34
1 – LA FRANCE DANS LA SECONDE GUERRE MONDIALE (8 HEURES) N.B. : ce cours introductif rappelle un certain nombre d’éléments de culture historique, supposés connus, sur les grandes lignes de la Seconde Guerre mondiale, mais sera principalement centré sur la France. Il fait partie de l’actuel programme des classes de Première S, ES, L. Aux origines de la Seconde Guerre mondiale Si les responsabilités du déclenchement de la Première Guerre mondiale demeurent assez partagées entre les différentes puissances européennes, le rôle de l’Allemagne nazie et du Japon est incontestable pour expliquer dans les années 1930 la marche au second conflit mondial. Ses origines sont liées aux coups de force des régimes autoritaires*, voire totalitaires*, européens et japonais dans un atmosphère de tensions et de frustrations internationales, où le pacifisme longtemps dominant des opinions publiques et des gouvernements des pays démocratiques européens se nourrit des souvenirs douloureux du premier conflit mondial. En voici les principales étapes. Les tensions internationales La fin des espoirs de paix La crise économique qui débute en 1929 aux États-Unis remet en question la détente internationale perceptible durant les années 1920 : chaque pays se replie sur lui-même et entend résoudre ses problèmes économiques et sociaux aux dépens des autres (protectionnisme, guerre économique). La production d’armement et l’expansion extérieure, voire la guerre (après 1936), sont parfois envisagées comme des solutions pour ouvrir les marchés étrangers et rassembler les populations autour d’un but précis en encourageant un nationalisme agressif et fortement xénophobe* (hostile aux étrangers). Cette instabilité met à mal les équilibres précaires issus des traités qui ont clos la Première Guerre mondiale, dont celui de Versailles* imposé en 1919 à l’Allemagne vaincue, accusée, non sans excès, d’être responsable de la Première Guerre mondiale. Ainsi, la République de Weimar* née en 1918 et fragilisée par une crise économique, sociale et politique cède-t-elle la place au régime nazi* après la prise du pouvoir par Adolf Hitler* (30 janvier 1933). Dans toute l’Europe centrale et orientale remodelée par les traités de 1919, les fragiles régimes démocratiques sont rapidement remplacés par des dictatures nationalistes, souvent militaires (Hongrie, Pologne, Yougoslavie, États baltes, Bulgarie, Grèce, Roumanie…) [carte de l’Europe en 1938].

Aux origines de la Seconde Guerre mondialepasseport.univ-lille1.fr/site/DDC/histoire/Chap 1.pdfElle réunit à Munich les 29 et 30 septembre 1938 Hitler, Mussolini, Chamberlain et

  • Upload
    others

  • View
    1

  • Download
    4

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Aux origines de la Seconde Guerre mondialepasseport.univ-lille1.fr/site/DDC/histoire/Chap 1.pdfElle réunit à Munich les 29 et 30 septembre 1938 Hitler, Mussolini, Chamberlain et

1 – LA FRANCE DANS LA SECONDE GUERRE MONDIALE (8 HEURES)

N.B. : ce cours introductif rappelle un certain nombre d’éléments de culture historique, supposés connus, sur les grandes lignes de la Seconde Guerre mondiale, mais sera principalement centré sur la France. Il fait partie de l’actuel programme des classes de Première S, ES, L.

Aux origines de la Seconde Guerre mondiale Si les responsabilités du déclenchement de la Première Guerre mondiale demeurent assez

partagées entre les différentes puissances européennes, le rôle de l’Allemagne nazie et du Japon est incontestable pour expliquer dans les années 1930 la marche au second conflit mondial. Ses origines sont liées aux coups de force des régimes autoritaires*, voire totalitaires*, européens et japonais dans un atmosphère de tensions et de frustrations internationales, où le pacifisme longtemps dominant des opinions publiques et des gouvernements des pays démocratiques européens se nourrit des souvenirs douloureux du premier conflit mondial. En voici les principales étapes.

Les tensions internationales La fin des espoirs de paix

La crise économique qui débute en 1929 aux États-Unis remet en question la détente internationale perceptible durant les années 1920 : chaque pays se replie sur lui-même et entend résoudre ses problèmes économiques et sociaux aux dépens des autres (protectionnisme, guerre économique).

La production d’armement et l’expansion extérieure, voire la guerre (après 1936), sont parfois envisagées comme des solutions pour ouvrir les marchés étrangers et rassembler les populations autour d’un but précis en encourageant un nationalisme agressif et fortement xénophobe* (hostile aux étrangers).

Cette instabilité met à mal les équilibres précaires issus des traités qui ont clos la Première Guerre mondiale, dont celui de Versailles* imposé en 1919 à l’Allemagne vaincue, accusée, non sans excès, d’être responsable de la Première Guerre mondiale. Ainsi, la République de Weimar* née en 1918 et fragilisée par une crise économique, sociale et politique cède-t-elle la place au régime nazi* après la prise du pouvoir par Adolf Hitler* (30 janvier 1933).

Dans toute l’Europe centrale et orientale remodelée par les traités de 1919, les fragiles régimes démocratiques sont rapidement remplacés par des dictatures nationalistes, souvent militaires (Hongrie, Pologne, Yougoslavie, États baltes, Bulgarie, Grèce, Roumanie…) [carte de l’Europe en 1938].

Page 2: Aux origines de la Seconde Guerre mondialepasseport.univ-lille1.fr/site/DDC/histoire/Chap 1.pdfElle réunit à Munich les 29 et 30 septembre 1938 Hitler, Mussolini, Chamberlain et

La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)

2

L’agressivité des régimes fascistes ou autoritaires Dès 1931, le Japon attaque la Manchourie (nord-est de la Chine) : la SDN* (Société des

Nations) ne réagit pas. Il attaque ensuite la République de Chine en 1937, ce qui marque le début réel de la Seconde Guerre mondiale.

En 1934, l’Allemagne quitte la SDN* et dénonce le Traité de Versailles* : Hitler veut agrandir l’« espace vital » (Lebensraum*) du pays pour créer une « Grande Allemagne », notamment vers l’Est majoritairement peuplé de Slaves (Pologne) et vers l’Autriche (Anschluss*) [carte de l’Europe en 1938].

L’Italie du dictateur Mussolini*, au pouvoir depuis 1922, prétend dominer la Méditerranée et se lance à la conquête de colonies en Afrique (elle annexe par la force l’Ethiopie en 1935) : elle s’éloigne de la France et du Royaume-Uni pour se rapprocher de l’Allemagne (1936 : « axe Rome-Berlin »*).

Les coups de force des dictatures (1936-1939) La remise en cause du Traité de Versailles par l’Allemagne

Hitler réorganise l’armée pour en faire un instrument docile et puissant, développe l’industrie d’armement et l’aviation (Luftwaffe*). En mars 1936, l’armée allemande occupe la Rhénanie* en principe démilitarisée depuis le traité de Versailles* : bien que supérieurs militairement, la France, en pleine période électorale, et le Royaume-Uni, ne souhaitant pas s’engager dans un nouveau conflit, ne bougent pas ; le coup de bluff nazi a réussi.

La guerre d’Espagne (1936-1939) Après le succès de la gauche (Front populaire*) aux élections législatives de 1936 en

Espagne, les militaires (général Franco*) associé aux conservateurs se soulèvent contre le gouvernement légal républicain. Les grandes puissances décident de ne pas intervenir (non intervention*). En réalité, Italie et Allemagne appuient militairement Franco et testent les armes et les tactiques de la guerre à venir (bombardement aérien de Guernica* en 1937). La France laisse transiter des armes destinées aux Républicains.

L’aide de l’URSS de Staline* (très mesurée) et des combattants volontaires étrangers (les « Brigades internationales »*) au gouvernement républicain, par ailleurs divisé, ne suffisent pas : après de violents combats, la guerre civile se solde par l’installation de la dictature conservatrice franquiste en 1939 et l’exil d’une partie des combattants et dirigeants républicains espagnols, notamment en France.

L’annexion de l’Autriche (mars 1938) Ayant poussé par ses menaces le chancelier autrichien à la démission au profit du parti pro-

nazi, Hitler réalise l’Anschluss* en mars 1938 et se fait acclamer à Vienne. Le Royaume-Uni, favorable à une révision partielle du traité de Versailles* en faveur de l’Allemagne, réagit peu et la France ne peut que s’incliner : le rapport de forces leur est devenu défavorable.

Page 3: Aux origines de la Seconde Guerre mondialepasseport.univ-lille1.fr/site/DDC/histoire/Chap 1.pdfElle réunit à Munich les 29 et 30 septembre 1938 Hitler, Mussolini, Chamberlain et

La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)

3

L’abandon de la Tchécoslovaquie par le Royaume-Uni et la France (septembre 1938)

Hitler prétend annexer en septembre 1938 le territoire tchécoslovaque des Sudètes, peuplé en majorité de personnes de langue allemande travaillées par les nazis [carte de l’Europe en 1938]. Les Tchèques mobilisent leurs soldats, soutenus par leur allié français. Pour éviter de déclencher la guerre, le Premier ministre anglais Chamberlain suggère à Mussolini* de proposer une conférence internationale sur la Tchécoslovaquie. Elle réunit à Munich les 29 et 30 septembre 1938 Hitler, Mussolini, Chamberlain et le président du Conseil français Edouard Daladier* (mais ni les Tchèques, ni l’URSS de Staline*) : pour éviter une guerre qu’ils savent mal préparée et en partie refusée par leurs opinions publiques, Anglais et Français cèdent à nouveau à Hitler, qui peut annexer le territoire des Sudètes. La Tchécoslovaquie perd ses défenses et ne va pas tarder à être démembrée sans combat par l’Allemagne, la Pologne et la Hongrie. L’opinion est majoritairement soulagée, mais une partie d’entre elle critique l’abandon de Munich qui ôte tout crédit aux alliances françaises et anglaises.

Une dernière série d’annexions conduit à la guerre La Tchécoslovaquie disparaît rapidement de la carte [carte de l’Europe en 1938] après

l’indépendance de la Slovaquie (mars 1939) qui passe sous influence allemande et la transformation par la menace de ce qui reste de l’État tchèque en protectorat de Bohême-Moravie rattaché à l’Allemagne. Mussolini en profite pour envahir l’Albanie (avril 1939) et s’allier militairement à Hitler (le « Pacte d’acier »).

Conscients que la politique d’apaisement* (appeasement) a échoué, les dirigeants français et anglais décident de garantir les frontières de la Pologne, prochaine victime des ambitions hitlériennes [carte de l’Europe en 1938]. Hitler revendique la ville-libre de Dantzig pour réunir la Prusse orientale au reste de l’Allemagne, dont elle est séparée par le « corridor de Dantzig », et empêcher tout accès de la Pologne à la mer . À la surprise générale compte tenu des oppositions idéologiques jugées irréductibles entre les deux systèmes politiques, l’Allemagne parvient à signer avec l’URSS de Staline un pacte de non-agression (23 août 1939) : Hitler n’aura pas à se battre sur deux fronts, Staline gagne du temps et un protocole secret annexé au pacte prévoit le partage de la Pologne et des États baltes (Lituanie, Lettonie, Estonie) entre les deux puissances [carte de l’Europe en 1938].

Lorque l’Allemagne attaque la Pologne le 1er septembre 1939 après une provocation nazie, France et Royaume-Uni lui déclarent la guerre le 3 septembre : la Seconde Guerre mondiale débute officiellement en Europe.

Page 4: Aux origines de la Seconde Guerre mondialepasseport.univ-lille1.fr/site/DDC/histoire/Chap 1.pdfElle réunit à Munich les 29 et 30 septembre 1938 Hitler, Mussolini, Chamberlain et

La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)

4

Les grandes phases de la guerre dans le monde (1939-1945)

Les succès de l’Axe (1939-1941) Les forces en présence

France et Royaume-Uni disposent à moyen terme de la supériorité économique (industrie, flotte de guerre, approvisionnements, empires coloniaux) et démographique (réserves de soldats).

L’Allemagne a une supériorité militaire à court terme sur ses adversaires, qui ont engagé plus tard leur réarmement : pas pour l’effectif ou le matériel (sauf pour certains types d’avions, comme les bombardiers en piqué Stuka), mais dans la manière d’utiliser ses forces.

