27
Au-delà du formalisme, une architecture complexe et contradictoire nora perarnaud-Faculté D’Architecture ULB-2012/2013 Sous la direction de Jean-Didier Bergilez et Denis Derycke Peter Eisenman, Cardboard Architecture, 1969

Au-delà du formalisme, une architecture complexe et ... · Peter Eisenman, Cardboard Architecture, 1969. 1. Durant les années 1960, le climat architectural est caractérisé par

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Au-delà du formalisme, une architecture complexe et ... · Peter Eisenman, Cardboard Architecture, 1969. 1. Durant les années 1960, le climat architectural est caractérisé par

Au-delà du formalisme, une architecture complexe et contradictoire

nora perarnaud-Faculté D’Architecture ULB-2012/2013Sous la direction de Jean-Didier Bergilez et Denis Derycke

Peter Eisenman, Cardboard Architecture, 1969

Page 2: Au-delà du formalisme, une architecture complexe et ... · Peter Eisenman, Cardboard Architecture, 1969. 1. Durant les années 1960, le climat architectural est caractérisé par

1

Page 3: Au-delà du formalisme, une architecture complexe et ... · Peter Eisenman, Cardboard Architecture, 1969. 1. Durant les années 1960, le climat architectural est caractérisé par

Durant les années 1960, le climat architectural est caractérisé par la com-plexité et la diversité des débats en réaction au contexte socio-politique de l’époque. Dans la pluralité des positions, certains des architectes réagissent au présupposé Form Follows Function. Cette vision de l’architec-ture avait mené certains architectes à attri-buer aux formes architecturales le rôle de représenter une fonction et d’incarner un programme. Au sein de ces débats, Peter Eisenman, architecte américain, s’inté-resse à la forme architecturale et tente de dépasser le postulat du fonctionnalisme. Peter Eisenman construit son lan-gage architectural sur le déclin du Style International et le rejet des présupposés fonctionnalistes. Dans la lignée de Colin Rowe, il s’intéresse à la forme du bâti et aux principes de génération de l’architecture. Pour lui, l’architecture est « par essence le don de la forme »1. Il refuse de s’encombrer de la plupart des éléments extérieurs à cette dernière. Ainsi, il ne se préoccupe pas de l’aspect social, politique et fonctionnel de l’architecture. Il la considère telle un objet

Au-delà du formalisme, une architecture complexe et contradictoire

Peter Eisenman, Cardboard Architecture, 1969

1KORMOSS, Bernard, Peter Eisenman, Theories and Practices, (2007 Faculteit bouwkunde)

2 3

Fig.1: Axonométrie de la House II, Peter Eisenman, 1969 (1)

Page 4: Au-delà du formalisme, une architecture complexe et ... · Peter Eisenman, Cardboard Architecture, 1969. 1. Durant les années 1960, le climat architectural est caractérisé par

Fig.2: Diagrammes de la House II, Peter Eisenman, 1962 (2)

autonome. Nous nous intéresserons ici à son travail, et plus particulièrement à ses Cardboard Architectures 2 présentées pour la première fois lors de l’exposition les New York Five, au MOMA à New York en 1967 3. (Fig.1)

Les Cardboard Architectures mon-trées lors de l’exposition sont réunies dans le livre New York Five qui parut deux ans plus tard. La House II y est présentée par une succession de dia-grammes prenant la forme d’axonomé-tries filaires.(Fig.2) A travers les différents schémas juxtaposés, des transformations spatiales se succèdent jusqu’à arriver à l’objet final. La House II fait partie d’un ensemble de treize maisons rassem-blées sous le pseudonyme des Cardboard Architectures. On peut définir deux grandes phases importantes dans ce tra-vail. La première est composée des mai-sons de la House I à la House IX . Dans ces dernières, il opère des séries de trans-formations géométriques à partir de la forme élémentaire du cube : translation, rotation, symétrie, dédoublement…

2 EISENMAN, GRAVES, GWATHMEY (…), Five Archi-tects : Eisenman, Graves, Gwathmey, Hejduk, Meier, Museum Of Modern Art, (New York, NY), (Oxford Univer-sity Press, New York)

3IDEM,p 17

4 5

Page 5: Au-delà du formalisme, une architecture complexe et ... · Peter Eisenman, Cardboard Architecture, 1969. 1. Durant les années 1960, le climat architectural est caractérisé par

Fig.3: Photographie de la Casa del Fascio,Giuseppe Terragni,1936, Come,Italie(3)

Les procédés de transformations deviennent progressivement de plus en plus complexes dans les projets. A partir de la House X , il abandonne son processus de déformation linéaire du cube et développe un procédé de Dé-composition4. Nous nous intéresserons ici particulièrement à la House II car elle nous paraît représentative de la première phase de travail de Peter Eisenman. De plus, ayant été construite, elle permet d’appréhender l’entièreté du processus de création et de révéler le paradoxe qui habite cette mai-son. Bien qu’il rejette les postulats liés à l’architecture moderniste – l’aspects so-cial, fonctionnel et structurel de l’archi-tecture- Peter Eisenman intègre dans ses projets des références formelles propres aux archétypes de cette dernière. Effectivement, la House II est réalisée en référence à la Casa Del Fascio5 (Fig.3) de Giuseppe Terragni qui conçoit ce bâtment entre 1932 et 1936 sur la Piazza del Popolo , à Côme, en Italie. Peter Eisenman est inté-ressé par la forme et les procédés spatiaux qu’utilise Terragni. En 1963, lors de

4 A partir de la House X, Peter Eisenman adopte le procédé de décomposition.« La décomposition propose une conception non unitaire de l’objet et ainsi un processus dans lequel les étapes ne sont ni clairement prévisibles, ni reliées logiquement de la cause à l’effet. Il n’est pas certain que l’objet « final » soit la description de sa propre histoire ». Architecture et complexité, Alain Farel, p.159 5TERRAGNI Attilio, LIBESKIND Daniel, ROSSELLI Paolo, The Terragni Atlas, Built Architectures, (Skira, Geneva-Mi-lan,2004)p 146,215Fig.4: Diagrammes de la Casa del Fascio, Peter

Eisenman, 1963(3)

