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EHESS Musulmans indo-pakistanais et autorité religieuse en diaspora: Le cas américain Author(s): Aminah Mohammad-Arif Source: Archives de sciences sociales des religions, 49e Année, No. 125, Authorités Religieuses en Islam (Jan. - Mar., 2004), pp. 147-163 Published by: EHESS Stable URL: http://www.jstor.org/stable/30119300 . Accessed: 12/06/2014 22:09 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . EHESS is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Archives de sciences sociales des religions. http://www.jstor.org This content downloaded from 194.29.185.251 on Thu, 12 Jun 2014 22:09:40 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Authorités Religieuses en Islam || Musulmans indo-pakistanais et autorité religieuse en diaspora: Le cas américain

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Musulmans indo-pakistanais et autorité religieuse en diaspora: Le cas américainAuthor(s): Aminah Mohammad-ArifSource: Archives de sciences sociales des religions, 49e Année, No. 125, Authorités Religieusesen Islam (Jan. - Mar., 2004), pp. 147-163Published by: EHESSStable URL: http://www.jstor.org/stable/30119300 .

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Arch. de Sc. soc. des Rel., 2004, 125, (janvier-mars 2004) 147-164

MUSULMANS INDO-PAKISTANAIS ET AUTORITE RELIGIEUSE EN DIASPORA: LE CAS AMERICAIN

Aminah MOHAMMAD-ARIF

Introduction

Depuis les annies 1960, un nombre croissant de musulmans sud-asiatiques (1), parmi lesquels une proportion significative de personnes au niveau d'instruction 6lev6, a choisi l'Amdrique comme terre d'immigration. Ils se sont montris particu- librement actifs et dynamiques dans l'institutionnalisation de l'islam aux Etats-Unis. Mais, comme i tant d'autres, s'est posse it eux la question du leadership religieux. Celui-ci s'avbre crucial en immigration i un double titre: il conditionne la perpetuation mime de la religion islamique en contexte migratoire ; il est indispensable dans la n~gociation avec les autorit~s locales.

Aux Etats-Unis, la question revet un aspect particulier en raison du statut special confr~r au religieux: si les Amdricains ont 6tabli une separation entre le religieux et le politique (Establishment Clause), le premier amendement i la consti- tution n'en garantit pas moins la libert6 religieuse (Freedom of Religion Clause). Toutefois, en laissant entendre que l'Etat ne peut donner une primaut6 au religieux sur le non-religieux, ni favoriser une tradition religieuse au detriment d'une autre, la constitution protbge l'6galit& des citoyens au sein de la nation, mais laisse subsister une ambigui't quant it la nature des rapports entre l'Eglise et l'Etat. La religion est th6oriquement rel~gu~e i la sphbre priv~e mais les relations entre le civil et le religieux restent 6quivoques. Le ciment nationaliste lui-meme repose sur la notion de religion civique << qui n'empidte aucunement sur les religions particu- libres mais qui, au contraire, s'appuie i l'occasion sur elles, et les renforce i son tour >>(2). La population elle-mime se caract~rise par le plus fort taux d'adh~sion religieuse des pays industrialists. Ce ph~nombne s'accompagne d'une tradition de

(1) Les musulmans sud-asiatiques incluent ici les Indiens, les Pakistanais et les Bangladeshis. On estime le nombre de musulmans sud-asiatiques aux Etats-Unis h plus de 800 000 sur un total de musul- mans variant entre 4 et 6 millions selon les estimations. Ils sont concentr~s dans un nombre relativement restreint d'itats: la Californie, I'Etat de New York, le New Jersey, l'Illinois et le Texas.

(2) Elise MARIENSTRAS, << Nation et religion aux Etats-Unis >>, in Patrick MICHEL, dir., Religion et dcmocratie, Paris, Albin Michel, 1997, p. 278.

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tolkrance religieuse, h~rit~e de l'histoire meme des Etats-Unis, lesquels ont 6t6 cr6s par des minorit~s religieuses qui fuyaient l'oppression. Cette tolkrance a permis aux musulmans de pratiquer leur religion et de la revendiquer de fagon rela- tivement ouverte. Surtout, sp~cificit6 toute am~ricaine, elle a laisse le champ libre, ou presque, aux leaders religieux auto-proclamis, musulmans et non musulmans, et cr6 les conditions d'une competition, parfois acharnm~e, entre et au sein mime des groupes religieux.

Depuis les attentats du 11 septembre 2001, les Amdricains considbrent cepen- dant les musulmans avec une certaine suspicion. D'oit, pour ces derniers, la

nmcessit6 d'offrir de leur communaut6 une image rassurante, notamment par la voie de leurs leaders. Cet imp~ratif, devenu capital, vital mime, pour leur survie en tant que minorit6 jouissant pleinement de sa libert6 religieuse, couplk aux exigences d'adaptation en situation diasporique et a l'anciennet6 croissante de la presence islamique sur le territoire ambricain, ont quelque peu transform6 la physionomie du leadership religieux aux Etats-Unis.

La scene musulmane am~ricaine se d~finit avant tout par sa grande fragmenta- tion. Aux Etats-Unis, les musulmans repr~sentent en effet un microcosme de la population islamique mondiale, tant y sont divers et nombreux les groupes et sous-groupes ethniques, linguistiques, sectaires (3), iddologiques, etc. Les lieux de culte refl~tent cet &clatement de la scene religieuse. Bien qu'aucune mosqude ne declare officiellement representer un groupe ethnique particulier, la r~alit6 est tout autre, les mosquies tendant i 6tre largement 6tablies par affiliation ethnico-nationale. Celle-ci se lit en particulier i l'origine ethnique de l'imam et i la composition du conseil d'administration de la mosqu~e. En l'absence d'une autorit6 religieuse << tablie > - plac~e sous le contr6le de l'Etat ou d'un groupe d'oulkmas domi- nants -, ce contexte ~minemment pluriel laisse une large place i la concurrence. Hormis les Sud-Asiatiques, trois groupes ethniques aspirent i asseoir leur l1giti- mit : les Arabes, les Afro-Am~ricains, les Blancs convertis (mime si ces derniers ne repr~sentent qu'un trbs faible pourcentage du total des musulmans aux Etats-Unis). Forts de leur << bagage >> historique et de leur accs direct aux Textes, les Arabes tendent i consid~rer qu'ils d~tiennent le monopole de la l1gitimit6 reli- gieuse et i se voir comme << naturellement >> musulmans. Les Afro-Am~ricains arguent de l'anciennet6 de leur presence aux IEtats-Unis qui, en leur octroyant la qualit6 a d'autochtones >>, ferait d'eux des << experts >> de la soci~t6 amdricaine, sans compter le rl61e qu'ils ont joui dans l'implantation des premieres structures reli- gieuses destinies aux musulmans, dont tous les immigrants, y compris ceux d'Asie du Sud, ont b~ndfici& lorsque eux-mimes n'avaient pas encore 6tabli leurs propres mosquies. Enfin, Afro-Ambricains et Blancs convertis jouent un r81e intellectuel non ndgligeable dans la d~finition et l'orientation de l'islam aux Etats-Unis : ainsi, ils portent un regard d~sapprobateur sur le bagage culturel et ethnique des imams arabes ou indo-pakistanais et sur leur usage de l'autorit6 religieuse. Face i ces trois groupes, les Sud-Asiatiques cherchent leur place. Ils se montrent mime particulib- rement dynamiques dans ce march6 concurrentiel, puisqu'ils ont jou6 un rle crucial dans la creation de nombre des institutions islamiques ambricaines les plus notables (la Muslim Student Association (MSA), I'Islamic Society of North America (ISNA), l'Islamic Circle of North America (ICNA), etc.). Rappelons ici

(3) Nous ne nous intdresserons ici qu'aux sunnites.

