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Au lieu d’une langue commune, un discours commun? Le cas de l’Union europe ´enne Simone Glanert Ó Springer Science+Business Media Dordrecht 2014 Re ´sume ´ Cette contribution entend re ´futer l’argument selon lequel, malgre ´ l’absence d’une langue commune, une communaute ´ de droits pourrait se manifester dans l’Union europe ´enne a ` partir d’un discours commun. Mots cle ´s Union europe ´enne Á Uniformisation des droits Á Langues Á Discours 1 Jetant un regard exte ´rieur sur l’actualite ´ juridique dans l’Union europe ´enne, un juriste suisse fait observer que «le droit des contrats europe ´en, une notion en soi relativement re ´cente, est un peu comme une fourmilie `re en pleine construction» [56: 218]. On sait, en effet, qu’a ` la suite d’interventions ponctuelles et sectorielles de la Commission europe ´enne sous forme de directives dans des domaines spe ´cifiques, notamment en matie `re de droit de la consommation, plusieurs projets ont e ´te ´ e ´labore ´s afin de promouvoir activement l’unification ou l’harmonisation du droit des contrats dans l’Union europe ´enne [78]. Ainsi, au cours des dernie `res anne ´es, certains groupes de recherche, tels la «Commission on European Contract Law» («Commission Lando») et le «Research Group on EC Private Law» (e ´galement appele ´ l’«Acquis Group») ont proce ´de ´ au de ´veloppement de principes en matie `re de Cette re ´flexion a fait l’objet de pre ´sentations a ` Universite ´ de Copenhague, le 25 octobre 2011; a ` l’Universite ´ de Montre ´al, le 27 janvier 2012; au University College Cork, le 2 mars 2012; et a ` l’Universite ´ de Grenoble, le 22 mars 2012. Je tiens a ` remercier Anne Lise Kjær, Jean-Franc ¸ois Gaudreault-DesBiens, Be ´ne ´dicte Sage-Fuller et David Dechenaud de leurs tre `s aimables invitations et de leur inte ´re ˆt pour mon travail. Une premie `re version de ce texte est parue en langue anglaise dans la Erasmus Law Revue [24]. S. Glanert (&) University of Kent, Canterbury, UK e-mail: [email protected] 123 Int J Semiot Law DOI 10.1007/s11196-014-9372-y

Au lieu d’une langue commune, un discours commun? Le cas de l’Union européenne

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Page 1: Au lieu d’une langue commune, un discours commun? Le cas de l’Union européenne

Au lieu d’une langue commune, un discourscommun? Le cas de l’Union europeenne

Simone Glanert

� Springer Science+Business Media Dordrecht 2014

Resume Cette contribution entend refuter l’argument selon lequel, malgre

l’absence d’une langue commune, une communaute de droits pourrait se manifester

dans l’Union europeenne a partir d’un discours commun.

Mots cles Union europeenne �Uniformisation des droits � Langues �Discours

1

Jetant un regard exterieur sur l’actualite juridique dans l’Union europeenne, un

juriste suisse fait observer que «le droit des contrats europeen, une notion en soi

relativement recente, est un peu comme une fourmiliere en pleine construction» [56:

218]. On sait, en effet, qu’a la suite d’interventions ponctuelles et sectorielles de la

Commission europeenne sous forme de directives dans des domaines specifiques,

notamment en matiere de droit de la consommation, plusieurs projets ont ete

elabores afin de promouvoir activement l’unification ou l’harmonisation du droit des

contrats dans l’Union europeenne [78]. Ainsi, au cours des dernieres annees,

certains groupes de recherche, tels la «Commission on European Contract Law»

(«Commission Lando») et le «Research Group on EC Private Law» (egalement

appele l’«Acquis Group») ont procede au developpement de principes en matiere de

Cette reflexion a fait l’objet de presentations a Universite de Copenhague, le 25 octobre 2011; a

l’Universite de Montreal, le 27 janvier 2012; au University College Cork, le 2 mars 2012; et a

l’Universite de Grenoble, le 22 mars 2012. Je tiens a remercier Anne Lise Kjær, Jean-Francois

Gaudreault-DesBiens, Benedicte Sage-Fuller et David Dechenaud de leurs tres aimables invitations et de

leur interet pour mon travail. Une premiere version de ce texte est parue en langue anglaise dans la

Erasmus Law Revue [24].

S. Glanert (&)

University of Kent, Canterbury, UK

e-mail: [email protected]

123

Int J Semiot Law

DOI 10.1007/s11196-014-9372-y

Page 2: Au lieu d’une langue commune, un discours commun? Le cas de l’Union européenne

droit europeen des contrats. D’autres comites, tel le «Study Group on a European

Civil Code», ont resolument emprunte la voie d’un code de droit europeen des

contrats [71; voir, generalement, 31].

Bien que le projet d’une codification d’ensemble du droit prive paraisse moins

retenir l’attention a l’heure actuelle, l’idee d’un droit europeen des contrats continue

a faire son chemin dans l’Union europeenne. Ainsi, en 2009, a la demande de la

Commission europeenne, le «Study Group on a European Civil Code» et l’«Acquis

Group» ont produit, en six forts volumes, un «Draft Common Frame of Reference»

(«Cadre commun de reference) [72]. Le 3 mai 2011, toujours a la requete de la

Commission europeenne, un conseil d’experts a publie un «rapport de faisabilite»

revendiquant un authentique «Cadre commun de reference politique». Enfin, le 12

octobre 2011, apres l’avis favorable du Parlement europeen, celui-ci s’inscrivant

dans la droite ligne des resolutions qu’il a adoptees depuis 1989,1 la Commission

europeenne a propose aux Etats membres l’adoption d’un reglement visant

l’introduction d’un droit europeen de la vente optionnel.2 Depuis, cette initiative

a donne lieu a de vifs debats dans les parlements nationaux, notamment en

Allemagne, en Autriche et au Royaume-Uni.

A ce jour, le projet d’un droit prive europeen a fait couler beaucoup d’encre (et,

surtout, suscite de nombreux pixels). En effet, les demarches visant l’uniformisation

des droits nationaux ne sont pas a l’abri d’importantes objections [45 et 47]. En

depit des travaux que j’ai mentionnes, des hesitations subsistent notamment quant a

la legalite d’un droit uniforme europeen. En effet, meme les specialistes du droit de

l’Union europeenne ont du mal a mettre en lumiere le fondement juridique qui

permettrait l’adoption d’un Code civil europeen [74]. Qui plus est, des voix

s’elevent pour rappeler que la riche diversite juridique europeenne, marquee par la

presence de deux grandes traditions juridiques—l’une «romaniste», de «facture

nomothetique», et l’autre de «common law», d’«allegeance idiographique»—

revelant deux formes de connaissance du droit profondement specifiques, se fait

inconciliable avec des desseins ayant pour but l’instauration d’une pensee uniforme,

une telle idee allant foncierement a l’encontre de «ce qui s’est promis sous le nom

de l’Europe» [11: 75].3

S’agissant de la problematique de l’uniformisation des droits dans l’Union

europeenne, la question qui m’interpelle tout particulierement et qui, a mon avis,

reste tres largement sous-estimee par la plupart des juristes europeens, a trait a la

langue. Ainsi, une minorite d’auteurs, se montrant sensible aux divergences entre les

langues nationales, a exprime des doutes serieux relativement a la possibilite de

creer une communaute linguistique transnationale [3, 22, 58, 61].4 Il est interessant

1 Voir, par exemple, Resolution [du Parlement europeen] concernant le rapprochement du droit civil et

commercial des Etats membres, JO CE 1989 C158/400 (26 mai 1989); Resolution [du Parlement

europeen] sur l’harmonisation de certains secteurs du droit prive des Etats membres, JO CE 1994 C205/

518 (6 mai 1994); Resolution [du Parlement europeen] concernant le rapprochement du droit civil et

commercial des Etats membres, JO CE 2002 C140 E/538 (15 novembre 2001).2 Commission europeenne, «Proposition de reglement du Parlement europeen et du Conseil relatif a un

droit commun europeen de la vente», COM (2011) 635 final (11 octobre 2011).3 Les designations des traditions juridiques europeennes sont de Pierre Legrand [48: 3].

