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STUDI AUTOUR DE SIX LOGIA ATTRIBUES A DON BOSCO DANS LES MEMORIE BIOGRAFICHE Francis Desramaut Les logia de don Bosco dans la littérature salésienne En 1898, un abbé Jaunay, qui se disait «prêtre salésien», mais qui ne fi- gura jamais sur un catalogue de la Pieuse société de S. François de Sales, pu- bliait par les soins de l'école professionnelle salésienne de Marseille un livret intitulé: Don Bosco. Pensées édifiantes extraites de ses divers écrits et distri- buées pour chaque jour de l'année. 1 J'ignore si cette brochure constituait la première collection de «logia» de don Bosco. 2 En tout cas, la formule eut du succès pendant notre siècle. En 1987, à la suite de la reproduction anastatique des Opere edite de saint Jean Bosco, 3 un épais recueil de ses considérations imprimées était publié, après avoir été elles aussi distribuées au long de l'an- née. 4 Une nouvelle ère s'ouvrait probablement ainsi pour les logia du saint. Car, pendant les soixante-quinze premières années du siècle, les collecteurs avaient opté pour les seules Memorie biografiche de don Bosco, que Giovan- ni Battista Lemoyne, Eugenio Ceria et Angelo Amadei éditèrent entre 1898 et 1939. Vers la fin de la période, le plus avisé d'entre eux intitulait un recueil à l'intention des salésiens: Repertorio alfabetico delle Memorie biografiche di san Giovanni Bosco. Spunti, spigolature, riferimenti. 5 1 Traduction de M. l'abbé Jaunay, prêtre salésien, Marseille, Ecole typographique Sain- tLéon, 78, rue des Princes, 1898, 120 p. 2 Le terme a été emprunté au grec des biblistes. Logos est un récit d'une certaine lon- gueur; logion une expression particulière plus brève. 3 Rome, LAS, 1976, 37 vol. 4 E. MILANESE et L. CALVO, Un anno con Don Bosco. Meditazioni quotidiane, Casale Monferrato, Piemme, 1987, 382 p. 5 Edition extra-commerciale, par les soins de don Pietro Ciccarelli, Colle Don Bosco, 1972, 384 p.

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STUDI

AUTOUR DE SIX LOGIA ATTRIBUES A DON BOSCO DANS LES MEMORIE BIOGRAFICHE

Francis Desramaut

Les logia de don Bosco dans la littérature salésienne

En 1898, un abbé Jaunay, qui se disait «prêtre salésien», mais qui ne fi-gura jamais sur un catalogue de la Pieuse société de S. François de Sales, pu-bliait par les soins de l'école professionnelle salésienne de Marseille un livret intitulé: Don Bosco. Pensées édifiantes extraites de ses divers écrits et distri-buées pour chaque jour de l'année.1 J'ignore si cette brochure constituait la première collection de «logia» de don Bosco.2 En tout cas, la formule eut du succès pendant notre siècle. En 1987, à la suite de la reproduction anastatique des Opere edite de saint Jean Bosco,3 un épais recueil de ses considérations imprimées était publié, après avoir été elles aussi distribuées au long de l'an-née.4 Une nouvelle ère s'ouvrait probablement ainsi pour les logia du saint. Car, pendant les soixante-quinze premières années du siècle, les collecteurs avaient opté pour les seules Memorie biografiche de don Bosco, que Giovan-ni Battista Lemoyne, Eugenio Ceria et Angelo Amadei éditèrent entre 1898 et 1939. Vers la fin de la période, le plus avisé d'entre eux intitulait un recueil à l'intention des salésiens: Repertorio alfabetico delle Memorie biografiche di san Giovanni Bosco. Spunti, spigolature, riferimenti.5

1 Traduction de M. l'abbé Jaunay, prêtre salésien, Marseille, Ecole typographique Sain-tLéon, 78, rue des Princes, 1898, 120 p.

2 Le terme a été emprunté au grec des biblistes. Logos est un récit d'une certaine lon-gueur; logion une expression particulière plus brève.

3 Rome, LAS, 1976, 37 vol. 4 E. MILANESE et L. CALVO, Un anno con Don Bosco. Meditazioni quotidiane, Casale

Monferrato, Piemme, 1987, 382 p. 5 Edition extra-commerciale, par les soins de don Pietro Ciccarelli, Colle Don Bosco,

1972, 384 p.

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Ce «répertoire» contenait surtout, comme celui de l'abbé Jaunay, des pa-roles édifiantes ou didactiques de don Bosco. Au mot Fazzoletto, on trouvait par exemple: «Come mi vedete fare a questo fazzoletto, bisognerebbe che io potessi fare di voi» (MB III, 550); au mot Giudizio: «Il difetto di modestia nel parlare indica mancanza di giudizio» (MB III, 615); au mot Latte: «Ho dato il fieno alla capra; è giusto ne goda il latte» (MB VIII, 1005); à l'expression Per favore: «In privato: Per favore!, in pubblico: Voglio» (MB VIII, 76); au mot Pietà: «Chi ha vergogna d'esortare alla pietà è indegno d'esser maestro» (MB X, 1019); au mot Scimmione: «Scimmione sulle spalle: Ma guarda!» (MB VI, 965); au mot Prete: «Sappia che D.B. è prete all'altare... prete in mezzo ai suoi giovani... prete nella casa del povero, prete nel palazzo del Re e dei Mi-nistri» (MB Vili, 534); à l'expression Sistema preventivo: «Come l'Ecc. Vs. sa due sono i sistemi in ogni tempo usati» (al Ministro Rattazzi) (MB V, 52); etc.

Les récolteurs de sentences de don Bosco ont ainsi mis depuis cent ans à la disposition des prédicateurs, conférenciers et auteurs d'articles de vulgarisa-tion une somme de formules et de références, qui leur facilitèrent le travail de composition. Mais ces formules étaient-elles toutes également authentiques? Leur signification était-elle toujours évidente? Les éditeurs de répertoires de ce type sont partis de l'hypothèse que les «paroles» de don Bosco insérées dans les Memorie biografiche avaient été réellement prononcées (ou écrites) par lui et qu'elles l'avaient été dans le contexte défini par le corpus. Ils ne pre-naient jamais garde aux procédés de composition et d'écriture du biographe principal de la compilation, souvent imité par ses deux successeurs. Don Le-moyne avait engrangé dans les Memorie biografiche, sans jamais pondérer leurs assertions, tout ce que des témoins qu'il jugeait dignes de foi lui avaient laissé sur don Bosco. Il avait simplement cherché à agencer au mieux leurs divers témoignages en un récit ordonné et cursif. Dans l'ouvrage, le genre «parole» est pour ce motif extrêmement bigarré. A s'en tenir aux propos entre guillemets du seul premier volume, il y a là, selon une classification fondée sur leur mode de rédaction, des «paroles fictives», des «paroles ajoutées», des «paroles didactiques ou édifiantes», des «paroles documentaires», des «paro-les historiques», des «paroles interprétées» et des «paroles construites».6 Quand elles ont été attribuées à don Bosco, de telles «paroles» ne peuvent être uniformément prises à la lettre.

6 Qualifications par lesquelles je désignais les groupes de «paroles» du premier volume des Memorie, dans l'ouvrage Les Memorie I de Giovanni Battista Lemoyne, Lyon, 1962, p. 364-373.

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Certaines furent inventées, retouchées, remaniées ou placées dans un contexte qui en modifia la portée originelle. Elles sont problématiques.

La quantité de «problèmes» ainsi posés au commentateur est presque in-finie. Une dissertation pourrait être écrite sur le seul Sai zufolare? de l'entre-tien du jeune prêtre Bosco avec Bartolomeo Garelli, qui, absent du dialogue des Memorie dell'Oratorio de don Bosco lui-même, apparaît brusquement dans celui élaboré par don Lemoyne au deuxième volume des Memorie.1 Les «songes» du saint entrent dans la catégorie «paroles» et entraînent à chaque instant des questions supplémentaires, non seulement sur les propos du narra-teur, mais encore sur l'imagination plus ou moins créatrice du songeur. Si les études sur don Bosco demeurent vivantes, ses spécialistes pourront discourir sur les logia des Memorie pendant plusieurs siècles.

Que faire? Que dire? Pour faire oeuvre utile, il semble bon de choisir pour examen quelques phrases posant problème, alors qu'elles retiennent par-fois l'attention des biographes de don Bosco. Nous en prendrons six aux vo-lumes signés par don Lemoyne (MB I-IX). Leur lecture critique devrait per-mettre de progresser dans deux directions: 1) rectifier, sur la mentalité de don Bosco lui-même, des vues que des logia problématiques ont pu propager; 2) discerner quelques traits de la mentalité du biographe don Lemoyne, qui ont modelé son portrait de notre saint.

1. Le véritable ami (5 septembre 1867)

«Dice la Sacra Scrittura che chi trova un vero amico trova un tesoro». (Allocution de don Bosco aux jeunes, 5 septembre 1867)

Cette citation de la Bible ne brille que par son absence de la version de l'allocution dans les Memorie biografiche} On y lit: «La stessa sera (c'està-dire le 5 septembre 1867) diceva (don Bosco) ai giovani: «Il Bartoli racconta, o cari figliuoli, che nel Giappone eranvi due giovinetti cristiani. In quel tempo scoppiava la persecuzione...». Don Bosco racontait l'histoire édifiante de ces deux garçons. L'un avait dit à l'autre: — Ecoute, je vais trouver un moyen de se comporter dans cette persécution; il te conviendra à toi aussi. — Comme tu veux, avait répondu l'autre, pourvu que se hâte le jour où nous pourrons verser notre sang pour la foi. En réalité, le premier

7 MB II, 73/25. — Il provenait d'un récit parallèle de don Bosco enregistré par Domenico Ruffino en 1860. Sans nommer Garelli, il correspondait à celui des MO sur le 8 décembre 1841. Voir D. RUFFINO, Cronache..., I, 1860, p. 29.

8 Voir MB VIII, 930/1-32.

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avait décidé d'abjurer sa foi. Il le fit, fut libéré et conseilla à son compagnon de l'imiter. Mais celui-ci ne se laissa pas convaincre, repoussa la proposition et marcha courageusement au supplice. Et don Bosco terminait l'historiette par quelques considérations.

A cette page des Memorie, don Lemoyne recopiait l'édition d'un petit discours de don Bosco, qu'il lisait dans ses Documenti per scrivere. Or, elle commençait ainsi: «5 settembre. -— Così disse D. Bosco dopo le orazioni: — Dice la Sacra Scrittura che chi trova un vero amico trova un tesoro. Il Bartoli racconta che nel Giappone eranvi due giovinetti Cristiani. In quel tempo scoppiava la persecuzione (...) al cospetto di Dio».9 En règle ordinaire, notre compilateur retranscrivait scrupuleusement ses sources; et il privilégiait tou-jours les propos qu'elles attribuaient à don Bosco. La suppression de la phrase initiale de ce morceau du 5 septembre 1867 fut certainement délibérée. Nous aimerions savoir pourquoi. Don Lemoyne aurait-il voulu éviter une erreur à notre saint? Mais l’Ecclésiastique VI, 14, dit clairement: «Amicus fidelis, protectio fortis; qui autem invenit ilium, invenit thesaurum». Au reste l'idée lui était familière, et le chroniqueur de ce soir-là ne l'a certainement pas in-ventée. «Beatus qui invenit amicum verum»;10 il avait eu ce bonheur à Chieri le jour où, collégien de quelque dix-neuf ans, il avait rencontré Luigi Comol-lo. Quelques années après, dans sa maison du Valdocco, Dominique Savio l'avait connu grâce à Camillo Gavio et à Luigi Massaglia. Don Bosco célé-brait volontiers les (bonnes) amitiés adolescentes.

De telles louanges n'agréaient apparemment pas à don Lemoyne. Il ap-partenait à une génération qui subodorait aisément quelque perversion dans ces sortes d'amitiés. Après don Bosco, probablement parce qu'ils les croyaient suspectes, ses disciples de la fin du dix-neuvième et du début du vingtième siècle se méfièrent des amitiés dites «particulières». L'histoire des pension-nats de cette époque en était remplie. On observe que le Repertorio de don Ciccarelli, au mot: Amici, qui coiffe quinze items, ne mentionne aucune ami-tié entre adolescents. L'un des traits, qui n'est pas le moins intéressant, de la pédagogie et de la spiritualité de don Bosco a été occulté dès les Memorie biografiche. L'existence de «mauvais amis», tels que le petit Japonais du mot du soir du 5 septembre 1867, ne devrait pas faire oublier aux adolescents et à leurs éducateurs la vérité de la formule: «Qui trouve un véritable ami trouve un trésor». Telle était en tout cas l'une des convictions

9 Documenti X, 295. 10 Ecclésiastique XXV, 12, selon la Vulgate.

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de don Bosco, que son disciple Giovanni Battista Lemoyne craignit de répé-ter.

2. La double citation de Proverbes, chap. I (5 août 1860)

«Dicono i proverbi al Capo I: «Ebbero in odio la disciplina e non ab-bracciarono il timor del Signore, e non porsero le orecchie a' miei consigli e si fecero beffe di tutte le mie correzioni. Mangeranno pertanto i frutti delle ope-re loro e si satolleranno de' loro consigli» (...). Degli innocenti e de' convertiti afferma lo Spirito Santo ne' proverbi al Capo I: «Chi ascolta me, avrà riposo senza paura, e sarà nell'abbondanza, scevro dal timore dei mali» (Songe des quatorze tables, allocution du 5 août 1860; MB VI, 709/3-7, 23-25).

Ces deux citations munies de leurs références figurent à quelques lignes de distance dans la version d'un songe raconté par don Bosco le 5 août 1860, jour de la première messe solennisée de don Michele Rua. Selon nos Memo-rie, dans son rêve don Bosco avait vu quatorze tables disposées en amphithéâ-tre. Autour de la table inférieure, nue et sale, un groupe de garçons n'absorbait qu'un pain immonde. «C'était l'état de péché mortel», nous assure-t-on. La première citation du livre des Proverbes arrive ici: «Les Proverbes disent au chapitre I: «Ils eurent en haine la discipline, ils ne ressentirent nulle crainte du Seigneur; ils ne tendirent pas l'oreille à mes conseils et ses moquèrent de tou-tes mes corrections. Ils mangeront donc les fruits de leurs oeuvres et se rassa-sieront de leurs conseils». Dans le récit, d'une table à la suivante, au fur et à mesure que la pente s'élevait, les jeunes devenaient plus joyeux et mangeaient d'un meilleur pain. C'était, d'après le texte, les convertis. Enfin, à la table la plus élevée, la qualité du pain, de couleur crème ou écarlate, selon qu'il reflé-tait le visage ou le vêtement des jeunes bienheureux, était tout à fait merveil-leuse. «C'était l'état d'innocence», explique l'auteur du récit. Et, symétrique à la première, la deuxième citation biblique commente: «L'Esprit Saint dit des innocents et des convertis en Proverbes, chapitre I: «Qui m'écoute trouvera le repos sans peur, il sera dans l'abondance et ne craindra pas le malheur».

A la réflexion, ces citations de l'Ecriture surprennent par un pédantisme fort étrange de la part d'un éducateur s'adressant à des enfants. Non content de les proclamer mot à mot, il produit le titre du livre de la Bible et jusqu'au chif-fre du chapitre dont il extrait solennellement ses phrases.

Mais que les amis de don Bosco se rassurent. L'une et l'autre relèvent d'une des deux couches de gloses que don Lemoyne a encastrées dans le do-

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cument-source de cette allocution. C'est, avec plusieurs autres, l'une des conclusions que nous révèle l'histoire particulièrement tourmentée de ce songe dit des quatorze tables. La note primitive figurait dans un cahier de la chronique de Domenico Ruffino pour l'année 1860. Elle fut aménagée une première fois par don Lemoyne pour les Documenti VII. La table, qui était unique dans la note, fut fragmentée en quatorze, du reste à partir d'une indica-tion fournie le lendemain par don Bosco lui-même! Et les jeunes furent répar-tis en trois catégories formellement désignées: l'état de péché mortel, l'état de pécheur converti et l'état d'innocence. Les formules: «C'était l'état de péché mortel», «C'était l'état d'innocence», étaient déjà, dans cette version, des glo-ses interprétatives. Le récit passa ensuite à son troisième stade, celui des Me-morie biografiche VI. C'est alors que don Lemoyne glosa ses formules inter-prétatives par les citations qui nous surprennent. La synopse des versions suc-cessives parle d'elle-même.11

On pourrait multiplier les considérations sur ses trois colonnes. Que pen-ser du changement de décor du songe entre le 5 et le 6 août? Dans le récit du premier jour, une table unique va de la terre au ciel; le lendemain, rectifica-tion: il y avait quatorze tables sur gradins en amphithéâtre. Don Bosco, qui ne se rappelait peut-être plus très bien ce qu'il avait raconté la veille, adaptait évidemment sa parabole onirique aux leçons qu'il voulait donner à ses gar-çons. La chronique de Ruffino le montre à l'oeuvre. Il fallait au biographe une extrême candeur pour croire à l'«historicité» du rêve des quatorze tables. Sa reconstruction fut du reste parfois maladroite, car la table unique réparut par endroits dans son récit définitif. Nous ne nous arrêterons qu'aux logia bibli-ques, qui surgissent inopinément dans cette historiette.

La double citation des Proverbes n'émanait assurément pas d'une source complémentaire sur le songe du 5 août 1860, comme l'imaginent naturelle-ment les apologistes de don Lemoyne. Celui-ci a en effet semé ses Memorie de phrases empruntées aux livres didactiques de la Bible. La plupart étaient destinées à éclairer ou à commenter des situations. Ainsi, en Documenti I, 10, le mémorialiste avait d'abord écrit très simplement de la mère de don Bosco, que, jeune épousée, «Margherita era felice. La vecchia madre di France-sco...». Dans les Memorie, sa ligne devint: «Margherita era felice, perchè "la mente tranquilla è come un perenne convito" (Prov. XV, 15). La vecchia ma-dre di Francesco...».12 Il se hasarda parfois à attribuer une sen-

11 La synopse des textes de Ruffino, des Documenti et des Memorie biografiche, infra, Annexe I.

12 MB I, 30/24-26.

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tence de la Bible à un acteur de son histoire. Au terme d'une anecdote tou-chant Luigi Comollo, un ami que don Bosco perdit pendant ses années de sé-minaire, on découvre: «...e solo dopo la sua morte narrò (Giovanni Bosco) tut-to al prevosto (c'est-à-dire à l'oncle de Luigi, qui était curé de Cinzano), che fece le più grasse risa e ricordò il versicolo dell'Ecclesiastico: "L'amico co-stante sarà come tuo eguale e porrà le mani liberamente nelle cose della tua casa" (Eccli. VI, 11)». Le texte primitif de don Lemoyne 13 s'arrêtait à: «...le più grasse risa (a quel lepido racconto)». Nul ne garantira jamais que le prévôt de Cinzano ait eu un jour à l'esprit la sentence de Ben Sira, que don Lemoyne lui fit monter à la mémoire tandis qu'il écoutait Giovanni Bosco.

Notre biographe n'éprouva donc nul scrupule à introduire deux versets des Proverbes dans le songe des quatorze tables. Il est inutile de chercher une autre origine à ces gloses didactiques, qui furent surtout très maladroites. Le compilateur a commenté l'état de péché mortel d'abord, celui de l'innocence ou de la grâce retrouvée ensuite, par des phrases de la Bible, dont, à la ma-nière du temps, il forçait la signification. L'adaptation ne relevait que de lui, non pas de don Bosco. Qui disserte sur la rhétorique du saint ou sur ses rela-tions avec la Bible devrait donc éviter le piège que, très innocemment, don Lemoyne lui a tendu à cet endroit. Don Bosco mémorisa-t-il jamais ces ver-sets des Proverbes, que les Memorie biografiche ont placés curieusement dans sa bouche un soir qu'il parlait à ses enfants?

3. La sentence: «Rendez à César...», avec ses exceptions (11 juillet 1860)

«...Ma comunque sia il Vangelo che la E.V. mi cita risponde a puntino alla difficoltà (sur l'opposition entre le gouvernement de Turin et la religion catholique) là dove Gesù Cristo dice: Date a Cesare quel che è di Cesare, e a Dio quel che è di Dio. Perciò secondo il Vangelo un suddito di qualsiasi Stato può essere buon cattolico, stare con Gesù Cristo, sentirla col Papa, fare del bene al suo simile, e nel tempo stesso stare con Cesare, vale a dire osservare le leggi del Governo, eccettuato il caso che si abbia a fare con persecutori del-la religione, o con tiranni della coscienza e della libertà». (Conversation de don Bosco avec les ministres Farini et Cavour, Turin, 11 juillet 1860; MB VI, 681/23-32).

