35
o AUPElF NOTES DE RECHERCHE N° 92 - 25 FINANCEMENT DE LA PETITE ET MOYENNE ENTREPRISE A TOUMODI (COTE-D'IVOIRE) : L'ILLUSION INFORMELLE Y.-A. FAURE RESEAU THEMATIQUE "ENTREPRENEU R lAT" UNIVERSITE DES RESEAUX D'EXPRESSION FRANÇAISE Bureau Européen UREF / AUPELF 192, boulevard Saint Germain 75007 Paris (FRANCE)

AUPElF NOTES DE RECHERCHE

  • Upload
    others

  • View
    1

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: AUPElF NOTES DE RECHERCHE

oAUPElF

NOTES DE RECHERCHE

N° 92 - 25

FINANCEMENT DE LA PETITE ET MOYENNE

ENTREPRISE A TOUMODI (COTE-D'IVOIRE) :

L'ILLUSION INFORMELLE

Y.-A. FAURE

RESEAU THEMATIQUE

"ENTREPRENEU RlAT"

UNIVERSITE DES RESEAUX D'EXPRESSION FRANÇAISE

Bureau EuropéenUREF / AUPELF

192, boulevard Saint Germain75007 Paris (FRANCE)

Page 2: AUPElF NOTES DE RECHERCHE

FINANCEMENT DE LA PETITE ET MOYENNE ENTREPRISE ATOUMODI (COTE-D'IVOIRE) : L'ILLUSION INFORMELLE

Y-A. FAURE,Maître de conférences des Universités

Institut Français de Recherche Scientifiquepour le Développement en Coopération (ORSTOM)

La diffusion de ce document a été assurée dans le cadre du Réseau "Entrepreneuriat" de ['UREF/AUPELF.

Page 3: AUPElF NOTES DE RECHERCHE

Note de recherche n° 92/25

Yves-A. FAURE : Financement de la petite et moyenne entreprises à Toumodi

(CÔte d'Ivoire) ; l'illusion informelle

Mots-clés Financement, petite et moyenne entreprise, CÔte d'Ivoire

RESUME : L'évaluation des parts respectivement occupées par les circuits

institutionnels et par les réseaux informels, l'analyse du potentiel de soutien

dynamique aux activités d'entreprise représenté a priori par les concours

non bancaires figurent parmi les principales préoccupations de recherche

dans le domaine du financement de la PME africaine. Une enquête menée en

CÔte-d'Ivoire auprès de chefs de petites et moyennes entreprises souligne le

rÔle essentiel joué par l'autofinancement, la rareté des crédits officiels et la

place fort relative des concours informels. La nature réelle du processus

d'accumulation en vigueur au sein de ces PME conduit à ne pas exagérer

l'importance de l'obstacle financier au développement des entreprises et,

parallèlement, à ne pas fonder de trop grands espoirs sur l'explosion de

l'offre informelle de services financiers.

Page 4: AUPElF NOTES DE RECHERCHE

INTRODUCfION

Longtemps méconnu par les études économiques et sociales relatives à l'Afrique, lemonde des activités informelles a fait l'objet d'innombrables analyses à partir des annéessoixante-dix, principalement sous l'impulsion d'organismes multilatéraux comme le Bureauinternational du travail (BIT) ou à la suite d'initiatives prises par des établissements oulaboratoires de recherche (ORSTOM à Paris, Centre d'économie du développement -CED- àBordeaux, etc. pour se limiter ici à quelques exemples dans le champ français del'africanisme). Cependant, en dépit de l'intérêt majeur que représentaient ces investigationspour la compréhension des problèmes de développement, en dépit de la justesse desimpératifs scientifiques qu'elles servaient en vue de connaître des secteurs d'activitééconomique souvent prépondérants en terme de contribution aux PŒ, en dépit également del'extrême variété des études réalisées et de l'accumulation des résultats et informationsobtenus (1), les analyses des activités économiques informelles se sont essentiellementfocalisées sur deux ou trois thèmes dominants : le marché de l'~mploi, la distribution desrevenus, le volume des immobilisations. Quant aux vifs ~t passionnés débats nés au fur et àmesure que le paradigme informel s'enrichissait de nouveaux travaux, ils ont jusqu'ici portéprincipalement sur les deux questions de la définition du secteur (approche notionnelle etcritériologique) et du type de reproduction qui y prévaut (2).

C'est tout le mérite des équipes et des chercheurs mobilisés et fédérés par l'Universitédes réseaux d'expression française (UREF) au sein de l'AUPELF d'avoir à la fois opéré unerelance collective des investigations et élargi les thèmes d'analyse des univers économiquesinformels à la question générale du financement des activités: identification des diversessources -institutionnelles et non institutionnelles- de formation des capitaux ; évaluation deleur part respective à chaque stade de la vie de l'entreprise ; repérage des circuits etévaluation des dynamismes financiers non bancaires, de leur potentiel de soutien audéveloppement entrepreneurial (3).

La faillite des schémas de développement qui confiaient aux Etats, notamment enAfrique, la charge exclusive de la modernisation sociale et économique, l'idéeprogressivement admise selon laquelle aucune croissance solide et durable ne sera possiblesans l'activité d'un secteur entrepreneurial privé dynamique et prospère (4), les échecs avérés

(1) Outre les nombreuses études réalisées sous les auspices du BIT et publiées, pour certaines d'entre elles, sousson sceau, on signalera très arbitrairement trois suppons récents qui suffisent à suggérer le nombre et la variétédes investigations consacrées au "secteur informel" : le volume édité par l'OCDE/OECD : Turnham, Salomé,Schwartz 1990; celui édité par le CED de l'Université de Bordeaux l : Penouil et Lachaud 1985; enfin la revueChroniques du SUD publiée par l'ORSTOM 1991 comprend dans une recension plus large les dernieres analysesfaites par quelques-uns de ses chercheurs sur les activités informelles en Afrique.(2) Pour deux exemples de ces débats on renverra sélectivement à Charmes 1990 (sur le problème de ladéfinition) et à de Miras (sur le problème de la reproduction). On n'oubliera pas en outre de citer l'article de LePape 1983 qui proposait l'une des premières réflexions critiques sur le sens des études informelles.(3) Il ne s'agit bien en effet, à strictement parler, que d'une relance massive et donc significative d'orientationsde recherche déjà abordées dans des travaux ponctuels, extrêmement rigoureux mais aux résultats faiblementdiffusés. On songe par exemple ici à l'excellente étude de Benoit Lootvoet 1988 sur les commerçants et artisansde Côte-d'Ivoire qui présente des résultats très précis sur le financement des petits établissements. Le nouvelélan scientifique engagé sous les auspices du réseau "Entrepreneuriat" de l'UREF/AUPELF s'est, par exemple,concrétisé dans les publications majeures suivantes: l'ouvrage collectif édité sous la direction de GeorgesHénault et Rachid M'Rabet 1990 consacré à un tour d'horizon des problèmes de l'entreprise en Afriquefrancophone, le livre publié sous la direction de Michel Lelart 1990 relatif aux systèmes tontiniers, la sérieégalement des "Notes de recherche" du réseau "entrepreneuriat" diffusée directement sous le sceau del'UREF/AUPELF et qui, depuis 1989. a accueilli plus d'une vingtaine d'études portant s.:u- les financements etcircuits financiers informels.(4) Par-delà les excès idéologiques et les erreurs de politique économique liés au courant néo-libéral qui s'estimposé avec une décennie d'ajustements structurels (l'interventionnisme étatique en Afrique subsahariennerépond à des raisons objectives et ne peut être réduit, comme le croient trop aisément les expens de la Banque

l

Page 5: AUPElF NOTES DE RECHERCHE

des systèmes bancaires officiels, les nécessités d'une mobilisation efficace de l'épargneintérieure pour soutenir des activités économiques échappant désormais à la sphère publiquesoit au plan complet de leur organisation soit même au seul plan de leur financement (crédits,subventions, etc.), des circuits financiers publics exsangues et tous contraints par une detteextérieure fort élevée, figurent sans doute parmi les grands détenninants qui inspirent l'intérêtaccordé désonnais aux financements infonnels d'entreprise.

Dans cette nouvelle conjoncture politique, économique et intellectuelle qui tend d'unepart à moins méconnaître les réalités entrepreneuriales africaines et d'autre part à élucider lessystèmes financiers informels, des progrès significatifs de connaissance ont été accomplisdans le domaine des tontines, ces associations rotatives d'épargne et de crédit, auxmanifestations multiples dans le monde mais toutes assises sur des pratiques sociales solideset anciennes. Sous l'égide de l'UREF/AUPELF de nombreuses études ont décrit avec minutieles systèmes tontiniers en vigueur au Cameroun, au Sénégal, au Niger, au Bénin, au Togo,etc., pour ce qui concerne le seul espace francophone africain subsaharien. Ces travaux ontl'avantage de lever enfin le voile sur des phénomènes largement répandus mais jusqu'ici peuanalysés, pennettent d'en expliciter les mécanismes techniques et d'en comprendre lescontextes sociaux, de suggérer entïn l'importance -en toute hypothèse considérable- despratiques financières informelles.

Cependant, si ces études, la plupart produites récemment, permettent de faire reculerchaque fois davantage les obscurités et les mystères d'un monde resté jusque-là "souterrain"ou "parallèle", elles ne règlent pas pour autant l'ensemble des problèmes que 'pose la financeinformelle sous l'angle du développement en général et de l'épanouissement d'un milieuentrepreneurial solide en particulier. En premier lieu si les tontines représentent lesmanifestations les plus spectaculaires des pratiques financières populaires, celles-ciempruntent -s'il est permis d'utiliser un tel tenne sur le sujet!- d'autres formes telles que lesactivités de gestion des dépôts assurées par les innombrables banquiers de rue des villesafricaines et gardes-monnaie villageois ou encore les fonnules d'avances et de prêts -plusrarement de dons- consentis dans les réseaux lignagers et les configurations coinmunautaires.En s'en tenant à ces seuls exemples, parmi d'autres, le tableau des circuits fmanciers noninstitutionnels devient sensiblement plus complexe et plus diversifié dont seul un bilanintégrant l'ensemble des pratiques fmancières infonnelles restituera la richesse car lessituations pratiques des ménages et des entrepreneurs se caractérisent couramment par descombinaisons de plusieurs techniques infonnelles.

En outre les nombreuses études sur les systèmes fmanciers infonnels n'éclairentencore que très modestement la question de leurs fonctions dans la capitalisation desentreprises. D'une manière générale la part relative occupée par le financement des petits etmoyens établissements de production, de services et de commerce dans l'ensemble des fluxfinanciers infonnels et autres réseaux populaires de mobilisation d'épargne demande encore àêtre mesurée précisément. Quelle est l'importance des apports non bancaires dans laformation du capital initial et dans les investissements complémentaires éventuellementréalisés au cours du cycle de croissance de l'entreprise? Peut-on induire de l'étendue et de lamultiplicité des pratiques financières infonnelles l'ampleur des sources non institutionnellesde capitaux des entreprises petites et moyennes en Afrique subsaharienne ? Les systèmestontiniers si répandus dans le sous-continent remplissent-ils un rôle clair et net dans lemontage financier des affaires, les fonds qu'ils servent sont-ils utilisés, et jusqu'à quel point, àdes fins d'entreprise, au financement de leurs activités économiques ? La rareté, voirel'impossibilité d'accès au crédit bancaire constatées dans la plupart des études des PME enAfrique subsaharienne sont-elles compensées par une mobilisation financière sur des bases

mondiale, au simple jeu pervers de "distorsions politiques", le secteW' privé ne se substiblera pas sous n'importequelle condition à un secteW' public et parapublic certes défaillant dans les domaines de la production et de lacommercialisation, ete.), on peut s'accorder sur un constat minimal de carence des pouvoirs publics en matièreéconomique et sur des scénarios réalistes de sonie de crise associant les forces du marché et d'indispensablesstructures d'Etat. maintenues mais rendues plus efficaces. Concernant les effets des politiques d'ajustement sW'la situation des micro-entreprises. cf. Hugon 1988.

Page 6: AUPElF NOTES DE RECHERCHE

infonnelles ? Les "problèmes d'argent" souvent évoqués par les petits entrepreneurs pannileurs plus pressantes préoccupations signifient-ils que des solutions sont recherchées ettrouvées par eux dans les circuits et dans des fonnules non institutionnelles?

Telles sont quelques-unes des questions que la littérature à présent disponible sur lesujet laisse encore en suspens. En la matière les premiers faits minutieusement relevés et lespremières mesures opérées par les chercheurs n'ont pas totalement balayé le flot desdémarches impressionnistes et des formules logiques -pour ne pas dire tautologiques- quiorientent les observations. Peut-on par exemple s'en tenir à l'énoncé du principed'endogénéité pour caractériser les processus de financement dans le secteur des activitéséconomiques infonnelles ? De plus deux séries de remarques suggèrent des décalages entrel'ampleur socialement constatée des formules financières infonnelles et l'importance réelle deleur concours à la capitalisation des entreprises petites et moyennes sur le sol africain. Enpremier lieu les études portant sur les PME et les établissements infonnels (en Côte-d'Ivoire,au Ghana, au Niger, etc.) et qui se sont entre autres choses attachées à décomposer leurévolution et leur srrucrure fmancières, si elles convergent toutes sur la conclusion de la raretédes crédits bancaires, ne suggèrent pas non plus que les financements obtenus des circuitsinfonnels atteignent une ampleur significative. En second lieu les multiples monographiesréalisées sur diverses fonnules de tontines en vigueur dans de nombreux pays africainssemblent indiquer -quand encore l'observation a pu en être faite- la faiblesse des utilisationsdes fonds mobilisés pour les besoins de l'entreprise.

Le texte de la présente communication a pour modeste ambition d'apporter depremières réponses précises à ces questions en rendant compte des résultats d'une recherchede terrain réalisée dans une ville moyenne de Côte-d'Ivoire. Les conditions de conduite desinvestigations, les caractéristiques de la population entrepreneuriale enquêtée donnent àpenser que les résultats obtenus, sans être rigoureusement et strictement exrrapolables,reflètent cependant assez bien la situation financière des petites et moyennes entreprises pourl'ensemble de la Côte-d'Ivoire. Ces résultats tendent à tempérer les trop fortes attentes quipèseraient sur les systèmes infonnels -notamment tontiniers- pour venir au secours des PMEafricaines en mal de financement. Les réalités économiques et sociales objectivementrestituables par l'analyse ne doivent pas forcément conduire à "désespérer l'infonnelfinancier" mais elles incitent à ne pas sombrer dans un enchantement anthropologique quiverrait hâtivement dans le génie populaire financier la clef de la prospérité économique desentreprises et. partant, la solution à certains obstacles au développement.

Les conditions de l'enquête et les caractéristiques principales de la population despetits entrepreneurs observés seront précisées dans une première partie. Les résultats desinvestigations financières et les interprétations qu'ils nous semblent autoriser en premièresréponses apportées aux problèmes et questions soulevées ci-dessus constitueront la matière dela seconde partie de cette communication.

1. PETITS ET MOYENS ENTREPRENEURS DE TOUMODI ET DE COTE­D'IVOIRE

Des indications seront successivement fournies, en premier lieu relativement auxmoyens et orientations de l'enquête, en deuxième lieu quant aux caractéristiques socio­démographiques des entrepreneurs observés, enfin en troisième lieu sous le rapport desconditions et résultats de l'activité économique de ces PME toumodiennes.

