je prends d’autres complé- ments mais toujours des produits classiques. Je les achète en pharma- cie ou sur Internet, où c’est moins cher et surtout où il y a plus de choix. Je me base sur la marque, je lui fais confiance. Et comme je prends tou- jours les mêmes, il n’y a pas de risques. Quand j’ai des conseils ou un doute sur des produits nouveaux, je fais appel au docteur qui est rattaché à notre groupe d’entraînement. L’année prochaine, dans le cadre de ma préparation pour les Jeux, je ver- rai un nutritionniste pour qu’il puisse notamment gérer ma prise de com- pléments. Je ne peux pas faire sans parce que je suis une athlète de haut niveau et que je m’entraîne dur. Je suis obligée de pallier les déficits que cette pratique intensive crée dans mon organisme. J’essaie au maximum de ne pas pol- luer mon corps. Je ne prends jamais de produits à base de protéines ou des compléments qui servent à la régénération musculaire. Je les ai testés quand j’étais plus jeune. Ça ne m’a pas réussi. Mais je comprends tout à fait les athlètes qui font cela. Il y en a qui ont des difficultés à main- tenir leur masse musculaire, notam- ment en période de repos. Ces com- pléments les aident. Entre nous, on en parle régulièrement mais les athlètes restent assez discrets sur les compléments qu’ils prennent, sur- tout quand ça marche… » H. De. « MOI, JE NE PRENDS PAS du tout de compléments. Je ne prends rien, même pas de boissons énergisantes. Ma position est simple : je pars avec les mêmes armes que les autres, c’est-à-dire avec deux bras et deux jambes. Si ça ne suffit pas pour être performant, eh bien tant pis. Mais c’est ma fierté de ne pas utiliser autre chose. Et quand ça ne va pas, je fais une prise de sang et je vais voir un médecin pour qu’il me prescrive éventuellement quelque chose. En tout cas, je ne fais jamais d’automé- dication. De toute façon, même du magné- sium B 6, j’ai peur d’en prendre. Aux Jeux d’Athènes, j’avais des crampes et le docteur Deymié m’avait prescrit un truc. Je n’étais pas rassuré. Je ne suis pas sûr que le docteur fédéral soit dans son rôle en en prescrivant. Même quand j’ai mal à la tête, j’hésite à prendre du Doliprane. Depuis 2003, il y a eu beaucoup de cas positifs et on n’en parlait pas trop. J’ai l’impression qu’on en reparle un peu entre nous. Mais ça m’énerve d’entendre des gens qui prennent des compléments donner l’impression qu’ils ont la même posi- tion que moi. Ils me disent : “Ouais, mais toi tu es dans une discipline où tu n’as pas besoin d’en prendre pour récupé- rer ! » Dans le demi-fond ou le mara- thon, ils ont évidemment d’autres besoins. Mais à cause de cela mon avis ne compterait pas ? Moi, j’écoute ce qui se dit, les gars qui expliquent que ce n’est pas de leur faute et tout ça, et je rigole. Pour moi, c’est simple : à partir du moment où tout le monde sait qu’il y a eu des pots de compléments pol- lués, on ne joue pas avec ça. » – N. H. ATHLÉTISME Le goût du risque Le recours aux compléments alimentaires, très répandu, fait débat chez les athlètes, les entraîneurs et les médecins. Naman Keita comparaît ce soir devant l’organe disciplinaire de première instance de la Fédération. Seul athlète contrôlé positif dans le cadre des Championnats du monde d’Osaka, en août dernier, il affirme qu’il a été la victime d’un complément alimentaire pollué. Véritable explication ou fausse excuse ? L’usage de ces produits divise le monde de l’athlétisme. JUILLET DERNIER : Florent Lacasse, spécialiste du 800 m, révèle qu’il a été contrôlé positif à la testostérone et invoque la prise d’un complément ali- mentaire « pollué ». Septembre : le médaillé de bronze sur 400 m haies des JO d’Athènes, Naman Keita, contrôlé positif à la même substance, utilise la même explication. L’argumentation a souvent été entendue ces dernières années. Trop souvent. Elle recouvre autant de démonstrations de mau- vaise foi que de témoignages sincères, autant de grossiers subterfuges pour éviter de se voir accoler l’étiquette de « dopé » que de cas flagrants d’inconscience. Octobre : dans la vitrine d’une pharmacie parisienne trônent quatre photos d’athlètes – Christine Arron, Romain Mesnil, Ronald Pognon et David Alerte – qui, tous, vantent les mérites d’un complé- ment. Au moins ceux-là