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Au lieu d’une langue commune, un discourscommun? Le cas de l’Union europeenne
Simone Glanert
� Springer Science+Business Media Dordrecht 2014
Resume Cette contribution entend refuter l’argument selon lequel, malgre
l’absence d’une langue commune, une communaute de droits pourrait se manifester
dans l’Union europeenne a partir d’un discours commun.
Mots cles Union europeenne �Uniformisation des droits � Langues �Discours
1
Jetant un regard exterieur sur l’actualite juridique dans l’Union europeenne, un
juriste suisse fait observer que «le droit des contrats europeen, une notion en soi
relativement recente, est un peu comme une fourmiliere en pleine construction» [56:
218]. On sait, en effet, qu’a la suite d’interventions ponctuelles et sectorielles de la
Commission europeenne sous forme de directives dans des domaines specifiques,
notamment en matiere de droit de la consommation, plusieurs projets ont ete
elabores afin de promouvoir activement l’unification ou l’harmonisation du droit des
contrats dans l’Union europeenne [78]. Ainsi, au cours des dernieres annees,
certains groupes de recherche, tels la «Commission on European Contract Law»
(«Commission Lando») et le «Research Group on EC Private Law» (egalement
appele l’«Acquis Group») ont procede au developpement de principes en matiere de
Cette reflexion a fait l’objet de presentations a Universite de Copenhague, le 25 octobre 2011; a
l’Universite de Montreal, le 27 janvier 2012; au University College Cork, le 2 mars 2012; et a
l’Universite de Grenoble, le 22 mars 2012. Je tiens a remercier Anne Lise Kjær, Jean-Francois
Gaudreault-DesBiens, Benedicte Sage-Fuller et David Dechenaud de leurs tres aimables invitations et de
leur interet pour mon travail. Une premiere version de ce texte est parue en langue anglaise dans la
Erasmus Law Revue [24].
S. Glanert (&)
University of Kent, Canterbury, UK
e-mail: [email protected]
123
Int J Semiot Law
DOI 10.1007/s11196-014-9372-y
droit europeen des contrats. D’autres comites, tel le «Study Group on a European
Civil Code», ont resolument emprunte la voie d’un code de droit europeen des
contrats [71; voir, generalement, 31].
Bien que le projet d’une codification d’ensemble du droit prive paraisse moins
retenir l’attention a l’heure actuelle, l’idee d’un droit europeen des contrats continue
a faire son chemin dans l’Union europeenne. Ainsi, en 2009, a la demande de la
Commission europeenne, le «Study Group on a European Civil Code» et l’«Acquis
Group» ont produit, en six forts volumes, un «Draft Common Frame of Reference»
(«Cadre commun de reference) [72]. Le 3 mai 2011, toujours a la requete de la
Commission europeenne, un conseil d’experts a publie un «rapport de faisabilite»
revendiquant un authentique «Cadre commun de reference politique». Enfin, le 12
octobre 2011, apres l’avis favorable du Parlement europeen, celui-ci s’inscrivant
dans la droite ligne des resolutions qu’il a adoptees depuis 1989,1 la Commission
europeenne a propose aux Etats membres l’adoption d’un reglement visant
l’introduction d’un droit europeen de la vente optionnel.2 Depuis, cette initiative
a donne lieu a de vifs debats dans les parlements nationaux, notamment en
Allemagne, en Autriche et au Royaume-Uni.
A ce jour, le projet d’un droit prive europeen a fait couler beaucoup d’encre (et,
surtout, suscite de nombreux pixels). En effet, les demarches visant l’uniformisation
des droits nationaux ne sont pas a l’abri d’importantes objections [45 et 47]. En
depit des travaux que j’ai mentionnes, des hesitations subsistent notamment quant a
la legalite d’un droit uniforme europeen. En effet, meme les specialistes du droit de
l’Union europeenne ont du mal a mettre en lumiere le fondement juridique qui
permettrait l’adoption d’un Code civil europeen [74]. Qui plus est, des voix
s’elevent pour rappeler que la riche diversite juridique europeenne, marquee par la
presence de deux grandes traditions juridiques—l’une «romaniste», de «facture
nomothetique», et l’autre de «common law», d’«allegeance idiographique»—
revelant deux formes de connaissance du droit profondement specifiques, se fait
inconciliable avec des desseins ayant pour but l’instauration d’une pensee uniforme,
une telle idee allant foncierement a l’encontre de «ce qui s’est promis sous le nom
de l’Europe» [11: 75].3
S’agissant de la problematique de l’uniformisation des droits dans l’Union
europeenne, la question qui m’interpelle tout particulierement et qui, a mon avis,
reste tres largement sous-estimee par la plupart des juristes europeens, a trait a la
langue. Ainsi, une minorite d’auteurs, se montrant sensible aux divergences entre les
langues nationales, a exprime des doutes serieux relativement a la possibilite de
creer une communaute linguistique transnationale [3, 22, 58, 61].4 Il est interessant
1 Voir, par exemple, Resolution [du Parlement europeen] concernant le rapprochement du droit civil et
commercial des Etats membres, JO CE 1989 C158/400 (26 mai 1989); Resolution [du Parlement
europeen] sur l’harmonisation de certains secteurs du droit prive des Etats membres, JO CE 1994 C205/
518 (6 mai 1994); Resolution [du Parlement europeen] concernant le rapprochement du droit civil et
commercial des Etats membres, JO CE 2002 C140 E/538 (15 novembre 2001).2 Commission europeenne, «Proposition de reglement du Parlement europeen et du Conseil relatif a un
droit commun europeen de la vente», COM (2011) 635 final (11 octobre 2011).3 Les designations des traditions juridiques europeennes sont de Pierre Legrand [48: 3].
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de noter que certains de ces chercheurs estiment toutefois que si l’uniformite
juridique transnationale qui est visee par les groupes de travail dont j’ai fait mention
ne saurait etre accomplie par l’entremise du developpement d’une langue commune,
elle pourrait se voir realisee au moyen d’un discours commun. Pour les tenants de la
these du discours commun, la theorie de l’agir communicationnel developpee par le
philosophe et sociologue allemand Jurgen Habermas constitue un appui important.
A la lumiere de ce developpement, je veux ici m’interroger sur la possibilite
d’etablir un discours commun dans le contexte du processus de l’uniformisation des
droits en Europe. Je compte proceder en trois etapes. Tout d’abord, j’estime utile de
rappeler aux juristes europeens que la presence de langues locales, comprises
comme langues de tradition, doit etre consideree comme un obstacle au
developpement d’un droit prive europeen. Puis, je veux expliquer pourquoi le
recours a la theorie du discours, telle que proposee par Habermas, ne permet pas aux
participants aux projets juridiques pan-europeens d’echapper au caractere intrin-
sequement local de la langue. Dans le cadre de mon analyse, j’entends faire appel a
la philosophie hermeneutique de Hans-Georg Gadamer et a la pensee de la
deconstruction de Jacques Derrida afin de demontrer que la theorie habermasienne
du discours ne saurait etre consideree comme un moyen efficace pour assurer le
developpement d’un droit europeen commun, si tant est qu’on souhaite s’engager
dans cette voie.
