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Aurélien Pressensé - Ammoneo · secteur financier dans sa quête de profits. A contrario, austérité oblige, le poumon de la coopération est parfois douloureusement obstrué et

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Aurélien Pressensé

2017, première version

2020, version remaniée

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Commons 4.0 – Attr ibut ion – Pas d’utilisation

commerciale – Partage dans les mêmes conditions. Pour

p lus de dé t a i l s , consu l t ez l e s i t e o ff i c i e l :

creativecommons.org.

Résumé : Nos ponts s’écroulent, notre climat se dérègle, nos sols s’érodent, la

biodiversité s’éteint, la pollution s’étend, etc. La plupart des biens publics liés à notre

qualité de vie se dégradent, c’est une véritable tragédie. Bien qu’il existe des moyens

de résorber cette tragédie des biens publics, nous manquons de financements pour les

mettre en place. Où trouver cet argent dont nous aurions tant besoin ?

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MANIFESTE

La compétition et la coopération sont comme les deux poumons de l’économie. Le

poumon de la compétition fonctionne généralement à plein régime, stimulé par le

secteur financier dans sa quête de profits. A contrario, austérité oblige, le poumon de la

coopération est parfois douloureusement obstrué et le corps social a le souffle trop court

pour relever les défis écologiques ou sociaux en cours et à venir.

A – La tragédie des biens publics

Saviez-vous que le secteur financier a sauvé nos pays de l’asphyxie par le passé ? En

effet, ce n’est qu’avec le développement du capitalisme que le prêt à intérêt s’est

généralisé. La fonction de réserve de valeur de l’argent (on le met de côté) cessa alors

d’entraver celle d’intermédiaire des échanges (on le dépense). Au lieu de dormir, notre

épargne se prêtait plus librement. Enfin un peu d’air.

En ce début de XXIème

siècle, nous trouvons donc parfaitement normal que l’argent ait

un coût, qu’il faille payer un intermédiaire pour qu’il nous en loue un peu, bref, que l’on

emprunte la monnaie à ceux qui l’ont privatisée. Par exemple, même l’État s’endette

lorsqu’il a besoin d’argent. Il s’en remet à des investisseurs / banques pour se voir prêter

à intérêt de précieux euros.

La question à mille milliards d’euros est par conséquent la suivante : à moins qu’une

ligue de milliardaires philanthropes ne révèle son existence, comment attirer les

financements pharaoniques nécessaires à une transition énergétique nationale, si le

retour sur investissement de celle-ci est nul voire négatif ?

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L’austérité nous rend incapables de financer de grands travaux d’intérêt général, au

risque de rendre inhospitalière notre Terre. Dérèglement climatique, déclin de la

biodiversité, pollution de l’air et des océans, nous sommes témoins d’une véritable

tragédie des biens publics. Ce système économique qui ne sait investir que dans ce qui

paraît rentable à court terme ne semble pas en mesure de nous tirer d’affaire.

B - Une régie du crédit

Une chose est sûre, nous ne résorberons pas la tragédie des biens publics avec un État

exsangue et des bailleurs de fonds qui ne financent que ce qui rapporte. Et si nos

politiques locales ne dépendaient plus de l’argent d’acteurs extérieurs ? Et si l’on gérait

la monnaie comme un commun ? Régie agricole, régie énergétique, régie de l’eau…

pourquoi pas une régie du crédit ?

Malgré la baisse des aides publiques, imaginez que votre communauté de communes1

propose d’assurer la résilience alimentaire et énergétique de votre territoire, sans que

cela ne nécessite de vous taxer davantage en amont. Comment ? Avec quels moyens ?

Avec la monnaie électronique mise en place par la régie du crédit de votre communauté

de communes. Finie l’austérité.

Ainsi, une fois la consultation populaire lancée, les projets plébiscités débutent. À

chaque grande étape achevée avec succès, les fonds en monnaie électronique sont

débloqués par la communauté de communes, et les travailleurs reçoivent leur paie sur

un portefeuille électronique (qui s’apparente à un compte bancaire accessible en ligne

via un site web ou une application mobile).

1. Une communauté de communes est un regroupement de communes. C’est donc un échelon

intermédiaire entre la commune et le département. Elle a pour objet d’associer des communes au sein d'un

espace de solidarité, en vue de l’élaboration d’un projet commun de développement et d’aménagement de

l’espace. La communauté de communes est gérée par le conseil de communauté, composé de conseillers

municipaux des communes membres.

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Correctement rétribués, ces travailleurs de la résilience sont bel et bien intégrés à la vie

économique du territoire : ils peuvent s’acquitter sans soucis de leurs courses ou de leur

loyer avec la monnaie disponible sur leur portefeuille électronique. Pour régler leur

dépenses, ils utilisent une carte de crédit spécifique ou scannent avec leur téléphone un

QR code (qui fait office de R.I.B.).

*

* *

Certains affirment qu’il n’y a pas d’alternative à l’austérité. Leur manque d’imagination

les empêchent de concevoir un monde où il n’est plus nécessaire d’emprunter l’argent à

ceux qui l’ont privatisé (et nous en prive). La tragédie des biens publics le met en

évidence, il est urgent que la quête de profits ne soit plus le critère majeur qui détermine

ce qu’il nous est possible de faire ou non.

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SOMMAIRE

Manifeste........................................................................................................................... 3

Introduction....................................................................................................................... 7

EN FINIR AVEC L’AUSTÉRITÉ

Chapitre 1 – Monnaie et chômage, quel rapport ?.............................................................9

Chapitre 2 – Une nation peut-elle manquer de monnaie ?..............................................15

Chapitre 3 – Comment remédier à un manque de monnaie ?..........................................22

Chapitre 4 – Monnaie et endettement, quel rapport ?......................................................28

Chapitre 5 – Qui décide du pouvoir d’achat de la monnaie ?..........................................34

Chapitre 6 – Faire circuler plusieurs monnaies, ça marche ?.......................................... 40

Récapitulatif.....................................................................................................................46

Conclusion....................................................................................................................... 48

ANNEXES

Bayonne 2027.................................................................................................................. 52

Évolutions de l’économie................................................................................................ 57

Foire Aux Questions........................................................................................................ 58

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INTRODUCTION

De quoi se plaint-on au juste ?

Nous assistons à ce qu’un économiste pourrait appeler une « tragédie des biens

publics ». Un écologiste parlera, lui, de « guerre contre le vivant ». En clair, nos glaciers

fondent, nos sols s’érodent, la qualité de notre air et de l’eau de nos rivières se dégrade,

nos grands mammifères se meurent et la liste est encore longue. Il y a manifestement un

énorme dysfonctionnement à corriger.

Tragédie des communs ou tragédie des biens publics ?

Le titre de ce livret s’inspire de « La Tragédie des communs » (1968) de Garett Hardin.

Il y déplore la logique capitaliste, qui promeut le chacun pour soi au détriment d’une

gestion pérenne de nos ressources. Quoi qu’il en soit, la crise écologique que nous

traversons en ce début de XXIème

siècle est révélatrice, elle nous indique que quelque

chose ne tourne pas rond.

Un dernier mot avant de commencer ?

La réussite d’un projet est fortement corrélée à la taille du budget que l’on consacre à

son exécution. Sans les moyens financiers nécessaires, on ne résorbera pas la tragédie

des biens publics. Or, nous pouvons très bien éviter de manquer d’argent, d’autant plus

lorsqu’il s’agit d’une problématique aussi urgente qu’importante. Ce livret vous

présente ainsi une alternative crédible à l’austérité.

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En finir avec l’austérité

✓ Monnaie : Moyen matériel ou immatériel servant de compensation lors d’une

transaction. Réutilisable / impérissable, la monnaie a également la particularité

d’être une unité de compte, d’être un étalon de la valeur.

Synonymes : unités monétaires, devises.

✓ Croissance : Hausse du chiffre d’affaires par rapport à l’année précédente.

D’une année sur l’autre, un agent économique (ou un regroupement d’agents

économiques) a soit davantage vendu de biens / services, soit les a fournis à un

prix plus élevé.

✓ Économie : Ensemble des activités relatives à la création et à la distribution de

produits / services au sein d’une communauté. Une économie dynamique rend

compte d’une confiance partagée en l’avenir.

Synonymes : vie économique, activité économique.

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Chapitre 1 – Monnaie et chômage, quel rapport ?

NOTION #1 : POLITIQUE MONÉTAIRE

L’argent est roi. Notre problématique est de déterminer comment le mettre au service de

la résorption de la tragédie des biens publics (cf. manifeste). Par précaution, nous

préférerons dorénavant le mot « monnaie » au mot « argent », ce dernier véhiculant

certaines idées reçues inopportunes. Nous en reparlerons.

Toujours est-il que l’austérité ne nous permet pas de relever les défis sociaux et

écologiques à venir. Pour étayer cette conviction, passons en revue deux débats majeurs

qu’ont connus les sciences économiques à propos de l’influence de la monnaie sur

l’économie, ou comment résoudre une crise économique.

A - Say (1767-1832) versus Keynes (1883-1946)

Pour certains économistes, « c’est une circonstance assez insignifiante qu’il y ait

beaucoup ou peu de [monnaie] dans le monde. S’il y en a beaucoup, il en faut

beaucoup ; s’il y en a peu, il en faut peu pour chaque transaction, voilà tout ! » [Bastiat,

p.87]. En clair, imprimer de la nouvelle monnaie provoquerait à long terme une

augmentation générale des prix, point.

Cette façon de voir les choses est souvent associée à la loi de Say, du nom de

l’économiste français Jean-Baptiste Say, que l’on retrouve parfois formulée de la

manière suivante : « la monnaie est un voile qui masque les échanges des marchandises

entre elles ». La monnaie ne serait donc qu’une simple interface habillant un système de

troc.