Français et Anglais veulent gagner du temps et adoptent des stratégies défensives (ligne Maginot*) pour limiter les pertes humaines. Hitler, qui a peu de réserves et entend éviter de faire subir aux Allemands les effets directs d’un conflit, veut une guerre courte et choisit la tactique de la « guerre-éclair » (Blitzkrieg*), qui consiste à utiliser massivement des chars et des troupes motorisées et cuirassées (Panzerdivisionen) pour percer rapidement le front et désorganiser l’ennemi.

Vers la défaite française (1939-1940)

L’élimination de la Pologne (septembre 1939) Les forces sont disproportionnées entre les 63 divisions allemandes, techniquement

supérieures, et les 40 divisions polonaises, prises en tenaille : malgré une vive résistance, les Allemands occupent Varsovie et la Pologne capitule le 6 octobre. Entre temps, le 17 septembre, conformément au pacte germano-soviétique, l’URSS attaque la Pologne et récupère certains territoires perdus en 1921 [carte de l’Europe en 1942]. L’Allemagne occupe le reste et conserve un « gouvernement général de Pologne » (Cracovie et Varsovie) dirigé par un nazi qui instaure un régime de terreur : les élites polonaises sont systématiquement éliminées par Allemands et Russes.

La « drôle de guerre » à l’Ouest (septembre 1939-mai 1940) La période s’étendant de la déclaration de guerre à l’attaque allemande à l’Ouest, connue sous

le nom de « drôle de guerre »*, se révèle pleine d’ambiguïtés : l’adversaire n’apparaît pas aussi nettement qu’en 1914. Le pacte germano-soviétique* trouble l’opinion, dont une partie voit ressurgir le spectre du bolchevisme* ennemi des démocraties, et le parti communiste*, dissous depuis le 26 septembre, désorganisé par la répression, mais dont maints militants sont pris à rebours dans leurs convictions antinazies par la nouvelle ligne politique du PC qui ne fait plus de différence entre Daladier et Hitler. Les prises de position des hommes politiques “munichois”, la force du courant pacifiste, l’ampleur des crises politiques des années trente brouillent la perception du danger immédiat. Ces divisions ne cessent pas après l’entrée en guerre, y compris au sein du gouvernement ; l’inaction forcée imposée aux troupes par l’absence d’initiatives hitlériennes directes contre la France jusqu’au printemps 1940 (pour des raisons météorologiques) et les proclamations rassurantes de Daladier anesthésient encore davantage les Français. Les Britanniques, eux, sont à présent résolus à la lutte.

Page 5: Aux origines de la Seconde Guerre mondialepasseport.univ-lille1.fr/site/DDC/histoire/Chap 1.pdfElle réunit à Munich les 29 et 30 septembre 1938 Hitler, Mussolini, Chamberlain et

La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)

5

Les dirigeants alliés, traumatisés par les hécatombes de l’été 1914, attendent que leur effort de réarmement, la mise sur pied de l’armée de terre anglaise et leur supériorité à long terme portent leurs fruits. Hitler, débarrassé de tout ennemi de revers à l’Est, a le temps de ramener ses troupes vers l’Ouest pour préparer ses offensives. Faute de l’attaquer de front, les franco-britanniques, financièrement solidaires, cherchent à affaiblir le IIIe Reich* par des stratégies périphériques [carte de l’Europe en 1938] : soutien enthousiaste à la Finlande qui tient tête à l’URSS (décembre 1939-mars 1940), volonté de couper la “route du fer” suédois vers l’Allemagne en débarquant un corps expéditionnaire dans le port norvégien de Narvik (avril-mai 1940). Mais la défaite finlandaise et la rapide occupation par l’Allemagne du Danemark, puis de la Norvège (avril 1940), et des États baltes par l’URSS (juin 1940), ruinent ces espoirs. Les critiques s’amplifient contre Daladier : la Chambre des Députés* s’abstient massivement lors du vote d’un ordre du jour de confiance* le 20 mars 1940. Paul Reynaud*, jugé plus énergique, le remplace le lendemain, mais son gouvernement, toujours partagé entre partisans d’une paix de compromis et bellicistes, ne dispose que d’une étroite majorité au Parlement. Rien ne change, sinon l’engagement réciproque avec le Royaume-Uni de ne pas conclure d’armistice séparé avec l’Allemagne. Contrairement à la Wehrmacht*, les forces franco-anglaises manquent d’unité de commandement ; même dans l’armée française, des divergences existent, notamment entre son commandant en chef, le général Gamelin*, partisan de la défensive, et le général Georges, dirigeant les armées du Nord-Est. De fait, le potentiel de résolution, perceptible chez les Français à l’automne 1939, a été gaspillé.

L’effondrement français (10 mai – 22 juin 1940) Le 10 mai, Hitler lance une offensive générale sur les Pays-Bas et la Belgique neutres,

mettant l’accent sur les nœuds de communication. Comme prévu, croyant y voir une répétition élargie du plan Schlieffen* de 1914, les Alliés viennent au secours des Belges et des Néerlandais. Mais, simultanément, conformément au plan Manstein*, Hitler concentre 9 divisions blindées dans les Ardennes (réputées “infranchissables” par le maréchal Pétain*), à la charnière du dispositif français, entre les troupes montées vers le Nord-Ouest et la ligne Maginot. Mal protégée, la Meuse est franchie le 13 près de Sedan et, le 15, les blindés de Guderian*, appuyés par des bombardements aériens, réalisent une percée qui s’élargit rapidement. Obliquant vers l’Ouest dans un mouvement tournant, les divisions allemandes, dont la vitesse de déplacement et la concentration créent la panique dans les rangs français, atteignent la Manche le 20 mai. Deux jours auparavant, Reynaud* avait renforcé ses pouvoirs, mais confié à Pétain* la vice-présidence du Conseil. Dès le 10 mai, Winston Churchill* avait remplacé Chamberlain* dans ses fonctions de Premier ministre britannique.

Les contre-offensives lancées du 21 au 25 mai par le nouveau généralissime Weygand* échouent, faute de coordination et de tactique adaptée : le 28, les Belges capitulent. Profitant d’une erreur de Hitler qui freine ses troupes, les armées franco-anglaises du Nord, encerclées, peuvent se replier sur Dunkerque pour évacuer ce qui peut l’être : jusqu’au 3 juin, dans des conditions épouvantables, 350 000 hommes (dont plus de 100 000 Français) gagnent l’Angleterre.

Page 6: Aux origines de la Seconde Guerre mondialepasseport.univ-lille1.fr/site/DDC/histoire/Chap 1.pdfElle réunit à Munich les 29 et 30 septembre 1938 Hitler, Mussolini, Chamberlain et

La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)

6

S’engage alors la « bataille de France ». Le 4 juin, Weygand reconstitue une ligne de défense s’étirant de la Somme à l’Aisne, dans un état d’infériorité numérique (de un à deux) et de désorganisation tels que le front craque dès le 6. Le surlendemain, la situation est devenue désespérée et le haut commandement, pris de vitesse, apparaît totalement dépassé : le 10 juin, le gouvernement quitte Paris pour la Loire, puis Bordeaux, tandis que Weygand* donne l’ordre de repli général le 12 ; Paris, « ville ouverte », est occupée le 14. Dans cette atmosphère où règnent rumeurs et confusions, certaines unités résistent héroïquement alors que d’autres, toutes proches, s’évanouissent avec leurs officiers. Les mouvements de troupes sont gênés par “l’exode” devenu massif de 7 à 8 millions de civils bombardés, en détresse sur les routes, fuyant la Belgique, le nord de la France et Paris devant l’avancée des Allemands. Ces derniers s’enfoncent dans le territoire français, vers l’Ouest, le long de l’axe rhodanien et du littoral atlantique, d’autant plus facilement que le nouveau président du Conseil Pétain annonce le 17 juin, avant d’avoir discuté de l’armistice*, qu’il faut « cesser le combat »[texte 1], multipliant ainsi le nombre des prisonniers.

La question de l’armistice* Le gouvernement français, peu à la hauteur de la situation, était violemment partagé entre les

tenants de la capitulation*, qui engage la seule armée, et ceux de l’armistice*, que devraient assumer les responsables politiques. Les premiers (Reynaud*, le ministre de l’Intérieur Georges Mandel*, le tout récemment promu général Charles De Gaulle*, sous-secrétaire d’État à la Guerre depuis le 6 juin) veulent continuer le combat aux côtés de l’Angleterre, depuis l’Afrique du Nord, appuyés sur l’Empire* et la flotte. Les seconds (Pétain*, Weygand*) souhaitent éviter le déshonneur militaire d’une capitulation* et protéger la population en négociant les conditions d’un armistice. Autour de Pierre Laval* et de Marquet*, un groupe de parlementaires fait pression en ce sens. Churchill* a beau assurer la France de son total soutien, les partisans de cette solution semblent les plus nombreux. Gagné par le défaitisme, se croyant minoritaire, Reynaud démissionne le 16 juin : Pétain le remplace immédiatement. Pourtant, certains hauts responsables politiques pensent gagner l’Afrique du Nord : en fin de compte, 27 parlementaires seulement (Daladier, Mandel, Pierre Mendès France*, Jean Zay*) quittent Bordeaux à bord du Massilia le 21 juin ; ils seront arrêtés à leur arrivée et accusés d’avoir pris la fuite… Depuis Londres, De Gaulle* prononce le 18 juin à la radio un “appel”, sur le moment peu entendu, mais destiné à passer à la postérité comme le geste fondateur de la résistance française : convaincu que la bataille de France ne met pas fin à une guerre d’ampleur mondiale, il invite militaires et techniciens à le rejoindre [texte 2]. Pour l’heure, en dépit de la pertinence de l’analyse, une telle position ne semble guère réaliste ; rares sont les Français, dans l’ensemble abasourdis par la déroute, désireux de poursuivre les combats.

Ils écoutent davantage Pétain*, nom glorieux et rassurant auquel ils se raccrochent. Son message du 20 juin désigne les motifs de la défaite : « trop peu d’enfants, trop peu d’armes, trop peu d’alliés » – affirmations largement erronées ; selon lui, « l’esprit de jouissance l’a emporté sur l’esprit de sacrifice » : c’est insister sur la responsabilité, non seulement des dirigeants de la IIIe République*, mais aussi de la population gagnée par le désordre moral. Soucieux de conforter

Page 7: Aux origines de la Seconde Guerre mondialepasseport.univ-lille1.fr/site/DDC/histoire/Chap 1.pdfElle réunit à Munich les 29 et 30 septembre 1938 Hitler, Mussolini, Chamberlain et

La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)

7

les hiérarchies traditionnelles, hostile au communisme* et au Front populaire*, antiparlementariste*, Pétain* était resté prudent depuis 1918 ; il entend bien profiter de la situation pour imposer un nouveau régime qui jetterait les bases du « redressement français ». Auparavant, il lui faut régler la question de l’armistice.

Entrant en contact immédiatement avec les Allemands, le Maréchal charge une commission de négocier les conditions de l’armistice, prélude à la conclusion d’une paix avec l’Allemagne. L’accord, finalement conclu le 22 juin dans le wagon de Rethondes où avait été signé celui du 11 novembre 1918*, entre en vigueur le 25. Entre temps, un autre armistice a été négocié avec l’Italie, entrée en guerre contre la France le 10 juin sans succès militaire. Les conditions, savamment dosées par Hitler pour éviter que ne repose sur l’Allemagne le poids d’une administration totale du pays, se révèlent très dures, même si demeure la fiction d’une souveraineté du gouvernement français sur l’ensemble du territoire.

L’armée d’armistice, réduite à 100 000 hommes, sert à maintenir l’ordre. 1,8 million de soldats français demeurent prisonniers de guerre en Allemagne. Le matériel militaire doit être donné à l’Allemagne sans pouvoir être reconstitué par la France. Sa flotte, désarmée, rejoindra ses ports d’attache, sans que (concession) le Reich puisse l’utiliser. L’armée allemande occupe les 3/5e de la France (la partie la plus industrielle et urbanisée), dans lesquels l’administration française s’engage à collaborer avec la puissance occupante en se conformant à ses réglementations. Point infamant, Vichy doit livrer les ressortissants allemands réfugiés que l’occupant lui désignera. De plus, une indemnité d’occupation quotidienne de vingt millions de Reichsmark est versée au titre des frais d’entretien de la Wehrmacht en France ; qui plus est, le mark, surévalué de 20 % par rapport au franc, bénéficie d’un taux de change particulièrement avantageux.