13 Documenti I, 238; que l'on comparera avec MB I, 431/18-22.

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Ces considérations de morale politique, mises sur les lèvres de don Bos-co en juillet 1860 lors d'une entrevue avec des ministres du gouvernement piémontais et à la suite des perquisitions dont il venait d'être l'objet, nous po-sent, dans leur dernière partie, un problème singulier. Que penser de l'excep-tion d'obéissance aux lois envisagée ici dans les cas de persécuteurs de la reli-gion ou de tyrans violateurs de la conscience et de la liberté? Les chrétiens de l'Eglise des premiers siècles se croyaient-ils dispensés d'obéir aux lois de l'Empire romain parce que les empereurs les persécutaient? D'après un bon moraliste français contemporain: «Le climat de méfiance, voire de luttes fré-quentes, qui a souvent caractérisé dans nos pays, depuis la Révolution fran-çaise, les rapports entre l'Eglise et l'Etat républicain (p.ex. à propos de la loi sur le divorce) a contribué à amener une dépréciation, dans bien des conscien-ces chrétiennes, envers les lois portées en général par le pouvoir politique. Cependant, même quand ce pouvoir s'est proclamé laïque, dans un processus de sécularisation, la doctrine de l'Eglise n'a pas varié: ce pouvoir, du moment qu'il remplit les conditions de légitimité, a une origine divine (Rom. XIII, 1-7; 1 Petr. II, 13-17) et ses lois justes ont un caractère obligatoire en cons-cience...». Après s'être référé au Nouveau Testament, cet auteur s'appuie en-core sur Vatican II (Gaudium et spes, 74-76) et sur un document de l'épisco-pat français Pour une pratique chrétienne de la politique (1972).14 Le logion des Memorie biografiche attribuerait donc une erreur doctrinale à notre don Bosco, quand il dispensait le catholique de l'observation des «leggi del Go-verno» en cas de «persecutori della religione» ou de «tiranni della coscienza e della libertà».

L'histoire de cette parole va nous rassurer sur son orthodoxie. Mais elle réserve aussi plus d'une surprise. Pour rédiger ses chapitres des Memorie sur les perquisitions de 1860, d'où ce fragment de conversation a été tiré, don Lemoyne disposait de sources abondantes et variées. C'était pour le moins: un récit de Giovanni Bonetti dans la Storia dell'Oratorio du Bollettino salesiano des années 1884-1885;15 un récit manuscrit de don Bosco intitulé Le Perquisi-zioni;16 des fragments de chroniques de Domenico Ruffino; des notes de don Savio; un témoignage de Giuseppe Reano remis à Bonetti en février 1885; un article de l’ Armonia daté du 29 mai 1860;17 enfin trois

14 J.-M. AUBERT, «Loi», dans Catholicisme, t. VII, Paris, 1975, col. 1006. 15 Storia dell'Oratorio, deuxième partie, chap. XI, XII et XIII. 16 Texte édité par P. BRAIDO et F. MOTTO, dans RSS, ann. VIII, 1989, p. 143-192. Nous

citerons cette édition dont les lignes ont été numérotées. 17 L'article de l'Armonia et les notes de Ruffino et de Reano ont été reproduits en appen-

dice au texte Le Perquisizioni en RSS, ann. VIII, 1989, p. 193-200; les notes de don Savio sont supposées par des compléments figurant en Documenti VII, 160-161.

Autour de six logia attribués à don Bosco dans les Memorie Biografiche 15

lettres contemporaines: deux de don Bosco aux ministres (Intérieur et Instruc-tion publique) et une d'une secrétaire du cabinet du ministre de l'Intérieur à don Bosco. A la fin du dix-neuvième siècle, les lettres exceptées, ces docu-ments avaient déjà leur propre histoire. L'article de l’Armonìa et les éléments de la chronique Ruffino dépendaient des témoins du Valdocco dans les jours qui avaient suivi les événements. On voudrait être assuré que les souvenirs de don Savio (Ascanio? Angelo?) ne confondaient pas les entrevues de don Bos-co dans les ministères au cours de ces années soixante (Spaventa intervient...). Don Bosco, qui rédigea vers 1875-1876 Le Perquisizioni à la suite et dans l'esprit de ses Memorie dell'Oratorio, avait, une quinzaine d'années après les faits, librement reconstitué les dialogues à partir de ses souvenirs personnels et sans nullement s'imposer de répéter mot pour mot les phrases prononcées à l'époque.18 La note Reano, témoin immédiat en 1860, était destinée à Bonetti pour sa Storia dell'Oratorio. La version Ruffino avait déjà été amplifiée et dramatisée dans un récit que nous lisons dans les Documenti VII.19 Enfin et surtout, les chapitres de la Storia de Bonetti dépendaient étroitement du texte de don Bosco Le Perquisizioni. L'auteur, qui avait été présent au Valdocco en 1860, avait joint au récit de don Bosco des coupures de journaux et de menus détails personnels; puis il avait agencé et quelque peu délayé le tout en un ré-cit coloré.

Cette histoire particulière des documents-sources n'intéressait pas don Lemoyne. Il ne connaissait que des témoins menteurs et des témoins honnê-tes. Or tous les témoins qu'il trouvait là étaient honnêtes... Fidèle à sa mé-thode ordinaire de composition, il choisit, pour constituer l'ossature de l'his-toire des perquisitions dans les Memorie, non pas les pièces et les témoigna-ges les plus sûrs, dûment contrôlés l'un par l'autre, mais la version la plus longue, la plus fournie, la plus riche de détails et donc, à son sens, la plus «vraie», qui était celle de son confrère Bonetti dans le Bollettino salesiano. Il avait eu soin de la coller tout entière dans le registre VII des Documenti. Tou-tefois, soucieux comme toujours de ne laisser échapper quoi que ce soit, il la compara avec les autres pièces subsistantes. Par exemple, le récit dérivé de Ruffino comportait cette observation du ministre Farini à don Bosco: «Ma non posso persuadermi come ella vivendo in un paese le cui leggi sono affatto contrarie alle sue opinioni se ne stia là come un fantoc-

18 Voir l'introduction de P. BRAIDO et F. MOTTO, RSS, art. cité, p. 127-131, au paragra-phe: «Un documento bifronte».

19 Documenti VII, 162-163. Ce morceau est introduit, p. 162: «Così si legge nella cronaca di D. Ruffino».

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cio».20 Cette image de fantoccio n'ayant pas d'analogue dans la version Bonet-ti, don Lemoyne la réserva pour le dialogue avec Cavour, où elle sera ensuite insérée.21 Il ne corrigea pas Bonetti par Le Perquisizioni, mais le compléta en collationnant les deux textes. Les fragments négligés par Bonetti furent écrits en marge des Documenti face aux passages correspondants de la Storia. Par exemple, don Bosco avait dans son récit reproduit en ces termes les propos d'un journal devant les maigres résultats des perquisitions au Valdocco: «Voi governo, diceva un altro periodico, mandate uomini spregiudicati, e non più marmotte per somiglianti affari». Bonetti avait écourté l'observation: «Il Go-verno mandi colà uomini accorti e spregiudicati, e verrà a scoprire le fila della trama ordita, scriveva un altro», sous-entendu: journal.22 Plus de marmotte! Don Lemoyne inscrivit consciencieusement face à ces lignes en marge des Documenti: «e non più marmotte per si somiglianti affari».23 Nous en avons mille preuves, l'auteur des Memorie tenait à entasser dans son récit toute la substance des témoignages qu'il avait récoltés.

Il élabora selon ce mécanisme la conversation avec les ministres, datée par lui du 11 juillet 1860, au cours de laquelle le logion sur Dieu et César avait été, croyait-il, prononcé. Il trouvait dans la Storia de Bonetti ce frag-ment de dialogue entre Cavour et don Bosco: «...Senza dubbio D. Bosco cre-de nel Vangelo; ma il Vangelo dice che colui, il quale è con Cristo, non può essere col mondo; dunque se lei è col Papa e perciò con Cristo, non può esse-re col Governo. Sit sermo vester est est, non non. Siamo schietti: o con Dio o col diavolo. — Con questo ragionamento, rispose D. Bosco, sembra che il si-gnor conte voglia far credere che il Governo sia" non solo contro il Papa, ma contro il Vangelo, contro Gesù Cristo medesimo. In quanto a me stento a per-suadermi che il conte Cavour ed il comm. Farini siano giunti a tale eccesso di empietà da rinunziare persino a quella Religione, in cui son nati e furono edu-cati, e verso la quale colle parole o cogli scritti si mostrarono più volte pieni di rispetto e di ammirazione. Ma comunque sia, il Vangelo che la E.V. mi cita risponde appuntino alla difficoltà là dove Gesù Cristo dice: Date a Cesare quel che è di Cesare, e a Dio quel che è di Dio. Perciò secondo il Vangelo un suddito di qualsiasi Stato può essere buon cattolico, stare con Gesù Cristo, sentirla col Papa, fare del bene al suo simile, e nel

20 Dans un chapitre d'Aggiunte, en Documenti VII, 163; phrase dérivée du récit Ruffino. tel qu'il a été reproduit en RSS, art. cit., p. 197.

21 Voir MB VI, 680/18-20. 22 Bollettino salesiano, janvier 1885, p. 7. 23 Documenti VII, 150, n. marg.

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tempo stesso stare con Cesare, vale a dire osservare le leggi del Governo, ec-cettuato il caso che si abbia a fare con persecutori della Religione, o con ti-ranni della coscienza e della libertà...».24

Le biographe compara ce passage avec son parallèle dans Le Perquisi-zioni de don Bosco, où il trouvait: «Ma ditemi: Voi credete senza dubbio al Vangelo. Noi leggiamo che colui il quale è con Cristo non è col mondo; quin-di se voi siete col papa, non potete essere col governo. Sit sermo vester est est, non non. — Voi, signor Conte, sembra vogliate asserire che il governo sia contro al papa, a G.C., al Vangelo. Io non lo credo; ne sarò mai per credere che il conte Cavour, il comm. Farini sian' giunti a tal punto di scelleratezza di rinnegare ogni principio di moralità e di religione. Ma anche in questo caso io credo il Vangelo abbia provveduto quando disse: Date a Cesare quello che è di Cesare, date a Dio quello che è di Dio. Quindi se non si ha da fare coi per-secutori della religione, io dirò sempre che la religione cattolica sotto qualun-que forma di governo può esistere, fare del bene al suo simile, senza né urta-re, né mischiarsi colla politica, anzi serbandosi affatto e sempre estranea. — Ma l'est est, non non... (...)».25 Don Lemoyne vérifia les équivalences entre les deux textes. Le remplacement de scelleratezza (don Bosco) par empietà (Bo-netti) lui parut judicieux; de même, la transformation de la remarque: eccet-tuato il caso..., qui va nous arrêter bientôt, ne le surprit pas. Il releva seule-ment que ad ogni principio di moralità avait disparu du texte transposé et ins-crivit ces mots en marge de la version des Documenti.26

Vint le temps de la rédaction. La version de Bonetti lui parut somme toute excellente. Il se contenta de la reprendre pour ce morceau de dialogue, sans même y intégrer ad ogni princìpio di moralità}1 Mais de ce fait, il accepta aussi le gauchissement du logion par le disciple de don Bosco. Il nous faut re-lire les deux textes de près. Don Bosco tirait de la dualité des pouvoirs, qu'impliquait l'axiome: «Donnez à César ce qui est à César...», la possibilité d'une existence catholique (può esistere) sous un régime politique séparé de Dieu. Il exceptait les régimes persécuteurs et oppresseurs des consciences, parce que l'existence devenait alors difficile, peut-être même impossible, aux catholiques. Traduisons: «Si, par conséquent, on n'a pas affaire à des persécu-teurs de la religion, je dirai que la religion catholique peut exister sous n'im-porte quelle forme de gouvernement, qu'elle peut faire du bien à son

24 Bollettino salesiano, janvier 1885, p. 11-12. 25 Le Perquisizioni, éd. cit., lignes 705-717. 26 Documenti VII, 158, n. marg. 27 MB VI, 681/10-32.

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semblable, sans heurter ni se mêler de politique, au contraire en s'en tenant éloignée parfaitement et toujours. — Mais l’est est, non non?...» Etc. Dans son adaptation de la Storia, Bonetti suivait une interprétation plus et trop commune de la formule. Il en déduisait un principe non pas existentiel, mais éthique, sur l'observance de la loi civile. De l'existence catholique, il ne disait rien. «Etre avec César» équivalait pour lui à observer les lois du gouverne-ment, Il écrivait expressément: «...stare con Cesare: vale a dire osservare le leggi del Governo». Les registres différaient profondément. La réserve exis-tentielle de don Bosco sur les persecutori entraîna dans l'adaptation la réserve éthique discutable: «eccettuato il caso che si abbia a fare con persecutori della Religione, o con tiranni della coscienza e della libertà». Il convient de laisser au seul Bonetti l'entière responsabilité de la dernière partie du logion sur le Date Caesari... en 1860.

Dans les années soixante-dix, don Bosco affichait du reste, sur la sou-mission due au pouvoir civil, des idées très différentes. Il interprétait la for-mule Date Caesari, y compris au sens de l'obligation morale, selon des critè-res des plus orthodoxes. Le problème des relations avec le gouvernement de l'Italie nouvelle le tourmentait. Non expedìt. — Né eletti, né elettori... Soit! L'Eglise essayait de tenir la dragée haute aux usurpateurs des Etats pontifi-caux et de leur sainte capitale. Lui ne trouvait de solution acceptable pour les catholiques que dans l'application de la formule évangélique: «Rendez à Cé-sar ce qui est à César...» Il s'expliqua devant son maître des novices Giulio Barberis en août 1876 après l'affaire de la main tendue de Lanzo, quand, au scandale de l'opinion intransigeante, il s'était montré publiquement dans les meilleurs termes avec trois des principaux membres du gouvernement Agos-tino Depretis, le premier de la Sinistra storica. «...D. Bosco finiva — pour ré-pondre aux objections contre sa présence à la manifestation de Lanzo: — Noi abbiamo quel detto del vangelo che dice: date a Cesare quel che è di Cesare; e questo anche va eseguito. Noi non abbiam fatto altro che prestare un atto d'ossequio ad un'autorità costituita. Io credo che costoro non saranno mai più tanto nemici acerrimi dei preti...».28 Il déduisait donc de la sentence: Date Caesari..., que tout pouvoir civil méritait le respect des sujets.

Dans une circonstance solennelle, vers la fin du chapitre général de 1877, il s'expliqua longuement sur la question devant ses principaux colla-

28 G. BARBERIS, Cronichetta autografa, cahier 8, p. 72. Ces réflexions de don Bosco à Turin furent glosées et situées à Lanzo le jour de l'événement, par don Lemoyne en Documenti XVII, 431. De là, don Ceria les reversa en MB XII, 430/8-19. Ainsi formulé, le logion de 1876 est de-venu lui aussi problématique.

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borateurs. Il convient de recopier un fragment du procès-verbal de la séance du 4 octobre 1877. Le problème était celui du contenu du Bollettino salesia-no. L'exception au devoir d'obéissance, qu'il repoussait, mais qui était silen-cieusement invoquée par certains de ses auditeurs, est perceptible en filigrane à travers ses propos. Don Bosco disait:29 «Scopo nostro è di far conoscere che si può dare a Cesare quel che è di Cesare, senza compromettere mai nessuno; e questo non ci distoglie niente affatto dal dare sempre a Dio quello che è di Dio. Ai nostri tempi si dice questo essere un problema ed io se si vuole sog-giungerò che è forse il più grande dei problemi; ma fu già sciolto dal nostro Divin Salvatore Gesù Cristo. — (...) Mio gran pensiero è questo: studiare il modo pratico di dare a Cesare quello che è di Cesare nello stesso tempo che si dà a Dio quello che è di Dio. — Ma, si dice, Garibaldi è il più gran scelle-rato, il governo lo sostiene, dunque il governo... — L'unica risposta da darsi non è altro se non che: dunque il governo è cattivo. E con ciò? Il Signore ci comanda di obbedire e di rispettare i superiori "etiam discolis". Finché non comandano cose direttamente cattive, noi [lo] dobbiamo fare. Diranno di pa-gare, e noi pagheremo. — Di più non solo porteremo rispetto a Cesare finché non comandi cose direttamente cattive, ma anche in questo caso lo rispette-remo. Non si farà quella cosa che è cattiva, ma si continua a prestare ossequio all'autorità di Cesare. — Nessuno forse meglio di me vede le cattive condi-zioni in cui si trova la Chiesa e la religione in questi tempi. Io credo che da S. Pietro fino a noi non siano mai stati tempi così diffìcili. L'arte è raffinata ed i mezzi sono immensi. Nemmeno le persecuzioni di Giuliano l'apostata erano così ipocrite e dannose. E con ciò? Con tutto ciò cercheremo in tutte le cose nostre la legalità; e se son necessarie taglie si pagheranno e se non ammetto-no più le proprietà collettive, noi le terremo individuali, e se richiedono esami questi si subiranno, se patenti o diplomi si farà il possibile per ottenerle e così si andrà avanti (...) Ecco che cosa si intende di far conoscere poco alla volta e praticamente col Bollettino Salesiano; questo principio lo faremo prevalere e sarà fonte di immensi beni sia per la società civile che Ecclesiastica».

Essayons de suivre les méandres de la réflexion d'un don Bosco navi-guant sensiblement à contre-courant. A partir du Date Caesar i, qui comman-dait toute son argumentation, il posait en principe que les deux pouvoirs, le spirituel de Dieu et le temporel de César, devaient être servis; que l'immorali-té des gouvernants civils («le gouvernement est mauvais...») ne

29 Verbali del Capitolo I, cahier III, p. 42-44. Voir M. VERHULST, I Verbali del primo ca-pitolo generale salesiano, Rome, Université Pontificale Salésienne, 1980, p. 292-293.

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dispensait pas du devoir de soumission à son égard; que, seuls, les ordres d'accomplir des actes positivement mauvais n'obligeaient pas en conscience; que, même dans ces cas limites, l'autorité de César méritait encore le respect; que, quant à lui, il s'attachait à observer la légalité, même quand les lois et les décrets le persécutaient; et qu'enfin, non seulement cette attitude soumise était la seule possible dans l'attente de jours meilleurs, mais que l'Eglise comme la société civile en retireraient d'immenses bienfaits. Don Bosco retrouvait dans son discours aux salésiens la perspective existentielle du dialogue avec les ministres dans Le Perquisizioni. Il ne pouvait refuser plus ouvertement l'ex-ception d'obéissance en cas de persécution que Bonetti, dans sa Storia del-l'Oratorio, et, à sa suite, don Lemoyne dans les Memorie biografiche lui prê-teraient quelques années plus tard: «Donnez à César ce qui est à César, c'est-à-dire la soumission obéissante et le respect, même quand il est persécuteur, tyrannique et oppresseur des libertés». La deuxième partie du logion des MB VI, 681, fut donc contestée par don Bosco lui-même, qui tendait à affirmer le contraire.

* * *

La réflexion critique sur ce logion peut être poussée plus loin. On se rap-pelle que les Memorie biografiche le situent en 1860. En effet, dans Le Per-quisizioni, don Bosco s'est attribué la citation évangélique au cours de l'entre-tien avec les ministres piémontais. Il aurait donc adopté ce principe de morale politique et sociale dès 1860, au temps de l'annexion du royaume de Naples et d'une partie des Etats pontificaux aux Etats sardes de VictorEmmanuel. Fort bien! Mais ses écrits et les propos rapportés de lui avant 1870 ne font jamais état de ce principe. Et nous n'avons pour preuve de la citation Rendez à César en 1860 que son seul témoignage écrit une quinzaine d'années après l'événe-ment. Le titre: «Don Bosco tra storia e leggenda nella memoria su "le perqui-sizioni"», que les éditeurs du texte sur Le Perquisizioni ont donné à leur arti-cle, nous met en garde. Comme d'autres morceaux de la pièce, ce fragment de conversation pourrait bien relever peu ou prou de la «légende» plus que de l'«histoire» du saint... Certains observeront probablement que, dans l'impossi-bilité où nous serons toujours de connaître la teneur réelle des propos échan-gés en 1860 dans les bureaux ministériels de Turin, le parti le plus sage est d'accepter grosso modo les reconstitutions de don Bosco lui-même. Cette sa-gesse apparente est ici moins justifiée qu'on le croirait.