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En effet, « l’idée jusqu’à la Grande Dépression était que l’économie s’auto-régulait dans

une large mesure » [Conway, p.38] et qu’il valait mieux ne pas s’immiscer dans ses

affaires. C’était sans compter sur le krach de 1929 puis l’intervention décisive de

l’économiste John Maynard Keynes, selon qui « dans le monde réel, la dépense d’une

personne est le revenu d’une autre personne » [Goodwin, p.122].

Partant de là, l’État aurait en fin de compte un rôle économique majeur, à savoir irriguer

le pays avec la monnaie qu’il crée, c’est-à-dire distribuer des revenus qui seront à leur

tour dépensés et ainsi de suite ; la vie économique est logiquement dynamisée, le taux

de chômage diminue en conséquence.

La monnaie à présent reconnue par nos économistes comme « active » (en injecter peut

faire baisser le chômage), nos dirigeants décident de favoriser l’activité économique en

menant des politiques de relance par la dépense publique. Cela fonctionne un temps, par

exemple de 1946 à 1975, au cours des Trente Glorieuses.

B - Keynes (1883-1946) versus Friedman (1912-2006)

Pendant des années, afin de soutenir l’économie et d’endiguer au mieux le chômage,

nos gouvernements se sont contentés d’émettre de la monnaie en quantité puis de la

déverser. Toutefois, avec le temps, ces politiques de relance économique par la dépense

publique se montrent nettement moins efficaces.

Pire, parmi les pays qui les appliquent, beaucoup se retrouvent dans une situation

totalement inédite : non seulement le chômage ne se résorbe pas, mais les prix grimpent

significativement. C’est la « stagflation ».

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L’économiste Milton Friedman, fondateur du monétarisme, nous rappelle alors qu’une

transaction commerciale ne peut avoir lieu que s’il existe un bien / service à vendre.

Dans le cas où la production est à son maximum et qu’il n’y a aucune vente

supplémentaire à réaliser, émettre un surcroît de monnaie n’améliorera en rien la

situation, bien au contraire.

Longtemps dédaignée, la théorie quantitative de la monnaie s’impose finalement avec le

monétarisme. Ci-dessous un rapide schéma pour l’illustrer :

2

Nos dirigeants - conseillés par nos économistes - recherchent désormais la stabilité des

prix tout en veillant à développer la production. De plus, pour tempérer la création

monétaire, l’on met fin au financement direct ; l’État ne peut plus émettre de monnaie

par lui-même, mais doit l’emprunter à un intermédiaire financier, comme tout le monde.

2. L’expression « économie réelle » désigne l’ensemble des activités rémunérant un travail. C’est le

monde de l’entreprise. L’économie réelle s’oppose donc à l’économie financière, qui rémunère, quant à

elle, un capital. C’est le monde de l’investissement.

Cette distinction est très utile, surtout lorsqu’il s’agit de comprendre pourquoi la politique monétaire de

l’assouplissement quantitatif (ou « quantitative easing ») ne provoque pas une hausse générale des prix.

Bien que la banque centrale émette énormément de monnaie (afin de racheter des titres financiers à nos

banques commerciales), tout cet argent supplémentaire ne vient pas impacter la valeur de l’euro.

En effet, ces milliards d’euros créés restent dans l’économie financière ; n’étant pas mis en circulation

dans l’économie réelle, aucune hausse des prix n’a lieu, à l’instar d’une République de Weimar qui

imprimerait des milliards de marks, pour finalement les stocker dans une base militaire.

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C - Synthèse

L’Économie (l’étude de l’économie) nous suggère que l’activité économique d’une

nation peut être stimulée par un ajout de monnaie ou a contrario, être chahutée lorsque

trop de monnaie est injectée dans ses circuits, d’où l’existence et l’importance des

politiques monétaires.

Dit plus grossièrement, s’il n’y a pas assez de dépenses, d’argent qui circule, le

chômage augmente. À l’inverse, si trop d’argent afflue, les prix augmentent. Une nation

en bonne santé économique est donc une nation qui gère correctement la quantité de

monnaie s’échangeant en son sein.

Il existe bien sûr différentes approches pour gérer au mieux cette quantité. Dans le cas

d’un régime totalitaire (tel que l’était l’U.R.S.S.), l’allocation de la monnaie est

exclusivement chapeauté par l’État ou presque. Dans le cas d’un régime capitaliste, la

monnaie est principalement allouée au travers des prêts et crédits qu’une multitude

d’investisseurs et d’agences bancaires accordent aux entreprises ou aux ménages.

Cela dit, une nation n’est pas condamnée à choisir entre une organisation économique

communiste et une organisation économique capitaliste. Elle peut très bien régir la

distribution de ses unités monétaires autrement qu’au travers d’institutions étatiques ou

financières à but lucratif, ou encore un mélange des deux. Nous y reviendrons.

Il faut bien gérer la quantité de monnaie dans l’économie.

*

* *

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N.B. :

Au regard de la Théorie Quantitative de la Monnaie, nos institutions économiques

s’ingénient à ce qu’il n’y ait ni surabondance de marchandises, ni surabondance de

monnaie. En manipulant les taux d’intérêt à la hausse ou à la baisse, elles s’assurent que

la quantité de monnaie en circulation “gonfle” ou “dégonfle” au même rythme que la

production de biens et services.

Hélas, procéder uniquement de cette manière, c’est oublier que la monnaie est “active”,

qu’elle est à l’économie ce que le carburant est à un moteur de voiture ; c’est comme si

une station essence espérait redémarrer une voiture en panne d’essence, juste en faisant

varier les prix à la pompe !

Ne serait-il pas plus efficace de simplement faire “le plein” ? On retrouve cette idée

derrière le principe de l’hélicoptère monétaire, également surnommé « quantitative

easing pour le peuple ».

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Sources chapitre 1 :

Daniel, Jean-Marc. 3 controverses de la pensée économique. Paris : Odile Jacob, 2016,

175 pp ; p.39-40, p.59, p.90, p.98-99.

Graeber, David. Dette, 5000 ans d’histoire. (traduit de l’anglais par Françoise et Paul

Chemla). Paris : Les Liens qui Libèrent, 2013, 623 pp ; p.57.

Conway, Edmund. Le keynésianisme. In : Juste assez d’économie pour briller en

société. (traduit de l’anglais par Albert Leduc-Sinel). Paris : Dunod, 2010,

207 pp ; p.38-41.

Conway, Edmund. Le monétarisme. In : Juste assez d’économie pour briller en société.

(traduit de l’anglais par Albert Leduc-Sinel). Paris : Dunod, 2010, 207 p p ;

p.42-45.

Goodwin, Michael., Burr, Dan (illustrations). Economix. (traduit de l’anglais par

Hélène Dauniol-Remaud). Paris : Les Arènes, 2013, 304 pp ; p.121-122,

p.143.

Mathieu, Henri. Physiologie de la monnaie. Paris : PUF, 1946, 407 pp ; p.77, p.279.

Bastiat, Frédéric. Œuvres complètes de Frédéric Bastiat. Tome V : Sophismes

économiques et petits pamphlets II [en ligne]. Paris : Guillaumin, 1854, 564 pp ;

p.87. Disponible sur : <https://fr.wikisource.org/wiki/Maudit_argent> (Consulté

le 10/08/2017)

Gerdesmeier, Dieter. Pourquoi la stabilité des prix est-elle importante pour vous ? -

Manuel à l’intention des enseignants [en ligne]. Banque Centrale Européenne,

2007, 92 pp ; p.22-24, p.46, p.56-57. Format PDF. Disponible sur :

<https://www.ecb.europa.eu/home/pdf/students/booklet_fr.pdf> (Consulté le

31/08/2016)

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Chapitre 2 – Une nation peut-elle manquer de monnaie ?

NOTION #2 : FAMINE MONÉTAIRE

Le bénévolat a ses mérites et ses limites. Pour que des personnes puissent s’occuper à

plein temps de la résolution d’un problème social ou écologique, nous devons

généralement les payer, ce qui nécessite de recueillir au préalable des fonds.

Nous avons vu qu’injecter de la monnaie dans l’économie parvient parfois à réduire le

taux de chômage d’un pays. Dès lors, se pourrait-il, que dans certains cas, ce ne soit pas

le travail qui manque, mais au contraire, les moyens financiers qui permettraient de le

rémunérer ? Que nous dit l’Histoire ?

A - La monnaie est active

« [Lorsque la monnaie] commence à affluer en plus grande abondance qu’auparavant,

toute chose revêt une nouvelle face : le travail et l’industrie prennent de l’animation ; le

marchand devient plus entreprenant, le manufacturier plus actif et plus habile ; le

fermier lui-même pousse sa charrue avec plus d’entrain et d’attention » [Hume, p.29].

Nous l’avons vu précédemment, la monnaie est “active” (en injecter peut faire baisser le

chômage). À l’inverse, « un retard dans l’accroissement de la quantité de monnaie peut

parfois freiner - et ceci s’est souvent passé dans l’histoire - le taux de la croissance

économique » [Triffin, p.73].

La notion de famine monétaire désigne, précisément, une période où un grand nombre

de projets ne trouvent pas les financements nécessaires à leur réalisation parce qu’il n’y

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a plus assez de monnaie dans le pays. L’expression « famine monétaire » vient de

l’historien Jacques Le Goff, qui l’utilise pour décrire le contexte économique du

XVème siècle :

« Les besoins croissants du commerce [font face à] l’impossibilité d’accroître au

même rythme le nombre d’espèces métalliques en circulation, par la suite de la

stagnation ou du déclin des mines européennes et du ralentissement de

l’alimentation en métaux précieux de provenance africaine. [C’est donc dans un

contexte de] « famine monétaire » [qu’il] faut replacer l’activité des marchands de

la fin du Moyen Âge. »

- Jacques Le Goff, [Le Goff, p.29].