En outre, la division du territoire en deux zones, occupée et libre, ne résiste pas à l’épreuve des faits [Carte : La France occupée (1940-1944)]. En réalité, la France métropolitaine est découpée en cinq : une zone “rattachée” au commandement militaire allemand de Bruxelles (Nord), une “annexée” au Reich, au mépris des conventions d’armistice (Alsace-Moselle), une “interdite” au retour des réfugiés ou “réservée” pour une éventuelle colonisation “aryenne”* (Nord-Est et bande littorale), le reste de la zone “occupée”* et enfin la zone “libre”* au sud de la « ligne de démarcation »*. Leurs limites, contrôlées par les Allemands, constituent autant de moyens de pression sur Vichy : restreindre l’accès à chacune d’entre elles permet de décourager toute velléité d’opposition, voire de restreindre les approvisionnements. Perçu alors par beaucoup de Français comme un moyen de temporiser ou de retrouver un semblant de vie normale, l’armistice se révèle un piège redoutable.

Une fois la France vaincue, reste à neutraliser le Royaume-Uni, qu’Hitler espère contraindre à la paix.

La « bataille d’Angleterre » (été 1940) Le Royaume-Uni refuse de cesser le combat en dépit de la disproportion des forces. Hitler ne

peut le battre que par un débarquement. Mais il doit auparavant détruire l’aviation britannique (la RAF*, Royal Air Force), ce que promet non sans forfanterie le dirigeant nazi Hermann Goering*,

Page 8: Aux origines de la Seconde Guerre mondialepasseport.univ-lille1.fr/site/DDC/histoire/Chap 1.pdfElle réunit à Munich les 29 et 30 septembre 1938 Hitler, Mussolini, Chamberlain et

La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)

8

chef de la Luftwaffe*. Ces raids aériens visaient aussi à toucher l’industrie et terrroriser la population.

Les bombardements commencent début août 1940 contre les côtes anglaises, puis contre les aérodromes ; mais la Luftwaffe*, bien que supérieure en nombre, essuie de lourdes pertes et ne remporte pas de victoire décisive : loin de leurs bases, les avions allemands subissent la réplique des britanniques (Spitfire, Hurricane) et ne bénéficient plus de l’effet de surprise car la découverte du radar* permet aux Anglais de les repérer.

Début septembre, la nouvelle tactique allemande, aveu d’impuissance, consiste à bombarder systématiquement les grandes villes anglaises comme Londres ou Coventry (le “blitz”) en espérant que les civils feront céder leur gouvernement. En vain, car le Royaume-Uni garde la maîtrise des airs et Hitler, devant la lourdeur des pertes (de part et d’autre), doit remettre le débarquement, puis cesser les bombardements mi-octobre. Modifiant sa stratégie, il décide de couper les routes d’approvisionnement maritime britannique en Méditerranée et dans l’Atlantique en utilisant ses sous-marins. Mais le Royaume-Uni, bien que soumis au blocus* et très affaibli, demeure une terre d’accueil pour les opposants au nazisme et les gouvernements en exil (Belgique, Pays-Bas, Norvège, Pologne…).

L’extension de la guerre au monde entier (1941-1942)

Dans les Balkans L’Italie attaque la Grèce en octobre 1940, mais la résistance grecque malmène les troupes de

Mussolini, qui doit se résoudre à demander l’aide allemande au printemps 1941. En outre, le nouveau roi yougoslave semble se détacher de l’Allemagne au profit de l’URSS : Hitler mène une nouvelle guerre-éclair (avril 1941) et occupe la Yougoslavie (démembrée), la Grèce et la Crète, ce qui lui permet de menacer les convois maritimes britanniques passant par le canal de Suez, mais retarde ses préparatifs.

En mer Méditerranée Elle devient un enjeu essentiel, en particulier la route du canal de Suez (pétrole) [carte de la

Méditerranée 1939-1945]. Déjà, en juillet 1940, la flotte anglaise tire sur des bateaux de guerre français à Mers-el-Kébir* (Tunisie) pour éviter qu’ils ne viennent renforcer la marine allemande. Ensuite, une attaque italienne contre l’Egypte échoue, ce qui contraint Hitler à soutenir son allié en envoyant des blindés dirigés par Erwin Rommel* (l’Afrika Korps). Cette « guerre du désert », alternant offensives et contre-offensives, où s’llustrent des FFL* à Bir-Hakeim, mène Rommel aux portes d’Alexandrie* durant l’été 1942.

Au Moyen Orient Les nazis provoquent une révolte contre les Anglais en Irak mais, malgré l’appui donné par le

régime de Vichy aux Allemands (autorisés à utiliser les bases aériennes des mandats français en Syrie et au Liban), le gouvernement britannique aidé par les Forces françaises libres* (FFL) de De Gaulle maîtrisent la situation.

Page 9: Aux origines de la Seconde Guerre mondialepasseport.univ-lille1.fr/site/DDC/histoire/Chap 1.pdfElle réunit à Munich les 29 et 30 septembre 1938 Hitler, Mussolini, Chamberlain et

La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)

9

En URSS Pourquoi l’attaque allemande ? Depuis le XIXe s., les deux puissances luttent

traditionnellement d’influence dans les Balkans (Roumanie, Bulgarie, Yougoslavie). De plus, la théorie raciste d’Hitler fait des Slaves des « sous-hommes » qu’il faudrait asservir pour garantir « l’espace vital »* de l’Allemagne dans son expansion vers l’Est. En outre, les oppositions idéologiques demeurent fortes : les nazis voient le bolchevisme comme une « tumeur morbide juive », dont la destruction répondrait à l’accomplissement d’une « mission historique ». Dès septembre 1940, le rapprochement diplomatique entre Allemagne, Italie et Japon inquiète Staline : le « plan Barbarossa »* d’invasion de l’URSS est prêt depuis la fin de 1940.

L’attaque de l’URSS*, retardée par l’intervention balkanique, a lieu le 22 juin 1941 : cette « croisade » européenne antibolchevique mène 235 divisions (en partie non allemandes) aux portes de Moscou et de Léningrad, assiégées [carte de l’Europe en 1942], tandis que toute l’Ukraine est prise : 2,5 millions de Russes sont morts, blessés ou prisonniers. L’Armée rouge*, désorganisée par les grandes purges staliniennes* des années 1930 et par l’inaction de leur chef un temps incrédule, doit battre en retraite. Une contre-offensive désespérée menée par le général Joukov*, aidé par l’hiver russe, bloque l’avancée allemande devant Moscou : mal équipés contre le froid, les Allemands reculent un peu. Mais, au printemps, leur avancée reprend vers le Sud, en direction du Caucase (blé et pétrole de Bakou), jusqu’à Stalingrad*. À l’été 1942, Hitler semble maître de la quasi-totalité du continent européen.

Cependant, le front* est étiré, difficile à défendre et à ravitailler : la guerre-éclair* cède la place à une guerre d’usure* à laquelle l’Allemagne est mal préparée. De plus, les Soviétiques ont préservé une partie de leur potentiel industriel en démontant des milliers d’usines pour les placer à l’est de l’Oural : la production d’armements, aidée par les Occidentaux, peut se développer.

Les États-Unis en guerre (décembre 1941) Discrètement, compte tenu d’une opinion américaine isolationniste* qui ne souhaite pas

s’engager à nouveau dans les conflits européens, le président Franklin Delano Roosevelt* soutient les démocraties européennes. Son discours vise à « mettre en quarantaine » les dictatures (1937) et à accorder à la France et au Royaume-Uni (puis à ce dernier seul) une aide matérielle : en mars 1941, la loi « prêt-bail » autorise le président américain à « prêter » du matériel de guerre à un pays dont la défense « garantirait la sécurité » des États-Unis (Royaume-Uni, Chine, puis URSS). Ces derniers se rapprochent du gouvernement britannique : Roosevelt* et Churchill* signent en août 1941 la Charte de l’Atlantique* contre le nazisme et pour la démocratie, qui servira plus tard de base à l’ONU* (Organisation des Nations Unies).

Mais l’intervention américaine est précipitée par l’attitude japonaise en Extrême-Orient et dans l’océan Pacifique : ayant partiellement soumis la Chine, les dirigeants japonais, qui veulent dominer toute l’Asie du Sud-Est, demeurent prudents. L’échec des négociations nippo-américaines conduit les deux gouvernements à durcir leur attitude : en réplique aux sanctions économiques américaines contre le Japon, le général Tojo* engage l’épreuve de force : sans déclarer la guerre, il attaque la base navale américaine de Pearl Harbor (îles Hawaï) le 7 décembre 1941, détruisant

Page 10: Aux origines de la Seconde Guerre mondialepasseport.univ-lille1.fr/site/DDC/histoire/Chap 1.pdfElle réunit à Munich les 29 et 30 septembre 1938 Hitler, Mussolini, Chamberlain et

La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)

10

une bonne partie de la flotte américaine dans le Pacifique [carte de l’Asie du Sud-Est 1937-1945]. Les États-Unis entrent résolument en guerre contre le Japon, l’Allemagne et leurs alliés.

À court terme, le Japon profite de sa supériorité face à des États-Unis mal préparés, presque sans troupes ni marine de guerre. Mais, à moyen terme, ces derniers bénéficient de leur énorme puissance économique (la première au monde depuis le début du XXe s.) orientée dans un sens dirigiste vers l’économie de guerre*, de leur réservoir en soldats (la conscription devenue obligatoire en février 1942 fournit 16 millions de mobilisés) et de la fragilité des approvisionnements japonais (doit importer les 2/3 de ses matières premières).

Le Japon doit mener une guerre aéro-navale dans le Pacifique pour contrôler ses routes maritimes : en quelques mois, il occupe presque toute l’Asie du Sud-Est (colonies françaises, anglaises et hollandaises), menace l’Inde anglaise et l’Australie. La suprématie des forces de l’Axe* durant l’été 1942 est incontestable, mais elles n’ont pas remporté de victoires décisives.

1942 : une année-charnière Des batailles aéronavales décisives

La « bataille de l’Atlantique »* (1941-1942) À la fin de 1942, les sous-marins et la flotte de surface allemands subissent de lourdes pertes

face aux Anglo-Américains (utilisation du sonar pour les repérer et des porte-avions) : la Kriegsmarine se replie vers le Nord, hommes et matériel passent plus facilement vers le Royaume-Uni et l’URSS. Il s’agit d’une victoire importante pour les Alliés*.

L’échec japonais de Midway (juin 1942) L’expansion japonaise subit un coup d’arrêt dans la mer de Corail (mai 1942), puis devant

l’île de Midway dans le Pacifique-Est [carte de l’Asie du Sud-Est 1937-1945] ; avec le temps, les forces aéro-navales se sont équilibrées : les Américains ont organisé des « task forces »* (« forces combinées ») autour de porte-avions géants accompagnés de navires et de péniches de débarquement destinées à des opérations amphibies. Leur supériorité matérielle et logistique fin 1942 leur permet d’envisager une reconquête progressive des territoires perdus par des « sauts d’île en île », pour s’approcher du Japon et pouvoir le bombarder ; mais ce ne peut qu’être long et difficile (cf. la féroce bataille de Guadalcanal aux îles Salomon).

La maîtrise alliée sur l’Afrique du Nord (automne 1942-printemps 1943)

La défaite de l’Afrika Korps* Peu soutenu par Hitler qui accorde la priorité à l’URSS, Rommel* ne peut profiter de ses

victoires : malgré son génie militaire, il est battu par une contre-offensive menée par le général anglais Montgomery*, victorieux en octobre 1942 à El-Alamein : les Allemands doivent se replier sur la Tunisie.