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bribvement que la MSA a 6t6 fond6e en 1963 par des 6tudiants musulmans (dont un certain nombre 6taient originaires du sous-continent indien) qui s'6taient fix6 comme objectifs d'aider les 6tudiants dans leur pratique quotidienne, d'informer les non-musulmans sur l'islam afin d'dcarter les pr6jug~s et de se livrer, plus ou moins directement, & des activit6s de prosl61ytisme. Dans le prolongement des activit6s de la MSA, deux organisations, & caractbre non exclusivement estudiantin, mais disi- reuses de viser plus largement les immigrants, ont vu le jour, en 1971 et en 1981. I1 s'agit respectivement de l'ICNA qui regroupe essentiellement des Indo-Pakistanais, et de I'ISNA, une organisation-f6d6rative et trans-ethnique (4).

Mais cette concurrence n'exclut pas les contacts entre groupes ethniques (en particulier entre Arabes et Sud-Asiatiques amends & travailler ensemble sinon dans les mosqudes du moins dans les organisations islamiques), pas plus qu'elle ne suggbre une homog6n6isation au sein de ces groupes, eux-mimes travers6s par des courants divers (notamment en matibre d'autoriti religieuse). I1 ne faut pas non plus surestimer cette concurrence & bases ethniques car, qu'ils soient ou non immigrants, les musulmans tendent encore & se tourner de pr6f6rence vers leur propre groupe ethnico-national pour toute consultation en matibre religieuse.

Par ailleurs, si, dans leurs pays d'origine, les musulmans sud-asiatiques n'avaient certes pas d'autorit6 religieuse unanimement reconnue comme telle, ils disposaient n6anmoins, & chaque coin de rue ou presque, d'une pl6thore d'oul6mas et de soufis en tous genres. Tel n'est plus le cas aux Etats-Unis oif ces immigrants sont en quote d'autorit6s religieuses susceptibles de leur fournir des repbres, de leur dire ce qu'est la norme, alors qu'eux-mimes sont souvent d6sorient6s par la situa- tion diasporique.

Nous commencerons par exposer la repr6sentation que les immigrants ont de leur imam; puis, nous verrons quelles sont les sources possibles d'autorit6 reli- gieuse des musulmans indo-pakistanais aux Etats-Unis ainsi que leur 6volution 6ventuelle, en nous concentrant sur le cas de New York; enfin, nous examinerons le lien entre l'autorit6 religieuse et le politique.

Les immigrants et leurs imams: attentes et preoccupations

Traditionnellement, les vertus qu'attendent les croyants d'un leader religieux musulman sont les suivantes : une ascendance ashraf(noble) (5), la pi~t6, le savoir, I'orthodoxie, l'intigrit6 personnelle, la probit6 morale, la g~ndrosit6, etc. (6) Plus

(4) Aminah MOHAMMAD-ARIF, <l Ilyfis et Maudfidi au pays des yankees >>, Archives de Sciences Sociales des Religions, no 117, 2002, pp. 175-203.

(5) Cela sous-entend dans le sous-continent indien une descendance du Prophbte, de ses compa- gnons, ou encore plus largement d'Arabes, d'Iraniens, ou de Turcs (par opposition aux convertis locaux).

(6) Cf. notamment Simon DIGBY, a The Sufi Shaikh as a Source of Authority in Mediaeval India >>, in Marc GABORIEAU, dir., Islam et socidtd en Asie du Sud, Paris, Editions de I'EHESS, 1986, pp. 60-62 (coll. << Purushartha >>) ; Usha SANYAL, Devotional Islam and Politics in British India.: Ahmad Riza Khan Barelwi and his Movement, 1870-1920, Delhi, OUP, 1996, pp. 128-166.

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g~ndralement, des individus et des institutions se voient investis d'une autoriti parce qu'on estime qu'ils incarnent et exemplifient l'ordre moral >> (7). Ces qualites attendues ont 6volu6 dans le monde musulman, et plus encore sans doute en dias- pora. Aux Etats-Unis, elles demeurent bien entendu fondamentales (sauf peut-8tre l'ascendance qui ne semble pas revetir une dimension aussi capitale en diaspora), mais elles ne suffisent plus. D'autres qualifications deviennent tout aussi, voire plus, importantes encore aux yeux des fiddles: outre une solide formation en sciences religieuses, les comp~tences linguistiques (connaitre et l'arabe et l'anglais), une bonne connaissance de la soci~t6 amdricaine, ainsi que la capacit6 & bien saisir les implications d'une vie en minorit&, y compris chez les Indiens (pour- tant ddj& minoritaires en Inde, mais jouissant d'un statut particulier & maints 6gards) (8). L'aptitude & transmettre un enseignement vivant et < parlant >> aux enfants constitue 6galement une autre des qualifications requises. Alors que dans le sous-continent indien l'instruction, religieuse en particulier, tend encore & privil&- gier la m~morisation des textes, sans effort critique, les enfants scolaris~s dans les dcoles amdricaines connaissent un syst~me d'6ducation qui privil~gie le questionne- ment. Aussi, les parents recherchent-ils pour leurs enfants des enseignants capables de communiquer avec eux de fagon comprehensible et attrayante. Ils craignent aussi que des imams <U import~s >> (9) n'inculquent & leurs enfants des valeurs qui les incitent & l'isolationnisme. Cette apprehension est symptomatique du tiraille- ment des immigrants entre le souci de transmettre & leurs enfants leur heritage religieux et leur volont6 de voir ces derniers s'int~grer dans la soci~t6 amdri- caine (10).

A toutes ces qualit~s s'ajoute la capacit6 & n~gocier efficacement avec les auto- rites locales et & projeter en direction de la soci~t6 d'accueil, une image positive de la communaut6. Moyennant quoi, la l1gitimation se construit autant par la facult6 & communiquer avec l'autre, que par le fait que la soci~t6 d'accueil considere tel leader comme un interlocuteur acceptable. L'autorit6 religieuse s'6tablit done non seulement par rapport a la communaut& elle-meme, mais aussi par rapport & la soci~t6 (et & l'Etat) d'accueil. Or, depuis le 11 septembre, ce dernier aspect a acquis une dimension particulibre, les activit~s des musulmans, en tant que groupe reli- gieux, faisant l'objet d'une 6troite surveillance de la part des autorit~s amdricaines.

La communication avec l'autre s'opbre 6galement par le truchement de dialo- gues interreligieux dont une partie des Amdricains, associ s aux Eglises protestantes et catholiques lib~rales (par opposition aux (ultra)-conservateurs de droite), sont particulibrement friands. Ces dialogues entre musulmans et non musul- mans se sont multiplies aprbs le 11 septembre car ils constituent eux aussi un moyen d'int~gration et d'acceptation par une soci~t6 amdricaine qui, au quotidien, valorise le religieux. Or, ces dialogues n~cessitent la participation de personnes a ouvertes >> a l'autre et suffisamment familiaris~es avec le contexte amdricain.

(7) Dale F. EIKELMAN, James PISCATORI, Muslim Politics, Delhi, OUP, 1997, p. 58. (8) Les musulmans indiens disposent par exemple de leur propre code civil. (9) Voir ci-dessous. (10) C'est pourquoi la vaste majorit6 des parents sud-asiatiques n'envoie passes enfants dans les

6coles islamiques h plein temps, et pr~frre se contenter des cours du dimanche h la mosquie. Cf. Aminah MOHAMMAD-ARIF, Salam America, L'islam indien en diaspora, Paris, CNRS Editions, 2000 (coll. << Monde indien. Sciences sociales 15e-20e siicle >>) (cf. Arch. 114.31).