2
Un droit europeen prive, cense remplacer une pluralite de droits nationaux par un
seul droit, risque d’echouer si le texte suppose uniforme donne lieu a des lectures
colorees par des cadres d’interpretations nationaux differents. En effet, le texte
europeen doit produire un sens equivalent dans l’ensemble des Etats membres pour
garantir une interpretation uniforme. Afin de parvenir a une comprehension
uniforme des regles communes, les groupes de travail europeens ont tente d’elaborer
«une terminologie commune pour les juristes qui surmonte les frontieres juridic-
tionnelles» [71: 221]. Cependant, de nombreux partisans d’un droit prive europeen
minimisent l’impact de la langue sur le processus d’uniformisation des droits. Ainsi,
ce projet europeen ne tient compte ni de la durabilite de la langue ni de son
ephemerite, deux caracteristiques fondamentales qui, en derniere analyse, doivent
rendre l’idee d’un droit uniforme illusoire [22].
Premierement, la langue resiste au moment de la traduction du droit uniforme
dans les nombreuses langues nationales. En raison du caractere normatif des
differentes dispositions du texte uniforme, l’on sait que chacune des versions
linguistiques a vocation a rendre exactement la meme idee; or, deux ou plusieurs
langues ne peuvent signifier memement. Certes, selon les redacteurs du droit
uniforme, «on doit tenir compte de la question de la langue des le debut, c’est-a-dire
qu’il faut faire en sorte que les textes rediges d’abord en anglais restent traduisibles
4 Voir, generalement, sur le role de la langue dans le contexte actuel de l’europeanisation et de la
globalisation du droit, l’ouvrage de Simone Glanert [23].
Le Cas de l’Union Europeenne
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dans les differentes langues europeennes» [69: 129]. Cependant, puisque chaque
culture juridique rend compte de la realite a sa maniere et definit un concept
particulier en ayant recours a un mot donne au detriment d’un autre, la traduction
juridique connaıt rapidement ses limites [67: 878]. Par exemple, la Commission
Lando retient, a l’article 1: 201 de ses propositions pour un droit europeen des
contrats uniforme [42, 43], le concept de «bona fides». Si, d’origine romaine, ce
concept s’est trouve par la suite integre dans les divers droits de tradition romaniste,
il demeure, aux yeux du common-law lawyer anglais, denue de sens. En effet, le
common law, qui n’est pas un droit romaniste, ne connaıt pas la «bona fides» car sa
conception historique du contrat s’y oppose [66]. Une recente decision de la House
of Lords (maintenant la Supreme Court of the United Kingdom), la cour supreme
britannique, precise d’ailleurs que le droit anglais des contrats «repugne foncier-
ement» a l’idee de «good faith».5 Des lors, les propositions enoncees par la
Commission Lando, lorsqu’elles s’expriment en anglais, mettent en avant une
formule sans referent, du moins pour le common-law lawyer anglais: selon ce
dernier, les mots «good faith and fair dealing» du projet Lando restent, au sens
litteral du terme, insignifiants. En l’espece, on ne peut pas faire signifier a la langue
anglaise ce qu’elle n’a pas voulu signifier. Mais il y a plus encore.
Arretons-nous un instant a la clause penale, laquelle n’est pas concue de la meme
maniere dans les pays de common law et dans ceux de tradition romaniste [46:
104–105]. Pour contourner ce qu’elle envisage comme un ecueil, la Commission
Lando retient, a l’article 9: 509 de ses propositions, la formule «agreed payment for
non-performance», qu’elle traduit par «clauses relatives aux consequences pecu-
niaires de l’inexecution». Contrairement a ce que semble envisager la Commission,
le recours a la demarche descriptive ne peut toutefois pas echapper au probleme de
la traductibilite. Chaque langue juridique, tout en participant d’une culture
juridique, s’inscrit ainsi dans une langue courante. Or, il n’est pas necessaire de
souscrire a l’ensemble de la cosmologie whorfienne pour admettre que chaque
structure langagiere interagit avec une realite culturelle, historique et sociale de
maniere particuliere, de sorte qu’il n’existe pas deux langues en mesure de rendre
identiquement une idee donnee [73, 76].6 Dans le cas du droit uniforme, la
traduction d’un concept specifique a l’aide de tout un ensemble de mots empruntes a
la langue courante et a la langue juridique, soit la demarche adoptee par la
Commission Lando pour eviter de devoir gerer les expressions «clause penale» et
«penalty clause», fait apparaıtre un cercle vicieux dans lequel la semantique risque
de s’enliser. En effet, les mots anglais «payment» et «non-performance», par
exemple, comportent bien une signification, elle aussi specifique, pour les common-
law lawyers anglais.
En outre, le recours a la co-redaction afin d’eviter des obstacles empechant
l’equivalence des differentes versions linguistiques du droit uniforme [49:
2208–2209] ne constitue en rien une panacee, ainsi que peuvent en temoigner les
jurilinguistes charges de l’elaboration des versions linguistiques des lois federales
5 Walford v. Miles, [1992] 2 A.C. 128, p. 138, Lord Ackner.6 Depuis quelques annees, la linguistique et la psychologie cognitives s’interessent a nouveau au
relativisme linguistique [75].
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au Canada et en Suisse [63]. En effet, meme une equipe de specialistes constituee de
juristes et jurilinguistes de tres haut niveau n’est pas en mesure de produire une
equivalence semantique entre les differentes formulations linguistiques d’un texte
juridique. Le postulat d’une identite de sens entre les differentes versions
linguistiques du droit uniforme se revele ainsi illusoire. En depit de la volonte du
legislateur, aussi affirmee soit-elle, la langue tend a preserver son authenticite et son
integrite, c’est-a-dire qu’elle dure.
Par ailleurs, la langue dure en ce qu’une fois le texte uniformisant traduit dans la
langue locale, cette langue locale meme doit encore faire l’objet d’une interpretation
par le juge local a l’occasion de tel ou tel autre litige. Or, une telle interpretation
sera le lieu d’une autre accentuation encore du caractere specifiquement local du
droit. Ceci signifie qu’au moyen de l’interpretation, la langue resiste pour ainsi dire
une deuxieme fois. Il convient de preciser l’argument.