Le débarquement allié en Afrique du Nord (novembre 1942) « L’opération Torch » dirigée par le général américain Eisenhower* permet à 100 000

soldats de débarquer au Maroc et en Algérie, en dépit de la résistance opposée dans un premier

Page 11: Aux origines de la Seconde Guerre mondialepasseport.univ-lille1.fr/site/DDC/histoire/Chap 1.pdfElle réunit à Munich les 29 et 30 septembre 1938 Hitler, Mussolini, Chamberlain et

La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)

11

temps par les troupes françaises aux ordres du régime de Vichy*. Rapidement, l’amiral Darlan*, successeur désigné de Pétain et présent sur place, doit rejoindre les Alliés avec les troupes françaises d’Afrique du Nord. Encerclées, les forces germano-italiennes de Tunisie capitulent (mai 1943).

En représailles, Hitler fait occuper la « zone libre » par la Wehrmacht* le 11 novembre 1942, veut contrôler la flotte française qui choisit de se saborder à Toulon et durcit la répression : le régime de Vichy est totalement soumis à l’Allemagne.

La contre-offensive soviétique : Stalingrad L’Armée rouge* défend Stalingrad avec acharnement pendant plus de deux mois. Le

19 novembre 1942, elle passe à l’offensive, encerclant la VIe Armée allemande de Von Paulus*, à qui Hitler, comptant apporter des secours, interdit de se replier. Mais l’encerclement total conduit Von Paulus à la capitulation en février 1943 dans des conditions dramatiques : sur 300 000 Allemands, il demeure 90 000 survivants, faits prisonniers. Cette première grande défaite allemande a en Europe un important impact psychologique qui renforce la popularité de l’Armée rouge*. Même si Hitler est encore loin d’être battu, son prestige est atteint et certains de ses alliés (Italie, Hongrie, Roumanie) envisagent des négociations.

Au début de l’année 1943, les forces de l’Axe ont donc perdu l’initiative des opérations.

La victoire alliée (1943-1945) De nouvelles stratégies

Les conceptions des Alliés Les Anglo-Américains coopèrent étroitement depuis la Charte de l’Atlantique*, reprise par

la Déclaration des Nations-Unies* (1er janvier 1942) : pour coupere court à toute tentative de négociation séparée, ils exigent la capitulation sans condition de l’Allemagne et du Japon (janvier 1943). Mais leurs stratégies divergent : le Royaume-Uni, favorable à une stratégie “périphérique”, souhaite frapper l’ennemi où il est le plus faible, en particulier en Méditerranée ; Roosevelt préfère une stratégie “frontale”, afin de profiter de la supériorité en moyens matériels et humains des Alliés pour faire plier l’ennemi de manière décisive. Ils s’accordent pour abattre l’Allemagne avant le Japon – ce qui n’allait pas de soi –, unifier le commandement interallié en Europe sous l’autorité de l’américain Eisenhower*, mais prévoient de commencer les opérations de débarquement en Méditerranée, sous direction anglaise.

Les Soviétiques conduisent la guerre de manière autonome, mais ont besoin du matériel allié (vivres, vêtements, machines) : dès 1942, ils produisent autant d’armes que l’Allemagne. Toutefois, Staline réclame depuis 1941 l’ouverture d’un « second front »* pour soulager l’URSS : il est prévu par la conférence de Téhéran* réunissant les « trois Grands », Roosevelt*, Churchill* et Staline* (28/11 au 1/12/1943) ; en contrepartie, Staline promet d’entrer en guerre contre le Japon après la défaite nazie. La concertation s’améliore entre les Alliés, en dépit d’inquiétudes et d’arrière-pensées, chacun redoutant que l’autre ne conclue une paix séparée.

Page 12: Aux origines de la Seconde Guerre mondialepasseport.univ-lille1.fr/site/DDC/histoire/Chap 1.pdfElle réunit à Munich les 29 et 30 septembre 1938 Hitler, Mussolini, Chamberlain et

La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)

12

L’adaptation des Allemands à la guerre d’usure* Il n’existe aucune concertation en revanche entre Japon et Allemagne, chacun menant des

opérations séparément. Hitler, encore confiant début 1943, espère une mésentente entre Russes et Anglo-Saxons. Il fait de l’Europe une « forteresse » : il édifie une ligne de défense bétonnée le long des côtes, de la Norvège à la France, le « Mur de l’Atlantique »* et il s’estime protégé par l’ampleur de ses conquêtes soviétiques. Il compte sur la découverte d’armes nouvelles (V1, fusées V2, avions à réaction, voire bombe atomique) dont la mise au point a pris du retard car il ne les avait pas jusque là jugées prioritaires. Enfin, il renforce l’exploitation systématique des territoires occupés, tout en répugnant encore à infliger aux Allemands une véritable mobilisation dans l’économie de guerre*.

Cependant, en 1943, les Alliés ont définitivement acquis une supériorité dans les fabrications d’armement, qui ne peut manquer à terme de submerger les forces de l’Axe*, d’autant qu’ils maîtrisent la logistique* (utilisation des ordinateurs*), notamment pour les grandes opérations amphibies de débarquement, importante nouveauté de la deuxième partie de la guerre.

La chute de l’Allemagne (1943-1945)

Les débarquements de 1943-1944 L’effondrement du fascisme* italien

En juillet 1943, les Alliés débarquent en Sicile, puis en Italie du Sud : Mussolini* démissionne, est emprisonné, puis délivré par un commando parachutiste allemand. Son successeur, le maréchal Badoglio*, déclare la guerre à l’Allemagne. Hitler réagit vite en occupant l’Italie et en faisant Mussolini chef d’une éphémère « République italienne de Salo », auxiliaire des nazis. Mais les Alliés avancent très lentement en Italie : ils ne pénètrent à Rome qu’en juin 1944, après la percée réalisée au Mont-Cassin par le général français Juin ; le nord de l’Italie, lui, tient jusqu’en 1945 [carte de la Méditerranée 1939-1945]. Les deux débarquements en France (1944)

Voulus par les États-Unis et l’URSS, ils sont délicats à mener car une précédente tentative sur Dieppe en août 1942 s’était soldée par de lourdes pertes : Eisenhower décide de ne pas s’emparer d’un port et d’éviter le nord de la France, trop bien défendu.

Le premier débarquement a lieu le 6 juin 1944 (le « jour J ») en Normandie. Soigneusement préparé par des bombardements massifs sur les villes françaises, il joue sur l’effet de surprise en prévoyant d’installer deux ports artificiels afin d’acheminer jusqu’aux plages normandes les quatre millions d’hommes et le gigantesque matériel rassemblés en secret en Angleterre : profitant du brouillard et de l’écrasante supériorité aérienne, l’opération « Overlord » réussit, au prix de très lourdes pertes, à implanter quatre « têtes de pont » en Normandie et 150 000 hommes, alors qu’Hitler croit encore à une diversion et n’engage pas toutes ses troupes pour rejeter les Alliés à la mer, contrairement à ce que souhaitait le maréchal Rommel*. Mais, malgré la prise du port de Cherbourg, les Alliés ont du mal à avancer en raison de la forte résistance allemande. Il faut la percée réussie fin juillet à Avranches par le général Patton* pour progresser vers la vallée de la Seine et la Bretagne.

Page 13: Aux origines de la Seconde Guerre mondialepasseport.univ-lille1.fr/site/DDC/histoire/Chap 1.pdfElle réunit à Munich les 29 et 30 septembre 1938 Hitler, Mussolini, Chamberlain et

La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)

13

Un second débarquement se déroule en Provence le 15 août 1944 avec des troupes américaines appuyées par les Français du général de Lattre de Tassigny*, qui remontent le long de la vallée du Rhône.

Les Allemands doivent se replier vers le Nord-Est, non sans que certaines unités SS*, harcelées par les résistants français, perpètrent des massacres d’otages (Oradour/Glane, Tulle, Ascq…). Paris est libérée par une insurrection des FFI* de la résistance intérieure appuyés par la 2e Division blindée du général Leclerc* (19-25 août 1944). Fin octobre, presque toute la France est libérée, sinon quelques “poches” allemandes dans les ports atlantiques et l’Alsace.

Vers la capitulation allemande (7-8 mai 1945) La supériorité soviétique à l’Est

Staline, mettant l’accent sur le patriotisme russe plus que sur la propagande communiste, parvient à mobiliser la population, qui consent d’énormes sacrifices. Sa stratégie inspirée par Joukov* consiste à concentrer une masse d’hommes, d’artillerie (les « orgues de Staline »), d’avions et de chars pour écraser les points faibles des Allemands et renouveler plusieurs fois l’opération sans leur laisser de répit. La Wehrmacht* lance encore des offensives en juillet 1943 dans la région de Koursk [carte Europe 1942], mais cette gigantesque bataille de chars tourne à l’avantage des Soviétiques : la Blitzkrieg* échoue devant la supériorité quantitative et qualitative de l’armement russe, disposé en profondeur.

En fait, malgré une résistance acharnée, les armées allemandes ne cesseront de reculer devant le « rouleau compresseur » russe… : à l’été 1944, presque tout le territoire soviétique est libéré ; fin 1944, l’Armée rouge* chasse les Allemands de Bulgarie et de Roumanie, qui deviennent alliées de l’URSS et intègrent des ministres communistes à leurs gouvernements. La résistance communiste dirigée par Tito* libère quasi-seule la Yougoslavie. Toutefois, Staline laisse réprimer en septembre 1944 l’insurrection de Varsovie sans intervenir alors que ses troupes sont aux portes de la capitale polonaise… Au printemps 1945, les Soviétiques progressent vers Berlin, qui se rend le 2 mai après le suicide de Hitler* dans son bunker le 30 avril. Sur le front Ouest

Hitler voit son pouvoir contesté en Allemagne, au sein même de l’appareil nazi et de la hiérarchie militaire : il échappe de peu à un attentat organisé par un officier allemand le 20 juillet 1944. Mais la brutale reprise en mains par les nazis conduit à mener la guerre jusqu’au bout. Pourtant, les villes allemandes sont continuellement bombardées (Dresde en février 1945), pour faire pression sur les civils allemands, sans succès – ce qui consiste à reproduire la même erreur que celle de Hitler contre l’Angleterre en 1940. Les usines allemandes, souvent enterrées, souffrent moins que les voies de communication dont la coupure perturbe les approvisionnements (pétrole, matières premières) ; la main-d’œuvre manque et la production diminue fin 1944. Les nouvelles armes, dont les installations ont été détruites, ne peuvent inverser la tendance. Hitler utilise les dernières forces disponibles, enrôlant jeunes et vieux dans le Volksturm*. Une ultime contre-offensive dans les Ardennes en décembre 1944, un temps victorieuse, échoue faute de carburants et de matériel. C’est l’assaut final : en mars 1945, les Alliés franchissent le Rhin et effectuent leur

Page 14: Aux origines de la Seconde Guerre mondialepasseport.univ-lille1.fr/site/DDC/histoire/Chap 1.pdfElle réunit à Munich les 29 et 30 septembre 1938 Hitler, Mussolini, Chamberlain et

La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)

14

jonction sur l’Elbe avec les troupes soviétiques venues de l’Est. La capitulation allemande sans conditions est signée les 7 mai (quartier général d’Eisenhower à Reims) et 8 mai 1945 (quartier général de Joukov à Berlin).

La défaite japonaise (1943-1945) Elle est surtout l’œuvre des Américains, secondés par les Anglais sur le continent asiatique.