ne pourront pas nier qu’ils ont recours à ces produits. Parce que le complément est presque deve- nu un sujet tabou, tant il est souvent associé à des affaires de dopage. On en consomme, mais on ne le dit pas. Un chiffre, aussi persistant et invéri- Keita devant ses juges CONTRÔLÉ POSITIF à la testosté- rone le 20 août à Wakayama, cinq jours avant l’ouverture des Mon- diaux d’Osaka, Naman Keita passera à 19 heures devant l’organe discipli- naire de première instance de la Fédération, une commission prési- dée par Doris Spira (la seule élue fédérale) et composée de cinq membres, dont un médecin et un juriste. Le 4 septembre, jour de la révélation publique de son cas posi- tif (l’analyse de l’échantillon B a confirmé celle du A le 21 septembre), le médaillé de bronze olympique du 400 m haies s’était immédiatement défendu en expliquant qu’il avait uti- lisé un complément alimentaire pol- lué acheté sur Internet. Avec la même défense, après un contrôle positif au même produit, en mai der- nier, Florent Lacasse avait écopé de deux ans de suspension. Tout athlète étant responsable de ce qu’il ingère, il sera difficile pour Keita d’obtenir une sanction inférieure. Si c’était le cas, l’AFLD ou l’IAAF ne s’en satisferaient d’ailleurs probable- ment pas. L’organe disciplinaire ne rendra pas de décision immédiate- ment mais la notifiera ultérieure- ment à l’athlète. – N. H. « Wall Protect », un vrai mur ? D’ENTRÉE, LES RESPONSABLES du projet Wall Protect, né en 2005, refu- sent de se placer sur le terrain de l’éthique. De se positionner dans le débat pour ou contre. Leur démarche consiste à protéger le sportif en lui garantis- sant, par leur label, un complément « propre ». Première action : un audit de la chaîne de production du fabricant, y compris jusqu’aux sous-traitants et aux fournisseurs de matières premières, pour s’assurer qu’il n’y a aucune contami- nation possible et que tout est fait selon des normes rigoureuses. Ensuite, chaque lot de compléments est analysé pour vérifier qu’il ne contient pas de substances interdites cachées, puis stocké pendant quatre ans. Ce qui permettra au fabricant, s’il est incriminé par un athlète à la suite d’un contrôle positif, de pouvoir ressortir cette sorte d’échantillon B. À la fin de l’année, 25 produits devraient avoir reçu ce label. « Les dopés à leur insu aux complé- ments alimentaires, on devrait arrêter d’en parler », estime Dorian Martinez, initiateur du projet. Reste que Wall Protect a ses limites. D’abord parce que, dans les analyses, on ne recherche que deux stimulants et neuf anabolisants, les plus fréquemment utilisés. Donc un complément déclaré « bon pour le ser- vice » peut contenir d’autres substances. Ensuite parce que ceux qui décer- nent ce label sont financés par les fabricants eux-mêmes. Compte tenu des enjeux économiques, ce n’est pas franchement un gage d’indépendance… S. Tu. « UN COMPLÉMENT alimentaire est un produit destiné à être ingéré en complément de l’alimentation courante afin de pallier une insuffi- sance réelle ou supposée des apports journaliers. » (Définition du Journal officiel.) Ces compléments sont vendus en pharmacie et para- pharmacie, en grande surface, dans les magasins de sport et sur Internet (voir ci-dessous). On les trouve sous forme de gélules, pastilles, compri- més, ampoules, poudres à dis- soudre, liquides. Le marché s’est considérablement épanoui à partir de 1994. Aux États-Unis, la FDA (Food and drug administration) avait tenté d’imposer à l’industrie des compléments alimentaires les mêmes règles que pour l’industrie pharmaceutique, où il faut faire la preuve de l’efficacité du produit. Mais les fabricants de compléments, grâce à un lobbying forcené auprès des sénateurs, ont obtenu l’inverse. Tout produit vendu comme complé- ment pouvait alors être mis en vente librement. Dès lors, le business a explosé. Il génère aujourd’hui une croissance à deux chiffres. – S. Tu. fiable que la rumeur d’Orléans, circule dans le milieu : 90 % des sportifs de haut niveau auraient recours aux com- pléments. À la question « En prenez- vous ? », beaucoup nous ont répondu : « Non, mis à part des bois- sons énergétiques ou de récupéra- tion. » Isoxan est une marque fré- quemment citée. Un petit tour sur son site Internet