S. Glanert

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Page 3: Au lieu d’une langue commune, un discours commun? Le cas de l’Union européenne

de noter que certains de ces chercheurs estiment toutefois que si l’uniformite

juridique transnationale qui est visee par les groupes de travail dont j’ai fait mention

ne saurait etre accomplie par l’entremise du developpement d’une langue commune,

elle pourrait se voir realisee au moyen d’un discours commun. Pour les tenants de la

these du discours commun, la theorie de l’agir communicationnel developpee par le

philosophe et sociologue allemand Jurgen Habermas constitue un appui important.

A la lumiere de ce developpement, je veux ici m’interroger sur la possibilite

d’etablir un discours commun dans le contexte du processus de l’uniformisation des

droits en Europe. Je compte proceder en trois etapes. Tout d’abord, j’estime utile de

rappeler aux juristes europeens que la presence de langues locales, comprises

comme langues de tradition, doit etre consideree comme un obstacle au

developpement d’un droit prive europeen. Puis, je veux expliquer pourquoi le

recours a la theorie du discours, telle que proposee par Habermas, ne permet pas aux

participants aux projets juridiques pan-europeens d’echapper au caractere intrin-

sequement local de la langue. Dans le cadre de mon analyse, j’entends faire appel a

la philosophie hermeneutique de Hans-Georg Gadamer et a la pensee de la

deconstruction de Jacques Derrida afin de demontrer que la theorie habermasienne

du discours ne saurait etre consideree comme un moyen efficace pour assurer le

developpement d’un droit europeen commun, si tant est qu’on souhaite s’engager

dans cette voie.

2

Un droit europeen prive, cense remplacer une pluralite de droits nationaux par un

seul droit, risque d’echouer si le texte suppose uniforme donne lieu a des lectures

colorees par des cadres d’interpretations nationaux differents. En effet, le texte

europeen doit produire un sens equivalent dans l’ensemble des Etats membres pour

garantir une interpretation uniforme. Afin de parvenir a une comprehension

uniforme des regles communes, les groupes de travail europeens ont tente d’elaborer

«une terminologie commune pour les juristes qui surmonte les frontieres juridic-

tionnelles» [71: 221]. Cependant, de nombreux partisans d’un droit prive europeen

minimisent l’impact de la langue sur le processus d’uniformisation des droits. Ainsi,

ce projet europeen ne tient compte ni de la durabilite de la langue ni de son

ephemerite, deux caracteristiques fondamentales qui, en derniere analyse, doivent

rendre l’idee d’un droit uniforme illusoire [22].

Premierement, la langue resiste au moment de la traduction du droit uniforme

dans les nombreuses langues nationales. En raison du caractere normatif des

differentes dispositions du texte uniforme, l’on sait que chacune des versions

linguistiques a vocation a rendre exactement la meme idee; or, deux ou plusieurs

langues ne peuvent signifier memement. Certes, selon les redacteurs du droit

uniforme, «on doit tenir compte de la question de la langue des le debut, c’est-a-dire

qu’il faut faire en sorte que les textes rediges d’abord en anglais restent traduisibles

4 Voir, generalement, sur le role de la langue dans le contexte actuel de l’europeanisation et de la

globalisation du droit, l’ouvrage de Simone Glanert [23].

Le Cas de l’Union Europeenne

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Page 4: Au lieu d’une langue commune, un discours commun? Le cas de l’Union européenne

dans les differentes langues europeennes» [69: 129]. Cependant, puisque chaque

culture juridique rend compte de la realite a sa maniere et definit un concept

particulier en ayant recours a un mot donne au detriment d’un autre, la traduction

juridique connaıt rapidement ses limites [67: 878]. Par exemple, la Commission

Lando retient, a l’article 1: 201 de ses propositions pour un droit europeen des

contrats uniforme [42, 43], le concept de «bona fides». Si, d’origine romaine, ce

concept s’est trouve par la suite integre dans les divers droits de tradition romaniste,

il demeure, aux yeux du common-law lawyer anglais, denue de sens. En effet, le

common law, qui n’est pas un droit romaniste, ne connaıt pas la «bona fides» car sa

conception historique du contrat s’y oppose [66]. Une recente decision de la House

of Lords (maintenant la Supreme Court of the United Kingdom), la cour supreme

britannique, precise d’ailleurs que le droit anglais des contrats «repugne foncier-

ement» a l’idee de «good faith».5 Des lors, les propositions enoncees par la

Commission Lando, lorsqu’elles s’expriment en anglais, mettent en avant une

formule sans referent, du moins pour le common-law lawyer anglais: selon ce

dernier, les mots «good faith and fair dealing» du projet Lando restent, au sens

litteral du terme, insignifiants. En l’espece, on ne peut pas faire signifier a la langue

anglaise ce qu’elle n’a pas voulu signifier. Mais il y a plus encore.

Arretons-nous un instant a la clause penale, laquelle n’est pas concue de la meme

maniere dans les pays de common law et dans ceux de tradition romaniste [46:

104–105]. Pour contourner ce qu’elle envisage comme un ecueil, la Commission

Lando retient, a l’article 9: 509 de ses propositions, la formule «agreed payment for

non-performance», qu’elle traduit par «clauses relatives aux consequences pecu-

niaires de l’inexecution». Contrairement a ce que semble envisager la Commission,

le recours a la demarche descriptive ne peut toutefois pas echapper au probleme de

la traductibilite. Chaque langue juridique, tout en participant d’une culture

juridique, s’inscrit ainsi dans une langue courante. Or, il n’est pas necessaire de

souscrire a l’ensemble de la cosmologie whorfienne pour admettre que chaque

structure langagiere interagit avec une realite culturelle, historique et sociale de

maniere particuliere, de sorte qu’il n’existe pas deux langues en mesure de rendre

identiquement une idee donnee [73, 76].6 Dans le cas du droit uniforme, la

traduction d’un concept specifique a l’aide de tout un ensemble de mots empruntes a

la langue courante et a la langue juridique, soit la demarche adoptee par la

Commission Lando pour eviter de devoir gerer les expressions «clause penale» et

«penalty clause», fait apparaıtre un cercle vicieux dans lequel la semantique risque

de s’enliser. En effet, les mots anglais «payment» et «non-performance», par

exemple, comportent bien une signification, elle aussi specifique, pour les common-

law lawyers anglais.