Les troupes progressent selon deux axes [carte Pacifique 1937-1945] : - dans le Pacifique central (amiral Nimitz*), vers les îles Mariannes (juin 1944) - dans le Pacifique sud (général Mac Arthur*), par les Philippines (octobre 1944-février

1945) Les États-Unis utilisent la tactique des commandos de marines appuyés par l’aviation et

contrôlent difficilement l’île d’Okinawa en juin 1945, à partir de laquelle ils peuvent bombarder l’archipel nippon. Harcelés par les pilotes kamikaze* (avions-suicide) et par la résistance désespérée des Japonais qui n’ont plus de marine de guerre, les Américains bombardent les villes japonaises (Tokyo). Le Japon, aux ressources encore importantes, refuse de se rendre en dépit d’une défaite inévitable. Or, le nouveau président américain Harry Truman*, qui vient de remplacer Roosevelt décédé, sait qu’il dispose depuis juillet de l’arme nucléaire. Pour éviter les lourdes pertes que nécessiterait un débarquement – et, autre raison, finir la guerre avant que l’URSS n’attaque le Japon le 8 août 1945 comme convenu –, il ordonne le lancement depuis un avion de deux bombes atomiques les 6 et 9 août 1945, respectivement sur les villes d’Hiroshima et Nagasaki, quasiment rasées (plusieurs dizaines de milliers de morts immédiates) : plutôt que d’atteindre des objectifs militaires, il s’agit d’impressionner les civils et de faire céder le gouvernement nippon. L’Empereur Hiro-Hito exige à la radio que les militaires cessent une résistance devenue inutile, d’autant que l’URSS occupe rapidement la Mandchourie et les îles Sakhaline. Le Japon signe sa capitulation le 2 septembre 1945, date véritable de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le monde est entré dans l’ère atomique…

Occupations et résistances dans le monde (1939-1945)

L’édification d’un « ordre nouveau » ? Dans l’Europe hitlérienne

La domination politique Les idées racistes de Hitler

Les idées du dirigeant nazi, assez confuses, ne suivent pas un plan précis, sinon en matière de préjugés raciaux. Exprimés dans son ouvrage Mein Kampf (Mon combat), ils reprennent le vieux fonds antisémite auquel ils mêlent les fantasmes d’une « race aryenne » dite « supérieure » incarnée par les Allemands, qu’il faudrait améliorer en la débarrassant des supposés incapables ou « dégénérés » (eugénisme*) et des mélanges de population, en la préservant des contacts avec les

Page 15: Aux origines de la Seconde Guerre mondialepasseport.univ-lille1.fr/site/DDC/histoire/Chap 1.pdfElle réunit à Munich les 29 et 30 septembre 1938 Hitler, Mussolini, Chamberlain et

La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)

15

« races inférieures », qu’il faudrait dominer, isoler, voire détruire (pour les Juifs ou les Tsiganes, qualifiés de « parasites »).

Hitler pense donc intégrer au « Reich de mille ans » les populations jugées proches des « aryens » (Scandinaves, Alsaciens, Flamands, Hollandais…), moyennant une « rééducation ». Les autres pays d’Europe de l’Ouest (dont la France), jugés irrécupérables car trop métissés, doivent servir le Reich. En revanche, il envisage dès avant la guerre d’éliminer, après les avoir mis à l’écart de la société (ségrégation* dans des ghettos*), ceux dénommés « parasites », soit en raison de leur origine ethnique (Juifs, Tsiganes), soit de leurs « déviations » (homosexuels, opposants politiques…). Entre les deux, des « sous-hommes » que les nazis peuvent asservir à loisir ou laisser mourir (Slaves par exemple), souvent au mépris d’ailleurs de toute rationalité économique.

D’où une série de cercles concentriques autour de l’Allemagne suivant la hiérarchie supposée de leurs peuples, mais aussi selon les circonstances et les alliances afin de gagner la guerre en exploitant l’Europe. Une hiérarchie d’États dominés par la « Grande Allemagne »

Les États européens sous influence allemande connaissent des statuts variables [carte Europe 1942] :

- au cœur du système, le « Grand Reich » allemand, agrandi des régions annexées (Alsace…)

- les « protectorats », peuplés de Slaves jugés indignes d’appartenir au Reich (Pologne, Bohême, Ukraine…)

- les « territoires occupés » directement dirigés par la Wehrmacht (Belgique, Pays-Bas, nord de la France, partie de l’URSS envahie…)

- les « États vassaux », dotés de gouvernements, mais peu ou prou aux ordres de l’Allemagne (Norvègge, Croatie, voire France de Vichy, surtout après 1942)

- les « États alliés », engagés volontairement aux côtés de l’Allemagne, surtout contre l’URSS « bolchevique », mais disposant de moins en moins de marge de manœuvre (Italie, Bulgarie, Hongrie, Roumanie…)

Le pillage économique La difficile conversion allemande à l’économie de guerre

Convaincu jusqu’en 1942 d’une guerre rapide, Hitler répugne à engager l’Allemagne dans une économie de guerre* [= moyens rassemblés pour utiliser l’économie intérieure du pays au service de la guerre : reconversion de l’industrie vers la production d’armes ou de fournitures, mobilisation de la main-d’œuvre, financement de ces efforts] totale : il fait peu de stocks et ne convertit pas son industrie avant 1942. Pour éviter à son régime l’impopularité, il organise la stabilité économique et la croissance des biens de consommation. Il ne veut pas faire subir aux Allemands le poids de la guerre (ce que n’hésitent pas à faire Anglais ou Américains) et souhaite maintenir les femmes allemandes dans leur foyer.

Mais l’engagement massif dans la guerre contraint Hitler à infléchir sa position. Il nomme ministre de l’armement F. Todt* qui souhaite rationaliser la production d’armes ; mais les

Page 16: Aux origines de la Seconde Guerre mondialepasseport.univ-lille1.fr/site/DDC/histoire/Chap 1.pdfElle réunit à Munich les 29 et 30 septembre 1938 Hitler, Mussolini, Chamberlain et

La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)

16

militaires sont hostiles au contrôle des civils sur l’industrie de guerre, d’où maints gaspillages. À la mort de Todt en 1942, son remplaçant Albert Speer* s’impose peu à peu : un conseil de planification répartit les matières premières et standardise les modèles ; mais il se heurte à Goering*, à l’organisation SS* (à part, formant un véritable empire économique) et à son collègue Fritz Sauckel* qui veut faire venir de gré ou de force la main-d’œuvre étrangère en Allemagne alors que Speer voudrait l’utiliser sur place.

L’Allemagne s’adapte donc tardivement et moins bien que ses adversaires à l’économie de guerre, ce qui l’oblige à reporter le poids de l’effort de guerre sur les autres pays européens. En revanche, la guerre économique* [= l’effort pour utiliser l’arme économique : blocus, bombardements ou sabotages industriels] connaît de part et d’autre un échec relatif. Les prélèvements allemands

Ils sont de plusieurs ordres : - financiers : indemnités versées pour « l’entretien » des troupes d’occupation (400

millions de francs par jour pour la seule France, soit plus de 700 milliards entre 1940 et 1944) ; taux de change monétaires favorables au mark allemand…

- agricoles : pillage de blé (Pologne, URSS), de lait et de viande (France) ; réquisitions*… - industriels : démontage d’usines (Pologne, URSS) ; livraison de matériel civil ou

militaire et de matières premières ; prise de contrôle d’entreprises par les firmes allemandes…

- raciaux : spoliation* [= expropriation] des biens des familles ou entreprises juives (« aryanisation »*) et des personnes déportées

En conséquence, les populations européennes subissent pénuries et rationnement des biens de première nécessité (alimentation, vêtements…), source de sous-alimentation et de maladies de carence. Le « marché noir »* se développe, entretenu par l’occupant qui revend une partie des denrées fournies par le pays.

Ces divers prélèvements assurent 1/5e des dépenses allemandes, sous prétexte « d’unification économique de l’Europe » ; mais leur rendement est meilleur à l’Ouest qu’à l’Est car ils sont moins brutaux. L’exploitation de la main-d’œuvre

Jusqu’en 1942, les besoins allemands sont asurés par les prisonniers de guerre (PG) français, polonais ou russes et par les rares volontaires attirés en Allemagne par l’assurance de hauts salaires ou par les opérations de retour de prisonniers (la « relève » organisée par Laval*).

Après 1942, deux politiques successives menées par : - Sauckel* (le « négrier de l’Europe ») qui organise le STO* (Service du Travail

obligatoire) pour les jeunes hommes de 18-35 ans, puis au-delà contraints de travailler en Allemagne (6 millions en 1943) ; mais c’est assez inefficace en raison de la faible productivité de ces travailleurs forcés et des nombreux réfractaires qui vont alimenter les maquis de résistants ;

Page 17: Aux origines de la Seconde Guerre mondialepasseport.univ-lille1.fr/site/DDC/histoire/Chap 1.pdfElle réunit à Munich les 29 et 30 septembre 1938 Hitler, Mussolini, Chamberlain et

La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)

17

- Speer*, qui utilise la main-d’œuvre sur place pour l’organisation Todt ou les usines travaillant pour l’Allemagne (7 millions en 1943) – sans compter bien sûr la main-d’œuvre gratuite fournie par les camps de concentration ; cela vient toutefois trop tard.

On compte pour la seule France début 1944 : 40 000 volontaires, 0,6 million au titre du STO, 1 million de PG, 2 millions dans des entreprises travaillant entièrement en France pour le Reich.

L’organisation de la terreur nazie Une répression systématique

Elle frappe les opposants (suspectés ou réels), les « races inférieures » (et souvent leurs élites). Elle est entreprise par de multiples organismes, pas toujours coordonnés : la Gestapo* (police secrète d’État dépendant de la SS*) ; l’Abwehr* (la police militaire) ; la SS* (Schutzstaffeln ou « échelon de protection », sorte de milice nazie), très diversifiée suivant ses tâches répressives.

Elle combine de nombreux moyens interdits par les conventions de Genève sur la guerre : arrestations arbitraires, tortures, déportations dans les camps, exécution d’otages (comme le 27 mai 1942 à Lidice en Tchécoslovaquie) ou représailles contre les proches… Cette répression, plus violente à l’est qu’à l’ouest de l’Europe, joue sur la terreur de masse : responsabilité collective des familles des suspects, décret « Nuit et brouillard » (1941) qui interdit de fournir tout renseignement à la famille du disparu… L’univers concentrationnaire

Les objectifs des nazis évoluent [carte des camps nazis] : - dès 1933, les opposants à Hitler (communistes, socialistes, chrétiens…) sont expédiés

dans des camps de « rééducation » (Dachau) - après 1939, les camps se multiplient, de plus en plus spécialisés : soit à partir de ceux

existant en Allemagne même, tels Oranienburg (centre de tous les camps), Ravensbrück (1934, pour les femmes surtout), Buchenwald (1937)…, soit créés dans les territoires occupés (Pologne, Autriche, Alsace)

- ils comprennent différents types, parfois juxtaposés sur un site sans que les déportés le sachent : la plupart sont des « camps de concentration » (internement des suspects et utilisation de leur travail forcé) ; il existe des camps de passage et d’internement pour trier les déportés (ex. : Drancy au nord de Paris) ; enfin, les plus monstrueux, les « camps d’extermination » pour les « races inférieures », souvent près des ghettos juifs de Pologne (Auschwitz, Treblinka…).

L’organisation des camps : À leur direction, les SS* dits « à tête de mort », commandés par Himmler*, qui ont droit de

vie et de mort sur les déportés ; ils sont aidés dans leurs tâches de surveillance par les prisonniers de droit commun, les redoutés « kapos ».

Les conditions de vie épouvantables transforment les camps de déportation en « camps de la mort lente » (épidémies, sous-alimentation, brimades, “expériences” médicales, travail forcé…), même si des signes d’entraide, voire de résistance, existent, peu efficaces.

Le travail forcé :

Page 18: Aux origines de la Seconde Guerre mondialepasseport.univ-lille1.fr/site/DDC/histoire/Chap 1.pdfElle réunit à Munich les 29 et 30 septembre 1938 Hitler, Mussolini, Chamberlain et

La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)

18

Hitler mène une politique contradictoire, laissant mourir 2 millions de PG russes (sur 5), puis les utilisant mais sans les nourrir suffisamment… Le besoin croissant de main-d’œuvre le conduit à créer l’Office central de l’économie et de l’administration (SS*) : des détenus sont loués pour de faibles salaires à de grandes firmes industrielles (chimie, fournitures…) ou directement utilisés par la SS* qui devient une grande entreprise (carrières, ciment, peaux…). L’absence de limite au temps de travail et de nourriture reconstituante provoquent de nombreux décès d’épuisement. La Shoah* (le génocide juif ou l’« holocauste »)

Dénommée « Solution finale » (sous-entendu : « de la question juive ») par Hitler, ce dernier prévoit dès 1939 l’extermination des Juifs et des Tsiganes. Le processus suit plusieurs étapes :

- de 1933 à 1939, il adopte une série de mesures discriminatoires contre les Juifs ; - de 1939 à 1942, il isole les Juifs dans des ghettos*, coupés de l’extérieur, maltraités et

affamés : sur 450 000 personnes vivant dans le ghetto de Varsovie en 1939, il reste 40 000 survivants en avril 1943, au moment de l’insurrection du ghetto contre les nazis ;

- après la conférence de Wansee en janvier 1942, un plan d’extermination systématique confié à Heydrich* se développe, d’abord dans des unités mobiles, puis par des déportations en masse par voie ferrée vers les « camps de la mort », où les victimes entassées dans des « chambres à gaz » sont asphyxiées (gaz « Zyklon B »), puis leurs corps incinérés (Auschwitz compte jusqu’à 12 000 morts par jour, sur 100 000 déportés), tandis que les plus valides sont soumis aux travaux forcés.