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Nombre des imams < imports >> du sous-continent indien n'6tant pas en mesure de r~pondre i ces attentes et & ces preoccupations, d'autres personnes, au moins parmi les Sud-Asiatiques, se chargent d'assumer ces r6les multiples.

L'imam de la mosque : entre auto-proclamation et importation

L'absence d'autoritis religieuses durant les premieres ann~es de l'immigration des musulmans aux Etats-Unis a favoris6 l'6mergence de leaders autoproclam~s qui, du fait de cette auto-designation, ne disposaient que d'une l1gitimit6 tras rela- tive. En effet, lorsque les premieres mosqu~es ont 6td fond~es en Am~rique, la charge de l'imam 6tait fr~quemment assum~e par des novices et/ou des autodi- dactes qui n'avaient recu aucune formation islamique. Ces novices tendaient & imposer des points de vue plus ou moins fantaisistes, dont la conformit6 avec l'orthodoxie pouvait ~tre mise en doute, ce qui eut pour effet de ne gu~re inciter les fiddles de l'6poque & frequenter les mosqu~es.

Cette premiere phase de l'histoire des musulmans aux Etats-Unis a Ct& suivie par une deuxi~me (qui subsiste aujourd'hui encore & bien des ~gards), celle des imams << import~s >>. Pour combler ce deficit en autorit~ religieuse, les immigrants, sud-asiatiques notamment, arrives massivement & partir des annies soixante, ont fait venir des pays musulmans ou & fortes minorit~s musulmanes, comme l'Inde, des imams qui ont b~n~ficid d'une formation traditionnelle et qui pr~chent et/ou dispensent un savoir plus conforme & l'orthodoxie que leurs pr~d~cesseurs. Pour autant, < l'importation >> d'imams < correctement >> form~s i la loi islamique ne constitue pas la solution id6ale en terre d'immigration. En effet, ces imams ne poss~dent g6n6ralement qu'une connaissance trbs limitde de la soci6t6 ambricaine et ne sont gubre aptes & rdpondre aux attentes d'immigrants dont la priorit6 est l'int~gration, mime s'ils cherchent parallklement & preserver leur identit6 musul- mane. II en r~sulte chez ces derniers, et plus encore chez leurs enfants, un sentiment de d6saffection vis-&-vis des institutions islamiques en place. Or, la trans- mission de l'h~ritage religieux demeure l'une des preoccupations majeures des immigrants originaires du sous-continent indien. Par ailleurs, si traditionnellement, dans les pays musulmans, la reconnaissance de l'autorit6 par les pairs est au moins aussi essentielle que la reconnaissance par les fiddles, en terre d'immigration, la l1gitimation par ces derniers rev&t probablement un caractbre encore plus impor- tant. Car ce sont les fiddles qui << sponsorisent>> les figures religieuses: celles-ci sont quasiment & leur merci, les immigrants pouvant les embaucher et les cong~dier & leur guise. Cela signifie que mime si elles inspirent encore un certain respect, elles ont quelque peu perdu de leur < autorit >> en diaspora. Ce systime qui n'accorde gubre de protection aux imams offre au contraire aux immigrants une assez large marge de manoeuvre. II est symptomatique de la libert6 dont jouissent les musulmans dans le champ religieux amdricain.

Certains de ces imams sont ritribu~s par des pays strangers. Ce qui implique que leurs praches doivent satisfaire les intir~ts de ces derniers (et r~duit d'autant leur marge de libertY). La question de l'autonomie du leadership religieux en

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immigration se pose aussi du fait que nombre de mosqudes aux Etats-Unis sont finances par des pays dtrangers: pays du Golfe, Pakistan, Bangladesh. Or, le contexte de l'apris 11 septembre est propice i la remise en question d'une telle ddpendance envers des pays dtrangers. Toutefois, bien avant ces 6vdnements d~j&, un certain nombre de mosquies, attachdes i leur libertd, s'6taient, d~s leur 6tablis- sement, prononc~es en faveur d'une totale autonomie, y compris financibre, vis-i-vis de toute tutelle dtrangire. Tel a 6td notamment le cas de l'Islamic Center of Long Island (ICLI), situ6 dans une banlieue ais~e de New York, essentiellement domind par des Sud-Asiatiques. Cette autonomie financibre dont jouissent certaines mosqudes aux Etats-Unis, comme I'ICLI, n'est possible que dans un contexte de succ~s dconomique et financier, lequel est lui aussi symptomatique de l'apparte- nance sociale de nombre d'immigrants musulmans aux Etats-Unis, d'origine sud-asiatique en particulier. Dans la mesure oa ils disposent de moyens financiers cons~quents, ces derniers en effet peuvent << s'offrir le luxe >> d'une double distan- ciation : vis-&-vis des tutelles 6trang~res, et vis-&-vis des banques aupris desquelles ils n'ont pas a contracter d'emprunts. Ce faisant, il se mettent 6galement en confor- mit6 vis-t-vis de l'interdiction islamique sur le pr6t & intdr&t.

Le cas de I'ICLI pr~sente aussi un int~ret en raison de sa fagon de << grer >> son imam. Rappelons d'abord que dans nombre de mosqu~es des Etats-Unis, comme la a grande mosqu6e a de Manhattan (ou Islamic Cultural Center of New York) financ6e par des pays islamiques, la fonction de l'imam s'est consid6rablement transformde et l61argie. Elle tend A s'apparenter i celle des pritres et des rabbins. Loin de se cantonner i diriger la pribre et i ddlivrer des sermons l'imam assume bien d'autres tiches : il 6met des avis sur des questions de croyances et de pratiques religieuses et il participe au fonctionnement administratif de la mosqude. A la fois enseignant et conseiller matrimonial, il rend visite aux malades dans les hapitaux et veille au bon ddroulement des cdrdmonies fundbres. Lorsqu'il maitrise l'anglais, il peut aussi devenir le porte-parole de la communaut6 aupr~s de la soci~t6 d'accueil, et informer les Amdricains sur l'islam en pronongant des discours dans les dglises, les synagogues ou les 6coles (depuis le 11 septembre cette dernibre fonction est devenue trbs importante). En devenant ainsi un < repr~sentant >> de la mosquie tout entibre, sa sphere d'autorit6 s'6largit d'autant.

Dans les pays musulmans, on observe rarement ce cumul des fonctions, nombre des tiches d~volues i l'imam en immigration y 6tant assumdes par des qciddi (11), des mufti (12), etc. Ce ph~nombne, dgalement observable en Europe, doit son emergence au contexte diasporique et i la p~nurie en autorit6 religieuse qui en r6sulte. Pourtant, aux Etats-Unis, toutes les mosqu6es ne suivent pas ce sch6ma, tant s'en faut, en particulier lorsqu'elles sont domindes par des Sud-Asiatiques.

Ainsi, t I'ICLI, I'un des centres islamiques les mieux organis~s de New York, I'imam est loin de concentrer en ses mains la totalit6 du pouvoir. Certes, il a 6t6 < import6 >> du Pakistan et sa formation i Mddine et i al-Azhar lui a conf6rd une certaine 16gitimitd aux yeux des fiddles de la mosqu6e. C'est d'ailleurs grice i ces qualit~s qu'il doit d'avoir 6t6 embauch6. Mais il ne cumule gubre les fonctions puisqu'i son strict r6le d'imam menant la pribre ne s'ajoute que celui de a gardien du temple >> : loge avec sa femme et ses enfants dans une maisonnette situde dans

(11) Juge. (12) Juriste.