6 7

Page 6: Au-delà du formalisme, une architecture complexe et ... · Peter Eisenman, Cardboard Architecture, 1969. 1. Durant les années 1960, le climat architectural est caractérisé par

l’écriture de sa thèse, The Formal Basis Of Modern Architecture6, il exécute une série de diagrammes analytiques(Fig.4) qui lui permettent de mettre en avant les procédés spatiaux à l’œuvre dans la Casa del Fascio . Chacun des diagrammes met en exergue un aspect de la composition du projet. Le bâtiment est formé d’un cube qui subit des divisions tantôt additives et tantôt soustractives. C’est par ces deux procédés spatiaux que le projet se construit. Ces transformations serviront de fon-dement dans le processus de concep-tion de ses Cardboard Architectures. A l’aide de schémas axonométriques, Peter Eisenman soutient que Terragni développe une ambiguïté conceptuelle en superposant deux conceptions de l’espace: d’une part des stratifications additives et d’autre part des soustractions de volumes. Aucun des systèmes n’est dominant, ils coexistent et créent ainsi une ambigüité spatiale. 7 Dans sa lecture du projet, Peter Eisenman utilise les diagrammes comme un outil d’analyse : ce sont des représentations graphiques permettant de mettre en avant des caractéristiques propres à un objet ou à une idée. Ils révèlent un aspect formel de l’objet éventuellement insaisissable et n’ont pas forcément la forme de la chose représentée. Les diagrammes s’articulent et s’organisent selon ce qu’ils veulent mettre

6 EISENMAN, Peter, dans The Formal Basis Of Modern Archi-tecture, (2006 Lars Muller Publishers, original submitted in August 1963)7 R.E Somol, « Dummy Text, or the Diagrammatic Basis Of Contemporary Architecture », dans Diagram Diaries, (1999 Universe Publishing, New York), p6, 43

en exergue. De ce fait, ils sont différents d’un plan ou d’un dessin : ils permettent de mettre à jour des structures latentes non ré-vélées. Dans sa thèse, Peter Eisenman utili-sera des diagrammes analytiques pour enfin les intégrer dans le processus de conception de ses Cardboard Architectures. Son travail a parfois été critiqué pour son « formalisme névrotique » et son « manque de substance philosophique ». 8

Cependant, il nous semble qu’à travers ses Cardboard Architectures, Peter Eisenman révèle des procédés spatiaux intéressants et soulève des questions de représentations in-hérentes à la production architecturale. Son travail manifeste « de la complexité et de la contradiction mais appliquée à des proto-types révérés du mouvement moderne(…) ».9

Par le biais de l’analyse de la House II, nous mettrons en évidence dans ce texte les spécificités d’utilisation du diagramme par Peter Eisenman. Nous constaterons d’une part que ce qui caractérise son tra-vail est l’utilisation d’un processus dia-grammatique et, d’autre part, le large em-ploi d’idées théoriques liées au diagramme. Ensuite, nous nous intéresserons aux enjeux formels qui caractérisent la House II et nous examinerons en quoi elle est source de com-plexité et de contradictions spatiales mais également représentationnelles.

8 CURTIS William J.R, « Extension et Critique dans les années 1960 », L’architecture moderne depuis 1900, (Première Edition Française 2004, Phaidon, Paris), p 5579IDEM, p 557

8 9

Page 7: Au-delà du formalisme, une architecture complexe et ... · Peter Eisenman, Cardboard Architecture, 1969. 1. Durant les années 1960, le climat architectural est caractérisé par

Diagramme et théories

Fig.5: Diagrammes de la House II, Peter Eisenman, 1969(5)

L’approche diagrammatique de Peter Eisenman se singularise dans ses Cardboard Architectures. Contrairement à ce que nous avons énoncé précédemment, le diagramme n’est plus uniquement un outil d’analyse. Il devient un élément actif dans le proces-sus de conception. En tant que générateur du projet, le diagramme est intégré dans le développement de l’idée. Bien qu’il reste une forme de représentation, il devient un médium qui permet de faire le lien entre l’objet fini et son procédé de création10. Dans les Cardboard Architectures, ce mé-dium prend la forme d’axonométries filaires qui se succèdent.(Fig.5) On retrouve ces dif-férentes étapes intermédiaires dans le pro-cessus de conception de la House II. Les diagrammes disposés les uns à la suite des autres sont dissemblables. Ils retracent les différentes étapes de transformation. C’est la lecture simultanée de ces schémas qui donne naissance au processus diagrammatique. 10 Peter Eisenman, « Diagram : An Original Scene of Writing », dans Diagram Diaries, (1999 Universe Publishing, New York), p26,35

10 11

Page 8: Au-delà du formalisme, une architecture complexe et ... · Peter Eisenman, Cardboard Architecture, 1969. 1. Durant les années 1960, le climat architectural est caractérisé par

Fig.6: La «grille à neuf cases»,Les Villas de Palla-dio, Rudolf Wittkower, 1949(6)

Contrairement à ce procédé, l’histo-rien Rudolf Wittkower11(Fig.6) fait quelques années auparavant une analyse des villas de Palladio. Les schémas qu’il réalise sont des diagrammes filaires synthétisés à l’extrême. Chaque villa s’en voit attribuer un qui représente l’aspect compositionnel des projets. Ce type de représentation est nommé la « grille à neuf cases»12 , car c’est l’aspect structurel redondant que l’on re-trouve dans les différents bâtiments. Peter Eisenman sera influencé par ce type d’approche dans sa thèse de 1963, ce-pendant, il spécifiera que le travail de Wittkower n’est pas inscrit dans un processus de création. Selon lui, les diagrammes des villas nous révèlent une structure compositionnelle sous-jacente aux villas de Palladio, mais ne nous expliquent pas la façon de procéder de ce dernier. Avec son processus diagrammatique, il souhaite nous révéler les étapes de création de ses projets. Peter Eisenman théorise ainsi diffé-rents concepts liés aux diagrammes. Selon lui, les divers schémas qui composent le processus diagrammatique représentent les différentes étapes de conception du projet. En général, ces étapes ne sont pas visibles à la fin du dispositif. Mais à travers son processus diagrammatique, il les met à jour. Ainsi, chaque diagramme incarne « les traces » de ces différentes phases qui normalement resteraient implicites.