B - La monnaie est mal répartie

En ce début de nouveau millénaire, la plupart de nos hommes politiques partent du

principe que la quantité de monnaie en circulation s’adapte automatiquement aux

besoins de la croissance économique. D’après eux, si une activité est susceptible d’être

profitable, les montants indispensables à son financement seront naturellement attirés.

Toutefois, comprenons bien qu’un investisseur ne prête pas son argent pour créer des

emplois, mais pour s’enrichir. Un territoire sur lequel il n’y a pas de profits à réaliser

n’attirera pas de financements. De même, un entrepreneur s’installera là où se trouve ses

clients potentiels, ce n’est pas lui qui attire la monnaie, mais la monnaie qui l’attire, lui

(d’où les migrations économiques ou l’exode rural).

Bref, ce n’est pas toujours le travail qui manque, il arrive que ce soit les moyens de

rémunérer le travail. Imaginons à présent que dans une zone jusqu’alors pauvre en

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euros, un afflux de monnaies électroniques change la donne et permettent à des

entreprises d’y trouver des clients, de s’y développer et par suite, d’y créer des emplois.

C’est cette piste que nous allons creuser avec les régies du crédit.

Au sujet de l’économie française, serait-elle victime d’une famine monétaire ?

Lecture : Il y a en France de plus en plus de demandeurs d’emploi inscrits à Pôle Emploi.

C - Synthèse

Résumons : l’Histoire suggère d’accroître la quantité de monnaie circulant au sein d’une

communauté à mesure que la vie économique de celle-ci se développe. Dans le cas

contraire, l’économie sature, car limitée par un stock d’unités monétaires trop faible ou

mal réparti. La monnaie s’échange de fait avec peine, le chômage sévit, la crise se

rapproche.

On retrouve ce phénomène au cours d’une partie de poker. Plus la partie avance, moins

il y a de personnes en jeu et donc de “transactions”, la quantité de jetons s’avérant

insuffisante lorsque les « blinds » ou les gains de certains joueurs s’envolent. Quelle

option a un joueur de poker dans cette situation ?

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Pour ne pas être éliminé et éviter la “famine”, un joueur de poker à la possibilité de

« recaver », c’est-à-dire ajouter des jetons supplémentaires à la partie. De même, en cas

de famine monétaire, injecter de nouvelles unités monétaires dans l’économie réelle est

une stratégie tout à fait pertinente.

Nous allons voir que des monnaies électroniques propulsées par des régies du crédit

peuvent aisément jouer ce rôle de jetons additionnels et ainsi, apporter le carburant

nécessaire pour guider notre civilisation dans une autre direction. Il nous reste à étudier

comment rendre cela possible.

Il faut parfois ajouter de la monnaie dans l’économie.

*

* *

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N.B. :

« À l’heure de la monnaie dématérialisée, pourquoi un pays développé ne crée-t-il pas

les euros dont il a besoin pour financer la lutte contre le dérèglement climatique, qui

nous menace tous !? s’exclame M. Perspicace.

— T’es fou ! rétorque Mme Certitude. Si l’on créait des euros chaque fois que l’on en a

besoin, alors ils n’auraient aucune valeur.

— Attends ! Comment tu réagirais, toi, si l’on découvrait demain qu’un astéroïde

gigantesque nous fonçait droit dessus, mais que nos dirigeants se pointaient dans la

foulée à la télé pour nous expliquer que, malheureusement, nous n’avons pas les

moyens financiers de sauver notre planète. Tu réagirais comment ?

— Euh… Pas la peine de s’en faire, on mettrait au point un super canon destructeur

d’astéroïdes, voilà tout.

— Je recommence. Admettons que nous ayons la main d’œuvre, le savoir-faire et les

matériaux à disposition pour construire ce canon. Tu accepterais que notre

gouvernement déclare que, faute d’argent, ce chantier ne pourra avoir lieu et qu’il nous

faut accepter notre sort ? Manquer d’euros immatériels, c’est plutôt ça qui paraît fou,

non ? »

Page 20: Aurélien Pressensé - Ammoneo · secteur financier dans sa quête de profits. A contrario, austérité oblige, le poumon de la coopération est parfois douloureusement obstrué et

Sources chapitre 2 :

Hume, David., Say, Léon (édition scientifique). De la circulation monétaire. In :

David Hume - Œuvre économique (traduit de l’anglais par Charles F o rmen t in

[en ligne]. Paris : Guillaumin, 1888, 270 pp ; p.29. D i s p o n i b l e s u r :

<http://philotra.pagesperso-orange.fr/de%20circula_monetaire_formentin.htm>

(consulté le 28/03/2017)

Triffin, Robert. L’or et la crise du dollar. (traduit de l’anglais sous la direction de

Jacques Raoul Boudeville). Paris : PUF, 1962 (1ère

éd. anglaise 1960), 201 pp ;

p.65, p.72, p.73.

Vigreux, Pierre-Benjamin. De la monnaie à l’économie en France (1933-1938). Paris :

LGDJ, 1938, 223 pp ; p.83-84, p.157-161.

Haudry, Jean. Juno Moneta, aux sources de la monnaie. Milan : Archè, 2002,

199 pp ; p.39.

Sapir, Jacques. Le troc et le paradoxe de la monnaie. Journal des anthropologues. [en

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en ligne le 01 décembre 2003 ; p.2 §6. Format PDF. Disponible sur :

<https://journals.openedition.org/jda/2306> (consulté le 30/09/2016)

Gautier, Élie. Une monnaie au service des hommes. Loudéac : chez l’auteur, 1985,

343 pp ; p.18, p.20-21, p.36, p.225.

Le Goff, Jacques. Marchands et banquiers du Moyen-Âge. Paris : PUF, 1966 (1ère

éd.1956), 128 pp, (Que-sais-je ?, n°699) ; p.29.

Mathieu, Henri. Physiologie de la monnaie. Paris : PUF, 1946, 407 pp ; p.308, p.363.

Bersac, Jean-Baptiste. Devises. 2ème

éd.. ILV-Edition (auto-éd.), 2013, 454 pp ; p.23,

p.164.

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Ammoneo.org La tragédie des biens publics 21/60

Conway, Edmund. Juste assez d’économie pour briller en société. (traduit de l’anglais

par Albert Leduc-Sinel). Paris : Dunod, 2010, 207 pp ; p.38-41.

Smith, Adam. Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations. Livres I

et II . (traduction de l’anglais coordonnée par Philippe Jaudel). Paris :

Economica, 2000 (1ère

éd. anglaise 1776), 412 pp ; p.203, p.351.

Pole-emploi.org. Chômage et demandeurs d’emplois. [en ligne]. Disponible sur :

<http://statistiques.pole-emploi.org/stmt/publication> (consulté le 05/12/2017)

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Chapitre 3 – Comment remédier à un manque de monnaie ?

NOTION #3 : LIBÉRATION MONÉTAIRE

« Si le climat était une banque, nous l’aurions déjà sauvé » est un slogan écologiste qui

souligne l’allocation à géométrie variable de l’argent public. En effet, le 7 janvier 2009,

le Président français affirme son intention d’affecter des milliards d’euros

supplémentaires au plan de sauvetage des banques françaises. L’État ne sort pas ces

fonds de son “épargne” : il s’est lourdement endetté pour l’occasion.

Dans le même temps, faute de budget, nous ne parvenons pas à financer la

modernisation de nos centres de tri des déchets ou bien la rénovation de nos ponts. Dans

un cas, nous nous endettons pour obtenir les moyens financiers dont nous avons besoin,

dans l’autre, cette option n’est pas envisagée. Essayons de comprendre pourquoi.

A - De l’abandon de l’étalon-or à l’abandon de l’étalon de change-or

Pendant des décennies, il nous a d’abord fallu « exhumer de l’or des profondeurs de la

terre pour […] [pouvoir ensuite] s’autoriser à imprimer des [billets] » [Bersac, p.168].

C’est le système de l’étalon-or : un pays ne peut ajouter des unités monétaires à son

économie que si son stock d’or le lui permet.

Toutefois en 1914, de nombreux pays décident de suspendre ce système du « Gold

Standard ». Quelle est la raison derrière cette décision ? Le financement de la première

guerre mondiale. Pour résumer, l’or impose à la monnaie une quantité limite malvenue,

or une fois cette restriction levée, il devient légal d’injecter autant de francs que nous le

souhaitons dans l’économie française.

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Ammoneo.org La tragédie des biens publics 23/60

Aucune mesure innovante n’a été implémentée, nous nous sommes juste donné le droit

d’émettre davantage de monnaie. Cette libération monétaire sera, néanmoins, de courte

durée. Les accords de Gênes de 1922 instaurent un étalon de change-or (le « Gold

Exchange Standard »). À présent, la devise française est indexée sur le dollar états-

unien et la livre sterling, qui sont les seules à devoir être couvertes par du métal jaune.

Mais famine monétaire oblige, on se débarrasse outre-Atlantique de l’étalon de change-

or en 1933, car faute d’or et par voie de conséquence de dollars, il devient impossible de

mener à bien les politiques de grands travaux du Président Roosevelt (le « New Deal »,

de 1933 à 1938, dont l’objectif est de sortir le pays de la « Grande Dépression »). C’est

la seconde libération monétaire du XXème

siècle.

B - Trente Glorieuses (1946-1975) et guerre du Vietnam

« Depuis longtemps l’or ne procure plus de liquidité internationale suffisante pour une

économie mondiale en expansion » [Triffin, p.98]. Pourtant, en 1944 les accords de

Bretton Woods3

mettent en place un nouveau système d’étalon de change-or, qui impose

que seule la devise de l’oncle Sam soit dorénavant convertible en or, tandis que les

autres monnaies restent indexées sur le dollar.