1.1. Conditions techniques de l'enquête et représentativité des entrepreneurs interrogés

Toumodi fait partie de ces villes moyennes ivoiriennes dites de l'intérieur quel'important croît démographique d'Abidjan et la polarisation, au sein de cette métropole, despectaculaires moyens et ressources ont longtemps reléguées au rang de pôles urbains àfonctions sociales et économiques jugées secondaires. Des analyses récentes et rigoureusesrelevant de diverses disciplines (histoire, démographie, géographie, sociologie, économie)pennettent à présent d'avoir une appréciation beaucoup plus nuancée et exacte de la vigueur

3

Page 7: AUPElF NOTES DE RECHERCHE

des mouvements humains et des activités productives qui n'ont cessé en fait de dynamiser cescentres urbains secondaires de Côte-d'Ivoire (5). Située à quelques deux cents kilomètresd'Abidjan, ancienne ville d'étape sur l'axe reliant.la basse Côte au nord du pays, anciencarrefour marchand (6), Toumodi, peuplée d'un peu plus de 22.000 habitants selon lesindications du dernier recensement national de 1988 (7), est représentative de cesagglomérations de l'intérieur qui, sans atteindre les taux élevés de croissance humaine etéconomique observés çà et là en Côte-d'Ivoire, ont constitué un front urbain attirant en réalitéune partie importante des flux migratoires régionaux et transnationaux et devenant des bassinsd'activités économiques en expansion tant en ce qui concerne les établissements relevant du

.. secteur informel que les petites et moyennes entreprises plus structurées (8). Et, de fait,s'agissant strictement de cette population de PME formelles, les indications relevées àToumodi ne présentent aucune significative singularité par rappon à d'autres centres urbainsivoiriens pour lesquels des informations sont également disponibles, tout aussi bien pour cequi concerne la densité des établissements que leur répartition par taille ou encore leurventilation trisectorielle. C'est déjà suggérer que, sous certaines conditions, la situationobservée à Toumodi peut autoriser quelques généralisations à l'échelle nationale.

L'enquête a exclusivement poné sur des chefs d'entreprises dont les activités relèventde l'économie privée non agricole et qu'ils exercent dans des locaux professionnels. Lespoints d'activités informelles, extrêmement nombreux à Toumodi comme dans les autresvilles ivoiriennes, ont donc été exclus du champ de la recherche, qu'il s'agisse des activités àdomicile, des activités de rue (itinérantes ou sédentaires) et des activités de marché pratiquéeshors boutiques ou encore des activités strictement saisonnières (qui, d'un point de vue fiscal,soit n'acquittent aucun impôt, soit sont soumises à un régime de taxes journalières alimentantle budget communal). Pour nous résumer ont donc été observés des exploitants de ce qu'onest véritablement en droit d'appeler des "entreprises" -en tant qu'entités pennamentes etorganisées au sein desquelles sont combinés des facteurs de production. Si la plupart de cesunités de production, de service et de commerce sont de petite dimension et s'il existequelques obstacles -statistiques et administratifs-à les classer dans le secteur dit "moderne" del'économie, il s'agit, répétons-le fermement, bel et bien d'entreprises et d'entrepreneurs quiéchappent à la condition précaire, instable du monde informel.

En fait, pour mieux caractériser encore le type d'entreprises observées on peut lessituer par rapport à la grille morphologique suivante, extraite de Fauré 1989, qui permet destructurer l'univers des entreprises en Côte-d'Ivoire. li est possible d'identifier 3 ensembles et5 classes d'entreprises. Le premier ensemble, constitué d'une seule classe, est formé par les2.500 entreprises environ du secteur dit moderne couvert par la Centrale de bilans. Undeuxième ensemble, qu'on peut légitimement, à la suite de Oudin 1985, désigner commesecteur intermédiaire, lui aussi constitué d'une seule classe de PME et de gros artisans,acquitant la grande patente (pouvant globalement passer pour un indicateur de taille puisquecet impôt croise volume d'affaires et valeur de l'équipement), comprend environ 32.000entreprises. Enfin un troisième ensemble, désigné habituellement comme secteur informel, estconstitué de 3 classes distinctes: un ensemble d'environ 55.000 petits établissementsassujetis à la patente municipale et identifiés par un local professionnel; 220.000 pointsd'activité urbains (de marché ou de rue); enfin une dernière classe comprenant environ80.000 foyers d'activités rurales non agricoles. L'échantillon d'entreprises enquêtées àToumodi émarge à la fois, pour les plus importantes d'entre elles, au secteur intermédiaire et,

(5) On se comemera ici de citer trois seuls exemples d'analyses contribuant à la réhabiliuuion démographique,économique et sociale de ces villes de l'intérieur ivoirien: Dureau 1987. Dubresson 1989 et Vidal 1991(chapitre 5).(6) Pour une synthèse historique et géographique de Toumodi. cf. de Bettignies 1969.(7) Le recensement de mars 1988 indique 22.114 habitants pour la ville de Toumodi et crédite la sous-préfecturedont elle est le chef-lieu de 57.085 habitants (source: direction de la statistique, ministère du Plan, Abidjan).(8) Etant bien entendu que l'agglomération abidjanaise concentre plus des 3/4 des fmnes de moyenne et grandedimension recensées par la Centrale de bilans et constituant, par convention, le secteur dit moderne del'économie nationale. Sur la répartition spatiale des entreprises en Côte-d'Ivoire cf. entre autres Fauré 1989, p.III et s.

4

Page 8: AUPElF NOTES DE RECHERCHE

5

pour les moins importantes, à la classe supérieure des établissements classés habituellementdans le secteur informel. Elles correspondent donc bien au champ des PME.

La population mère visée par les investigations, en dépit de ces limites, était encoreconstimée par plus de 500 petits et moyens établissements permanents toumodiens. Sur labase des registres fiscaux obtenus des services municipaux et de l'inspection descontributions directes un échantillonnage représentatif de cette population mère a été opéréselon la technique des quotas prenant en compte plusieurs critères jugés importants : lesrépartitions hommes/femmes et nationaux/non nationaux, la dispersion selon les branches etsous-branches d'activité, la ventilation entre les entrepreneurs acquittant la petite patentemunicipale versée mensuellement aux services financiers de la commune par ceux dont lechiffre d'affaires annuel ne dépasse pas 2 millions de F. CFA et les entrepreneurs assujettis,au-delà de cette somme, à la grande patente versée annuellement aux services de la Directiongénérale des impôts, différence de régime fiscal dont on a pu vérifier sur le terrain qu'ilconstimait un assez rigoureux et réaliste indicateur de taille des entreprises concernées. Cettetechnique d'échantillonnage a été complétée par une stratification par quartier pennettantd'assurer à l'univers retenu une représentativité spatiale satisfaisante en raison de l'existencede six zones principales d'activité sur le site toumodien. Ce sont donc au total 106entrepreneurs, propriétaires de leur affaire, s'y activant en permanence (9) et installés depuisau moins un an (l0) qui ont été enquêtés, reflétant assez fidèlement la situation de l'ensembledes patrons de petites et moyennes entreprises ayant pignon sur rue.

Cette enquête, dont une partie a été réalisée grâce à l'appui de l'UREF/AUPELF (lI),conduite à l'occasion d'une affectation de longue durée en Côte-d'Ivoire, prend place dans unprogramme de recherche développé au sein de l'ORSTOM consacré à l'analyse du milieuentrepreneurial de ce pays, dans la double perspective d'une part des relations que ce milieuentretient avec le contexte social au sein duquel s'exercice son activité, d'autre pan desrapports établis entre ce milieu -ou certaines de ses fractions- et la sphère politico­institutionnelle puisqu'il est avéré qu'à un certain stade les entrepreneurs doivent une partiede leur simation à leur position plus ou moins proche de la puissance publique (soutieninstitutionnel, crédits, subventions, marchés administratifs, etc.) (12). Des investigations ontété diligentées, outre Toumodi, à Abidjan, la capitale économique, et à Daoukro, autre villemoyenne de l'intérieur. De longs entretiens, étalés sur plusieurs heures, ont été menés, autotal, avec 450 petits et moyens entrepreneurs de Côte-d'Ivoire. Si chaque région enquêtéeréserve, naturellement, des particularités dans la distribution de certaines caractéristiquesentrepreneuriales, les grandes tendances structurelles dégagées à Toumodi ne sont pasfondamentalement remises en cause ailleurs et, les strates et types d'entrepreneurs observésayant été sensiblement les mêmes ici et là, les résultats de Toumodi présentés ci-dessous, saufindication contraire, peuvent être considérés comme relativement représentatifs des petites etdes strates inférieure et intennédiaire des moyennes entreprises de Côte-d'Ivoire. Cettetendance est encore plus nette s'agissant des informations financières qui seront fournies dansla deuxième partie du présent texte. C'est dire, là encore, que l'aire de validité de lamonographie de Toumodi est nettement plus large que le lieu géographique qu'elle désigned'emblée. Sans se départir d'une nécessaire prudence il n'est pas exagéré d'avancer qu'à

(9) Une attention particulière a été portée à ce point en raison de l'existence, en Côte-d'Ivoire -mais moinsrépandue qu'on l'aiflnne trop promptement-, du phénomène d'absentéisme patronal et de la pratique des prête­noms. Ces faits se vérifient davantage dans les très grandes agglomérations, concernent plus les moyennes ougrandes entreprises que les petites et sont liés à la pluriactivÎlé des hommes et femmes d'affaires.(10) La volatilité entrepreneuriale étant un phénomène assez courant, ce délai minimal d'un an d'installation aété jugé nécessaire pour garantir la validité des résultats obtenus en vue d'analyser l'exercice sur la longue duréedu métier d'entrepreneur.(11) Le concours du réseau "Entrepreneuriat" de l'UREF/AUPELF, coordonné par Bruno Ponson a contribué aufinancement du traitement infonnatique des données d'enquête de Toumodi. Les résultats complets des diversesenquêtes de terrain et les analyses globales entrant dans le cadre du programme de recherche conduit surl'ensemble de la Côte-d'Ivoire au titre de l'ORSTOM font l'objet d'un rapport général en cours de rédaction quisera diffusé sous le sceau de cet institut en 1992.(12) On trouvera dans Fauré 1992 un exposé problématique général de cette recherche.

Page 9: AUPElF NOTES DE RECHERCHE

cenains égards les indications valent à l'échelle nationale. Chaque fois que cela se révèlerapossible et instructif des comparaisons seront établies avec les résultats atteints par cenainstravaux rigoureux d'autres chercheurs et réalisés antérieurement à la présente enquête. Ainsiseront réduits à la fois les risques d'accentuation idiosyncrasique et de témérité extrapolatrice.

1.2. Principales caractéristiques des entrepreneurs enquêtés

Les 106 entrepreneurs enquêtés à Toumodi exercent 35 types d'activités différentes.Pour des raisons de meilleure exposition des résultats ainsi que de confon de traitementstatistique des données (croisement des variables par exemple) des regroupements d'activitésont nécessaires en branches -confonnes globalement à la nomenclature de la comptabiliténationale- et en secteurs. Les ventilations ainsi obtenues apparaissent clairement dans letableau n° 1.

Tableau nOI

REPARTITION DES ACTIVITES

Code Branches Effectifs Secteurs Effectifs %

11 Transformation agro-alim. 1 production 24 23:!2 Fabric. lCxùle/cuir/habillem. 15 services 33 3123 Transform. bois et ameuble. 6 commerce 49 4614 Travail des métaux

Z5 Fabrication savonlpapier Tolal 106 10026 Artisanat d'an 1

31 R6paration de matériels 8

32 Transpons 433 HÔleilerieireslaUruion 1534 Services aux enlreprises

35 Services aux persolDles 637 Enseignement privé

41 Commerces généraux 142 Commerces produits aliment. 1543 Autres cormnerces spécialis. 33

Tolal 106

6

La répartition sectorielle des activités à Toumodi ne dément pas globalement celle quiapparaît dans les recensements économiques, les fichiers fiscaux et autres sources officiellesd'enregistrement de données d'entreprises (13). Elle ne remet pas en cause non plus lesdistributions qui se dégagent des analyses faites précédemment par d'autres économistes (14).La structure se vérifie grosso modo dans les six principales sources d'informationreprésentatives à l'échelle du pays (15). Les variations des pans relatives de chaque secteurproviennent exclusivement du champ d'entreprises couvert par le rencensement en question:si la place des activités de commerce est toujours prépondérante, elle peut osciller d'environ40% à 60% selon qu'il s'agit de sources statistiques concernant les grands et moyens

(13) Les principaux outils statistiques à valeur nationale qui couvrent un ou plusieurs types d'entreprises -horssecteur informel- sont constimés de la Centrale de bilans (environ 2.500 entreprises du secteur dit moderne) etdu fichier des grandes patentes de la Direction générale des impôts (environ 34.000 entreprises des secteursmoderne et intermédiaire). L'analyse de ces outils -et de plusieurs autres-, la présentation et l'interprétation desrésultats qu'ils permettent de construire au plan des distributions par branche et par secteur est faite dans Fauré1989 pp.91-106.(14) Par exemple Lootvoet 1988.(15) Voir en particulier la synthèse comparative que nous proposons dans Fauré 1989 p. 103.

Page 10: AUPElF NOTES DE RECHERCHE

7

établissements ou plutôt les petits. De même la pan occupée par les services et les activités deproduction (indusnielles, semi-indusnielles ou anisanales) s'échelonne, pour chacun de cessecteurs, entre 20 et 30%, tantôt les services, tantôt la production venant en deuxième positiondans la structure rrisectorielle. On doit essentiellement retenir en premier lieu que lescaractéristiques arithmétiques de cette disrribution tend à confirmer que la populationd'entrepreneurs enquêtés appartient bien aux srrates moyenne-inférieure et petite de l'universentrepreneurial structuré, à équidistance des strates grande et moyenne-supérieure desentreprises et des points d'activité relevant du secteur informel, et en second lieu, que ladisrribution qui apparaît à Toumodi reflète une situation beaucoup plus générale des PME,valide, à quelques nuances près, pour l'ensemble du pays.

Les indicateurs auxquels on a communément recours pour suggérer le degré de"modernité", de "formalisme" et de taille de tels ou tel types d'entreprise ne peuvent être d'unsecours rigoureux : de nombreuses activités informelles -les services de restauration, detransformation de produits agricoles, etc.- sont réalisées à l'appui d'une abondante maind'oeuvre (aides familiales par exemple), souvent plus nombreuse que dans des P:MEstructurées; d'autre part il n'existe aucune liaison mécanique positive entre la formalisation del'entreprise et les chiffres d'affaires et les revenus nets qu'elle génère, des exploitants depoints d'activité informels parvenant à brasser des montants financiers supérieurs à ceux dechefs d'entreprises jugées modernes; enfin l'enregistrement des activités auprès des diversservices officiels, la soumission des entreprises aux prélèvements fiscaux et sociaux -souventprésentés comme des critères efficaces de discrimination entre univers formels et informels­ne constitue pas, en Côte-d'Ivoire, une clef pleinement satisfaisante de classification desentreprises: les petites activités ne sont pas toujours nécessairement les plus "souterraines" etles grandes entreprises ne sont pas toujours nécessairement les mieux enregistrées (16).

Tableau nO" ~OMBRE ET CATAGORŒS D'EMPLOIS DANS LES EN11ŒPRISES~

nombre % nombre pauons nombre total nombre % nombre salariés nombre totald'entreprises par entreprise pauons d'entreprises par entreprise salariés

100 94 1 100 93 87 0 06 6 2 12 6 6 1 6

4 4 3 121 1 4 4

2 2 7 14106 100 112 106 100 36

nombre % 10mbre apprentil nombre total nombre % nombre aides nombre totald'entreprises par entreprise apprentis li'entreprises par entreprise aides

74 70 0 0 66 62 0 010 9 1 10 27 25 1 274 4 2 8 8 8 2 165 5 3 15 4 4 3 128 7 4 32 1 1 4 41 1 5 51 1 6 63 3 7 21

106 100 97 106 100 59

(16) Pour des raisons qu'on ne peut ici développer: de grandes lïnnes et de nombreuses entreprises moyennesdu secteur dit moderne se soustraient aux obligations légales, fiscales et sociales; en revanche les petiteSentreprises (non infonnelles) ont tendance à être mieux enregistrées et à mieux acquitter ces obligations enraison d'une part des multiples petites U'aCasseries quotidiennes perpétrées par tous ceux qui sont investis d'unepartie -ne serait-ce que symbolique- de l'autorité publique (qu'on songe par exemple aux innombrables contrôlesroutiers ou aux démarches fastidieuses dans les services administratifs) et d'autre part du processus en cours dedécentralisation qui n'a pas vu, en Côte-d'Ivoire, le transfert des compétences aux communes s'accompagner detransferts financiers appropriés depuis l'Etat central. Les municipalités ont donc eu tendance à accentuer lapression fiscale sur les activités économiques locales. Ceci étant dit.. on notera ici la relative efficacité globale del'appareil fiscal ivoirien. Ces poinlS sont développés dans Fauré 1989 pp. 13·26.