En outre, le recours a la co-redaction afin d’eviter des obstacles empechant

l’equivalence des differentes versions linguistiques du droit uniforme [49:

2208–2209] ne constitue en rien une panacee, ainsi que peuvent en temoigner les

jurilinguistes charges de l’elaboration des versions linguistiques des lois federales

5 Walford v. Miles, [1992] 2 A.C. 128, p. 138, Lord Ackner.6 Depuis quelques annees, la linguistique et la psychologie cognitives s’interessent a nouveau au

relativisme linguistique [75].

S. Glanert

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Page 5: Au lieu d’une langue commune, un discours commun? Le cas de l’Union européenne

au Canada et en Suisse [63]. En effet, meme une equipe de specialistes constituee de

juristes et jurilinguistes de tres haut niveau n’est pas en mesure de produire une

equivalence semantique entre les differentes formulations linguistiques d’un texte

juridique. Le postulat d’une identite de sens entre les differentes versions

linguistiques du droit uniforme se revele ainsi illusoire. En depit de la volonte du

legislateur, aussi affirmee soit-elle, la langue tend a preserver son authenticite et son

integrite, c’est-a-dire qu’elle dure.

Par ailleurs, la langue dure en ce qu’une fois le texte uniformisant traduit dans la

langue locale, cette langue locale meme doit encore faire l’objet d’une interpretation

par le juge local a l’occasion de tel ou tel autre litige. Or, une telle interpretation

sera le lieu d’une autre accentuation encore du caractere specifiquement local du

droit. Ceci signifie qu’au moyen de l’interpretation, la langue resiste pour ainsi dire

une deuxieme fois. Il convient de preciser l’argument.

L’objectif premier de la codification europeenne etant le developpement d’une

terminologie commune susceptible de surmonter les frontieres juridictionnelles [71:

221], elle se verra «obligee d’avoir le courage d’utiliser des mots qui soient d’une

part nouveaux, d’autre part faciles a retenir, afin d’evoquer immediatement, chez

tout expert, les bonnes associations d’idees» [69: 136; les italiques sont de moi].

Cette exigence rappelle le postulat selon lequel l’objectif premier de la traduction

juridique consisterait a produire un texte equivalent tant sur le plan du sens que sur

celui de l’effet, et ce afin de garantir une interpretation et une application uniformes

[62: 72]. Mais tout acte d’interpretation constitue une traduction. Ainsi, contrair-

ement a une approche scientifique largement repandue, la comprehension ne suit pas

une methode logique: des regles, aussi precises et rigoureuses soient-elles,

n’indiquent pas a l’interprete le droit chemin qui aboutirait a la «bonne»

comprehension [21]. Le texte, comme le souligne volontiers le traductologue, ne

recele pas «un» sens que l’interprete-explorateur viendrait y «decouvrir», un peu

comme l’archeologue revele l’amphore jusque-la cachee sous les paves ou comme

le directeur devoile la statue lors de telle ceremonie inaugurale. Au contraire, le sens

est pour ainsi dire «injecte» dans le texte par l’interprete qui, des lors, intervient

dans un processus de «creation» de sens, etant entendu qu’il doit composer avec les

elements formels qui lui sont proposes.

Aucune regle juridique n’etant auto-explicative, le juriste local devra en

determiner le contenu au vu du cas concret auquel elle doit etre appliquee. Il

n’en ira pas autrement d’une regle transnationale voulue uniforme. Comme l’ecrit

en effet Paul Ricœur, «entre la regle la moins contredite et son application il

demeure toujours un hiatus» [59: 165]. Certes, dans le cadre d’une legislation

uniforme, tout terme juridique doit s’entendre «abstraction faite du detail des regles

positives auxquelles il est associe dans un droit determine» [60: 48]. Toutefois, la

comprehension de la regle par l’interprete ne peut s’effectuer qu’a travers sa

«precomprehension» ou son «Vorverstandnis» [21: 289], c’est-a-dire au moyen

d’une visee prealable du sens. Les questions posees comme les conditions d’acces a

la realite sont ainsi anterieurement et inconsciemment faconnees par la tradition

culturelle et historique a laquelle appartient l’interprete. Des lors, le juriste ne peut

acceder au droit uniforme qu’a travers le prisme de sa langue, laquelle n’est pas un

moyen neutre qui lui serait exterieur, mais le vehicule meme de la tradition

Le Cas de l’Union Europeenne

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Page 6: Au lieu d’une langue commune, un discours commun? Le cas de l’Union européenne

interpretative dont elle releve. «Nos langues parlent historiquement», nous rappelle

Heidegger, de telle sorte que «c’est le langage qui parle, et non l’homme» [32: 161].

Le «travail de l’histoire» a travers la langue n’est d’ailleurs pas completement

transparent; il depasse toute subjectivite alors meme qu’il la rend possible et la

limite. Par consequent, les interpretations du juriste ne sont jamais objectives mais

toujours conditionnees par la tradition qu’il habite et qui l’habite et qui, partant,

forme la substance de ses prejuges. Le traductologue demontre ainsi que s’applique

sans restriction au champ juridique le postulat hermeneutique selon lequel «on

comprend autrement si jamais on comprend» [21: 318; les italiques sont de l’auteur;

j’ai modifie la traduction]. L’interpretation uniforme du texte dans les differents

Etats membres de l’Union europeenne est donc impossible. Ici aussi, la langue—

entendons la langue locale—dure.

De maniere paradoxale, les langues locales affichent cependant une transience

qui constitue un autre obstacle insurmontable sur le chemin de l’uniformisation des

droits. Le probleme resulte du fait qu’aucun droit uniforme ne peut etre cree ex

nihilo. Il doit necessairement se fonder sur l’ensemble des legislations, des

jurisprudences et des doctrines nationales, a la suite d’etudes menees par des juristes

et universitaires venus de divers Etats membres de l’Union europeenne. Or, aucun

droit national n’est cense offrir un point de depart privilegie ni avoir une influence

decisive sur l’elaboration des regles ou principes retenus. Ainsi, l’on a pu dire que le

droit uniforme, tout en puisant ses «racines» dans les droits nationaux et en en

relayant les «valeurs economiques, liberales et sociales», devait en etre «equidis-

tant» et, en fin de compte, se montrer «neutre» par rapport a eux [71: 225]. Pour des

raisons d’ordre pratique et financier, l’anglais constitue toutefois la langue de travail

quasi exclusive des organismes voues a l’uniformisation [71: 192]. Si la decision de

faire de l’anglais l’unique moyen de communication engendre un immense

processus de traduction au sein des differents comites, la domination d’une langue

sur toutes les autres dans le cadre du processus d’uniformisation du droit fait

apparaıtre le caractere ephemere de la langue, du moins a deux egards.

Avant tout, la langue est ephemere en ce que l’imposition de l’anglais oblige la

grande majorite des juristes a travailler dans une langue qui leur est etrangere.