Notons que ces accords prévoient, entre autres, l’émission de dollars en échange d’une

reconnaissance de dette du Trésor états-unien ; on parle de « monétisation de dettes

publiques ». Énormément de dollars vont pouvoir être créés sans qu’aucune contrepartie

aurifère n’intervienne dans l’opération.

3. Les Accords de Bretton Woods (1944) sont des accords économiques ayant dessiné les grandes lignes

du système financier international. Leur objectif principal est de mettre en place une organisation

monétaire mondiale. Ils sont signés le 22 juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis).

En ce début de XXIème

siècle et depuis les Accords de la Jamaïque en 1976, c’est dorénavant la loi de

l’offre et de la demande qui détermine le cours de nos devises, via un marché des changes. Nous avons

adopté un régime dit « de changes flottants ». Si un euro vaut un euro, d’un jour à l’autre, il s’échange

contre plus ou moins de dollars.

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Dès lors, pas de troisième libération monétaire à l’horizon ? Faux. Puisqu’il est toujours

possible d’échanger les dollars contre de l’or, il s’avère problématique que la quantité

de dollars injectée dans l’économie mondiale soit désormais supérieure aux réserves en

or des États-Unis.

Ainsi, face à ce dérangeant écart - que les politiques de relance économique par la

dépense publique et la guerre du Vietnam ont largement creusé - les États-Unis doivent

de nouveau abandonner l’étalon de change-or. Le 15 août 1971, le président américain

Richard Nixon déclare “temporaire” la fin de la convertibilité du dollar en or.

C - Synthèse

Nous avons emprunté la notion de libération monétaire au « économistes atterrés », qui

l’utilisent pour évoquer les Trente Glorieuses, au cours desquelles les États sont plus ou

moins libérés des contraintes économiques liées à l’or. Pouvant s’endetter sensiblement

plus auprès de leur Trésor public, ils trouvent facilement les moyens de mettre en place

les politiques qu’ils jugent adéquates. Fini le manque de budget.

Prenons la balance de Roberval pour illustrer cette libération monétaire :

Lecture : En adoptant les “poids-dettes” en sus des “poids-or”, nous avons pu rassembler les ressources

financières requises pour mettre en œuvre certains projets nationaux.

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Maintenant, pourquoi peut-on créer des euros pour sauver nos banques, mais pas pour

“sauver” le climat ? Parce qu’on ne contracte une dette que si l’on estime pouvoir la

rembourser. L’État peut s’endetter pour sauver une banque, car celle-ci pourra par la

suite le rembourser. Ce n’est pas le cas avec le climat, qui lui ne signe aucun chèque de

remerciement.

Malheureusement en ce début de XXIème

siècle, les traités européens semblent inscrire

les lois économiques dans le marbre. Faire advenir une quatrième libération monétaire

au sein de la zone euro est probablement impossible. Nous allons donc devoir envisager

une autre approche pour financer, par exemple, la modernisation de nos centres de tri

des déchets.

Il faut parfois changer les règles du jeu économique.

*

* *

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N.B. :

Répétons-le, en cette entame de nouveau millénaire, la plupart de nos hommes

politiques partent du principe que la quantité de monnaie en circulation s’adapte

automatiquement à nos besoins. D’après eux, aucun manque de monnaie dans

l’économie réelle ne serait à signaler, car si nous voulons plus d’argent, il suffit de

travailler plus.

Leur logique est peut-être la suivante : puisque le travail crée la richesse (cf. Adam

Smith) et que l’argent est une richesse (ou du moins, que les richesses s’échangent

contre de l’argent), alors le travail crée l’argent.

Cependant, les revenus qu’un salarié obtient de la part d’un employeur ne tombent pas

du ciel. L’entreprise qui l’embauche ne produit aucun euro, elle ne fait, en réalité, que

transférer une partie de ceux qu’elle a déjà en sa possession (sur un compte bancaire).

Bref, elle ne crée pas la monnaie avec laquelle elle paie son employé.

Pour cette simple raison, lorsqu’il n’y a pas assez de monnaie dans l’économie réelle, ce

n’est pas un surplus de travail qui la fera apparaître comme par enchantement. D’où

vient véritablement l’argent ? Des institutions monétaires qui le créent. En ce début de

XXIème

siècle, nous utilisons majoritairement une monnaie bancaire.

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Ammoneo.org La tragédie des biens publics 27/60

Sources chapitre 3 :

Bersac, Jean-Baptiste. Devises. 2ème

éd.. ILV-Edition (auto-éd.), 2013, 454 pp ; p.152,

p.168, p.248.

Goodwin, Michael., Burr, Dan (illustrations). Economix. Paris : Les Arènes, 2013,

304 pp ; p.135.

Triffin, Robert. L’or et la crise du dollar. (traduit de l’anglais sous la direction de

Jacques Raoul Boudeville). Paris : PUF, 1962 (1ère

éd. anglaise 1960), 201 pp ;

p.8-9, p.34-35, p.62, p.71, p.98, p.184.

Mathieu, Henri. Physiologie de la monnaie. Paris : PUF, 1946, 407 pp ; p.71.

Askenazy, Philippe., Coutrot, Thomas., Orléan, André., Sterdyniak, Henri. Manifeste

d’économistes atterrés. Paris : Les Liens qui Libèrent, 2010, 70 pp ; p.38.

Piketty, Thomas. Le capital au XXIème siècle. Paris : Seuil, 2013, 970 pp (Les livres du

nouveau monde) ; p.176, p.897.

Eur-lex.europa.eu. Article 123 du Traité de Lisbonne. CELEX: 12008E123. [en

ligne]. Disponible sur <https://eur-lex.europa.eu/eli/treaty/tfeu_2008

/art_123/oj> (consulté le 05/12/2017)

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Chapitre 4 – Monnaie et endettement, quel rapport ?

NOTION #4 : MONÉTISATION DE DETTE

Nos politiques d’austérité entravent lourdement notre lutte contre la tragédie des biens

publics. Pour identifier comment les déjouer, il nous faut au préalable comprendre

comment sont créés les euros scripturaux que nous utilisons au quotidien. Intéressons-

nous à présent au procédé de monétisation de dettes.

En deux mots, la monétisation de dettes est l’opération qui consiste à créer de la

monnaie en échange d’une reconnaissance de dette (qui prend généralement la forme

d’un actif financier appelé « titre de créance » / « titre de dette »). Pour rappel, on parle

de créance pour le prêteur, tandis que l’on parle de dette pour l’emprunteur.

Depuis 1971 et la fin de la convertibilité du dollar en or, nous avons mondialement

délaissé la monnaie-or (gagée par de l’or) pour n’utiliser que des monnaies-dettes

(gagées par une reconnaissance de dette). Nos euros ne sont pas couverts par un certain

poids d’or, ils sont couverts par un actif financier, généralement un titre de dette.

Sachant cela, intégrons bien que nos monnaies scripturales n’apparaissent pas dans

l’économie par magie, mais à la condition qu’une promesse de remboursement soit

monétisée. L’argent bancaire ne tombe pas du ciel, il a forcément été émis par un

intermédiaire financier.

Tous les milliards d’euros qui existent sont, par conséquent, censés être garantis par des

milliards de dettes libellées en euros, dollars, yens, etc. La dette des uns servant en

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Ammoneo.org La tragédie des biens publics 29/60

quelque sorte à créer et garantir la monnaie des autres ; sans dettes supplémentaires, pas

d’euros supplémentaires (ces derniers ne sortent jamais du néant).

Nous tenons là une des raisons pour lesquelles la France est lourdement endettée et met

en place des politiques d’austérité. L’argent ne nous appartient pas, nous l’empruntons

aux institutions monétaires qui monétisent nos dettes.

Lecture : les pays riches empruntent leur monnaie et puisqu’ils en ont beaucoup, ils font logiquement

partie des pays les plus endettés (impression écran de « The global debt clock » du site The Economist).

Dans l’optique de débloquer des fonds pour lutter contre la tragédie des biens publics,

tout en réduisant la dette du contribuable envers la sphère financière, peut-être devrions-

nous - dans certains cas - songer à émettre de la monnaie nous-mêmes, plutôt que de

l’emprunter à un intermédiaire…

Sans forcément mettre un terme définitif à la monétisation de dettes par un

établissement bancaire, qu’est-ce qui nous interdit de mettre en service un procédé

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d’émission monétaire parallèle ? En sus des euros, nous pouvons parfaitement nous

payer les uns les autres avec des monnaies électroniques, injectées dans l’économie

réelle pour répondre à des besoins précis et d’intérêt général.

Y a-t-il un risque de hausse générale des prix ? Pas vraiment, car après tout, les banques

commerciales créent de l’argent tous les jours, chaque fois qu’elles accordent un crédit,

sans que cela ne dévalue l’euro. C’est un procédé ingénieux dont nous pouvons nous

inspirer.

Le crédit est en effet une excellente façon de créer la monnaie, cela évite de créer en

amont une masse de monnaie déconnectée des besoins de l’économie. La monnaie est

injectée dans l’économie pour répondre à un besoin, puis une fois ce besoin satisfait,

elle est retirée de l’économie au fur et à mesure du remboursement du crédit.

Rappelons que la valeur d’une monnaie est en quelque sorte régie par la loi de l’offre et

de la demande. C’est la théorie quantitative de la monnaie. Il y a donc un lien de

corrélation entre masse monétaire en circulation et niveau des prix, cependant ce n’est

pas un lien de causalité. Si la demande pour la monnaie augmente, alors on peut

augmenter l’offre de monnaie sans qu’aucune hausse générale des prix n’ait lieu.

Emprunter notre monnaie à des entreprises à but lucratif coûte cher.