laisse dubitatif… Certes, on apprend que la marque est parte- naire de la Coupe du monde de rugby ou de l’escrimeuse Laura Flessel. On y voit même la mention « Autorisé pen- dant les compétitions », sans savoir par qui elle a été accordée… En revanche, nulle part ne figure la com- position des différents produits de la marque. Professeur Audran : « Un moyen artificiel d’améliorer sa performance » Le recordman de France du 400 m, Les- lie Djhone, cite Isostar. Un nouveau tour sur Internet plus tard, on découvre, accolée à un des produits de la marque, la mention suivante : « Une étude scientifique a prouvé que la boisson X améliore de 19 % les perfor- mances. » Les références de l’étude ne sont évidemment pas citées. Mais ce qui effraye le plus, c’est le chiffre. L’EPO (produit interdit), en fonction des doses, n’est capable d’augmenter les performances que de 5 à 15 %... Prendre des compléments relève-t-il d’une conduite dopante ? Même si tous n’ont pas une opinion aussi tran- chée, le professeur Michel Audran, spécialiste du dopage et consultant de L’Équipe sur ces questions, répond oui sans hésiter : « C’est un moyen artifi- ciel d’améliorer sa performance. Et de toute façon, il n’y a que deux types de compléments qui sont vraiment effi- caces : ceux qui contiennent des ana- bolisants et ceux qui contiennent des stimulants. » Deux types de subs- tances évidemment inscrites sur la liste des produits interdits de l’Agence mondiale antidopage (AMA). Dans ce marché en pleine expansion (voir ci- dessous), les sportifs de haut niveau ne pèsent pas lourd. Les fabricants visent surtout les sportifs du dimanche, qui ne risquent pas plus de contrôle anti- dopage que de recevoir une convoca- tion en équipe de France. Leur étique- tage est donc souvent sujet à caution (*). Régis par des législations différentes en Europe et dans le monde, où Internet permet bien des dérives, les compléments n’ont pas non plus à faire la preuve de leur effica- cité, contrairement aux médicaments. Les risques sont donc nombreux. Certains contiennent des stimulants, d’autres des hormones ou leurs précur- seurs, d’autres enfin sont contaminés, de façon volontaire ou pas, par des produits interdits. Une présence qui relève soit d’une volonté de rendre plus « efficace » un produit prétendu- ment propre, soit d’un mauvais procé- dé de fabrication où un produit interdit (pour les sportifs) aurait été mis en contact avec le complément. Une étude de l’université des sports de Cologne, réalisée en 2001 et 2002 sur 624 compléments, a démontré que 15 % des produits, soit plus d’un sur sept, renfermaient des substances dopantes non déclarées sur les éti- quettes. Et l’analyse du professeur Geyer, l’un des maîtres d’œuvre de cette recherche, fait froid dans le dos : « La situation du marché des complé- ments alimentaires a empiré, pas seu- lement à cause de la contamination avec les pro-hormones mais aussi avec celle des plus “classiques” stéroïdes anabolisants, qui viennent plus parti- culièrement des usines chinoises. Dans les années à venir, nous nous atten- dons à plus de contaminations avec les stéroïdes de synthèse… » « Quand j’ai besoin de vitamines, je mange deux oranges. Et pour les pro- téines, rien ne vaut un bon steak ! » conclut Manuèla Montebrun, ou le bon sens près de chez vous. Mais com- bien d’athlètes succomberont encore au chant des sirènes ? SOPHIE TUTKOVICS (avec H. De., J.-D. C. et L. B.) (*) La France dispose d’une législation plus contraignante que la loi euro- péenne. Mais le décret du 20 mars 2006, qui encadre la commer- cialisation des compléments alimen- taires, reste vague à ce sujet. Il impose seulement « le nom des catégories de nutriments ou substances caractéri- sant le produit ou une indication rela- tive à la nature de ces nutriments ou substances ». PARIS. – La devanture d’une pharmacie parisienne. Au milieu d’une affiche vantant les mérites d’une marque de compléments alimentaires trône la photo de Christine Arron. La sprinteuse est entourée (de g. à dr.) par Julien Absalon (VTT), Sébastien Fauqué, un joueur de Montau- ban (rugby), Frédéric Belaubre (triathlon), David Alerte (sprint), Romain Mesnil (perche) et Ronald Pognon (sprint). (Photo Richard Martin) PAGE 14 MERCREDI 3 OCTOBRE 2007