11- WITTKOWER Rudolf, Les principes de l’architecture à la Renaissance, traduit de l’anglais par Claire Fargeot,( Edition Passion, Paris, 1996,p 203)12- IDEM,p 68

12 13

Page 9: Au-delà du formalisme, une architecture complexe et ... · Peter Eisenman, Cardboard Architecture, 1969. 1. Durant les années 1960, le climat architectural est caractérisé par

Ce sont des lignes invisibles, sources des projets qu’Eisenman révèle grâce à l’utilisation de ce processus. Comme nous l’avons dit auparavant, un diagramme montre un aspect de l’objet que nous n’aurions pas vu de prime abord. Dans le processus diagrammatique, les divers schémas deviennent une chose en soi et ne sont plus à la merci d’une définition, d’un objet ou d’une idée. Ici, chaque dia-gramme représente une phase du proces-sus : les « traces ». Les schémas font le lien entre l’objet fini et les « traces » qui les composent, ou ce qu’Eisenman qualifie d’« intériorité de l’architecture ». Les diverses marques sont inscrites dans la « syntaxe » de l’architecture. En effet, dans les Cardboard Architectures , l’architecte américain s’intéresse à l’aspect « syntaxique » de l’architecture (c’est-à-dire les règles) et non pas à la « sémantique» (le sens que pour-rait avoir les éléments qui la compose). Par le concept « d’intériorité de l’architecture », son travail explore des procédés spa-tiaux. Cette recherche se fait à travers diffé-rentes transformations spatiales successives. Face à cette utilisation du diagramme, il renforce les divergences qui existent entre son approche et celle de R. Wittkower. Selon Eisenman, ce dernier est, à travers la « grille à neuf cases», à la recherche d’une « grille idéale ».13 Contrairement à lui, il veut par l’utilisation du diagramme faire de la grille

13R.E Somol, « Dummy Text, or the Diagrammatic Basis Of Contemporary Architecture », dans Diagram Diaries, (1999 Universe Publishing, New York), p6, 43

un élément expérimental. Elle est manipulable. C’est par le maniement du diagramme que Peter Eisenman souhaite mettre en évidence « l’intériorité de l’architecture ». En outre, c’est par des schémas influencés par des concepts issus de la linguistique que Peter Eisenman transforme la « syntaxe » architecturale. Cette volon-té de s’approprier des idées linguistiques singularise son œuvre. Influencé par la grammaire générative de Noam Choms-ky14, il utilise les concepts de « structure profonde» et « structure de surface » de manière métaphorique dans son travail. En effet, pour Peter Eisenman, la relation qui existe entre la forme physique de l’objet et la structure conceptuelle est définie par la « structure profonde » et la « structure de surface ». La « structure profonde » est conceptuelle, elle peut être définie comme la «syntaxe», c’est-à-dire les ensembles de règles qui régissent la composition en architecture. Elle résulte de chaque étape du processus de conception. La « structure de surface », quant à elle, est la structure qui nous est donnée à voir. C’est la structure formelle perceptible. Elle est produite à travers la « structure profonde » et est marquée par les traces successives dues aux transformations de cette dernière.15

14- CHOMSKY Noam, Structures Syntaxiques, traduit de l’an-glais par Michel Braudreau, L’ordre Philosophique, (Edition du Seuil,Paris,1969)15- Thomas Patin, « From Deep Structure to an Architecture in Suspense : Peter Eisenman, Structuralism, and Deconstruction », dans Journal of Architectural Education, (1984), Vol. 47, No. 2 (Nov., 1993),Blackwell Publishing on behalf of the Associa-tion of Collegiate Schools of Architecture,Inc, pp 88-10014 15

Page 10: Au-delà du formalisme, une architecture complexe et ... · Peter Eisenman, Cardboard Architecture, 1969. 1. Durant les années 1960, le climat architectural est caractérisé par

La «syntaxe» est un élément générateur dans ses Cardboard Architectures . Dans la House II, elle remplace les éléments traditionnels « externes » ou « sémantiques» qui normalement engendrent la forme architecturale : le corps humain, l’échelle, la fonction… 16 Comme nous l’avons énoncé précédemment, Peter Eisenman souhaite décharger l’enveloppe phy-sique de toutes les fonctions qui lui sont normalement attribuées et de toutes les significations liées aux éléments qui la composent. Ainsi, une colonne ne devrait pas être perçue comme un élément struc-turel. La construction de la House II ques-tionne la matérialité de l’architecture, elle semble « irréelle », conçue telle une ma-quette géante. La matérialité abstraite de l’objet accentue l’intérêt formel de Peter Eisenman pour l’architecture. De plus, elle permet d’appréhender la House II dans sa spatialité la plus pure, sans autres contin-gences extérieures. L’utilisation du terme Cardboard Architecture prend alors tout son sens : c’est une métaphore d’intention pour Peter Eisenman17. Il est captivé par les principes générateurs qui créent l’archi-tecture et la House II manifeste cet inté-rêt. Le passage de la « structure profonde » à la « structure de surface » se fait selon des procédés de transformation limités par des règles simples : rotations, compres-sions, redondances… Chaque axonométrie

représente une transformation. Dans ses Cardboard Architectures , Peter Eisenman conceptualise et théorise des termes comme « intériorité de l’archi-tecture », « Structure de Surface », « Struc-ture Profonde »… Cependant, ce qui nous semble plus fondamental, c’est la façon dont il manipule l’espace. En effet, la House II révèle deux niveaux de lecture : d’une part, une lecture théorique, nourrie des différents termes définis par Peter Eisenman et, d’autre part, une lecture spatiale qui se réfère aux différentes relations formelles que le projet comprend. Par ces différents niveaux de lecture, l’œuvre de Peter Eisenman se caractérise comme étant un travail complexe.