*

* *

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Ammoneo.org La tragédie des biens publics 31/60

N.B. :

« La lacune la plus importante du système actuel et le danger le plus menaçant

pour sa stabilité future se trouve dans le fait qu’elle laisse le développement

satisfaisant de la liquidité monétaire mondiale dépendre surtout d’une quantité

additionnelle de [dettes]. »

- Robert Triffin [Triffin, p.114].

Attention, lorsque l’on évoque la dette d’un pays, il faut distinguer « dette de l’État » et

« dette publique », puisque cette dernière comprend la dette de l’État à laquelle

s’ajoutent les dettes contractées par les collectivités territoriales et les organismes

publics (par exemple la sécurité sociale).

Deuxièmement, en ce qui concerne la dette de l’État, elle se divise en deux catégories :

1/ la dette négociable, contractée sous forme d’actifs financiers (l’État émet un titre de

dette - appelé « bon du Trésor » - qu’un agent économique achète contre l’assurance que

le gouvernement français lui remboursera avec intérêts cet achat).

2/ la dette non négociable, c’est-à-dire les sommes déposées sur le compte de l’État par

divers organismes (collectivités territoriales, établissements publics, etc.).

Seule la dette négociable est parfois monétisée afin de créer un supplément d’euros,

dollars, yens, etc. Or, si nous émettions nous-mêmes notre monnaie plutôt que de

l’emprunter à un intermédiaire, nous pourrions avoir autant, voire davantage d’unités

monétaires à disposition, tout en réduisant le coût de la dette négociable qui pèse sur le

pays.

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Sources chapitre 4 :

McLeay, Michael., Radia, Amar., Thomas, Ryland. Money creation in the modern

economy. [en ligne]. Bank of England, Quarterly Bulletin, 2014, Q1, 14 pp ; p.1.

Format PDF. Disponible sur : <https://www.bankofengland.co.uk/quarterly-

bulletin/2014/q1/money-creation-in-the-modern-economy> ( C o n s u l t é l e

11/03/2015)

Piketty, Thomas. Le capital au XXIème siècle. Paris : Seuil, 2013, 970 pp (Les livres du

nouveau monde) ; p.900, p.933.

Daniel, Jean-Marc. 3 controverses de la pensée économique. Paris : Odile Jacob, 2016,

175 pp ; p.126.

Bailly, Jean-Luc., Montoussé, Marc (dir). Économie monétaire et financière. 2ème

éd..

[en ligne]. Paris : Bréal, 2006, 383 pp, (Grand Amphi Economie) ; p.17.

Disponible sur : <https://books.google.fr/books?id=Ipc1I0sIa28C> (consulté le

06/03/2017)

Gautier, Élie. Une monnaie au service des hommes. Loudéac : chez l’auteur, 1985,

343 pp ; p77-78. (citant Grejbine, André. L’État d’urgence. Paris : Flammarion,

1983, 224 pp ; p.111).

Triffin, Robert. L’or et la crise du dollar. (traduit de l’anglais sous la direction de

Jacques Raoul Boudeville). Paris : PUF, 1962 (1ère

éd. anglaise 1960), 201 pp ;

p.114.

Bersac, Jean-Baptiste. Devises. 2ème

éd.. ILV-Edition (auto-éd.), 2013, 454 pp ; p.322-

323.

Page 33: Aurélien Pressensé - Ammoneo · secteur financier dans sa quête de profits. A contrario, austérité oblige, le poumon de la coopération est parfois douloureusement obstrué et

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Artus, Patrick. Attention à bien comprendre ce qu’est vraiment la monétisation. [en

ligne] Natixis, Flash Économie - Recherche économique n°12, 2012, 5 pp.

Format PDF. Disponible sur : http://docplayer.fr/19145035-Attention-a-bien-

comprendre-ce-qu-est-vraiment-la-monetisation.html> (Consulté le 31/08/2016)

Economist .com. The global debt clock. [en l igne] . Disponible sur

<https://www.economist.com/content/global_debt_clock> ( c o n s u l t é l e

05/12/2017)

Agence France Trésor. La dette de l’État > Définition et périmètre. [en ligne].

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Leroy, Guillaume. Qui détient la dette publique ? [en ligne]. Fondapol, 2011, 33 pp ;

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Ricardo, David. Des principes de l’économie politique et de l’impôt. 3ème

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Fonteyraud). [en ligne]. Paris : Guillaumin, 1847 (1ère

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Chapitre 5 – Qui décide du pouvoir d’achat de la monnaie ?

NOTION #5 : NUMÉRAIRE

Au fait, c’est quoi un commun ? Par opposition à une ressource privatisée, un commun

est une ressource accessible à tous ceux qui le souhaitent, sous réserve de se conformer

aux lois qui encadrent son usage. La langue française est de fait un commun. C’est un

outil social qui nous permet de communiquer entre nous, sans intermédiaire, à condition

de respecter certaines règles syntaxiques.

Faire de la monnaie un commun implique de se débarrasser d’une idée reçue liée au mot

« argent ». Avec l’argent, on présuppose que la monnaie doit servir de “barrière à la

consommation” ; seuls ceux qui ont de l’argent ont du pouvoir d’achat ; ceux qui n’ont

pas d’argent, eux, sont refoulés au moment de payer.

Deux conceptions de la monnaie s’opposent en effet, et voilà pourquoi, au sujet des

sociétés primitives et de l’invention de la monnaie, deux théories s’affrontent.

La première, plus ancienne, veut que la monnaie soit née en réponse aux problèmes

posés par le troc (par exemple, si l’objet / service A m’intéresse, qui me dit que l’objet /

service B que je souhaite troquer va intéresser le propriétaire de l’objet A ?).

La seconde, plus récente, présente la monnaie comme une résultante de la pratique

du don qui, couplée à la notion de réciprocité, aurait fait naître le principe de

compensation décalée dans le temps. En clair, celui qui se sent redevable de ce qu’il a

reçu considère qu’il a une dette, dette qu’il aurait appelé « monnaie ».

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Ammoneo.org La tragédie des biens publics 35/60

Cette hypothèse que la monnaie n’est pas, au départ, une marchandise que l’on troque,

mais une reconnaissance de dette que l’on a matérialisée, se trouve de plus confortée par

l’étymologie même du mot « monnaie », qui viendrait du latin, monere, que l’on peut

traduire par « faire souvenir ».

La monnaie aurait donc, dans un premier temps, rempli la fonction d’aide-mémoire.

Elle visait à rappeler qu’une faveur avait été reçue et qu’il fallait qu’elle soit rendue.

D’ailleurs, « notre mot “pécuniaire” (du latin, pecus, troupeau) dérive sans aucun doute

[…] des disques de cuir représentant une vache ou un cheval » [Douglas, p.176], que

confectionnaient parfois les éleveurs, dans le but de différer un paiement (une fois

l’animal né ou ayant atteint la taille requise, il était échangé contre le disque et la dette

était alors considérée comme réglée).

Nos premières unités monétaires faisaient, ainsi, vraisemblablement office d’avoirs, de

reconnaissance de dette. L’“acheteur” créait un jeton avec laquelle il payait le

“vendeur”, jeton que ce dernier pouvait utiliser ultérieurement pour se voir offrir en

retour, un service de la part de l’“acheteur” ou d’une de ses connaissances.

Cette monnaie-jeton est un commun, car les échanges ont directement lieu de pair à

pair. L’argent, au contraire, est bien plus difficile d’accès, puisque pour en détenir, il

faut être passé soit par un agent économique en possédant déjà, soit par une institution

capable d’en créer pour nous. C’est une ressource privatisée.

En bref, la monnaie-jeton est la preuve que ceux qui décident d’attribuer ou non du

pouvoir d’achat à une monnaie, c’est nous.

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Cela explique pourquoi, pendant de nombreux siècles, nous nous sommes parfaitement

dispensés de gager notre monnaie par du métal précieux (ou par un actif financier, tel

qu’un titre de dette). Nous utilisions alors un système de crédit mutuel, au sein duquel la

monnaie est gérée comme un commun, et c’est cette monnaie qu’on appelle

« numéraire ». La monnaie-jeton est ainsi un numéraire.

Plus généralement, le concept de numéraire (du latin, numerare, compter) s’oppose à

celui de l’argent. L’argent fait de la monnaie un intermédiaire des échanges, un bien que

l’on gagne / possède / privatise. Quant au numéraire, il fait de la monnaie un outil

comptable accessible à tous, servant à indiquer les soldes débiteur ou créditeur des

membres de la communauté.

Avec l’aide d’une régie du crédit, il s’agit pour une communauté de communes de

financer la lutte contre la tragédie des biens publics avec son propre numéraire

(électronique), sans passer par le système bancaire et ses euros. L’argent manque ou se

trouve dans des paradis fiscaux ? Eh bien soit, utilisons autant que possible une autre

monnaie que cet argent. Finie l’austérité.

La monnaie est un outil social qui ne devrait pas être privatisé.

*

* *

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N.B. :

« Beaucoup d’auteurs expérimentés […] ont essayé de classifier ces pièces afin de

découvrir l’étalon de valeur des divers États grecs ; mais le système adopté est à

chaque fois différent. […] Leur composition varie de la plus extraordinaire

manière, [60 % d’or pour certaines, 60 % d’argent pour d’autres], en contradiction

totale avec une valeur propre fixée. Tous les auteurs acquiescent que les pièces de

la Grèce antique sont des jetons, leur valeur ne dépendant pas de leur poids. »

- Alfred Mitchell-Innes [Bersac, p.100].

Pourquoi avons-nous abandonné l’usage d’un numéraire ? On peut supposer que les

habitants de la Grèce Antique ont, peu à peu, cru que les jetons qu’ils créaient, tiraient

leur pouvoir d’achat des métaux précieux qu’ils apportaient à l’atelier de fabrication de

la monnaie.

C’est comme si, à force d’utiliser une balance de Roberval, on avait confondu l’unité de

masse qu’est le kilogramme avec le poids calibré qui la matérialise, unité immatérielle

et support physique de l’unité finissant par être amalgamés.