L'argumentation de don Bosco en la circonstance ne nous est en effet pas tout à fait inaccessible. En 1860, il avait parlé de sa conversation, il avait été écouté et des notes avaient été prises sur ses dires. Le clerc Dome-

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nico Ruffino (1840-1865), arrivé au Valdocco vers la mi-octobre 1859, avait pris rang parmi les ascritti (novices) de don Bosco le 3 mai I860,30 à la veille des «perquisitions». Dès le mois de mars précédent, ce même Ruffino avait commencé de recueillir des témoignages sur don Bosco dans des cahiers qui ont subsisté.31 Présent dans la maison lors des «perquisitions», il résuma, à la date du 26 mai 1860, la première (et seule véritable) perquisition opérée chez don Bosco.32 Il relata la deuxième «perquisition», celle du 9 juin, dans sa seule Cronaca incompleta.33 Après quoi, dans un cahier intitulé Cronache, à la date du 13 juin, il condensa un entretien que don Bosco venait d'avoir avec le ministre Farini.34

La date à peu près exacte (13 juin) de cette conversation nous importe ici pour des raisons qui apparaîtront bientôt. Elle est confirmée par des docu-ments irrécusables. Ruffino n'a pas situé en juin un événement qui se serait déroulé en juillet, comme la version des événements par Bonetti le ferait croire. Le 12 juin, don Bosco, excédé par les enquêtes dont il était l'objet, adressa au ministre de l'Intérieur Luigi Carlo Farini une longue lettre de pro-testation.35 Depuis vingt ans, écrivait-il, il se dépensait pour les pauvres gens de Turin sans avoir jamais perçu d'indemnité; il avait toujours agi en plein ac-cord avec le gouvernement; il ne s'était jamais mêlé de politique; et il atten-dait du ministre responsable de l'ordre public des conseils salutaires, non pas des avertissements brutaux et comminatoires. Au reste, le ton de sa lettre de-meurait mesuré. La réponse du ministère ne tarda pas. Datée du lendemain 13, elle subsiste toujours dans les archives salésiennes et mérite d'être repro-duite. Elle disait:

«Torino addi 13 Giugno 1860. — Il Ministro dell'Interno ha ricevuto la lettera del Signor Sacerdote D. Bosco, e per ora non essendogli concesso di rispondere al medesimo per iscritto, gli fa conoscere che se Egli volesse veni-re a questo Ministero prima delle cinque, di quest'oggi, o nella mattinata di domani, conferirà con lui direttamente. — D'ordine del Ministro. — Il Segre-tario particolare di Gab. — G. Borromeo».36

30 Telle est, tout au moins, la date indiquée par don Lemoyne en MB VI, 512. 31 Sur les cahiers de Ruffino et la chronologie de leur rédaction, voir éventuellement

l'ouvrage cité: Les Memorie I de Giovanni Battista Lemoyne, p. 142-146. 32 Ruffino nous a laissé deux notes sur cette perquisition, l'une dans Cronache dell'Orato-

rio di S. Francesco di Sales, I, 1860, p. 8-9; l'autre dans un cahier que nous désignons sous le titre de Cronaca incompleta, 1860, p. 12-14.

33 Cahier cité, p. 15-18. 34 Cronache..., I, p. 13-14. Répétons que ces divers éléments de chroniques ont été repro-

duits en RSS VIII, 1989, p. 195-199. 35 La minute de cette lettre en Epistolario I, p. 188-190. 36 Original, ACS 126.2, Governo. L'édition de la pièce en Documenti VII, 138; et, de là,

en MB VI, 639-640, a été correcte.

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Don Bosco fut donc invité au ministère de l'Intérieur, soit dans l'après-midi de ce 13 juin, soit dans la matinée du lendemain 14. Il ne pouvait qu'ac-cepter cette offre avec diligence. Il ne se rendit probablement pas au ministère le 13 «avant cinq heures» du soir; il s'y présenta vraisemblablement dans la matinée du lendemain 14. C'est du moins ce qui ressort du récit Le Perquisi-zioni, qui parla d'une entrevue fixée par le ministère à onze heures du matin.37 Dans ce cas, Ruffino aurait relaté l'événement à la date de l'invitation, c'est-à-dire au 13 juin, au lieu du 14, jour de la conversation.

La chronologie adoptée par don Lemoyne dans les Memorie ne nous au-torise pas à situer au 13 ou au 14 juin la conversation sur la soumission à l'au-torité civile, comme Ruffino nous y invite. Qu'en penser? Bonetti, qui lui fournissait la texture du récit sur les Perquisizioni, plaçait l'entretien avec le ministre le 14 juillet. Quand il rédigea ses Memorie, don Lemoyne se trouva donc devant une double chronologie pour cet épisode: celle de l'échange de lettres avec le ministère les 12 et 13 juin, confirmée par Ruffino, et celle de Bonetti un mois après. En de tels cas, comme, à son jugement, nul témoin respectable ne peut avoir tort, don Lemoyne dédoublait l'événement. L'ab-sence de date précise pour l'entrevue dans le récit de don Bosco Le Perquisi-zioni ne l'intrigua pas. Il conclut à deux entrevues différentes, l'une à la mi-juin, l'autre à la mi-juillet. Et il estima que la première, puisque Bonetti n'en avait pas parlé, avait été inutile. Il nota, pour l'entrevue du la mi-juin: «D. Bo-sco fu puntuale, e si recò al palazzo del Ministro. Ma la freddezza colla quale fu accolto dagli impiegati, l'annunzio che il Ministro non poteva riceverlo es-sendo occupato in affari di stato imprevvisti, gli fecero intendere che la tem-pesta sull'Oratorio non era ancor dissipata».38 Cette visite ne fut imaginée par le biographe que pour combler un vide. Les témoins ne connaissaient qu'une seule visite de don Bosco aux ministres, et une visite qui avait été utile. Don Lemoyne eût mieux fait, après avoir constaté le silence de don Bosco lui-même sur la date des faits, de s'en remettre à la chronique de Ruffino. Don Bosco s'était rendu au ministère à la mi-juin, non pas à la mi-juillet.

Ruffino avait écrit:

«13. D. Bosco andò a trovare il ministro Farini per domandargli lo scopo delle perquisizioni e pregarlo che se avesse qualche avviso, consiglio o provvi-denza a darmi per l'oratorio volesse farlo come padre che

37 Selon ce récit, l'entrevue avait été fixée: «dimani mattina alle ore 11». Edition citée, ligne 578.

38 MB VI, 640/7-11.

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desidera il bene de' suoi figli, non in uomo minaccioso, perché ciò cagio-nerebbe danni irreparabili ad un'opera che costò venti anni di sollecitudi-ne al governo ed ai privati. Le disse che fosse stato sempre in pieno col governo, anzi nei bisogni eccezionali faceva ricorso ai due ministeri e sempre ne aveva aiuti; che in tutti questi venti anni che esercitò il suo mi-nistero in Torino nelle piazze, nelle carceri, negli ospedali etc. tra tutto quello che disse, scrisse e stampò non si potrebbe trovare una sola parola che possa essere in opposizione al governo.

«Farini le disse: Ella mi dice che sempre fu in pieno accordo col go-verno, vuol dire adunque che le sue idee fossero come quelle di Rattazzi etc. D. Bosco rispose: Io credo che nessuno vorrà proibirmi di pensare nella mia testa come voglio, come neppure di poter esercitare nella mia camera quanto debbo davanti a Dio; ma in pubblico mi guarderò ben di fare o dire qualche cosa che sia contrario alle leggi dello stato; dobbiamo ubbidire a Dio perché Iddio è il nostro primo padre e padrone, alle leggi perché la forza lo vuole. — Dunque alle leggi obbedisce solo per forza. — Adaggio, se le leggi comandano qualche cosa contro la coscienza, sì, se però sono giuste obbedisco molto volentieri e per amore. — Ma non posso persuadermi come ella vivendo in un paese le cui leggi sono affatto contrarie alle sue opinioni, se ne stia là come un fantoccio. — Io sono sempre stato persuaso che un sacerdote può esercitare il suo ministero di carità in ogni tempo, in ogni luogo, davanti a qualunque persona sotto qualunque governo senza ponto immischiarsi nella politica. — Vada pure tranquillo, procuri solo di tenersi lontano dalla politica e seguiti a fare del bene ai poveri giovani. — Io non ho a star lontano, poiché non ci sono mai stato vicino.

«Fu condotto a Torino il Vescovo di Piacenza per sentire una predica dal Vescovo dei Vescovi il Guardasigilli...».39

D'après cette note — qui fut assurément écrite à l'audition (ou peu après l'audition) de don Bosco, dont on retrouve certains mots de la lettre du 12 au ministre Farini — à la mi-juin, le prêtre du Valdocco défendit son oeuvre et sollicita les conseils de l'autorité gouvernementale. Il répéta pour cela son ar-gumentation écrite de la veille: il avait toujours été loyal envers le gouverne-ment; jamais, en vingt ans, il n'avait parlé ou écrit contre lui. Mais alors, lui aurait observé, probablement avec un demi-sourire, le ministre Farini: «Vous êtes pour Rattazzi et ses amis!» A quoi don Bosco aurait rétorqué par une dis-tinction entre le for interne et le for externe, ou, si l'on veut, entre le privé et le public. Nul ne pouvait l'empêcher de penser en lui-même comme il l'enten-dait; mais il s'était toujours gardé de parler ou d'agir publiquement en contra-diction avec les lois de l'Etat. Il aurait alors touché au principe de morale chrétienne: «Donnez à Dieu...» Don Bosco aurait dit:

39 Cronache..., I, p. 13-14.

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«Nous devons obéissance à Dieu parce qu'il est notre premier père et notre premier maître; aux lois, parce que la force nous l'impose». La remarque tombait: «Vous n'obéissez donc aux lois que par contrainte?» Don Bosco au-rait nuancé: «Doucement! Si les lois ordonnent ce qui est contraire à la cons-cience, oui; mais, si elles sont justes, j'obéis très volontiers et par amour». Le ministre se serait étonné qu'il pût vivre «tel une marionnette» dans un pays gouverné selon des principes opposés aux siens. Et don Bosco lui aurait répli-qué, comme il le ferait jusqu'à ses derniers jours, qu'il s'efforçait de se rendre utile à la société, de servir son prochain, sans jamais se mêler de politique. Farini aurait été satisfait.

Ce n'était pas la sténographie de la conversation au ministère, car don Bosco ne s'engageait nullement à la répéter mot à mot à ses fils du Valdocco. Mais rien ne nous autorise à douter de la simple fidélité du chroniqueur, qui chercha visiblement à reprendre les formules mêmes qu'il avait cueillies sur les lèvres de son maître. Ruffino nous donne là l'écho de l'unique entretien de don Bosco au ministère à la suite des «perquisitions» de mai-juin 1860.

Dans la version postérieure du dialogue, élaborée par don Bosco au mi-lieu des années soixante-dix, la conversation selon Ruffino a son parallèle dans «Le Perquisizioni», là où Cavour cite la parole du Christ: Est est, non non. De part et d'autre, le problème est celui de la soumission à un gouverne-ment dont on ne partage pas les idées; Don Bosco explique sa conduite ap-puyé sur la morale chrétienne. Toutefois l'argumentation diffère. Non seule-ment le Date Caesari est absent de la note Ruffino, mais il ne pourrait y prendre place sans rompre le mouvement de la discussion. Alors qu'en 1875-1876, le raisonnement de don Bosco distingue entre les pouvoirs, le laïc et le religieux, pour démontrer la possibilité d'une existence catholique sous tous les régimes, selon la version de 1860 il distingue, pour expliquer sa soumis-sion au pouvoir civil, le privé et le public, l'obéissance à Dieu à qui l'on se soumet religieusement, et l'obéissance aux gouvernants, devant qui l'on plie par force ou, dans les meilleurs cas, de bonne grâce ou «par amour». En 1860, aucune allusion à des motifs religieux de soumission au pouvoir civil n'émerge du dialogue reconstitué devant Ruffino. Le principe évangélique Date Caesari n'entre d'aucune façon dans le raisonnement de morale politique développé par don Bosco. Il en est même exclu, puisque absolument rien ne permet de le supposer présent à l'esprit du prêtre devant le ministre. Il est donc pour ainsi dire assuré qu'à cette date la citation Date Caesari n'intervint pas dans la conversation de don Bosco avec Farini et Cavour (si tant est que celui-ci ait vraiment assisté à la fin de l'entretien). Elle n'y fut introduite que plus tard, dans la reconstruction des années 1875-

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1876, en un temps où don Bosco y lisait un principe chrétien de comporte-ment dans ses rapports avec un gouvernement prédateur du Saint-Siège. A s'en tenir à la version de Ruffino, en 1860 il obéissait aux lois civiles contraint et forcé, beaucoup plus que pour «rendre à César ce qui appartenait à César», et ainsi, suivre une règle évangélique.

* * *

Quelques conclusions peuvent être tirées sur le logion: Date Caesari, as-sorti de son exception, tel que les Memorie biografiche de don Lemoyne l'ont mis dans la bouche de don Bosco face aux ministres de 1860. 1) Selon toute vraisemblance, il ne figura pas, ce jour-là, dans la conversation avec le minis-tre Farini (et peut-être Cavour). En 1860, don Bosco ne faisait pas encore état de cet axiome. 2) La sentence évangélique ne fut intégrée à la conversation qu'à partir de 1875 environ, dans le récit que don Bosco luimême composa sur «le Perquisizioni». 3) La réserve gênante de sa finale sur la non-obligation de l'obéissance aux persécuteurs et aux tyrans n'était pas de lui, mais de son disciple Giovanni Bonetti dans sa Storia dell'Oratorio, répété sans discerne-ment par l'auteur des Memorie biografiche. 4) Cette réserve était parfaitement contraire à sa pensée aussi bien en 1860 qu'en 1876. A ces deux dates, fidèle observateur des lois civiles — en principe tout au moins —, il se voulait loyal envers les gouvernants légitimes, même quand, dans son for intérieur et de-vant ses intimes, il les tenait pour des «scélérats» à la Garibaldi.

4. La direction spirituelle du jeune Bosco (1861)

«Finché non fui posto al Convitto di S. Francesco d'Assisi, non ebbi mai una persona che si prendesse una cura diretta dell'anima mia. Feci sempre da me quel che mi pareva meglio; ma sotto un'assidua e accurata direzione mi sembra che avrei potuto fare più che non feci» (Propos non daté de don Bo-sco; MB I, 316/25-29).

Sous sa forme actuelle, ce logion important des Memorie biografiche ca-che, dans sa deuxième partie, un propos humoristique de don Bosco en 1861.

Don Bosco était convaincu de n'avoir jamais eu de véritable directeur spirituel avant que don Giuseppe Cafasso, le futur saint (1811-1860), eût commencé de prendre totalement soin de son âme. C'était quand, jeune prêtre (1841), il était devenu étudiant au convitto ecclesiastico de Turin, où il allait passer trois ans (1841-1844). Il écrivit dans ses Memorie dell'Oratorio:

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«...D. Caffasso (don Bosco doublait le f) che (en 1841) da sei anni era mia guida, fu eziandio mio direttore spirituale, e se ho fatto qualche cosa di bene, lo debbo a questo degno ecclesiastico, nelle cui mani riposi ogni mia delibe-razione, ogni studio, ogni azione della mia vita...».40 En 1860, don Cafasso venait de mourir. Don Bosco avait aussitôt publié sur lui une biographie,41 qui avait naturellement entraîné dans son âme une réflexion sur le rôle de don Cafasso dans sa propre existence.

A suivre la chronique de Domenico Ruffino, en ce jour de la fin mai 1861 il venait de parler à un groupe de jeunes du Valdocco d'un garçon à qui un confesseur avait donné l'absolution, alors que ce pénitent lui avait caché des fautes graves. Il l'avait convaincu de les avouer, l'avait absout sacramen-tellement et s'en félicitait devant ses auditeurs. Sans cette intervention, écri-vait Ruffino à l'écoute de don Bosco, «sarebbe andato alla tomba senza ag-giustare la sua coscienza».42 Un directeur d'âmes lui avait donc été bien utile; et les enfants de l'Oratoire avaient de la chance d'en trouver à leur disposition. Cette réflexion ou une autre analogue paraît avoir suscité dans l'esprit de don Bosco un souvenir de jeunesse. Ruffino écrivit à cet endroit de sa chronique: «Fino a che (continuò D. Bosco) non fui prete al convitto io non ebbi mai persona che si prendesse una cura diretta dell'anima mia, feci sempre da me quel che mi pareva».43 Ces derniers mots ne surprennent pas ceux qui connaissent sa théorie de la direction spirituelle: pour don Bosco, le directeur «dirigeait» vraiment son «dirigé», qui n'en faisait donc pas à sa tête. Il aimait répéter qu'au sortir du Convitto, à l'heure du choix d'un ministère, il avait abandonné toute décision à don Cafasso, lequel l'avait destiné à une aumône-rie de l'oeuvre Barolo; il ne se sentait pourtant guère de propension pour ce poste. Au contraire, jusqu'à la prêtrise, faute de directeur, il s'en était toujours remis à son propre jugement, il avait «toujours fait ce que bon lui semblait».

Cette proposition de don Bosco a reparu sans modifications importantes, d'abord dans les Documenti, puis dans les Memorie biografiche I. L'adapta-tion — déjà sensible — fut relativement faible. On vit seulement apparaître après le verbe pareva un meglio, qui commençait d'infuser à la réflexion une portée édifiante. Giovanni Bosco optait toujours pour le mieux! On lisait: «On entendit don Bosco répéter à plusieurs reprises: — Tant que je ne fus pas pla-cé au convitto de S. François d'Assise, je n'eus ja-

40 MO 123/67-71. 41 G. Bosco, Biografia del sacerdote Giuseppe Caffasso..., Turin, Paravia, 1860. 42 D. RUFFINO, Cronache..., 1861, 2, 3..., p. 67-68. 43 D. RUFFINO, ibid., p. 68.

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mais personne qui prît un soin direct de mon âme. Je fis toujours moi-même ce qui me paraissait le mieux (quel che mi pareva meglio)».44 Dans les Memo-rie, le logion actuel est donc jusque-là à peu près authentique, ou, si l'on veut, «historique». Don Bosco a bien affirmé avoir été livré à lui-même sans direc-tion spirituelle proprement dite, jusqu'après son ordination sacerdotale.

Mais la suite pose problème. Car don Bosco n'a pas prétendu que «sotto un'assidua e accurata direzione mi sembra che avrei potuto fare più che non feci». Cette phrase est l'adaptation maladroite d'une réflexion enregistrée à la suite de la précédente en 1861. Comme, à partir de don Lemoyne, elle semble n'avoir jamais été comprise dans son véritable sens, sauf, j'imagine, par les auditeurs immédiats du saint, il vaut la peine de s'y arrêter.

