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Auteurs de plusieurs romans

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Auteurs de plusieurs romans historiques, Myriam et Gaston de Béarn, qui travaillaient alors à la suite de Pauline aimée (la fille de la marquise de Tourzel, gou- vernante des Enfants de France, et trisaïeule du prince Gaston de Béarn), se trouvèrent, bien mal- gré eux, entraînés dans les méan- dres de l'énigme de Louis XVII.

Aussi, conscients de la gravité de ce brûlant sujet, et sursoyant délibérément à la publication de Pauline mariée ou la Clef du Temple, ils délaissent pour une fois la formule romancée qui avait valu le succès à leurs fres- ques historiques.

Ils présentent ici un ouvrage dont la rigueur documentaire n'exclue cependant pas le « sus- pense » cher au public.

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LOUIS XVII ou

La Couronne du Silence

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Des mêmes auteurs chez le même éditeur :

LA VIE FABULEUSE DE GASTON PHŒBUS (roman) : I. LE LION DES PYRÉNÉES.

II. YVAIN DE LESCAR.

PAULINE AIMÉE (roman).

Chez d'autres éditeurs :

LES PYRÉNÉES VOUS SONT CONTÉES, Ed. Privat; Toulouse. LA DAME PLUS BELLE QUE TOUT. Préface de la princesse

Bibesco. Le Livre contemporain ; Amiot-Dumont.

En instance de parution : PAULINE MARIÉE OU LA CLEF DU TEMPLE.

A paraître : L'AMOUR RÉGIT L'HISTOIRE, L'HISTOIRE MEURTRIT L'AMOUR.

En préparation : LANDRY DES BANDOULIERS.

(Le petit-fils aventureux de Gaston Phœbus.)

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Myriam et Gaston de BEARN

LOUIS XVII ou La Couronne du Silence

Étude historique Hors-texte sept documents avec dix analyses graphologiques

par Madame JACQUELINE GROSSIN,

Expert près des Tribunaux.

d e l (DUC A) P a r i s

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COUVERTURE : Louis XVII, par Greuze (Collection François Laurentie)

Est-ce bien là le visage d'un enfant de huit ans et demi ? C'est pourtant l'âge maximum qu'au- rait pu avoir le modèle si ce portrait avait été fait au Temple, puisque le petit prisonnier fut séques- tré après le départ des Simon, en janvier 1794, et que, dès lors, personne ne put l'approcher.

Où donc Greuze, ci-devant « peintre du Roi », réalisa-t-il cette peinture à l'huile qui appartenait à Madame de Tourzel ?...

© 1968, EDITIONS MONDIALES, PARIS Imprimé en France

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A André Castelot et Alain Decaux, qui sont avec Lenotre les Trois Mousque- taires de l'Histoire. Hommage d'admiration et de gratitude.

M.G.B.

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Sans doute va-t-il paraître superflu, ce nouvel ouvrage consacré à Louis XVII, après les montagnes de livres publiés déjà sur son sujet. Outrecuidant va-t-il sembler même, car il prétend apporter rien moins que la solution de ce qu'il est convenu d'appeler, depuis quelque cent soixante-dix ans, « l' énigme du Temple ».

Que prétend-on savoir, au juste, d'absolument certain, sur le sort de Louis XVII ? Rien, sauf qu'il est maintenant établi que l'enfant mort au Temple le 8 juin 1795 et enterré de nuit et clandestinement, manu militari, dans le cimetière de Sainte-Marguerite, n'était pas le fils de Louis XVI et de Marie- Antoinette mais un pauvre hère infirme, scrofuleux, plus âgé que lui de plusieurs années et de bien plus grande taille.

Ce préalable étant posé, qu'est devenu Louis XVII après la « substitution », c'est-à-dire après son évasion ? A cette question nul n'a pu répondre avec certitude jusqu'à présent, toujours le « point d'interrogation » subsistait.

Partant du principe que parfois la vérité est toute proche alors qu'on s'évertue à la chercher bien loin, il nous a paru élémentaire de reprendre l'enquête à la lumière des témoi- gnages laissés par les deux personnages qui ont vécu le plus

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intimement auprès de la Famille Royale au cours du drame de la Révolution : la marquise de Tourzel, gouvernante des Enfants de France et sa fille Pauline qui, par la suite, deviendra comtesse de Béarn.