ATHLÉTISME 14 Legoûtdurisque

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CONTRE

Ils pratiquent la même discipline : les haies hautes, l’un sur 110 m, l’autre sur 100 m. Pourtant, leurs avis sur les compléments alimentaires sont diamétralement opposés, comme un symbole de la fracture qui apparaît dans le monde de l’athlétisme.

POURAdrianna LAMALLE(100 m haies)25 ans, née le 27 sept. 1982 aux Abymes (Guadeloupe).

1,70 m ; 58 kg.

Entraîneur : François Pépin.

CM : demi-finaliste (100m haies, 2005, 2007).CE : finaliste (100m haies, 2006).Records : 100 m haies, 12’’67. Salle, 60 m haies, 8’’02 (2006).

Ladji DOUCOURÉ(110 m haies)24 ans, né le 28 mars 1983 à Juvisy-sur-Orge (Essonne).

1,83 m ; 75 kg.

Entraîneur : Renaud Longuèvre.

JO : 8e (110 m haies, 2004).CM : 1er (110 m haies et 4 x 100 m, 2005) ; demi-finaliste (110 m haies, 2003, 2007).CE : demi-finaliste (110 m haies, 2006).CE en salle : 1er (60 m haies, 2005).Records :110 m haies, 12’’97 (RF, 2005). Salle, 60 m haies, 7’’42 (RF, 2005).

Le réseau de distribution en France

58

129813

%

Pharmacies

Magasins spécialisés

Grandes et moyennes surfaces

Autres(vente à distance,Internet)

Parapharmacies

AVEC LES ENTRAÎAÎNEURSÎN AVEC LE MÉMÉDECIN FÉD ÉFÉDÉDÉDÉRALÉR

L lé t

C’esst le poids du marché ial monddu secteur.ecteur. ÀÀÀ , elle seule, lelle seule, l’ pEuropeEuroperepréésent 18nte 18 illi d dmilliards d’’euros.

Commme lee chiffrre d’ ruraffaires du secteuenn France en 2006.France en 20062006006 on Soit une augmentatioSoit une augmentatiiS it t tiiS i ide 7,5 % par rapport à 2005.

esaux compléments alimentaires. C’est lepremier produit cité par les appelantspratiquant lp quant l’athlathléétisme, devant lestisme, devant les,stimulaants et les anabolisants.

JEAN-PIERRE FOUILLOT, médecinet spécialiste du sujet, estime quela prise de compléments peut êtreun premier pas vers le dopage.

« On entre dans laconduite dopante »« UN SPORTIF de haut niveau a-t-il besoin de compléments ali-mentaires ?– La réponse est, a priori, non. Unebonne partie de leur utilisation esttotalement inutile. Pour le reste, çadoit se faire dans des conditions trèsstrictes et adaptées aux besoins.Sinon, on arrive à une aberration quiconsiste à apporter des rations pro-téiquesde l’ordrede 2 à 3 grammesparkilo et par jour alors que les besoins nevont pas dépasser au grand maximum1,5 g. De ce fait, on va augmenter letravail du rein pour éliminer l’azote parles urines.– Prendre des compléments,est-ce une conduite dopante ?– À partir du moment où on chercheun produit pour améliorer sa perfor-mance, déjà, en esprit, on entre dans laconduite dopante. On est mentale-ment prêt à tenter d’accéder un jour oul’autre à un produit plus actif qui, lui,fera partie des produits interdits. Maisje ne dis pas qu’il faut proscrire totale-ment les compléments. Il faut tenircompte des apports alimentaires, doncfaire un bilan diététique et éventuelle-ment avoir recours à certains complé-ments hydriques, protidiques, gluci-diques, pour répondre aux besoins del’exercice intense.

« Acheter sur Internet,c’est du très hautrisque »

– Que penser d’un athlète quiprend des compléments et qui senourrit dans les fast-foods ?– Qu’il doit absolument se rendrechez un nutritionniste ou une diététi-cienne parce qu’une alimentationéquilibrée, c’est la base dont il abesoin ! Il y a désormais des sportifsqui prennent carrément des substituts

de repas. C’est déraisonnable, totale-ment inacceptable.–Ya-t-iluneffet placeboavec lescompléments ?– Il est connu pour tout produit, ycompris les compléments alimen-taires. C’est la raison pour laquelle ilfaut faire très attention aux justifica-tions d’efficacité des compléments.Beaucoup d’études ne sont pas réali-sées dans des conditions expérimen-tales strictes et en particulier pas endouble aveugle (la personne qui admi-nistre le produit et le patient ne saventpas s’il s’agit ou non d’un placebo).– En 2007, un sportif peut-ilencore tenir le discours : je mesuis fait piéger, j’ai acheté unproduit via Internet ?– Acheter sur Internet, c’est vraimentdu très, très haut risque. La semainedernière, j’en ai encore vu un qui avaitété contrôlé positif aux stéroïdes ana-bolisants sur une prise de complé-ments achetés sur Internet. Des cascomme celui-là, il y en a eu, il y en a et ily en aura encore…– Trouvez-vous normal que cer-tains sportifs fassent de la publi-cité pour des compléments ali-mentaires ?– Ça me choque beaucoup. Je vaisvous donner un exemple. Il y aquelques années, près d’une centainede sportifs de haut niveau, parmi les-quels Tim Montgomery, Marion Jones,Kelly White et Dwain Chambers, ontattesté qu’ils avaient obtenu leurs per-formances grâce à un complément ali-mentaire, le ZMA. Un complément quiavait été fabriqué par… le laboratoireBALCO (*) ! » – S. Tu.(*) À l’origine d’une des plus grandesaffaires de dopage de l’athlétisme, quia abouti à la suspension de Montgo-mery et White et à la condamnation àquatre mois de prison du patron dulaboratoire, Victor Conte.