Dans les Documenti I, donc vers 1885, la finale primitive du logion per-sistait, encore qu'atténuée par un sembra, déjà significatif de l'étonnement du rédacteur. On lisait alors: «...che mi pareva meglio. Se avessi avuto per diret-tore D. Bosco, mi sembra che avessi fatto molto più che non feci». En effet, Ruffino avait écrit crûment: «...feci sempre da me quel che mi pareva, ma se avessi avuto per direttore D. Bosco avrei fatto molto più cose che non feci». La réflexion à première vue surprenante de don Bosco avait probablement causé quelque remords à Ruffino lui-même (décédé en 1865, rappelons-le), quand il avait relu sa page de chronique, car, à partir de: ma se avessi, ses mots furent raturés l'un après l'autre sur son cahier et, à juger par l'encre et le mouvement de la main, par ses soins. C'était le début des avatars du malheu-reux logion. Aux lecteurs successifs, l'apparente fatuité d'un prêtre, qui affir-mait de soi: «Si j'avais eu moi-même pour me diriger, j'en aurais fait bien plus!» sembla incroyable dans le cas de don Bosco. Il s'était mal exprimé. Don Lemoyne, en règle ordinaire infiniment respectueux des formules attri-buées à son héros, commença par adoucir celle-ci dans les Documenti. Un «il semble» la rendait moins risquée. Puis, quand il rédigea son premier tome des Memorie biografiche (1898), il sauta le pas. La phrase devait lui être insup-portable. Il tenta de rendre autrement l'idée qu'il croyait déceler sous ces mots. A son estime, ce jour-là don Bosco avait voulu dire que sa valeur personnelle eût été de beaucoup accrue si un authentique directeur de conscience l'avait contrôlé dans sa jeunesse. Il lui restitua sa pensée. La phrase des Memorie dûment attribuée à don Bosco: «...mais sous une direction assidue et attentive il me semble que j'aurais pu faire plus de bien que je n'en ai fait», naquit de là. L'embarras du rédacteur est encore

44 Documenti I, 149; ces lignes ont été reproduites telles quelles en MB I, 316/25-28.

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décelable dans le maintien du; sembra et la disparition du: molto. En vérité, cette interprétation était fausse. Don Lemoyne ne comprenait

pas la formule du chroniqueur. La réflexion, lancée par don Bosco un jour de mai à des jeunes gens qui buvaient toutes ses paroles, n'était qu'humoristique, au sens assez strict donné de nos jours à une figure de rhétorique particulière. Le lecteur nous pardonnera peut-être un bref excursus sur elle.

L'humour est, à certains égards, proche de l'ironie. Par l'ironie, une chose est dite à la place de son contraire. L'ironie est une «figure de rhétorique par laquelle on exprime le contraire de ce que l'on veut faire entendre. — Dans la langue de l'ironie, "C'est du joli!", "C'est du propre!" veulent dire: "C'est hon-teux!", "C'est répugnant!"»45 Dans le langage parlé, la mimique et renoncia-tion restituent aux mots leur vraie signification. Que le ton du parleur soit faussement enjoué; qu'il soit sifflant, emporté, cassant, et l'auditeur comprend que le sens habituel des mots doit être retourné. Les choses changent dans l'écrit. L'ironie peut fausser la communication. Elle risque d'être incomprise. «Le contexte doit toujours la préparer avec grand soin. On a proposé un signe de ponctuation spécial, le point d'ironie, pour désigner au lecteur la valeur in-verse du propos».46 L'auteur auquel nous nous référons semble ne connaître que la dure ironie de l'orgueilleux, qui écrase autrui de son dédain. Mais cette figure peut être douce et comprehensive. «L'Ironie et la Pitié sont deux bon-nes conseillères; l'une en souriant, nous rend la vie aimable; l'autre, qui pleure, nous la rend sacrée», a écrit Anatole France.47 L'ironie douce est vo-lontiers familière. Quand une mère ou un éducateur disent au petit garçon qui a taché son tablier: «C'est du propre!», l'ironie, bien perçue, n'écrase guère.

Toutefois, quand le langage est cordial, on préfère parler d'humour plutôt que d'ironie. Car, «l'Ironie est surtout un jeu d'esprit. L'Humour serait plutôt un jeu de coeur, un jeu de sensibilité».48 L'humour, qui peut inclure l'ironie, ne se confond pourtant pas avec elle. C'est «une forme d'esprit qui consiste à présenter la réalité de manière à en dégager les aspects plaisants et insolites, parfois absurdes, avec une attitude empreinte de détachement et souvent de formalisme», dit excellemment un bon lexicographe

45 H. MORIER, Dictionnaire de poétique et de rhétorique, Paris, PUF, 1961, p. 217, s.v. Ironie.

46 D'après H. MORIER, ibid. 47 A. FRANCE, Le Jardin d'Epicure, Paris, Calmann-Lévy, 1895, p. 94. 48 J. RENARD, Journal, 1er janvier 1894; coll. Bibliothèque de la Pléiade, Paris, 1965, p.

195.

Autour de six logia attribués à don Bosco dans les Memorie Biografiche 29

contemporain.49 La sensibilité de l'humour exclut même l'ironie proprement dite, estime-t-on quelquefois: «L'humour se pourrait définir: une gaîté gra-tuite, n'engageant rien, mise là pour le seul plaisir de la plaisanterie. Alors que l'ironie (...) comporte un jugement et fait toujours une victime».50

Ce long détour n'est pas vain, même pour comprendre le langage uni de don Bosco. En effet, ses biographes ne se sont pas toujours aperçus qu'il était lui aussi capable d'ironie et d'humour. Ils se sont mépris sur un cas flagrant d'ironie souriante dans un passage très connu des Memorie dell'Oratorio. A la suite du récit en famille du songe des neuf ans, les auditeurs émettent un avis l'un après l'autre. «Il fratello diceva: — Tu diventerai guardiano di capre, di pecore o di altri animali. — Mia madre: — Chi sa che non abbi a diventar prete. — Antonio con secco accento: — Forse sarai capo di briganti». Jusqu'à cet endroit, le récit est lisse. Mais il y a alors cette ligne, que les anciens histo-riens de don Bosco n'ont jamais comprise: «Ma la nonna che sapeva assai di teologia, era del tutto inalfabeta, diede sentenza definitiva dicendo: — Non bisogna badare ai sogni».51 Ironique, la relative: «che sapeva assai di teolo-gia» signifiait à sa manière: «qui ignorait tout en science religieuse». Pour éclairer le lecteur, don Bosco avait même aussitôt ajouté dans une sorte de pa-renthèse: «Elle était parfaitement analphabète», qui constituait le point d'iro-nie de sa phrase.52 Sa précaution n'a pas suffi. Don Lemoyne dans les Memo-rie biografiche de 1898 et le P. Auffray dans sa traduction française des Me-morie dell'Oratorio en 1951 ont pris à la lettre la proposition: «che sapeva as-sai di teologia». Dans l'adaptation du premier: «Ma la nonna, che sapeva assai di teologia ed era del tutto analfabeta, diede sentenza definitiva dicendo: — Non bisogna badare ai sogni»,53 le coordonnant ed marquait l'équivalence éta-blie dans l'esprit du rédacteur entre la relative ironique et l'avertissement qui l'éclairait: c'était pour lui deux qualités de la nonna. Quant au P. Auffray,54 que le terme de «théologie» surprenait à propos d'une ignorante, il commença par le remplacer par celui de «religion», qui était inexact. Puis il transforma en concessive le lem-

49 Grand Robert de la langue française, 2ème éd., t. 5, Paris, 1985, p. 287, s.v. Humour. Les Italiens donnent un sens beaucoup plus large au mot: Umorismo.

50 E. HENRIOT, Maîtres d'hier et contemporains. Courrier littéraire, Paris, Albin Michel, 1955, s.v. A. France, V.

51 MO 25/212-217. 52 On sait que la ponctuation originale des Memorie dell'Oratorio était très parcimo-

nieuse. Il n'y avait pas de parenthèses pour: «era del tutto inalfabeta». 53 MB I, 126/4-6. 54 «Mais grand'mère qui possédait beaucoup de religion, tout en ne sachant ni lire ni

écrire, termina la discussion en disant: "Il ne faut pas prendre garde aux songes"». (S. JEAN Bosco, Quarante années d'épreuves, trad. A. Auffray, Lyon-Paris, Vitte, 1951, p. 14.)

30 Francis Desramaut

me juxtaposé et poursuivit: «tout en ne sachant ni lire ni écrire», avouant on ne peut plus éloquemment qu'il lisait de travers la phrase teintée d'ironie de don Bosco.

Ces observations devraient préparer à l'exacte compréhension de la pro-position que Ruffino enregistra un jour de mai 1861. Quoi que don Lemoyne en ait pensé, la réflexion: «...ma se avessi avuto per direttore D. Bosco, avrei fatto molto più cose che non feci», ne peut pas être plus prise à la lettre que l'information inattendue sur la nonna Bosco: «sapeva assai di teologia». Don Bosco a pu estimer à part soi et même en public que, s'il avait eu un bon di-recteur de conscience dans sa jeunesse, il eût été mieux formé et que sa réus-site sociale eût été meilleure, comme son biographe le lui a fait dire. Mais, en l'occurrence, quand lui-même se mit en scène après avoir évoqué ses années passées, il ne voulut certainement pas formuler cette idée-là. Il imaginait de-vant ses jeunes son dédoublement au collège et au séminaire de Chieri: un Giovanni Bosco guidé par un don Bosco; et il tirait du tableau fantaisiste une conséquence logique. Le spectacle était cocasse pour lui comme pour ses au-diteurs. La logique de la conséquence ajoutait à la bizarrerie de la scène. Tous les ingrédients de l'humour ironique étaient réunis: une situation invraisem-blable, qu'il fallait évidemment prendre à rebours; une conséquence logique, mais que le point de départ rendait impossible; et l'objectivation de soi par le narrateur, impliquant par là un certain détachement. La formule: «Si j'avais eu don Bosco pour directeur de conscience, j'en aurais fait beaucoup plus!», sans les il semble et autres adoucissements de commentateurs effarouchés, n'était destinée qu'à égayer un entretien familier. En 1861, la mimique et le ton de la voix aidant, les auditeurs intelligents de don Bosco ne s'y laissèrent proba-blement pas prendre. Ils reçurent la plaisanterie comme telle.

Quant à nous, cette étude d'un logion de don Bosco en MB I nous aura appris: 1) que sa seule première partie, sur sa jeunesse sans directeur spirituel, est historique, encore que son caractère édifiant ait été renforcé par un meglio ignoré du témoin primitif; 2) que la réflexion de sa deuxième partie, sur son rendement social, qui eût été meilleur avec un directeur averti, est apocryphe. «Ma sotto... che non feci» fut une création du biographe surpris par un logion qu'il comprenait de travers. Le logion humoristique, qui disparut dans l'aven-ture, mérite d'être restitué à don Bosco. Il disait en riant: «Si j'avais eu un don Bosco pour directeur de conscience à Chieri, que n'aurais-je pas fait ensuite!» Un biographe sans finesse le prit au sérieux. Les saints courent tous les dan-gers!

Autour de six logia attribués à don Bosco dans les Memorie Biografiche 31

5. La vocation de don Bosco

«Ma la Vergine Maria, ci narrava più tardi D. Bosco, mi aveva indicato in visione il campo nel quale io doveva lavorare. Possedeva adunque il dise-gno di un piano, premeditato, completo, dal quale non poteva e non voleva assolutamente staccarmi...» (Propos non datés; MB III, 247/11-15).

L'auteur des Memorie se dispose, sur cette page, à raconter la visite de don Bosco en 1847 à Antonio Rosmini dans sa résidence de Stresa, en vue d'une entrée éventuelle dans la congrégation de l’Istituto della Carità. En fait, il retrouvera Turin, où sa «vocation» le fixait. Don Lemoyne reproduisit là des propos qu'il tint un jour, assure-t-il, sur sa vocation et l'origine de son oeuvre: «Mais la Vierge Marie m'avait indiqué dans une vision le champ dans lequel je devais travailler. Je possédais donc le dessein d'un plan prémédité, complet, auquel je ne pouvais ni ne voulais absolument pas renoncer».

Maîtres des novices et prédicateurs salésiens se sont plus depuis un siè-cle à introduire par ces lignes leurs discours sur «la vocation de don Bosco». Lui-même en avait parlé et dit l'origine! Toutefois, sous des dehors limpides, ces phrases mettent bientôt mal à l'aise celui qui en analyse le contenu. La genèse de l'oeuvre à accomplir est d'abord donnée comme essentiellement surnaturelle et mariale. Puis, à la phrase suivante, le «plan» de don Bosco est dit «prémédité». Il suffirait d'ôter l’ adunque de la deuxième phrase pour que ce «projet» devienne très humain, un «plan prémédité, complet, auquel il ne pouvait ni ne voulait absolument pas renoncer». Problème, cher don Le-moyne!

Laissés aux seules Memorie, nous ne pourrions qu'inscrire un point d'in-terrogation dubitatif dans la marge de cette page du tome III. Mais la méthode de travail de notre compilateur facilite l'examen de ces sortes de questions. Celle-ci, certainement non secondaire pour la biographie spirituelle de notre saint, mérite de nous arrêter. Quelle était la nature du projet fondateur de ce qui deviendra, non seulement la congrégation, mais toute la famille salé-sienne?

Le logion retenu naquit d'une conversation entre don Bosco et trois de ses collaborateurs les plus proches: don Rua, don Lazzero et don Barberis,55

dans la soirée du jour de l'an 1876. Barberis, auditeur très intéressé, parce

55 Michele Rua (1837-1910), qui succédera à don Bosco, était alors préfet général de la congrégation salésienne; Giuseppe Lazzero (1837-1910), devenu conseiller général en 1874, avait la responsabilité de la maison de l'Oratoire de Turin; Giulio Barberis (1847-1927) avait reçu, en 1874, la charge de maître des novices, dits ascritti par don Bosco.

32 Francis Desramaut

qu'il avait l'intention d'utiliser les explications de don Bosco dans ses allocu-tions aux novices, prit en l'écoutant des notes détaillées, à partir desquelles il couvrit ensuite onze pages de chronique de sa fine écriture.56 Les premières lignes constituent le cadre de l'entretien: «Sabbato a sera 1o Gennajo 1876. — In quella sera il Signor D. Bosco ebbe poco da confessare, essendoché la maggior parte era già andata nei due giorni antecedenti per poter far la comu-nione il primo giorno dell'anno. Dopo la cena ebbe tempo a discorrere di mol-te cose riguardanti l'oratorio antico, sul qual discorso a bello studio lo posi io dicendogli come adesso desiderava, alla sera dopo le orazioni, raccontare ai cherici (sic) Ascritti, qualche cosa delle antichità dell'Oratorio. D. Lazzero e D. Rua che erano anche presenti fecero le loro congratulazioni dicendo dover riuscir questo d'un gran bene per due grandi motivi: Io S'istruiscono delle cose nostre, dei nostri metodi, prendendo il vero spirito della casa. — 2° Questo serve grandemente a renderli affezionati ed attaccati all'Oratorio ed alla Con-gregazione. Il Signor D. Bosco intanto s'introdusse a parlare e alternativamen-te con noi tre si venne sui seguenti discorsi». Don Bosco fut donc à la source immédiate des notes prises à cet endroit sur le cahier du maître des novices; et il parla de son entreprise salésienne avec un soin particulier. Au reste, lui-même remarquait aussitôt: «Veramente nei principii degli oratorii ci furon co-se tanto importanti e tanto poetiche insieme che desidererei io stesso di poter radunare varii e raccontarle loro».

A l'initiative de don Rua, la conversation porta d'abord sur les décennies successives de l'Oratoire, qui avait d'abord été vagabond (jusqu'en 1846), était devenu stable (jusqu'en 1855), avait commencé de se multiplier par des oeu-vres proches (jusqu'en 1865) et venait enfin, en 1875, de franchir les frontiè-res.57 Puis don Bosco lui-même rappela quelques traits de son aventure du cimetière de S. Pietro in Vincoli avec don Tesio et sa bonne irascible; il redit l'histoire de l'acquisition de la maison Pinardi et des fonds qui avaient permis de la payer; il raconta la visite à l'Oratoire d'Antonio Rosmini et de Pietro De Gaudenzi;58 il parla du marquis Gustave et du comte Camille Cavour et enfin de l'agrégation, envisagée par beaucoup d'ecclésiastiques de Turin, de l'ora-toire St François de Sales aux autres oratoires de la ville, ce à quoi il ne s'était jamais résolu. Car, expliquait-il, il avait son plan.

56 G. BARBERIS, Cronichetta autografa, cahier 3, p. 46-56. 57 Répartition des décennies qui ne coïncidait pas entièrement avec celle de don Bosco

en MO. 58 Ce prêtre, qui aimait beaucoup don Bosco, était devenu évêque de Vigevano.

Autour de six logia attribués à don Bosco dans les Memorie Biografiche 33

Le dernier thème de la soirée, celui d'où notre logion allait être tiré, commençait de germer. Don Bosco avait eu des velléités d'unir son oeuvre à celle des Rosminiens et même d'entrer dans leur congrégation. Il faut à cet endroit recopier Barberis: «Ella Sig. D. Bosco, stette ben qualche giorno a far il noviziato dai Rosminiani? — No; m'era venuto in pensiero di farmi ascrive-re o tra gli Oblati qui di Torino o fra i Rosminiani; frequentava le loro case come quando rosminiani venivano a Torino passavan qui; ma vedendo bene il loro spirito io non ne presi parte. Dalla parte mia mi pare che sarei stato ob-bedientissimo a chiunque e troppo volentieri; ma io aveva un piano fatto e premeditato, piano da cui non poteva e non voleva assolutamente staccarmi. Osservai se lo potrei eseguire in qualche istituto già esistente; ma, mi avvidi che no; e non mi feci ascrivere a nessuna istituzione, anzi pensai io a circon-darmi di fratelli in cui potessi infondere ciò che sentiva io. Oh mi sarebbe sta-to ben più caro, sotto la condotta altrui, cioè sotto l'obbedienza, poter condur-re avanti il mio piano; ma quando uno è assolutamente risponsale d'una riu-scita; ed io vedeva chiaro le file da tendere, i mezzi per riuscirvi, io non pote-va darli a vuoto. — Insomma qui D. Bosco pareva un po' imbrogliato nel tro-var le espressioni che dicessero quel che voleva dire ma non si lasciasse capi-re in tutto da noi...». Le récit de la conversation du 1er janvier s'arrêtait là. Don Barberis poursuivait sa note par des considérations que nous retrouve-rons dans un instant.

Le lecteur attentif aura repéré dans les lignes citées la phrase: «...ma io aveva un piano fatto e premeditato, piano da cui non poteva e non voleva as-solutamente staccarmi», qui figure quasi mot à mot dans le logion à l'étude ici. Et ce «plan prémédité», avec ses «file da tendere», ses «mezzi per riuscir-vi», don Bosco le revendiquait comme sien et se disait même «assolutamente risponsale» de sa réussite. Il avait voulu une oeuvre qui fonctionnât selon son esprit et ses méthodes à lui. Ses projets d'entrer chez les oblats de Marie ou chez les rosminiens avaient ainsi fait long feu.

* * *

Le logion des Memorie biografiche nous apprend qu'une autre interpréta-tion s'est imposée à la tradition salésienne. Non seulement le «plan prémédi-té» fut pour ainsi dire dicté par Marie à don Bosco; mais celui-ci avait affirmé cette origine le jour où il en avait parlé à ses confrères. Nous sommes ici de-vant un cas très curieux de logion sécrété par une communauté de disciples.59

59 Le rédacteur pense ici au rôle que Rudolf Bultmann attribuait à la communauté primi-

34 Francis Desramaut

A l'audition déjà, don Barberis crut que don Bosco avait son idée derrière la tête quand il narrait ses tentatives sans lendemain auprès des oblats et des rosminiens. Mieux, le chroniqueur connaissait cette idée, l'explicitait et la couchait immédiatement sur son cahier. Il termina ainsi sa relation du 1er janvier 1876: «A me pare schietto e netto che volesse dire così: "Maria Ver-gine m'aveva indicato in visione il campo in cui io doveva lavorare; mi fece vedere i mezzi da adoperarsi per riuscirvi. Io non avendo compagni e non po-tendo da solo cercai di aggregarmi a qualche istituto in cui mi si lasciasse compire il mio disegno insegnatomi da M.V. o mi dessero dei compagni per poterlo eseguire. Ma trovando che lo spirito di questi istituti, poniamo pure che fosse santissimo, non corrispondendo a quel che voleva io, me ne stetti da solo e cercai i compagni da farmi e lasciai quei sembravan compagni già fat-ti". — E questo par chiaro a noi che sappiamo D. Bosco avere già i suoi piani premeditati cioè suggeritigli da Maria Vergine, per lo meno dall'anno 1843-44 in cui ebbe la celebre visione del nastro con cui legar la testa ai suoi».60 L'é-quivalence entre les piani premeditati de don Bosco et les piani suggeritigli da Maria Vergine commençait d'apparaître. Le surnaturalisme du chroniqueur Barberis le détournait d'imaginer une grâce de vocation coexistant avec une laborieuse recherche humaine. C'était l'un ou l'autre.