Page 11: AUPElF NOTES DE RECHERCHE

8

Sous ces réserves on relèvera que les 106 entreprises enquêtées à Toumodi fournissentchacune en moyenne près de 3 emplois et qu'il existe des variations assez considérables desunes aux autres: 13%, 30% et 38% d'entre elles se distribuent respectivement la totalité dessalariés, apprentis et aides familiales recensés par l'enquête ainsi que le montre le tableau n02

Du point de vue de l'enregistrement social et fiscal signalons que la totalité desentrepreneurs enquêtés sont assujetis à l'un des deux grands impôts pesant sur l'activitééconomique: la petite patente municipale (100 entrepreneurs) et la grande patente due à laDirection générale des impôts (6 entrepreneurs). Le taux de "conformité" en matière fiscalene se vérifie pas dans d'autres domaines: seuls 55 entrepreneurs (contre 51) se sont faitconnaître du registre du commerce et de la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS).Ces chiffres manifestant une faible transparence juridique el' sociale sont en totale harmonieavec la situation qui prévaut dans l'ensemble de la Côte-d'Ivoire: basés sur des opérationsdéclaratives, ces actes sont de nature volontariste et les services concernés n'ont pas lesmoyens de contrôle dont disposent les administrations fiscales.

Ces informations ponant sur les types d'activités et d'établissements concernés par laprésente enquête peuvent être complétées par des indications relatives à quelques-unes desaux caractéristiques socio-démographiques des entrepreneurs eux-mêmes.

Tableau n'3

REPARTITION DES ENTREPRENEURSPAR SEXE ET PAR SEcrEL'R

H FSecteurs n % n %

colon. colon.

Production 21 2S 3 13Services 19 23 14 61

Commerce 43 52 6 26

Total 83 100 23 100

~ole : H=hommes: F=femmCll: n=effectif

Le tableau n03 montre que 22% des exploitants enquêtés sont des femmes et 78% deshommes. Compte tenu, là encore, des strates des PME couvertes par les investigations larépartition sexuelle des entrepreneurs apparaît tout à fait conforme à ce qu'on a pu constateret mesurer ailleurs en Côte-d'Ivoire : l'exploitation de 14.100 dossiers de créationd'entreprises inscrites au registre du commerce dans le ressort du greffe du Tribunald'Abidjan nous avait pennis de constater que les hommes représentaient 79% et les femmes21% des promoteurs d'entreprises dans la décennie quatre-vingt (17). L'analyse de BenoîtLootvoet basée sur 476 monographies d'entreprises dans quatre villes ivoiriennes révèle lesmêmes tendances: les hommes sont présents à hauteur de 80% et les femmes de 20% (18).Toumodi n'offre donc, de ce point de vue, aucune originalité, renforçant ainsi la vertugénéralisante de certains résultats de l'enquête qui y a été menée.

TI convient cependant, pour être exact sur ce chapitre, de formuler, même brièvement,deux remarques. En premier lieu la part relative des femmes dans la propriété/directiond'activités privées a tendance à varier très sensiblement selon la nature et la taille de cesactivités. D'une façon générale les femmes om acquis d'imponantes positions dans lesaffaires en Côte-d'Ivoire, comme du reste dans beaucoup d'autres pays africains. Elles sont

(17) Cf. Fauré 1989 pp. 86-90.(18) Cf. Lootvoet 1988 p. 131 et pp. 350-351.

Page 12: AUPElF NOTES DE RECHERCHE

cependant beaucoup plus présentes dans les aCtlvltes économiques informelles que ne lesuggèrent les chiffres précédemment évoqués (vente de produits maraîchers et vivriers,transformation de produits agricoles, fabrication de plats cuisinés et restauration etc.).L'enquête ayant exclu les activités de rue et les activités de marché pratiquées hors boutiques,la pan des femmes s'en trouve réduite d'autant. En second lieu les étrangers étantmassivement présents dans le pays -le dernier recensement général de 1988 fait état de 28,1 %de non Ivoiriens sur un total de 10,8 millions d'habitants- ont longtemps détenu la majoritédes entreprises, grandes, moyennes et petites, formelles ou informelles. Dans l'échantillontoumodien les Ivoiriens sont au nombre de 52 (49%) et les Africains non Ivoiriens 54 (51 %)(19). Deux phénomènes, l'un structurel, l'autre dynamique sont à noter en Côte-d'Ivoire:d'une pan les hommes sont massivement majoritaires chez les entrepreneurs immigrés alorsque chez les nationaux les femmes occupent des positions rivalisant avec celles des Ivoiriens(les données disponibles sur Toumodi s'inscrivent parfaitement dans cene tendance: chez lesIvoiriens les femmes représentent 38% de l'effectif alors que ce taux chute à 6% chez lesentrepreneurs africains non ivoiriens); d'autre part l'ivoirisation de la propriétéentrepreneuriale a très sensiblement progressé depuis une quinzaine d'années au fur et àmesure que s'affmnait le dynamisme économique des femmes de sone que l'on a puconstater que l'ivoirisation des activités d'encreprise se réalisait principalement par lesfemmes (20).

L'examen du tableau n03 pennet également de constater que si les femmes semblent seponer plus nettement vers les activités de service (61% : restauration, coiffure, secrétariatpublic, etc.), les hommes investissent en majorité le secteur commercial (52%) et serépartissent ensuite à parts égales dans les activités artisanales et les services. L'exclusion desplaces de marché de nos observations explique en large partie -mais non totalement- cedifférentiel d'orientation sectorielle entre hommes et femmes vérifié lui aussi ailleurs dans lepays.

Tableau 0·4

LIEUX DE NAISSANCE DES ENTREPRE.'ŒURS

Lieux effectifs %

Ville de Toumo?i 16 ISDépartement de Townodi 7 7R~gion du centre ivoirien 16 ISAbidjan 1 1Autre région ivoirierme 17 16

Autre pays africain 49 46

Total 106 \00

On a déjà dit l'imponance de l'immigration en Côte-d'Ivoire. Tous les pays de l'ouestafricain sont largement représentés dans le pays. Les taux de croissance élevés quel'économie ivoirienne a connu dans les décennies 60 et 70 a attiré une main d'oeuvreétrangère massive: petits emplois domestiques urbains, travaux agricoles dans les plantationscaféières et cacaoyères, artisanat et commerce sont les secteurs où cette force de travailafricaine non ivoirienne était traditionnellement -et demeure encore- imponante. Larépartition à Toumodi encre nationaux et non nationaux est conforme à ce qui a été enregistré

(19) Le programme général de recherche portant sur le comexte social et poliùque de l'entrepreneurhip (ivoirienet africain), les entrepreneurs libanais et libano-syriens -nombreux en Côte-d'Ivoire- n'ont pas été incorporésdans l'échantillon d'enquête. En outre l'absence de grandes entreprises à Toumodi a éliminé par hypothèse laquestion du capital occidental -principalement français- présem à hauteur d'environ 40% dans les 2.500entreprises du secteur moderne recensées par la Centrale de bilans.(20) Cf. Lootvoet 1988 p. 131 et Fauré 1989 pp. 88-89.

9

Page 13: AUPElF NOTES DE RECHERCHE

10

ailleurs en Côte-d'Ivoire dans d'autres sources stansnques et dans d'autres enquêtes.Conséquence de cette réalité, le phénomène migratoire est largement répandu et devientconsubstantiel à la vie de nombreux travailleurs. Les mouvements de population neconcernent cependant pas exclusivement les immigrés ouest-africains : d'intenses fluxnationaux à la fois intra et inter-régionaux, des campagnes vers les centres urbains, ont lieudont témoigne le tableau n04 et qui expliquent que, finalement; peu d'entrepreneurs sont deréels autochtones. Ceci n'est pas sans conséquence sur les modes d'insertion citadine, les.apprentissages professionnels, la maîtrise des réseaux de sociabilité qui conditionnent lecomportement entrepreneurial. Mais ce sont là des questions qui débordent largement leslimites de la présente communication. Retenons essentiellement qu'une analyse fine desparcours migratoires de ces entrepreneurs de Toumodi révèle que 83% d'entre eux ont connuau moins 2 phases de mobilité et 45% d'entre eux au moins 3.

Au point de vue de l'âge la classe modale est celle des 30-39 ans (45% de l'effectiftotal), celle des 40-49 ans comptant 24% des enquêtés et celle des 20-29 ans 21 %, les 10%restant ayant plus de 50 ans. Cette répartition est identique à celle obtenue sur l'ensemble des450 entrepreneurs analysés dans l'ensemble de la recherche englobant des investigations deterrain à Toumodi, Daoukro et Abidjan. L'ancienneté d'installation, qui constitue une autrevariable à prendre en considération car elle peut éclairer des orientations d'activité etconditionner des perfonnances entrepreneuriales présente les caractéristiques statistiquessuivantes: 48% des sujets étaient installés dans l'entreprise alors enquêtée depuis 1 à 5 ans,28% de 6 à 10 ans, 14% de Il à 15 ans, 7% de 16 à 20 ans et 3% depuis plus de 20 ans.

Si ces mesures mettent en évidence le caractère relativement récent de l'installationdans l'entreprise alors enquêtée puisqu'environ un individu sur deux est en place depuis plusd'un an mais depuis moins de cinq ans -réalité vérifiée à l'échelle nationale dans d'autresétudes- cela ne signifie nullement que les entrepreneurs en soient à leur première installationet qu'ils soient de nouveaux entrepreneurs. La mobilité spatiale déjà signalée se double d'uneimportante mobilité professionnelle. Celle-ci, en fait, se décompose elle-même en un doublemouvement: une mobilité statutaire et une mobilité sectorielle. Une analyse approfondie despositions professionnelles occupées successivement par les entrepreneurs toumodiens montreque seuls 28% d'entre eux. sont directement entrés en activité en tant que "patrons" (d'affairesde moindre taille et souvent dans le secteur informel), que 72% sont passés préalablement pardes emplois d'aides familiales, d'apprentis, voire d~ salariés. En outre l'agriculture est lesecteur qui vient en tête du premier emploi occupé déclaré par les enquêtés au cours de leurparcours professionnel (37% des effectifs) devant l'artisanat (23%). Le secteur commercialqui, on l'a vu, est celui dans lequel exerce finalement la majorité des entrepreneurs ne devientlégèrement prédominant dans la distribution des emplois sectoriels qu'à partir de la troisièmeoccupation historiquement remplie par ces mêmes entrepreneurs au cours de leur parcoursprofessionnel. Ces indications attestent bien à la fois la mobilité statutaire ascendante et lestranslations sectorielles dont font preuve les entrepreneurs. Replacé dans une perspective deplus longue durée intégrant l'activité des parents le mouvement ainsi décrit prend encore plusd'ampleur: comme le montre le tableau nOS ce sont 69% des entrepreneurs (73 sur 105 pourlesquels la précision a pu être exploitée) dont le père a un emploi dans le secteur agricole et79% de ces mêmes entrepreneurs (50 sur les 63 pour lesquels l'infonnation a été apportée)dont la mère s'active dans ce même secteur primaire. Ce tableau suggère plus généralement lafaiblesse du processus de reproduction sectorielle au sein des lignées familiales.

Les niveaux de scolarisation atteints par ces entrepreneurs de Toumodi sont trèsdiversifiés, à l'image de ce qui a pu être noté dans d'autres enquêtes et d'autres analyses enCôte-d'Ivoire. Ici ce sont 18 entrepreneurs sur 106 qui n'ont suivi aucune scolarisation, 14 quiont fréquenté l'école primaire (cours préparatoire, cours élementaire, cours moyen), 15 quiont connu les bancs du premier cycle de l'enseignement secondaire (classes de 6e, 5e, 4e et3e), 5 qui ont atteint le second degré (classes de seconde, première et terminale), 2 enfin quiont commencé -mais n'ont pu achever- des études supérieures. On notera en outre que les 52autres entrepreneurs ont suivi l'enseignement dispensé dans les écoles coraniques (medersa)qui mêlent éducation religieuse et apprentissage des opérations de lecture (en arabe) et decalculs et pour lequel des correspondances de niveau avec le cursus officiel -en français- sont

Page 14: AUPElF NOTES DE RECHERCHE

11

crès délicates à fixer. Cette masse d'encrepreneurs passés par les écoles coraniques s'expliquetotalement par l'importance du phénomène migratoire déjà évoqué, les individus concernésprovenant la plupart du temps de pays du pounour nord de la Côte-d'Ivoire, donc de sociétéslargement islamisées (Guinée, Sénégal, Mauritanie, Mali, Burkina notamment). Au total, enraisonnant sur les effectifs de tous ceux, 88 exactement sur les 106, qui ont connu unminimum de scolarisation on a pu constater que seuls 4 d'enrre eux avaient eu une formation ­ne serait-ce que rapide- dans une fùière technique, le reste n'ayant connu qu'un enseignementde type général. Ce résultat n'est pas une surprise : on sait, par d' aurres études, que laformation au métier, en Côte-d'Ivoire et sans doute dans de nombreux aurres pays africains,s'acquien majoritairement dans des emplois d'aides familiales et d'apprentis -peu ou pasrémunérés quand ils ne sont pas payants et occupés longuement s'agissant plusparticulièrement de la seconde catégorie.

Tableau n'5

ALlATIONS PROFESSIONNELLES DES ENTREPRENEURS

secteur d'activité secteUr d'aaivité de l'entrepreneur

du père (P), de la mère (M) oroduction services commerce Talaip 18 21 34 73

agriculture

YI 12 14 24 50P 3 3

artisanat

YI 0 0 0 0P 2 1 1 4

services

YI 0 1 0 1P 2 6 la 18

conunerce

YI 0 5 7 12P 2 2 3 7

services publics

YI 0 a a 0p 0 0 1 1

non précisé

YI 0 0 0 0p 0 0 a 0

nonconcemé

YI 12 13 18 43P 24 33 49 106

TotalYI 24 33 49 106

Enfin, dernière indication touchant aux variables socio-démographiques de lapopulation enquêtée, relevons que 13% des enrrepreneurs interrogés ont déclaré êrrecélibataires, 79% ont déclaré êrre mariés, 8% êrre divorcés ou veufs. Une telle distribution dustatut matrimonial ne présente aucune particularité notable. Elle appelle simplement deuxrapides précisions: d'une part les situations d'unions maritales de facto sont assez généralesen Afrique subsaharienne au point de réduire sensiblement l'importance des "ménages à uneseule personne" qu'enregisrrent sous ce libellé statisticiens et démographes; la situationmatrimoniale réelle de l'enrrepreneur, la structure familiale qui est la sienne, l'étendue et lacomposition de l'unité de résidence au sein de laquelle il vit ne sont evidemment pas sanseffets sur la conduite de l'enrreprise et notamment sur sa situation financière. On connaît à cesujet la thèse développée par Max Weber dans L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme1964 (pour l'édition française) selon laquelle le succès dans les affaires se paierait d'unrefoulement des pressions familiales, d'une plus nette séparation enrre la vie de lacommunauté domestique et la vie de l'enrreprise : les conclusions de la présente rechercheconduisent à nuancer cette liaison par trop mécanique (Fauré 1991 p. 9 et s.). La répartitiondes entrepreneurs de Toumodi par classe d'effectifs des unités de résidence fait apparaîrre lesrésultats suivants : 34% des entrepreneurs vivent seuls, 27% résident dans des communautésde 2 à 5 personnes, 26% dans des communautés de 6 à 9 personnes, 13% dans descommunautés de 10 personnes et plus. Le décalage entre ceux qui se sont déclarés célibataires

Page 15: AUPElF NOTES DE RECHERCHE

et ceux vivant seuls provient de ce que nombre des entrepreneurs sont des migrants dont le oules conjoints, le ou les enfants, le ou les parents et corésidents vinuels sont demeurés dans levillage, la région ou le pays d'origine. Cette précision étant faite, la répartition indiquée neparaît pas spécifier le milieu des entrepreneurs par rapport à d'autres catégories socio­professionnelles sous le rapport des pratiques familiales et de la structure des communautésde résidence.