Un complément, c’est quoi ?

Les coaches font le dos rondONNOUS AVAIT pourtant prévenus. « Ouh là, les coaches,ils ne voudront pas parler de ça. » Et on n’a pas été déçus.Silence, embarras, langue de bois, tout y est passé pour élu-der un sujet « un peu tabou », selon les mots de l’un d’entreeux.Renaud Longuèvre, le coach de Ladji Doucouré, est loquace,lui. Et pour cause, la lutte contre les compléments alimen-taires est l’un de ses combats de toujours : « Je connais parcœur le discours de certains sur le rééquilibrage nutritionnelsupposé, lâche, énervé, l’ancien perchiste. J’entends çadepuis que des sprinteurs des années 2000 comme Greene,Boldon ou d’autres ont dit qu’on ne pouvait pas faire sans lescompléments alimentaires. Mais ces trucs-là, ça va àl’encontre de l’idée que j’ai du sport de haut niveau. Dès quetu ne bases plus ta progression sur le talent et le travail, tu nejoues plus le jeu. »Le jeune coach de Ronald Pognon, Pierre-Jean Vazel, est l’undes partisans du « rééquilibrage nutritionnel » : « Lesathlètes ne sont pas des gens lambdas. Il faut comprendrequ’ils puissent avoir des carences. Lescompléments peuventêtre une solution. Si cette consommation est encadrée par

un médecin, celane doit pasposer deproblèmes. » Si la posi-tion deLonguèvre trouveun échoparmi les coaches, certainsn’ont pas les moyens de la mettre en application. FrançoisPépin, entraîneur de la hurdleuse Adrianna Lamalle et deLeslie Djhone, déplore son impuissance : « Ma position, elleest très claire. Je n’en veux pas, parce qu’on ne sait jamais cequ’il y a dedans. Mais tout en disant cela, je sais très bien quemes athlètes en prennent. Qu’est ce que je peux faire ? Êtrederrière eux tout le temps ? Ce n’est pas sérieux. Donc, jesuis attentif. Ils savent que si je perçois la moindre dérive,c’est la porte. »Quel rôle peuvent tenir les coaches ? Longuèvre apporte unepremière réponse : « On peut activement participer à lanutrition de nos athlètes en collaboration avec un médecin.Dans notre structure, les athlètes font des prises de sang et sion décèle des carences, notre médecin prescrit du fer ou dumagnésium, seulement notre médecin ! » Pépin fait appel àune prise de conscience collective : « Quand ils compren-dront que tous ces trucs-là, c’est de la poudre de perlimpin-pin, peut-être qu’ils arrêteront. »

HUGO DELOM

Deymié : « Un échec personnel »SA VOIX HÉSITANTE et ses silences répétés trahissentson embarras. Philippe Deymié est en plein doute. En moinsde trois mois, le médecin fédéral de l’athlétisme français avu deux athlètes avec lesquels il « s’entretenait régulière-ment » être contrôlés positifs à la testostérone. De quoimettre l’homme en charge du suivi médical des athlètes del’équipe de France dans une situation inconfortable : « Jel’ai un peu vécu comme un échec personnel parce quej’avais l’impression que nous avions fait un gros travail desensibilisation sur les dangers des compléments alimen-taires achetés sur Internet, mais apparemment ça n’a passuffi. »En théorie, le bilan médical effectué chaque année par lesathlètes doit prévenir ce genre de situations, en théorie seu-lement, puisqu’au moment des visites médicales annuellescertains athlètes omettent de signaler l’ensemble de leurconsommation en compléments. « J’en ai conscience,reprend le docteur Deymié. Certains athlètes craignentqu’on leur interdise de prendre des compléments, mais jesuis un peu démuni. Dans l’idéal, il faudrait un suivi diété-tique permanent. »

Certains médecins, en constatant les récents dégâts causéspar les compléments, auraient arrêté d’en prescrire, pas lui :« Je continue de penser qu’ils peuvent être un moyen pourpallier les carences nutritionnelles ponctuelles des athlètes.Je n’en prescris jamais systématiquement mais quand jeconstate qu’en raison de leur mode de vie ou pour des rai-sons financières ils ne peuvent pas maintenir une stratégienutritionnelle adaptée, je n’hésite pas. »

Plus que dans l’interdiction des compléments alimentaires(« inapplicable »), c’est dans leur meilleure utilisation etrégulation que le médecin fédéral voit une possible solu-tion : « Tester régulièrement les compléments alimentairesest une fausse garantie, parce que si je décide de tester lesgélules et les poudres d’une marque, qui me dit que dans lecolis suivant il n’y aura pas des produits interdits ? Je croisque pour éviter ce genre de cas il faut aller vers une meil-leure prise en charge diététique de l’athlète, l’éduquer sur leplan nutritionnel avec des choses très simples comme luiapprendre à faire les courses ou lui expliquer ce qu’est unestratégie nutritionnelle adaptée. » – H. De.