En ce début de XXIème

siècle, ayant oublié que la monnaie était à la base un numéraire,

une unité sans valeur intrinsèque, nous ressentons le besoin de garantir le pouvoir

d’achat de nos “jetons” par un actif financier (à moins que cela n’ait été une façon de

nous prémunir contre le faux-monnayage4

).

4. Tout comme utiliser du métal précieux est sans doute devenu nécessaire pour éviter la contrefaçon de

jetons, c’est-à-dire le faux-monnayage, aujourd’hui, l’emploi d’actif financier sert peut-être à encadrer la

création de la monnaie bancaire, à empêcher qu’elle ne soit créée n’importe comment, à tout va.

Avec le développement de l’informatique, le retour des numéraires est néanmoins techniquement faisable.

Dès lors, « la monnaie [redeviendrait] représentative des échanges économiques réalisés et non ce qui les

permet » [Rabhi, à 1:42:35].

Bien entendu l’usage d’un numéraire exige que soient fixées certaines règles de bon sens, tel qu’un

montant maximal de découvert autorisé par exemple.

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Sources chapitre 5 :

Berthoud, Arnaud. Aristote et l’argent. Paris : Maspero, 1981, 192 pp ; p.15, p.94-96.

Mauss, Marcel. Essai sur le don. Paris : PUF, 2012 (1ère

éd. 1924), 241 pp ; p.125,

p.134, p.139-140, p.151.

Lietaer, Bernard. The future of money. Londres : Century, 2001, 371 pp ; p.181-182.

Haudry, Jean. Juno Moneta, aux sources de la monnaie. Milan : Archè, 2002, 199 pp ;

p.3, p.6, p.18, p.37, p.49-50, p.153.

Breal, Michel., Bailly, Anatole. Moneo. In : Dictionnaire étymologique latin. [en ligne]

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Chapitre 6 – Faire circuler plusieurs monnaies, ça marche ?

NOTION #6 : MONNAIES COMPLÉMENTAIRES

Les privilégiés abolissent rarement d’eux-mêmes leurs privilèges, de même, il serait très

étonnant que nos élites inscrivent à leur agenda la réforme d’un système monétaire qui

les avantage outrageusement. La tradition politique veut que la transformation de la

société se fasse quasiment toujours “par le bas”. Dit plus vertement par Machiavel, « la

meilleure forteresse des tyrans, c’est l’inertie des peuples ».

Concrètement, au lieu de subir docilement un manque de monnaie officielle qui aurait

rendu leur quotidien trop difficile, nos ancêtres décidèrent, localement, de mettre en

circulation des monnaies dites « de nécessité », tels que les méreaux en France ou les

tokens en Grande-Bretagne. Étudions trois exemples historiques du même acabit (plus

récents, mais particulièrement remarquables).

A - Autriche : le Freigeld de Wörgl (1932-1933)

« Quand Michael Unterguggenberger fut élu maire de Wörgl […] il avait en tête une

longue liste de projets qu’il voulait accomplir (refaire les routes, installer l’eau courante

dans toute la ville, [construire un petit pont, etc.]). Beaucoup d’habitants étaient

disponibles et compétents pour mettre en œuvre toutes ces idées, mais la commune

n’avait que 40 000 schillings autrichiens à la banque ; un montant dérisoire comparé au

coût de tout ce qui devait être fait » [Lietaer, p.153, citation traduite de l’anglais].

Le maire a alors l’initiative de mettre en service le Freigeld, monnaie complémentaire

que tous les commerçants de la commune devront accepter. Une fois imprimée, elle est,

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entre autres, utilisée pour payer les salaires des agents des travaux publics,

anciennement au chômage, qui peuvent enfin regoûter aux joies de la consommation.

En un an, Wörgl voit son chômage réduit d’un quart.

Cette même année, le chômage connaît une hausse de 20 % dans le reste de l’Autriche,

raison pour laquelle - comme en témoigne la pancarte sur la photo ci-dessous - la

commune est très fière de sa nouvelle monnaie.

« Pont réalisé à l’aide du Freigeld en l’année 1933 par la commune de Wörgl. »

- Unterguggenberger Institut Archiv (traduit de l’allemand)

Cependant, la banque centrale autrichienne - perplexe face à ce qui lui semblait être un

étrange tour de passe-passe - déclara le Freigeld illégal en 1933. « L’expérience de

Wörgl » prit fin aussitôt et le chômage retrouva son précédent niveau.

B - Les bons MEFO allemand (1933-1937)

« Entre 1929 et 1935, le niveau de production des grands pays développés a chuté d’un

quart, le chômage a augmenté d’autant » [Piketty, p.753]. Pourtant, un pays s’en sort

mieux que les autres : « en quelques années, l’Allemagne réussit à résorber son

chômage, à assurer sa reprise économique, à réaliser un programme d’armement dont

les événements ultérieurs ont montré l’ampleur » [Gautier, p.23].

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On attribue, en partie, ce rebond de l’Allemagne nazie à une monnaie complémentaire,

à savoir les bons MEFO (MEtallurgische FOrschungsgesellschaft), dont l’usage est

réservé à l’investissement dans les secteurs de l’industrie militaire et de la recherche.

Concrètement, toutes les usines livrant des équipement militaires sont payées en bons

MEFO, convertibles en marks auprès de l’État allemand passé un délai de cinq ans. En

1934, les bons MEFO représentent 51 % du financement du réarmement allemand.

C - Brésil : les programmes « Lixo que ñao é Lixo » (1989-)

et « Cambio verde » (1991-) de Curitiba

« À Curitiba, […] le maire de l’époque, Jaime Lerner s’est attaqué à deux problèmes qui

sévissaient dans sa ville : la pollution et les difficultés de transport. Le conseil municipal

a décidé l’émission d’une monnaie sous la forme de jetons de bus. Les habitants de la

ville gagnent cette monnaie en ramassant et triant les ordures. Cette monnaie [née du

programme « Lixo que ñao é Lixo »] a un double avantage : les rues sont nettoyées et

les habitants sont incités à utiliser les transports en commun […].

[Avec le programme « Cambio verde »] les habitants peuvent également échanger leurs

ordures contre de la nourriture [ce qui assure un nouveau marché aux produits agricoles

des petits producteurs, tout en donnant accès à une alimentation saine aux plus pauvres].

[…] La mise en place de cette monnaie et de ces actions a permis à la ville de faire des

économies tout en résolvant ses difficultés. La municipalité a donc pu baisser

l’imposition, et ainsi rendre la ville plus attractive. Ce cercle vertueux a permis à

Curitiba […] d’être sacrée « capitale écologique du Brésil » et de devenir une des villes

les plus prospères du pays » [Cornu, p.69-70].

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D - Synthèse

Nul besoin que des décisions politiques soient prises à l’échelle nationale pour relancer

l’activité économique. L’économie, c’est nous. En effet, techniquement, rien ne nous

interdit de financer des actions / projets / entreprises avec une monnaie complémentaire.

Finie l’austérité.

Toutefois en France, les projets de monnaie complémentaire doivent constituer un fonds

de garantie obligatoire en euros pour couvrir les montants de monnaie complémentaire

émis ; pas d’euros bloqués sur un compte en banque, pas de monnaie complémentaire.

Heureusement, le recours à un numéraire contourne cet obstacle législatif, car son

concept atypique (aux yeux de la réglementation) le place en plein vide juridique.

À l’aide d’une régie du crédit, une communauté de communes peut donc très bien

organiser le paiement partiel voire complet de certains chantiers primordiaux dans la

lutte contre la tragédie des biens publics. Cela donne du travail puis des revenus à

d’anciens chercheurs d’emplois, et le territoire est alors mieux préparé face aux défis

écologiques et sociaux en cours ou à venir.

Bref, en choisissant de nous payer avec notre propre numéraire, petit à petit, à l’échelle

d’une ville voire d’une région, nous établissons un système économique tout-à-fait

fonctionnel, bien que différent de celui des monnaies-dettes. C’est ambitieux mais pas

impossible, puisque nous y sommes déjà parvenus par le passé.

Nous pouvons utiliser d’autres monnaies que les monnaies-dettes.

*

* *

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Sources chapitre 6 :

Lietaer, Bernard. The future of money. Londres : Century, 2001, 371 pp ; p.153-155,

p.188, p.196-201.

Broer, Wolfgang, L’expérience de « monnaie fondante » de Wörgl a pris fin il y a 75

ans - Une solution pour des temps de crise ? (traduit de l’allemand par Michèle

Mialane). [en ligne]. Horizon et débats, 2009, n°2, 8 pp ; p.4. Format PDF.

Disponible sur <https://www.voltairenet.org/IMG/pdf/HD_02_2009.pdf>

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Historisch. Disponible sur : <https://unterguggenberger.org/woergler-freigeld-

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Cornu, Jean-Michel. De l’innovation monétaire aux monnaies de l’innovation.

Limoges : FYP Editions, 2010, 112 pp ; p.69-70.

Vaz Del Bello, Giovanni. A convenient truth: urban solutions from Curitiba, Brazil.

[DVD]. Felton : Maria Vaz photography in association with del bello pictures,

2006. (52 mn).

Piketty, Thomas. Le capital au XXIème siècle. Paris : Seuil, 2013, 970 pp (Les livres du

nouveau monde) ; p.515, p.753.

Gautier, Élie. Une monnaie au service des hommes. Loudéac : chez l’auteur, 1985,

343 pp ; p.23-25 citant Pirou, Gaëtan, Économie libérale et économie dirigée [en

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<https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k24512q.image> (Consulté le 25/09/2016)

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Clavert, Frédéric. Hjalmar Schacht, financier et diplomate 1930-1950. [en ligne]

Université Strasbourg III, 2006, 624 pp (tel-01100444) ; p.305, p.308, p.463.