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l'enceinte mime du centre islamique, il est en effet charge de garder les lieux. Son pr~ddcesseur, qui professait une vue dtroite de l'islam et souhaitait que seules ses opinions fassent autoritd, fut cong~did par le conseil d'administration et remplac& par le present imam dont les fonctions ont dt6 strictement d6finies et limit~es dbs le depart. M~me le sermon n'est pas de son ressort exclusif, d'autres membres de I'ICLI se chargeant i l'occasion de le prononcer (selon les preoccupations du jour). L'imam peut n~anmoins 6tre sollicit6 pour r6pondre i des questions d'ordre reli- gieux; mais les autres taches, tout aussi essentielles, tant pour garantir le bon fonctionnement du centre islamique que pour asseoir la 16gitimit6 de I'ICLI aux yeux des fiddles, sont assuries par des personnes diff~rentes.

L'ICLI s'est dote d'une constitution en vertu de laquelle tous les deux ans, le comitd ex~cutif est r6lu, de mime que trois membres du conseil d'administration. C'est i ce dernier, d~mocratiquement 6lu, que revient la tache de g~rer la mosquie et de choisir l'imam. Le conseil d'administration a d'autre part crd6 des comit~s en tous genres. Chacun d'eux est pr~sid6 par des personnes diff~rentes, hommes ou femmes, membres du centre et b~n~ficiant dans leur grande majorit6 d'un niveau d'6ducation dlev6. La plupart sont des comit~s d'aide qui r6pondent aux divers problkmes des immigrants (sans lien direct n~cessairement avec le religieux) : orga- nisation de la rupture du jefine, arrangement des fundrailles, relations dans le couple et lutte contre la violence domestique, aide A la recherche d'un emploi, etc. Certains comit6s ont une fonction relationnelle: prise de contact avec les autres mosqu~es, mise en relation avec les 6glises et les synagogues pour dtablir des dialo- gues interreligieux, etc. Un comit6 special est charge des relations avec la presse. Une fois encore, l'imam de cette mosqude, dont la connaissance de l'anglais est plutdt sommaire, a 6t& 6cart6 de cette fonction. Cette dernibre est assumde par deux membres de I'ICLI qui ne possident pas de formation en sciences religieuses, mais qui sont hautement dduqu~s, maitrisent parfaitement l'anglais (mime s'ils sont eux-mimes des immigrants) et se targuent d'une bonne comprehension de la soci~t6 ambricaine grace a une installation dans le pays vieille de plus de 30 ans.

Enfin, l'instruction religieuse des enfants est une autre des fonctions qui 6chap- pent au contrdle de l'imam. On l'a vu, les parents attachent une trbs grande importance a la transmission de l'islam a leur prog~niture. Aussi se sont-ils mis en quote d'enseignants am~ricains. Au ddpart, les m~thodes d'6ducation empruntaient largement a celles en vigueur dans le sous-continent, mais les enfants ne manifes- taient qu'un enthousiasme mod~r6 face a des cours ennuyeux et r~pdtitifs. Les responsables de l'ICLI changbrent alors leurs m~thodes, s'inspirant plus largement des m~thodes ambricaines qui accordent une place plus large a la r6flexion et a la participation des 6lves en classe. Ils engag~rent des musulmans amdricains, convertis pour la plupart, plus rod~s aux techniques d'enseignement a l'am~ricaine.

Il est remarquable que d'autres mosqu~es dirig~es par des Sud-Asiatiques, qui ne posshdent pas ndcessairement le mime degrd d'organisation que l'ICLI, tendent a fonctionner sur ce moddle. L'imam y assume un minimum de fonctions, le reste 6tant assure par d'autres membres g~ndralement plus &duqu~s et done supposds plus comp~tents. Dans la ville de New York, il en est ainsi par exemple de l'autre grande mosquie dirig~e par des Indo-Pakistanais, le Muslim Center of New York. Le mime scenario est observable dans une mosquie de Manhattan fr~quentde essentiellement par des chauffeurs de taxi sud-asiatiques et dont l'imam n'est jamais une personne fixe mais un homme diffdrent d~signe chaque semaine par le

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Directeur de la mosquie pour mener la pribre. Ce dernier est pour sa part un comp- table de profession. II a op~r6 ce choix de diriger une mosqude afin de poursuivre une tradition familiale : son propre grand-pbre administrait une mosqu6e en Inde et son pbre un lieu de pribre i Hong-kong. Ce cas de figure constitue un exemple (peu fr6quent du reste) d'un leadership constitu6 dans le prolongement d'une tradition familiale.

De toutes les mosquies sud-asiatiques visities a New York, la seule oif l'imam cumule les fonctions est une mosqude bangladeshi : la formation et la personnalit6 de son imam le distinguent des autres de ses collkgues rencontres. Il est en effet le plus 6duqu6 d'entre eux: ancien professeur d'6tudes islamiques i l'universit6 de Dacca, il maitrise parfaitement, outre le bengali, l'anglais, I'arabe et l'ourdou. Grace i son niveau d'6ducation l61ev6, non seulement cet imam exerce plusieurs fonctions (il est enseignant, conseiller matrimonial, porte-parole de la mosqude i l'ext6rieur, etc.) mais il remplit 6galement le r6le de coordinateur de toutes les mosquies bangladeshi de New York.

Hormis cet exemple assez exceptionnel chez les Sud-Asiatiques, dans les autres cas observ6s, on l'a dit, la plupart des imams se bornent i diriger la pribre, les autres fonctions n6cessaires au bon fonctionnement d'une mosqu6e ou d'un centre islamique 6tant g6ndralement assumdes par des immigrants ne poss6dant aucun a background a religieux, ni de par leur ascendance familiale, ni mime de par leur << comp6tence >> ou leur formation en matibre religieuse. Les images traditionnelle- ment accoldes au mollah (13) dans le sous-continent - objet frequent de d6rision, voire de m6pris, pergu comme < born6 a, <( stupide >, a hypocrite >> - expliquent en partie ce ph6nombne car ces pr6jug~s tendent i &tre v6hicul6s en immigration. Soulignons ici le contraste entre Sud-Asiatiques et Afro-Am6ricains. Chez ces derniers, probablement influenc6s par leurs conginbres protestants, dont les pasteurs sont r~put6s pour leur charisme, nombreux sont les personnages religieux charismatiques, comme l'imam Siraj Wahhaj de la mosqu6e al-Taqwa de Brooklyn, dont les discours ne manquent pas de soulever l'enthousiasme des foules. Les musulmans noirs am6ricains confrrent done une grande importance au charisme de leur leader. Rien de tel n'est observable chez les Sud-Asiatiques aux Eitats-Unis (14). En tout stat de cause, ils ne semblent pas compter dans leurs rangs de leaders dont le charisme personnel suffirait i asseoir leur 16gitimit6 (15).

En l'absence de personnages charismatiques notables et parce qu'ils 6prouvent des difficultis i se d6faire de l'image peu flatteuse du mollah, les Indo-Pakistanais sont plut6t les partisans d'un partage des pouvoirs. Nombre de mosqu~es, comme I'ICLI, ont un fonctionnement d6mocratique, grice, on l'a vu, i un syst~me d'dlec- tions r6gulibres du conseil d'administration. Celui-ci partage le pouvoir avec l'imam et les participants assidus aux activit6s des mosquies. Ces derniers, en versant une partie de leur salaire i l'institution islamique de leur choix, aident non

(13) Mollah est l'6quivalent persan du terme arabe mawla. Il est utilis6 dans le sous-continent pour d6signer (souvent p6jorativement) un 'alim au sens large, celui-ci pouvant tout aussi bien 6tre un imam qu'un mufti, etc.

(14) Dans le sous-continent en revanche, il existe diverses figures religieuses qui jouissent d'un certain charisme auprbs de la population (chefs d'organisations islamiques, shaikhs soufis, etc.).