« DEPUIS MES ANNÉES juniors, jeprends des compléments sous formede vitamines, de sels minéraux. Cesont des produits naturels certifiésbio que l’on peut trouver en gélules,ampoules ou comprimés. Cela sert àme tonifier avant des stages diffi-ciles. Je prends d’autres complé-ments mais toujours des produitsclassiques. Je les achète en pharma-cie ou sur Internet, où c’est moinscher et surtout où il y a plus de choix.Je me base sur la marque, je lui faisconfiance. Et comme je prends tou-jours les mêmes, il n’y a pas derisques.Quand j’ai des conseils ou un doutesur des produits nouveaux, je faisappel au docteur qui est rattaché ànotre groupe d’entraînement.L’année prochaine, dans le cadre dema préparation pour les Jeux, je ver-rai un nutritionniste pour qu’il puissenotamment gérer ma prise de com-pléments. Je ne peux pas faire sansparce que je suis une athlète de hautniveau et que je m’entraîne dur. Jesuis obligée de pallier les déficits quecette pratique intensive crée dansmon organisme.J’essaie au maximum de ne pas pol-luer mon corps. Je ne prends jamaisde produits à base de protéines oudes compléments qui servent à larégénération musculaire. Je les aitestés quand j’étais plus jeune. Ça nem’a pas réussi. Mais je comprendstout à fait les athlètes qui font cela. Ily en a qui ont des difficultés à main-tenir leur masse musculaire, notam-ment en période de repos. Ces com-pléments les aident. Entre nous, onen parle régulièrement mais lesathlètes restent assez discrets sur lescompléments qu’ils prennent, sur-tout quand ça marche… » H. De.

« MOI, JENE PRENDS PAS du toutde compléments. Je ne prends rien,même pas de boissons énergisantes.Ma position est simple : je pars avecles mêmes armes que les autres,c’est-à-dire avec deux bras et deuxjambes. Si ça ne suffit pas pour êtreperformant, eh bien tant pis. Maisc’est ma fierté de ne pas utiliser autrechose. Et quand ça ne va pas, je faisune prise de sang et je vais voir unmédecin pour qu’il me prescriveéventuellement quelque chose. Entout cas, je ne fais jamais d’automé-dication.De toute façon, même du magné-sium B 6, j’ai peur d’en prendre. AuxJeux d’Athènes, j’avais des crampeset le docteur Deymié m’avait prescritun truc. Je n’étais pas rassuré. Je nesuis pas sûr que le docteur fédéralsoit dans son rôle en en prescrivant.Même quand j’ai mal à la tête,j’hésite à prendre du Doliprane.Depuis 2003, il y a eu beaucoup decas positifs et on n’en parlait pastrop. J’ai l’impression qu’on enreparle un peu entre nous. Mais çam’énerve d’entendre des gens quiprennent des compléments donnerl’impression qu’ils ont la même posi-tion que moi.Ils me disent : “Ouais, mais toi tu esdans une discipline où tu n’as pasbesoin d’en prendre pour récupé-rer ! » Dans le demi-fond ou le mara-thon, ils ont évidemment d’autresbesoins. Mais à cause de cela monavis ne compterait pas ? Moi,j’écoute ce qui se dit, les gars quiexpliquent que ce n’est pas de leurfaute et tout ça, et je rigole. Pourmoi, c’est simple : à partir dumoment où tout le monde sait qu’il ya eu des pots de compléments pol-lués, on ne joue pas avec ça. » – N. H.

ATHLÉTISME

Le goût du risqueLe recours aux compléments alimentaires, très répandu, fait débat chez les athlètes, les entraîneurs et les médecins.Naman Keita comparaîtce soir devant l’organedisciplinaire de premièreinstance de laFédération. Seul athlètecontrôlé positif dans lecadre des Championnatsdu monde d’Osaka, enaoût dernier, il affirmequ’il a été la victimed’un complémentalimentaire pollué.Véritable explication oufausse excuse ? L’usagede ces produits divisele monde de l’athlétisme.