16 Thomas Patin, « From Deep Structure to an Architecture in Suspense : Peter Eisenman, Structuralism, and Deconstruction », dans Journal of Architectural Education, (1984), Vol. 47, No. 2 (Nov., 1993),Blackwell Publishing on behalf of the Asso-ciation of Collegiate Schools of Architecture,Inc, pp 9017IDEM, p.91

16 17

Fig.7: Croquis Axonométriques de la House II, Peter Eisenman, 1969(7)

Page 11: Au-delà du formalisme, une architecture complexe et ... · Peter Eisenman, Cardboard Architecture, 1969. 1. Durant les années 1960, le climat architectural est caractérisé par

18 19

Fig.8: «Structure Dom-ino», Peter Eisenman, 1963(8)

Fig.9: «The nine square problem», John Hejduk, 1964(9)

Diagrammes de diagrammes?18

Les diagrammes d’Eisenman sont inspirés des schémas spatiaux modernistes: d’une part de la « structure Dom-ino »19(Fig.8) et, d’autre part, du « nine square problem » 20(Fig.9). Mais avant de dévelop-per le rapprochement qui existe entre ces sujets, il est important d’opérer une distinc-tion. Un diagramme et un processus dia-grammatique sont deux choses différentes. Bien qu’un processus diagrammatique soit composé de diagrammes, un diagramme n’est pas un processus diagrammatique. Comme énoncé précédemment, un dia-gramme est une représentation graphique qui permet de mettre en avant des caracté-ristiques propres à un objet ou une idée. Il est à la merci de l’objet qu’il dénote. Le pro-cessus diagrammatique quant à lui est bien évidemment composé de diagrammes, mais c’est l’ensemble et la succession de ces der-niers qui compose le processus. De plus, ce procédé mène à une finalité phy-sique et ne se cantonne pas à la seule représentation graphique.

18 Le titre est en référence au texte d’Anthony Vidler, « Dia-grams of Diagrams : Architectural Abstraction and Modern Re-presentation », dans Representation 72, Fall 2000, the Regents of the University of California, ISSN 0734-6018, p 1-2019LE CORBUSIER, STONORON Oscar, Le Corbusier et Pierre Jeanneret : Œuvre Complete de 1910-1929, publiés par W. Boe-siger et O. Stonorov, introduction et textes par Le Corbusier, (Edition d’Architecture Erlenbach, Zurich, 1946), p2120 HEJDUK John, Mask Of Medusa, edited by Kim Shkapich, introduction by Daniel Libeskind,( published in the United States of America in 1985 by Rizzoli International Publica-tions), p47

Page 12: Au-delà du formalisme, une architecture complexe et ... · Peter Eisenman, Cardboard Architecture, 1969. 1. Durant les années 1960, le climat architectural est caractérisé par

Fig.10: Four Composition, Peter Eisenman, 1963(10)

Revenons maintenant à Le Corbsier et à la « structure Dom-ino » réa-lisée en 191421. Elle est composée d’un système poteau-poutre. Ce système de construction permet une certaine liberté spatiale. Les fonctions sont complètement indépendantes de la structure. La composi-tion des espaces n’est plus totalement sou-mise aux impératifs structurels. La « struc-ture Dom-ino », et plus particulièrement l’image mentale et graphique que nous avons d’elle, peut être qualifiée de diagramme. Elle est avant tout une structure et une avancée technique majeure pour l’époque et elle incarne une nouvelle façon d’envi-sager l’espace. Dans sa thèse de doctorat22, Peter Eisenman reprend le développement compositionnel de Le Corbusier de ses Four Compositions23.(Fig.10) Ces dernières sont des instances issues des avancées constructives de la « structure Dom-ino », c’est grâce à cette dernière que de telles conceptions spa-tiales sont possibles. Dans son texte sur les Cardboard Architectures24 ,Peter Eisenman débute en rappelant que ce sont les pro-grès issus des technologies modernes qui ont permis de concevoir l’espace autrement que par des contraintes constructives ou fonctionnelles. L’espace n’est plus limité par

21 LE CORBUSIER, STONORON Oscar, Le Corbusier et Pierre Jeanneret : Œuvre Complete de 1910-1929, publiés par W. Boe-siger et O. Stonorov, introduction et textes par Le Corbusier, (Edition d’Architecture Erlenbach, Zurich, 1946), p2122 EISENMAN, Peter, dans The Formal Basis Of Modern Archi-tecture, (2006 Lars Muller Publishers, original submitted in August 1963)23 IDEM,p 10624EISENMAN Peter, « Cardboard Architecture : House II », dans Five Architects : Eisenman, Graves, Gwathmey, Hejduk, Meier, Museum Of Modern Art, (New York, NY), (Oxford Uni-versity Press, New York)20 21

Page 13: Au-delà du formalisme, une architecture complexe et ... · Peter Eisenman, Cardboard Architecture, 1969. 1. Durant les années 1960, le climat architectural est caractérisé par

Fig.11: Croquis des plans de la House II, Peter Eisenman,

1969(11)

Fig.12: «The nine square problem», John Hejduk, 1964(12)

ces contingences ; un mur ou une colonne ne sont plus nécessairement la résolution d’un problème tectonique. Peter Eisenman se nourrit des avancées de son époque. Ces dernières ont été mises au point théori-quement et conceptuellement par les pères fondateurs du modernisme. La House II est donc un projet dérivé de la « structure Dom-ino ». Quant au «nine square problem», il est connu en tant qu’outil pédago-gique dans les écoles d’architecture améri-caines. C’est un exercice enseigné par John Hejduk lorsqu’il était professeur à la Cooper Union dès 196425. Ce diagramme26 suppose que l’architecture peut être fondée sur une articulation de dialectique. Ces oppositions se définissent en tant que conflit entre des concepts tels que : centre et périphérie, vertical et horizontal, plan et volume… A travers son utilisation, les élé-ments constitutifs de l’architecture sont mis en exergue: grilles, trames, poutres, plans 27… La composition architecturale s’assume ici comme une logique de contradiction et d’ambiguïté spatiale. Cette même complexi-té se retrouve dans la House II(Fig.11 et 12). La structure de base du projet est le «nine square problem». En effet, à travers l’examen des croquis de conception du projet, on perçoit cette structure. Elle est la base spatiale

25- John Hejduk enseignera à la Cooper Union à partir de 1964 jusqu’à la fin des années 1990. Il inculquera aux étudiants une approche de l’architecture à travers le nine square problem.26- HEJDUK John, Mask Of Medusa, edited by Kim Shkapich, introduction by Daniel Libeskind,( published in the United States of America in 1985 by Rizzoli International Publica-tions), p 3727- IDEM, p 3722 23