(15) Notons simplement l'existence d'un soufi originaire de Sri Lanka, Bawa Muhaiyaddeen (mort en 1986), qui a dtabli un sanctuaire en Pennsylvanie. Mais il ne comptait que trbs peu de disciples chez les Sud-Asiatiques peu port6s au soufisme aux Etats-Unis, pour des raisons expliqudes ailleurs. cf. Aminah MOHAMMAD-ARIF, Salam America, op.cit.

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seulement au financement de celle-ci, mais s'arrogent 6galement le droit d'influer sur sa politique. C'est done bien une autorit~ religieuse singulibre qui se d~veloppe autour de la mosqu~e en contexte ambricain.

Le niveau dlevd d'6ducation de la plupart des Indo-Pakistanais les conforte dans leur volont6 de partager les pouvoirs, et les rend particulibrement attentifs au contenu des sermons et enseignements d6livr~s dans les mosqudes. Il convient cependant de noter que ce niveau d'instruction n'encourage pas n~cessairement les immigrants t adopter des vues progressistes. C'est mime l'inverse qui se produit: fragilis~s par la situation migratoire ils ont plutdt tendance t embrasser des posi- tions conservatrices en matibre de mariage, de divorce ou d'homosexualit6. Sur ces questions, leurs vues ne seront pas trbs loign~es de celles d'un imam directement imports de l'Inde ou du Pakistan. N6anmoins, alors qu'en Inde comme au Pakistan les autorit~s religieuses sont connues pour 8tre particulibrement rdtives au change- ment (16), aux Etats-Unis la plupart des immigrants pergoivent les n~cessit6s d'adaptation imposdes par le contexte diasporique et voient d'un eil critique les discours scl~ros~s de leurs imams import~s. Ainsi, la plupart des Sud-Asiatiques accordent une grande importance a l'instruction laY'que de leurs filles, alors que certains des imams import~s, hlritiers d'une vision archa'que, sont hostiles i une inscription trop visible des femmes musulmanes dans la sphbre publique amdricaine subs6quente i la poursuite d'6tudes sup~rieures.

Quoi qu'il en soit, la situation des Indo-Pakistanais se distingue sur au moins un point encore de celles des Afro-Am6ricains : ces derniers n'6prouvent gubre de diffi- cultds i se sentir amdricains et ? ce titre s'estiment plus libres (parce qu'ils sont chez eux) de prononcer des discours enflamm~s. Les Sud-Asiatiques, en revanche, se sentent 6trangers aux Etats-Unis (en particulier lorsqu'ils appartiennent i la premibre g~ndration), tout en aspirant, pour la plupart, & 6tre int~gr~s. C'est pourquoi ils concentrent tous leurs efforts pour 8tre accept~s par la socit6-h6te. Soucieux de renvoyer d'eux-mimes une image positive aux Amdricains, dbs avant le 11 septembre, ils ne toleraient pas dans leurs mosqu~es des figures religieuses dont les discours trop critiques envers la socidtd amdricaine auraient d~courag6 l'integration aux Etats-Unis. Tout en 6prouvant la n~cessit6 d'avoir des imams traditionnels, ne serait-ce que pour diriger la pribre, car eux-mimes ne possbdent pas de formation religieuse adequate, les membres (tous immigrants dans la plupart des cas) du conseil d'administration des mosquies dirig~es par les Sud-Asiatiques zeuvrent de manibre i n'accorder & ces derniers qu'un pouvoir limit6 et & exercer sur eux un (6troit) contr81e. Depuis le 11 septembre les immigrants n'ont fait que redoubler de vigilance vis-&-vis des discours de leurs imams.

On ne saurait toutefois ndgliger la part de l'ambition personnelle dans ces questions de partage des pouvoirs. En d'autres termes, le contrdle des imams et la volont& de s'assurer que ces derniers n'exercent qu'une autorit6 limitde ne sont pas exempts d'enjeux de pouvoir et de rivalitds internes entre les immigrants pour les positions de leadership au sein des mosqudes et autres institutions islamiques. D'autant que dans la plupart des cas, y compris pour des immigrants 6duqu~s et qui ont socialement r6ussi, ces institutions (auxquelles on peut ajouter les associations communautaires culturelles et politiques) sont souvent les seules instances oif ils

(16) Philip LEWIS, Islamic Britain.: Religion, Politics and Identity among British Muslims, Londres, I.B Tauris Publishers, 1994, pp. 131-134.

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peuvent esp6rer exercer un certain pouvoir. Trbs minoritaires et surtout (trop) r6cemment 6tablis aux Etats-Unis, ils ne disposent de gubre d'autres vecteurs d'expression.

N6anmoins des voix critiques s'l61vent r6gulibrement et s'interrogent sur la 16gitimit6 de leaders d'institutions islamiques sans formation religieuse. De 1 est n6e l'id6e de constituer des s6minaires et des centres de formation islamique aux Etats-Unis mime.

Les alternatives i l'imam

Formation locale

Afin de r6pondre aux difficult6s soulev6es par la pr6sence d'imams import6s, voire catapult6s par des instances 6trangtres, les musulmans aux Etats-Unis ont tent6 de trouver d'autres solutions, au nombre desquelles la cr6ation en 1983 & Chicago de l'American Islamic College (AIC). Cette institution, dont plusieurs des enseignants sont des Indo-Pakistanais, dispense un enseignement visant & la forma- tion, sur le sol amdricain, d'imams ou tout au moins d'une l61ite musulmane. Cependant, face & l'incapacit6 & r6nover l'enseignement islamique, cette tentative s'est trouv6e en 6tat d'6chec total. Les immigrants musulmans, particulibrement les Indo-Pakistanais, soucieux, en outre, de l'int6gration de leurs enfants dans la soci6t6 amdricaine, pr6firent les envoyer dans des institutions de l'enseignement sup6rieur lai'ques.

Plut6t que de faire appel & un imam pour les questions relatives au droit isla- mique, les musulmans amdricains se sont progressivement tourn6ms vers des <( experts a locaux. Bien qu'ils ne poss~dent pas n6cessairement toutes les qualifi- cations traditionnellement requises d'un mufti, ces derniers ont une bonne connaissance de la soci6t6 am6ricaine & laquelle s'ajoute une formation en arabe et en etudes islamiques, ce qui leur confbre une 16gitimit6 suffisante aux yeux des fiddles qui, pour certains d'entre eux, se tourneront volontiers vers ces ndo-muftis (17) pour solliciter leur opinion en matibre religieuse.

L'islam suscite un int6r&t croissant aux Etats-Unis. Ce qui a eu pour effet d'inciter certains sp6cialistes musulmans de l'islam & poursuivre leurs 6tudes sup6- rieures aux Etats-Unis, voire & y enseigner, tandis que, de leur c6t6, un nombre grandissant de musulmans amdricains, dont des Indo-Pakistanais, s'engagent dans des 6tudes islamiques aux Etats-Unis, et/ou partent & l'6tranger pour y recevoir une instruction religieuse dans des universit6s et des institutions islamiques (18). Parmi ces derniers on compte un nombre grandissant de jeunes.

(17) Mon expression. (18) Yusuf Talal DELORENZO, a The Fiqh Councilor in North America >, in Yvonne HADDAD, John

EsPosITo, eds., Muslims on the Americanization Path?, New York, OUP, 2000, p. 67.