1.3. Conditions et résultats d'activité des entrepreneurs

Quelques informations sommaires seront livrées dans les développements qui suiventdont le but est de présenter le cadre, d'évoquer certains des moyens mobilisés et de livrer desindicateurs de performance permettant de spécifier l'univers entrepreneurial concerné dont ons'emploiera. dans la seconde partie de la communication, à découvrir et interpréter lescomportements financiers.

Physiquement indentifiés par l'existence d'un local professionnel les entrepreneursenquêtés connaissent cependant des situations fon contrastées au plan du régime juridique deleur atelier ou de leur magasin. Comme en témoigne le tableau n06, parmi les 102entrepreneurs pour lesquels les informations ont été précisées, ceux qui sont propriétaires deleur local sont 39%, alors que 55% le louent et que 6% l'utilisent grâcieusement. Ces chiffressont très proches de ceux obtenus lors de nos enquêtes sur Abidjan alors que dans la ville deDaouk:ro la proportion des entrepreneurs louant leur local est sensiblement plus importante.De son côté, dans son étude de 476 commerçants et artisans de quatre ville de l'intérieur,Benoît Leotvcet 1988 (pp. 193-195) relevait que 46% de ceux occupant réellement un local lelouaient alors que 54% en étaient propriétaires. Mais la définition plus large qu'il donnait auterme "local professionnel" le portait à enregistrer des situations plus précaires quel'installation durable réalisée en matériaux solides retenue dans l'enquête de Toumodi, ce quiexplique dans son cas le plus fort taux d'entrepreneurs propriétaires de leur local. D'une façongénérale il est bien évident que tout recensement qui englobe pour partie -et a fortiori pourtotalité- des activités informelles tendra à la fois à incorporer de nombreuses activitésexercées sans local et, pour les entrepreneurs disposant d'un local, à produire des chiffres plusélevés d'exploitants propriétaires en raison des conditions physiques souvent sommaires desinstallations en question. La situation est un peu différente dès lors qu'on observe devéritables petites et moyennes entreprises structurées. C'est pourquoi il n'est pas possible demultiplier les comparaisons entre enquêtes.

Tableauno6

REGIME DU LOCAL PROFESSIONNEL SELON L'ANCIENNETE D'INSTALLATION

là5 6 à ID II à IS 16 à 20 Plus 20 Total

propriété entrepreneur IS Il 6 7 1 40loué par entrepreneur 31 14 9 2 56usage grawll 4 2 6non précisé 1 3 4

Total 51 30 IS 7 3 106

12

Deux remarques sont à formuler sur ce thème de la propriété du local professionnel.La relative faiblesse -plus manifeste encore dans une ville semblable comme Daoukro- dutaux de propriété par les entrepreneurs tient essentiellement à la nature fortement allogène decette population. De fait, si les migrations -transnationales ou transrégionales- sont trèsnombreuses en Côte-d'Ivoire la propriété foncière et immobilière n'est pas pour autant sujetteaux mêmes mouvements et les fractions nanties des populations autochtones disposent de

Page 16: AUPElF NOTES DE RECHERCHE

1.3

patrimoines dont elles savent tirer d'avantageuses rentes et autres revenus locatifs (terresagricoles en zones rurales, locaux professionnels en milieu urbain). En outre la propriétéimmobilière, qui sen souvent de garantie d'avenir dans des sociétés où la couvenure socialeet le régime des retraites -notamment en ce qui concerne les entrepreneurs et autrestravailleurs indépendants- sont étriqués voire le plus souvent absents, n'est pas étrangère auxpréoccupations des entrepreneurs mais elle est avant tout recherchée dans sa vocationdomestique. Et la plupart des entrepreneurs n'ont de cesse, en effet, de construire ou faireconstruire des bâtiments à usage d'habitation dans leurs régions et pays d'origine. L'analysedes investissements non professionnels réalisés par les chefs d'entreprises de Toumodiconfinne totalement cette tendance.

Quant aux moyens de production le tableau n"7 permet de constater que la totalité desentrepreneurs disposant alternativement ou cumulativement de machines, d'outils ~t de stocksen sont les propriétaires. Ces facteurs indispensables à l'exercice de l'activité constituent,beaucoup plus que le local, des éléments sur lesquels s'orientent prioritairement lesinvestissements entrepreneuriaux. Une comparaison avec d'autres études -par exemple cellede Loorvoet 1988 pp. 195-196 qui révèle des taux de propriété des facteurs par lesentrepreneurs moins élevés- confinne indirectement la nature structurée, fonnelle des PMEenquêtées à Toumodi.

Tableau n"7

STATUT DES ~OYE~S DE PRODUCTION (machines, ouuls, slocks)

machines 1 ouùls 1 slocks

effectifs % effectifs % effec:uIs %

propriét~ de ('enlrepreneur 34 32 63 S9 76 72

lou~ par ('enuepreneur

usage gt1lwil

avance fournisseur

non concerné 72 68 43 41 30 28non précisé

Total 106 100 106 100 106 100

Pour ce qui concerne les outils par lesquels la gestion quotidienne des affaires estassurée on notera que 60% des entrepreneurs interrogés disposent en propre d'une boîtepostale, 8% sont équipés du téléphone, 26% sont titulaires d'un compte bancaire de particulieret 7% d'un compte bancaire commercial et 1% enfin d'un compte courant postal. Un peumoins d'un entrepreneur sur trois utilise donc les services d'un établissement financier et yréalise des dépôts ou des transferts.

S'agissant de la comptabilité -souvent constituée, un peu hâtivement sans doute, encritère de différenciation des secteurs fonnel et informel- il faut retenir que 54% desentrepreneurs observés ne se livrent à aucun acte pouvant passer pour embryon ou rudimentcomptable; 25% d'entre eux gardent des traces écrites des opérations d'achat et des dépensesou d'une partie d'entre elles (conservation de factures, de bons de livraisons, etc.); 21 % enfmsont engagés dans des écritures qui, sans être nécessairement inspirées du plan comptable,sans être tout à fait systématiques et complètes, enregistrent régulièrement recettes etdépenses et pennettent en conséquence de reconstituer par les pièces documentaires levolume d'affaires et d'avoir une idée du compte d'exploitation de l'entreprise. En précisantque seuls 3% des 476 commerçants et anisans enquêtés par Loorvoet 1988 pp. 270-272tenaient un registre de recettes et de dépenses on aura la confirmation que les pratiques

Page 17: AUPElF NOTES DE RECHERCHE

14

relevées à Toumodi correspondent à un échantillon de petites et moyennes entreprisesformelles. Une remarque importante doit être faite pour clôre ce chapitre comptable :l'absence de gestion d'une documentation écrite ne signifie en rien que l'entrepreneur soitprivé d'infonnations économiques sur son activité et son environnement. Comme l'a notéLootvoet et comme on a pu le constater les entrepreneurs, même sans trace et appuicomptables, connaissent les prix de marché et ont une idée approchée mais réaliste de leurscoûts de production. La rationalité économique ne se réduit pas à la seule maîtrise d'unepratique comptable écrite.

Tableau n'8

REVE~l.:S ~"ETS TIRES DE L'AcnVITEen milliers de F. CFNmois

classes de revenus eifectifs %

moins la 1 1la à 14 a a25 à"9 34 3250 à 74 32 3075 à 99 18 16

100 à 149 1 1ISO à 149 3 3250 à 500 2 :!plus 500 1 1

non précisé .. ..total 106 100

Les résultats obtenus par les entrepreneurs de Toumodi sont présentés ici sous leurseul aspect financier. Le chiffre d'affaires n'a pas été retenu comme indicateur en raison desdifficultés pesant sur son évaluation par les entrepreneurs, de sa grande dispersion selon lanature de l'activité et des faibles moyens de contrôle disponibles dans le cadre de l'enquête.Les revenus nets tirés de l'activité correspondent globalement aux gains obtenus par lesexploitants puisque ces revenus nets ont été soigneusement et systématiquement présentéscomme "la différence entre les recettes et les dépenses", "l'argent qui reste une fois les fraispayés -loyer, achats de matières premières, remboursements éventuels de prêts, salaires,impôts, etc." (21). Le tableau n08 qui échelonne les performances par classes de revenusmontre que 88% des entrepreneurs de l'échantillon enquêté réalisent un revenu net oscillantentre 25.000 et 99.000 F. CFA par mois, les trois classes constituant cette amplitudes'équilibrant sensiblement. Les résultats obtenus par Benoît Lootvoet, 1988 pp. 171-174,auprès de 476 artisans et commerçants font apparaître une classe médiane de revenus netsmoyens mensuels inscrite entre 30.000 et 40.000 F. CFA. Ces gains doivent évidemmentêtre appréciés en termes relatifs. Qu'il nous suffise ici d'indiquer qu'au moment de l'enquête(1989 et 1990) le salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) était de l'ordre de35.000 F. CFA sur le territoire national. Même si cette référence est loin d'être aussirigoureuse que sous d'autres cieux -la rémunération de la main d'oeuvre agricole, abondante,y échappe grandement, le régime salarial ne représente pas l'essentiel de la force de travail,etc.-, elle suggère que les petits entrepreneurs de Toumodi dégagent des gains qui les hissentau-dessus de la simple survie surtout si l'on tient compte que dans un cenain nombre de casune partie des coûts alimentaires quotidiens de l'unité de résidence de l'entrepreneur,couverte par des ponctions de trésorerie, est intégrée au résultat financier présenté ici. Cesrésultats ne sont certes pas sans effet sur la grande satisfaction exprimée par les enquêtés àl'endroit de leur situation de chefs d'entreprises: interrogés précisément sur leur éventuellepréférence à devenir salariés permanents, fonctionnaires, agriculteurs, planteurs ou éleveurs

(21) Le revenu net est exprimé en moyenne mensuelle mais a été exploré à trois reprises au cours des entretienset sur des bases temporelles différentes Gour. semaine. mois) pour un meilleur contrôle.

Page 18: AUPElF NOTES DE RECHERCHE

etc., 98% d'enrre eux marquent leur désir de demeurer parrons de leurs établissements.L'attachement au "métier d'enrrepreneur" est donc large et profond.

il semblait interessant de vérifier l'existence de facteurs pouvant éventuellementexpliquer des différences de revenus nets obtenus par les enrrepreneurs. L'analyse, sur cepoint, a consisté à croiser la variable des revenus avec d' aurres variables peninentes : ni l'âgedes enrrepreneurs, ni leur ancienneté d'installation, ni leur sexe, ni le secteur d'activité où ilsexercent, ni la nationalité, ni leur niveau de scolariation, etc., ne permettent de dégager descorrélations significatives, l'ensemble des croisements faisant apparaîrre la plus grandedispersion des effectifs sur l'ensemble des classes consrruites (22). La "réussite" desexploitants semble échapper à de grandes tendances de type mécanique. Ces résultatsrejoignent totalement ceux obtenus par Lootvoet 1988 pp. 258-272 qui, analysant lui aussi lesrelations entre les performances des enrrepreneurs mesurées au chiffre d'affaires et au revenunet et un cenain nombre de variables (montant de l'investissement initial. anciennetéd'installation, niveau de scolarisation, types de formation, antécédents professionnels, typesde comptabilité) en a conclu aux "détenninants incenains de la réussite".

2. LES FINANCEMENTS D'ENTREPRISE: LA PLACE DE L'INFüR.t\1EL

La dimension financière des enrreprises dont on vient de présenter quelquescaractéristiques générales a été attentivement examinée lors des longues enquêtes de terrain àtravers plusieurs moments décisifs dans la vie des affaires et sous les diverses fonnes etcomposantes qu'elle peut successivement ou simultanément revêtir. La formation du capitalde départ, le financement des investissements ultérieurs et complémentaires, les solutionsapponées aux problèmes de trésorerie, les usages sociaux même qui sont faits des revenusentrepreneuriaux ont notamment fait l'objet de patientes explorations et de rigoureusesmesures. L'un des objectifs majeurs poursuivis sur ce thème a été d'identifier et d'évaluer lapan occupée par les pratiques et formules informelles dans l'ensemble des modalitésfinancières auxquelles ont recours les petits et moyens entrepreneurs. Sans être négligeable onverra que cette pan est assez marginale. La description facmelle des modes de financementappellera donc une interprétation propre à rendre compte de leur hiérarchie et de la place fonrelative de l'informel.

2.1. Diversité diachronique des modes de financement à Toumodi

2.1.1. La formation du capital initial

15

Premier acte essentiel de la vie de l'enrreprise, la constitution du capital initial méritela plus grande attention. Les différentes sources ayant pennis la mobilisation des fonds dedépart apparaissent clairement dans le tableau n09. L'épargne personnelle accumuléeantérieurement à la présente activité entrepreneuriale enquêtée est vérifiée auprès de 62exploitants sur 106, cependant que les prêts fmanciers en ont concerné 28 sur 106 et les dons21 sur 106. En première analyse les effons monétaires consentis directement parl'entrepreneur constituent. et de loin, la première source de formation du capital initial.

Tableau n·9 SOURCES DU CAPITAL INITIAL

sources individualisées effectifs % sources combinées effectifs %

épargne persormelle oui 62 58non 44 42 épargne 53 50

total 106 100 prêt 21 20

don oui 21 20 don 20 18,5

non 85 80 prêt + épargne 7 6,5

total 106 100 autre source 3 3

prêt oui 28 26 épargne + don 1 1

non 78 74 autre source + épargne 1 1total 106 100 prêt + don 0 0

autre source oui 4 4 épargne + prêt + don

non 102 96total 106 100 Total 106 100

(22) Faure de place les tableaux constitués à l'appui de l'analyse ne peuvent être présentés dans ce texte.

Page 19: AUPElF NOTES DE RECHERCHE

16

Mais l'analyse demande à être poussée plus avant pour mieux détecter et pondérer, ausein des différentes sources de constitution du capital de dépan, les pratiques formelles etinfonnelles. On relèvera tout d'abord que les montants mobilisés dans les trois sourcesprincipales connaissent de grandes amplitudes: les 62 cas sur 106 concernés par l'épargnepersonnelle se répartissent en huit classes allant de plus de 5.000 F. CFA à plus d'unmillion, et 40 cas sur les 62 (soit 65%) émargent aux classes intermédiaires (de 25.000 F.CFA à 499.000 F. CFA); les cas de prêts (28/106) dont les montants ont pu être préciséss'échelonnent sur 5 classes (de 25.000 F. CFA à plus d'un million); les situations de dons(21/106) se ventilent sur 7 classes et mais correspondent, en majorité, à de faibles montants.D'autre pan les trois grandes sources de financement identifiées ici sont inégalementrépartiesselon les diverses caractéristiques des entreprises et entrepreneurs concernés: alors qu'ellesconstituent 22% de l'échantillon enquêté les femmes sont sous-représentées dans la formule"épargne" (15%) et dans la fonnule "prêt" (11%) alors qu'elles sont nettement sur­:'eprésentées dans la fonnule "don" (48%). D'autre pan aucune des trois sources particulièresde fonnation du capital initial n'induit de résultats financiers spécifiques: le croisement dutype de source et de la variable "classes de revenus nets obtenus par l'entrepreneur" montreune grande dispersion des effectifs concernés par l'épargne, le prêt et le don sur l'ensembledes valeurs de l'échelle (cf. tableau n·10).

Tableau n'IO

S1RUCTURE DES CARACŒRISTIQUES D'EN1REPRISE SELON DIFFERENTESSOURCES DE CONSTITUTION DU CAPITAL INITIAL

Sexe hommes femmes lo~1 Secteur production services commerce to~1

épargne 85% 15% 100% épargne 24% 23% 53% 100%

prêt 89% 11% 100% prêt 18% 29% 53% 100%

don 52% 48% 100% don 29% 52% 19% 100%

Résul~t Classes de revenus nets en milliers de F.CFAlmois

fmancier moins de 10 25 à49 50à 74 75 à99 100 à 149 ISO à 249 250 à 500 plus de 500 noo Plicisé total

épargne 1,60% 27,40% 29% 33,90% 3,20% 1,60% 3,20% 100%

prêt 32,10% 35,70% 14,30% 7,10% 10,70% 100%

don 38.10% 23,80% 23,80% 480% 950% 100%

:-lote: ce ~bleau porte sur lUI effeaif lo~1 de 103 entrepreneurs se décomposant en 94 entrepreneurs ayant mobilisé lUIe source uniqued'investissement initia! (53 "épargne" + 21 "prêt" + 20 "don") auxquels ont été ajoutés 9 enlrcpreneurs ayant eu n:cours à des sources combinées

(par ex. épargne + prêt) et pour lesquels une source dominante est clairement apparue dans le financement de dépan. Ces 9 entrepreneurs ont

été classés dms les catégories concernées (ou "épargne" ou "prêt" ou "don").