Page 14: Au-delà du formalisme, une architecture complexe et ... · Peter Eisenman, Cardboard Architecture, 1969. 1. Durant les années 1960, le climat architectural est caractérisé par

de la House II. Au cours du processus diagrammatique, le conflit entre les diffé-rentes conceptions spatiales se révèle. Le processus de transformation est construit sur ces oppositions. Ainsi, à travers son utilisa-tion, les Cardboard Architectures s’assument en tant qu’exercice et recherche spatiale. L’œuvre diagrammatique de Pe-ter Eisenman se réfère directement aux avancées modernistes. La « structure Dom-ino » et le «nine square problem» sont des archétypes de ce mouvement architectu-ral. Ce sont des modèles de conception de l’architecture et des figures spatiales et structurelles. Avec l’utilisation de ces diagrammes dans son travail,Peter Eisenman intègre l’essence spatiale du modernisme. Il expérimente, manipule, transforme et altère ces archétypes. Le processus diagram-matique lui permet de tester ces concepts jusqu’à leur paroxysme.

24 25

Page 15: Au-delà du formalisme, une architecture complexe et ... · Peter Eisenman, Cardboard Architecture, 1969. 1. Durant les années 1960, le climat architectural est caractérisé par

27

Les références aux œuvres moder-nistes ne se cantonnent pas à l’appro-priation et à l’expérimentation de leur diagramme. Il existe clairement des liens formels entre la House II, la Casa del Fascio de Terragni28 et la villa à Garches de Le Corbusier29. En effet, on retrouve dans le projet de la House II des conceptions d’espaces opposés caractéristiques de l’ana-lyse de 1963 de Peter Eisenman du projet de Terragni30. (Fig.13) Certains schémas de la House II (Fig.14) sont élaborés à partir d’une lecture de l’espace soit en plan, soit en volume. Tout au long du processus dia-grammatique, ces conceptions entrent en conflit. Une dialectique est créée à travers une compréhension additive et soustractive de l’espace. Dans les nombreux diagrammes utilisés, les quatre premiers permettent d’en illustrer la logique. Les deux premiers sché-mas sont deux cubes respectifs superposés de manière décalée. La vision de l’espace est perçue en tant que volume. Ces deux paral-lélépipèdes sont ensuite subdivisés en une grille de neuf à l’aide de plans verticaux. L’espace est désormais appréhendé en plan.

28TERRAGNI ATTILIO, LIBESKIND Daniel, ROSSELLI Paolo, The Terragni Atlas, Built Architectures, (Skira, Geneva-Milan,2004)p 146,21529 LE CORBUSIER, STONORON Oscar, Le Corbusier et Pierre Jeanneret : Œuvre Complete de 1910-1929, publiés par W. Boe-siger et O. Stonorov, introduction et textes par Le Corbusier, (Edition d’Architecture Erlenbach, Zurich, 1946), p4230 EISENMAN Peter, Giuseppe Terragni Transformations Decom-positions Critiques, with texts by Giuseppe Terragni and Man-fredo Tafuri,( the Monacelli Press, New York, 2003)

références formelles

Fig.13: Diagrammes de La Casa del Fascio, Peter Eisenman, 1963(13)

26

Page 16: Au-delà du formalisme, une architecture complexe et ... · Peter Eisenman, Cardboard Architecture, 1969. 1. Durant les années 1960, le climat architectural est caractérisé par

Fig.14: Diagrammes de la House II, Peter Eisenman, 1969(15)

Il y a une alternance de jeux volumé-triques et d’opérations de stratifications des instances du processus diagrammatique. De plus, le procédé de conception du projet s’opère selon les principes de stratifications spatiales horizontales et ver-ticales, caractéristiques de la description de la villa à Garches de Le Corbusier par Colin Rowe et Robert Slutzky. Dans leur essai Transparence Réelle et Virtuelle 31, ils entreprennent de définir le concept de « transparence ». Selon eux, il en existe deux types : « la transparence peut être une pro-priété inhérente au matériau, comme dans le cas d’un mur rideau par exemple, ou bien la transparence est une qualité particulière du mode d’organisation. Il est donc possible de distinguer une « transparence réelle » ou « figurée », et une « transparence virtuelle » ou « transposée ».32Ils rendent compte de la problématique à atteindre la « transpa-rence virtuelle » en architecture, en effet, elle devient forcément « réelle » étant donné que le bâtiment est une réalité physique. Cependant, suite à l’exemple de la Vil-la à Garches(Fig.15) de Le Corbusier, ils vont montrer comment la « transparence virtuelle » est plausible en architecture. Dans cette villa, Le Corbusier réalise une ambiguïté spatiale propre à cette dernière. Elle est créée par le jeu des stratifications horizontales et verticales des plans qui composent le projet.

31ROWE Colin et SLUTZKY Robert, Transparence Réelle et Vir-tuelle, Droits de Regards, (les Editions du demi-cercle, Paris, 1992)32IDEM, p 60

2928

Page 17: Au-delà du formalisme, une architecture complexe et ... · Peter Eisenman, Cardboard Architecture, 1969. 1. Durant les années 1960, le climat architectural est caractérisé par

Fig.15: Photographie de la «villa à Garches», Le Corbusier, 1927(15)

Fig.16: Peinture les Trois Faces, Fernand Léger, 1932(16)

Ainsi, l’originalité de Le Corbusier est de créer à travers le jeu des trois niveaux de profondeur des plans de la façade la « transparence virtuelle ».Rowe et Slutzky confrontent ce procédé avec la composi-tion du tableau les Trois Faces de Fernand Léger.33(Fig.16) On retrouve dans cette œuvre les jeux d’aplats qui se « super-posent, se combinent, se contiennent et s’excluent en alternance 34». On distingue la même ambigüité spatiale dans House II . Le projet reprend le procédé de conception qui « tend, en une même opération, à croi-ser deux systèmes de coordonnées 35». Le croisement de ces deux systèmes crée une ambigüité visuelle. De ce fait, dans la House II, « la réalité de l’espace profond est confrontée en permanence à la virtua-lité de l’espace sans profondeur. La tension qui en résulte enchaîne lecture sur lecture. Les « quatre » couches d’espaces qui arti-culent chacune des dimensions verticales du volume du bâtiment, et les quatre plans qui le coupent horizontalement, retiennent l’at-tention tour à tour. Cette trame spatiale est la résultante d’interprétations changeantes et ininterrompues 36».(Fig.17) A travers les différents schémas de son processus diagrammatique, Peter Eisenman utilise ces « deux systèmes de coordonnées » de manière complexe et contra-dictoire. En effet, la House II est composée