Chaque intervenant etant tenu de faire connaıtre son droit aux autres membres de tel

ou tel organisme devolu a l’uniformisation, ce discours ne peut se tenir que dans une

langue de travail commune, c’est-a-dire, a toutes fins utiles, l’anglais. Si, dans un

premier temps, la Commission Lando a pu s’accorder sur deux langues de travail, ce

bilinguisme a cependant ete rapidement abandonne en faveur de la seule langue

anglaise [60: 48]. Quant a lui, le groupe d’etudes sur un code civil europeen de M.

von Bar a de meme retenu l’anglais comme langue de travail [70: 4]. Diverses

raisons sont mises en avant par M. von Bar pour justifier ce choix.

Au premier chef, il n’existe pas d’autre langue europeenne dans laquelle

l’ensemble des participants pourraient discuter ou, du moins, a laquelle ceux-ci

accepteraient de conferer consensuellement le statut de «deuxieme langue» derriere

l’anglais. Par ailleurs, la traduction simultanee ne saurait etre retenue non seulement

a cause des couts impliques, mais encore parce que ce procede porterait atteinte au

«deroulement naturel» des debats. On peut penser, en outre, que le statut superieur

dont jouit l’anglais par rapport au francais, par exemple, va au-dela des justifications

S. Glanert

123

Page 7: Au lieu d’une langue commune, un discours commun? Le cas de l’Union européenne

d’ordre pratique: «alors que les Etats-Unis incarnent, sur un plan mythique, une

modernite egalitaire, politiquement, economiquement et culturellement forte,

renforcee de surcroıt par le souvenir de l’immigrant, artisan de sa propre existence»,

«la langue francaise renvoie a des formes politiques et economiques percues comme

perimees, et a des formes culturelles qui relevent de la nostalgie», ce qui «pourrait

[…] partiellement expliquer pourquoi elle a perdu une partie de sa seduction» [41:

198]. La decision des groupes Lando et von Bar de faire de l’anglais la langue de

travail s’inscrit donc dans un mouvement europeen plus general qui voit, par

exemple, la Commission europeenne, l’une des institutions communautaires les plus

productives, rediger la plupart de ses textes originaux en anglais, et qui temoigne,

par ailleurs, en depit du multilinguisme officiellement proclame, d’une presence

informelle de l’anglais toujours plus accentuee a tous les niveaux de la construction

europeenne [68: 100–105].

Reprenons brievement la problematique en ses entours concrets. Le juriste

italien, afin d’expliquer l’etat du droit italien relativement a une question donnee,

doit traduire les regles ou principes du droit italien dans la langue de travail. De

meme, son collegue allemand, qui entend faire connaıtre le point de vue allemand

quant a l’objet de la discussion, est contraint d’exprimer les idees juridiques

allemandes en langue anglaise. Une fois les differents droits traduits dans la langue

de travail, les echanges se deroulent en langue anglaise, devenue simple instrument

de communication et de redaction, donc reduite a une fonction pratique, technique

et utilitaire. Ainsi la langue locale, comprise ici comme «langue de tradition»—non

pas qu’au sens de «simple transmission», mais aussi en tant que «detention de

nouvelles possibilites de la langue deja parlee» [35: 41]—, s’efface rapidement

devant l’anglais: elle se fait ephemere.

Mais la langue anglaise, devenue la «mandataire» des langues nationales ne peut

remplir sa mission que de maniere imparfaite. En effet, la capacite de representation

de l’anglais—comme de toute langue d’ailleurs—est limitee, ce qui implique que

les divers intervenants anglophones doivent admettre d’inevitables accommode-

ments linguistiques. La designation de l’anglais en tant que langue de travail

dominante reflete une conception generale prevalant au sein des organismes voues a

l’uniformisation des droits selon laquelle le droit et la langue peuvent etre dissocies,

ce qui signifierait, par exemple, que le droit francais n’entretiendrait aucune relation

«necessaire» ou «exclusive» avec la langue francaise lorsqu’il s’agit pour lui de se

faire entendre [38: 659]. Affirmant la communicabilite entre individus qui

participent de langues et de cultures diverses, une telle approche a le merite de

mettre en lumiere le fait qu’une langue, en depit de ses particularites sur les plans

lexical et semantique, ne constitue en rien une entite cloisonnee, a la fois opposee et

exposee aux autres langues. En d’autres termes, l’hypothese inquietante d’un

«ghetto d’autisme linguistique» [44: 47] doit donc etre exclue. Qu’on se rappelle ici

l’argument de Walter Benjamin selon lequel les langues ont par essence vocation a

se traduire les unes les autres [2].

Il n’en reste pas moins que le decoupage de la realite n’est pas identique d’une

langue a l’autre comme peut en temoigner d’emblee la traduction du mot espagnol

«bosque» par l’allemand «Wald» [54: 436]. N’est-il pas «utopique» de croire que ce

que l’Espagnol comprend par «bosque» soit la meme chose que ce que l’Allemand

Le Cas de l’Union Europeenne

123

Page 8: Au lieu d’une langue commune, un discours commun? Le cas de l’Union européenne

entend par «Wald»? En effet, si un Espagnol associe deja «bosque» a un endroit ou

se trouvent ne serait-ce que quelques arbres, pour un Allemand le «Wald» evoque

l’image d’un vaste terrain sur lequel sont plantes de nombreux arbres. Cette

difference sur le plan des signifies s’explique par le fait qu’en Allemagne la surface

boisee est beaucoup plus importante que ce n’est le cas en Espagne. Transposons

maintenant la problematique a l’interieur des differentes communautes linguistiques

memes afin de mesurer toute son ampleur. Le mot «Wald», par exemple, connote-t-

il des images equivalentes chez un ouvrier de la Ruhr industrielle et chez un paysan

du Schwarzwald, la mythique Foret-Noire? Par ailleurs, la notion de «chaumiere»

evoque-t-elle les memes sentiments aupres de la jeune generation de Francais

d’aujourd’hui que de leurs grands-parents? En tout etat de cause, en appliquant a la

traduction les formulations philologiques d’Ortega y Gasset, il faut bien reconnaıtre,

d’une part, que «tout enonce est deficient» en ce qu’il ne dit pas tout ce qu’on veut

dire et, d’autre part, que «tout enonce est exuberant» dans la mesure ou il dit plus

que ce qu’on veut dire [55: 493].

Le droit n’est pas a l’abri de cette aporie. Comment, du reste, le serait-il? De la

meme facon que les mots «droit commun» ne peuvent pas rendre compte de la

realite juridique anglaise telle qu’elle s’exprime dans «common law», les

expressions «private law» et «public law» ne refletent guere le paysage juridique

francais ou il y est question de «droit prive» et de «droit public». Certes, la

traduction substitue ici mecaniquement les mots d’une langue a ceux d’une autre en

fonction des ressemblances sur le plan lexical. Mais «les seuls mots ne sont pas

encore des paroles», si bien que meme le «mot a mot» ne constitue pas une «fidelite

au mot» [36: 44]: «[p]ar la traduction, le travail de la pensee se trouve transpose

dans l’esprit d’une autre langue, et subit ainsi une transformation inevitable» [34:

10]. Voila la difficulte: «pour pouvoir acheminer un mot sans distorsion, on devrait

acheminer toute la langue qui l’enveloppe» [37: 372]. De plus, «[p]our traduire une

langue, ou un texte, sans en changer le sens, on devrait acheminer aussi ses lecteurs»

[37: 328]. Des lors, puisque le droit exprime dans une langue de travail donnee est

assujetti a ce que cette langue de travail permet de representer et puisqu’aucune

langue ne saurait autoriser une infinite de representations du monde, le phenomene

de transit obligatoire par la langue de travail ne pourra qu’entraıner pour les droits

en presence d’irreversibles mutations signifiantes.