S'agissant plus particulièrement des caractéristiques économiques de l'épargnepersonnelle à l'origine de la création de l'entreprise alors enquêtée à Toumodi, on notera queles 62 cas enregistrés (58% du total) se distribuent en 20 cas d'accumulation de revenussalariés et en 42 cas de revenus d'une précédente activité -souvent de moindre imponance oulocalisée ailleurs ou encore exercée dans un autre secteur : sur ces 42 derniers cas 9concernent une épargne constitutée précédemment dans l'activité artisanale, 6 dans lesservices, 27 enfin dans le commerce. L'épargne constituée préalablement provient donc àhauteur de 68% d'une activité antérieure d'entreprise ce qui suggère bien, relativement autype d'entrepreneurs enquêtés (PME assez structurées), un processus d'autofinancement desactivités économiques privées relativement important et en tout état de cause dominant et, parlà même, les possibilités d'accumulation qu'offrent, à un cenain stade, les activitéscommerciales et artisanales urbaines trop souvent vues comme assurant à peine la survie desexploitants, Des tendances semblables éraient déjà notées dans les résultats des travaux de

Page 20: AUPElF NOTES DE RECHERCHE

Lootvoet 1988 pp. 198-205.

Aux 28 entrepreneurs (26%) bénéficiaires d'un prêt financier lors du démarrage deleur activité présentement enquêtée et signalés dans le tableau n09, en ont été ajoutés, pour lesbesoins de l'analyse économique et non pas strictement tinancière, 23 qui ont reçu un prêtsous fonne physique (équipement: machine, outils; fourniture de stock: la majorité). Ce sontdonc en réalité 51 entrepreneurs sur 106 (48%) qui ont profité de cette source, monétaire ounon monétaire, pour créer leur activité actuelle, un seul cas de prêt combiné (financier etphysique) ayant été identifié. L'analyse des conditions de ces différents prêts pennet deconclure que dans 29 cas sur 51 le fournisseur intervient, la famille dans 16 cas, le réseaud'amis dans 3 cas, la banque dans 2 cas. On notera que pas une seule fois l'ancien employeurou un quelconque banquier non institutionnel et autre prêteur sur gage ne sont évoqués.L'association tontinière apparaît une fois.

Une étude fine des prêts obtenus à Toumodi indique que ceux-ci, appréciés à l'aune deplusieurs indicateurs (durée, garanties, régularité et rythme de remboursement etc.) peuventêtre considérés comme ayant été contraignants dans 44 cas sur les 51 ce qui explique que tousles entrepreneurs soient devenus, depuis la création de leur établissement, propriétaires deleurs moyens de production (cf. tableau nO?). En outre ces résultats s'inscrivent contre unetendance sournoise consistant à présenter les prêts, dans les sociétés africaines, comme desinstrUments financiers souples, voire "mous", générant des obligations de remboursementflexibles, négociables, ceci confonnément à une vision impliquant un fonctionnement enpennanence transactionnel des relations sociales au sein d'ensembles "communautaires"fondés sur des solidarités agissantes, etc.

Quant aux dons obtenus par 20% des entrepreneurs (21 cas), ils se présentent engrande majorité sous fonne monétaire (19 cas). Ils proviennent exclusivement du cerclefamilial (88%), ou d'un ancien employeur. De patientes investigations sur cette questionpennettent d'avancer que dans un cas sur deux le don, fonnellement présenté et ressenti ainsi,s'accompagne en réalité de contreparties contraignantes de la part du récipiendaire (obligationd'embauche, d'aide et assistance financière etc.). En conséquence on dira que les dons ne sontpas aussi imponants que le laisserait accroire une vue idéalisée des sociétés africaines et, ensecond lieu, que des dons peuvent en fait cacher d'autres fonnes de relations d'affaires (prêtsdéguisés, avances sournoises, etc.). C'est sans doute ce qui explique des différences derésultats assez sensibles entre la présente recherche -où un contrôle constant et vigilant a étéopéré sur les différentes sources de capital et, à l'intérieur de celles-ci, sur les conditionsréellement consenties aux entrepreneurs- et d'autres enquêtes qui signalent une importanceplus grande aux dons dans les origines du capital initial des entreprises (par exemple Lootvoet1988 p. 198 qui a enregistré l'existence de dons dans presque un cas sur deux de création despetites activités; il est vrai en outre que son échantillon comprend une proportion importantede femmes et que, on l'a vu plus haut, celles-ci, plus que les hommes, bénéficient de ce typed'appon initial).

2.1.2. Le financement des investissements ultérieurs

L'effon de capitalisation ne s'arrête pas avec le montage financier initial del'entreprise. En cours d'activité, dans le cycle de croissance de l'entreprise desinvestissements sont réalisés. Nos observations toumodiennes renforcent des tendances déjàsignalées par maintes études : peu d'entrepreneurs agrandissent et modernisent le localprofessionnel -dont ils ne sont pas, on l'a vu, majoritairement propriétaires, ceci expliquantsans doute cela; en revanche, en dehors des utilisations "sociales" des surplus financiersdégagés de l'activité (nourrir, héberger, éduquer, constrUire une habitation, etc.) desinvestissements sont pratiqués sous forme de renouvellement/amélioration de l'équipement enmachines et en outils ou d'augmentation des stocks de marchandises ou de matièrespremières. Si de tels investissements complémentaires ne sont pas forcément très imponantsou systématiquement réalisés, ils sont assez courants pour être signalés ici et analysés dansleur procédure.

17

Page 21: AUPElF NOTES DE RECHERCHE

18

Ce sont les revenus tirés de l'activité entrepreneuriale elle-même qui financent enpriorité ces investissements ultérieurs pour 94 des 106 exploitants interrogés. Toutefois 34entrepreneurs ont complété leur autofinancement par des prêts (dont 3 cas de tontine) et 2autres par des dons., un seul ayant par ailleurs déclaré avoir utilisé les revenus d'une autreactivité simultanément exercée. On voit que la hiérarchie des sources de constitution ducapital initial est respectée. Le réinvestissement, tout en restant, insistons sur ce point, defaible volume, représente cependant la procédure essentielle d'accroissement de la capacité deproduction. Dans les cas de financement par des prêts -qui ne font au reste que s'ajouter àl'autofinancement- il s'agit de manière prédominante de prêts consentis par les fournisseurs(comme dans la période initiale). Les prêts bancaires sont soit absents soit prennent la formede prêts à la consommation. Il n'est pas fait appel à d'autres formules (revenus locatifs, fondsréunis dans des tontines, etc.).

2.1.3. Les problèmes de trésorerie

Seuls 8% des 106 entrepreneurs de Toumodi constituant l'échantillon d'enquête nesemblent jamais avoir connu de difficultés financières après le lancement de l'activité. Desproblèmes de gestion à court terme ont surgi dans le cycle de vie de la plupart des entreprisesobservées. La très grande majorité des exploitants n'a pas fait, même occasionnellement,appel à des fonds extérieurs, se contentant alors de réduire leurs ponctions eççnregistrantconjoncturellement de fortes tensions dans leur trésorerie. Dans 6% des cas les exploitantsn'ont pas hésité à recourir à une avance de la clientèle pour faire face à une situationfinancière délicate. Aucun cas de recours à des usuriers et autres bailleurs informels ou à unetontine n'a été observé.

Les résultats obtenus à Toumodi sur ce chapitre sont conformes à ceux.extraits desautres enquêtes connexes conduites en d'autres endroits de Côte-d'Ivoire dans lecàdre de lamême grande opération de recherche. Ainsi, pour ne retenir que cet exemplé; à Daoukroaucun des 280 petits et moyens entrepreneurs interrogés ne semble avoir eu recours, pourrégler des problèmes financiers à court terme, à d'autres formules que des avances-clients etdes avances-fournisseurs, la plupart gérant ces difficultés conjoncturelles en tendantdavantage la trésorerie de l'entreprise et en modulant les prélèvements opérésquotidiennement sur les recettes pour couvrir les dépenses courantes d'entretien de l'unité derésidence.

TI ne doit cependant pas être exclu que des régulations financières soient établies ausein de l'ensemble des sources de revenus et des activités exercées par les exploitants,mouvements accentués par une situation de faible -mais non nulle comme on le croit tropsouvent- séparation des patrimoines (entre le domestique et le professionnel ou encore entreceux relatifs à des activités différentes mais simultanées). Aucune mention n'a été faite parles entrepreneurs, pourtant interrogés longuement, sur l'existence de tels transferts propres àsoulager la trésorerie de l'entreprise dans des périodes difficiles. Pourtant 21 sur 106entrepreneurs font état d'autres sources de revenus. Mais ces transferts ne peuvent être trèsimportants. En effet seuls 4 entrepreneurs sur 106 perçoivent des revenus locatifs, Ildisposent de très modestes revenus agricoles (commercialisation de vivriers essentiellement),les 6 autres pouvant bénéficier des quelques gains tirés par le conjoint dans une micro-activitéinformelle. C'est l'exercice d'une multiactivité (23% des entrepreneurs de Toumodi sontpropriétaires d'au moins une deuxième entreprise) qui peut surtout donner à penser que destransferts de trésorerie sont éventuellement opérés puisque les 24 exploitants concemé~ ontdéclaré tirer des revenus de cette autre ou de ces autres activités patronales. Ces· circulationsfinancières sont largement plausibles et peuvent correspondre, au plan de la trésorerie, auprocessus endogène de financement de nouvelles entreprises déjà noté à propos des sourcesdu capital initial. Une réserve doit cependant être apportée: la moitié des entrepreneurs ayantune autre entreprise l'ont ailleurs qu'à Toumodi, ce qui plus aléatoire, moins fréqùent qu'onne pourrait le penser les mouvements de fonds entre les divers établissements d'un mêmepropriétaire.

2.2. La place relative des tïnancemènts informels

Page 22: AUPElF NOTES DE RECHERCHE

Avant d'aller plus loin dans l'analyse il est bon de rassembler, sur une basetypologique et non plus évolutive, les principaux résultats qui ont été détaillés dans lesdéveloppements précédents.

2.2.1. La hiérarchie des sources de financement à Toumodi

On aura noté en premier lieu l'imponance majeure de l'autotÏnancement. Celui-ci seprésente sous la forme d'une épargne personnelle, vérifiée chez 58% des promoteurs lors dela création de l'entreprise, et elle-même dégagée pour l'essentiel (68%) d'une activitéentrepreneuriale préalable. L'imponance des fonds propres apparaît également dans lefinancement des investissements additionnels alimentés chez 89% des entrepreneurs par lesbénéfices qu'ils parviennent à dégager de la présente activité enquêtée.

Le recours à des prêts strictement financiers lors de la création de l'entrepriseconcerne 26% des promoteurs. L'essentiel de ceux-ci sont obtenus directement auprès desfournisseurs (pour 57% des cas étudiés -et prennent alors l'aspect d'une avance demarchandises ou de matières premières) ou du cercle familial (pour 31 % dès situationsconcernées par un prêt). Deux cas de prêts consentis par les banques ont été au total signaléspar les 106 entrepreneurs interrogés. Le concours fmancier d'une rontine apparaît égalementdans le cas d'une création dans l'ensemble de l'échantillon d'enquête. En matièred'investissements complémentaires la formule du prêt est venue compléter, dans 32% dessituations, la réinjection des bénéfices de l'entreprise. Sur les 34 cas considérés les prêts­fournisseurs ponent sur 31 d'entre eux et les tontines ont été mises à contribution dans troiscas.

Les dons enfin sont présents dans 20% des situations de création d'entreprise etproviennent, à hauteur de 88%, du cercle familial et, pour le reste, d'anciens employeurs.Dans le domaine des investissements ultérieurement réalisés par les entrepreneurs les dons nesont repérés que dans 2% des cas.

Sous le rappon de plus ou moins grande institutionnalité, de plus ou moins grandeformalité des modes de fmancement auxquels ont recours les entrepreneurs de Toumodi il estpossible de tirer rapidement les quelques enseignements suivants.

Le système bancaire manifeste une très grande discrétion. Ses concours fmanciers sontrares: deux seuls cas ont été identifiés dans la diversité des 106 créations d'entreprise etaucune intervention du circuit fmancier institutionnel n'a été identifiée lors desinvestissements complémentaires. Encore convient-il de préciser que dans les deux situationsévoquées ici les promoteurs ont obtenu un crédit à la consommation sous forme de "prêtpersonnel" complétant leur propre mise de fonds et non un crédit commercial -ces prêtspersonnels sont remboursables sur dix mois; 90% des crédits consentis dans ce cadre par lestrois agences bancaires de la ville se situent entre 500.000 F et 1.000.000 F. CFA.

Ce résultat est d'autant plus remarquable qu'environ 30% des entrepreneurs enquêtésdisposent pourtant d'un compte dans une des agences bancaires de Toumodi. Lesétablissements financiers sont en effet bien présents dans la ville à travers la SGBCI, laBNDA et la BICICI et gèrent, au moment de l'enquête, respectivement 1.500, 650 et 1.700comptes soit près de 3.900 comptes au total. Mais, alors que les "produits" proposés par lesbanques sont diversifiés (compte-courant, compte-livret, plan d'épargne-logement et pland'épargne-crédit, dépôt à terme, etc.) celles-ci ne gèrent que très peu de "comptescommerciaux" témoignage de financements de l'activité économique. La plupan desentrepreneurs disposent simplement de "comptes de paniculiers" et les entretiens réalisésauprès des trois directeurs d'agences bancaires confirment pleinement la rareté des prêtsconsentis aux PME de Toumodi apparue dans les enquêtes d'entreprises -il est à cet égardsignificatif que la plus grande agence n'ait financé que les deux pharmacies de la place et quela troisième en importance n'ait accordé au total qu'un seul crédit commercial dont abénéficié un anisan-sculpteur. Seuls quelques solides exploitants sollicitent et obtiennent des"facilités de caisse" d'ailleurs chèrement payées par d'imponants agios trimestriels. Les

Page 23: AUPElF NOTES DE RECHERCHE

20

banques ne panicipent donc pas au financement de l'entreprise à Toumodi.

Le chapitre des financements informels paraît davantage nourri par les résultats del'enquête. Pourtant la prudence analytique s'impose tout autant. Le principal pourvoyeursemble être constitué par la communauté lignagère qui manifeste sa panicipation, on l'a vu,soit sous forme de prêts. soit sous forme de dons à l'occasion du lancement de l'activitébeaucoup plus que lors des investissements ultérieurs dont elle est quasiment absente. Faut-ilencore préciser que. sur le plan des seuls appons financiers, les prêts familiaux ne concernentfinalement que 31 % des 26% de promoteurs ayant bénéficié de prêts financiers de toutesorigines au moment de la création de l'entreprise, soit environ 8% du total des entrepreneursenquêtés et que les dons fournis par le cercle familial à ce même stade de création del'entreprise ne concernent qu'environ 15% de l'ensemble des promoteurs. A ces chiffres quiviennent relativiser la part lignagère dans le lancement des activités il faut ajouter deuxprécisions qui viennent nuancer davantage encore l'ampleur de cette contribution informellefamiliale. En premier lieu, on l'a vu, les prêts consentis dans ce cadre peuvent être considéréscomme contraignants pour 86% d'entre eux; d'autre part les dons sont souvent assortis decontreparties qui leur ôtent les caractéristiques d'appons grâcieux, indolores, unilatéraux donton les affuble trop rapidement au prétexte que ces aides proviennent de foyers de solidaritéprimaire.