33- ROWE Colin et SLUTZKY Robert, Transparence Réelle et Virtuelle, Droits de Regards, (les Editions du demi-cercle, Paris, 1992),p 3734- IDEM, p 3835- IDEM, p 6036- IDEM, p 60

3130

Page 18: Au-delà du formalisme, une architecture complexe et ... · Peter Eisenman, Cardboard Architecture, 1969. 1. Durant les années 1960, le climat architectural est caractérisé par

Fig.17:Zoom Axonométrie de la House II, Peter Eisenman, 1969(17)

d’une redondance structurelle; d’une partune structure portante et d’autre part une structure non portante. Tout au long du processus transformationnel, la matérialisa-tion de la seconde structure disparaît, seules subsistent les traces de cette dernière. A travers les marques laissées visibles, Eisenman souhaite rendre manifeste la seconde structure. Il souhaite inci-ter le spectateur qui déambule dans la House II à recréer la maison conceptuelle. Rosalind Krauss37 explicite l’usage des deux structures précitées. L’utilisation d’une structure redondante fait appel, selon elle, à deux niveaux de lecture. Le spectateur qui déambule dans la House II est confronté à ces deux systèmes, alors que le premier se réfère à la structure portante, le deuxième agit comme un signal dans l’espace. La deuxième structure fait appel à un autre niveau de lecture. En effet, une colonne qui ne supporte rien, par sa position et son aspect non structurel, se rapporte à d’autres éléments. Elle fait référence à un bâtiment conceptuel qui existe à travers les diffé-rentes traces visibles dans l’objet réel. De plus, ce système révèle les règles de trans-formation qui ont généré le bâtiment. Peter Eisenman souhaite que le spectateur qui se trouve dans la House II puisse recompo-ser dans son esprit le bâtiment conceptuel. Finalement, c’est cette recomposition men-tale par le spectateur qui importe le plus à Eisenman.

37 KRAUSS Rosalind, « Death of a Hermeneutic Phantom : Materialization of the Sign in the work of Peter Eisenman », Peter Eisenman and Houses of Cards, (Oxford University Press New York Oxford, 1987), p 177 3332

Page 19: Au-delà du formalisme, une architecture complexe et ... · Peter Eisenman, Cardboard Architecture, 1969. 1. Durant les années 1960, le climat architectural est caractérisé par

Fig.18: Plan de la House II, Peter Eisenman, 1969(18)

Fig.19: Elévation de la House II, Peter Eisenman, 1969(19)

Fig.20: Coupe de la House II, Peter Eisenman, 1969(20)

ambiguité représentationnelle

La House II est complexe à plusieurs niveaux ; premièrement par les procédés spatiaux qu’elle développe, ensuite, par les choix des représentations graphiques qui composent son processus de genèse. En effet, le projet est présenté à travers différents médiums : diagrammes, plans, coupes, élévations, maquettes et photogra-phies de l’objet fini (Fig. 18,19,20,21,22). Ces représentations sont singulières : elles sont abstraites. Par exemple, les plans, coupes et élévations ne donnent aucun renseignement quant à l’échelle du bâtiment. Les photo-graphies de la House II relèvent cette même abstraction ; elles sont soit frontales, soit obliques. Elles mettent en exergue tantôt les notions de « transparence virtuelle », tantôt celles de la complexité spatiale issue du processus diagrammatique. De plus, elles sont en noir et blanc, ce qui renforce l’aspect abstrait de ces dernières. Il y a une ambivalence entre tous ces divers do-cuments. Le diagramme final issu du procédé de conception et l’objet construit sont identiques : le diagramme est l’objet. Selon Eisenman, à l’instar des dessins, plans et maquettes, ces représentations incarnent l’objet construit. Nous avons à faire à une sorte « d’auto architecture ».

3534

Page 20: Au-delà du formalisme, une architecture complexe et ... · Peter Eisenman, Cardboard Architecture, 1969. 1. Durant les années 1960, le climat architectural est caractérisé par

Fig.21: Photographies de la House II, Peter Eisenman, 1969(21)

Fig.22: Croquis des plans de la House II, Peter Eisenman, 1969(22)

Sa représentation est l’objet, l’objet est sa représentation.38 Cette ambivalence entre représentation graphique et objet fini contribue à manifester une ambiguïté de lecture. De plus, l’utilisation de l’axonomé-trie dans le processus diagrammatique est significative. L’axonométrie est une repré-sentation graphique qui permet de voir simultanément la totalité de l’objet. Les rapports de proportions sont respectés. Ce médium est considéré comme porteur d’objectivité ; le point de vue est renvoyé à l’infini et n’inclut pas le spectateur. Par le choix de cette représentation graphique Eisenman confirme et renforce sa volonté de proposer une architecture autonome. L’axonométrie se réfère totalement à l’ob-jet et exclut le spectateur. Elle permet de se concentrer sur les paramètres composi-tionnels de la House II et ses déploiements formelles. Il existe cependant un paradoxe dans l’utilisation de ce médium. Alors que par l’utilisation de l’axonométrie il exclut un spectateur, l’objet construit inclut, lui, un usager. A travers la construction du pro-jet, nous sommes finalement englobés dans le processus de conception. En définitive, la diversité des médiums utilisés et l’unité visuelle qui en émane sont à l’origine de l’ambiguïté de la House II.