Le logion entama son évolution vers 1885, quand la Cronichetta de Bar-beris fut reprise (sous la surveillance attentive du maître) pour entrer parmi les sources de la biographie de don Bosco, désormais en préparation.61 La dernière portion de l'entretien du 1er janvier 1876 y constitua un élément à part sous le titre: «La vocazione di D. Bosco»,62 alors que, on aura pu le no-ter, le mot vocazione n'avait pas figuré dans l'entretien enregistré. La péricope ainsi désignée fut destinée à prolonger un paragraphe de la chronique nou-velle de Barberis dit: Le Vocazioni.61, L'histoire de la vocation

tive dans l'interprétation du message de Jésus. Voir, éventuellement, A. MALET, Mythos et Lo-gos. La pensée de Rudolf Bultmann. Lettre-préface de R. Bultmann, Genève, Labor et Fides, 1962, p. 61.

60 G. BARBERIS, Cronichetta autografa, cahier 3, p. 56. 61 II s'agit de la Cronichetta dite: di varie mani du catalogue de la Microschedatura du

Fondo Don Bosco, dont certaines pages, parce que transcrites sur des feuilles de petits registres portant à la ronde des noms de clercs salésiens bien connus et entrés au noviciat en 1885, Euge-nio Ceria par exemple, ne peuvent qu'être contemporaines ou postérieures à cette année-là.

62 Ce titre fut inscrit dans la marge de la Cronichetta autografa, p. 55, probablement à l'intention du rédacteur de la Cronichetta varie mani.

63 Cronichetta varie mani, cahier III, fol. 41-45. Remarquons tout de suite que, dans le recueil actuel des archives salésiennes, les fol. 46-54, intermédiaires entre ce titre et celui de: La Vocazione di D. Bosco, sont absents.

Autour de six logia attribués à don Bosco dans les Memorie Biografiche 35

de don Bosco illustrait au mieux la «vocation salésienne». Nous découvrons là le fragment désormais distinct de la conversation du 1er janvier: «La Voca-zione di D. Bosco. — Ella, Sig. D. Bosco, stette ben qualche giorno a far il noviziato dai Rosminiani? — No; m'era venuto in pensiero...» Etc. Et le mor-ceau continue jusqu'à: «...del nastro con cui legar la testa a' suoi», incluant par conséquent l'interprétation du chroniqueur reproduite plus haut.64 Le titre qui coiffait désormais la péricope isolée incitait encore un peu plus le lecteur à entendre don Bosco dans le sens de son commentateur. Quand il les redisait aux novices, à qui, nous nous en souvenons, le récit était destiné, don Barbe-ris sautait très vraisemblablement l'obstacle. Il faisait parler don Bosco comme lui-même l'avait compris. C'était «schietto e netto»: «Maria Vergine m'aveva indicato in visione il campo in cui io doveva lavorare...» Etc.

Le logion poursuivit son chemin dans l'historiographie salésienne. Vers le milieu des années quatre-vingt, don Lemoyne reçut pour ses Documenti la péricope isolée de la Cronichetta Barberis nouvelle manière. Dans sa compi-lation, il répartissait les pièces selon une chronologie relativement fine. Il re-tint le fragment de 1876 pour l'année 1847, quand don Bosco entreprit (diton) un voyage à Stresa auprès du célèbre Antonio Rosmini.65 Et, pour ce chapitre de son histoire, il transposa à la troisième personne les propos de don Bosco, qui étaient à la première personne dans Barberis. Nous lisons dans le troisiè-me registre des Documenti: «Intanto in questo stesso anno nell'autunno, deci-devasi di fare un viaggio a Stresa. Pieno dell'idea della sua missione, cercava di poterla consolidare e perpetuare. Prima perciò era venuto nel pensiero di farsi ascrivere fra gli Obblati {sic) di Maria in Torino, e poi di aggregarsi ai Rosminiani. Egli frequentava le case di questi ultimi...» Etc. La source im-médiate du passage était bien celle que nous connaissons. Mais voyons la suite. Un compilateur prend légitimement quelque liberté quand il transpose un texte en je en texte en il. Il développe sa propre vision, qui est celle du nar-rateur. L'engagement diffère. Notre biographe exprima donc «schietto e net-to», mais à la manière de Barberis, la pensée de don Bosco sur l'orientation de sa vie en cette année décisive. Ce fut: «...Da parte sua era disposto ad essere obbedientissimo a chiunque gli avesse commendato, anzi avrebbe preferito poter condurre avanti il suo piano sotto la condotta altrui, cioè guidato dal-l'obbedienza di un superiore. Ma la Vergine Maria avevagli indicato in visio-ne il campo nel quale doveva lavorare. Esso

64 Cronichetta varie mani, cahier III, fol. 55-56. 65 Nous ne disons rien ici de la réalité et, moins encore, de la date dudit voyage: la ques-

tion reste ouverte.

36 Francis Desramaut

aveva un piano fatto, premeditato, dal quale non poteva e non voleva assolu-tamente staccarsi...» Etc.66

La transformation était acquise dans l'historiographie salésienne en ges-tation. A l'étape des Documenti, l'interprétation de la communauté recouvrait déjà entièrement le récit de la vocation de don Bosco. L'explication «natu-relle» des faits disparaissait comme telle.

Nous touchons au tome des Memorie biografiche (1903), qui raconta don Bosco en 1847. La page des Documenti sur son voyage à Stresa y fut travail-lée selon les principes coutumiers de don Lemoyne: addition de compléments reçus dans l'intervalle, reprise de tous les éléments documentaires, respect re-lativement scrupuleux des formules, réorganisation logique des paragraphes et enfin, l'occasion se présentant, dramatisation du récit par recours à la première personne et intervention directe du héros. Don Lemoyne avait ici quelque ex-cuse à opter pour ce procédé, car pareilles confidences ne pouvaient provenir que de don Bosco. S'il la connut jamais, il avait probablement oublié leur ori-gine première dans un entretien au Valdocco le 1er janvier 1876. En revanche, le caractère surnaturel et mariai de la vocation de don Bosco ne faisait aucun doute pour lui. L'authenticité de la phrase: «Ma la Vergine Maria...» lui était évidente. Et il tomba dans le piège que la rétroversion lui préparait. Arrivées à ce moment de la vie de don Bosco, les MB III, 247 commencent par dire à la troisième personne en arrondissant à peine les phrases des Documenti:67 «...Desiderava vivamente di circondarsi di confratelli, nei quali potesse infon-dere ciò che egli sentiva nell'ardente suo cuore. Da parte sua era disposto ad essere obbedientissimo a chiunque nell'Istituto da lui prescelto, fosse deputato a comandargli; anzi avrebbe preferito poter condurre avanti il suo piano, pas-so per passo, sotto la condotta altrui, cioè guidato dall'ubbidienza di un supe-riore». Le virage de la troisième à la première personne fut pris à l'endroit où le ciel intervenait: «Ma la Vergine Maria, ci narrava più tardi D. Bosco,68 mi aveva indicato in visione il campo nel quale io doveva lavorare. Possedeva adunque il disegno di un piano, premeditato, completo, dal quale non poteva e non voleva assolutamente staccarmi». Pour qualifier ce plan devenu surnatu-rel, premeditato a subsisté, seul fatto est tombé; et le logion SL reçu sa forme définitive. Un adunque — encore inconnu des Documenti — y a créé la suture surnaturalisante entre le premier élément et la suite. En pleine cohérence avec l'appel

66 Documenti III, 151. 67 Les modifications apportées aux Documenti ont été soulignées. 68 Dans les références des Memorie, le ci et le noi désignent toujours des membres de la

communauté salésienne, sans que don Lemoyne y soit nécessairement inclus, bien au contraire. Il ne faut surtout pas imaginer pour ces lignes une source parallèle.

Autour de six logia attribués à don Bosco dans les Memorie Biografiche 37

céleste du point de départ, quelques lignes plus bas, ce qui était encore un di-segno dans les Documenti devint un mandato dans les Memorie: «...Ciò non ostante in questo stesso anno 1847 volli osservare con maggior diligenza se già esistesse qualche Istituzione nella quale io potessi aver la sicurezza di e-seguire il mio mandato...».69

Assurément, don Bosco était convaincu que la Vierge Marie avait prési-dé à la naissance de son oeuvre et à sa vocation. La structure de ses Memorie dell'Oratorio, qui venaient d'être rédigées (1873-1875 environ pour l'essen-tiel), suffirait à en témoigner. Il y partageait l'histoire de son oeuvre en décen-nies, dont la première commençait, non pas en 1841 avec la rencontre du jeune Garelli dans la sacristie de l'église S. François d'Assise à Turin, mais en 1825, aux Becchi et à la suite de son rêve primordial des neuf ans. Toutefois, cet appel ne l'avait jamais empêché de construire des plans et de nourrir des projets qui lui étaient propres. Il en élabora même toute sa vie. La période 1847-1849 semble avoir été particulièrement féconde. Il avait alors eu affaire à un cercle d'ecclésiastiques, auquel beaucoup dans sa ville auraient voulu l'intégrer. Dans l'entretien de 1876, il assurait avoir été en l'occurrence prêt à obéir parfaitement à autrui. Sans doute, sans doute! Mais n'y reconnaissait-il pas aussi avoir suivi son chemin tout à fait à sa tête et à sa convenance? Les notes de Barberis interdisent d'en douter.

L'histoire de son âme, pour être honnête, doit en tenir compte. Il avait en lui, expliquait-il en 1876, un plan «fatto, premeditato, dal quale non poteva e non voleva assolutamente staccarsi». Nous restituerons donc à don Barberis, à don Lemoyne et à la communauté salésienne des années 18751900 la pre-mière phrase du logion sur «la vocation de don Bosco». «Ma la Vergine Ma-ria mi aveva indicato in visione il campo nel quale io doveva lavorare» fut une traduction enthousiaste de la pensée de don Bosco, telle qu'il l'exprima le soir du 1er janvier 1876. Comme telle, la phrase est apocryphe. En outre, par un effet de juxtaposition et surtout par un adunque conjonctif, elle a modifié le sens de la phrase suivante. Car, isolée et débarrassée de cet adunque, cette phrase constitue un logion authentique de don Bosco. Il a vraiment dit (ou à peu près) au cours de l'entretien du 1er janvier 1876, que don Giulio Barberis enregistra aussitôt et avec soin: «Possedeva il disegno di un piano, premedita-to, completo, dal quale non poteva e non voleva assolutamente staccarmi». Car il était personnel, il était tenace, il voulait un entourage de collaborateurs dévoués. La volonté persévérante ne fut pas la moindre des qualités du vrai don Bosco. La physionomie actuelle du logion de MB III, 247, ne permet plus de le vérifier. Dommage!

69 MB III, 247/20-23. «Disegno» en Documenti III, 310.

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6. Le dérapage à la première personne dans l'histoire du jeune ressuscité (1882)

«Io entrai nella camera, io gli dissi, egli mi rispose» (don Bosco dans l'histoire du jeune ressuscité, Borgo San Martino, 1882; MB III, 500/19).

Dans la biographie de don Bosco, l'épisode de Carlo le ressuscité est des plus excitantes pour l'historien.70 Elle ravit les amateurs de merveilleux. «Au faîte de ces miracles incontestés et pour clore ce chapitre, écrivait autrefois le P. Auffray au terme d'un paragraphe sur don Bosco thaumaturge, plaçons ce récit qui pourrait faire hocher la tête à certains positivistes impénitents, si le faisceau de témoignages qui le corrobore n'en établissait la solide véracité».71 A l'inverse, d'autres esprits, moins ardents et ne relevant pas pour autant de «positivistes impénitents», ont depuis longtemps observé que don Bosco lui-même, qui, pourtant, ne répugnait pas à être proclamé faiseur de miracles, fit retirer celui-là de son histoire par le niçois Charles d'Espiney.72

On rétorque aux hésitants que, si le saint homme le raconta le plus sou-vent à la troisième personne et sans se mettre lui-même en scène, un soir de 1882, à Borgo San Martino, il dérapa soudain: «Io entrai nella camera, io gli dissi, egli mi rispose»; et qu'il reconnut ainsi à la fois l'authenticité des faits et la place qu'il y avait tenue. Il convient de commencer par reproduire entière-ment le passage du volume III des Memorie biografiche qui relace cet inci-dent.

«...Se non ché una sera del 1882 si tradì senza accorgersene, raccontando questo avvenimento ai giovani di Borgo S. Martino dopo le orazioni della sera. Avendo egli la mente stanca all'estremo, a metà della descrizione, repentinamen-te mutò modo di parlare, la terza persona in prima, dicendo: Io entrai nella came-ra, io gli dissi, egli mi rispose, e proseguì la sua narrazione per lungo tratto e sul finire ritornò alla terza persona. Lo scrittore di queste memorie era presente. I Salesiani si guardavano alla sfuggita con occhiate significative, i giovani lo contemplavano

70 P. STELLA, Don Bosco nella storia della religiosità cattolica, I, 2ème éd., Rome, LAS, 1979, p. 257-292, lui a consacré une longue note, assortie d'un précieux appendice documen-taire; A. DRUART, «La résurrection de Charles», Cahiers du Groupe lyonnais de recherches salé-siennes, 15, janvier 1969, tout un petit fascicule.

71 A. AUFFRAY, Un grand éducateur, le bienheureux don Bosco, Lyon-Paris, Vitte, 1929, p. 292.

72 Nous la lisons sous le titre: Lève-toi à l'extrémité de C. d'EspiNEY, Dom Bosco, Nice, Malvano-Mignon, éd. de 1881 et de 1882, p. 177-178. Le récit disparut des nombreuses édi-tions de ce petit livre publiées à partir de cette même année 1882 par les salesiens du Patronage Saint-Pierre de Nice. On le verra plus bas, don Bosco lui-même avait réclamé sa suppression.

Autour de six logia attribués à don Bosco dans les Memorie Biografiche 39

come estatici. — Quando ebbe finito, attraversò le loro file per recarsi in camera, e mentre tutti gli facevano ressa intorno, si vedeva dal suo sguar-do e dalle sue parole la perfetta incoscienza di ciò che era avvenuto, e nessuno osò fargliene motto per non offendere la sua umiltà».73

Ce témoignage oculaire et auriculaire du biographe est impressionnant. L'auteur de cette note reconnaît s'être longtemps laissé convaincre par l'observation de don Lemoyne. Comment, dans ces conditions, douter que don Bosco ait été le principal acteur de l'épisode de Carlo le ressuscité? Mais, comme les exemples précédents le font prévoir au lecteur, il précipitait la besogne. Les conclusions sur les logia des Memorie biografiche ne deviennent un peu solides qu'après l'examen attentif de leur histoire particulière.

A cette page des Memorie, don Lemoyne adaptait en 1903 une note des Docu-menti XLIII, qui avait été imprimée vers 1892:

Documenti XLIII, 11 In quanto alla veracità noi abbiamo

queste prove indirette: 1o D. Bosco narrò le 100 volte questo

fatto ai giovani, senza però far cenno di sé, ma sempre con tali identiche circo-stanze, senza mai nulla mutare o aggiun-gere, sicché si vedeva come egli fosse sta-to presente al fatto che eragli rimasto impresso nella memoria.

2° Raccontando questo fatto a Borgo S. Martino alla sera dopo le orazioni ai giovani a metà della descrizione, mutò senza accorgersi la terza persona in pri-ma dicendo io gli dissi, egli mi rispose, e ritornò alla terza persona. Ciò fu negli ultimi anni della sua vita ed era presente D. Lemoyne.

MB III, 500/6-22 Oltre a ciò D. Bosco lo raccontava più

di cinquanta volte ai giovani dell'Orato-rio e centinaia di volte a quelli delle altre sue case, senza però far mai cenno di sé, senza far mai il nome di nessuno e senza dare indicazioni del luogo, e omettendo ogni particolarità che potesse dar sospet-to trattarsi di lui, ma sempre colle stesse identiche circostanze, senza mai nulla mutare o aggiungere, sicché si vedeva come egli fosse stato presente ad un fatto profondamente rimasto impresso nella sua memoria. Se non che una sera del 1882 si tradì senza accorgersene, raccon-tando questo avvenimento ai giovani di Borgo S. Martino dopo le orazioni della sera. Avendo egli la mente stanca all'e-stremo, a metà della descrizione, repen-tinamente mutò modo di parlare, la terza persona in prima, dicendo: Io entrai nella camera, io gli dissi, egli mi rispose, e proseguì la sua narrazione per lungo trat-to, e sul finire ritornò alla terza persona. Lo scrittore di queste memorie era pre-sente.

73 MB III, 500/14-28.

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La dépendance est aveuglante. De la première ligne, où «raccontava più di cinquanta volte ai giovani dell'Oratorio e centinaia di volte a quelli delle sue altre case», répond à: «D. Bosco narrò le 100 volte questo fatto ai giova-ni»; jusqu'à la dernière où: «Lo scrittore di queste memorie era presente» dé-calque: «...ed era presente D. Lemoyne», les Memorie biografiche suivent ici presque pas à pas la note des Documenti, quitte à l'amplifier légèrement pour la rendre plus vivante. Toutefois, la comparaison des deux textes suscite deux remarques: 1) L'extrême finale du récit des Memorie (reproduite plus haut), qui décrit don Bosco après le mot du soir traversant les rangs des garçons pour regagner sa chambre, sans que «nessuno osò fargliene motto per non of-fendere la sua umiltà», est un élément nouveau que le texte adapté ignorait. 2) La date de 1882 correspond à: «Ciò fu negli ultimi anni della sua vita» des Documenti XLIII. La précision chronologique et le portrait de don Bosco à la suite de son récit ont donc été des additions propres au biographe.

Jusqu'à preuve du contraire, il convient d'accepter ses additions, puisque ce biographe était lui-même présent à la scène. Mais l'habitude des Memorie, dont les auteurs se sont acharnés à transformer les dates possibles ou vrai-semblables en dates certaines, engendre bientôt quelque doute. Et celuici est, en l'occurrence, fondé. Car le mot du soir de Borgo San Martino et donc l'ir-ruption de la première personne dans l'histoire du ressuscité doivent être recu-lés de 1882 jusque vers la fin du mois de décembre 1875. Un autre témoin de Borgo a en effet parlé et ses propos ont été enregistrés sur-le-champ.

Après la fête de Noël 1875, don Bosco, probablement parce qu'il croyait avoir fait l'objet d'une suspense de ses pouvoirs de confesser, à lui infligée par la curie de Turin, se retira pendant quelques jours dans sa maison de Borgo San Martino.74 Cette école avait pour directeur Giovanni Bonetti et, pour ca-téchiste, Giovanni Tamietti. L'un et l'autre allaient avoir un rôle à tenir dans cette période de l'histoire de don Bosco. Le 28 décembre, Giovanni Bonetti alerta le secrétaire d'Etat Antonelli et, par lui, le SaintSiège sur la «suspense» inexplicable de son supérieur général.75 Quant à son confrère moins connu Giovanni Tamietti (1848-1920), prêtre d'intelligence déliée, qui aura bientôt une réputation de lettré et d'homme de gouverne-

74 MB XI, 481-482. 75 Nous n'avons pas à pénétrer dans cet épisode particulièrement regrettable du différend

entre don Bosco et son archevêque. Qu'il suffise de dire qu'une lettre du chanoine Chiuso à don Rua datée du 27 décembre 1875, apprenait à ce dernier le renouvellement des pouvoirs de don Bosco.

Autour de six logia attribués à don Bosco dans les Memorie Biografiche 41

ment, il rendit alors un bon service à l'histoire en narrant au maître des novi-ces don Barberis cette anecdote de ressuscité racontée à la première personne. Barberis l'enregistra dans sa Cronichetta autographe à la date du 5 janvier 1876. Nous y lisons: «Oggi da D. Tamietti sentii a raccontar questa di D. Bo-sco. La è magnifica. In questi giorni scorsi in cui il sig. D. Bosco stette al Borgo, parlando in pubblico ai giovani invitandoli ad essere sinceri in confes-sione raccontò questo fatto. — Non son poi tanti anni che in Torino avvenne questo fatto. Ammalò gravemente un giovane sui 15 anni...». Ce garçon; son confesseur intervint; et, brusquement, le récit bifurqua: «...Si radunarono circa 20 persone, che poteron esser testimoni del fatto. Intanto il giovane mi chiamò e disse: «Oh io doveva essere in luogo di perdizione, in questa ultima confes-sione non ho osato palesare un peccato...». Puis, selon la Cronichetta: «Dopo che i giovani andarono a dormire, riprese D. Tamietti, essendo solo più il di-rettore ed io con D. Bosco, io domandai: — È forse lei, sig. D. Bosco, quel prete là? — Oh perché? rispose D. Bosco. — Pare che abbia detto, quel gio-vane mi chiamò...».76 Nous reviendrons sur la deuxième réplique de don Bo-sco.