On aura pu noter également l'absence de bailleurs informels auxquels on songehabituellement : banquier de rue, garde-monnaie, prêteur sur gage, etc. U faut relever ici lagrande sagesse gestionnaire des petits et moyens entrepreneurs de Toumodi méfiants à l'égardde fmancements de proximité cenes facilement débloqués mais dont les taux d'intérêt sontloin d'être mesurés. Ceci est d'autant plus notable que les prêteurs sur gage, dans une villecomme Toumodi (où ils sont appelés "maraka" et qui sont d'origine malienne), sontnombreux et prospères, qu'ils offrent "généreusement" leurs services dans les arrièresboutiques des quartiers commerciaux et qu'ils sont, au total, autrement disponibles et"accueillants" que les agences des trois établissements bancaires officiels présentes àToumodi. Ils pratiquent cenes des taux usuriers (de l'ordre de 100% par mois selon nosobservations de terrain) mais leurs services sont immédiats. Us interviennent financièrementselon deux types de modalités: soit le prêt d'argent direct pratiqué à des taux d'intérêt on l'avu considérables, soit le rachat de dette contractée lors d'un achat d'un bien d'équipement ­souvent le seul ouven aux paniculiers. Les "maraka" acquièrent alors le matériel neuf auprèsde leur client, à 50% de sa valeur et en échange de liquidités que celui-ci recherche en fait Lematériel est ensuite revendu autour de 80% de sa valeur, donc avec un fon bénéfice pour leprêteur, l'emprunteur devant continuer à rembourser la totalité du crédit d'équipement dont ilavait bénéficié au départ. Est-il nécessaire d'insister sur le caractère asphyxiant d'un telmécanisme financier pour ceux qui y ont recours? Les exploitants des PME de Toumodi nerèglent cependant pas de cette façon leurs problèmes financiers immédiats -et a fortiori laquestion du capital permanent de l'entreprise- et, de fait, l'enquête montre que ce sont lessalariés régulièrement rémunérés du secteur privé moderne ainsi que les agents des secteurétatique et parapublic qui sont les catégories socio-professionnelles les plus engagées auprèsdes circuits financiers parallèles, n'hésitant pas à gager plusieurs mois de revenus à venir.

Quant au système tontinier, sa contribution se résume à un seul appon sur les 106créations d'entreprises et à 3 concours dans des opérations d'investissements ultérieurs. li estvrai que les participations à des associations rotatives d'épargne et de crédit n'ont étédéclarées que par 4% des effectifs enquêtés. Cette faiblesse s'explique sans doute par lacomposition de l'échantillon: 22% de femmes entrepreneurs y figurent alors que les tontines,en Côte-d'Ivoire, sont nettement féminisées (22% des soixante femmes chefs d'entreprisesenquêtées à Abidjan y adhérent régulièrement). De fait lorsqu'on analyse les participations àdes tontines faites par les entrepreneurs enquêtés on enregistre que les 4 personnes concernéessont toutes des femmes, que 3 exercent dans le commerce et 1 dans les activités de service,que 2 appartiennent à la classe d'âge 40-49 ans, 1 à la classe 30-39 ans, la dernière à la classe50-59 ans. En termes de revenus nets tirés de l'activité ces 4 femmes participant à des tontinesémargent aux 4 classes les plus faibles sur les 9 statistiquement construites.

Page 24: AUPElF NOTES DE RECHERCHE

21

On peut encore préciser le profil de ces 4 tontinières et des conditions d'emploi desfonds collectés. Mme A., 52 ans, dyula, tient un commerce de pagnes et la tontine lui a permisun appon de 120.000 F. CFA en début d'activité. Mme B., 31 ans, yoruba originaire duNigéria, exploite un magasin de récipients divers (terre, plastique, etc.). En cours d'activitéles 200.000 F. CFA mobilisés dans le cadre d'une tontine ont contribué au financement del'agrandissement du local. Mme c., 44 ans, baoulé, a utilisé 40.000 F. CFA en provenanced'une tontine pour développer ses activités de maquis-restaurant. Enfin Mme D., 41 ans,baoulé, a orienté les 200.000 F. CFA provenant d'une tontine dans l'achat de machinessupplémentaires pour son entreprise de confection et vente de vêtements d'enfants.

2.2.2. De la simation locale à la situation générale

Les résultats ainsi obtenus sur Toumodi en matière de modes de financement desentreprises posent la légitime question de leur spécificité locale ou au contraire de leurconformité à des simations prévalant ailleurs en Côte-d'Ivoire et ailleurs en Afriquesubsaharienne et décrites par maintes études. Mais de telles comparaisons, sans douteindispensables pour apprécier l'aire de validité des données issues de l'enquête de terrain,exigent que de grandes précautions soient prises au plan méthodologique et que, notamment,les types d'entreprises concernées soient clairement identifiées à chaque fois puisqu'on peutfaire l'hypothèse, largement confinnée par l'expérience, que chaque catégorie d'entreprise atendance à développer ses propres modalités -simples ou combinées- de fmancement.

Un premier rapprochement s'impose avec l'enquête réalisée dans 4 villes de l'intérieurivorien auprès de 476 petites et micro-activités (la plupart informelles) par Benoît Lootvoet1988. Ses résultats sont très proches de ceux de Toumodi. Ainsi son analyse (1988 pp. 197­198) établit la mesure des différentes combinaisons suivantes dans le domaine de la formationinitiale du capital : l'épargne seule atteint 36% des modalités, le don seul 29%, le don etl'épargne 12%, le prêt et l'épargne 9%, le prêt seul 8%, le don et le prêt 5%, cet ensemblecouvrant donc 99% des cas. La rareté du crédit bancaire est ici confinnée (Lootvoet 1988 p.204) : sur les 476 petits établissements 3 seulement ont bénéficié d'un financement bancairecontribuant au capital de démarrage. Le chercheur (pp. 205-208) signale que dans 110 des146 points d'activité (sur 476) caractérisés par des investissements complémentaires ce sontles bénéfices tirés de l'activité qui en ont pennis le financement, les autres modalités,diverses, étant marginales (prêts et/ou dons familiaux ou amicaux), les crédits bancaires quantà eux n'intervenant, partiellement, que dans 4 cas.

Une enquête réalisée au Ghana voisin par Paul Kennedy (1980 pp. 48 et s.) auprès de186 entreprises de différentes tailles nous informe que l'épargne personnelle est à l'originefmancière exclusive de 55% de l'ensemble des finnes, les aides et prêts familiaux à l'originede 33%, les autres sources de financement (prêts d'anciens employeurs, avances des clientsetc.) représentant 12%. L'analyste notait également que les investissements nouveaux réaliséssous forme d'équipement -les seuls qu'il analysait- provenaient à hauteur de 55% des cas desréinvestissements directs de l'exploitation, pour 24% de prêts commerciaux (plus fréquentspour les grandes entreprises -qui constituaient une fraction de son échantillon- et plus rarespour les petites), enfin pour 21% d'une épargne personnelle ou familiale constituée en dehorsde l'entreprise concernée (plantations, revenus immobiliers, etc.). Les grandes tendances enmatière de types de financement des activités sont donc confinnées.

Pour revenir à la Côte-d'Ivoire nous disposons de deux autres référencesdocumentaires précises sur les problèmes de financement des entreprises. La première estl'enquête réalisée sous l'égide du Ministère ivoirien du plan (Baris et Zaslavsky 1981).L'échantillon était constitué de 41 petites entreprises des secteurs de l'industrie et du BTP.Elles se décomposaient, selon les auteurs, en 18 PME modernes respectant la comptabilitélégale; en 16 petites entreprises de transition utilisant une comptabilité rudimentaire maisemployant au moins un salarié permanent; enfin en 7 établissements du secteur informeln'ayant recours ni à un début de comptabilité, ni à des salariés. L'échantillon intégrait doncdes catégories d'entreprises du type de celles enquêtées à Toumodi. Sur ces 41 petites etmoyennes entreprises 19 étaient localisées à Abidjan. Les principaux enseignements

Page 25: AUPElF NOTES DE RECHERCHE

financiers de cette très sérieuse étude se présentent ainsi. En ce qui concerne la fonnation ducapital initial les auteurs relevaient l'imponance générale de l'épargne personnelle maisnotaient la tendance des fonds propres à décroître avec la taille de l'entreprise puisquereprésentant, en pan relative de l'investissement initial, 71 % des entreprises infonnelles, 62des entreprises de transition et 31 des PME modernes. La pan des prêts familiaux décroissentégalement avec la taille, correspondant à 25% des fonds de démarrage dans l'informel, 21dans le secteur de transition, 5% dans les PME modernes. Enfin la pan du crédit extérieur(crédit bancaire et crédit-fournisseur) variait en sens inverse, ayant tendance à croître avec lataille de l'entreprise (4% dans l'informel, 17% dans la transition, 64% dans les PME). Lesauteurs avaient identifié un crédit bancaire dans 6 entreprises seulement, toutes étant des PME(soit 30% d'entre elles). En matière d'investissements ultérieurs la pan de l'autofinancements'élevait à 53% dans les PME, 51 % dans les entreprises du secteur de transition et 6% dansles entreprises informelles. Le constat de ces réinjections fmancières dans l'entrepriseconduisaient légitimement les enquêteurs à militer pour une relativisation de "l'image del'entrepreneur national qui gaspille l'essentiel de ses bénéfices dans des dépensesostentatoires en faisant dépérir son entreprise, faute d'investissements de type productif'(Baris et Zaslavsky 1981, p. 16). Sur ce chapitre des investissements additionnels les prêtsfamiliaux ou amicaux étaient évalués à hauteur de 90 dans l'infonnel, 25% dans le secteur detransition et 1% dans les PME modernes. Quant au crédit bancaire, une fois mis à pan lesfinancements d'automobiles -dom il est difficile de déterminer la fonction "productive"- ilsétaient de 25% dans les P~, de 5% dans le secteur de transition et nuls dans l'infonnel.Encore faut-il préciser que les PME ayant obtenu du crédit institutionnel étaient touteslocalisées à Abidjan.

C'est précisément cette question spatiale qui se trouve être une des clefs pouvantexpliquer des différences sensibles de résultats entre différentes enquêtes, même si ellesponent sur des catégories à peu près semblables d'entreprises. Nous en avons un exempleavec l'étude d'une mission d'évaluation réalisée sur 50 PME ivoiriennes en 1986 (Républiquefrançaise 1986). Des disparités assez considérables sont visibles entre les résultats de cetteenquête et ceux des études présentées jusqu'à présent. Or les caractéristiques de structure dela population d'entreprises ayant servi d'échantillon pour cette étude réalisée en 1986 ne sontapparemment guère différentes de celles des petites et moyennes entreprises enquêtées parailleurs. Les enseignements de l'étude sont pourtant très particuliers. Pour ne retenir quequelques données rapides: 29 des 50 P:ME enquêtées alors avaient bénéficié de concoursbancaires au moment de leur création. En outre 7 d'entre elles avaient obtenu le soutien destructures publiques de promotion de l'entrepreneuriat national (OPEI et CAPEN), 16 d'entreelles avaient bénéficié en début d'activité de marchés de l'Etat et 13 d'entre elles enfinavaient établi un panenariat avec des entreprises étrangères. Toutes proportions considérablesde nature à spécifier très nettement cet échantillon. Des biais, qui interdisent de généraliser lesrésultats de cette enquête à l'ensemble de la Côte-d'Ivoire, sont intervenus dans la confectionde la liste des entreprises à enquêter. L'échantillon a en effet été constitué à partir de basesinstitutionnelles (Centrale de bilans, Ministère du Plan et de l'Industrie, Chambre deCommerce, etc.) et sur la seule agglomération abidjanaise, ce qui a eu pour effet mécaniquede faire sur-représenter dans l'échantillon d'enquête les entreprises aidées et soutenues par lesdiverses structures officielles aux plans administratif, financier, technique parce que proches ­politiquement, socialement et géographiquement- des sommets de l'Etat, des appareilscentraux et décisionnels des diverses institutions en cause. D'où, en particulier, un taux decrédits bancaires très élevés et peu représentatif de la situation financière des PME à l'échelledu pays, comme nous l'avons vu précédemment.

Un autre point de repère peut être pris, prudemment encore, avec les résultats observésdans le milieu exclusif des activités infonnelles. La synthèse réalisée par J.-P. Lachaud (inPenouil et Lachaud 1985 pp. 123 et s.) pone sur de nombreuses enquêtes faites dans plusieurspays africains dont la Côte-d'Ivoire et relatives à des centaines de micro-activités. S'agissantdu capital de dépan deux modes principaux de constitution se dégagent : l'épargnepersonnelle est citée par 75% des promoteurs et provient, à hauteur de 50% d'activitésindépendantes antérieures; l'aide de la famille (prêts et dons) est citée par 25% d'entre eux.L'auteur note l'absence totale du système bancaire à ce stade de l'investissement initial.

22

Page 26: AUPElF NOTES DE RECHERCHE

23

Quant aux investissements complémentaires ils sont considérés comme financés, à 90%, parl'activité elle-même, les 10% restants provenant des cercles familiaux, la contribution ducircuit bancaire étant de nouveau nulle.

Enfin on relèvera que sur un plan plus général encore, dans leur tour d'horizonintégrant une littérature couvrant l'ensemble de l'Afrique subsaharienne, Page et Steel (1986,pp. 29 et s.) confinnent que l'épargne personnelle alimente la majorité des financements desPME africaines, complétés, de plus ou moins loin, par les dons et prêts de parents. Ilsindiquent que la grande faiblesse des ressources financières accordées par les banquescommerciales et les autres organismes financiers publics (qui "atteignent rarement 10% ducapital initial") "constitue une caractéristique frappante" de l'univers des PME africaines.

Les résultats obtenus sur Toumodi ne sont donc pas a-typiques. Liés à des stratesparticulières d'entreprises (petites entreprises déjà relativement smIcrurées et frange basse desmoyennes entreprises) ils rendent compte de la situation financière générale -à l'échelle dupays, mais aussi au-delà sans doute-, relative à cette fraction de l'univers entrepreneurial. Enrésumé et relativement à la question des parts respectives des financements institutionnels etnon-institutionnels on admettra que l'autofinancement constitue le mode très largementdominant de capitalisation des entreprises. que les fonnules informelles qui mettentprincipalement en jeu les contributions lignagères n'ont qu'un rôle accessoire,complémentaire en quelque sorte, en tout état de cause pas aussi important que pourrait lelaisser penser la quasi absence du système bancaire officiel dans les fonds de démarrage etdans les investissements ultérieurs des entreprises. L'autotÏnancement massivement constaté,et synonyme de réinvestissement, témoigne de la force d'un processus d'accumulation qui faitdistinguer les établissements enquêtés des installations purement informelles assurant à peinela survie de leurs exploitants. Ce résultat, qui conforte la thèse de l'endogénéité financièrepourrait bien n'être après tout qu'une tautologie s'il était intempestivement et exclusivementramené à l'état de logique financière informelle. En effet, l'autofinancement étant la sourceessentielle de l'investissement, chaque secteur -formeVinfonnel-, chaque classe d'entreprisesa tendance à dégager les conditions en capital de sa propre reproduction.

Quant à la faible contribution des tontines au financement de l'activité économique,elle ne doit pas beaucoup surprendre. La littérature générale sur les pratiques tontinières a misl'accent sur la typologie des associations financières, sur leurs modalités de fonctionnement,sur la mathématique des intérêts etc., mais demeure fort laconique sur la nature des emploisfaits des fonds collectés par les participants. On ne trouve nulle mesure des utilisationsgénérales -et a fortiori dans le cadre du financement entrepreneurial- des sommes mobilisées àtravers les tontines dans la plupart des travaux spécialisés tels Baulier et alü 1988, Bekolo­Ebe et alii 1991, Dupuy 1990, Issoufou 1990, Lelart et Gnasounou 1990, Nzisabira 1991,Rietsch 1989 et 1990, Tinguiri 1990, etc. Parmi ceux qui mentionnent -sur déclaration desenquêtés et sans qu'une mesure rigoureuse, d'ailleurs délicate à faire, permette d'en contrôlerla véracité- des concours tontiniers au développement des affaires, signalons Gnansounou1991 p. 35 qui ne fournit aucun détail et laisse intacte la question d'une contribution àl'entreprise ou à l'entrepreneur -ce qui n'est pas tout à fait la même chose-, Brenner, Fouda etToulouse 1990a à propos du cas bien connu des Bamiléké camerounais, Henry, Tchente etGuillerme qui évoquent simplement la forte probabilité que les fonds rassemblés "serventégalement à des financement de trésorerie, soit dans le secteur des PME, soit dans le cadred'opportunités commerciales momentanées (...) il faut signaler cependant qu'aucune enquêten' pu être réalisée à ce jour sur cette question... " (p. 30), Dromain 1990 qui, exploitant 677réponses d'adhérents et ayant classé les utilisations de fonds en 6 grandes classes, dénombre11,5% des réponses se rapportant au "financement d'activités commerciales, artisanales etagricoles" (p. 166), Soedjede (1990 in Lelart) qui ne peut que faire état d'''intentions''d'utilisation dans le domaine du capital commercial (p. 219) etc.