Un bilan tragique La barbarie nazie fait – en plus des décès liés aux opérations militaires – 9 à 10 millions de

morts directes ou indirectes, dont environ 6 millions de Juifs (sur les 8,5 millions environ que comptait l’Europe en 1939, soit les 3/4 de tués). Le monde, qui connaît évidemment l’existence de la déportation, ne mesure vraiment l’étendue de l’horreur des camps qu’à leur ouverture par les Alliés en 1945, même si des informations ont filtré, notamment parmi les gouvernements alliés, dès 1942. La rareté des réactions pendant la guerre, y compris de la part des victimes, devant un phénomène aussi massif peut étonner. Cela s’explique par le secret absolu gardé par les nazis sur la destination des déportés, l’organisation quasi “scientifique” de l’élimination, la volonté de réaliser une extermination rapide et l’incrédulité des victimes (et de la population) devant une telle aberration. Ajoutons que le bilan aurait pu être encore plus terrible si certains suspects ou familles n’avaient pas bénéficié d’une entraide de la part de personnes qui les ont avertis, voire cachés, au péril de leur vie.

En Asie orientale

La « sphère de coprospérité » asiatique En 1942, le Japon peut imposer sa volonté à plus de 700 millions d’habitants [carte du

Pacifique 1937-1945] : - au cœur du dispositif, le « Grand Japon (« Dai Nippon »), composé de l’archipel

japonais, de l’île de Formose et de la Corée ;

Page 19: Aux origines de la Seconde Guerre mondialepasseport.univ-lille1.fr/site/DDC/histoire/Chap 1.pdfElle réunit à Munich les 29 et 30 septembre 1938 Hitler, Mussolini, Chamberlain et

La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)

19

- les « pays protégés » (en fait soumis), signataires d’alliances avec le Japon : Mandchoukuo (Mandchourie), Mongolie intérieure, Siam, Birmanie, Philippines et une partie de la Chine (Nankin), le reste étant encore contrôlé par les Chinois nationalistes et communistes ;

- les anciennes colonies occidentales occupées, auxquelles le Japon promet l’indépendance : Malaisie, Indonésie, puis l’Indochine française occupée en 1941.

Partout, les Japonais essaient d’apparaître comme des “libérateurs” jaunes contre les colons blancs, mais leur succès est très partiel, sauf en Indonésie* (rôle de Soekarno*) ou au Vietnam* (empereur Bao-Daï*), et l’ensemble est dirigé depuis Tokyo par le « ministère de la Grande Asie ».

L’exploitation économique L’économie de guerre* nippone est consolidée par une zone d’échanges complémentaires :

les pays conquis fournissent matières premières (pétrole, caoutchouc), produits textiles et métallurgiques légers ; le Japon, dépourvu de ressources naturelles, se consacre à l’industrie lourde et aux produits finis. Cela suppose le contrôle des routes maritimes du Pacifique, qui n’est plus assuré après 1943.

Mais les différentes armes et groupes industriels (zaïbatsu*) s’entendent peu : la production d’armement manque de cohérence et de main-d’œuvre qualifiée. Les populations d’Asie du Sud-Est souffrent des pillages/réquisitions*, du simple remplacement des colons européens par les élites japonaises et de la brutalité de l’armée nippone qui manifeste sa supériorité – sans toutefois pratiquer d’extermination systématique comme les nazis, même si des dizaines de milliers d’opposants sont exécutés par la gendarmerie (surtout en Chine ), si des milliers de femmes servent de prostituées forcées aux soldats japonais et si beaucoup sont astreints aux travaux forcés (cf., pour les prisonniers européens, le fameux Pont de la rivière Kwaï). L’occupation japonaise a donc des effets catastrophiques (épidémies, famines) et « l’ordre nouveau » consiste en un vaste pillage plus ou moins camouflé…

Les réactions des populations De manière générale, la majorité demeure attentiste, sauf dans quelques régions spécifiques et

vers la fin de la guerre, lorsque l’issue du conflit se dessine : on compte une minorité de collaborateurs et de résistants.

La collaboration : pourquoi ?

Les sympathies idéologiques C’est le cas le plus simple : membres des nombreux petits groupes fascistes des années 1930,

antibolcheviques viscéraux, ils sont utilisés par Hitler comme moyen de pression, mais portés au pouvoir quand il ne peut faire autrement en raison du rejet dont ils font l’objet dans la population (Quisling* en Norvège).

En France, les collaborationnistes* se rencontrent surtout à Paris, parmi certains intellectuels (écrivains et journalistes), comme Brasillac* (journal Je suis partout) ou Pierre Drieu la Rochelle*, et politiciens, tels Marcel Déat* (fondateur du RNP*, Rassemblement national populaire) et

Page 20: Aux origines de la Seconde Guerre mondialepasseport.univ-lille1.fr/site/DDC/histoire/Chap 1.pdfElle réunit à Munich les 29 et 30 septembre 1938 Hitler, Mussolini, Chamberlain et

La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)

20

Jacques Doriot (chef du PPF*, Parti populaire français). Certains iront jusquà s’engager dans les Waffen SS.

Ils n’en demeurent pas moins minoritaires, même au sein de la collaboration : la plupart agissent par intérêt.

L’intérêt Beaucoup partent du postulat de la victoire allemande et souhaitent, sans être nazis, avoir la

meilleure place dans « l’Europe allemande ». Ils ont plusieurs objectifs : - la collaboration économique : vendre des fournitures à l’Allemagne ou à l’armée

d’occupation - pour des minorités nationales, satisfaire leurs revendications d’indépendance au

détriment de l’État d’origine en s’appuyant sur l’Allemagne ou l’Italie (Ex. : la Croatie au dé

Résister à l’occupant ?

Les origines du refus

L’organisation

Les aspects nationaux des résistances

La portée de la Résistance

France et Allemagne, de l'armistice à la capitulation (1940-1945)

Régime de Vichy et « Révolution Nationale » La mise à mort de la IIIe République

Une fois que le camp des “défaitistes” est parvenu à faire accepter l’armistice, il reste à Pétain et Laval (vice-Président du Conseil depuis le 26 juin) à abattre une IIIe République qu’ils jugent responsable de la débâcle. Le gouvernement Pétain, qui confirme l’armistice, comprend apparemment tous les partis politiques, communistes exclus, mais sa majorité glisse vers la droite (présence de Raphaël Alibert, proche de l’Action française) et les non-parlementaires affluent. Il s’installe le 1er juillet, avec la plupart des membres des Assemblées, dans la station thermale de Vichy, pour des raisons pratiques (nombreux hôtels, à côté de la ligne de démarcation) et idéologiques (éloignement des grandes villes radicales comme Lyon, proximité du centre de gravité de la France). Ce choix, provisoire, dure après l’échec des tentatives pour retrouver la capitale parisienne. Tirant parti de sa popularité, le Maréchal entend, à l’instigation de Laval, profiter de la situation pour que les élus de la IIIe République eux-mêmes lui offrent le pouvoir de rédiger une nouvelle Constitution. Proposé au gouvernement le 4 juillet, ce texte relie habilement l’octroi des pleins pouvoirs au Maréchal, largement approuvé, et le changement de régime, plus contesté. Le projet (amendé) est finalement voté le 10 par 569 députés et sénateurs réunis, seuls 20 s’abstiennent et 80 le rejettent : les parlementaires présents (communistes et passagers du Massilia exclus) ont

Page 21: Aux origines de la Seconde Guerre mondialepasseport.univ-lille1.fr/site/DDC/histoire/Chap 1.pdfElle réunit à Munich les 29 et 30 septembre 1938 Hitler, Mussolini, Chamberlain et

La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)

21

cédé aux manœuvres de Laval, à la peur et aux effets de la déroute, dont ils se sentent confusément coupables.

Un nouveau régime À 84 ans, Pétain dispose de tous les pouvoirs ; même si son grand âge ne lui permet pas

d’exercer une activité soutenue et si ses décisions manquent parfois de cohérence, il contrôle les décisions essentielles : l’on ne saurait voir en lui le simple objet des manipulations de son entourage. Sa dictature s’exprime, après l’ajournement du Parlement, qui n’est plus réuni, par des actes constitutionnels. Le chef de “l’État français” (le mot de République et ses symboles sont honnis), également chef du gouvernement, nomme à tous les emplois publics, dirige l’armée et la justice, choisit les ministres (responsables devant lui seul) et gouverne par décret. Il peut même désigner son successeur : Laval le 12 juillet 1940 puis, après sa disgrâce et son arrestation le 13 décembre 1940, le munichois Pierre-Étienne Flandin, puis l’amiral Darlan le 9 février 1941 et enfin Laval à nouveau le 17 avril 1942, sous la pression des Allemands.

Le culte voué au Maréchal, au demeurant souvent sincère au départ, est systématiquement encouragé (discours, effigies, chanson « Maréchal, nous voilà… »). Les associations de “Poilus”, fidèles au “vainqueur de Verdun”, regroupées en une Légion française des Combattants (août 1940), doivent former l’ossature du renouveau du pays. Les fonctionnaires ont l’obligation de prêter serment à sa personne.

La « Révolution nationale » : principes, pratique, échec

Les principes Cette formule illustrant l’idéologie de Vichy rassemble une série d’idées parfois

contradictoires ; la trilogie « Travail, Famille, Patrie », qui remplace aux frontons des mairies et des écoles la devise républicaine « Liberté, Égalité, Fraternité », la résume. Dans une perspective traditionaliste, il s’agit de restaurer les valeurs chrétiennes et de soutenir l’Église catholique (enseignement, cérémonies, cultes). L’État français encourage le retour aux formes de travail préindustrielles (artisanat, boutique, petite paysannerie) pour lutter à la fois contre le socialisme et, en théorie du moins, le capitalisme anonyme des grandes firmes. Opposé à la vision marxiste de l’histoire, le régime prône le rapprochement des classes dans les corporations — sans aller jusqu’au corporatisme intégral. Le monde rural, et surtout agricole, est exalté (« La Terre ne ment pas », a dit Pétain). La famille, voulue nombreuse, doit redevenir la base du corps social. Le nationalisme de Vichy, passéiste et exclusif, vise à renforcer la patrie en luttant contre les éléments susceptibles de faire disparaître ses racines (“l’anti-France”). C’est la société issue de la Révolution française qui est avant tout visée, quitte à nier les droits de l’individu.

La mise en pratique (1940-1942) Dans les faits, l’État français va tenter, d’une part de supprimer les fondements de la

République et, d’autre part, de restaurer les valeurs supposées menacées. Lutter contre la République revient d’abord à épurer soigneusement l’administration de ses

membres trop liés à la gauche ou à la franc-maçonnerie. Plus discrètement, le nouveau régime

Page 22: Aux origines de la Seconde Guerre mondialepasseport.univ-lille1.fr/site/DDC/histoire/Chap 1.pdfElle réunit à Munich les 29 et 30 septembre 1938 Hitler, Mussolini, Chamberlain et

La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)

22

élimine progressivement les traces du système électif, remplaçant les conseils généraux élus par des commissions administratives nommées, désignant les maires des villes ou suspendant les conseils municipaux urbains dont il écarte les personnalités “indésirables”. Les résistants, tels De Gaulle dès août 1940, sont pourchassés, voire condamnés à mort. Certains des dirigeants de la IIIe République (Blum, Daladier, Reynaud), jugés « responsables de la défaite », sont arrêtés et subissent un procès à Riom en février 1942, bientôt stoppé par les Allemands car il tournait à la confusion des accusateurs… Vichy dissout les sociétés secrètes (francs-maçons), ainsi que les confédérations syndicales ouvrières et patronales (novembre 1940) : grèves et “lock-outs” sont interdits. La presse est soumise à la censure et au Secrétariat général à l’Information. Les partis politiques se voient interdits d’expression publique, puis de réunions privées (1941). Mais Pétain ne crée pas de parti unique comme en Italie ou en Allemagne ; il préfère encourager son propre culte : la Légion française des combattants, forte d’un demi-million de membres, doit promouvoir la « Révolution nationale » et signaler les réfractaires aux autorités — source évidente de dérives dénonciatrices. Elle se dote même d’une milice paramilitaire dirigée par Joseph Darnand, le service d’ordre légionnaire.