Comment un juriste espagnol peut-il ainsi expliquer fidelement le droit espagnol

en anglais ou comment le juriste neerlandais peut-il dire loyalement le droit

neerlandais en anglais? Comment un juriste espagnol peut-il engager un dialogue

avec le droit neerlandais, comme cela est necessaire dans le cadre du processus

d’uniformisation des droits en Europe, alors meme que la traduction anglaise de ce

droit ne peut lui en fournir qu’une image imparfaite? Et comment le juriste

neerlandais peut-il dialoguer avec le droit espagnol lorsque celui-ci est rendu a

travers les limites intrinseques a la langue anglaise? Jacques Derrida souligne a juste

titre qu’«[i]l n’y a pas de metalangage traductologique qui ne soit assujetti, comme

idiome, au drame qu’il pretend formaliser ou traduire a son tour» [15: 223]. Ainsi

langue et droit nationaux ne peuvent que s’effacer devant la langue de travail

commune. Ici encore, la langue locale se fait ephemere face a l’anglais.

S. Glanert

123

Page 9: Au lieu d’une langue commune, un discours commun? Le cas de l’Union européenne

En raison de ces deux caracteristiques fondamentales, quoique paradoxales, de la

langue locale—durabilite et ephemerite—toute affirmation selon laquelle la

formulation d’un droit uniforme serait possible doit etre recue avec scepticisme.

A ce stade, il vaut toutefois d’examiner un point de vue suggerant que l’impact

incontournable de la langue sur l’uniformisation du droit dans l’Union europeenne

puisse, malgre tout, etre esquive.

3

Professeur de droit a l’Universite de Copenhague, Anne Lise Kjær precise dans

son article, «A Common Legal Language in Europe», que «ce qui est commun,

ce n’est pas la langue des acteurs juridiques europeens, mais leur discours sur

le droit europeen» [39: 397; les italiques sont de l’auteur]. Selon la

comprehension que j’en ai, des auteurs comme le professeur Kjær, qui

valorisent l’emergence d’un discours juridique commun a l’interieur de l’Union

europeenne, considerent qu’il est ainsi possible d’echapper aux divergences

grammaticales, lexicales et semantiques qui existent entre les langues nationales

de maniere a ce que les difficultes de communication entre juristes issus de

differentes cultures puissent etre surmontees. Dans son article, «Towards a

European Civil Code Without a Common European Legal Culture? The Link

Between Law, Language and Culture», le professeur Ana Lopez-Rodrıguez, qui

enseigne egalement dans une faculte de droit danoise, souligne qu’«[a]

l’interieur d’un discours juridique commun, meme la diversite linguistique sera

un probleme mineur» [50: 1220].

Il importe de preciser ce que recele l’idee de «discours commun». Celle-ci

reposerait pour l’essentiel sur une prise de contact reguliere et l’etablissement d’un

dialogue continu entre juristes issus des differentes cultures juridiques europeennes.

Dans ce contexte, le legislateur europeen serait appele a jouer un role de premier

plan. D’apres Ana Lopez-Rodrıguez, par exemple, «[l]e legislateur europeen devrait

[…] promouvoir le developpement d’un discours juridique europeen commun par

l’entremise de la recherche juridique, l’education juridique et la creation progressive

d’une methodologie juridique commune. A l’issue de ce processus, une culture

juridique commune pourrait se cristalliser facilitant l’accomplissement d’une

veritable uniformite» [50: 1214; les italiques sont de l’auteur]. Pour sa part, le

professeur Kjær souligne que «[l]orsque le discours juridique devient international,

lorsque l’argumentation juridique n’est plus confinee au systeme juridique national,

lorsque des acteurs entrent dans une communaute internationale interpretative, les

fondements sont poses pour un changement de sens des concepts juridiques

nationaux refletant ce qui est ressenti dans un discours international, transculturel du

droit» [39: 394].

Pour les auteurs qui entendent surmonter les difficultes de comprehension entre

juristes europeens parlant des langues differentes par l’entremise de la creation d’un

discours commun, la pensee de Jurgen Habermas, eminent philosophe et sociologue

allemand, constitue un appui important [39: 394–395]. Representant le plus celebre

Le Cas de l’Union Europeenne

123

Page 10: Au lieu d’une langue commune, un discours commun? Le cas de l’Union européenne

de la deuxieme generation de l’Ecole de Francfort,7 Habermas a elabore une theorie

de la societe s’articulant autour de la communication et soulignant ce qu’il estime

etre les capacites emancipatrices de la raison [65]. Dans son maıtre-ouvrage Theorie

des kommunikativen Handelns (Theorie de l’agir communicationnel), publie en

1981, il envisage ainsi une situation ou differents acteurs, tous capables de parler et

d’agir, sont a la recherche d’une entente permettant de coordonner leurs projets [28].

Dans le cadre de la theorie sociale proposee par Habermas, la langue occupe une

place cruciale. Selon cet auteur, le «modele communicationnel d’action presuppose

le langage comme un medium d’intercomprehension non tronque, ou locuteur et

auditeur, partant de l’horizon de leur monde vecu interprete, se rapportent a quelque

chose a la fois dans le monde objectif, social et subjectif, afin de negocier des

definitions communes de situations» [28, vol. I: 111]. Mais est-ce que des individus

qui ne partagent pas le meme monde vecu—ce qui, en principe, est le cas des

ressortissants des differents Etats membres de l’Union europeenne—sont veritable-

ment en mesure «de negocier des definitions communes de situations», selon la

formule d’Habermas, c’est-a-dire, en fin de compte, de communiquer et de dialoguer

efficacement les uns avec les autres? En particulier, il convient de se demander si les

langues nationales ne doivent pas etre considerees comme un obstacle a la

communication entre des acteurs originaires de differentes communautes culturelles.

Habermas ne semble pas remettre en question la fameuse these developpee par le

linguiste allemand Wilhelm von Humboldt selon laquelle chaque langue nationale

vehicule une vision du monde particuliere [73]. Toutefois, Habermas estime qu’une

communication entre differents acteurs peut reussir malgre l’existence d’une

diversite de langues: «Jusque dans le processus d’entente le plus difficile, toutes les

parties s’appuient sur le point de repere commun—quoique chaque fois projete a

partir du contexte propre—d’un consensus possible» [29: 178]. Bien que, concessio

non dato, la possibilite d’un discours commun entre personnes parlant des langues

differentes puisse etre consideree comme desirable, on comprend mal dans quelle

mesure des individus issus de communautes linguistiques differentes pourraient

partager ce que Habermas appelle «le point de repere commun […] d’un consensus

possible» [29: 178].