38Thomas Patin, « From Deep Structure to an Architecture in Suspense : Peter Eisenman, Structuralism, and Deconstruction », dans Journal of Architectural Education, (1984), Vol. 47, No. 2 (Nov., 1993),Blackwell Publishing on behalf of the Associa-tion of Collegiate Schools of Architecture,Inc, pp 88-100

3736

Page 21: Au-delà du formalisme, une architecture complexe et ... · Peter Eisenman, Cardboard Architecture, 1969. 1. Durant les années 1960, le climat architectural est caractérisé par

Comme énoncé précédemment, à travers l’utilisation de ses représenta-tions graphiques et son processus dia-grammatique, Eisenman revendique l’autonomie de l’objet architectural. L’abs-traction que l’on retrouve dans sa Cardboard Architecture permet de mettre une distance entre la réalité physique et l’objet. Elle ouvre un vaste champ d’expérimentation sur les processus spatiaux. Il est cependant intéressant de remarquer qu’à un moment, Eisenman se retrouve confronté à la réa-lité physique. Il ne peut échapper com-plètement à la réalité matérielle du projet.

Dans la House II, l’utilisation du diagramme se singularise. Il n’est plus pen-sé en tant qu’outil d’analyse mais participe entièrement à la conception du projet : c’est le processus diagrammatique. Peter Eisen-man construit une théorie architecturale inspirée des concepts de linguistique de Noam Chomsky. A travers une métaphore du langage appliquée à l’architecture, il manipule et explore les archétypes du modernisme. La House II est ainsi caractéri-sée par le maniement de concepts spatiaux modernistes, ainsi que la volonté de revendi-quer son statut en tant qu’objet autonome. Dans le contexte des Etats-Unis des années 1960, la House II est l’affirma-tion d’une position face à l’architecture de l’époque. En effet, Peter Eisenman renie la multiplicité des facteurs qui composent l’architecture : il refuse de s’encombrer des questions fonctionnelles, sociales et

politiques. Le projet est une introspection formelle, il explore les questions inhérentes à sa propre composition. Eisenman se foca-lise sur les opérations transformationnelles des éléments constitutifs de la House II.Cependant, la profusion de défini-tions telles que « structure profonde », « structure de surface », « absence de la présence »39… rend parfois son travail « hermétique » à la compréhension. «Cette prose indigeste»40complexifie le propos jusqu’à le rendre parfois inintelligible. Or, la matérialisation de la House II par des re-présentations graphiques abstraites et com-plexes nous paraît souvent plus enrichissante que la justification qu’il en donne. Peter Eisenman instrumentalise le diagramme au service de son processus de création. Il crée un lien entre des concepts issus de la linguistique et l’architecture. Influencé par ces derniers, il a permis le développement de l’intérêt pour la forme indépendamment de la fonction. L’objet architectural devient autonome et se construit, il évolue et fonc-tionne en dehors de toutes contingences extérieures.

39 EISENMAN Peter, « Cardboard Architecture : House II », dans Five Architects : Eisenman, Graves, Gwathmey, Hejduk, Meier, Museum Of Modern Art, (New York, NY), (Oxford Uni-versity Press, New York)40Evans Robin, « Translations From Drawing To Buildings And Other Essays », dans Opposition, (1979),n.17, Published For The Institute For Architecture And Urban Studies by The MIT Press, Cambridge, p6-2941IDEM, p 18

3938

Page 22: Au-delà du formalisme, une architecture complexe et ... · Peter Eisenman, Cardboard Architecture, 1969. 1. Durant les années 1960, le climat architectural est caractérisé par

4140

Page 23: Au-delà du formalisme, une architecture complexe et ... · Peter Eisenman, Cardboard Architecture, 1969. 1. Durant les années 1960, le climat architectural est caractérisé par

livres

CASSARA, Silvio, dans Feints,(2006 Skira Editore, Milano)

CHOMSKY Noam, Structures Syntaxiques, traduit de l’anglais par Michel Braudreau, L’ordre Philoso-phique, (Edition du Seuil,Paris,1969)

CURTIS William J.R, L’architecture moderne depuis 1900, (Première Edition Française 2004, Phaidon, Paris)

DELEUZE, Gilles, Foucault, Collection « Critique », (Les Editions de Minuit, 1986)

EISENMAN, Peter, Introduction by R.E Somol, dans Diagram Diaries, (1999 Universe Publishing, New York)

EISENMAN Peter, KRAUSS Rosalind, TAFURI Manfredo, Peter Eisenman and Houses of Cards, (Oxford University Press New York Oxford, 1987)

EISENMAN Peter, Giuseppe Terragni Transforma-tions Decompositions Critiques, with texts by Giu-seppe Terragni and Manfredo Tafuri,( the Monacelli Press, New York, 2003)

EISENMAN, Peter, dans The Formal Basis Of Modern Architecture, (2006 Lars Muller Publishers, original submitted in August 1963) EISENMAN, GRAVES, GWATHMEY (…), Five Architects : Eisenman, Graves, Gwathmey, Hejduk, Meier, Museum Of Modern Art, (New York, NY), (Oxford University Press, New York)

FAREL Alain, Architecture et Complexité, Le Troisième Labyrinthe, (Edition Parenthèses, 2008, Marseille)

bibliographieFOUCAULT, Michel, Surveiller et punir, Naissance de la prison, Bibliothèque des Histoires, (Editions Gallimard, 1975)

HEJDUK John, Mask Of Medusa, edited by Kim Shkapich, introduction by Daniel Libeskind,( published in the United States of America in 1985 by Rizzoli International Publications)

KORMOSS, Bernard, Peter Eisenman, Theories and Practices, (2007 Faculteit bouwkunde)

LE CORBUSIER, STONORON Oscar, Le Corbusier et Pierre Jeanneret : Œuvre Complete de 1910-1929, publiés par W. Boesiger et O. Stonorov, introduction et textes par Le Corbusier, (Edition d’Architecture Erlenbach, Zurich, 1946)

LUCAN Jacques, Composition, non-Composition, Architecture et Théories, XIX-XXe, (Première Edi-tion 2009, Presse Polytechniques et Universitaires Romandes, Lausanne, Suisse)

NUTTGENS Patrick, Histoire de l’Architecture,(Phaidon, Avril, 2002)

PIERCE Charles S., Ecrit sur le signe, Rassemblé, traduit et commentés par Gerard Deledalle, (L’ordre philosophique, aux Editions du Seuil, Paris)

ROWE Colin et SLUTZKY Robert, Transparence Réelle et Virtuelle, Droits de Regards, (les Editions du demi-cercle, Paris, 1992)

ROWE Colin, The mathematics of the Ideal Villa and Other Essays, (The MIT Press, Cambridge, Mas-sachissetts and London, England, 1988)