L’objectif premier de la codification europeenne etant le developpement d’une
terminologie commune susceptible de surmonter les frontieres juridictionnelles [71:
221], elle se verra «obligee d’avoir le courage d’utiliser des mots qui soient d’une
part nouveaux, d’autre part faciles a retenir, afin d’evoquer immediatement, chez
tout expert, les bonnes associations d’idees» [69: 136; les italiques sont de moi].
Cette exigence rappelle le postulat selon lequel l’objectif premier de la traduction
juridique consisterait a produire un texte equivalent tant sur le plan du sens que sur
celui de l’effet, et ce afin de garantir une interpretation et une application uniformes
[62: 72]. Mais tout acte d’interpretation constitue une traduction. Ainsi, contrair-
ement a une approche scientifique largement repandue, la comprehension ne suit pas
une methode logique: des regles, aussi precises et rigoureuses soient-elles,
n’indiquent pas a l’interprete le droit chemin qui aboutirait a la «bonne»
comprehension [21]. Le texte, comme le souligne volontiers le traductologue, ne
recele pas «un» sens que l’interprete-explorateur viendrait y «decouvrir», un peu
comme l’archeologue revele l’amphore jusque-la cachee sous les paves ou comme
le directeur devoile la statue lors de telle ceremonie inaugurale. Au contraire, le sens
est pour ainsi dire «injecte» dans le texte par l’interprete qui, des lors, intervient
dans un processus de «creation» de sens, etant entendu qu’il doit composer avec les
elements formels qui lui sont proposes.
Aucune regle juridique n’etant auto-explicative, le juriste local devra en
determiner le contenu au vu du cas concret auquel elle doit etre appliquee. Il
n’en ira pas autrement d’une regle transnationale voulue uniforme. Comme l’ecrit
en effet Paul Ricœur, «entre la regle la moins contredite et son application il
demeure toujours un hiatus» [59: 165]. Certes, dans le cadre d’une legislation
uniforme, tout terme juridique doit s’entendre «abstraction faite du detail des regles
positives auxquelles il est associe dans un droit determine» [60: 48]. Toutefois, la
comprehension de la regle par l’interprete ne peut s’effectuer qu’a travers sa
«precomprehension» ou son «Vorverstandnis» [21: 289], c’est-a-dire au moyen
d’une visee prealable du sens. Les questions posees comme les conditions d’acces a
la realite sont ainsi anterieurement et inconsciemment faconnees par la tradition
culturelle et historique a laquelle appartient l’interprete. Des lors, le juriste ne peut
acceder au droit uniforme qu’a travers le prisme de sa langue, laquelle n’est pas un
moyen neutre qui lui serait exterieur, mais le vehicule meme de la tradition
Le Cas de l’Union Europeenne
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interpretative dont elle releve. «Nos langues parlent historiquement», nous rappelle
Heidegger, de telle sorte que «c’est le langage qui parle, et non l’homme» [32: 161].
Le «travail de l’histoire» a travers la langue n’est d’ailleurs pas completement
transparent; il depasse toute subjectivite alors meme qu’il la rend possible et la
limite. Par consequent, les interpretations du juriste ne sont jamais objectives mais
toujours conditionnees par la tradition qu’il habite et qui l’habite et qui, partant,
forme la substance de ses prejuges. Le traductologue demontre ainsi que s’applique
sans restriction au champ juridique le postulat hermeneutique selon lequel «on
comprend autrement si jamais on comprend» [21: 318; les italiques sont de l’auteur;
j’ai modifie la traduction]. L’interpretation uniforme du texte dans les differents
Etats membres de l’Union europeenne est donc impossible. Ici aussi, la langue—
entendons la langue locale—dure.
De maniere paradoxale, les langues locales affichent cependant une transience
qui constitue un autre obstacle insurmontable sur le chemin de l’uniformisation des
droits. Le probleme resulte du fait qu’aucun droit uniforme ne peut etre cree ex
nihilo. Il doit necessairement se fonder sur l’ensemble des legislations, des
jurisprudences et des doctrines nationales, a la suite d’etudes menees par des juristes
et universitaires venus de divers Etats membres de l’Union europeenne. Or, aucun
droit national n’est cense offrir un point de depart privilegie ni avoir une influence
decisive sur l’elaboration des regles ou principes retenus. Ainsi, l’on a pu dire que le
droit uniforme, tout en puisant ses «racines» dans les droits nationaux et en en
relayant les «valeurs economiques, liberales et sociales», devait en etre «equidis-
tant» et, en fin de compte, se montrer «neutre» par rapport a eux [71: 225]. Pour des
raisons d’ordre pratique et financier, l’anglais constitue toutefois la langue de travail
quasi exclusive des organismes voues a l’uniformisation [71: 192]. Si la decision de
faire de l’anglais l’unique moyen de communication engendre un immense
processus de traduction au sein des differents comites, la domination d’une langue
sur toutes les autres dans le cadre du processus d’uniformisation du droit fait
apparaıtre le caractere ephemere de la langue, du moins a deux egards.
Avant tout, la langue est ephemere en ce que l’imposition de l’anglais oblige la
grande majorite des juristes a travailler dans une langue qui leur est etrangere.
Chaque intervenant etant tenu de faire connaıtre son droit aux autres membres de tel
ou tel organisme devolu a l’uniformisation, ce discours ne peut se tenir que dans une
langue de travail commune, c’est-a-dire, a toutes fins utiles, l’anglais. Si, dans un
premier temps, la Commission Lando a pu s’accorder sur deux langues de travail, ce
bilinguisme a cependant ete rapidement abandonne en faveur de la seule langue
anglaise [60: 48]. Quant a lui, le groupe d’etudes sur un code civil europeen de M.
von Bar a de meme retenu l’anglais comme langue de travail [70: 4]. Diverses
raisons sont mises en avant par M. von Bar pour justifier ce choix.
Au premier chef, il n’existe pas d’autre langue europeenne dans laquelle
l’ensemble des participants pourraient discuter ou, du moins, a laquelle ceux-ci
accepteraient de conferer consensuellement le statut de «deuxieme langue» derriere
l’anglais. Par ailleurs, la traduction simultanee ne saurait etre retenue non seulement
a cause des couts impliques, mais encore parce que ce procede porterait atteinte au
«deroulement naturel» des debats. On peut penser, en outre, que le statut superieur
dont jouit l’anglais par rapport au francais, par exemple, va au-dela des justifications
S. Glanert
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d’ordre pratique: «alors que les Etats-Unis incarnent, sur un plan mythique, une
modernite egalitaire, politiquement, economiquement et culturellement forte,
renforcee de surcroıt par le souvenir de l’immigrant, artisan de sa propre existence»,
«la langue francaise renvoie a des formes politiques et economiques percues comme
perimees, et a des formes culturelles qui relevent de la nostalgie», ce qui «pourrait
[…] partiellement expliquer pourquoi elle a perdu une partie de sa seduction» [41:
198]. La decision des groupes Lando et von Bar de faire de l’anglais la langue de
travail s’inscrit donc dans un mouvement europeen plus general qui voit, par
exemple, la Commission europeenne, l’une des institutions communautaires les plus
productives, rediger la plupart de ses textes originaux en anglais, et qui temoigne,
par ailleurs, en depit du multilinguisme officiellement proclame, d’une presence
informelle de l’anglais toujours plus accentuee a tous les niveaux de la construction
europeenne [68: 100–105].