Pétain porte atteinte aux principes fondamentaux de la République en rejetant certaines catégories de la population. Les réfugiés politiques espagnols ou allemands, déjà internés dans des camps depuis plusieurs années, subissent les effets de la convention d’armistice. Plus gravement, 15 000 Français naturalisés depuis 1927 — dont 6 000 juifs — sont déchus de leur nationalité : beaucoup, avec d’autres juifs étrangers, seront internés sans jugement dans des « camps spéciaux » de sinistre mémoire. Le garde des Sceaux Alibert promulgue le 3 octobre 1940 un « statut des Juifs » de nationalité française, sans que les Allemands l’aient demandé. Définissant les personnes « juives » par la présence de trois grands-parents « de race juive », il les écarte — sauf les anciens combattants — de l’administration (armée, justice, enseignement…), des médias et des métiers culturels, ainsi que des élections. Darlan crée en mars 1941 un Commissariat aux questions juives, dirigé par Xavier Vallat, puis par un antisémite forcené, Louis Darquier de Pellepoix. En juin-juillet 1941, un numerus clausus leur limite l’accès au lycée et à l’Université, ainsi qu’aux professions libérales et commerciales. Loin d’accroître la cohésion nationale, ces exclusions, bien que répondant parfois aux souhaits de certaines catégories professionnelles, finissent par jeter le trouble dans l’opinion.

La volonté de forger un ordre nouveau, combinée aux nostalgies passéistes, sous-tend d’autres projets du régime. Promouvant la « mère au foyer » (allocation de salaire unique, octobre 1940), il encourage la famille nombreuse ; tout ce qui la perturbe est poursuivi : l’avortement est très sévèrement puni et le divorce restreint (avril 1941). L’activité productive est remodelée grâce aux Comités d’organisation (août 1940), animés par René Belin (ancien dirigeant de la CGT confédérée devenu ministre du Travail), mais largement sous influence patronale. Émerge ensuite une Corporation paysanne (décembre 1940), à l’avantage de fait des gros exploitants. Une Charte du Travail d’inspiration corporatiste crée les comités sociaux d’entreprise (octobre 1941), sans grande portée. Encadrer la jeunesse, c’est selon Pétain préparer les sources du renouveau national :

Page 23: Aux origines de la Seconde Guerre mondialepasseport.univ-lille1.fr/site/DDC/histoire/Chap 1.pdfElle réunit à Munich les 29 et 30 septembre 1938 Hitler, Mussolini, Chamberlain et

La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)

23

l’enseignement est épuré (fermeture des écoles normales d’instituteurs supposées révolutionnaires, restriction de l’accès aux grandes classes de lycée, encouragements matériels à l’école privée, révision des manuels scolaires) ; plus largement, Vichy développe des organisations pour les jeunes (proches du scoutisme), en particulier les Chantiers de jeunesse, substituts en janvier 1941 d’un service militaire interdit (travaux à la campagne pour 9 mois). Enfin, il crée à Uriage une « École de cadres » afin de susciter une nouvelle élite … qui basculera dans la Résistance en 1942. Toute une propagande martèle ces thèmes à l’envi et sous tous les supports médiatiques

L’échec Pourtant, dès 1941, la « Révolution nationale » fait long feu : Pétain lui-même, dans son

discours du 12 août 1941 « sent se lever depuis quelques semaines un vent mauvais » . Cela tient à des raisons internes et externes. D’abord, le personnel dirigeant de Vichy est mû par des aspirations contradictoires. Une partie (Alibert, Weygand) est issue du courant réactionnaire proche de l’Action française, dont le dirigeant C. Maurras voyait dans les événements de 1940 une « divine surprise », et de la droite traditionaliste. Une autre provient de la gauche pacifiste et des courants syndicalistes (Belin). Certains, frustrés d’avoir été écartés du pouvoir lors de l’avènement du Front populaire, se rallient à Vichy par arrivisme (Laval). Le courant le plus important, soutenu par Darlan, groupe des « technocrates » soucieux de moderniser l’économie et la société françaises sous leur direction (P. Pucheu, J. Bichelonne, F. Lehideux). Les directives manquent souvent de cohérence. Le décalage est grand, par exemple, entre une idéologie décentralisatrice promouvant les provinces et une pratique autoritaire où les hauts fonctionnaires, notamment les préfets, dirigent l’essentiel.

Par ailleurs, la structure du pouvoir est dédoublée entre, d’un côté, le Maréchal et d’un autre son dauphin, vice-président du Conseil. En outre, des dissensions opposent les membres du gouvernement, que Pétain n’aime pas réunir en entier, préférant recourir à des Conseils plus restreints en fonction des sujets. Mais son activité réduite par l’âge ne peut prétendre trancher toutes les questions, d’où un certain engorgement et des contrordres. Enfin maintes rivalités existent avec l’entourage immédiat du Maréchal (son médecin, son directeur de cabinet Du Moulin de la Barthète…) et les coteries abondent à Vichy.

En fait, la « Révolution nationale » passe au second plan, tandis que la question des rapports avec l’Allemagne l’emporte progressivement : il est vain, sinon dangereux, de prétendre instaurer un nouveau régime comme si guerre et Occupation n’existaient pas…

La collaboration Multiforme, la collaboration qualifie la position de ceux qui prônent des contacts avec

l’occupant, en fonction d’objectifs très divers. L’on distingue habituellement la collaboration d’État, pratiquée à Vichy par un gouvernement français soucieux d’obtenir par la diplomatie des aménagements aux conventions d’armistice, du collaborationnisme, attitude idéologique consistant à souhaiter la victoire du modèle nazi en France. Mais il existe des degrés dans la collaboration, entre celle recherchée et subie, entre plein accord idéologique et nécessité professionnelle.

Page 24: Aux origines de la Seconde Guerre mondialepasseport.univ-lille1.fr/site/DDC/histoire/Chap 1.pdfElle réunit à Munich les 29 et 30 septembre 1938 Hitler, Mussolini, Chamberlain et

La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)

24

La collaboration d’État Scellée par la spectaculaire poignée de mains entre Hitler et Pétain à Montoire le 24

octobre 1940, la collaboration avec l’Allemagne que Laval et le Maréchal sollicitent repose sur un espoir et une illusion. D’une part, Vichy pense obtenir des concessions allemandes et éviter la “polonisation” du pays en échange d’une aide à Hitler, sans toutefois s’engager ouvertement dans la guerre aux côtés des nazis. Estimant inévitable la victoire allemande, les dirigeants français croient pouvoir marchander leurs atouts (la flotte, l’Empire, l’administration) pour atténuer les rigueurs de l’occupation, comme ils s’y emploient dans la commission d’armistice de Wiesbaden, voire occuper une meilleure place dans l’Europe allemande. Ainsi pensent-ils alléger le fardeau des frais d’occupation, amorcer le retour des prisonniers et récupérer une partie de la souveraineté territoriale. D’autre part, contrairement aux souhaits de son ambassadeur à Paris, Otto Abetz, le Führer ne veut pas d’une collaboration d’égal à égal avec un vaincu : il entend seulement éviter que les colonies et la Marine de guerre françaises ne tombent aux mains des Anglo-Saxons et limiter le coût d’une administration directe de la France. Le reste n’est que mirage.

De fait, les relations franco-allemandes connaissent plusieurs phases en fonction de l’évolution du conflit et, secondairement, des nuances apportées par Laval, Pétain ou Darlan :

- de juillet à décembre 1940, Laval s’engage pleinement dans la voie d’une collaboration économique, mais l’absence de résultats tangibles, les jalousies de Pétain et l’opposition d’une partie des responsables de Vichy, autour du maréchal Weygand, provoquent son renvoi : l’intermède Flandin met la collaboration en veilleuse.

- de février 1941 à avril 1942, l’amiral Darlan tente de restaurer la puissance maritime et impériale française au détriment de l’Angleterre, en envisageant une collaboration militaire avec l’Allemagne. Il accorde à cette dernière de fortes concessions dans les protocoles de Paris (28 mai 1941) : ainsi la possibilité d’utiliser des bases aériennes et maritimes dans l’Empire, ce qui l’expose aux représailles britanniques. Ces conventions sont en partie appliqués en Syrie, mais le gouvernement de Vichy ne les ratifie pas. Hitler, pour qui le champ de bataille méditerranéen devient secondaire après l’invasion de l’URSS par la Wehrmacht le 22 juin 1941, entend seulement que la France soutienne son immense effort de guerre. D’ailleurs, la victoire des Français libres appuyés par les Anglais en Syrie contre les forces de Vichy rend caduque une telle politique. La collaboration s’enlise, Darlan ne peut plus conduire les négociations avec les Allemands. Sous leur pression, Pétain, afin de poursuivre le chemin qu’il s’était tracé, se voit contraint de rappeler Laval.

- d’avril à novembre 1942, l’influence de Pétain décline. Laval, promu « chef du gouvernement », relance la collaboration en proclamant son anticommunisme (discours du 22 juin 1942 : « Je souhaite la victoire de l’Allemagne parce que, sans elle, le bolchevisme s’installerait partout »). De fait, les négociations menées par Laval le conduisent à devancer tous les désirs nazis et à faire assumer par l’administration française les conséquences de ses décisions. Il contribue à l’effort de guerre allemand, devenu total après l’échec de la guerre-éclair en URSS : l’envoi de travailleurs volontaires français en Allemagne se révélant insuffisant (moins de 100 000), Fritz Sauckel en exige 250 000 ; Laval imagine en juin 1942 le mécanisme de la “relève”, libérant un

Page 25: Aux origines de la Seconde Guerre mondialepasseport.univ-lille1.fr/site/DDC/histoire/Chap 1.pdfElle réunit à Munich les 29 et 30 septembre 1938 Hitler, Mussolini, Chamberlain et

La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)

25

prisonnier français pour trois travailleurs envoyés. En septembre, une loi facilite la mobilisation de la main-d’œuvre. Pire, il organise avec le secrétaire général de la police René Bousquet la déportation des juifs étrangers (y compris les enfants, ce que ne demandaient pas les nazis). En zone occupée, à compter de juillet 1942, la police française elle-même les arrête en masse (13 000 lors de la “rafle du Vél d’Hiv” à Paris les 16-17 juillet 1942), avant de les regrouper dans le camp de Drancy près de Paris, prélude à la déportation vers les camps d’extermination (Auschwitz). Ils sont rejoints peu après par ceux déjà internés en zone “libre”. Même si la “solution finale” (janvier 1942) conduisant à l’extermination systématique des juifs d’Europe demeure alors secrète et si ceux de nationalité française sont en principe épargnés, le gouvernement ne peut ignorer le sort misérable qui attend, au mieux, les déportés raciaux. Au total, un quart des 300 000 juifs présents en France en 1940 périt ainsi (dont les deux tiers d’étrangers) : sur ces 75 000 déportés, à peine 2 500 survécurent. Cependant, nombre de juifs parviennent à se dissimuler ou à fuir, avec l’aide d’organisations de résistance ou de complicités : dès l’été 1942, une partie de l’opinion s’indigne d’ailleurs des rafles (condamnées par certains archevêques, tels monseigneur Saliège à Toulouse). N’en demeure pas moins la coopération active des autorités françaises à la “Shoah”.