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Organisations nationales

Les immigrants, en quote d'une autorit6 capable de les informer sur leur reli- gion et de les aider dans leur pratique quotidienne, ont 6galement la possibilit6 de se tourner vers des organisations comme l'Islamic Society of North America (ISNA) et l'Islamic Circle of North America (ICNA)(19). L'une comme l'autre sont t l'6coute des immigrants, grice notamment t des services t616phoniques gratuits (toll-free hotlines) que les fiddles peuvent appeler & tout moment, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, pour poser des questions relatives & la pratique quotidienne, au comportement & adopter en telle ou telle circonstance, etc. Les personnes charg6es de leur r6pondre n'ont pas toutes une formation classique de 'alim, mais elles sont engag6es pour << la cause de l'islama> depuis de longues ann6es: la plupart des membres de I'ICNA, largement domind par les Indo- Pakistanais, 6taient avant d'6migrer, et/ou sont encore, des militants de la Jama'at-i Islami (20), done familiaris6s avec les enseignements de son fondateur, Abul A'la Maudfidi, lequel repr~sente & leurs yeux une source majeure d'autorit6 religieuse. Parmi ceux qui se mettent ainsi au service des croyants peuvent aussi se trouver des oulkmas au sens plus classique du terme : l'ICNA, par exemple, a son propre 'alim, en la personne de Maul.n& (21) Naseem, un musulman indien 6migr6 aux Etats-Unis en 1980. I1 a 6t6 form6 a l'Universit6 d'Aligarh, oii il a 6tudid la psycho- logie et la philosophie, et & la Nadwa't-ul 'Ulami (22), oii il a appris l'arabe et le droit islamique.

L'ICNA et I'ISNA organisent des congrbs annuels dans lesquels sont d6battus des sujets couvrant des questions relatives & la condition des femmes, & la violence domestique, & l'6ducation des enfants, au prosl61ytisme, et depuis peu au 11 septembre et & ses implications pour les musulmans. L'ISNA se prdoccupe 6galement de la formation des imams puisque, depuis 2001, elle organise des conferences annuelles sur ce sujet (annual imam training seminar).

A l'initiative de l'ISNA, de l'ICNA et d'autres organisations islamiques a 6galement 6td cr66 le Fiqh Council of North America (1988). Son objectif est de former des comit6s de savants charg6s de donner leur avis aux croyants en matibre de fiqh (23). I1 ne s'adresse pas aux seuls musulmans puisque les membres du FCNA ont 6galement pour mission de r6pondre aux questions des non-musulmans, individus, institutions publiques, comme les ministbres de la justice et de la d6fense, ou avocats (charg6s par exemple de d6fendre les droits des minorit6s), journalistes, etc (24). Ces savants en religion doivent avoir les qualifications suivantes (similaires & maints 6gards & celles cit6es plus haut) : poss6der une forma- tion acad6mique (sous-entendu une double formation en sciences lai'ques et en sciences religieuses) et un savoir linguistique (en arabe et en anglais), ne pas avoir de programme politique propre (l'autonomie est valoris6e), respecter l'opinion des

(19) Cf. Aminah MOHAMMAD-ARIF, ASSR, op. cit. (20) La Jama'at-i Islami a 6t6 cr66e en Inde en 1941. Sur le r6le actif de cette organisation dans

l'encadrement des fiddles aux Etats-Unis, cf. Aminah MOHAMMAD-ARIF, < Ilyhs et Maudfidi au pays des Yankees >>, op. cit.

(21) Titre honorifique utilis6 pour un 'alim en Asie du Sud. (22) Sur cette institution, cf. Barbara METCALF, Islamic Revival in British India: Deoband,

1860-1900, Princeton, Princeton University Press, 1982, pp. 335-347. (23) Jurisprudence; science du droit religieux. (24) Yusuf Talal DELORENZO, op. cit., p. 68.

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juristes traditionnels sans toutefois y 6tre li6 de fagon herm~tique (ce qui suggbre une porte ouverte & l'ijtihad (25)), avoir sdjournm cinq ans minimum aux Etats-Unis (importance, accordde & la bonne connaissance du milieu ambiant) (26).

Par-del& les compdtences requises, toutes ces organisations partagent la caractd- ristique commune d'utiliser largement les moyens technologiques comme Internet.

Internet: entre individualisation et retour i l'auto-proclamation

Ces organisations poss~dent toutes leur site web que le croyant, indo-pakistanais ou non, peut aller consulter & sa guise, pour y poser ses questions sur les themes les plus varies. Certains sites sont specialists dans les fatwa. L'un des plus importants est sans doute islamonline.org. II comporte un fatwa corner et fait appel aux bons offices de cyber counselors << habilitds>> (27) & prononcer des fatwa online. Aux Etats-Unis, les musulmans, indo-pakistanais notamment et jeunes en particulier (qui comptent de surcroit un nombre substantiel d'informaticiens), constituent une population spdcialement encline & ce type de consultation religieuse. Internet encourage la transcendance des barribres ethniques. En effet, habituellement, les fiddles s'adressent de preference & un leader religieux de leur propre groupe ethnico-national tandis que, sur le web, ils hdsitent moins & solliciter des experts d'autre origine (pourvu qu'ils poss~dent les qualifications requises). Soulignons enfin, avec Olivier Roy, que, aussi orthodoxes soient-elles, ces fatwa n'ont aucune valeur normative ou juridique. Elles ne valent que comme << avis >> autoris6 (28).

Les r~ponses sur un mime sujet peuvent varier d'un site & l'autre et/ou atre en contradiction avec celles de magazines islamiques. Prenons l'exemple de rdponses trouvdes l'une sur un site produit aux Etats-Unis, l'autre dans un magazine isla- mique 6galement distribu6 en Amdrique du Nord. Elles ont trait toutes deux au port de la barbe : l'une le recommande (tout en reconnaissant que ce n'est pas une obli- gation), l'autre insiste sur l'importance de l'int~gration du fiddle dans sa soci~t6 d'accueil :

The Prophet, peace be upon him, used to keep a beard, and his followers did the same, and he said : "trim your mustache (sic), and let your beard grow..." (Muslim (29)) That is why Imams Malek, Abu Hanefa, and Ahmed considered wearing a beard one of the obligations, but Imam Shafei said that it is undesirable to shave it, and to let it grow is Sunnah (but not obligation). And Allah knows best (30). In truth, matters of wearing dresses along with the whole personal appearance, inclu- ding shaving beards, are matters of costume.for which a person should yield to what the societal environment accustomed to prefer one of the other of these costumes, he

(25) Effort personnel d'interpr~tations; travail des jurisconsultes dans la recherche de solutions juridiques.

(26) Yusuf Talal DE LORENZO, op. cit. (27) Les sites comportent g~ndralement un curriculum vitae du cyber counsellor consult&. (28) Olivier Roy, L'islam mondialisd, Paris, Seuil, 2002, p. 83 (cf. Arch.122.45). (29) Ibn Al-Hajjij Muslim (mort en 875) est l'un des traditionnistes dont les Hadith sont les plus

souvent cites. (30) R~ponse trouv~e sur le site web du Fiqh Council of North America.

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should conform to them, otherwise his opposite attitude will be considered as isolation from the society (31).

Le caractbre 6minemment 6clectique de ce nouveau type de consultation juri- dique n'en apparait que plus manifeste, de m~me que ses effets imm6diats,

. savoir

l'individualisation du religieux, un ph6nomine de plus en plus courant y compris dans les pays d'origine comme l'Inde et le Pakistan. Cette individualisation ne tient pas seulement au caractbre volontaire de la d~marche des croyants, mais aussi & la libert6 de choix dont ils disposent. Certains peuvent s'attacher i l'avis d'un cyber counselor en particulier, mais bien d'autres sont tent6s de multiplier leurs sources d'autorit6 et d'aller piocher des opinions ici et 1h. Le savoir ainsi vulgaris6 et devenu accessible & tous, ou presque, ne repose plus sur un corpus d61imit6, plac6 sous le contr6le d'un groupe d'oul6mas (32). Au contraire devenu quasi-in6puisable, du fait de la grande vari6td des sources possibles, il s'est < 6mancip6 > de toute tutelle contraignante, voire coercitive.