Format PDF. Disponible sur : <https://halshs.archives-ouvertes.fr/tel-

01100444/document> (Consulté le 10/02/2017)

Smith, Adam. Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations. Livres I

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éd. anglaise 1776), 412 pp ; p.303-305.

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RÉCAPITULATIF

Le “Système”, késako ?

Lecture : via les crédits bancaires, l’offre en monnaie est majoritairement dirigée par des entreprises

privées, amorales, plaçant l’intérêt général au second plan. De fait, nous parvenons trop rarement à réunir

assez de monnaie pour financer des projets écologiquement utiles, lorsque ceux-ci sont peu ou pas

lucratifs.

À bas les banques ?

Nous aurons toujours besoin de professionnels pour mettre en relation ceux qui ont une

épargne, mais qui ne savent pas quoi en faire, et ceux qui sauraient quoi faire avec

beaucoup d’unités monétaires, mais qui ne les ont pas. Nous pensons que le cœur de

métier des banques n’est pas de créer l’argent, mais de faire se rencontrer les bonnes

idées et les fonds permettant leur mise en œuvre.

Fuir ou combattre ?

ll serait étonnant que nos élites accompagnent la réforme d’une organisation

économique qui leur profite exagérément. D’une part, recourir à la violence lorsque l’on

se bat contre plus fort que soi est rarement une démarche judicieuse, d’autre part,

attendre des privilégiés qu’ils abolissent d’eux-mêmes leurs privilèges, ne l’est pas

davantage. La fuite semble dès lors une stratégie à considérer.

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Retour à la vie sauvage ?

Ici, fuir ne signifie pas se retirer hors du monde, mais boycotter un tant soit peu les

euros scripturaux. Avec les crypto-monnaies (plus d’informations sur ammoneo.org), il

est plus que jamais aisé de nous régler autrement qu’avec des monnaies-dettes. Il s’agit

finalement de contester l’hégémonie de la monnaie du “Système”, très peu propice à la

coopération et donc à la résorption de la tragédie des biens publics.

Quel est le plan du coup ?

Les communautés de communes qui le désirent peuvent s’émanciper du “Système” en

utilisant d’autres unités monétaires que les euros scripturaux (qui appartiennent à la

catégorie des monnaies-dettes). Ces territoires auront, alors, accès à une nouvelle source

de financement pour concrétiser des politiques écologiques ou sociales locales, et créer

par la même occasion des emplois. Finie l’austérité.

A-t-on des exemples d’émancipation réussie ?

S’émanciper consiste pour ceux qui le souhaitent, à payer / être payé avec une autre

monnaie que celle du “Système”. Nul besoin de convaincre des millions de concitoyens.

Les villes de Curitiba et de Wörgl ont montré que cela était réalisable de façon indolore

ou presque, il suffit aux adhérents de la monnaie complémentaire d’apprendre à régler

leurs transactions différemment.

Le “Système” n’est grand que parce que nous sommes à genoux ?

En ce début de XXIème

siècle, la monnaie est privatisée, ce sont majoritairement des

entreprises privées qui en gèrent l’allocation dans le pays. Une alternative locale à ce

“Système” consisterait à adopter une monnaie basée sur le concept de commun, à savoir

un numéraire. Nos besoins écologiques ou sociaux sont nombreux, ce n’est pas le travail

qui manque, ce sont les moyens de le rémunérer.

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CONCLUSION

Tant que l’austérité continuera, comment croire que des politiques sociales ou

écologiques ambitieuses se mettront soudainement en place ? Ne dit-on pas que la folie,

c’est répéter sans cesse les mêmes actions et s’attendre chaque fois à un résultat

différent ? La monnaie est le carburant de l’économie. Si un type de monnaie

commence à faire défaut, alors utilisons un autre type de monnaie.

A – L’argent

L’argent est un intermédiaire des échanges, une marchandise physique ou dématérialisée

que l’on peut troquer contre des biens ou services. Il sert de “barrière à la

consommation” : seuls ceux qui détiennent de la monnaie ont un pouvoir d’achat. Le

problème n’est pas tant que ce carburant économique est rare, mais que son allocation

est principalement gérée par des intermédiaires en quête de profits.

Par construction, le travail est payé ; le labeur d’un agent économique ne peut jamais

créer de l’argent. Les besoins de l’économie (la demande) s’adaptent donc à la quantité

d’unités monétaires disponibles (l’offre).5

Lorsqu’il n’y a pas assez d’argent pour tout le

monde, il y a compétition pour la monnaie, qui devient hélas davantage une fin qu’un

moyen.

5. En cette entame de troisième millénaire, la quantité d’unité monétaires à disposition est gérée par nos

banques commerciales. Cela dit, pourquoi lorsque l’on parle de créer de la monnaie pour financer un

projet écologique, nombreux sont ceux qui redoutent une hausse générale des prix, mais que lorsqu’une

banque créent des millions d’euros pour la construction d’un surfpark, plus personne ne s’en inquiète ?

Dans une organisation économique idéale, la quantité de monnaie en circulation s’adapte aux besoins de

la société, au lieu que cela soit les besoins de la société qui s’adaptent à une quantité arbitraire de

monnaie. Sachant cela, nos économistes devraient plaider pour l’instauration de régies du crédit, afin que

l’offre de monnaie s’ajuste enfin correctement à la demande en monnaie qui lui fait face.

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B – Un numéraire

Le numéraire est une unité monétaire permettant de nous faire crédit entre nous, à

condition de tenir soigneusement les comptes : ce système comptable indique qui a déjà

rendu des services à autrui (solde plus ou moins positif) et qui doit encore en rendre

(solde plus ou moins négatif). La société a ainsi directement accès à son carburant

économique, nul besoin d’obtenir l’approbation d’un intermédiaire.

Par construction, le travail paie ou est payé ; du labeur d’un agent économique peut si

besoin résulter la création de numéraire. La quantité d’unités monétaires disponibles

(l’offre) s’adapte de fait bien plus facilement aux besoins de l’économie (la demande).

Puisqu’il y a plus de monnaie en circulation, la compétition pour celle-ci est moins

féroce. La monnaie redevient davantage un moyen qu’une fin.

C – Les régies du crédit

Le crédit est une excellente façon de créer la monnaie, cela évite de créer en amont une

masse de monnaie déconnectée des besoins de l’économie (la demande). La monnaie est

injectée dans l’économie pour répondre à un besoin, puis une fois ce besoin satisfait,

retirée de l’économie au fur et à mesure du remboursement du crédit. En ce début de

XXIème

siècle, la plupart des crédits sont hélas accordés dans un but lucratif (l’offre).

En permettant à leurs membres d’utiliser un numéraire, les régies du crédit

tempèreraient cette tendance : nettement plus de crédits seraient accordés dans un but

non lucratif. Finie l’austérité. Jusqu’alors dédaignées par les banques, faute de

rentabilité à court terme, nous pourrions enfin financer ces associations et entreprises

qui agissent pour l’intérêt général. Finie la tragédie des biens publics.

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*

* *

S’il s’en donne les moyens, l’Homme est parfaitement en mesure de participer à

l’épanouissement de la vie sur Terre. Ce n’est pas l’Homme qu’il faut changer, c’est le

contexte au sein duquel il évolue et notamment les contraintes économiques absurdes

dans lesquelles il s’emprisonne. Bien sûr, à l’échelle du monde, nous sommes

impuissants, mais ce n’est pas le cas à l’échelle de nos communes.

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ANNEXES

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BAYONNE 2027

« Nous sommes en direct avec M. Perspicace, conseiller municipal à la mairie de

Bayonne. Cette commune de 50 000 habitants surprend son monde avec un taux de

chômage ridiculement bas, là où le contexte économique en France et au-delà n’est plus

au beau fixe ces dernières années. M. Perspicace, que se passe-t-il à Bayonne ?

Comment expliquez-vous ce “micro-climat économique” dont bénéficie votre ville ?

— Vous savez, en dehors de Bayonne, c’est en fait tout le pays basque qui connaît un

vrai mieux. Si l’on peut être amené à croire que la santé économique du pays basque est

tiré vers le haut par Bayonne, pour ma part, je suis prêt à affirmer l’inverse.

Bayonne s’inscrit dans un territoire à la culture vaillante et pugnace. Nous sommes très

soutenus par une part significative de la population bayonnaise et des communes

environnantes. L’expérience monétaire que nous menons ici est le fer de lance de toute

une région, pas seulement de Bayonne.

— D’après vous, la vitalité économique de Bayonne prend sa source dans cette

expérience monétaire appelée « konpainia de kreditu », n’est-ce pas ? Pourtant, ce n’est

les monnaies locales qui manquent en France… alors qu’est-ce qui vous fait dire que

cela joue un rôle dans le faible nombre de demandeurs d’emploi par chez vous ?

— Oh. Difficile de vous répondre avec certitude. Au risque de me répéter, je pense que

nous avons la chance d’avoir de nombreux basques à nos côté. Notre monnaie

électronique s’est rapidement répandue, tandis qu’ailleurs les monnaies locales restent

marginales. Nous sommes fiers de pouvoir nous payer avec notre propre monnaie.

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— C’est vrai que j’ai été impressionné par le nombre de magasins arborant le logo de la

konpainia de kreditu. L’engouement est manifeste.

— Nous avons aussi la particularité d’être exemptés du fonds de garantie obligatoire en

euros, qui limite fortement l’efficacité des monnaies locales. Nous avons pris soin

qu’aux yeux du code monétaire et financier, notre monnaie ne soit pas assimilée à de

l’argent. Vous savez, techniquement, c’est un numéraire. C’est-à-dire que le service de

paiement est assuré par les utilisateurs eux-mêmes, de pair à pair.