Car si à l'époque quelqu'un connaissait la vérité sur le sort de Louis XVII, sans nul doute ces deux femmes la connaissaient.

Interrogeons-les donc. Pas seulement par la lecture des Mémoires de la première et des Souvenirs de la seconde, mais aussi et surtout dans les actes et péripéties de leur vie, à la manière du détective qui mène son enquête.

Exerçons donc notre filature. Interrogeons. Confrontons. Déduisons. Le lecteur concluera.

M.G.B. Pinsaguel, juillet 1967.

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CHAPITRE PREMIER

DU BERCEAU A LA TOUR

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Louis-Charles, duc de Normandie, celui que l'Histoire nommera « Louis XVII » bien qu'il n'ait jamais régné, était le troisième enfant du roi Louis XVI et de la reine Marie- Antoinette, archiduchesse d'Autriche, fille de l'empereur d'Allemagne François I et de l'impératrice Marie-Thérèse.

L'aînée, Marie-Thérèse-Charlotte, « Madame Royale », était née le 19 décembre 1778 ; le second était Louis-Joseph- Xavier, né le 22 octobre 1782, le « Premier Dauphin ».

La naissance de ce Premier Dauphin de France, sur- venant enfin après douze années de mariage, avait été célébrée à très grand éclat dans tout le royaume et jusqu'aux Etats- Unis tout nouvellement constitués en nation indépendante :

« Ordre du jour du Commandant en Chef de l'Aca- démie militaire de West Point (« Ecole-sœur » de l'Ecole polytechnique de France), 28 mai 1783 :

Le Commandant en Chef est heureux d'avoir le privilège d'annoncer à l'Armée la naissance du Dauphin de France, et désireux de donner une occasion générale de témoigner la satisfaction qui — il en est convaincu — emplira les poi- trines de chaque officier et soldat américains à l'annonce d'un événement si hautement intéressant pour un monarque et une

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nation qui nous ont donné tant de preuves distinguées de leur attachement, est heureux d'ordonner un FEU DE JOIE mardi prochain.

Les troupes recevront un extra « gill » de rhum par homme demain.

Façon élégante et charmante de remercier la France et Louis XVI pour leur aide dans la Guerre d'Indépendance et pour La Fayette...

Un édifice immense, « The Colonade » , fut construit ; son édification fut confiée à Villefranche, un ingénieur fran- çais engagé dans l'armée du général Washington. Lieutenant du Corps des Ingénieurs américains, Villefranche employa à cette construction mille hommes pendant dix jours. « The Colonade » fut décorée à profusion de fleurs de lis, mais ne put être achevée pour le jour fixé, et la célébration dut être retardée d'un jour.

Le général Washington vint y assister, entouré de madame Washington et des plus hautes personnalités de l'Armée américaine avec leurs épouses. Toute la garnison de West Point défila aux sons ininterrompus des salves de tous les canons de la forteresse tirées en l'honneur du Dauphin de France, et tard dans la nuit au feu de joie succéda un feu d'artifice monstre (2)

Hélas, de robuste apparence lors de sa naissance, rapi- dement ce « Premier Dauphin » était devenu très chétif, rachitique, atteint du mal de Pott : contaminé par le lait de sa nourrice, assurèrent ses médecins. Il devait s'éteindre après une longue agonie, à Meudon, le 22 juin 1789, à l'âge de sept ans.

(1) 12 centilitres. (2) Archives de l'U. S. Académie militaire de West Point.

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Désormais le puîné, Louis-Charles, duc de Normandie, né à Versailles le 27 mars 1785, devenait le Dauphin.

Les premières années de sa vie s'étaient écoulées sans histoire, sous la surveillance de sa gouvernante Yolande de Polastron, duchesse de Polignac. Les mouvements dans les campagnes, l'agitation de Paris, la réunion des Etats généraux à Versailles, le 5 mai 1789, le serment, dans la salle du Jeu de Paume, le 20 juin suivant, des députés du Tiers de ne pas se séparer avant d'avoir donné une constitution à la France, rien de tout cela n'atteignait le palais des rois.