Une autre cons6quence de ces consultations d'un genre nouveau est la suren- chore dans l'auto-proclamation, elle-mime symptomatique de l'6clatement du paysage religieux. On ne manquera pas de souligner l'ironie de la situation: c'est pr6cis6ment pour 6chapper aux imams auto-d6sign6s dans les mosqu6es de l'immi- gration que les croyants ont cherch6 des sources alternatives d'autorit6 religieuse.

Ce ph6nombne d'autoproclamation est pr6sent surtout chez les jeunes, certains, aux Etats-Unis comme ailleurs dans le monde, revendiquant un savoir sup6rieur & celui de leurs ainds en matibre de religion. Cette pr6tention plonge ses racines non seulement dans la < vulgarisation d'un savoir religieux peu 6labor6, grace aux nouveaux supports >> (33), mais aussi dans le sentiment de poss6der une meilleure compr6hension des textes islamiques et de la soci6t6 amdricaine. Du point de vue religieux, les jeunes reprochent en effet i leurs parents d'appliquer les rites micani- quement, sans effort de r6flexion. Ce reproche est partiellement fond6, mime si la premiere g6ndration a elle aussi 6t6 oblig6e, du fait de sa situation migratoire a (re)penser son islam de fagon plus explicite. Quoi qu'il en soit, aux Etats-Unis, les jeunes qui ont une fibre religieuse s'int6ressent moins aux rites li6s a une tradition particulibre, la tradition sud-asiatique par exemple, qu'aux textes, qu'ils lisent, reli- sent et (rd)interpr~tent a la lumibre de leurs besoins. Ainsi,

. la diff6rence des

pratiques plus machinales observables dans le pays d'origine (y compris en Inde oii les musulmans sont minoritaires (34)), en immigration la religion est appr6hend6e selon un mode plus rationnel. Cette d6marche convainc les jeunes qu'ils sont les titulaires d'un savoir plus 16gitime que celui de leurs parents. A cela s'ajoute le fait que les jeunes, lorsqu'ils sont issus de la deuxibme g6n6ration, sont (effectivement) plus familiaris6s avec la soci6t6 amdricaine, done plus i mime d'y saisir les besoins des musulmans. Cette conviction d'&tre d6tenteurs d'une double sup6riorit6 incite certains d'entre eux a se consid6rer comme les (seuls) leaders l1gitimes capa- bles de guider les croyants et a s'autoproclamer savants en religion. Ces atouts cependant - acc~s au savoir, libert6 de choix offerte par la multiplicit6 des sources,

(31) R6ponse trouv~e dans Resalah, mars 1994, p. 31. (32) Olivier RoY, op. cit., p. 87. (33) Ibid. (34) La pr6sence de l'islam en Inde est tellement ancienne que les musulmans indiens n'6prouvent

pas n6cessairement le mime besoin de comprendre leur religion considr~re comme faisant partie de l'6vi- dence sociale et de l'habitus.

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autonomie vis-&-vis de structures religieuses pesantes, bagage << intellectuel >> acquis grace i la scolarisation, familiarit6 avec le milieu ambiant - ne les incitent pas pour autant 5 adopter une vision critique :nombre de ces jeunes privil6gient les interpretations herm~tiques des Textes et se contentent de r~affirmer des < v~rit6s >> immuables.

Religion et politique: un leadership religieux d~politisC en immigration?

L'Inde et le Pakistan pr~sentent des situations contrast~es. Au Pakistan, les musulmans forment l'6crasante majorit6 de la population (97 %) et l'autorit6 reli- gieuse y a 6tC politis6e et 6troitement li6e a l'Etat, en particulier depuis la politique d'islamisation du G6ndral Zia ul Haq (1979) :zakat (35) obligatoire collect6e par le gouvernement central, administration des waqfs (36) pass6e sous le contr6le de l'Etat, etc. En Inde, au contraire, les musulmans constituent une minorit6 (la plus importante des minorit6s, soit environ 13 %); toute intervention de l'Etat dans leurs affaires religieuses est consid~r~e par eux comme une atteinte & leur libert&, inscrite dans la constitution, et comme une menace & leur statut de minorit6 reli- gieuse disposant d'un statut propre. Le Parlement indien ne peut done 16gif6rer sur des questions de droit personnel touchant les musulmans. N6anmoins, les deux pays pr6sentent des similitudes sur au moins un point : en Inde comme au Pakistan, ouldmas et soufis peuvent jouer un r6le politique, les uns et les autres se pr6sentant aux l61ections, endossant la fonction de leaders communautaires, etc. On y observe ainsi une confusion des genres entre autorit6 politique et autorit6 religieuse.

Aux Etats-Unis, la situation migratoire qui Cloigne les croyants de toute struc- ture religieuse 6tablie li6e & un gouvernement 6tranger, de mime que l'absence de pressions directes de l'Etat sur le leadership religieux, inciteraient & penser qu'il n'existe pas, pour les musulmans, de lien entre autorit6 religieuse et autorit6 politique.

La difference avec l'Inde est moins radicale qu'avec le Pakistan, notamment parce qu'en Amdrique comme en Inde, les musulmans sont minoritaires. Cela 6tant, alors qu'en Inde ils disposent d'un statut a part, aux Etats-Unis, oih la libert6 reli- gieuse est prot6g6e par la Constitution, les musulmans ne sont pas consid6r6s comme une minorit6 b~ndficiant d'une singularit6 juridique ou de droits << excep- tionnels >>. Pourtant, meme aux Etats-Unis, la ligne de d6marcation n'apparait pas toujours trbs clairement entre autorit6 religieuse et autorit6 politique, en raison des chevauchements qui existent entre les leaderships religieux et communautaire (ce qui n'est pas sans rappeler la situation indienne). Nous avons vu en effet que certains leaders exercent plusieurs fonctions - un imam peut 8tre porte-parole et se poser en leader communautaire -, ce qui participe d'une logique politique. Mais nous avons vu aussi que ce cas de figure demeure assez exceptionnel chez les

(35) Aum6ne I1gale. (36) Fondation pieuse.

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Sud-Asiatiques, soucieux de d6partager les pouvoirs, alors qu'il est plus fr~quem- ment observd chez les Noirs amdricains.

La complexit6 de la situation se manifeste 6galement dans le fait qu'aux Etats-Unis ce sont des organisations distinctes, dans lesquelles les Sud-Asiatiques jouent un r6le notable, qui gbrent d'un c6t6 les affaires religieuses de la commu- naut6 (comme l'ISNA, I'ICNA, le FCNA, etc.), et de l'autre les affaires politiques (comme l'American Muslim Alliance, l'American Muslim Council, ou encore le Muslim Public Affairs Council). Toutefois, si l'on prend l'exemple de l'American Muslim Council, une organisation qui a notamment endoss6 le r6le de lobby poli- tique, on observe que ses dirigeants s'autorisent tout autant t 6crire au Secrdtaire gdn6ral de I'ONU, Kofi Annan, une lettre d~nongant la r6pression politique dont sont victimes les musulmans aux Etats-Unis depuis le 11 septembre, ou i demander au President Bush de ne pas attaquer l'Irak, qu'& organiser des s6minaires sur la formation des imams. De mime, des organisations comme l'ISNA ou l'ICNA, ou de simples imams, peuvent lancer des appels en faveur de la mobilisation politique des musulmans et encourager ces derniers i voter. Par ces actions, ces instances s'attribuent un r6le politique. Il est vrai que chacune d'elles s'efforce dans le m~me temps, officiellement au moins, de ne pas empi~ter sur le champ de l'autre : I'AMC par exemple a recours, si besoin est, aux bons offices d'une autoriti religieuse 6tablie. Ainsi, en 2002, il a demand6 i Taha Jaber al-Alwani, reconnu en Amdrique du Nord par les croyants comme un expert en fiqh, de publier une fatwa (37) conseillant aux musulmans de participer aux 6lections amdricaines (lui faisant par lI-mime endosser une fonction politique).