Au total il faut bien admettre que la moisson est bien peu substantielle en matièred'évaluation précise du concours tontinier au fmancement des entreprises: beaucoup d'étudesne s'en préoccupent pas, celles qui mentionnent cette fonction ne peuvent que s'en remettre àsa plausibilité, et celles enfin qui tentent de mesurer cette importance ou bien prennent les

Page 27: AUPElF NOTES DE RECHERCHE

motivations et les intentions pour des actes avérés ou bien ne peuvent aller au-delà del'enregistrement et de l'exploitation de simples déclarations, sans autre forme de contrôle quisuppose, il est vrai, proximité, familiarité et durée d'observation. Les difficultés objectivesd'évaluation rigoureuse sont souvent rédhibitoires et un expert comme Michel Lelan les aclairement exposées (LeLan 1991 pp. 13 et s.). C'est pourquoi on peut panager sa grandeprudence lorsqu'il conclut d'un rapide tour d'horizon de la littérature sur la question que"l'épargne des tontines ne sert pas en priorité l'investissement" (p. 15), alors même, pourrait­on ajouter, que l'engouement récent, tout à fait légitime et scientifiquement pertinent, pour lesétudes sur la finance informelle en général et sur les tontines en particulier, faute dedéboucher encore sur des mesures précises des emplois des fonds collectés, est propre àdonner prise à une surestimation impressionniste du rôle que les circuits parallèles sont àmême de jouer dans le soutien et la croissance des petites et moyennes entreprises. Plusgénéralement encore, ainsi que le notait Philippe Hugon (Hugon 1990 p. 319) les systèmesfinanciers informels "sont rarement à même de tinancer des investissements productifs demoyenne et même de faible dimension".

La situation camarounaise où le phénomène tontinier a servi le dynamismeéconomique bamiléké. le contexte béninois bourgeonnant de tontines ne peuvent êtregénéralisés sans grave erreur. En Côte-d'Ivoire aussi les tontines existent et prospèrent. Maiselles sont pour l'essentiel l'affaire des femmes et remplissent d'autres fonctions (couvenuresociale, mutualisme. financement de grosses dépenses ponctuelles de consommation, etc.) quele financement des investissements réalisés au sein des entreprises.

2.3. Esquisse compréhensive: des modes de financement à la logique d'accumulationdes PME

Par-delà l'existence de réelles variations généralement corrélées à la taille desentreprises concernées, comment expliquer que la structure des financements -leurs types etleur place relative- paraisse s'appliquer dans ses grandes lignes à l'ensemble desétablissements? Comment rendre compte de la faiblesse générale des financements externesdes entreprises -qu'ils soient institutionnels ou informels ? Comment même éclairer unesituation globalement caractérisée par une sous-utilisation du potentiel des circuits financiersparallèles ? Ces quelques questions et d'autres suggèrent que soit construit un cadreconceptuel permettant d'apporter des éléments de réponse.

On a pu mettre en avant l'endogénéité fmancière du secteur informel; on a pris lamesure de l'autofinancement qui sous-tend le processus de création des entreprises petites etmoyennes et oriente encore pleinement l'accroissement de leur assise productive; on aenregistré la défection générale du système bancaire dans le financement des activitésentrepreneuriales de faible dimension, à l'évidente exception de PME modernes situées dansla capitale économique, servies par l'entregent de leur promoteur dans les sphères de lapolitique, de la haute administration et de la finance. Les explications de ces cloisonnementsstructurels et de ces apparentes limitations financières ne manquent pas. Toutes paraissentpareillement fondées.

Contentons-nous de rappeler quelques directions dans lesquelles des ensembles denotations rendent raison, de fait, des situations observées. Sur l'incompréhension entreentrepreneurs et banquiers beaucoup a été dit et écrit, et de fort justes choses. Dans une richelittérature retenons les observations de Labazée (Labazée 1988 pp.156-162) faisant état de lacirconspection des opérateurs du grand commerce traditionnel à l'égard de l'institutionbancaire à laquelle pourtant ils contïent leurs fonds et avançant que les taux d'intérêtspratiqués par les établissements financiers ne sont pas le seul fondement de cette méfiance:des décalages de temporalité (court et long termes), la nécessité des commerçants d'intervenirrapidement sur les marchés, la complexité, la durée et donc le coût des négociations avec labanque, l'exigence de pièces comptables, les contrôles que s'autorise l'établissement bailleur,les exigences particulières de garanties des prêts accordés etc. mettent en évidencel'inadéquation aux normes bancaires du fonctionnement du grand commerce, qui pratiquefinalement ses opérations courantes sur ressources propres, et les modifications

24

Page 28: AUPElF NOTES DE RECHERCHE

25

d'organisation, de gestion et de direction des établissements tenus par les grands commerçanrsqu'induiraient cette adaptation aux exigences et aux attentes des organismes prêteurs.

De leur côté Baris et Zaslavsky (1981, tome II, pp. 33-42) ont longuement développéles raisons de l'absence de soutien des banques commerciales au développement des petites etmoyennes entreprises : coûts de gestion élevés de prêts réduits mais nombreux, absence degaranties comptables dans l'entreprise, faiblesse des sûretés présentées, incertitude desremboursements, impréparation des entreprises aux conditions et délais de transaction.tendance des établissements financiers à accorder des crédits à court terme en minimisant lesrisques dans le temps, absence d'autonomie de décision des agences locales et régionales, etc.Ces faits, vérifiés en maintes occasions. expliqueraient la faible participation des banques auxactivités de l'artisanat et des P:ME résumée en 1980 dans cette situation ivoirienne qui faisaitque, à l'échelle nationale, les concours bancaires représentaient à peine 1% du total descrédits dans les PME et les entreprises artisanales du secteur moderne couvenes par laCentrale de bilans.

Symétriquement les atouts de la tïnance informelle ont été largement identifiéséclairant cenains de ses succés -au demeurant, comme on l'a vu, circonscrits: l'insertion dansun environnement de proximité où le contrôle social réduit les risques de non remboursement,la faiblesse de ses coûts de gestion, sa flexibilité, son adaptabilité à la diversité des situations,etc. (voir par exemple Hugon 1990, pp. 319 et s.).

Une grande partie de la documentation disponible sur la question du fmancement desPME africaines, de même que beaucoup d'études réalisées sur les circuits financiers informelsfont, explicitement pour cenaines, implicitement pour d'autres, dépendre le développement etla prospérité des petites et moyennes entreprises du facteur financier, d'une offre suffisante etadaptée de moyens financiers aux besoins des entreprises, d'un plein épanouissement despotentialités des circuits parallèles. En tout état de cause l'accroissement des instruments decrédit serait nécessaire et viendrait judicieusement soutenir l'expansion des activitésentrepreneuriales. il est possible que cette perspective ne soit pas tout à fait exacte et que lesprésupposés sur lesquels elle est fondée ne résistent pas à l'analyse.

Pour développer ce point de vue on peut s'appuyer tout d'abord sur les corrosives etpertinentes observations d'Ernest Aryeetey faites à la suite d'enquêtes auprès d'environ 300petites entreprises du Ghana (Aryeetey 1991). Le chercheur épingle quelques postulats sous­jacents à de nombreux travaux et quelques malheureuses simplifications : le financementinformel serait le substitut automatique et idéal au crédit institutionnel rationné ou absent; ledéveloppement des financements informels serait la condition d'un plus grand dynamisme desPME; à terme, en contribuant à la création d'un environnement plus favorable,l'augmentation du crédit en général, et du crédit informel en particulier, permettrait unaccroissement de la taille des entreprises et le passage d'établissements artisanaux ou semi­industriels à un stade industriel, etc. Les analyses qui se font l'écho des "demandes" et autres"besoins" de crédit enregistrés auprès des petits entrepreneurs ne sont pas sans ambiguïté;beaucoup des problèmes financiers de ceux-ci ne sont pas nécessairement liés à des demandesde crédit même si cette liaison est souvent évoquée: il s'agit souvent en fait de créances nonrecouvrées, quelquefois de produits inadaptés à la demande, plus largement d'une mauvaiseadéquation aux conditions du marché souvent vécus, il est vrai, en termes financiers; en outrel'aide appelée par les petits entrepreneurs est plus limitée qu'on ne le croit trop souvent: c'estla trésorerie plus que le long terme qui est en cause. E. Aryeetey a constaté, au cours de sesenquêtes de terrain, que toutes les possibilités de crédit informel étaient loin d'être utiliséespar les petits entrepreneurs. Enfin lorsque ceux-ci y ont recours c'est bien plutôt pour fmancerleur consommation privée, voire pour réaliser ponctuellement une opération spéculative quevéritablement pour consolider financièrement l'activité de leur entreprise. Le chercheurconclut que ces liaisons sont, pour l'heure, plus postulées que démontrées, et que les réalitésdu terrain entrepreneurial au Ghana sont loin de vérifier la validité de toutes les assenionsprononcées en matière de fmancement informel des petites entreprises et qu'il faut être, en lamatière, d'une grande prudence. La consolidation du tissu des entreprises, leur prospérité etleur développement ne se réduisent pas dans des termes aussi simplificateurs que des "besoins

Page 29: AUPElF NOTES DE RECHERCHE

26

de crédit informel".

Les débats ponant sur l'ampleur et la nature de l'accumulation dans le secteur despetites entreprises et des micro-activités informelles peuvent aider à avancer encoredavantage dans la mise en place du cadre conceptuel propre à répondre aux questionsinitialement posées. Les réflexions faites par B. Loorvoet dans le cadre de vigoureusesremarques méthodologiques sur la mesure de l'accumulation et de l'examen des enjeux depolitique économique (faut-il, peut-on aider, par des mesures appropriées, le dynamisme despetites entreprises les plus performantes ?) sont des plus profitables (Lootvoet 1988, pp. 209­218). Passant en revue diverses thèses et divers courants de pensée sur la question del'accumulation et le type de reproduction -simple ou é1argie- qui prévaut dans le monde despetites activités urbaines et résumant les résultats de ses propres enquêtes, Lootvoet y vérifie àla fois l'existence d'une accumulation de capital saisissable non plus par une approche demicro-économie mais, nouveauté, de macro-économie et précise la nature de cetteaccumulation: elle ne se traduit pas nécessairement par la croissance du capital productif ausein de chaque établissement en question, des investissements tout autant productifs sontréalisés au-dehors et on constate notamment une tendance à la démultiplication des pointsd'activité. C'est ce qui explique entre autres le décalage entre la taille du capital accumulé parle petit entrepreneur et la modicité des investissements complémentaires qu'il réalise au seinde l'entreprise. Ainsi peut-on mieux comprendre quelques constats: l'élévation des revenustirés d'une activité ne débouche nullement sur une tendance à l'accumulation de type intensifreposant sur un accroissement du capital productif de l'établissement en question; la taille desétablissements artisanaux et commerciaux tend à se stabiliser dans le temps.

L'analyse de la dynamique de l'investissement que propose X. Oudin à partir de sesrésultats d'enquête sur la branche textile du secteur informel à Niamey conforte cetteproblématique et apporte une compréhension accrue du processus d'accumulation (Oudin1990). Ce chercheur a éclairé deux paradoxes qui rendent perplexes les expens et peuventexpliquer les défaillances des politiques d'assistance aux entrepreneurs nationaux: d'une partl'apport de capital financier n'a qu'une incidence indirecte sur le niveau de production;d'autre part des entreprises qui paraissent stagner génèrent des revenus suffisants pourfinancer par ailleurs toutes sones d'investissements hors de ces entreprises elles-mêmes. Lesdonnées d'enquête montrent que le mouvement d'investissement se réduit la plupart du tempsà la seule phase de démarrage de l'activité et que, pour le reste, les pratiques d'investissementse limitent à l'entretien de l'appareil de production sans avoir pour vocation l'augmentationdu capital fixe. il n'existe pas, d'autre part, de relations entre les résultats des entrepreneursenquêtés et l'imponance de l'investissement X. Oudin confinne la hiérarchie déjà évoquéedes sources de financement (épargne personnelle, prêts familiaux et communautaires,inexistence des prêts bancaires -alors même que Il % des enquêtés ont des comptes bancaires­et rareté du recours au système tontinier). Analysant les dépenses et les placements réaliséspar les petits entrepreneurs, s'appuyant sur l'écart entre la croissance du secteur textileinformel et la faiblesse des résultats apparents, l'auteur avance une interprétation qui rendcompte de la dynamique spécifique du secteur (importance des nouveaux entrants,disparitions massives, croissance globale du nombre d'établissements) et de la nature del'accumulation qui y est opérée. Les entrepreneurs dégagent une épargne peu visible qu'ilsconvertissent en de multiples formes sans rapport direct avec l'activité en question (prêts,dons, placements spéculatifs, stockage de nourriture, etc.). ils opèrent également unediversification de leurs activités par création de nouveaux établissemen.ts et des transfertsintersectoriels (taxis, maraîchage, immobilier, commerce, etc.). Cette accumulation estsaisissable, comme le montrait précédemment Loorvoel. à l'échelle macro-économique dessecteurs concernés. Il s'ensuit que l'erreur des programmes officiels d'assistance est dereposer implicitement sur une hypothèse évolutionniste (l'artisan serait le prototype du chefd'une plus grande entreprise) et de privilégier le crédit d'investissement en facilitantl'acquisition de capital. Ceci conduit à une tendance à la surcapitalisation des entreprisesaidées et à une baisse de productivité du capital. Or, nous dit Oudin, le financement desinvestissements n'est pas le principal problème des petits entrepreneurs mais bien plutôt lataille des marchés auxquels ils ont accès.

,'.

Page 30: AUPElF NOTES DE RECHERCHE

27

La pertinence de ces analyses se présente, nous semble-t-il, sous un double aspect:en premier lieu elles rendent compte de phénomènes empiriquement observables; d' aucre panen précisant la nature réelle de l'accumulation elles permettent de mieux situer les diversproblèmes des entreprises africaines et de relativiser les facteurs financiers.

De nombreuses observations de terrain confirment ou s'inscrivent dans le droitprolongement des propos précédents. Le monde des entreprises est fonement segmenté etprend en défaut toute analyse et toute politique économique fondées sur un présupposécontinuisre. Les micro-activités tendent à demeurer dans le même secteur informel. les petitesentreprises ont vocation à rester petites et les moyennes à rester moyennes. Rares sont lesexemples de passages de taille réalisés et, a fortiori, réussis. De très nombreuses études ontmontré que les PME ne sont pas d'anciens établissements informels et que l'ingénieux etdynamique artisan n'est pas la préfiguration historique de l'exploitant d'une beaucoup plusgrande entreprise. Cette segmentation s'explique elle-même à la fois par l'existence de seuils(fmanciers, techniques, organisationnels, culturels etc.) difficiles à franchir et par les diverseslogiques qui président à la gestion des entreprises et qui orientent les types d'accumulationqui y prévalent; c'est pourquoi, entre autres, nous proposons de bannir le terme d'''activités detransition" pour désigner les établissements infonnels intermédiaires encre ceux qui stagnentet ceux qui dégagent des surplus à cause de ses connotations évolutionnistes contredites parl'expérience. L'accumulation extensive, opérée par diversification des activités, que l'onobserve à la fois dans le secteur informel et dans les classes petites et moyennes desentreprises plus structurées voire même modernes, s'appuie sur des détenninants précis(contrôle de la main d'oeuvre, difficultés à maîtriser un marché élargi, absence de soutien desstructures officielles etc.), et l'ensemble de ces facteurs clairement intériorisés par les petitsentrepreneurs font de l'extensivité un processus fondé en rationalité.