Jusqu'au jour où — coup de tonnerre dans le ciel serein de la monarchie du bon Louis XVI — tombait la Bastille, le 14 juillet 1789 : premier épisode de la sanglante Révolution. Aussitôt de très nombreux nobles prenaient la fuite — émigraient — se sentant en danger. Parmi eux, la duchesse de Polignac, haïe par le peuple parce que trop aimée, trop comblée par celle qu'il stigmatisait de l'épithète de « l'Autrichienne ». La reine Marie-Antoinette fit alors appel à la marquise de Tourzel pour tenir auprès de ses enfants le poste de gouvernante, qui s'annonçait délicat en raison de la révolution grondante.

Grondante, et bientôt déchaînée : les 5 et 6 octobre de cette même année 1789, la populace de Paris montera à l'attaque du palais de Versailles et, après avoir massacré les gardes suisses, ramènera triomphalement à Paris « le boulanger, la boulangère et le petit mitron » (le Roi, la Reine et le Dauphin) : comme si la présence de la Famille Royale, prisonnière au palais des Tuileries, pouvait apporter dans les greniers ou fours de la capitale une once de farine ou de pain en plus...

Dans le carrosse qui l'emportait, de Versailles aux Tui- leries, voyant parfois apparaître aux portières des trognes avinées, vociférantes, ou encore des têtes aux perruques

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poudrées des gardes du Roi massacrés, brandies sanglantes à bout de piques, le petit Dauphin de quatre ans pleurait sur les genoux de sa gouvernante et se plaignait : « J'ai faim... » Cela avait duré sept heures.

L'on s'était installé tant bien que mal dans la prison dorée des Tuileries : la marquise de Tourzel tentant de son mieux de pourvoir à l'éducation de ses deux élèves, et Pauline sa fille la secondant, surveillant et partageant les jeux du frère et de la sœur.

Tandis que le bon roi Louis XVI, le cœur saignant de voir son royaume divisé, déchiré, cédait à toutes les exi- gences de l'Assemblée révolutionnaire, renonçait peu à peu à sa souveraineté, octroyait une constitution, acceptait tout, abandonnait tout, espérant ainsi empêcher le sang de ses sujets de couler. Abandonnait tout, sauf sa foi : le jour où il se verra acculé à donner sa sanction à la « Constitution civile du Clergé », renonciation à l'intransigeante religion de ses pères et de son royaume, il se rebiffera et, cédant aux instances de Marie-Antoinette, tentera de fuir la France afin de mener la lutte de l'autre côté des frontières.

Ce sera la fuite manquée de Varennes : Louis XVI reconnu en ce relais tragique, ramené étroitement prisonnier, avec toute sa famille, aux Tuileries dont les portes se refer- meront, plus prison que jamais, sur la Monarchie otage de la Révolution. Jusqu'à cette journée terrible du 10 août 1792, où elles s'entrouvreront pour laisser passer l'infortunée Famille Royale fuyant le palais envahi par la foule révolutionnaire, pour seulement voir se rabattre sur elle d'autres portes, plus lourdes et plus sinistres : celles de la tour du Temple.

Ces portes du Temple qui ne s'écarteront successivement devant Louis XVI, Marie-Antoinette et madame Elisabeth que pour leur ouvrir le chemin de la guillotine.

Une tour grise garde désormais deux orphelins blonds

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aux yeux bleus : le roi de France de sept ans, Louis XVII, et Madame Royale âgée de treize ans. Séquestrés chacun de son côté, séparément prisonniers, l'innocent bambin assujetti, à l'âge des chansons et des jeux, aux injures obscènes et aux chants d'ivrognes des gardes révolutionnaires, les délicats et nobles enseignements de la gouvernante-marquise peu à peu estompés, remplacés par la frustre et grossière trivialité de ses nouveaux éducateurs, le ménage Simon.

Mais voilà que le 3 janvier 1794, Simon, « précepteur du fils Capet », et sa femme se verront subitement contraints par Chaumette, le procureur de la Commune dont dépend le Temple et ses aîtres, de renoncer à leur charge sous le prétexte d'un arrêté du Conseil général de la Commune interdisant le cumul des fonctions.

Ils quitteront la tour dès le 5 janvier, pour aller s'ins- taller dans l'enclos même du Temple, au-dessus des anciennes écuries, laissant Louis XVII seul, sans la moindre surveil- lance. Mais ils reviendront quinze jours plus tard, le 19 janvier, avec une charrette, alors qu'ils logent à moins de cent mètres de la tour, et nantis d'une grande malle en osier : officiel- lement afin de parachever leur déménagement. Quand ils quitteront la tour il fera nuit noire : une nuit brumeuse.