Selon moi, l’application de la theorie du discours telle que developpee par

Habermas dans le contexte de l’integration des droits dans l’Union europeenne

souleve au moins trois problemes importants qui doivent retenir l’attention. Tout

d’abord, le concept de «discours» n’est pas clairement defini et peut-etre, d’ailleurs,

n’est-il pas clairement definissable. A ce jour, il n’existe pas de consensus parmi les

theoriciens œuvrant dans les domaines de la linguistique et des sciences sociales

concernant le sens qu’il convient de conferer au terme «discours». En effet, toute

theorie du discours est necessairement la theorie du discours de quelqu’un, a savoir

d’un individue situe. Bien que les difficultes decoulant d’une telle indetermination

semantique ne soient pas specifiques a la theorie du discours, elles semblent poser un

obstacle particulierement significatif dans ce cas precis. N’est-il pas problematique,

7 L’Ecole de Francfort, d’allegeance neo-marxiste, s’est revelee tres influente dans les annees 1960 et

1970. On associe a leur critique sociale un groupe de celebres penseurs allemands parmi lesquels

comptent Theodor W. Adorno, Max Horkheimer et Herbert Marcuse [77].

S. Glanert

123

Page 11: Au lieu d’une langue commune, un discours commun? Le cas de l’Union européenne

en effet, que les partisans de la theorie du discours supposent la possibilite d’une

communication consensuelle alors qu’ils semblent eux-memes incapables d’en

arriver a un consensus relativement au sens du mot «discours» meme?

Par ailleurs, chaque discours—peu importe la definition qu’on en retient—

requiert l’usage d’une langue. Tous les individus qui souhaitent intervenir dans un

discours doivent ainsi se servir d’une langue determinee. Et si les participants au

discours sont issus de cultures differentes, comme c’est le cas dans l’Union

europeenne, il sera necessaire de mobiliser plus d’une langue pour que le discours

europeen puisse advenir. Du reste, l’idee d’un discours europeen se fait de plus en

plus complexe avec chaque langue qui vient s’ajouter a l’Union europeenne lors de

l’integration de nouveaux Etats membres. En d’autres termes, meme les auteurs qui

appuient le developpement d’un discours commun dans une situation transnationale

comme l’Union europeenne ne peuvent echapper aux problemes causes par la

traduction. Le fait est qu’aucune traduction ne peut accomplir une equivalence entre

les langues. En effet, la traduction, au lieu de creer une equivalence a partir de la

difference, fait ressortir la difference a partir de l’incommensurabilite.8 L’impos-

sibilite d’une communication a travers les langues qui en resulte me semble fort

bien rendue par le philosophe allemand Martin Heidegger dans une formule a la fois

puissante et economique: «[l]a langue est monologue» [33: 254; les italiques sont de

l’auteur; j’ai modifie la traduction].

Enfin, dans la mesure ou il se refere inevitablement a un objet, un discours requiert

un acte local d’interpretation et d’application. Supposons que deux juristes europeens

engagent une conversation ayant pour objet, par exemple, le concept des «droits

humains». Les interpretations qui seront offertes de ce concept au cours de cette

discussion entre ces deux juristes europeens vont necessairement faire appel a des

valeurs locales, telles des convictions religieuses ou des engagements ideologiques,

ceux-ci ne pouvant se manifester que sous la forme d’un savoir local. A mon sens,

l’irreductible enracinement de chaque conception des droits humains en question

dans un savoir local empechera l’emergence d’un discours commun. C’est a tort que

les partisans d’un discours commun estiment ainsi qu’il est possible de surmonter le

localisme. Comme le demontrent la philosophie hermeneutique du philosophe

allemand Hans-Georg Gadamer et la strategie de la deconstruction de Jacques

Derrida, il n’existe pas de criteres fiables qui nous permettraient d’arriver a la

conclusion que des acteurs europeens peuvent atteindre a un consensus discursif, ce

qui est peut-etre une autre facon de dire que n’importe quel discours sera toujours

influence par la langue, pour ne pas dire la culture, dont releve l’individu.

En 1960, a l’age de 60 ans, Hans-Georg Gadamer, philosophe allemand repute,

faisait paraıtre son maıtre-ouvrage Wahrheit und Methode (Verite et methode) [21].

Au cours des cinquante dernieres annees, non seulement la philosophie hermeneu-

tique de Gadamer est devenue la pierre d’angle de l’hermeneutique moderne, mais

elle a exerce une influence considerable sur un grand nombre de disciplines [51]. La

pensee de Gadamer cherche a mettre en lumiere de maniere detaillee les modalites

selon lesquelles se deroule le processus de comprehension [26: 91–92]. Gadamer

demontre ainsi que le comprendre est, au-dela de toute maıtrise subjective, un

8 Je m’appuie ici sur Meaghan Morris [53: xiii].

Le Cas de l’Union Europeenne

123

Page 12: Au lieu d’une langue commune, un discours commun? Le cas de l’Union européenne

evenement «sur-subjectif» que les individus subissent ou auquel ils participent,

plutot que de le determiner eux-memes. Ainsi, affirme-t-il, ce qui se passe lorsque

nous comprenons, «ce n’est pas tant de notre fait, mais de ce qui survient par-dela

notre vouloir et notre faire» [20: xvi]. Autrement dit, le comprendre, la capacite

d’habiter un monde, nous vient d’un ailleurs que nous ne pouvons jamais

parfaitement maıtriser.

La philosophie hermeneutique de Gadamer met l’accent sur la maniere dont «[l]e

langage est […] le medium universel dans lequel s’opere la comprehension meme,

qui se realise dans l’interpretation» [21: 410]. Deux consequences decoulent de ce

postulat primordial. Tout d’abord, la comprehension se deroule toujours deja dans la

langue de l’interprete. En fait, «[c]omprendre, c’est etre interpele par un sens,

pouvoir le traduire dans un langage qui est toujours necessairement [celui du

traducteur]» [27: 61]. Par ailleurs, l’objet de la comprehension se manifeste

necessairement par la langue. Tel est le sens de la celebre formule de Gadamer:

«L’etre qui peut etre compris est langage» [21: 500; j’ai modifie la traduction et

omis les italiques]. Autrement dit, le monde se presente toujours a l’interprete sous

forme de langage. Ainsi un ami, une maison, une ville ne constituent pas des

phenomenes physiques qui recoivent apres coup une designation. Au contraire,

l’ami, la maison et la ville ne peuvent etre compris que parce qu’ils se manifestent

toujours deja en tant que langage. A chaque fois que «je cherche a comprendre ce

qu’est quelque chose, je cherche un etre qui est deja langage et qui peut des lors etre

compris» [27: 63]. La langue est donc plus qu’un simple instrument entre les mains

de l’individu, qui serait a sa disposition.

Par l’entremise de la langue, l’interprete interagit activement avec l’objet

d’interpretation. Selon le philosophe, «le phenomene hermeneutique […] porte en

lui l’originarite (Ursprunglichkeit) du dialogue et la structure question-reponse»

[21: 393]. Le texte pose toujours une question a l’interprete et l’interrogation

remonte inevitablement en deca de ce qui est dit dans le texte. Cependant, se situant

en deca du dit, l’interprete va necessairement au-dela du texte. Ainsi le texte,

devenu l’objet d’interrogation de l’interprete, ouvre la possibilite d’une pluralite de

reponses. Mais, contrairement a ce qu’on pourrait etre tente de croire, les reponses

aux questions que souleve le texte ne sont ni neutres ni objectives. Comme le

souligne Gadamer, «ce que l’on se propose […] de comprendre, c’est le texte lui-

meme. Or, cela signifie que les idees propres a l’interprete participent toujours,

elles aussi et des le debut, au reveil du sens du texte» [21: 410; les italiques sont de

moi et j’ai omis ceux de l’auteur].