TERRAGNI ATTILIO, LIBESKIND Daniel, ROS-SELLI Paolo, The Terragni Atlas, Built Architec-tures, (Skira, Geneva-Milan,2004)p 146,215

WITTKOWER Rudolf, Les principes de l’architec-ture à la Renaissance, traduit de l’anglais par Claire Fargeot,( Edition Passion, Paris, 1996,)

4342

Page 24: Au-delà du formalisme, une architecture complexe et ... · Peter Eisenman, Cardboard Architecture, 1969. 1. Durant les années 1960, le climat architectural est caractérisé par

articles

Anthony Vidler, « Diagrams of Diagrams : Architec-tural Abstraction and Modern Representation », dans Representation 72, Fall 2000, the Regents of the University of California, ISSN 0734-6018, p 1-20

Evans Robin, « Translations From Drawing To Buildings And Other Essays », dans Opposition, (1979),n.17, Published For The Institute For Architecture And Urban Studies by The MIT Press, Cambridge, p6-29

Thomas Patin, « From Deep Structure to an Archi-tecture in Suspense : Peter Eisenman, Structuralism, and Deconstruction », dans Journal of Architec-tural Education, (1984), Vol. 47, No. 2 (Nov., 1993),Blackwell Publishing on behalf of the Associa-tion of Collegiate Schools of Architecture,Inc, pp 88-100

memoire

DALAUNOIS Céline, Le diagramme : outil architec-tural, I.S.A.C.F La cambre, 2006-2007

iconographie

1-Peter Eisenman, 1967, House II,Axonométrie, Peter Eisenman and Houses of Cards, Oxford Uni-versity Press :New York Oxford, 1987,p 121

2- Peter Eisenman, 1967, House II, Diagrammes, Peter Eisenman and Houses of Cards, Oxford Uni-versity Press : New York Oxford, 1987,p 56

3- Giuseppe Terragni, 1936, La Casa del Fascio, photographie, The Terragni Atlas, Built Architec-tures, Skira :Geneva-Milan,2004, p 147

4- Peter Eisenman, 1963, La Casa del Fascio, Dia-grammes, The Formal Basis Of Modern Architecture, Lars Muller Publishers, original submitted in August 1963), p 296

5- Peter Eisenman, 1967, House II, Diagrammes, Peter Eisenman and Houses of Cards, Oxford Uni-versity Press : New York Oxford, 1987,p 57

6-Rudolf Wittkower, 1949, La grille à neuf cases, Les principes de l’architecture à la Renaissance, tra-duit de l’anglais par Claire Fargeot, Edition Passion : Paris, 1996, p56

7- Peter Eisenman, 1969, House II, Croquis Axono-métrie, Peter Eisenman and Houses of Cards, Oxford University Press :New York Oxford, 1987,p 121

8-Le Corbusier, 1914, Structure Dom-ino,schémas, Œuvres Complète,vol-1, 1910-1929, Verlag Fur Architektur Zurich, p 16

9-John Hejduk, 1964, The nine square grid, sché-mas, Mask Of Medusa, edited by Kim Shkapich, introduction by Daniel Libeskind,published in the United States of America in 1985 by Rizzoli Interna-tional Publications, p 47

4544

Page 25: Au-delà du formalisme, une architecture complexe et ... · Peter Eisenman, Cardboard Architecture, 1969. 1. Durant les années 1960, le climat architectural est caractérisé par

10- Peter Eisenman, 1963, Four Composition, Dia-grammes, The Formal Basis Of Modern Architecture, Lars Muller Publishers, original submitted in August 1963), p 106

11- Peter Eisenman, 1969, House II, Croquis de plans, Peter Eisenman and Houses of Cards, Oxford University Press :New York Oxford, 1987,p 19

12- John Hejduk, 1964, The nine square grid, schémas, Mask Of Medusa, edited by Kim Shkapich, introduction by Daniel Libeskind,published in the United States of America in 1985 by Rizzoli International Publications, p 47

13- Peter Eisenman, 1963, Four Composition, Dia-grammes, The Formal Basis Of Modern Architecture, Lars Muller Publishers, original submitted in August 1963), p 80

14- Peter Eisenman, 1969, House II, Diagrammes, Peter Eisenman and Houses of Cards, Oxford Uni-versity Press :New York Oxford, 1987,p 60

15-Le Corbusier, La Villa à Garches, Photographies, Œuvres Complète,vol-1, 1910-1929, Verlag Fur Architektur Zurich, p 32

16-Fernand Léger, Les Trois Faces, Peintures, Trans-parence Réelle et Virtuelle, Droits de Regards, les Editions du demi-cercle, Paris : 1992, p 33

17- Peter Eisenman, 1969, House II, Coupe Constructive, Peter Eisenman and Houses of Cards, Oxford University Press :New York Oxford, 1987,p 60

18- Peter Eisenman, 1969, House II, Plan, Peter Eisenman and Houses of Cards, Oxford University Press :New York Oxford, 1987,p 60

19- Peter Eisenman, 1969, House II, Elévation, Peter Eisenman and Houses of Cards, Oxford Uni-versity Press :New York Oxford, 1987,p 60

20- Peter Eisenman, 1969, House II, Coupes, Peter Eisenman and Houses of Cards, Oxford University Press :New York Oxford, 1987,p 60

21- Peter Eisenman, 1969, House II, Photographie, Peter Eisenman and Houses of Cards, Oxford Uni-versity Press :New York Oxford, 1987,p 60

22- Peter Eisenman, 1969, House II, Croquis plan, Peter Eisenman and Houses of Cards, Oxford Uni-versity Press :New York Oxford, 1987,p 60

23-Peter Eisenman, 1969, House II, Croquis, Peter Eisenman and Houses of Cards, Oxford University Press :New York Oxford, 1987,p 25

4746

Page 26: Au-delà du formalisme, une architecture complexe et ... · Peter Eisenman, Cardboard Architecture, 1969. 1. Durant les années 1960, le climat architectural est caractérisé par

4948

Page 27: Au-delà du formalisme, une architecture complexe et ... · Peter Eisenman, Cardboard Architecture, 1969. 1. Durant les années 1960, le climat architectural est caractérisé par