Une première conclusion ressort claire comme le jour de ce récit de Ta-mietti: le mot du soir daté — après hésitation — de 1882 dans les Memorie biografiche fut prononcé quelques jours avant le 5 janvier 1876. Le trait ré-sumé en Documenti XLIII, 11, source des Memorie à cet endroit, est en effet identique à celui de la Cronichetta: même lieu, Borgo San Martino; même cadre, un mot du soir; même auditoire, les jeunes de la maison; même récit par don Bosco, celui du jeune ressuscité; même incident, décrochement ino-piné de la troisième à la première personne. Un fait de cette sorte ne se répète pas dans la vie d'un homme; il fut unique dans celle de don Bosco. Le logion dont nous sommes partis est donc né du mot du soir de Borgo San Martino prononcé vers la fin de décembre 1875. On n'invoquera surtout pas en faveur de 1882 le témoignage de don Ceria en MB XV, 572, selon qui: «Don Bosco nel luglio del 1882 andò a Borgo S. Martino..., allora fu che si udì la sorpren-dente inconscia rivelazione narrata da Don Lemoyne intorno al giovanetto Carlo...». Pour s'exprimer ainsi, don Ceria se fondait purement et simplement sur les Memorie biografiche III, 495-500, que nous venons de lire. Nulle autre pièce originale ne lui avait parlé de 1882. Il faut s'y résoudre: le récit partiel-lement en je du garçon ressuscité doit être daté de la fin décembre 1875, à l'extrême rigueur du début de janvier 1876, certainement pas de 1882.

76 G. BARBERIS, Cronichetta autografa, cahier 3, p. 60-62; pièce reproduite dans P. STELLA, op. cit., p. 292-293.

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Mais, s'il en va ainsi, le contexte de l'allocution diffère; et l'interprétation que don Lemoyne a donnée de l'incident vacille. D'après les MB III, 500, don Bosco, plongé dans la scène qu'il revivait intérieurement, ne se serait pas ren-du compte du changement de personne, et nul ne lui en aurait fait la remar-que. Le récit de Tamietti contredit le biographe, tout témoin direct que celui-ci ait été du mot du soir de Borgo San Martino. Reprenons la finale de l'épi-sode dans la Cronìchetta de Barberis. «...È forse lei, sig. d. Bosco, quel prete là? — Oh perché? rispose D. Bosco. — Pare che abbia detto, quel giovane mi chiamò. — Non aveva intenzione di dir quella parola io. Se l'ho detta, mi scappò senza che l'avvertissi». E il discorso morì li».77 Au moins un auditeur de ce soir-là a donc réagi devant don Bosco; et celuici lui a répondu en subs-tance — car nous n'oublions pas que le témoignage Tamietti, déjà passé au deuxième degré, fut inévitablement tiré dans un sens favorable à la réalité du «miracle» —: «Je n'avais pas l'intention de dire ce mot je. Si je l'ai dit, il m'a échappé malgré moi». En d'autres termes: «Je racontais une histoire. Si je m'y suis mis en scène, ce ne fut que par inadvertance».

Un commentaire un peu rigoureux du logion en question ici ne peut que tenir compte de son véritable contexte. «Io entrai nella camera, io gli dissi, egli mi rispose...». Peut-être! En effet, le je unique du récit Tamietti a été multiplié par deux et trois en passant par les Documenti pour arriver aux Me-morie. Mais don Bosco, bien loin de monter dans sa chambre sans se rendre compte de son «aveu», remit aussitôt les choses au point: «Cela m'a échap-pé!» Il niait à l'avance la conclusion de ses biographes Lemoyne et Ceria. Non: il n'admettait pas d'avoir été le prêtre confesseur du jeune ressuscité.

* * *

La connaissance désormais étendue que l'on peut avoir de la vie de don Bosco permet de rapprocher le fait de Borgo de réactions analogues du saint au cours de son existence. Jamais, écrivait don Lemoyne — qu'il faut proba-blement croire ici sur parole, au moins pour les trente dernières années de sa vie —jamais il ne se mettait carrément en scène dans l'histoire du ressuscité. Mais ce rôle semble lui avoir été attribué dès que son oratoire se fut stabilisé à Turin. L'histoire du jeune ressuscité par don Bosco circulait certainement au Valdocco dans les années cinquante. Domenico Ruffino, arrivé à l'Oratoire en 1859, notait dans ses Cronache pour les années 1859-

77 Voir l'édition du texte dans P. STELLA, op. cit., p. 292.

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1860, sous le titre: «Fatti che si raccontano»: «Dicesi che abbia D. Bosco risusci-tato un morto, cioè un giovane cadde infermo e venne agli estremi...». Etc.78 Elle avait des échos jusqu'à Rome en 1858, lors du voyage que don Bosco y fit en la compagnie du clerc Rua, nous apprend un passage des Annali II de Giovanni Bo-netti: «Un giorno il Sacerd. D. Rua (allora però non aveva ancora alcun ordine) trovandosi a tavola ci raccontava come i Romani, quando egli in quella città si trovava col Signor D. Bosco, gli raccontassero il miracolo fatto dal Signor D. Bo-sco a Torino alcuni anni prima, mostrandosi così bene informati. D. Bosco seb-bene un poco discosto, nondimeno sentiva questo racconto, e l'osservammo a ve-nir molto rosso in volto, quindi voltosi al narratore: Taci, gli disse con voce so-stenuta, io non ho mai detto che fossi io, e nessuno deve saperlo».79 Dans ce té-moignage, la phrase essentielle, qu'à notre avis la finale: «...e nessuno deve saper-lo» commençait de gloser, était: «Je n'ai jamais dit que c'était moi!» Don Rua la répétera en 1895 au procès de canonisation de don Bosco, où il revint sur l'inci-dent: «...valendomi della confidenza che aveva con lui, lo richiesi una volta (mentre io era già prete, o per lo meno prossimo al presbiterato) se fosse proprio esso l'autore di quel fatto che a lui veniva attribuito. Egli mi rispose: "Io non ho mai detto che fossi io l'autore di quel fatto". Non andai più oltre».80 Don Stella a exhumé une lettre sur un incident donné comme similaire. Giuseppe Bologna (1847-1907) était entré à l'oratoire du Valdocco le 1er septembre 1863. Il passera en France, à des postes de direction, la majeure partie de sa vie de prêtre salésien. Après la sortie du troisième tome des Memorie, il écrivit de Paris à don Le-moyne: «Parigi, il 13 giugno 1904. — Molto Reverendo Sig. D. Lemoyne. Leggo per la prima volta nel suo vol. III delle Memorie di Don Bosco, la narrazione del fatto di un giovane Carlo, resuscitato ecc.. Mi ricordo di aver inteso raccontare da DB stesso il detto fatto quando nel 1865 (se pur non è nel 1864) ci predicava il triduo nella chiesa di S. Fr. di Sales, per prepararci alla Comunione pasquale. Raccontò la cosa tal quale è descritta, parlando del prete alla terza persona, ma, dopo aver menzionato quel sacerdote, soggiunse, "e questo prete era Don Bo-

78 D. RUFFINO, Cronache..., I, 1860, p. 34; voir ce texte dans P. STELLA, op. cit., p. 291-292.

79 G. BONETTI, Annali, cahier II, p. 41; voir P. STELLA, op. cit., p. 271. Ce passage peut être daté de 1862.

80 Toutefois, don Rua continuait: «...bastandomi il vedere che non negava che fosse esso, ma solo negava di averlo attribuito a se stesso...». M. RUA, Déposition au procès informatif, ad 32um, 27 juin 1895; Actes du Procès, exemplaire de la Postulation salésienne, Rome, fol. 2707, verso. (Ce document sera cité: Procès.) Don Rua croyait donc au rôle de don Bosco dans l'histoire du ressuscité.

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seo", e non poté aggiungere una sola parola; il singhiozzo, l'emozione, l'ob-bligarono a ritirarsi dal pulpito. Noi siamo rimasti tutti fuori di noi stessi; e si stette assai a lungo tempo prima che si potessero intonare le litanie. Me ne ri-cordo come se fosse di oggi».81 Don Bologna, excellent homme au demeu-rant, était un passionné, un brouillon et un imaginatif. De plus, rien ne lui semblait impossible de la part de don Bosco, envers qui il professait un véri-table culte. Il a très bien pu confondre deux histoires dans l'incident dont il avait gardé le souvenir. Un témoignage que nous allons produire de don Bar-beris, présent lui aussi à l'Oratoire en 1864-1865, affaiblit en effet singulière-ment son discours. Car Barberis affirmait en 1876 n'avoir jamais entendu don Bosco raconter lui-même cette histoire. Et, à ce qu'il semble, don Rua ne se rappelait pas l'incident qui avait tellement frappé le jeune Bologna... Mais, à supposer que celui-ci ne se soit pas trompé et que don Bosco ait été sérieuse-ment ému après s'être donné comme le prêtre du miracle, le témoin ne nous dit pas pourquoi. Il l'ignorait; et nous-mêmes l'ignorons plus encore.

Une troisième réaction de don Bosco sur l'introduction de sa personne dans l'épisode du ressuscité date de 1882, après sa publication dans la biogra-phie anecdotique de Charles d'Espiney chez Malvano-Mignon, à Nice. Elle a été relatée par un témoin beaucoup plus sûr que don Bologna, qui, devenu précocement aveugle, resta jusqu'à la fin de ses jours doué d'une merveilleuse mémoire. Le P. Louis Cartier (1860-1945) faisait écrire le 23 avril 1940, dans une note destinée à don Ceria au sujet de l'épisode de l'édition Malvano-Mignon: «...Le fait de cette résurrection est mal situé puisqu'il a eu lieu à Tu-rin et non à Rome, mais il demeure incontestable. En effet Don Bosco se plai-gnit au Dr D'Espiney de ce qu'il avait rapporté ce fait; alors le Docteur répon-dit à Don Bosco, «si ce fait est erroné, je le supprimerai; mais je vous prie, mon Père, de m'affirmer que cette résurrection n'a pas eu lieu». Don Bosco répliqua que l'on ne devait pas parler de cela, et le docteur lui dit: «Dites-moi que ce n'est pas vrai». Don Bosco prié une 3ème fois de dire à son interlocu-teur que ce miracle n'avait pas eu lieu, se contenta de garder le silence. Si le miracle n'avait pas eu lieu, Don Bosco l'aurait certainement déclaré au Doc-teur d'Espiney. Son silence est un aveu. — Le docteur Charles D'Espiney m'a lui-même raconté l'entretien qu'il avait eu avec Don Bosco. Il me dit que Don Bosco éprouvait une grande peine de cette publicité, sans doute, à cause de son humilité, mais il ne put affirmer que la résurrection de Carlo n'avait pas eu lieu. — Le Dr Charles D'Espiney

81 Lettre éditée dans P. STELLA, op. cit., p. 288-289.

Autour de six logia .attribués à don Bosco dans les Memorie Biografiche 45

avait rédigé au fur et à mesure qu'il les avait eues toutes ses conversations avec Don Bosco. Moi-même je n'ai jamais oublié la conversation dans la-quelle le Dr D'Espiney m'a raconté ce que je viens d'exposer...».82 On ne trompait pas facilement le Mauriennais Louis Cartier. Il s'avançait quand même beaucoup dans son interprétation des propos et des silences du Piémon-tais madré qu'il revoyait en imagination. La publicité autour de cette histoire peinait don Bosco «sans doute par humilité». Ce n'est pas tellement sûr! Une seule chose est bien établie: don Bosco fut très contrarié par la publication de ce trait dans la biographie anecdotique de Charles d'Espiney. Il refusa de par-ler quand on l'interrogea sur son authenticité. Il avait aussi refusé à don Rua de l'éclairer sur l'identité du prêtre confesseur.

Tel fut le contexte psychologique d'ensemble du logion: Io entrai nella camera..., attribué à don Bosco dans l'anecdote du jeune ressuscité quand il la raconta un soir à Borgo. Il faisait intervenir un prêtre confesseur; on l'identi-fiait avec lui-même. Il s'y était peut-être prêté au début de sa vie sacerdotale; mais, durant les trente dernières années de sa vie, il s'est élevé contre cette as-similation. L'étude du texte même de l'anecdote du jeune ressuscité nous ap-prend qu'il avait de bonnes raisons de se récrier ainsi.

* * *

Le fait de Carlo avait été, pour reprendre l'adjectif du P. Louis Cartier, «incontestable». Quel fait? Celui raconté tout au long par don Lemoyne dans ses Memorie et devenu ainsi, depuis 1903, la référence obligée des vulgarisa-teurs de l'histoire de don Bosco? Il convient de l'examiner de près. Nous ap-procherons ainsi peu à peu d'une solution acceptable de ce problème irritant.

Le lecteur critique discerne deux couches successives dans la version dé-finitive de don Lemoyne. A l'étape des Documenti83 rédigés ici vers 1885, le mémorialiste a mélangé trois pièces: un récit de Giovanni Bonetti dans un ca-hier d'historiettes sur don Bosco,84 une note des Cronache de Ruffino 85 et celle de la Cronichetta de Barberis à la date du 5 janvier 1876, qui a été dé-crite plus haut. Ensuite, pour le tome III des Memorie, publié en 1903 après le procès informatif de canonisation de don Bosco, il a intégré à sa

82 L. CARTIER, Note pour le R.p. don Ceria historiographe de S. Jean Bosco, Marseille, 23 avril 1940; éd. P. STELLA, op. cit., p. 290-291.

83 Documenti III, 169-170. 84 Initium: «Mirabile conversione di un ateo», 20 feuillets non paginés; ACS 110, Bonet-

ti. Sera cité sous le titre: Bonetti, Anecdotes. 85 Voir, ci-dessus, n. 78.

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version des Documenti des particularités provenant d'au moins six autres piè-ces très reconnaissables dans le texte reçu: la nota citée de Documenti XLIII, 11; le chapitre «Lève-toi» de Charles d'Espiney dans les éditions Malvano-Mignon de 1881 et de 1882;86 la déposition de Giovanni Bisio au procès in-formatif de Turin;87 celle de don Rua au même procès;88 un passage du princi-pal cahier de souvenirs du salésien Pietro Enría intitulé: «Enría Pietro Giu-seppe nato...»;89 enfin l'anecdote: «Più che guarigione», du cahier de Giovanni Turchi intitulé: Memorie in servizio della Storia.90 L'origine très diverse de ces témoignages ne fut jamais mise en question par le compilateur. Or, à l'excep-tion de celui de la Cronichetta Barberis, tous, plus ou moins développés, plus ou moins ramassés, dépendaient de traditions colportées de l'un à l'autre au Valdocco ou dans la ville de Turin. Bonetti avait inséré son récit dans un petit cahier d'anecdotes sans références et composé à une date incertaine, où il avait réuni, outre l'histoire du ressuscité, celles de l'athée converti, du Grigio, de la multiplication des châtaignes et de la multiplication des hosties. Comme nous le savons, Ruffino reprenait explicitement un: «Si dice che...». Au pro-cès de canonisation, Giovanni Bisio se référait à une demoiselle Teresa Mar-tano, personne sans doute méritante, mais dont les sources d'information lais-sent perplexe; don Rua résumait le fait d'après «varie persone»; Enría répétait Giuseppe Buzzetti et le peintre Tomatis, deux témoins sans prétention; enfin, pas plus que Bonetti, Turchi ne mentionnait une seule source; il affirmait seu-lement que don Bosco racontait cette histoire.

Comme il était de règle dans son grand ouvrage, don Lemoyne voulut fondre en un récit homogène des Memorie absolument tous les détails suppo-sés également indubitables de sa documentation. Leur caractère hétéroclite ne lui posa aucun problème. Il en est résulté une mosaïque bariolée, si-

86 C. d'ESPINEY, Dom Bosco, Malvano-Mignon, 1882, p. 177-178. 87 G. BISIO, ad 32um, 1er avril 1895; Procès, fol. 2456 v. et 2457 r. 88 M. RUA, ad 32um, 27 juin 1895; Procès, fol. 2707 r. et v. 89 Ce cahier en ACS 110, Enria. 90 Voici ce texte que don Stella n'a pas reproduit: «Più che guarigione. — Un giovane

che frequentava l'Oratorio ammalò, si confessò da un prete di sua parochia, e ricevuto il viatico mori desiderando parlar a D. Bosco. Questi saputo il bisogno si recò tosto ov'era desiderato. Ma giuntovi piangenti i genitori gli annunziano con dolore il troppo tardi. D. Bosco allora venne via? No, si avvicina al morto, ne sente compassione, prega, ed oh maraviglia! il cadavere apre gli occhi, ed: O D. Bosco! esclama. Sappia che ho taciuto un peccato in confessione. Ah Dio l'ha mandato. Mi pareva d'essere coi diavoli che mi volevan precipitar nell'inferno. Ora voglio confessarmi. Qui D. Bosco ascoltarne la confessione, assolverlo, e tornarsi veder innanzi un cadavere fu quasi una cosa sola. Tal fatto accadeva nei tempi primitivi dell'Oratorio; è D. Bosco che lo narrò». Memorie..., p. 4-5; ACS 123 Turchi.

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non un salmigondis de mauvais aloi, qu'il convient de mettre en évidence pour préparer le lecteur à juger lui-même du texte reçu aujourd'hui de l'anec-dote sur «Carlo le ressuscité de don Bosco».91

L'examen du récit à partir de ses sources montre tout d'abord combien grande était la rigueur formelle de don Lemoyne dans ses exercices de compi-lation. Il s'ingéniait à recoudre sur le costume de ses Memorie toutes les piè-ces orginales dont il disposait en respectant au maximum leur vocabulaire et leurs tournures syntaxiques. Cette méthode lui semblait supérieurement ra-tionnelle. Mais il se trompait fort. L'accumulation des matières déformait (dé-naturait la forme de) l'objet qu'il construisait. Le mélange de la paille, de l'ivraie et du bon grain, même soigneusement malaxés, n'a jamais produit de la bonne farine. Les souvenirs imprégnés de légendes et les notes prises à l'audition ont été inextricablement fondus dans la rédaction finale des Memo-rie. Ce système engendre presque nécessairement des doublets. La réflexion du prêtre: «Je parie qu'il n'est pas mort!», unique chez les témoins qui la men-tionnent, arrive deux fois, d'abord en clair, plus de manière voilée. Le linceul est doublé. Le corps de l'enfant est cousu dans un drap usé (d'après Bonetti); mais un voile supplémentaire le recouvre à la ligne suivante (d'après Barbe-ris). A son réveil, le garçon prononce l'une après l'autre les diverses phrases particulières que quatre des témoins lui avaient attribuées. Les on-dit répétés par la tradition Ruffino-Bonetti et par la tradition Bisio sont accolés au té-moignage direct de Tamietti. Les interventions des démons infernaux et de la Dame secourable de ces traditions relevaient de légendes déjà greffées sur un récit primitif qui les ignorait. La mixture actuelle empêche de les discerner.

Quoi qu'il en soit, dans le monde des lecteurs des Memorie biografiche, même si les plus avertis ne jurent pas de la véracité de tous les détails de l'épisode du jeune provisoirement rendu à la vie et que la plupart renâclent à une résurrection proprement dite, l'épisode de Carlo fait partie de la vie de don Bosco. Un esprit aigu comme celui de Pietro Stella ne s'est pas résolu à l'en extraire.92

* * * La persuasion d'une réalité au moins globale des faits est mal fondée.

91 Voir ce récit des Memorie, avec indication des sources fragment par fragment, cides-sous, Annexe II.

92 Cette longue étude s'achève sans conclusion. Il semble que, d'après l'auteur, pour le moins le fait lui-même aurait été donné comme authentique par don Bosco.

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La critique directement historique mène ici à des impasses. Les enquêtes — que Pietro Stella s'est imposées — dans les registres de la ville de Turin pour les années 1847-1849 sur la mort d'un jeune garçon d'une quinzaine d'années dénommé Carlo (par le docteur d'Espiney, don Rua et don Lemoyne) ou Luigi (par Bisio), décédé dans une auberge, parfois dite du Blanc Mûrier (en pié-montais ou en italien); ainsi que les «indagini sui familiari»93 de cette auberge connue, n'apporteront jamais rien. Il faut pousser à fond la critique littéraire. Carlo de Turin fut un touchant fantôme. S'il exista jamais, il vécut à Rome au seizième siècle et s'appela Paolo.