Pourquoi ces deux déménagements successifs des Simon, espacés de quinze jours, alors qu'entrant en fonctions ils n'avaient apporté que quelques hardes ?

Et pourquoi, trois jours après leur second déménagement, le 22 janvier, un mystérieux « Bigot » apparaîtra-t-il au Temple, en qualité de commissaire, alors qu'il n'est pas membre de la Commune, et avec des pouvoirs falsifiés ? Pour- quoi y reviendra-t-il huit jours plus tard, le 30 janvier ? Et pourquoi y retournera-t-il une troisième fois, le 1 mars ?

Au deuxième étage de la tour, l'enfant est seul désor- mais : enfermé dans une chambre obscure, close de trois

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côtés, la porte scellée et cadenassée. Seul un guichet aménagé au-dessus du poêle de l'antichambre par lequel rayonnera un peu de chaleur le laisse communiquer avec l'extérieur : c'est par ce guichet que l'emmuré reçoit sa nourriture et que les commissaires chargés de sa surveillance peuvent l'entrevoir, à contre-jour et dans la pénombre, car jamais personne ne pénètre dans cette oubliette. Laissé sans soins, sans hygiène, il croupira là près de dix-huit mois, de janvier 1794 à juin 1795. Madame Royale, séquestrée, quant à elle, à l'étage au-dessus avec sa tante Elisabeth (1) est persua- dée qu'il n'y est plus :

Le 19 de janvier (1794), écrit-elle dans le Journal de sa captivité, nous entendîmes un grand bruit chez mon frère, ce qui nous fit conjecturer qu'il s'en allait du Temple, et nous en fûmes convaincues, quand, regardant par un trou de notre abat-jour, nous vîmes emporter beaucoup de paquets. Les jours d'après, nous entendîmes ouvrir sa porte et, toujours persuadées qu'il était parti, nous crûmes qu'on avait mis en bas quelque prisonnier, et nous l'avions déjà baptisé Melchi- sédech pour lui donner un nom (2)

« Sans émettre la prétention de trancher la question, s'apitoie Lenotre (3) de toute certitude il y a un enfant dans

(1) Madame Elisabeth sera guillotinée quatre mois plus tard. (2) Melchisédech, roi de Salem (nom primitif de Jérusalem),

contemporain d'Abraham, et prêtre du Très-Haut. Lorsque Abraham vainquit le roi des Elamites en 1912 av. J.-C., Melchisédech alla au- devant de lui et offrit en sacrifice au Seigneur du pain et du vin qu'il bénit : préfiguration de la Cène. Les Ecritures saintes le citent comme l'annonciateur et la figure du Messie.

Ce surnom, donné par Madame Royale et la pieuse Madame Elisabeth à celui qu'elles croyaient avoir pris la place du petit roi n'est-il pas significatif ? — Messie voulant dire « Sauveur ».

(3) Le Roi Louis XVII et l'Enigme du Temple.

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la tour sombre. Si c'est le Dauphin, transformé par l'isole- ment au point d'être méconnaissable, si c'est le fils de Marie- Antoinette, quelle déchéance ! Pourquoi le laisse-t-on seul, maintenant, toujours seul ? Pourquoi le monde est-il devenu si méchant ? Pourquoi plus jamais de récréations, de jeux, de lectures, de devoirs ? Pourquoi l'a-t-on mis en si longue pénitence ? De quoi est-il puni ? Où est sa maman, la belle reine dont il était si fier ? Où sont sa sœur, sa tante, ses oiseaux et son chien ? N'aurait-on pu lui laisser son chien ? »