Reprenons brievement la problematique en ses entours concrets. Le juriste
italien, afin d’expliquer l’etat du droit italien relativement a une question donnee,
doit traduire les regles ou principes du droit italien dans la langue de travail. De
meme, son collegue allemand, qui entend faire connaıtre le point de vue allemand
quant a l’objet de la discussion, est contraint d’exprimer les idees juridiques
allemandes en langue anglaise. Une fois les differents droits traduits dans la langue
de travail, les echanges se deroulent en langue anglaise, devenue simple instrument
de communication et de redaction, donc reduite a une fonction pratique, technique
et utilitaire. Ainsi la langue locale, comprise ici comme «langue de tradition»—non
pas qu’au sens de «simple transmission», mais aussi en tant que «detention de
nouvelles possibilites de la langue deja parlee» [35: 41]—, s’efface rapidement
devant l’anglais: elle se fait ephemere.
Mais la langue anglaise, devenue la «mandataire» des langues nationales ne peut
remplir sa mission que de maniere imparfaite. En effet, la capacite de representation
de l’anglais—comme de toute langue d’ailleurs—est limitee, ce qui implique que
les divers intervenants anglophones doivent admettre d’inevitables accommode-
ments linguistiques. La designation de l’anglais en tant que langue de travail
dominante reflete une conception generale prevalant au sein des organismes voues a
l’uniformisation des droits selon laquelle le droit et la langue peuvent etre dissocies,
ce qui signifierait, par exemple, que le droit francais n’entretiendrait aucune relation
«necessaire» ou «exclusive» avec la langue francaise lorsqu’il s’agit pour lui de se
faire entendre [38: 659]. Affirmant la communicabilite entre individus qui
participent de langues et de cultures diverses, une telle approche a le merite de
mettre en lumiere le fait qu’une langue, en depit de ses particularites sur les plans
lexical et semantique, ne constitue en rien une entite cloisonnee, a la fois opposee et
exposee aux autres langues. En d’autres termes, l’hypothese inquietante d’un
«ghetto d’autisme linguistique» [44: 47] doit donc etre exclue. Qu’on se rappelle ici
l’argument de Walter Benjamin selon lequel les langues ont par essence vocation a
se traduire les unes les autres [2].
Il n’en reste pas moins que le decoupage de la realite n’est pas identique d’une
langue a l’autre comme peut en temoigner d’emblee la traduction du mot espagnol
«bosque» par l’allemand «Wald» [54: 436]. N’est-il pas «utopique» de croire que ce
que l’Espagnol comprend par «bosque» soit la meme chose que ce que l’Allemand
Le Cas de l’Union Europeenne
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entend par «Wald»? En effet, si un Espagnol associe deja «bosque» a un endroit ou
se trouvent ne serait-ce que quelques arbres, pour un Allemand le «Wald» evoque
l’image d’un vaste terrain sur lequel sont plantes de nombreux arbres. Cette
difference sur le plan des signifies s’explique par le fait qu’en Allemagne la surface
boisee est beaucoup plus importante que ce n’est le cas en Espagne. Transposons
maintenant la problematique a l’interieur des differentes communautes linguistiques
memes afin de mesurer toute son ampleur. Le mot «Wald», par exemple, connote-t-
il des images equivalentes chez un ouvrier de la Ruhr industrielle et chez un paysan
du Schwarzwald, la mythique Foret-Noire? Par ailleurs, la notion de «chaumiere»
evoque-t-elle les memes sentiments aupres de la jeune generation de Francais
d’aujourd’hui que de leurs grands-parents? En tout etat de cause, en appliquant a la
traduction les formulations philologiques d’Ortega y Gasset, il faut bien reconnaıtre,
d’une part, que «tout enonce est deficient» en ce qu’il ne dit pas tout ce qu’on veut
dire et, d’autre part, que «tout enonce est exuberant» dans la mesure ou il dit plus
que ce qu’on veut dire [55: 493].
Le droit n’est pas a l’abri de cette aporie. Comment, du reste, le serait-il? De la
meme facon que les mots «droit commun» ne peuvent pas rendre compte de la
realite juridique anglaise telle qu’elle s’exprime dans «common law», les
expressions «private law» et «public law» ne refletent guere le paysage juridique
francais ou il y est question de «droit prive» et de «droit public». Certes, la
traduction substitue ici mecaniquement les mots d’une langue a ceux d’une autre en
fonction des ressemblances sur le plan lexical. Mais «les seuls mots ne sont pas
encore des paroles», si bien que meme le «mot a mot» ne constitue pas une «fidelite
au mot» [36: 44]: «[p]ar la traduction, le travail de la pensee se trouve transpose
dans l’esprit d’une autre langue, et subit ainsi une transformation inevitable» [34:
10]. Voila la difficulte: «pour pouvoir acheminer un mot sans distorsion, on devrait
acheminer toute la langue qui l’enveloppe» [37: 372]. De plus, «[p]our traduire une
langue, ou un texte, sans en changer le sens, on devrait acheminer aussi ses lecteurs»
[37: 328]. Des lors, puisque le droit exprime dans une langue de travail donnee est
assujetti a ce que cette langue de travail permet de representer et puisqu’aucune
langue ne saurait autoriser une infinite de representations du monde, le phenomene
de transit obligatoire par la langue de travail ne pourra qu’entraıner pour les droits
en presence d’irreversibles mutations signifiantes.
Comment un juriste espagnol peut-il ainsi expliquer fidelement le droit espagnol
en anglais ou comment le juriste neerlandais peut-il dire loyalement le droit
neerlandais en anglais? Comment un juriste espagnol peut-il engager un dialogue
avec le droit neerlandais, comme cela est necessaire dans le cadre du processus
d’uniformisation des droits en Europe, alors meme que la traduction anglaise de ce
droit ne peut lui en fournir qu’une image imparfaite? Et comment le juriste
neerlandais peut-il dialoguer avec le droit espagnol lorsque celui-ci est rendu a
travers les limites intrinseques a la langue anglaise? Jacques Derrida souligne a juste
titre qu’«[i]l n’y a pas de metalangage traductologique qui ne soit assujetti, comme
idiome, au drame qu’il pretend formaliser ou traduire a son tour» [15: 223]. Ainsi
langue et droit nationaux ne peuvent que s’effacer devant la langue de travail
commune. Ici encore, la langue locale se fait ephemere face a l’anglais.