Car don Bosco a raconté, à Turin comme à Borgo, une histoire connue des spécialistes de l'hagiographie. Le jésuite Giovanni Giuseppe Franco rele-vait la ressemblance dans la lettre qu'il écrivait de Rome à don Lemoyne en 1891, au reste pour conforter le biographe dans ses certitudes sur l'événement de Turin: «...il giovane era già passato, D. Giovanni lo risuscitò, e lo confessò nelle circostanze presso a poco che si legge avere S. Filippo Neri risuscitato il giovane de' Massimi...».94 L'histoire de Paolo de' Massimi avait été longue-ment racontée par Pietro Giacomo Bacci au chapitre 12 du troisième livre de sa Vie de saint Philippe Néri.95 L'édition illustrée dont je dispose contient même une planche en pleine page (planche n° 28), assortie de la légende: «Risuscita Paolo de' Massimi, lib. 3, cap. 12. Occorse nel 1583 alii 16. di Marzo». Le fait avait donc été rigoureusement daté. D'après Bacci, Paolo de' Massimi avait environ quatorze ans; Filippo était son confesseur; le jeune garçon tomba malade; quand Paolo fut sur le point d'expirer, on partit à la re-cherche de Filippo; Filippo, absent, ne put venir à son chevet; le garçon mou-rut; le prêtre qui lui avait donné l'extrême-onction s'en fut; on prépara l'eau et les linges pour la toilette du cadavre; sur ce, Filippo se présenta au logis; dès l'entrée, il fut prévenu du sort du jeune homme; il se jeta au pied de son lit et pria un demi-quart d'heure; il appela le garçon deux fois par son nom et à haute voix: Paolo, Paolo! Paolo, comme s'il émergeait du sommeil, ouvrit les yeux et répondit: Padre!, puis: «Io mi era scordato d'un peccato e però vorrei confessarmi»; Filippo fit évacuer la chambre et confessa son pénitent; leur conversation dura encore quelque temps; le saint demanda à deux reprises à Paolo s'il mourrait volontiers; Paolo répondit affirmativement, pour revoir les siens en Paradis; «Va, lui dit Filippo. E subito con un volto placido, e senza alcun movimento tornò a

93 Voir la note reproduite sous ce titre dans Fondo Don Bosco, 559 C5. 94 G.G. Franco à G.B. Lemoyne, Rome, 24 février 1891; éd. MB III, 502/19-22. 95 Je la trouve dans P.G. BACCI, Vita di S. Filippo Neri fiorentino..., édition revue et

augmentée par Giacomo Ricci, Rome, Gio. Francesco Buagni, MDCCIII, p. 257-259.

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morire nelle braccia del Santo Padre». Bacci achevait son récit par l'énuméra-tion des nombreux témoins de la scène.

Don Bosco suivait rigoureusement ce schéma quand, à Borgo San Marti-no, vers la fin décembre 1875, il racontait l'histoire du jeune ressuscité, telle que don Tamietti, seul de tous les témoins rassemblés à avoir parlé après son audition, nous l'a restituée. Même âge du garçon, maladie mortelle de part et d'autre, même absence du confesseur ordinaire qui est une personnalité connue, participation analogue d'un prêtre du lieu, mort semblable du jeune, préparation analogue de son cadavre, arrivée du confesseur dans les mêmes circonstances, dialogue semblable avec les familiers; puis courte et ardente prière du prêtre au chevet du défunt, appel du jeune par son nom, son réveil, l'aveu d'une faute cachée en confession, brève conversation entre le prêtre et le pénitent, observation sur l'état du corps de celuici, enfin sa mort défini-tive..., tous éléments qui reviennent dans les deux cas. Les deux récits insis-tent aussi sur la présence de nombreux témoins. A l'inverse de Bacci, don Bosco ne dénommait ni l'enfant, ni le prêtre-confesseur. L'unique vraie diffé-rence résidait dans le lieu: Rome pour Bacci, Turin pour don Bosco. Et en-core, don Bosco avait-il réellement parlé de Turin dans son allocution de Borgo? Les mentions de cette ville pourraient bien avoir été ajoutées par Bar-beris à la retransmission de Tamietti, qui les ignorait peutêtre. En tout cas, la mention la plus gênante par ses éloges du prêtre, si don Bosco passait bientôt à la première personne, qui plaçait le confesseur dans le clergé de Turin, ré-sulta d'une addition inter-linéaire (in Torino) dans la Cronichetta. Il est pour ainsi dire certain que don Bosco n'a pas qualifié le «confessore ordinario» de: «sacerdote zelante che lavorava molto in Torino nel ministero ecclesiastico». Les péricopes supplémentaires et suspectes de la version longue de don Le-moyne: les démons cherchant à entraîner le jeune en enfer, la Vierge les pré-venant: «Il n'est pas encore jugé!», ne figurent ni dans Bacci ni dans Barberis. Mieux, comme Bacci et contre don Lemoyne, la version Tamietti-Barberis n'atténuait pas le miracle de la résurrection. Ce mot ne faisait pas peur à Bac-ci, qui l'étalait même sur la légende de la planche 28 de son livre. «Prima di risuscitare», écrivit Barberis en plein accord avec Bacci; «prima di risvegliar-si», préféra prudemment don Lemoyne. Quitte à la situer (peut-être) dans sa ville de Turin, don Bosco reprenait, pour inciter les jeunes de Borgo à se bien confesser, un trait de la vie de saint Philippe Néri, l'un des saints qu'il connaissait et admirait le plus.96

Don Bosco a raconté cette histoire dès les années quarante, d'après le témoignage au vrai tardif d'un frère des Ecoles chrétiennes, alors institu-

96 Voir, ci-dessous, Annexe III, les deux récits en parallèle.

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teur à Turin, qu'Antonio Sala rencontra par hasard en 1889.97 A cette époque déjà, il ne la localisait vraisemblablement plus à Rome et dans la vie de saint Philippe Néri, encore que, dans la version d'Espiney, les mentions de «Rome», où le miracle avait lieu, et de «Florence», d'où le confesseur accou-rait, renvoient nettement au Florentin Filippo Neri, qui assista à Rome Paolo de' Massimi. Le P. Cartier ne voyait là qu'une erreur du biographe d'Espiney. Nous pouvons, quant à nous, y déceler un indice supplémentaire que don Bosco prenait son récit dans la vie de saint Philippe Néri. Au cours des an-nées suivantes, il lui arriva peut-être de se mettre lui-même en scène pour" rendre 1' esempio plus impressionnant; la suite de l'affaire aurait par là son explication la plus naturelle. Pure hypothèse d'ailleurs! En tout cas, sa réputa-tion de thaumaturge aidant, l'opinion lui attribua rapidement le rôle du prêtre-confesseur dans l'histoire du ressuscité.

C'était chose faite en 1858, quand, à Rome, l'anecdote fut racontée sous cette forme en sa présence et en celle du clerc Rua. De même en 1860, à Tu-rin, puisque Ruffino la classait alors dans sa chronique parmi les «fatti che si raccontano». A Rome, don Bosco «rougit» fortement à cette sorte de récit, au témoignage de don Rua, que Bonetti reprit dans une note de ses Annali. Il craignait probablement quelque dénonciation de supercherie. Si la scène dé-crite par don Bologna a un fond de vérité — ce qui est très douteux — son émotion de 1864 ou 1865, quand il se serait attribué le rôle du prêtre dans l'histoire, aurait par là un début d'explication. Toutefois, don Bosco raconta l'anecdote infiniment moins souvent que don Lemoyne ne l'a prétendu. «Cin-quante et cent fois» est d'une exagération manifeste. Giulio Barberis, auditeur des plus attentifs de don Bosco, entré à l'Oratoire en 1861, écrivit dans sa Cronichetta du 5 janvier 1876 à la suite de l'épisode de Borgo San Martino: «Io questo fatto con queste particolarità non lo sapeva; ma son già undici o dodici anni che sentii raccontare vagamente, che D. Bosco aveva risuscitato un giovane, il quale si poté confessare e poi morì di nuovo. Allora domandai a qualcuno se sapeva qualche cosa, e non potei venir in sodo di nulla; pure chi me l'aveva detto asseriva averlo sentito da D. Ruffino (buon'anima), e questo riconfermerebbe maravigliosamente».98 Autrement dit, Barberis ne se rappe-lait pas avoir entendu don Bosco raconter lui-même cette histoire de résurrec-tion provisoire entre 1861 et 1876. Il n'en savait pas plus que Ruffino dans son grêle schéma de 1860.

Si notre interprétation est exacte, les réactions de don Bosco devant les «Romains» en 1858, puis en réponse à don Rua qui l'interrogeait sur l'iden-

97 Voir MB III, 499/13-19. 98 G. BARBERIS, Cronichetta autografa, cahier 3, p. 62; voir P. STELLA, op. cit., p. 293.

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tité du prêtre-confesseur, et encore à l'adresse de Tamietti selon la Cronichet-ta du 5 janvier 1876, et enfin à celle de Charles d'Espiney, qui s'était permis de publier l'anecdote dans le Dom Bosco français de 1881-1882, toutes ces réactions se comprennent aisément. D'une part, il ne niait pas la matérialité de la résurrection momentanée d'un jeune mort avec un péché non avoué en confession, parce qu'il se rappelait fort bien l'avoir lue ou au moins entendue raconter; mais, de l'autre, il refusait, malgré la pression du milieu, de figurer dans cette histoire au titre de prêtre-confesseur, parce que c'était faux. Sa va-nité ou son humilité n'étaient pas en cause. Que d'anecdotes diurnes et, plus encore, nocturnes (en rêve) n'a-t-il pas contées, dans lesquelles il tenait un rôle extraordinaire! Il publia dans l'édition de 1884 de sa biographie de Luigi Comollo un épisode de sa vie que l'on peut trouver plus merveilleux encore que celui de Carlo: une sorte de retour au dortoir du séminaire de son ami dé-funt pour l'assurer de son salut éternel: «Bosco, Bosco, sono salvo!» Sans le poids victorieux de la tradition communautaire, le prêtre du jeune ressuscité n'eût pas été identifié avec don Bosco. Mais la pression l'emporta et fut déci-sive. Il se récria! Sans assez de netteté, estimera-t-on, puisqu'il demeura fina-lement prisonnier du personnage façonné par le public. Il a tu les raisons de son refus, comme on le voit par les réponses à don Rua et par l'incident d'Es-piney tel qu'il a été relaté par le P. Cartier. L'anecdote fut répandue sous la forme adoptée par l'entourage, qui ne manqua pas d'entasser autour d'elle illu-sions et confusions. La relation circonstanciée de la marquise Maria Fassati, née de Maistre, qui assurait tenir le fait de don Bosco en personne, ne mérite pas beaucoup plus de créance que les historiettes de Bonetti, Ruffino, Enría, Bisio et surtout de notre don Lemoyne, qui, eux aussi, firent intervenir direc-tement don Bosco." Don Bosco se serait-il confié à la marquise autrement qu'à don Rua, à qui il refusa de se donner pour le prêtre de l'anecdote?

Le logion qui nous a servi ici de point de départ: «Io entrai nella came-ra...», etc., doit tout d'abord être replacé dans son véritable contexte. Don Bosco l'a peut-être hasardé — pas plus — à Borgo San Martino, toutefois non pas en 1882 et sans mesurer la portée de son aveu, comme le disent les Me-morie biografiche, mais dans les jours qui précédèrent le 5 janvier 1876 et pour se déjuger immédiatement devant un témoin dont les propos ont été conservés. Ce dérapage dans l'histoire du jeune ressuscité fut aussitôt forcé par les commentateurs, puisque le récit primitif ne contenait après tout

99 La note circonstanciée de la marquise Fassati a été reproduite par P. STELLA, op. cit., p. 289-290.

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qu'un seul je. Contrairement aux allégations de don Lemoyne, don Bosco cor-rigea: «Je n'ai pas voulu m'exprimer ainsi; si je l'ai fait, ce fut par mégarde!» Il rectifia donc lui-même sur-le-champ l'interprétation naïve de ses auditeurs. Mais les siens ne le crurent pas. En 1876 la conviction de son rôle dans la ré-surrection du jeune était déjà enracinée depuis au moins une vingtaine d'an-nées dans la communauté salésienne. Nous avons aujourd'hui, quant à nous, mille motifs de lui donner raison, de l'approuver et de rendre ce qui lui revient à l'hagiographie catholique, probablement au P. Bacci dans sa vie de saint Philippe Néri. Non, le prêtre de l'histoire du jeune ressuscité ne s'appelait pas don Bosco. Lui-même l'affirmait avec persévérance. Pourquoi et de quel droit le contredire?

* * *

On s'en doute, d'autres logia plus ou moins fameux attribués à don Bosco par les Memorie biografiche de don Lemoyne résisteraient mal à des épreuves similaires. Elles nous apprendraient par exemple que la phrase sur «le sys-tème préventif» en éducation devant Rattazzi et celle sur «don Bosco prêtre» devant Ricasoli ne furent pas prononcées telles que les Memorie les ont rap-portées.

Ses amis s'en inquiéteront peut-être. Pourtant les considérations «criti-ques» qui précèdent ne ternissent pas l'auréole authentique de don Bosco. Ses vertus paraissent même avoir été plus éclatantes qu'on imaginait. Ce saint ga-gne encore en humanité. Il plane moins, en raison d'une vocation «surnatu-relle», entre le ciel et la terre. Le pédantisme lui répugne, surtout face à ses enfants. Il plaisante volontiers sur lui-même. S'il raconte à sa manière une his-toire de résurrection dans une perspective au reste didactique, il se défend — mal, mais reéellement — d'y figurer en confesseur-thautaturge. La pression de la tradition communautaire, régulièrement victorieuse, ne l'a pas toujours ser-vi. En morale politique, il est plus avisé qu'on pouvait le craindre. Il garde sa liberté à l'intérieur d'une idéologie catholique contraignante. Sa doctrine de l'obéissance civile le rend plus proche de Léon XIII que des farouches intran-sigeants de son époque, qu'ils aient été italiens à la Margotti ou français à la Louis Veuillot.

En revanche, les défauts de méthode de son biographe don Lemoyne res-sortent crûment à la mesure du raffinement de sa mise en oeuvre. Ses cons-tructions les plus soignées furent les plus contestables. Parce qu'il ne critiquait et n'évaluait jamais ses sources, ce compilateur ne les «comprenait» pas. Pour les suivre, il lui est arrivé de faire tenir par son saint des propos auxquels il n'avait jamais pensé et qu'il eût certainement désavoués. Une sorte de maxi-malisme délibéré viciait son récit. D'une part, il lui fallait

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absolument tout dire. Mais ce tout n'était que la «substance» documentaire des témoignages recueillis. Le «substantialisme» fut un trait de son esprit, qu'il est permis de qualifier de «préscientifique», si l'on accepte le vocabulaire de Gaston Bachelard. D'autre part, il croyait devoir attribuer à son héros le maximum de «surnaturel», compris par lui dans le sens de miraculeux et de merveilleux. Ce surnaturel, pensait-il, rendrait sa sainteté plus éclatante. D'onctueuses citations de la Bible ajouteraient encore à son crédit. L'admira-tion filiale qu'il éprouvait pour don Bosco aggravait donc le défaut et même l'absence de rigueur critique de notre biographe. La documentation réunie par don Lemoyne dans ses Memorie biografiche était sans prix; le traitement au-quel il l'a soumise a été trop souvent des plus discutables.100

100 Cet article illustre diverses remarques d'une communication présentée en janvier 1989 au congrès international d'études sur don Bosco sous le titre: «Comment ont travaillé les au-teurs des Memorie biografiche». Voir sa traduction italienne dans Don Bosco nella storia. Atti del Io Congresso Internazionale di Studi su Don Bosco, Rome, LAS, 1990, p. 37-65.

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ANNEXES

I

Le songe des quatorze tables

RUFFINO, Cronache, Io, 1860, p. 22-23

D. Bosco riferì il se-guente sogno che esso fe-ce. Si trovavano tutti i miei giovani in un ameno luogo seduti a tavola, che incominciavano da terra ed andavano salendo fin-ché quasi più non si vede-va. I giovani che trova-vansi al fondo della tavola erano melanconici, man-giavano di mala voglia ed avevano un pane a forma di munizione dei soldati, ma tutto rancido che face-va schifo. Io voleva lor dire che gettassero via quel pane; ma mi conten-tai di domandargliene il perché. Così mi risposero che dobbiamo mangiar il pane che ci siamo prepara-ti e non ne abbiamo altro. Di mano in mano che la tavola montava erano più allegri e mangiavano un pane più bello fino agli ultimi sulla cima che ave-vano un pane che io non so definire: pareva giallo pareva rosso ed il colore del pane che avevano, an-che li vestimenti e la fac-cia che era tutto risplen-dente; godevano di una allegria straordinaria

Documenti VII, 165-166

D. Bosco alla sera rac-contò il seguente sogno: — Si trovavano tutti i miei giovani in luogo a-meno, seduti a mense che partendo da terra andava-no salendo finché quasi più non se ne vedeva l'e-stremità. Le tavole erano quattordici, messe direi quasi ad anfiteatro e come divise in tre ordini. I gio-vani che trovavansi al fondo della tavola posta a terra e nuda, erano mesti, mangiavano di mala vo-glia ed avevano innanzi un pane a forma di quello delle munizioni dei solda-ti; però tutto rancido e muffito che faceva schifo. Il pane era in mezzo a su-diciume e ghiande. Quei poveretti stavano come porci al truogolo. Io vole-va dir loro che gettassero via quel pane: tuttavia mi son contentato di chiedere perché avessero innanzi un cibo così nauseante. Mi risposero: — Dobbia-mo mangiare il pane che ci siamo preparati e non ne abbiamo altro. — Era lo stato di peccato morta-

MB VI, 708/18 à 710/1

D. Bosco chiudeva la fe-sta raccontando alla sera il seguente sogno: Si trova-vano tutti i miei giovani in luogo ameno come il più vago dei giardini, seduti a mense che da terra forman-do gradinata, si innalzava-no tanto che quasi più non se ne vedeva la sommità. Le lunghe tavole erano quattordici disposte a vasto anfiteatro e come divise in tre ordini ciascuno sostenu-to quasi da un muro che formava ripiano. Al basso intorno ad una tavola posta sul nudo suolo spoglia d'o-gni ornamento e vasellame si vedeva un certo numero di giovani. Erano mesti, mangiavano di mala voglia ed avevano un pane a forma di quello delle munizioni dei soldati; però tutto ran-cido e muffito che faceva schifo. Il pane sulla tavola era in mezzo a sudiciume e ghiande. Quei poveretti e-rano come gli animali im-mondi al trogolo. Io voleva dir loro che girassero via quel pane; tuttavia mi son contentato di

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e ciascuno cerca di parte-ciparla al altro. Ma il più bello si è che quei giovani li conobbi dal primo al-l'ultimo dimodoché io ve-dendo un giovane adesso parmi di vederlo ancora là al suo luogo nella tavola. Mentre era meravigliato di veder quello spettacolo che non poteva capire vidi un uomo un po' lontano, corsi per interrogarlo, in-tanto inciampai in qualche cosa ed io mi svegliai tro-vandomi nel letto. Voi mi avete domandato un so-gno ed io ve lo ho raccon-tato, epperò non fatene altro caso da quel che si merita simile materia.