La philosophie hermeneutique postule que les prejuges et la tradition sont

constamment a l’œuvre dans toute comprehension. C’est dire que la comprehension

d’un objet, tel un texte ou une œuvre d’art, implique inevitablement la projection

d’un certain sens. D’apres Gadamer, «[q]uiconque veut comprendre un texte realise

toujours une ebauche. Des que se montre un premier sens dans le texte, l’interprete

se donne en ebauche un sens du tout. A son tour ce premier sens ne se dessine que

parce qu’on lit deja le texte, guide par l’attente d’un sens determine» [21: 287–288;

les italiques sont de moi]. Ces propos du philosophe se fondent sur la these que

defendait deja Heidegger relativement a la «pre-structure» de toute comprehension

[34: 196]. Ce dernier soutenait, en effet, que «[q]uoi qu’il en soit—l’explicitation

S. Glanert

123

Page 13: Au lieu d’une langue commune, un discours commun? Le cas de l’Union européenne

s’est, selon les cas, deja decidee, a titre definitif ou provisoire, pour un appareil

conceptuel determine; elle se fonde sur une saisie prealable» [34: 196; les italiques

sont de l’auteur]. Toutes les projections interpretatives du sens relevent ainsi

necessairement de la situation de l’interprete. Avant meme d’entreprendre

l’interpretation d’un objet, l’individu a toujours deja place celui-ci dans un certain

contexte, aborde a partir d’une certaine perspective et concu d’une certaine facon.

Comme le souligne Hans-Georg Gadamer, «[v]ouloir eviter ses propres concepts

dans l’interpretation n’est pas seulement impossible, mais manifestement absurde»

[21: 419]. Or, les presupposes qui guident l’interpretation ne sont pas strictement

subjectifs puisqu’ils incorporent des preoccupations developpees dans la tradition

historique dont participe l’interprete et qui le depassent. Gadamer eleve ainsi le

«travail de l’histoire», la «Wirkungsgeschichte», au rang d’un principe fondamental

a partir duquel peut etre deduite toute son hermeneutique [21: 284].9 Il demontre

ainsi que la tradition a laquelle appartient l’interprete influence toujours consciem-

ment ou inconsciemment le processus de comprehension. Par consequent,

contrairement a ce qu’affirment les partisans d’un droit prive europeen uniforme,

il est impossible d’etablir un discours juridique commun, car comme le rappelle la

philosophie hermeneutique de Gadamer et ainsi qu’il est utile de le redire, «on

comprend autrement si jamais on comprend» [21: 318; les italiques sont de l’auteur;

j’ai modifie la traduction].

Bien que la pensee de la deconstruction s’oppose a de nombreux egards a

l’approche hermeneutique, Derrida souscrit a la these de Gadamer relativement a ce

qu’on pourrait appeler la «comprehension differentielle». Considere comme le

philosophe francais ayant eu l’impact le plus important sur la vie intellectuelle du

XXe siecle [64], Jacques Derrida a aborde un grand nombre de sujets. Au cours de

sa carriere, il a publie des dizaines de livres, dont la plupart ont ete traduits dans

plusieurs langues, abordant des themes aussi varies que la peinture, l’amitie, la

religion et la souverainete, sans mentionner la photographie, la psychanalyse ou le

don. Derrida a consacre une tres grande partie de sa reflexion a une etude critique de

la notion de texte et a l’interpretation des textes. Son nom est etroitement associe a

la «deconstruction»—une pratique d’analyse textuelle qui vise a demontrer que les

termes servant de fondement du texte sont en realite le produit de disjonctions

exclusives, c’est-a-dire de choix importants accompagnes par une marginalisation

ou suppression d’autres discours inherents au texte meme. En portant une attention

particuliere a la pluralite des discours, la deconstruction souhaite revaloriser

l’alterite et contribuer au developpement de l’hospitalite et de la justice. Lorsqu’il

lui a ete demande d’expliquer sa philosophie, Derrida a repondu par une formule

succincte qui reflete pleinement la primaute qu’il accorde a l’heteronomie: «Si

j’avais a risquer, Dieu m’en garde, une seule definition de la deconstruction, breve,

elliptique, economique comme un mot d’ordre, je dirais sans phrase: plus d’une

langue» [8: 38; les italiques sont de l’auteur].

9 J’adopte ici la traduction de Jean Grondin qui suggere de rendre «Wirkungsgeschichte» par «travail de

l’histoire». La notion de «travail» temoigne, mieux que le mot «effet», qui serait la traduction litterale de

«Wirkung», de l’idee selon laquelle c’est l’histoire qui agit en nous, qui nous penetre et nous travaille par-

dela ce qu’en peut soupconner notre conscience [25: 214].

Le Cas de l’Union Europeenne

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Page 14: Au lieu d’une langue commune, un discours commun? Le cas de l’Union européenne

Derrida, bien qu’il s’inspire, a l’instar de Gadamer, de la philosophie de

Heidegger—«[r]ien de ce que je tente n’aurait ete possible sans l’ouverture des

questions heideggeriennes» [5: 18], n’a-t-il pas hesite a ecrire—, en retient surtout

les aspects les plus radicaux en s’eloignant ostensiblement lorsqu’elle lui paraıt trop

timoree. Si la these de Gadamer se manifeste, somme toute, comme une reflexion

consensuelle, apaisee, hegelienne [21: 328; voir, generalement, [19], celle de

Derrida defend, sans concession, une pensee du malentendu. D’emblee, Derrida

retient une conception de l’interaction entre le soi et l’autre qui trouve son

expression dans une belle formule de Samuel Beckett, ecrivain dont il se sentait tres

proche [12: 60–62], selon laquelle «leur maniere d’etre nous n’est pas la notre et

notre maniere d’etre eux n’est pas la leur» [1: 25].

Quoiqu’insistant sur la fidelite a l’autre, et notamment au texte, Derrida fait deux

constats principaux: d’une part, hors d’atteinte et inappropriable, le «reel» (et,

notamment, le «reel» d’un texte) est, a la limite, immontrable «comme tel», c’est-a-

dire «tel qu’en lui-meme» [16: 198]; d’autre part, puisque «les mots et le langage en

general ne sont et ne peuvent jamais etre des objets absolus», «l’equivocite est en

fait toujours irreductible» [4: 106; les italiques sont de l’auteur]. Il faut bien voir que

meme en ce qu’elle refute l’hermeneutique en tant que procedure normalisatrice

organisant la communication, la deconstruction entend preserver l’idee de

conversation. Au beau milieu de la «polytonalite immaıtrisable, [des] greffes,

intrusions, parasitages» [7: 67], «[m]ille possibilites resteront toujours ouvertes»

[10: 122]—une interpretation etant foncierement tributaire de l’ «equivocite», par

exemple, de l’ambiguıte grammaticale, de l’instabilite syntaxique et de l’indeci-

dabilite semantique, mais aussi de la situation de l’interprete. Ce n’est donc pas que

Derrida defende l’absence de sens ou de «verite», mais bien qu’il revendique le

caractere plethorique du «sens» ou de la «verite» du texte. C’est ainsi que la

deconstruction, alors qu’elle entreprend de demanteler les montages institues a la

suite de decisions et d’exclusions, evite toute strategie de dechiffrement aux accents

metaphysiques qui consisterait a percevoir «un» sens ou «une» verite derriere les

mots du texte, notamment parce que l’identification «du» sens ou de «la» verite d’un

texte supposerait que le texte soit accessible a son interprete dans sa plenitude. Or,

un tel phenomene de «presence» totale n’est pas possible, et ce pour deux raisons au

moins.