Son chien : Coco. Simon l'avait donné au petit prison- nier pour lui tenir compagnie, le distraire. Pas bien joli, sans race définie, abâtardi d'épagneul papillon, mais « Je l'aime : c'est tout ce qui me reste de mon frère... » avouera plus tard Madame Royale au moment de quitter la tour, partant pour Vienne. Ainsi donc, après le départ des Simon, Coco avait été remis à la princesse, puisque l'enfant emmuré ne l'a pas, cela est certain. Mais dans le Mémoire qu'elle a rédigé sur sa captivité, elle n'en parle pas et ne précise donc pas à quelle date le petit chien compagnon de son frère lui fut apporté ; or si « l'emmuré » de l'étage en-dessous était bien le Dauphin, le petit toutou fidèle aurait-il accepté passi- vement cette séparation d'avec son maître dont son infaillible instinct canin lui aurait fait sentir la présence proche ? N'au- rait-il pas tenté de s'infiltrer entre les jambes des gardiens, de se faufiler par l'entrebâillement d'une porte, pour tenter de rejoindre son petit maître aimé ? Pourquoi, dans son Mémoire, Madame Royale reste-t-elle muette sur Coco, dont pourtant il est certain qu'elle hérita ? Ah si Coco avait pu parler, lui ! Il n'y aurait pas eu d'énigme du Temple.

Mais « si c'est un autre que le petit Roi, poursuit Lenotre dans sa quête de la vérité, un enfant du peuple qu'on lui a substitué, victime de la raison d'Etat, quel cauchemar continu plus angoissant peut-être ! Quelle est cette maison si triste

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où on le tient enfermé, et quels sont ces hommes, jamais les mêmes, dont il entend les voix à travers les barreaux de sa cage ? Imagine-t-on ce que ces choses ont d'effrayant, pour un enfant qui ne sait pas où il est, qui ignore comment on l'a transporté là, à qui, sans doute, on interdit, sous peine des pires châtiments, de proférer une plainte, de prononcer un mot, de poser une question et qui, tout le jour, guette, essaie de deviner, s'inquiète, se morfond dans l'attente de quelqu'un qui viendra lui rouvrir les portes de la vie. » — A moins que le malheureux substitué n'ait été trop malade, intellectuel- lement, physiquement, pour pouvoir se rendre compte ? — « Dans l'un et l'autre cas, quel drame ! »

Toujours est-il qu'un espion anglais, dans son rapport à lord Grenville, ministre des Affaires étrangères du Cabinet de Londres, assura que Robespierre aurait pénétré au Temple dans la nuit du 23 au 24 mai 1794, en aurait enlevé le petit Roi pour le mener à Meudon, mais qu'il l'aurait ramené dans la tour la nuit suivante... Etait-ce parce que l'Incorrup- tible, se sentant déjà menacé dans sa toute-puissance, entendait mettre la main sur un otage précieux, mais se serait alors rendu compte que l'enfant n'était pas Louis XVII ?...

A la fin mai 1795 l'état du captif empirera brusquement. Le Comité de Sûreté générale désignera le Dr Desault, méde- cin-chef de l'Hôtel-Dieu, pour aller le soigner. Ce Dr Desault trouvera dans la tour, selon ses propres termes, « un enfant idiot, mourant, victime de la misère la plus abjecte, de l'aban- don le plus complet, un être abruti par les traitements les plus cruels et qu'il est impossible de rappeler à l'existence (1) », mais dans la nuit suivant le dépôt de son rapport, lequel disparaîtra mystérieusement et ne sera jamais retrouvé, il tré- passera subitement. Empoisonné ?...

(1) Manuscrit du Dr Desault appartenant à la comtesse de Pange, cité par André Castelot, le Mystère de Louis XVII.

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Durant six jours ensuite, le prisonnier sera laissé sans soins. Enfin, le 6 juin, le Dr Pelletan, successeur du Dr Desault, viendra le soigner.

Louis XVII — ou plutôt Louis-Charles Capet — sera déclaré mort le 8 juin 1795. Mort au Temple.

Mais son trépas sera caché à tous, même aux aîtres du Temple, pendant quarante-huit heures. Pourquoi ?

Peut-être afin de laisser au pseudo-Bigot le temps d'ac- courir ?... Car cet étrange « Bigot » réapparaîtra opportuné- ment le 10 juin, pour signer le procès-verbal de la levée de corps, suivre l'enterrement et assister à l'inhumation dans le cimetière Sainte-Marguerite, puis le 12 juin, à l'Hôtel de ville, pour signer l'acte de décès en tant que témoin et en qualité d'ami du défunt.

Quelques années passeront. Puis voici surgir une séquelle de « Dauphins » qui, à tour de rôle, prétendront être Louis XVII échappé du Temple : Jean-Marie Hervagault, Mathurin Bruneau, Richemond, Naundorff, pour ne citer que les plus célèbres, car il s'en manifestera plus de quarante, dont un Noir !