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En raison de ces deux caracteristiques fondamentales, quoique paradoxales, de la
langue locale—durabilite et ephemerite—toute affirmation selon laquelle la
formulation d’un droit uniforme serait possible doit etre recue avec scepticisme.
A ce stade, il vaut toutefois d’examiner un point de vue suggerant que l’impact
incontournable de la langue sur l’uniformisation du droit dans l’Union europeenne
puisse, malgre tout, etre esquive.
3
Professeur de droit a l’Universite de Copenhague, Anne Lise Kjær precise dans
son article, «A Common Legal Language in Europe», que «ce qui est commun,
ce n’est pas la langue des acteurs juridiques europeens, mais leur discours sur
le droit europeen» [39: 397; les italiques sont de l’auteur]. Selon la
comprehension que j’en ai, des auteurs comme le professeur Kjær, qui
valorisent l’emergence d’un discours juridique commun a l’interieur de l’Union
europeenne, considerent qu’il est ainsi possible d’echapper aux divergences
grammaticales, lexicales et semantiques qui existent entre les langues nationales
de maniere a ce que les difficultes de communication entre juristes issus de
differentes cultures puissent etre surmontees. Dans son article, «Towards a
European Civil Code Without a Common European Legal Culture? The Link
Between Law, Language and Culture», le professeur Ana Lopez-Rodrıguez, qui
enseigne egalement dans une faculte de droit danoise, souligne qu’«[a]
l’interieur d’un discours juridique commun, meme la diversite linguistique sera
un probleme mineur» [50: 1220].
Il importe de preciser ce que recele l’idee de «discours commun». Celle-ci
reposerait pour l’essentiel sur une prise de contact reguliere et l’etablissement d’un
dialogue continu entre juristes issus des differentes cultures juridiques europeennes.
Dans ce contexte, le legislateur europeen serait appele a jouer un role de premier
plan. D’apres Ana Lopez-Rodrıguez, par exemple, «[l]e legislateur europeen devrait
[…] promouvoir le developpement d’un discours juridique europeen commun par
l’entremise de la recherche juridique, l’education juridique et la creation progressive
d’une methodologie juridique commune. A l’issue de ce processus, une culture
juridique commune pourrait se cristalliser facilitant l’accomplissement d’une
veritable uniformite» [50: 1214; les italiques sont de l’auteur]. Pour sa part, le
professeur Kjær souligne que «[l]orsque le discours juridique devient international,
lorsque l’argumentation juridique n’est plus confinee au systeme juridique national,
lorsque des acteurs entrent dans une communaute internationale interpretative, les
fondements sont poses pour un changement de sens des concepts juridiques
nationaux refletant ce qui est ressenti dans un discours international, transculturel du
droit» [39: 394].
Pour les auteurs qui entendent surmonter les difficultes de comprehension entre
juristes europeens parlant des langues differentes par l’entremise de la creation d’un
discours commun, la pensee de Jurgen Habermas, eminent philosophe et sociologue
allemand, constitue un appui important [39: 394–395]. Representant le plus celebre
Le Cas de l’Union Europeenne
123
de la deuxieme generation de l’Ecole de Francfort,7 Habermas a elabore une theorie
de la societe s’articulant autour de la communication et soulignant ce qu’il estime
etre les capacites emancipatrices de la raison [65]. Dans son maıtre-ouvrage Theorie
des kommunikativen Handelns (Theorie de l’agir communicationnel), publie en
1981, il envisage ainsi une situation ou differents acteurs, tous capables de parler et
d’agir, sont a la recherche d’une entente permettant de coordonner leurs projets [28].
Dans le cadre de la theorie sociale proposee par Habermas, la langue occupe une
place cruciale. Selon cet auteur, le «modele communicationnel d’action presuppose
le langage comme un medium d’intercomprehension non tronque, ou locuteur et
auditeur, partant de l’horizon de leur monde vecu interprete, se rapportent a quelque
chose a la fois dans le monde objectif, social et subjectif, afin de negocier des
definitions communes de situations» [28, vol. I: 111]. Mais est-ce que des individus
qui ne partagent pas le meme monde vecu—ce qui, en principe, est le cas des
ressortissants des differents Etats membres de l’Union europeenne—sont veritable-
ment en mesure «de negocier des definitions communes de situations», selon la
formule d’Habermas, c’est-a-dire, en fin de compte, de communiquer et de dialoguer
efficacement les uns avec les autres? En particulier, il convient de se demander si les
langues nationales ne doivent pas etre considerees comme un obstacle a la
communication entre des acteurs originaires de differentes communautes culturelles.
Habermas ne semble pas remettre en question la fameuse these developpee par le
linguiste allemand Wilhelm von Humboldt selon laquelle chaque langue nationale
vehicule une vision du monde particuliere [73]. Toutefois, Habermas estime qu’une
communication entre differents acteurs peut reussir malgre l’existence d’une
diversite de langues: «Jusque dans le processus d’entente le plus difficile, toutes les
parties s’appuient sur le point de repere commun—quoique chaque fois projete a
partir du contexte propre—d’un consensus possible» [29: 178]. Bien que, concessio
non dato, la possibilite d’un discours commun entre personnes parlant des langues
differentes puisse etre consideree comme desirable, on comprend mal dans quelle
mesure des individus issus de communautes linguistiques differentes pourraient
partager ce que Habermas appelle «le point de repere commun […] d’un consensus
possible» [29: 178].
Selon moi, l’application de la theorie du discours telle que developpee par
Habermas dans le contexte de l’integration des droits dans l’Union europeenne
souleve au moins trois problemes importants qui doivent retenir l’attention. Tout
d’abord, le concept de «discours» n’est pas clairement defini et peut-etre, d’ailleurs,
n’est-il pas clairement definissable. A ce jour, il n’existe pas de consensus parmi les
theoriciens œuvrant dans les domaines de la linguistique et des sciences sociales
concernant le sens qu’il convient de conferer au terme «discours». En effet, toute
theorie du discours est necessairement la theorie du discours de quelqu’un, a savoir
d’un individue situe. Bien que les difficultes decoulant d’une telle indetermination
semantique ne soient pas specifiques a la theorie du discours, elles semblent poser un
obstacle particulierement significatif dans ce cas precis. N’est-il pas problematique,
7 L’Ecole de Francfort, d’allegeance neo-marxiste, s’est revelee tres influente dans les annees 1960 et
1970. On associe a leur critique sociale un groupe de celebres penseurs allemands parmi lesquels
comptent Theodor W. Adorno, Max Horkheimer et Herbert Marcuse [77].