6. D. Bosco disse a cia-scuno qual luogo aveva nella tavola misteriosa. Le tavole erano 14, nel dir l'ordine che ciascuno ave-va incominciava dalle più alte venendo al basso...

le. Ma di mano in mano che le mense salivano, i giovani si mostravano più allegri e mangiavano pane più prezioso. Erano bellis-simi, splendenti e di beltà e splendore sempre cre-scente. Le loro tavole ric-chissime erano coperte con tovaglie di raro lavo-ro, sulle quali brillavano vivande, candelabri, fiori indescrivibili. Il numero di questi giovani compa-riva grandissimo. Era lo stato dei peccatori conver-titi. Finalmente le ultime mense alla sommità ave-vano un pane che non so definire. Pareva giallo, pareva rosso, e lo stesso colore del pane era quello delle vesti e della faccia dei giovani, che splendeva tutta di luce vivissima. Costoro godevano di una allegria straordinaria e ciascuno cercava di parte-ciparla agli altri compa-gni. Nella loro beltà, luce e splendore di mense, su-peravano di gran lunga tutti quelli che occupava-no i gradi sottoposti. Era lo stato di innocenza. Ma il più bello si è che quei giovani li riconobbi tutti dal primo all'ultimo, di-modoché vedendo ora un giovane parmi vederlo ancora là assiso nel suo luogo a quella tavola. Mentre io era meraviglia-to di vedere quello spetta-colo che non poteva capi-re, vidi un uomo alquanto lontano. Corsi per interro-garlo, ma intanto in-

chiedere, perché avessero innanzi un cibo così nau-seante. Mi risposero: — Dobbiamo mangiare il pa-ne che ci siamo preparati e non ne abbiamo altro. — Era lo stato di peccato mortale. Dicono i proverbi al Capo I: «Ebbero in odio la disciplina e non abbrac-ciarono il timor del Signo-re, e non porsero le orec-chie a' miei consigli e si fecero beffe di tutte le mie correzioni. Mangeranno pertanto i frutti delle opere loro e si satolleranno de' loro consigli». Ma di ma-no in mano che le mense salivano, i giovani si mo-stravano più allegri e mangiavano pane più pre-zioso. Erano bellissimi, splendenti e di beltà e splendore sempre crescen-te. Le loro tavole ricchis-sime erano coperte con tovaglie di raro lavoro, sulle quali brillavano can-delabri, anfore, tazze, vasi di fiori indescrivibili, piat-ti con preziose vivande; tesori di valore inestima-bile. Il numero di questi giovani compariva gran-dissimo. Era lo stato dei peccatori convertiti. Fi-nalmente le ultime mense alla sommità avevano un pane che non so difinire. Pareva giallo, pareva ros-so, e lo stesso colore del pane era quello delle vesti e della faccia dei giovani, che splendeva tutta di luce vivissima. Costoro gode-vano di una allegria

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ciampai in qualche cosa e mi svegliai trovandomi nel letto. Voi mi avete domandato un sogno ed io ve l'ho raccontato. Però non fatene altro caso di quello che può meritarsi simile materia.

6 agosto. — D. Bosco disse in privato a ciascheduno qual luogo occupasse a quella mensa misteriosa. Per dire l'ordine che ciascuno aveva, incominciava dalla tavola più alta venendo al basso...

straordinaria e ciascuno cercava di parteciparla agli altri compagni. Nella loro beltà, luce e splendore di mense, superavano di gran lunga tutti quelli che occupavano i gradi sottoposti. Era lo stato di innocenza. Degli innocenti e de' convertiti afferma lo Spirito Santo ne' proverbi al Capo I: «Chi ascolta me, avrà riposo senza paura, e sarà nell'abbondanza, scevro dal timore dei mali». Ma il più sorprendente si è che quei giovani li riconobbi tutti dal primo all'ultimo, dimodoché vedendone ora uno, parmi vederlo ancora là assiso nel suo luogo a quella tavola. Mentre io era meravigliato a quello spettacolo che non poteva capire, vidi un uomo alquanto lontano. Corsi per interrogarlo, ma intanto inciampai in qualche cosa e mi svegliai trovandomi nel letto. Voi mi avete domandato un sogno ed io ve l'ho raccontato. Però non fatene altro caso di quello che può meritarsi simile materia.

Il giorno seguente D. Bosco disse in privato ad ogni alunno qual posto occupasse a quelle mense. Per manifestare l'ordine che ciascuno teneva incominciava dalla tavola più alta, venendo alla più bassa...

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II

Carlo le ressuscité (MB III, 495/22 à 498/13)

"Un giovanetto (Bonetti, Anecdotes, fol. 6 r.) sui quindici anni (Barberis, Croni-chetta 3, p. 60) chiamato Carlo (Rua, fol. 2707 r.), che era solito a frequentare l'Ora-torio di S. Francesco di Sales (Bonetti, Anecdotes, fol. 6 r.) cadde (Bonetti, Anecdo-tes, fol. 6 r.) nel 1849 (inference chronologique, probablement d'après Documenti XLIII, 11. Documenti III, 169 écrivait: «1847») gravemente ammalato (Bonetti, Ane-cdotes, fol. 6 r.) e in poco tempo trovossi agli estremi di sua vita (Bonetti, Anecdotes, fol. 6 r.). Abitava in una trattoria (réduction d'une information sur la «trattoria del Gelso Bianco», d'origine non repérée, insérée en Documenti III, 169) ed era figlio dell'albergatore (Bonetti, Anecdotes, fol. 6 r.; «confirmé» par Documenti XLIII, 11). Vistolo in pericolo, il medico consigliò i genitori ad invitarlo a confessarsi, e questi dolentissimi chiesero al figlio quale sacerdote volesse che gli fosse chiamato. Egli mo-strò gran desiderio che si andasse a chiamare il suo confessore ordinario (Barberis, Cronichetta 3, p. 60), che era D. Bosco (d'après Bonetti, Anecdotes, fol. 6r.: «a chia-mar D. Bosco»). Si mandò subito per lui, ma con grande rincrescimento si ebbe per risposta che era fuori di Torino. Il giovane manifestava un grande accoramento, e si chiese del vice parroco (Barberis, Cronichetta 3, p. 60) che tosto venne (amplifica-tion, dès Documenti III, 169). Un giorno e mezzo dopo egli moriva (Barberis, Croni-chetta 3, p. 60) domandando spesso di parlare con D. Bosco (note marginale d'origine imprécise, en Documenti III, 169).

Appena D. Bosco (adaptation de Barberis, Cronichetta 3, p. 60: «Il confessore suo ordinario») fu di ritorno, tosto gli fu detto che erano stati più volte a cercarlo per quel giovane (Barberis, Cronichetta 3, p. 60) Carlo da lui ben conosciuto (glose e-xplicative, d'après d'Espiney, p. 177), che trovavasi in pericolo di morte (Bonetti, A-necdotes, fol. 6 r.) e aveva chiesto di lui (Barberis, Cronichetta 3, p. 60) con vive i-stanze (amplification dès les Documenti III, 169). Egli affrettossi a far quella visita (Bonetti, Anecdotes, fol. 6 r.; Barberis, Cronichetta 3, p. 60), caso mai, egli diceva, fosse ancora in tempo (Barberis, Cronichetta 3, p. 60). Colà giunto, incontrò (Bonetti, Anecdotes, fol. 6 r.) pel primo (coordonnant temporel) un cameriere a cui tosto do-mandò notizie dell'infermo (Bonetti, Anecdotes, fol. 6 r.): — Troppo tardi è venuto (Turchi, Memorie..., p. 4), gli rispose, è morto (Bonetti, Anecdotes, fol. 6 r.) da una mezza giornata (Barberis, Cronichetta 3, p. 61)! Allora D. Bosco esclamò sorridendo: — Ohibò! Esso donne, e voi credete che sia morto! (Bonetti, Anecdotes, fol. 6 r.).

Il servo lo guardò stupito e con aria ironica (adaptation de: «...rispose il servito-re: — A le nen mort?», en Documenti XLIII, 11). Ma Don Bosco quasi scherzando, replicò: — Volete giuocare una pinta che non è morto? (Documenti XLIII, 11).

In quel mentre gli altri di casa (Bonetti, Anecdotes, fol. 6 r.), che erano soprag-giunti a queste sue parole (glose explicative), scoppiarono in dirotto pianto, asserendo che purtroppo (Bonetti, Anecdotes, fol. 6 r.) Carlo (addition) non era più (Bonetti, Anecdotes, fol. 6 r.). D. Bosco allora: — Debbo crederlo? (adaptation de: «quasi scherzando rispose: Giocherei una pinta che non è morto», Bonetti, Anecdotes, fol. 6 r., qui avait été d'abord repris en Documenti III, 169, mais qui constituait désor-

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mais un doublet trop voyant de la phrase au cameriere, supra) Permettete che io vada a vederlo (Bonetti, Anecdotes, fol. 6 r.). — E fu subito condotto nella camera mortua-ria dove erano la madre e la zia che pregavano vicino all'estinto. Il cadavere, rivestito per la sepoltura (Barberis, Cronichetta 3, p. 61), era avvolto e cucito, come allora so-levasi, dentro ad un logoro lenzuolo (Bonetti, Anecdotes, fol. 6 v.), e coperto di un velo (Barberis, Cronichetta 3, p. 61); vicino al letto una lucerna accesa (Bonetti, Ane-cdotes, fol. 6 v.).

D. Bosco (adaptation de: «quel prete» de Barberis, Cronichetta 3, p. 61) gli si avvicinò e pensava: «Chi sa se avrà fatto bene la sua confessione! chi sa qual destino avrà incontrata l'anima sua!» (Barberis, Cronichetta 3, p. 61). E rivoltosi a chi lo ave-va introdotto, gli disse: — Ritiratevi; lasciatemi solo! (d'après d'Espiney, p. 177) — Fatta quindi una breve (Cronichetta 3, p. 61; Ruffino, Cronache I, p. 34), ma fervoro-sa (amplification édifiante) preghiera (Barberis, Cronichetta 3, p. 61; Ruffino, Crona-che I, p. 34), benedisse (Documenti XLIII, 11), e chiamò due volte (G. Bisio, Procès, fol. 2456 v.) il giovane in tono imperativo: Carlo, Carlo, alzati! (d'Espiney, p. 177-178) — A quella voce il morto cominciò a muoversi. Don Bosco nascose subito il lume e con forte strappo d'ambo le mani scucì il lenzuolo, perché il giovane restasse libero (Bonetti, Anecdotes, fol. 6 v.), e gli scoperse il volto (Bisio, Procès, fol. 2456 v.). Quegli, quasi si svegliasse da profondo sonno, apre gli occhi (Bonetti, Anecdotes, fol. 6 v.) li volge attorno, si alza alquanto e dice: — Oh! Come mai mi trovo così? — Quindi (Barberis, Cronichetta 3, p. 61) si volta (Documenti XLIII, 11), fissa lo sguar-do su (Barberis, Cronichetta 3, p. 61) D. Bosco, e appena lo riconobbe, esclamò: — Oh! D. Bosco! Oh! se sapesse (Bonetti, Anecdotes, fol. 6 v.)! L'ho sospirato tanto! (Bisio, Procès, fol. 2456 v.) Io cercava appunto di Lei... (Barberis, Cronichetta 3, p. 61). Ho molto bisogno di Lei (Bonetti, Anecdotes, fol. 6 v.). È Dio che l'ha mandato (Turchi, Memorie..., p. 5)... Ha fatto tanto bene venire a svegliarmi! (Bisio, Procès, fol. 2456 v.).

E D. Bosco gli rispondeva: — Di' pure tutto quello che vuoi, sono qui per te (Bonetti, Anecdotes, fol. 6 v.).

E il giovanetto proseguì: — Oh! D. Bosco; io doveva essere in luogo di perdi-zione. L'ultima volta che mi son confessato, non osai palesare un peccato (Barberis, Cronichetta 3, p. 61) commesso da qualche settimana (Bonetti, Anecdotes, fol. 6 v.)... È stato un compagno cattivo (Documenti XLIII, 11) co' suoi discorsi (glose interpré-tative?)... Ho fatto un sogno che mi ha grandemente spaventato. Sognai (Bonetti, A-necdotes, fol. 6 v.) di essere sull'orlo di un'immensa fornace e (Bisio, Procès, fol. 2456 v.) di fuggire da molti demoni che (Bonetti, Anecdotes, fol. 6 v.) mi perseguita-vano (Rua, Procès, fol. 2707 r.) e volevano prendermi (Bonetti, Anecdotes, fol. 6 v.); e già stavano per avventarmisi addosso e precipitarmi in quel fuoco, quando (Bonetti, Anecdotes, fol. 6 v.) una signora si frappone (Bisio, Procès, fol. 2456 v.) tra me e quelle brutte bestie (glose interprétative?) dicendo: Aspettate; non è ancora giudicato! (Bisio, Procès, fol. 2456 v.). Dopo alcun tempo d'angoscia (d'après Bisio, Procès, fol. 2457 r.) udii la sua voce che mi chiamava (Bonetti, Anecdotes, fol. 6 v.) e mi sono svegliato (Bisio, Procès, fol. 2457 r.); e ora desidero di confessarmi (Bonetti, Anecdo-tes, fol. 6 v.).

La madre intanto, spaventata da quello spettacolo e fuori di sé (Barberis, Croni-chetta 3, p. 61), ad un cenno di D. Bosco (glose interprétative?), era uscita colla zia dalla stanza e andava a chiamar la famiglia (d'après Barberis, Cronichetta 3, p. 61). Il povero figliuolo (d'après Barberis, Cronichetta 3, p. 61), incoraggiato a non aver

Autour de six logia attribués à don Bosco dans les Memorie Biografiche 59

più paura di quei mostri (d'après Bisio, Procès, fol. 2457 r.), incominciò subito la sua confessione con segni di vero pentimento, e mentre D. Bosco lo assolveva (Bonetti, Anecdotes, fol. 6 v.) rientrava la madre colla gente di casa, che poté così essere testimone del fatto (Barberis, Cronichetta 3, p. 61). Il figlio, rivoltosi allora alla madre le disse (Barberis, Cronichetta, p. 61): — D. Bosco (modification interprétative de «questo prete» en Barberis) mi salva dell'inferno (Barberis, Cronichetta 3, p. 61).

Così stette circa due ore, pienamente padrone della sua mente (Barberis, Cronichetta 3, p. 61). In tutto questo tempo, per quanto egli si muovesse, guardasse, parlasse, il suo corpo rimase sempre freddo come prima di risvegliarsi (Barberis, Cronichetta 3, p. 61; mais déplacé et modifié, car Barberis écrivait nettement: «prima di risuscitare»). Tra le altre cose ripetè (Barberis, Cronichetta 3, p. 61) a D. Bosco (modification interprétative; «al confessore», écrivait Barberis) di raccomandare tanto e sempre ai giovani la sincerità in confessione (Barberis, Cronichetta 3, p. 61).

D. Bosco in fine gli disse: — Ora sei in grazia di Dio: il cielo è aperto per te. Vuoi andare lassù o rimanere qui con noi? — Desidero andare al cielo, rispose il giovane (d'Espiney, p. 178). — Dunque a rivederci in paradiso! (Enria, Cahier: «Enria Pietro...», p. 74). — E il fanciullo lasciò cadere il capo sull'origliere (d'après Bonetti, Anecdotes, fol. 6 v. et Barberis, Cronichetta 3, p. 61, légèrement amplifiés), chiuse gli occhi (Bisio, Procès, fol. 2457 r.), rimase immobile (d'après Bonetti et Barberis, ibid.) e si riaddormentò nel Signore (Rua, Procès, fol. 2707 v.)".

III

Les deux histoires du jeune ressuscité

Bacci, Vita di S. Filippo, lib. III, cap. XII

...arrivato il fanciullo all'età di quattordici anni in circa, nell'anno Mille cinquecento ottantatre alli sedici di Marzo si ammalò di febre continua (...) Ma giunto il giovinetto per quell'infermità all'ultimo della sua vita, perche il Santo Padre havea detto, che quando stava su lo spirare, se gli facesse sapere, gli mandarono a dire, che se lo volea veder vivo, v'andasse quanto prima perche stava à malissimo termine. Arrivato adunque chi portava l'ambasciata a S. Girolamo trovò, che '1 Santo stava dicendo Messa: onde non poté altrimenti parlargli; & in quel mentre il giovine spirò, e suo Padre gli chiuse gli occhi. E di già il Curato della Parocchia, che gli havea dato l'Oglio Santo, e raccomandata l'anima, si era partito: que' di casa haveano pre-

Barberis, Cronichetta, 5 janvier 1876, cahier 3, p. 60-62

Oggi da D. Tamietti, sentii a raccontar quella di D. Bosco. La è magnifica. In questi giorni scorsi in cui il Sig. D. Bosco stette al Borgo, parlando in pubblico ai giovani invitandoli ad esser sinceri in confessione raccontò questo fatto. — «Non son poi tanti anni che in Torino avvenne questo fatto. Ammalò gravemente un giovane sui 15 anni. Visto il pericolo, il medico consigliò i genitori ad invitarlo a confessarsi. Gli domandarono i genitori qual sacerdote volesse che si chiamasse. Egli dimostrò gran desiderio che si andasse a chiamare il suo confessore ordinario, sacerdote zelante che lavorava molto in Torino nel ministero ecclesiastico. Si mandò subito per lui; ma con rincrescimento gli si rispose che era fuori di Torino. Il giovane

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parato l'acqua per lavarlo, e li panni per vestirlo. Quando, essendo passato me-z'hora, arrivò il S. Padre à cui Fabritio si fece incontro à capo la scala, e piangen-do gli disse: Paolo è morto. Rispose Fi-lippo: E perche non m'ha vere mandato à chiamare più presto? Replicò Fabritio: L'habbiamo fatto ma vostra Riverenza dicea Messa: Entrò poi Filippo in came-ra, dove stava il fanciullo morto; e si git-tò sopra la sponda del letto, facendo un mezo quarto d'hora oratione con la solita palpitatione del cuore, e tremore del cor-po: e poi prese dell'Acqua santa, e la spruzzò nel viso del figliuolo, e glie ne gittò alquanto in bocca; indi soffiandogli nel volto, con mettergli la mano in fron-te, lo chiamò con voce alta, e sonora due volte: Paolo? Paolo? Alla cui voce il Giovinetto subito, come da un sonno ri-svegliato, aperse gli occhi, e rispose, Pa-dre: e poi soggiunse: Io mi era scordato d'un peccato, e però vorrei confessarmi. AU'hora il Santo Padre fece scansare al-quanto quelli, ch'erano intorno al letto: e dandogli un Crocifisso in mano lo ricon-ciliò. Poscia ritornati tutti in camera, si mise à ragionar seco della Sorella, e della Madre, le quali ambidue erano morte, durando il ragionamento per lo spazio di mez'hora, rispondendo sempre il giovi-netto con voce chiara, e franca, come se fosse stato sano: anzi gli tornò il colore in volto, che à tutti, che lo guardavano, parea, che non havesse havuto mal nis-suno. Ultimamente il Santo Padre gli domandò se moriva volentieri: & egli ri-spose di sì. Interrogandolo poi Filippo la seconda volta se moriva volentieri rispo-se parimente, che moriva volentierissi-mo, massimamente per andar' à veder sua madre, e sua sorella in Paradiso: on-de il Santo Padre dandogli la benedittio-ne gli disse. Va, che sii benedetto, e pre-ga Dio per me. E subito con un volto placido, e senza alcun movimento tornò a morire nelle braccia del Santo Padre...

ne manifestò sentito rincrescimento e mandò a chiamare il suo vice parroco. Un giorno e mezzo dopo moriva. Il con-fessor suo ordinario, arrivato a Torino dopo due giorni ed informato che quel giovane aveva mandato per lui, volle an-dar a trovarlo, caso mai fosse ancora in tempo. Trovò che era già morto da più mezza giornata. Dimostrò desiderio di vederlo e fu condotto nella camera mor-tuaria dov'erano la madre e la zia (?, mot raturé) che pregavano attorno all'estinto il quale già cambiato per la sepoltura stava coperto da un velo (fuori del suo letto? già nella bara?). Avvicinatosi quel prete ed osservatolo andava pensando tra se chi sa se sia confessato bene! Chi sa che cosa sarà di lui, e fatta breve orazio-ne ingenuamente lo chiamò per nome. Si sveglia come da un sonno il giovane, ri-guarda attorno, si alza un poco e dice: oh come mi trovo così? Poi vedendo quel prete: oh! io cercava appunto di lei; ho gran bisogno di Lei. La madre a questa vista, trasecolata e spaventata, esce e va a chiamar gente. Si radunano circa 20 per-sone che poteron esser testimoni del fat-to. Intanto il giovane mi chiamò e (mi chiamò e = add. interlinéaire) disse: Oh io doveva essere in luogo di perdizione, in questa ultima confessione non ho osa-to palesare un peccato, e si confessò da quel prete. Rivoltosi alla madre disse: questo prete mi salva dall'inferno. Stette circa due ore in cui poté esser padrone di sua mente. Tra le altre cose raccomandò al confessore che raccomandasse sempre tanto ai giovani la sincerità in confessio-ne. Poi spirò nuovamente. Una cosa che si osservò mirabile in questa risurezione (sic) si è che in tutto quel tempo colui si muovesse, guardasse, mirasse, il suo corpo stette sempre freddo cadavere co-me prima di risuscitare». Quindi il Sig. D. Bosco continuò a raccomandare la sincerità in confessione...