Etaient-ils tous des imposteurs ? Ou bien l'un d'eux était-il réellement Louis XVII échappé du Temple et rem- placé dans la tour par un « substitué » ?

De très nombreux historiens ont tenté, à tour de rôle, de résoudre ce mystère, le plus crucial, le plus douloureux certes, de notre Histoire : bâtissant des thèses variées, se contredisant les uns les autres. Lenotre, penchant pour la « substitution » et entrevoyant une solution, celle-là même que nous développons dans cet ouvrage à la lumière de nouveaux éléments. Sainte-Claire Deville, partisan également de la substitution, mais échafaudant une hypothèse toute différente, pour conclure finalement à l'ignorance. Joseph Turquan et René Le Conte, puis Louis Hastier, affirmant eux aussi la

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« substitution » mais niant l'évasion : Louis XVII aurait été assassiné par Simon, sur ordre de Chaumette et Hébert (pré- tendent les deux premiers), il serait mort de maladie (assure le troisième), son corps aurait été enterré secrètement au pied de la tour (1) et un « substitué » aurait pris sa place dans le cachot, un adolescent dégénéré, presque muet et moribond, cet échange ayant été effectué par le ménage Simon au cours de ses deux déménagements ; c'est ce malheureux — le « Melchisédech » de Madame Royale — qui aurait trépassé très officiellement le 8 juin 1795. M Maurice Garçon, quant à lui, s'en tient à la thèse officielle : pour lui, l'enfant mort dans la tour le 8 juin 1795 était bien Louis XVII. Par contre, André Castelot et Alain Decaux estiment la substi- tution incontestable.

Que de contradictions !... Que croire ? Et où chercher pour tenter de découvrir une piste qui

nous mette, enfin, sur la trace de la vérité ? Dans ce labyrinthe, à quels témoignages recourir, que

nos éminents prédécesseurs chercheurs auraient négligés, et qui puissent apporter une lumière nouvelle ?

Quels témoignages, sinon ceux des deux êtres qui avaient approché de plus près l'enfant royal, jusque dans la tour : sa gouvernante la marquise de Tourzel, sa chère « Madame Sévère », et la fille de celle-ci, Pauline, sa « Pauline aimée ».

(1) Le général d'Andigné, chef vendéen emprisonné au Temple en 1801, avait découvert, en jardinant, le squelette d'un enfant enterré au pied de la tour, dans de la chaux vive. Le concierge du Temple, Fauconnier, lui aurait dit, assure le général d'Andigné dans ses Mémoi- res, que c'était le corps de Louis XVII. Qu'en pouvait savoir ce concierge qui n'avait pris son emploi au Temple qu'en mai 1798, donc près de trois ans après la mort officielle du « fils Capet » ? Cette décou- verte ne fit qu'ajouter au mystère. Peut-être était-ce là, précisément, le but recherché ?

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CHAPITRE II

« MADAME SÉVÈRE »

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Louise-Elisabeth-F élicité-Armande-Anne-Marie- J eanne- Joséphine de Croy-Havré, née en 1749, était la fille du duc de Croy-Havré, prince et maréchal héréditaire du Saint Empire, Grand d'Espagne, et de Marie Louise de Montmo- rency-Luxembourg.

Elle avait épousé en 1764 Louis François du Bouchet de Sourches, marquis de Tourzel, grand prévôt de France.

Cette charge — l'une des plus hautes du royaume — nécessitait la présence constante du Grand Prévôt auprès du Roi. Le marquis et la marquise de Tourzel accompagnaient donc, depuis son avènement au trône en 1774, Louis XVI dans ses moindres déplacements. Une profonde affection liait le Roi et la Reine au marquis et à la marquise, et lorsque le Grand Prévôt mourut en 1786, à la suite d'un accident survenu au cours d'une chasse à courre en forêt de Fontainebleau, Louis XVI le veilla lui-même pendant les huit jours de son agonie, jusqu'à son dernier soupir, et madame de Staël rap- porte qu'apprenant sa mort il pleura.

Aussitôt après ce drame Louis XVI voulut sur-le-champ donner au fils du marquis, Louis de Tourzel, la survivance de la charge de grand prévôt de France ; en vain son entourage lui fit-il observer que le nouveau marquis n'avait pas encore

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atteint sa majorité, condition requise pour ces hautes fonc- tions : « Les Sourches ne sont point mineurs », trancha le Roi.