S. Glanert
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en effet, que les partisans de la theorie du discours supposent la possibilite d’une
communication consensuelle alors qu’ils semblent eux-memes incapables d’en
arriver a un consensus relativement au sens du mot «discours» meme?
Par ailleurs, chaque discours—peu importe la definition qu’on en retient—
requiert l’usage d’une langue. Tous les individus qui souhaitent intervenir dans un
discours doivent ainsi se servir d’une langue determinee. Et si les participants au
discours sont issus de cultures differentes, comme c’est le cas dans l’Union
europeenne, il sera necessaire de mobiliser plus d’une langue pour que le discours
europeen puisse advenir. Du reste, l’idee d’un discours europeen se fait de plus en
plus complexe avec chaque langue qui vient s’ajouter a l’Union europeenne lors de
l’integration de nouveaux Etats membres. En d’autres termes, meme les auteurs qui
appuient le developpement d’un discours commun dans une situation transnationale
comme l’Union europeenne ne peuvent echapper aux problemes causes par la
traduction. Le fait est qu’aucune traduction ne peut accomplir une equivalence entre
les langues. En effet, la traduction, au lieu de creer une equivalence a partir de la
difference, fait ressortir la difference a partir de l’incommensurabilite.8 L’impos-
sibilite d’une communication a travers les langues qui en resulte me semble fort
bien rendue par le philosophe allemand Martin Heidegger dans une formule a la fois
puissante et economique: «[l]a langue est monologue» [33: 254; les italiques sont de
l’auteur; j’ai modifie la traduction].
Enfin, dans la mesure ou il se refere inevitablement a un objet, un discours requiert
un acte local d’interpretation et d’application. Supposons que deux juristes europeens
engagent une conversation ayant pour objet, par exemple, le concept des «droits
humains». Les interpretations qui seront offertes de ce concept au cours de cette
discussion entre ces deux juristes europeens vont necessairement faire appel a des
valeurs locales, telles des convictions religieuses ou des engagements ideologiques,
ceux-ci ne pouvant se manifester que sous la forme d’un savoir local. A mon sens,
l’irreductible enracinement de chaque conception des droits humains en question
dans un savoir local empechera l’emergence d’un discours commun. C’est a tort que
les partisans d’un discours commun estiment ainsi qu’il est possible de surmonter le
localisme. Comme le demontrent la philosophie hermeneutique du philosophe
allemand Hans-Georg Gadamer et la strategie de la deconstruction de Jacques
Derrida, il n’existe pas de criteres fiables qui nous permettraient d’arriver a la
conclusion que des acteurs europeens peuvent atteindre a un consensus discursif, ce
qui est peut-etre une autre facon de dire que n’importe quel discours sera toujours
influence par la langue, pour ne pas dire la culture, dont releve l’individu.
En 1960, a l’age de 60 ans, Hans-Georg Gadamer, philosophe allemand repute,
faisait paraıtre son maıtre-ouvrage Wahrheit und Methode (Verite et methode) [21].
Au cours des cinquante dernieres annees, non seulement la philosophie hermeneu-
tique de Gadamer est devenue la pierre d’angle de l’hermeneutique moderne, mais
elle a exerce une influence considerable sur un grand nombre de disciplines [51]. La
pensee de Gadamer cherche a mettre en lumiere de maniere detaillee les modalites
selon lesquelles se deroule le processus de comprehension [26: 91–92]. Gadamer
demontre ainsi que le comprendre est, au-dela de toute maıtrise subjective, un
8 Je m’appuie ici sur Meaghan Morris [53: xiii].
Le Cas de l’Union Europeenne
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evenement «sur-subjectif» que les individus subissent ou auquel ils participent,
plutot que de le determiner eux-memes. Ainsi, affirme-t-il, ce qui se passe lorsque
nous comprenons, «ce n’est pas tant de notre fait, mais de ce qui survient par-dela
notre vouloir et notre faire» [20: xvi]. Autrement dit, le comprendre, la capacite
d’habiter un monde, nous vient d’un ailleurs que nous ne pouvons jamais
parfaitement maıtriser.
La philosophie hermeneutique de Gadamer met l’accent sur la maniere dont «[l]e
langage est […] le medium universel dans lequel s’opere la comprehension meme,
qui se realise dans l’interpretation» [21: 410]. Deux consequences decoulent de ce
postulat primordial. Tout d’abord, la comprehension se deroule toujours deja dans la
langue de l’interprete. En fait, «[c]omprendre, c’est etre interpele par un sens,
pouvoir le traduire dans un langage qui est toujours necessairement [celui du
traducteur]» [27: 61]. Par ailleurs, l’objet de la comprehension se manifeste
necessairement par la langue. Tel est le sens de la celebre formule de Gadamer:
«L’etre qui peut etre compris est langage» [21: 500; j’ai modifie la traduction et
omis les italiques]. Autrement dit, le monde se presente toujours a l’interprete sous
forme de langage. Ainsi un ami, une maison, une ville ne constituent pas des
phenomenes physiques qui recoivent apres coup une designation. Au contraire,
l’ami, la maison et la ville ne peuvent etre compris que parce qu’ils se manifestent
toujours deja en tant que langage. A chaque fois que «je cherche a comprendre ce
qu’est quelque chose, je cherche un etre qui est deja langage et qui peut des lors etre
compris» [27: 63]. La langue est donc plus qu’un simple instrument entre les mains
de l’individu, qui serait a sa disposition.
Par l’entremise de la langue, l’interprete interagit activement avec l’objet
d’interpretation. Selon le philosophe, «le phenomene hermeneutique […] porte en
lui l’originarite (Ursprunglichkeit) du dialogue et la structure question-reponse»
[21: 393]. Le texte pose toujours une question a l’interprete et l’interrogation
remonte inevitablement en deca de ce qui est dit dans le texte. Cependant, se situant
en deca du dit, l’interprete va necessairement au-dela du texte. Ainsi le texte,
devenu l’objet d’interrogation de l’interprete, ouvre la possibilite d’une pluralite de
reponses. Mais, contrairement a ce qu’on pourrait etre tente de croire, les reponses
aux questions que souleve le texte ne sont ni neutres ni objectives. Comme le
souligne Gadamer, «ce que l’on se propose […] de comprendre, c’est le texte lui-
meme. Or, cela signifie que les idees propres a l’interprete participent toujours,
elles aussi et des le debut, au reveil du sens du texte» [21: 410; les italiques sont de
moi et j’ai omis ceux de l’auteur].