— Oui, si j’ai bien suivi ce qu’un de vos administrés m’expliquait tout à l’heure, la

konpainia de kreditu ne gère pas vraiment l’allocation de cette nouvelle monnaie. Son

rôle est avant tout de promouvoir un programme d’amélioration de la qualité de vie des

bayonnais, au moyen d’une application mobile ainsi qu’une carte de paiement mis à la

disposition des habitants et visiteurs qui le souhaitent.

— Attention. L’application et la carte ne sont pas réservées qu’aux particuliers. Les

partenaires majeurs de la konpainia sont les entreprises, les associations, ainsi que

certaines banques et quelques établissements publics, telle que la mairie.

— Oui, il ne faut pas les oublier… Comment avez-vous eu - vous ou plutôt l’équipe

derrière la konpainia de kreditu - l’intuition que cela pouvait marcher ?

— Le principe de fonctionnement des J.E.U., pour Jardins d’Échange Universel, a tout

bonnement été calqué. C’est un système économique alternatif parfaitement fonctionnel

à petite échelle, qui permet à ses membres d’échanger des biens et services entre eux,

sans passer par les euros.

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Par exemple, rendre des services rapporte des points, points que l’on dépense ensuite

pour recevoir tel produit ou tel service auprès d’un autre membre de la communauté.

Chacune des parties de la transaction doit juste noter dans leur carnet J.E.U. respectif,

leur solde créditeur ou débiteur, selon le cas de figure. Leur but est de permettre à leurs

membres d’échanger des biens et services entre eux, sans passer par les euros.

— C’est un système comptable en partie double assez basique finalement.

— Voilà, on peut voir ça comme ça. Ajoutez-y un soupçon de monétique pour la

simplicité d’utilisation, histoire de remplacer le carnet ou le livre des comptes par une

banale carte de crédit. Saupoudrez ensuite de cryptographie, afin d’empêcher tout faux-

monnayage. Laissez enfin le tout mijoter jusqu’à développer une dimension

intercommunale - car l’objectif reste l’emploi au travers de politiques locales

ambitieuses - et vous obtenez une superbe konpainia de kreditu.

— Ça paraît presque facile présenté comme ça.

— Sauf qu’au démarrage, personne n’y croyait. Mais l’association écologique

Alternatiba est née ici vous savez. La cause environnementale est chère à nos cœurs et

ça ne date pas d’hier. Pour sortir de l’austérité et financer les projets écologiques et

sociaux en faveur d’une meilleure qualité de vie pour les bayonnais, en définitive, nous

n’avons pas eu d’autre choix que d’innover un peu.

— D’ailleurs, si j’ai bien compris, n’importe qui a donc accès à la carte de paiement de

l a konpainia. C’est du pouvoir d’achat gratuit pour les bayonnais, en somme. Ne

craignez-vous pas d’assister à quelques dérives ?

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— La carte de crédit est effectivement accessible à tous ceux qui le souhaitent. Elle

offre un découvert autorisé d’un montant équivalent à 500 € pour les particuliers ; il

fallait les attirer. Pour la konpainia et ses partenaires, dont la mairie, le découvert

autorisé est nettement plus élevé. Son montant varie au fil des assemblées générales

ordinaires ou extra-ordinaires.

Impossible d’émettre de la monnaie seul dans son coin, cela dit. Il y a des règles,

comme pour un livre de comptes ou le Grand livre d’une entreprise. Vous savez,

puisqu’une transaction implique la présence d’un autre personne en face, qui n’a pas

forcément l’intention de vous rémunérer pour vos beaux yeux, si elle vous paie, vous

devez généralement lui rendre d’une façon ou d’une autre, un service.

— J’entends. Pour autant, en tant que conseiller municipal qui suit de près la konpainia

de kreditu, pouvez-vous nous dire ce qu’il se passerait, si tous les particuliers décidaient

de profiter de leur découvert autorisé, puis d’abandonner l’expérience ?

— Nous avons eu le cas d’une dizaine de personnes membres d’une même famille, qui

ont mis leur découvert autorisé en commun pour s’acheter un véhicule d’occasion et qui

ne se sont plus servis du numéraire basque par la suite. La personne qui vendait son

véhicule a été payée, c’est tout ce qui lui importait et après tout, il n’y a pas eu mort

d’homme.

De toute façon, ce type de comportement n’est pas représentatif et est balayé par la

réduction du taux de chômage à laquelle nous assistons. Votre présence ici l’atteste.

— C’est indéniable. M. Perspicace, puisque les konpainia de kreditu ont l’air de

fonctionner si bien, pourquoi n’exportez-vous pas votre modèle ?

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— Attention. Rappelons que l’idée était de sortir Bayonne d’un contexte économique

morose, d’arrêter de subir ces politiques d’austérité qui consistent à dire qu’il n’y a pas

d’argent et qu’il faut s’y habituer. Si d’autres villes souhaitent à leur tour apporter des

fonds plus que bienvenus à des projets écologiques ou sociaux et créer ainsi de

nombreux emplois, il leur appartient de s’inspirer de l’expérience basque. »

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FOIRE AUX QUESTIONS

En quoi l’échelle locale est-elle à la hauteur des enjeux ?

La tragédie des biens publics est mondiale et nous manquons de temps. Instaurer des

régies du crédit au sein de nos régions ne semble pas à la hauteur des enjeux. Pour

autant, cela ne signifie pas qu’il faille se résigner ou laisser-faire. Le pragmatisme veut

simplement que « charité bien ordonnée commence par [son territoire] ».

Noir c’est noir, il n’y a plus d’espoir ?

L’argent influence bien plus largement la course de ce monde que nos bulletins de vote

et nos manifestations. En accordant du pouvoir d’achat à d’autres unités monétaires que

les euros, notre territoire cesse soudainement de manquer de budget. C’est indispensable

pour nous préparer correctement face aux défis écologiques et sociaux que nous réserve

le futur. Montrons l’exemple.

Faut-il une implication des habitants ?

Clairement. Doit-on fixer un cours forcé à la monnaie électronique, l’indexer sur un

bien ou service, s’en remettre uniquement à la loi de l’offre et de la demande ?

Débattons et accordons-nous sur des règles intelligemment pensées. Nous avons survolé

les détails techniques dans ce livret, notre objectif étant surtout de montrer qu’adopter

une autre monnaie, c’est sortir de l’étouffante austérité.

Comment embarquer les entreprises ?

Pour une entreprise, intégrer une monnaie électronique à son modèle d’affaires rend

possible des transactions qui n’auraient pas eu lieu autrement, c’est-à-dire attirer puis,

Page 59: Aurélien Pressensé - Ammoneo · secteur financier dans sa quête de profits. A contrario, austérité oblige, le poumon de la coopération est parfois douloureusement obstrué et

Ammoneo.org La tragédie des biens publics 59/60

pourquoi pas, fidéliser de nouveaux clients. Sur le plan comptable, il lui faudra déclarer

la valeur en euros correspondant aux revenus perçus en monnaie électronique.

N.B. : Rappelons qu’accepter une monnaie électronique n’a rien d’exclusif.

L’entreprise peut très bien décider que seule une fraction du montant de la facture

puisse être réglée avec cette monnaie complémentaire, tel jour dans la semaine ou

seulement après telle heure.

Halte ! Les prix vont monter, nan ?

Plus nous sommes nombreux à avoir accès à la monnaie, plus une entreprise a de clients

potentiels pour son produit ou service. Mais lorsqu’une hausse de la demande est

provoquée sans être contrebalancée par une hausse de l’offre, alors le prix de ce produit

ou service risque de flamber. Pour autant, cela ne concerne que des produits et services

bien précis ; il ne s’agit pas d’une hausse générale des prix.

N.B. : Dans tous les cas, cette hausse des prix est un moindre mal par rapport à une

tragédie des biens publics atteignant de nouveaux extrêmes.

Et pour les impôts, comment cela se passe-t-il ?

Comme avant. Les entreprises et les ménages continuent de déclarer leurs revenus en

euros et de payer leurs impôts en euros. S’ils manquent d’euros, on peut en revanche

imaginer une plateforme sur laquelle ils pourront échanger à taux fixe un peu de

monnaie électronique contre des euros, euros appartenant par exemple à des

fonctionnaires préférant épargner en monnaie électronique plutôt qu’en euro.

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Monnaie électronique ou crypto-monnaie ?

Les crypto-monnaies sont des monnaies électroniques. Elles peuvent servir de support à

une régie du crédit et à son numéraire, c’est-à-dire à une économie distribuée (plus

d’informations sur ammoneo.org). Cela dit, maintenir l’infrastructure derrière une

crypto-monnaie peut engendrer un important coût énergétique, justifiant d’employer ces

monnaies électroniques à une échelle locale ou régionale, plutôt que mondiale.

Est-ce un énième pansement sur une jambe de bois ?

Lecture : à notre échelle, une régie du crédit peut aider à la création de nombreux emplois au service de

l’intérêt général (écologie, éducation, santé, etc.) et ce faisant, rééquilibrer les rapports de force (les

pouvoirs publics locaux font face à un nouvel interlocuteur crédible).

Avec une nouvelle monnaie, nous pouvons surtout nous désolidariser de la finance hors-sol, les détenteurs

de capitaux ne bénéficieront plus de leur position dominante, l’implacable course après les profits et la

croissance cessera d’être une priorité impérieuse, soit un véritable changement d’époque.

Que puis-je faire ?

Partagez ce livret auprès de ceux que ce travail pourrait intriguer ou motiver. Ensemble,

faisons de la monnaie un commun au sein de nos communautés de communes. Nos

concitoyens n’attendent qu’une chose, que nous leur démontrons qu’il existe une

alternative à l’austérité. Pour cela, il nous faut passer de la théorie à la pratique. La

preuve par l’exemple se chargera ensuite de faire des émules.