Le cœur brisé par la mort de son époux, la marquise se retira alors dans son château de Sourches, près du Mans. C'est là qu'en juillet 1789 lui parvint le message de Marie- Antoinette la priant de revenir à Versailles afin d'assumer le poste de gouvernante de ses enfants laissé vacant par l'émi- gration de la duchesse de Polignac.

« Pour remplir cette mission, écrit le comte Auguste de La Ferronnays dans son Introduction aux Mémoires de la marquise de Tourzel, il fallait une personne d'un grand caractère, incapable de balancer entre le danger et l'accom- plissement de son devoir, prête à sacrifier sans hésiter ses affections les plus chères pour répondre à la confiance royale. Une si haute abnégation, de telles qualités sont toujours rares ; cependant le choix de la Reine se fixa immédiatement sur madame de Tourzel. » Tant Marie-Antoinette avait appris à l'estimer et à l'aimer, pour l'avoir eue pour compagne quoti- dienne durant douze années.

La marquise en fut accablée. Elle hésita longuement avant d'accepter, « tant elle comprenait l'écrasante gravité des devoirs auxquels elle devrait désormais s'immoler », nous dit encore La Ferronnays. De son côté, dans ses Souvenirs de Quarante Ans, Pauline évoque les hésitations de sa mère : « Le combat entre ses affections particulières et le souvenir de la bonté que le Roi et la Reine lui avaient témoignée à l'époque de la mort de mon père dura plusieurs jours. Mais le sentiment des malheurs de cette royale famille, le spectacle de l'abandon où beaucoup de ceux qui l'entouraient l'avaient laissée, l'empor- tèrent. Elle se résigna au sacrifice qu'on lui demandait ; c'en était un alors, et bien grand : on pouvait déjà prévoir quel- ques-uns des malheurs cachés dans l'avenir. »

Madame de Tourzel « s'établit à Versailles », c'est-à-dire

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entra en fonctions, dans les premiers jours d'août 1789. Les premiers mots de Marie-Antoinette l'accueillant furent :

— Madame, j'avais confié mes enfants à l'amitié, aujour- d'hui je les confie à la vertu (1)

La mission de la gouvernante, telle que la lui avait dictée la Reine, était, nous précise-t-elle elle-même dans ses Mémoires, « de ne pas perdre de vue un instant le Dauphin, et de se borner à une surveillance générale sur Madame (Royale) ».

Le Dauphin avait alors quatre ans, Madame Royale dix. Fidèle à la consigne sacrée, et dévouée à son petit élève

de toute son âme, la nouvelle gouvernante ne le laissa, dès lors, pas un seul instant hors de sa vue : à Versailles, comme aux Tuileries après les journées des 5 et 6 octobre 1789, et plus tard dans la tour du Temple, partout le lit de « son cher petit prince » était placé dans sa chambre. Comme ne quitta jamais son doigt l'anneau symbole de sa charge, sur lequel étaient gravés ces mots : Domine salvum fac Regem, Delphi- num et sororem (Seigneur, sauvegarde le Roi, le Dauphin et sa sœur).

Le Dauphin, son petit élève, comme elle l'aimait ! Que de tendresse sous sa rigoureuse férule d'éducatrice de prince ! Car le « petit chou d'amour » de Marie-Antoinette n'était pas un bonhomme facile à mener : un soir, par exemple, il avait « tant crié », fait un tel « tapage affreux », que sa gouver- nante avait dû le mettre au lit en le privant de souper.

« Savez-vous qui vous m'avez donné comme gouver- nante ? » avait-il lancé le lendemain matin à sa « Maman Reine ». « C'est Madame Sévère (2) ! »

Mais « Madame Sévère » était aussi la maman de « Pau- line aimée »...

(1) Souvenirs de Quarante Ans, de Pauline de Tourzel. (2) Mémoires, de la duchesse de Tourzel.

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CHAPITRE III

« PAULINE AIMÉE »

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Portrait de la Duchesse de Tourzel avec le Dauphin. Holzapfel-Martin - Photo

N° 59.0745-6 H SC 16,40 PRIX : 17 F

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Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement

sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

Cette édition numérique a été réalisée à partir d’un support physique parfois ancien conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

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