JUILLET DERNIER : Florent Lacasse,spécialiste du 800 m, révèle qu’il a étécontrôlé positif à la testostérone etinvoque la prise d’un complément ali-mentaire « pollué ». Septembre : lemédaillé de bronze sur 400 m haies desJO d’Athènes, Naman Keita, contrôlépositif à la même substance, utilise lamême explication. L’argumentation asouvent été entendue ces dernièresannées. Trop souvent. Elle recouvreautant de démonstrations de mau-vaise foi que de témoignages sincères,autant de grossiers subterfuges pouréviter de se voir accoler l’étiquette de« dopé » que de cas flagrantsd’inconscience. Octobre : dans lavitrine d’une pharmacie parisiennetrônent quatre photos d’athlètes– Christine Arron, Romain Mesnil,Ronald Pognon et David Alerte – qui,tous, vantent les mérites d’un complé-ment.Au moins ceux-là ne pourront pas nierqu’ils ont recours à ces produits. Parceque le complément est presque deve-nu un sujet tabou, tant il est souventassociéà des affaires de dopage. On enconsomme, mais on ne le dit pas.Un chiffre, aussi persistant et invéri-

Keitadevantses jugesCONTRÔLÉ POSITIF à la testosté-rone le 20 août à Wakayama, cinqjours avant l’ouverture des Mon-diaux d’Osaka, Naman Keita passeraà 19 heures devant l’organe discipli-naire de première instance de laFédération, une commission prési-dée par Doris Spira (la seule éluefédérale) et composée de cinqmembres, dont un médecin et unjuriste. Le 4 septembre, jour de larévélation publique de son cas posi-tif (l’analyse de l’échantillon B aconfirmé celle du A le 21 septembre),le médaillé de bronze olympique du400 m haies s’était immédiatementdéfendu en expliquant qu’il avait uti-lisé un complément alimentaire pol-lué acheté sur Internet. Avec lamême défense, après un contrôlepositif au même produit, en mai der-nier, Florent Lacasse avait écopé dedeux ans de suspension.Tout athlète étant responsable de cequ’il ingère, il sera difficile pour Keitad’obtenir une sanction inférieure. Sic’était le cas, l’AFLD ou l’IAAF ne s’ensatisferaient d’ailleurs probable-ment pas. L’organe disciplinaire nerendra pas de décision immédiate-ment mais la notifiera ultérieure-ment à l’athlète. – N. H.

« Wall Protect », un vrai mur ?D’ENTRÉE, LES RESPONSABLES du projet Wall Protect, né en 2005, refu-sent de se placer sur le terrain de l’éthique. De se positionner dans le débatpour ou contre. Leur démarche consiste à protéger le sportif en lui garantis-sant,par leur label, un complément « propre ».Première action :un audit de lachaîne de production du fabricant, y compris jusqu’aux sous-traitants et auxfournisseurs de matières premières, pour s’assurer qu’il n’y a aucune contami-nation possible et que tout est fait selon des normes rigoureuses.Ensuite, chaque lot de compléments est analysé pour vérifier qu’il ne contientpas de substances interdites cachées, puis stocké pendant quatre ans. Ce quipermettra au fabricant, s’il est incriminé par un athlète à la suite d’un contrôlepositif, de pouvoir ressortir cette sorte d’échantillon B. À la fin de l’année,25 produits devraient avoir reçu ce label. « Les dopés à leur insu aux complé-ments alimentaires, on devrait arrêter d’en parler », estime Dorian Martinez,initiateur du projet. Reste que Wall Protect a ses limites. D’abord parce que,dans les analyses, on ne recherche que deux stimulants et neuf anabolisants,les plus fréquemment utilisés. Donc un complément déclaré « bon pour le ser-vice » peut contenir d’autres substances. Ensuite parce que ceux qui décer-nent ce label sont financés par les fabricants eux-mêmes. Compte tenu desenjeux économiques, ce n’est pas franchement un gage d’indépendance…S. Tu.

« UN COMPLÉMENT alimentaireest un produit destiné à être ingéréen complément de l’alimentationcourante afin de pallier une insuffi-sance réelle ou supposée desapports journaliers. » (Définition duJournal officiel.) Ces complémentssont vendus en pharmacie et para-pharmacie, en grande surface, dansles magasins de sport et sur Internet(voir ci-dessous). On les trouve sousforme de gélules, pastilles, compri-més, ampoules, poudres à dis-soudre, liquides. Le marché s’estconsidérablement épanoui à partirde 1994. Aux États-Unis, la FDA(Food and drug administration) avaittenté d’imposer à l’industrie descompléments alimentaires lesmêmes règles que pour l’industrie

pharmaceutique, où il faut faire lapreuve de l’efficacité du produit.Mais les fabricants de compléments,grâce à un lobbying forcené auprèsdes sénateurs, ont obtenu l’inverse.