II appara"it au total que, sans se confondre syst~matiquement, les fonctions d'autorit6 religieuse et celle de leadership communautaire vont, i l'occasion et n6anmoins, de pair. Rappelons que le contexte amdricain s'y pr~te particulibre- ment: tout en inscrivant dans la Constitution la s6paration de l'Eglise et de l'Etat, les Etats-Unis confbrent au religieux une place fondamentale non seulement dans la vie priv6e, mais 6galement, i maints 6gards, dans la vie publique et politique. Ce pays n'est done pas un Etat laf'que au sens frangais du terme. Il en rdsulte que le politique et le religieux sans n6cessairement se trouver 6troitement imbriqu6s chez les musulmans des Etats-Unis ne fonctionnent pas non plus de fagon totalement

sdpar6e. Quant i la relation i l'Etat d'accueil, force est de constater que depuis le 11 septembre, la surveillance dont les musulmans font l'objet aux Etats-Unis, oblige leur leadership religieux i une auto-censure, en particulier dans leurs discours, ce qui tend i prouver que les instances locales exercent un contr81e poli- tique, aussi indirect soit-il.

Conclusion

Le leadership religieux chez les musulmans des Etats-Unis a connu une 6volu- tion sensible. Afin de contrer l'6mergence de leaders autoproclam~s et de pallier le d6ficit initial en autorit6 religieuse, diverses initiatives ont 6t6 mises en oeuvre: importation d'imams, creation d'institutions et d'organisations visant i former de

(37) Avis religieux 16gal.

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Page 17: Authorités Religieuses en Islam || Musulmans indo-pakistanais et autorité religieuse en diaspora: Le cas américain

ARCHIVES DE SCIENCES SOCIALES DES RELIGIONS

futurs cadres religieux, etc. Ces formules ont connu des fortunes diverses, mais elles timoignent du dynamisme de la population musulmane, les Sud-Asiatiques en particulier avantag6s par un haut niveau d'instruction. Elles sont 6galement sympto- matiques de l'importance conf6r6e i l'h6ritage religieux par des immigrants d6stabilis~s par la situation diasporique, mais qui aspirent ndanmoins & l'int6gration et & une acceptation par la soci6t6-h6te.

Les sources d'autorit6 religieuse se sont diversifides et multiplides, ce qui timoigne non seulement d'un 6clatement de la scene religieuse et d'une individua- lisation du religieux mais 6galement d'une libert6 de choix offert aux croyants. Ce type de transformation s'observe aussi dans le reste du monde musulman, y compris dans le sous-continent indien, mais les Etats-Unis constituent un terreau particulibrement favorable en raison de l'extreme h6t6rog6n6it6 de leur population musulmane et des moyens intellectuels, financiers et technologiques dont celle-ci dispose. Le fonctionnement d~mocratique de nombre des mosqudes, oit un partage des pouvoirs est assure entre imam, conseil d'administration et fiddles, est l'une des autres sp6cificit6s remarquables de la redefinition de l'autorit6 religieuse en contexte ambricain.

Depuis le 11 septembre, l'6mergence d'un leadership religieux (tout autant que politique) << acceptable > aux yeux des autoritis ambricaines est devenue un enjeu capital pour les musulmans, alors mime que leurs activitis sont plac6es sous 6troite surveillance et que les Am6ricains marquent un int~ret accru pour l'islam. Cela d~bouchera-t-il sur un remaniement du leadership musulman aux Etats-Unis ? Il est sans doute encore trop t6t pour le dire. Mais le 11 septembre a certainement 6t6 & l'origine de d6bats animus sur ces questions au sein de la communaut6. Une nouvelle g~ndration de leaders, mieux familiaris6s avec la soci6td amdricaine et plus soucieux de d6passer les clivages inter-ethniques (38), pourrait bien 6merger.

Aminah MOHAMMAD-ARIF Centre d'Etudes de l'Inde et de l'Asie du Sud

CNRS

(38) Depuis le 11 septembre les 6changes entre diverses organisations religieuses et politiques repr6sentant des musulmans d'affiliation ethnique diffdrente se sont multiplids. Il est par exemple remar- quable que les Sud-Asiatiques, qui jusqu'd pr6sent avaient < boud6 > les Afro-Am6ricains, sont d~sor- mais plus enclins & les associer & leurs activit6s et surtout & les solliciter sur les questions de discrimination. En effet, les Sud-Asiatiques ont i pr6sent pris conscience de la signification de l'ethnic profiling, dont les Afro-Amdricains ont eu i souffrir depuis des d6cennies, voire des si~cles, et espbrent b6ndficier de l'expbrience de ces derniers dans la lutte contre la discrimination, dont tous les musulmans, par-deli l'appartenance ethnique (mais les immigrants plus que les << indig~nes >>), sont aujourd'hui les victimes.

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Page 18: Authorités Religieuses en Islam || Musulmans indo-pakistanais et autorité religieuse en diaspora: Le cas américain

MUSULMANS INDO-PAKISTANAIS EN DIASPORA : LE CAS AMERICAIN

Rdsumd

L 'autoritc religieuse chez les musulmans des Etats-Unis, les Indo-Pakistanais en particulier, a connu au fil des ans une evolution sensible, les immigrants ayant tente diverses formules destindes a pallier le ddficit initial en la matibre et h contrer la montde de leaders autoproclamis. Les sources d'autorite religieuse se sont diversifides et multipliees, ce qui timoigne non seulement d'un dclatement de la sckne religieuse et d'une individualisation du religieux mais igalement d'une libertd de choix aux Etats-Unis offerte aux croyants. Depuis le 11 septembre 2001, I'dmergence d'un lea- dership religieux << acceptable > aux yeux des autoritis amiricaines est devenue un enjeu crucial pour les musulmans alors mime que leurs activitis sont placies sous etroite surveillance. Aussi la question de l'autorite religieuse est-elle aujourd'hui un sujet majeur de ddbats au sein de cette population.

Abstract

Religious authority among Muslims in the United States, South Asians in particu- lar, has significantly evolved over the years : they have tried several methods in order to compensate for the initial lack of authority ant to counter the rise of self-proclaimed leaders. There has been a diversification and multiplication of the sources of religious authority, this showing not only the fragmentation of the religious arena and the indi- vidualization of religion but also a freedom of choice available to the believers in the United States. Since September 11th, the emergence of a religious leadership accep- table to the American authorities has become all the more crucial as the activities of the Muslims have been put under close scrutiny. As a matter of fact, the question of religious authority has generated animated debates within the community.

Resumen

La autoridad religiosa entre los musulmanes de los Estados unidos, los Indo-paquistanies en particular, ha conocido con los ahios una evoluci6n sensible, ya que los inmigrantes han intentado diversas f6rmulas destinadas a paliar el ddficit ini- cial en materia y a oponerse al ascenso de lideres auto-proclamados. Las fuentes de autoridad religiosa se han diversificado y multiplicado, lo que da cuenta no s6lo de una fragmentaci6n de la escena religiosa y de una individualizacid6n de lo religioso, sino tambidn de una libertad de elecci6n que en los Estados Unidos se ofrece a los creyentes. Desde el 11i de septiembre de 2001, la emergencia de un liderazgo religioso "aceptable" para las autoridades americanas, se ha vuelto una apuesta crucial para los musulmanes, en el momento en que sus actividades son puestas bajo una estrecha vigilancia. Asi, la cuesti6n de la autoridad religiosa es hoy un tema mayor de debate en esta poblacidn.

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