Ce ne sont donc pas forcément les problèmes de capitaux qui limitent l'expansion desfmIles, et ce n'est donc pas nécessairement le développement des instruments financiersinstitutionnels ou non institutionnels qui va dynamiser les entreprises et rendre plus fluides etplus fréquents les passages de taille. Au-delà du monde des tout petits métiers d'évidentssurplus sont dégagés, des réinvestissements sont opérés, mais dans des limites et sous descontraintes de structure qui n'appellent pas l'explosion des services bancaires et des systèmesfinanciers informels. On comprend mieux, dans une telle perspective, que les besoinsfmanciers se trouvent relativisés -essentiellement satisfaits par la mobilisation des ressourcespropres et complétés, çà-et-Ià, par des concours extérieurs, rares en ce qui concerne lescircuits institutionnels et de faibles volumes s'agissant des réseaux infonnels. On voit aussi enquoi le développement entrepreneurial semble moins conditionné par le capital que parl'accés à -et l'adaptation à- des marchés de plus grande taille. On ne gagnerait rien à laisserperdurer cette double illusion qui voudrait que la finance en général, la finance informelle enparticulier, soient les seuls ou même les principaux facteurs limitants dans la vie des PrvŒafricaines.

Page 31: AUPElF NOTES DE RECHERCHE

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

ARYEETEY (E.), How important are formaI and informal external fInance to micro­entreprise development in Ghana, Communication en vue du séminaire international "Financeet développement rural en Afrique de l'Ouest, Ouagadougou, Burkina Faso, 21-25 octobre1991, multig., 25 p.

BARBIER (J.-P.), COURLET CC.) et TIBERGHIEN (R.), Emergence et développement despetites entreprises en Afrique au Sud du Sahara: résultats d'une enquête effectuée auCameroun, Paris, Caisse centrale de coopération économique, 1986, série "notes et érudes",n'6.

BARIS (P.) et ZASLAVSKY (J.), Les stratégies d'investissement des petits industrielsnationaux et leurs problèmes de financement, Abidjan, 1981, Ministère du Plan et del'Industrie, multig., 2 tomes.

BAULIER (F.) et alii, Les tontines en Afrique. rôles et évolutions, Paris, Caisse centrale decoopération économique, 1988, série "nores et études", n'12.

BEKOLO-EBE (B.) et alii, Enquête sur les tontines dans les provinces du Centre. du Littoral,de l'Ouest et du ~ord-Ouest, Paris, UREF/AUPELF, 1991, série "notes de recherche", 0'91­22.

BEITIGNIES (J. de), "Toumodi : éléments pour l'érude d'un centre semi-urbain en moyenneCôte-d'Ivoire", Paris, 1969, Cahiers de l'ORSTOM. série Sciences humaines. vol. VI, n'2, pp.71-92.

BRENNER (G.), FOUDA (H.) et TOlJLOUSE (J.-M.), Les entrepreneurs Bamiléké deDouala et leur entreprise, Paris, UREF/AUPELF, 1990a, série "notes de recherche", n' 90-6.

BRENNER (G.), FOUDA (H.) et TOULOUSE (l-M.), Les tontines et la créationd'entreprises au Cameroun, in Hénault (G.) et M'Rabet (R.) 199Ob, pp. 97-105.

CHARMES (1), "Une revue critique des concepts, définitions et recherches sur le secteurinformel" in Turnham (D.), Salomé (H.) et Schwartz (A.) (éd.), Nouvelles approches dusecteur infonnelfThe informal sectorrevisited, Paris, OCDE/OECD, 1990, pp. 11-51.

DROMAIN (M.), "L'épargne ignorée et négligée. Les résultats d'une enquête sur les tontinesau Sénégal", in Lelart (M.) (éd.) 1990, pp. 139-176.

DUBRESSON (A.), Villes et industries en Côte-d'Ivoire. pour une géographie del'accumulation urbaine, Paris, Karthala, 1989 (première publication (première publication :thèse de doctorat de géographie, Université de Paris X-Nanterre, 1988).

DUPUY (C.), "Les componements d'épargne dans la société africaine: études sénégalaises",in Lelart (M.) (éd.) 1990, pp. 31-51.

DUREAU (F.), Migration et urbanisation. le cas de la Côte-d'Ivoire, Paris, Editions del'ORSTOM, série "Etudes et thèses", 1987 (première publication: thèse de doctorat dedémographie, Université de Paris l, 1985).

FAURE (Y.-A.), Le monde des entreprises en Côte-d'Ivoire. sources statistiques et donnéesde structure, Paris, UREF/AUPELF, 1989, série "notes de recherche", n' 89-1.

FAURE (Y.-A.), Entrepreneurs d'Afrique subsaharienne : communautés entrepreneurialesdans les travaux anglophones (Ghana. Nigeria. Kenya. etc.) et comparaisons avec ia Côte-. ,

28

Page 32: AUPElF NOTES DE RECHERCHE

d'Ivoire, Paris, UREF/AUPELF, 1991, série "notes de recherche", n091-l9.

FAURE (Y.-A.), "Navegar é preciso : itinéraire africaniste d'un néo-orstomien", inChroniques du SUD, n07, Paris, ORSTOM, 1992 (sous presse).

GNANSOUNOU (S.), L'épargne informelle et le financement de l'entreprise productive,référence spéciale aux tontines et à l'anisanat béninois, Paris, UREF/AUPELF, 1991, série"notes de recherche", n091-20.

HAUDEVll..LE (B.), "Epargne informelle et financement de l'entreprise productive", inHénault (G.) et M'Rabet (R.) 1990, pp. 77-85.

HENAULT (G.) et M'RABET (R.) (éd.), L'entrepreneuriat en Afrique francophone: culture,financement et développement (actes des journées scientifiques du réseau "financement del'entrepreneuriat et mobilisation de l'épargne" des 16 et 17 février 1989 à Casablanca), Paris,AUPELF et John Libbey Eurotext, 1990.

HENRY (A.), TCHENTE (G.-H.) et GUILLER~ (P.), La Société des Amis, étude destontines à enchères du Cameroun, Paris, Caisse centrale de coopération économique, 1990,série "notes et études", n034.

HUGON (P.), "La finance non-institutionnelle: expression de la crise du développement oude nouvellles formes de développement ?", in Lelan (M.) (éd.) 1990, pp. 309-321.

HUGON (P.), Les politiques d'ajustement et les micro-entreprises dans les pays endéveloppement, Paris, Caisse centrale de coopération économique, 1988, série "notes etétudes", n013.

ISSOUFOU (S.), Le phénomène tontinier au Burkina Faso, étude sur 69 cas, Paris,UREF/AUPELF, 1990, série "notes de recherche", n090-12.

KENNEDY (p.), Ghanaian Businessmen. From anisan to capitalist entrepreneur in adependent economy, München/London, Weltforum Verlag, 1980.

LABAZEE (P.), Entreprises et entrepreneurs du Burkina Faso, Paris, Karthala, 1988.

LACHAUD (J.-P.), "Les activités informelles urbaines en Afrique subsaharienne", in Penouil(M.) et Lachaud (J-P.), Le développement spontané, Paris, Pédone, 1985, pp. 104-147.

LELART (M.), Les tontines et le financement de l'entreprise informelle, Paris,UREF/AUPELF, 1991, série "notes de recherche", n091-18.

LELART (M.) (éd.), La tontine, pratique informelle d'épargne et de crédit dans les pays envoie de développement, Paris, AUPELF et John Libbey Eurotext, 1990.

LELART (M.), "Une tontine mutuelle dans l'administration béninoise", in Lelan (M.) (éd.)1990, pp. 53-80.

LELART (M.) et GNANSOUNOU (S.), "Tontines et tontiniers sur les marchés africains: lemarché Saint-Michel de Cotonou", in Lelan (M.) (éd.) 1990, pp. 109-138.

LE PAPE (M.), "De l'indigène à l'informel", Cahiers d'Etudes africaines, Paris, 1983, n089­90, pp. 189-197.

LOOTVOET (R), L'anisanat et le petit commerce dans l'économie ivoirienne, Paris,Editions de l'ORSTOM, série "Etudes et thèses", 1988 (première publication : Contributionde l'artisanat et du petit commerce à l'économie ivoirienne, thèse de 3e cycle d'économie,Université de Clermont 1 et CERDI, 1986).

-:a

Page 33: AUPElF NOTES DE RECHERCHE

30

MIRAS (c. de), "De l'accumulation de capital dans le secteur informel", Cahiers des Scienceshumaines, Paris, ORSTOM, 1987, n·l. pp. 49-74.

NZISABIRA (l), Les associations tontinières. mouvement associatif. épargne etentrepreneuriat au Rwanda, Paris, UREF/AUPELF, 1991, série "notes de recherche", 0°91-15.

ORSTOM, Chroniques du SUD. N°5, juillet 1991, Paris, ORSTOM (Département SUD).

OUDIN (X.), "Dynamique de l'investissement dans le secteur informel: une étude de cas auNiger", in Hénault (G.) et M'Rabet (R.) 1990, pp. 145-155.

OUDIN (X.), Les activités non structurées et l'emploi en Côte-d'Ivoire, Rennes, 1985, thèsede sciences économiques.

PAGE (1. M.) et STEEL 0N. F.), Le développement des petites entreprises. questionséconomiques tirées du contexte africain, Washington, 1986, Banque mondiale, documenttechnique n026F.

PAIRAULT (T.), "Sociétés de tontines et banques des petites et moyennes entreprises àTaiwan", in Lelart (M.) (éd.) 1990, pp. 281-308.

PENOUIL (M.) et LACHAUD (J.-P.) (éd.), Le développement spontané. les activitésinformelles en Afrique, Paris, Pédone, 1985 (Collection du Centre d'étude d'Afrique noire deBordeaux, Centre d'économie du développement de l'Université de Bordeaux 1).

REPUBLIQUE FRAJ.'J"CAISE, Ministère des Relations Extérieures, Analyse ex-post de lapromotion des PME et de l'anisanat en Côte-d'Ivoire, Paris, 1986, Mission d'évaluationSEDES/CECOF, multig., pag. multi.

RlETSCH (C.), Les paramètres de base des tontines à Niamey, Paris, UREF/AUPELF, 1990,série "notes de recherche", n090-8.

RlETSCH (C.), Une tontine à double niveau d'enchères, Paris, UREF/AUPELF, 1989, série"notes de recherche", n089-5.

SOEDJEDE (D. A.), " L'épargne et le crédit non structurés au Togo", in Lelart (M.) (éd.)1990, pp. 203-237.

SOEDJEDE (D. A), "Politique de fmancement de l'entrepreneuriat au Togo", in Hénault (G.)et M'Rabet (R.) 1990, pp. 129-144.

TINGUIRI (K. L.), "Epargne et crédit informels en milieu rural au Niger: l'activité destontines et des gardes-monnaie villageois", in Lelart (M.) (éd.) 1990, pp. 177-202.

TOURE (A), Les petits métiers à Abidjan. l'imagination au secours de la conjoncture, Paris,Kanhala, 1985.

TURNHAM (D.), SALOME (B.) et SCHWARTZ (A) (éd.), Nouvelles approches du secteurinformel!The informal sector revisited, Paris, OCDElOECD, 1990.

VIDAL( C.), Sociologie des passions. Rwanda. Côte-d'Ivoire, Paris, Karthala, 1991.

WEBER (M.), L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme, Paris, Plon, 1964 (lere éditionfrançais).

Page 34: AUPElF NOTES DE RECHERCHE

NOTES DE RECHERCHE DU RESEAUENTREPRENEURlAT DE L'UREF

N° 89.1 : LE MONDE DES ENTREPRISES EN COTE-D'IVOIRE(Sources statistiques et données de structure)Yves A. FAURE

N° 89.2 : UN PREMIER INVENTAIRE DES SOCIETES CONJOINTES AU SENEGALGilbert LECOINTRE, Coumba Nd. DIOUF, Mahmoudou B. SALL

N° 89.3 : LES EFFETS MACRO-ECONOMIQUES DU DUALISME FINANCIERChicot EBOUE

N° 89.4 : LE FINANCEMENT DE L'ENTREPRENEURIAT(Le modèle du système financier islamique)Stanislas ORDODY DE ORDOD

N° 90.5 : UNE TONTINE A DOUBLE NIVEAU D'ENCHERESChristian RIETSCH

N° 90.6 : LES ENTREPRENEURS BAMILEKES DE DOUALA ET LEUR ENTREPRISEGabrielle A. BRENNER, Henri FOUDA, Jean-Marie TOULOUSE

N° 90.7 : LA SOCIErE CONJOINTE EN AFRIQUE(Une entreprise pluriculturelle idéale ? )Georges CANCADE, Gilbert LECOINTRE. Coumba Nd. DIOUF.Mahmoudou B. SALL

N° 90.8 : LES PARAMETRES DE BASE DES TONTINES à NIAMEYChristian RIETSCH

N° 90.9 : L'EPARGNE ET LE CREDIT INFORMELS AU TOOO(La tontine commerciale)Douato A. SOEDJEDE

N° 90.10 : L'EPARGNE ET LE CREDIT INFORMELS AU TOGO(La tontine financière sans enchères)Douato Adjémida SOEDJEDE

N° 90.11: BIBLIOGRAPHIE SUR L'EPARGNE ET LE CREDIT INFORMELSMichel LELART

N° 90.12 : LE PHENOMENE TONTINIER AU BURKINA FASO(Etude sur 69 cas)Issou/ou SANOU

N° 90.13: LA SOCIETE CONJOINTE EN AFRIQUE EST-ELLE PERFORMANTE?(Résultats d'une pré-enquête au Congo)Théophile DZAKA, Gilbert GAL/BAKA, Enoch LOUBELO

N° 91.14 : LE PRINCIPE DU PARTAGE DES PROFITS ET PERTES AU SERVICE DE LADEITE POLONAISEStanislas ORDODY DE ORDOD

Page 35: AUPElF NOTES DE RECHERCHE

N° 91.15: LES ASSOCIATIONS TONTINIERESJean NZISABIRA

. N° 91.16: LA ANANCE INFORMELLE AU MAROC(Résullals d'enquêtes effectuées dans le Sud Marocain)Mohamed EL ABDAIMI

N° 91.17 : MECANIQUE DES SYSTEMES TONTINIERS CHINOISThierry PAIRAULT

N° 91.18 : LES TONTINES ET LE FINANCEMENT DE L'ENTREPRISE INFORMELLEMichel LELART

N° 91.19: ENTREPRENEURS D'AFRIQUE SUBSAHARIENNE(Communautés entrepreneuriales dans les travaux anglophones(Ghana. Nigéria, Kenya. Zaïre. etc.) et comparaisons avec laCôte d'Ivoire)Yves A. FAURE

N° 91.20 : L'EPARGNE I~'FORMELLE ET LE FINANCEMENT DE L'ENTREPRISEPRODUCTIVE(Référence spéciale aux tontines et à l'artisanat béninois)Simon C. GNANSOUNOU

N° 91.21: L'AIDE FINANCIERE ALLMANDE ET LA PROMOTION DE L'ESPRITD'ENTREPRISE AU MALIAssociation pour la promotion de la recherche économique auMali

N° 91.22 : ENQUETE SUR LES TONTINES DANS LES PROVINCES DU CENTRE. DULmORAL. DE L'OUEST ET DU NORD-OUEST(Noté de synthèse - Programme tontines)Bruno BEKOLO-EBE, FOUDA OWOUNDI. Robert BIWNGO. DISSAKE

N° 92.23: SYSTEME DE VALEURS ET PERFORMANCES DES SOCIETESCONJOINTES AU SENEGALGilbert LECOINTRE, Coumba Nd. DIOUF, Mouhamadou B. SALL,Bachir WADE

N° 92.24 : ENTREPRENANT OU ENTREPRENEUR ? (Les ambiguïtés con­ceptuelles des systèmes d'épargne et de crédit villageois auBurkina Faso)Francis KERN, Arlette POLONI

N° 92.25 : FINANCEMENT DE LA PETITE ET MOYENNE ENTREPRISEA TOUMODI (COTE D'IVOIRE) : L'ILLUSION INFORMELLE J

Yves A. FAURE

Les notes de recherche sont envoyées sur demande adresséeau Coordinateur du réseau

Mr Bruno PONSONProfesseur Associé à l'ESCP

79. avenue de la République75543 PARIS CEDEX Il

FRANCE:.-(

..• f'"