Tout produit vendu comme complé-ment pouvait alors être mis en ventelibrement. Dès lors, le business aexplosé. Il génère aujourd’hui unecroissance à deux chiffres. – S. Tu.

fiable que la rumeur d’Orléans, circuledans le milieu : 90 % des sportifs dehaut niveau auraient recours aux com-pléments. À la question « En prenez-vous ? », beaucoup nous ontrépondu : « Non, mis à part des bois-sons énergétiques ou de récupéra-tion. » Isoxan est une marque fré-quemment citée. Un petit tour sur sonsite Internet laisse dubitatif… Certes,on apprend que la marque est parte-naire de la Coupe du monde de rugbyou de l’escrimeuse Laura Flessel. On yvoit même la mention « Autorisé pen-dant les compétitions », sans savoirpar qui elle a été accordée… Enrevanche, nulle part ne figure la com-position des différents produits de lamarque.

Professeur Audran :« Un moyen artificield’améliorersa performance »

Le recordman de France du 400 m, Les-lie Djhone, cite Isostar. Un nouveautour sur Internet plus tard, ondécouvre, accolée à un des produits dela marque, la mention suivante : « Une

étude scientifique a prouvé que laboisson X améliore de 19 % les perfor-mances. » Les références de l’étude nesont évidemment pas citées. Mais cequi effraye le plus, c’est le chiffre.L’EPO (produit interdit), en fonctiondes doses, n’est capable d’augmenterles performances que de 5 à 15 %...Prendre des compléments relève-t-ild’une conduite dopante ? Même sitous n’ont pas une opinion aussi tran-chée, le professeur Michel Audran,spécialiste du dopage et consultant deL’Équipe sur ces questions, répond ouisans hésiter : « C’est un moyen artifi-ciel d’améliorer sa performance. Et detoute façon, il n’y a que deux types decompléments qui sont vraiment effi-caces : ceux qui contiennent des ana-bolisants et ceux qui contiennent desstimulants. » Deux types de subs-tancesévidemment inscrites sur la listedes produits interdits de l’Agencemondiale antidopage (AMA). Dans cemarché en pleine expansion (voir ci-dessous), les sportifs de haut niveau nepèsent pas lourd. Les fabricants visentsurtout les sportifs du dimanche, quine risquent pas plus de contrôle anti-dopage que de recevoir une convoca-

tion en équipe de France. Leur étique-tage est donc souvent sujet àcaution (*). Régis par des législationsdifférentes en Europe et dans lemonde, où Internet permet bien desdérives, les compléments n’ont pasnon plus à faire la preuvede leur effica-cité, contrairement aux médicaments.Les risques sont donc nombreux.Certains contiennent des stimulants,d’autresdes hormones ou leurs précur-seurs, d’autres enfin sont contaminés,de façon volontaire ou pas, par desproduits interdits. Une présence quirelève soit d’une volonté de rendreplus « efficace » un produit prétendu-ment propre, soit d’un mauvais procé-dé de fabrication où un produit interdit(pour les sportifs) aurait été mis encontact avec le complément.Une étude de l’université des sports deCologne, réalisée en 2001 et 2002 sur624 compléments, a démontré que15 % des produits, soit plus d’un sursept, renfermaient des substancesdopantes non déclarées sur les éti-quettes. Et l’analyse du professeurGeyer, l’un des maîtres d’œuvre decette recherche, fait froid dans le dos :« La situation du marché des complé-

ments alimentaires a empiré, pas seu-lement à cause de la contaminationavec les pro-hormones mais aussi aveccelle des plus “classiques” stéroïdesanabolisants, qui viennent plus parti-culièrement des usines chinoises. Dansles années à venir, nous nous atten-dons à plus de contaminations avec lesstéroïdes de synthèse… »« Quand j’ai besoin de vitamines, jemange deux oranges. Et pour les pro-téines, rien ne vaut un bon steak ! »conclut Manuèla Montebrun, ou lebon sens près de chez vous. Mais com-bien d’athlètes succomberont encoreau chant des sirènes ?

SOPHIE TUTKOVICS(avec H. De., J.-D. C. et L. B.)

(*) La France dispose d’une législationplus contraignante que la loi euro-p é e n n e . M a i s l e d é c r e t d u20 mars 2006, qui encadre la commer-cialisation des compléments alimen-taires, reste vague à ce sujet. Il imposeseulement « le nom des catégories denutriments ou substances caractéri-sant le produit ou une indication rela-tive à la nature de ces nutriments ousubstances ».

PARIS. – La devanture d’une pharmacie parisienne. Au milieu d’une affiche vantant les mérites d’une marque de compléments alimentairestrône la photo de Christine Arron. La sprinteuse est entourée (de g. à dr.) par Julien Absalon (VTT), Sébastien Fauqué, un joueur de Montau-ban (rugby), Frédéric Belaubre (triathlon), David Alerte (sprint), Romain Mesnil (perche) et Ronald Pognon (sprint). (Photo Richard Martin)

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