Premierement, «le ‘texte’ ne se redui[t] pas […] a la presence sensible ou visible

du graphique ou du ‘litteral’» [5: 87–88]. Ce qu’on appelle le «texte» est constitue

de mots qui recelent des traces participant d’autres discours (ainsi, un texte

«juridique» est constitue de mots recelant des traces «politiques», «economiques»

ou autres). Un texte, c’est cela, soit une accumulation de traces heterogenes qui,

quoiqu’elles ne soient pas visibles au meme titre que la dimension graphique des

mots, n’en sont pas moins presentes en ceux-ci. Selon Derrida, «le texte est hante

par […] une quasi-logique du fantome qu’il faudrait substituer, parce qu’elle est

plus forte qu’elle, a une logique ontologique de la presence» [14: 68]. Deuxiemement,

l’interprete est situe, ce qui l’empeche de voir certains aspects du texte. Selon une

formule qui revient frequemment dans les textes de Derrida, ces deux limites a

l’interpretation representent un «double bind» [7: 415], c’est-a-dire une double

contrainte pesant sur l’interpretation.

S. Glanert

123

Page 15: Au lieu d’une langue commune, un discours commun? Le cas de l’Union européenne

Puisqu’un texte n’est jamais complet—les traces s’enchaınent a l’infini car

«[t]out commence avant de commencer» [13: 255–256] (c’est-a-dire qu’il y a

toujours une autre trace derriere la trace qui aura retenu l’attention de l’interprete)—

et comme l’interprete intervient en tant que «soi greve»,10 il n’y a pas «un» sens du

texte auquel un interprete, meme rigoureux, aurait acces. Derrida ecrit ainsi: «[i]l

n’y a donc pas une verite en soi, mais de surcroıt, meme pour moi, de moi, la verite

est plurielle» [6: 83]. Ainsi, pour Derrida, la memete ou la congruence entre

l’interpretans et l’interpretandum—par exemple, entre le texte et l’interprete—n’est

tout simplement pas envisageable. L’etre-au-monde, ou l’etre-la («Dasein»), qui,

selon Heidegger, implique un etre-avec («Mitsein»), fait place chez Derrida a une

experience primordiale de la singularite. Derrida, rejetant l’idee de «Mitsein» [52:

30–58], refuse de croire a l’accord [9: 45; voir, generalement, [57]. Il y a la

singularite, et la singularite demeure. Le propos de Derrida, prononce en decembre

2002, durant sa toute derniere annee universitaire a l’Ecole des hautes etudes en

sciences sociales, donc peu de temps avant sa mort, reste d’une grande exigence. Il

dit ce qui suit: «[e]ntre mon monde, le ‘mon monde’, ce que j’appelle ‘mon monde’,

et il n’y en a pas d’autre pour moi, tout autre monde en faisant partie, entre mon

monde et tout autre monde, il y a d’abord l’espace et le temps d’une difference

infinie, d’une interruption incommensurable a toutes les tentatives de passage, de

pont, d’isthme, de communication, de traduction, de trope et de transfert que le desir

de monde ou le mal de monde […] tentera de poser, d’imposer, de proposer, de

stabiliser. Il n’y a pas de monde, il n’y a que des ıles» [17: 31]. Selon Derrida, la

comprehension est inevitablement vouee a l’echec.

4

Lorsque la theorie procedurale d’Habermas exprime le desir d’aller «au dela de

l’ethos concret d’une communaute particuliere ou d’une vision du monde articulee

dans une tradition particuliere» [30: 386], elle revele a quel point elle se trouve, au

fond, mal adaptee a une situation dans laquelle interagissent 24 langues, comme

c’est le cas dans l’Union europeenne. A mon sens, Habermas ne fait tout

simplement pas preuve de la sensibilite qui lui permettrait d’aborder la problema-

tique transculturelle de maniere convaincante. D’ailleurs, l’un de ses critiques

souligne a quel point «Habermas […] ne prete pas l’oreille a la pluralite des voix

dans laquelle la raison peut s’exprimer» [40: 86]. Des lors, le projet d’un discours

commun, tel que defendu par Habermas, ou celui d’un discours juridique commun

en Europe, tel que favorise par certains juristes europeens, doivent etre consideres

comme illusoires, car ces arguments sont fondes sur l’idee qu’un consensus

discursif peut etre atteint malgre la presence d’une pluralite de langues nationales

interpretatives. Mais cette these ne resiste pas au fait de l’incommensurabilite des

langues et ne peut donc relever que de ce qu’on appelle si bien, en langue anglaise,

le «wishful thinking».

10 Voir, pour cette formulation (en anglais, «embedded self»), Michael J. Sandel [64: passim].

Le Cas de l’Union Europeenne

123

Page 16: Au lieu d’une langue commune, un discours commun? Le cas de l’Union européenne

Je veux, en terminant, souligner combien l’impossibilite d’un discours juridique

commun ne doit pas etre envisagee negativement. Au contraire, nous devons

valoriser les differences en matiere de communication et d’interpretation car celles-

ci demontrent les benefices qui decoulent d’une dynamique interculturelle. C’est

precisement l’absence d’un discours commun qui favorise la formation d’une

pluralite de points de vue et, des lors, encourage la reflexion chez chaque

interlocuteur. On peut, pour simplifier, voir les choses comme ceci: quel est l’interet

d’aller au cafe avec une personne dont le discours est pareil au mien? Qu’est-ce que

mon interlocuteur et moi pouvons donc retirer d’un hypothetique discours commun?

Je serais confirmee dans mes pensees et ainsi rassuree de ne pas avoir a les

interroger plus avant? Et il en irait de meme pour mon interlocuteur? Et nous nous

arreterions ainsi de reflechir? Mais l’enjeu ne reside-t-il pas plutot dans la mise a

l’epreuve de nos convictions face a un interlocuteur qui ne nous comprend pas bien,

qui n’arrive pas vraiment a penser comme nous? N’est-ce pas precisement la

difference, voire le malentendu, qui se revele fructueux pour chacun de nous, qui

nous oblige a aller plus loin dans notre cheminement intellectuel?

J’aimerais conclure mon propos avec un enonce de Derrida: «nous avons en

commun de savoir que nous n’avons rien en commun» [18: 58; les mots sont de

Derrida]. Je souhaite ajouter qu’a mon sens, cette situation n’est pas du tout une

mauvaise chose, notamment lorsqu’il est question de la construction du droit prive

dans l’Union europeenne.

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