La philosophie hermeneutique postule que les prejuges et la tradition sont
constamment a l’œuvre dans toute comprehension. C’est dire que la comprehension
d’un objet, tel un texte ou une œuvre d’art, implique inevitablement la projection
d’un certain sens. D’apres Gadamer, «[q]uiconque veut comprendre un texte realise
toujours une ebauche. Des que se montre un premier sens dans le texte, l’interprete
se donne en ebauche un sens du tout. A son tour ce premier sens ne se dessine que
parce qu’on lit deja le texte, guide par l’attente d’un sens determine» [21: 287–288;
les italiques sont de moi]. Ces propos du philosophe se fondent sur la these que
defendait deja Heidegger relativement a la «pre-structure» de toute comprehension
[34: 196]. Ce dernier soutenait, en effet, que «[q]uoi qu’il en soit—l’explicitation
S. Glanert
123
s’est, selon les cas, deja decidee, a titre definitif ou provisoire, pour un appareil
conceptuel determine; elle se fonde sur une saisie prealable» [34: 196; les italiques
sont de l’auteur]. Toutes les projections interpretatives du sens relevent ainsi
necessairement de la situation de l’interprete. Avant meme d’entreprendre
l’interpretation d’un objet, l’individu a toujours deja place celui-ci dans un certain
contexte, aborde a partir d’une certaine perspective et concu d’une certaine facon.
Comme le souligne Hans-Georg Gadamer, «[v]ouloir eviter ses propres concepts
dans l’interpretation n’est pas seulement impossible, mais manifestement absurde»
[21: 419]. Or, les presupposes qui guident l’interpretation ne sont pas strictement
subjectifs puisqu’ils incorporent des preoccupations developpees dans la tradition
historique dont participe l’interprete et qui le depassent. Gadamer eleve ainsi le
«travail de l’histoire», la «Wirkungsgeschichte», au rang d’un principe fondamental
a partir duquel peut etre deduite toute son hermeneutique [21: 284].9 Il demontre
ainsi que la tradition a laquelle appartient l’interprete influence toujours consciem-
ment ou inconsciemment le processus de comprehension. Par consequent,
contrairement a ce qu’affirment les partisans d’un droit prive europeen uniforme,
il est impossible d’etablir un discours juridique commun, car comme le rappelle la
philosophie hermeneutique de Gadamer et ainsi qu’il est utile de le redire, «on
comprend autrement si jamais on comprend» [21: 318; les italiques sont de l’auteur;
j’ai modifie la traduction].
Bien que la pensee de la deconstruction s’oppose a de nombreux egards a
l’approche hermeneutique, Derrida souscrit a la these de Gadamer relativement a ce
qu’on pourrait appeler la «comprehension differentielle». Considere comme le
philosophe francais ayant eu l’impact le plus important sur la vie intellectuelle du
XXe siecle [64], Jacques Derrida a aborde un grand nombre de sujets. Au cours de
sa carriere, il a publie des dizaines de livres, dont la plupart ont ete traduits dans
plusieurs langues, abordant des themes aussi varies que la peinture, l’amitie, la
religion et la souverainete, sans mentionner la photographie, la psychanalyse ou le
don. Derrida a consacre une tres grande partie de sa reflexion a une etude critique de
la notion de texte et a l’interpretation des textes. Son nom est etroitement associe a
la «deconstruction»—une pratique d’analyse textuelle qui vise a demontrer que les
termes servant de fondement du texte sont en realite le produit de disjonctions
exclusives, c’est-a-dire de choix importants accompagnes par une marginalisation
ou suppression d’autres discours inherents au texte meme. En portant une attention
particuliere a la pluralite des discours, la deconstruction souhaite revaloriser
l’alterite et contribuer au developpement de l’hospitalite et de la justice. Lorsqu’il
lui a ete demande d’expliquer sa philosophie, Derrida a repondu par une formule
succincte qui reflete pleinement la primaute qu’il accorde a l’heteronomie: «Si
j’avais a risquer, Dieu m’en garde, une seule definition de la deconstruction, breve,
elliptique, economique comme un mot d’ordre, je dirais sans phrase: plus d’une
langue» [8: 38; les italiques sont de l’auteur].
9 J’adopte ici la traduction de Jean Grondin qui suggere de rendre «Wirkungsgeschichte» par «travail de
l’histoire». La notion de «travail» temoigne, mieux que le mot «effet», qui serait la traduction litterale de
«Wirkung», de l’idee selon laquelle c’est l’histoire qui agit en nous, qui nous penetre et nous travaille par-
dela ce qu’en peut soupconner notre conscience [25: 214].
Le Cas de l’Union Europeenne
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Derrida, bien qu’il s’inspire, a l’instar de Gadamer, de la philosophie de
Heidegger—«[r]ien de ce que je tente n’aurait ete possible sans l’ouverture des
questions heideggeriennes» [5: 18], n’a-t-il pas hesite a ecrire—, en retient surtout
les aspects les plus radicaux en s’eloignant ostensiblement lorsqu’elle lui paraıt trop
timoree. Si la these de Gadamer se manifeste, somme toute, comme une reflexion
consensuelle, apaisee, hegelienne [21: 328; voir, generalement, [19], celle de
Derrida defend, sans concession, une pensee du malentendu. D’emblee, Derrida
retient une conception de l’interaction entre le soi et l’autre qui trouve son
expression dans une belle formule de Samuel Beckett, ecrivain dont il se sentait tres
proche [12: 60–62], selon laquelle «leur maniere d’etre nous n’est pas la notre et
notre maniere d’etre eux n’est pas la leur» [1: 25].
Quoiqu’insistant sur la fidelite a l’autre, et notamment au texte, Derrida fait deux
constats principaux: d’une part, hors d’atteinte et inappropriable, le «reel» (et,
notamment, le «reel» d’un texte) est, a la limite, immontrable «comme tel», c’est-a-
dire «tel qu’en lui-meme» [16: 198]; d’autre part, puisque «les mots et le langage en
general ne sont et ne peuvent jamais etre des objets absolus», «l’equivocite est en
fait toujours irreductible» [4: 106; les italiques sont de l’auteur]. Il faut bien voir que
meme en ce qu’elle refute l’hermeneutique en tant que procedure normalisatrice
organisant la communication, la deconstruction entend preserver l’idee de
conversation. Au beau milieu de la «polytonalite immaıtrisable, [des] greffes,
intrusions, parasitages» [7: 67], «[m]ille possibilites resteront toujours ouvertes»
[10: 122]—une interpretation etant foncierement tributaire de l’ «equivocite», par
exemple, de l’ambiguıte grammaticale, de l’instabilite syntaxique et de l’indeci-
dabilite semantique, mais aussi de la situation de l’interprete. Ce n’est donc pas que
Derrida defende l’absence de sens ou de «verite», mais bien qu’il revendique le
caractere plethorique du «sens» ou de la «verite» du texte. C’est ainsi que la
deconstruction, alors qu’elle entreprend de demanteler les montages institues a la
suite de decisions et d’exclusions, evite toute strategie de dechiffrement aux accents
metaphysiques qui consisterait a percevoir «un» sens ou «une» verite derriere les
mots du texte, notamment parce que l’identification «du» sens ou de «la» verite d’un
texte supposerait que le texte soit accessible a son interprete dans sa plenitude. Or,
un tel phenomene de «presence» totale n’est pas possible, et ce pour deux raisons au
moins.
Premierement, «le ‘texte’ ne se redui[t] pas […] a la presence sensible ou visible
du graphique ou du ‘litteral’» [5: 87–88]. Ce qu’on appelle le «texte» est constitue
de mots qui recelent des traces participant d’autres discours (ainsi, un texte
«juridique» est constitue de mots recelant des traces «politiques», «economiques»
ou autres). Un texte, c’est cela, soit une accumulation de traces heterogenes qui,
quoiqu’elles ne soient pas visibles au meme titre que la dimension graphique des
mots, n’en sont pas moins presentes en ceux-ci. Selon Derrida, «le texte est hante
par […] une quasi-logique du fantome qu’il faudrait substituer, parce qu’elle est
plus forte qu’elle, a une logique ontologique de la presence» [14: 68]. Deuxiemement,
l’interprete est situe, ce qui l’empeche de voir certains aspects du texte. Selon une
formule qui revient frequemment dans les textes de Derrida, ces deux limites a
l’interpretation representent un «double bind» [7: 415], c’est-a-dire une double
contrainte pesant sur l’interpretation.
S. Glanert
123
Puisqu’un texte n’est jamais complet—les traces s’enchaınent a l’infini car
«[t]out commence avant de commencer» [13: 255–256] (c’est-a-dire qu’il y a
toujours une autre trace derriere la trace qui aura retenu l’attention de l’interprete)—
et comme l’interprete intervient en tant que «soi greve»,10 il n’y a pas «un» sens du
texte auquel un interprete, meme rigoureux, aurait acces. Derrida ecrit ainsi: «[i]l
n’y a donc pas une verite en soi, mais de surcroıt, meme pour moi, de moi, la verite
est plurielle» [6: 83]. Ainsi, pour Derrida, la memete ou la congruence entre
l’interpretans et l’interpretandum—par exemple, entre le texte et l’interprete—n’est
tout simplement pas envisageable. L’etre-au-monde, ou l’etre-la («Dasein»), qui,
selon Heidegger, implique un etre-avec («Mitsein»), fait place chez Derrida a une
experience primordiale de la singularite. Derrida, rejetant l’idee de «Mitsein» [52:
30–58], refuse de croire a l’accord [9: 45; voir, generalement, [57]. Il y a la
singularite, et la singularite demeure. Le propos de Derrida, prononce en decembre
2002, durant sa toute derniere annee universitaire a l’Ecole des hautes etudes en
sciences sociales, donc peu de temps avant sa mort, reste d’une grande exigence. Il
dit ce qui suit: «[e]ntre mon monde, le ‘mon monde’, ce que j’appelle ‘mon monde’,
et il n’y en a pas d’autre pour moi, tout autre monde en faisant partie, entre mon
monde et tout autre monde, il y a d’abord l’espace et le temps d’une difference
infinie, d’une interruption incommensurable a toutes les tentatives de passage, de
pont, d’isthme, de communication, de traduction, de trope et de transfert que le desir
de monde ou le mal de monde […] tentera de poser, d’imposer, de proposer, de
stabiliser. Il n’y a pas de monde, il n’y a que des ıles» [17: 31]. Selon Derrida, la
comprehension est inevitablement vouee a l’echec.
4
Lorsque la theorie procedurale d’Habermas exprime le desir d’aller «au dela de
l’ethos concret d’une communaute particuliere ou d’une vision du monde articulee
dans une tradition particuliere» [30: 386], elle revele a quel point elle se trouve, au
fond, mal adaptee a une situation dans laquelle interagissent 24 langues, comme
c’est le cas dans l’Union europeenne. A mon sens, Habermas ne fait tout
simplement pas preuve de la sensibilite qui lui permettrait d’aborder la problema-
tique transculturelle de maniere convaincante. D’ailleurs, l’un de ses critiques
souligne a quel point «Habermas […] ne prete pas l’oreille a la pluralite des voix
dans laquelle la raison peut s’exprimer» [40: 86]. Des lors, le projet d’un discours
commun, tel que defendu par Habermas, ou celui d’un discours juridique commun
en Europe, tel que favorise par certains juristes europeens, doivent etre consideres
comme illusoires, car ces arguments sont fondes sur l’idee qu’un consensus
discursif peut etre atteint malgre la presence d’une pluralite de langues nationales
interpretatives. Mais cette these ne resiste pas au fait de l’incommensurabilite des
langues et ne peut donc relever que de ce qu’on appelle si bien, en langue anglaise,
le «wishful thinking».
10 Voir, pour cette formulation (en anglais, «embedded self»), Michael J. Sandel [64: passim].
Le Cas de l’Union Europeenne
123
Je veux, en terminant, souligner combien l’impossibilite d’un discours juridique
commun ne doit pas etre envisagee negativement. Au contraire, nous devons
valoriser les differences en matiere de communication et d’interpretation car celles-
ci demontrent les benefices qui decoulent d’une dynamique interculturelle. C’est
precisement l’absence d’un discours commun qui favorise la formation d’une
pluralite de points de vue et, des lors, encourage la reflexion chez chaque
interlocuteur. On peut, pour simplifier, voir les choses comme ceci: quel est l’interet
d’aller au cafe avec une personne dont le discours est pareil au mien? Qu’est-ce que
mon interlocuteur et moi pouvons donc retirer d’un hypothetique discours commun?
Je serais confirmee dans mes pensees et ainsi rassuree de ne pas avoir a les
interroger plus avant? Et il en irait de meme pour mon interlocuteur? Et nous nous
arreterions ainsi de reflechir? Mais l’enjeu ne reside-t-il pas plutot dans la mise a
l’epreuve de nos convictions face a un interlocuteur qui ne nous comprend pas bien,
qui n’arrive pas vraiment a penser comme nous? N’est-ce pas precisement la
difference, voire le malentendu, qui se revele fructueux pour chacun de nous, qui
nous oblige a aller plus loin dans notre cheminement intellectuel?
J’aimerais conclure mon propos avec un enonce de Derrida: «nous avons en
commun de savoir que nous n’avons rien en commun» [18: 58; les mots sont de
Derrida]. Je souhaite ajouter qu’a mon sens, cette situation n’est pas du tout une
mauvaise chose, notamment lorsqu’il est question de la construction du droit prive
dans l’Union europeenne.
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