- après novembre 1942, Vichy apparaît comme de plus en plus soumis aux volontés de l’occupant. En effet, la Wehrmacht envahit la zone sud le 11 novembre 1942 après le débarquement allié au Maroc pour prévenir toute tentative sur le sol français. Après avoir un temps résisté aux Anglo-Saxons sur ordre de Pétain, les troupes d’Afrique du Nord se rendent ; Darlan, présent par hasard, se rallie et en devient le gouverneur, tandis que les Allemands débarquent en Tunisie. Le 27, la flotte de guerre se saborde à Toulon plutôt que de tomber entre les mains d’Hitler (mais pas l’arme aérienne…). D’un coup, l’État français a perdu presque tous les atouts qui lui restaient. Il ne peut plus guère espérer jouer de rôle, sinon celui d’un régime policier auxiliaire des nazis dans leur chasse aux résistants. La livraison à l’Allemagne de biens agricoles et industriels (automobiles, avions) s’intensifie et les frais d’occupation sont alourdis. La « Relève » — au demeurant plus assurée par la contrainte que par le volontariat — se révélant insuffisante aux yeux de Sauckel, Laval met en place le 16 février 1943 le Service du Travail obligatoire (STO) : les jeunes nés en 1920-1922 doivent partir travailler deux ans en Allemagne. Près de 250 000 s’y résoudront, portant à 700 000 le nombre des ouvriers français travaillant en Allemagne en 1944, auxquels il faut ajouter le million de prisonniers restants. Devant la multiplication des refus (les “réfractaires”) et la relative inefficacité de ces recrues, le ministre de l’Armement Albert Speer trouve plus judicieux de les laisser travailler en France, en dispensant du STO tous ceux qui œuvrent dans des entreprises produisant pour l’essentiel à destination de l’Allemagne. Selon A. Sauvy, ces derniers sont environ un million, plus un autre million employé dans des usines non “protégées” mais livrant à l’ennemi : au total, plus de 3,5 millions de Français travailleraient pour l’Allemagne en 1944. Enfin, la collaboration s’accentue entre la police française, bientôt appuyée par les 10 000 à 20 000 hommes de la Milice (créée en 1943 par Darnand à partir du service d’ordre légionnaire), et les forces de répression allemandes (l’Abwehr, service de renseignements militaire, la Gestapo, police secrète d’État, et les SS, troupes de choc des nazis) : la traque des résistants s’amplifie. Priorité est donnée

Page 26: Aux origines de la Seconde Guerre mondialepasseport.univ-lille1.fr/site/DDC/histoire/Chap 1.pdfElle réunit à Munich les 29 et 30 septembre 1938 Hitler, Mussolini, Chamberlain et

La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)

26

à la lutte contre les « dissidences ». Les “figures” de la IIIe République (Blum, Reynaud…) sont déportées. Les miliciens multiplient les assassinats politiques (M. Sarraut, J. Zay, G. Mandel), et la répression la plus brutale (tortures, coups de main), avant que certains ne finissent dans la division SS Charlemagne sur le front de l’Est.

La dérive policière de Vichy s’accélère après l’épisode du 13 novembre 1943, où un discours de Pétain visant à redonner à l’Assemblée un pouvoir constituant est interdit par les Allemands, maîtres du jeu. Laval doit prendre dans son gouvernement trois collaborationnistes parisiens notoires : Darnand, chef de la Milice (Maintien de l’ordre), Henriot (Information), puis Déat (Travail). Les collaborationnistes infiltrent ce qu’il reste de l’appareil d’État. Après les débarquements de Normandie (6 juin 1944) et de Provence (15 août), la progression des armées alliées et l’action de la résistance dissolvent le régime : Pétain et Laval, se considérant prisonniers, sont emmenés par les Allemands à Sigmaringen en août 1944, puis arrêtés en 1945 après la défaite d’Hitler. La collaboration, voulue par l’État français mais non par les nazis, s’est révélée un marché de dupes.

Les divers degrés de la collaboration Par sympathie idéologique, les groupes fascistes des années trente ou certaines individualités

anticommunistes ralliées à l’ordre nouveau manifestent bruyamment leur enthousiasme pour la victoire allemande. Installés à Paris où ils jouissent du soutien financier d’Otto Abetz, ils critiquent le régime de Vichy, jugé trop tiède. Ces “collaborationnistes”, intellectuels comme Robert Brasillach, Lucien Rebatet (journal Je suis partout) ou Pierre Drieu la Rochelle, et chefs de parti comme Déat (Rassemblement national populaire) ou Doriot (Parti populaire français), sont en proie à d’intenses rivalités personnelles. Ces derniers partis ne comptent guère plus de 20 000 membres chacun à leur apogée, sans compter une poussière de groupuscules rivaux. Hitler les utilise surtout comme propagande et moyen de pression sur Pétain, sans souhaiter les voir directement au pouvoir — sauf à la fin. Certains pratiquent la collaboration militaire en s’engageant dans les Waffen SS (Doriot). Ainsi, les collaborationnistes suscitent une initiative commune, la Légion des volontaires français contre le bolchevisme (LVF) qui reçoit l’appui de Pétain en 1943, et part lutter sur le front de l’Est, forte d’à peine 3 000 hommes.

Outre cette infime minorité activiste, la collaboration est affaire d’opportunisme politique, social ou économique : partant du postulat de la victoire allemande ou du simple constat de la présence de l’occupant, certains veulent en tirer parti pour satisfaire leurs objectifs politiques (certains autonomistes bretons) ou leurs intérêts (trafiquants). Une large part du Paris des spectacles continue à se produire devant des parterres d’officiers allemands et certains artistes célèbres vont saluer les hiérarques nazis outre-Rhin. Beaucoup font comme si l’Occupation n’existait pas. Cependant, la marge n’est pas si grande entre le chef d’entreprise soucieux de maintenir son activité dans des conditions difficiles et celui orientant délibérément toute sa production vers les fournitures à l’armée allemande, puisque cette dernière demeure le principal client solvable et contrôle l’accès aux matières premières. Que dire du fonctionnaire appliquant des consignes iniques ? En outre, les positions évoluent souvent au fil du conflit : on peut être vichyste et germanophobe, voire résistant ;

Page 27: Aux origines de la Seconde Guerre mondialepasseport.univ-lille1.fr/site/DDC/histoire/Chap 1.pdfElle réunit à Munich les 29 et 30 septembre 1938 Hitler, Mussolini, Chamberlain et

La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)

27

bon nombre de cadres du gaullisme appartiennent initialement à la haute fonction publique sous Vichy. À quel niveau situer la responsabilité individuelle ? Il sera de fait délicat d’estimer le degré de collaboration après guerre.

Des résistants à la Résistance L’existence d’un gouvernement à Vichy (reconnu par les Américains) et la popularité

rassurante de Pétain (le “maréchalisme”) brouillent les cartes : ceux qui refusent la défaite, où qu’ils se trouvent, doivent compter avec ces données. Leurs motivations apparaissent multiples : sursaut patriotique rejetant l’humiliation de la déroute pour les premiers, révolte idéologique et humaniste contre les fascismes de la part de communistes, de socialistes, de libéraux ou de chrétiens, refus de travailler pour l’Allemagne ou de s’y rendre (réfractaires au STO), indignation devant la répression de l’occupant et de ses sbires (représailles)… Ceci explique que les résistants appartiennent à toutes les catégories sociales, à tous les partis démocratiques ou toutes les confessions, même si les ruraux y sont proportionnellement moins nombreux que les citadins, les paysans que les ouvriers. Globalement, l’on peut considérer que la masse des résistants penche plutôt à gauche, tandis que leurs cadres appartiennent aux classes dirigeantes, dans un large spectre politique allant des nationalistes conservateurs aux communistes ; les notables traditionnels font largement confiance à Vichy, ce qui déconsidèrera après guerre les “modérés”.

Le passage du refus individuel à l’organisation collective de l’activité résistante prend du temps et se pose en termes différents selon que l’on se trouve ou non sur le sol français, et à quel endroit. Naissent ainsi au moins deux grands courants, l’un à l’extérieur, la “France libre”, l’autre à l’intérieur du territoire, qui ne se reconnaissent que fort lentement.

De Gaulle et la “France libre” (1940-1944) Légitimé par les Britanniques mais pas par les Américains, pour qui De Gaulle est un

ambitieux ne représentant pas le gouvernement légal de la France, le « premier des résistants » manque singulièrement de moyens. Seuls quelques hommes l’entourent, souvent inconnus (à l’exception du juriste René Cassin). L’appel du 18 juin, peu entendu, était avant tout destiné aux militaires français. Or, sur les dizaines de milliers encore présents en Angleterre, seuls moins de 10 000 répondent favorablement durant l’été 1940. Pourtant, Churchill, reconnaissant De Gaulle « chef des Français libres », lui donne la possibilité de disposer de troupes autonomes : les FFL (Forces françaises libres, plus tard la « France combattante »), fortes de 40 000 hommes début 1941, sont engagées en Libye au printemps 1941 (général Leclerc) ; le général Kœnig parvient à retarder victorieusement l’Afrika Korps de Rommel en juin 1942 à Bir-Hakeim. Le capitaine Passy organise un 2e Bureau (futur BCRA, Bureau central de renseignement et d’action, aux compétences élargies) unifiant depuis Londres les services d’espionnage de la dissidence gaulliste. Maurice Schumann anime avec talent une émission de radio à la BBC intitulée « Honneur et Patrie ». Toutefois, cela ne saurait suffire. Peu à peu, certaines colonies d’Afrique noire (Tchad, Cameroun, Congo…) se rallient, mais pas toutes (Sénégal). L’impulsion décisive est donnée par le débarquement allié en Afrique du Nord. Pourtant, c’est le général Giraud, fidèle à Vichy mais

Page 28: Aux origines de la Seconde Guerre mondialepasseport.univ-lille1.fr/site/DDC/histoire/Chap 1.pdfElle réunit à Munich les 29 et 30 septembre 1938 Hitler, Mussolini, Chamberlain et

La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)

28

résistant, que mettent en avant les Américains, après l’assassinat inexpliqué fin 1942 de Darlan, devenu pour quelques mois responsable de cette partie de l’Empire dans une grande ambiguïté. Il faut toute l’énergie de De Gaulle pour que ce dernier sorte vainqueur de son bras de fer avec Giraud (rencontre d’Anfa en janvier 1943), grâce au ralliement progressif des troupes coloniales et à l’appui clair qu’il obtient au printemps 1943 de la Résistance intérieure non communiste.

Effectivement, sur le terrain politique, contrairement à Giraud, De Gaulle s’affirme alors nettement républicain. Cependant, il dirige fermement le Conseil de défense de l’Empire, devenu le Conseil national français en 1941. Il condamne également la IIIe République et l’État français. Sa prétention à incarner seul la légitimité du pays et son caractère autoritaire et initialement conservateur suscitent maintes difficultés, non seulement avec les Alliés, mais aussi avec la Résistance intérieure, qu’il méconnaît. Il faut attendre le début de 1942 pour que des contacts, par l’intermédiaire de l’ancien préfet Jean Moulin, soient établis avec cette dernière. En effet, la résistance en métropole a besoin de l’aide, jusque-là parcimonieuse, des Alliés et d’un interlocuteur privilégié avec eux, qui ne saurait être que le “premier résistant”. Symétriquement, De Gaulle doit jouer de cette reconnaissance pour peser sur Roosevelt et écarter Giraud, ce qui le conduit à promouvoir la démocratie, à accepter des réformes économiques et sociales et à intégrer les mouvements de résistants et les partis dans sa perspective politique. Afin d’éviter une administration américaine directe des territoires libérés (AMGOT), il lui appartient de jeter les bases d’un nouvel État depuis Londres, puis Alger. Là naît le 3 juin 1943 le Comité français de Libération nationale (CFLN), incarnation de la souveraineté française, doté de deux présidents progressivement pourvus d’attributions différenciées, militaire et politique (respectivement Giraud et De Gaulle). Ce dernier écarte définitivement fin 1943 son adversaire — qui a longtemps maintenu la législation antirépublicaine de Vichy — avec l’appui des mouvements de résistance, représentés ensuite au CFLN. Le Comité s’entoure d’une Assemblée consultative ; il dispose, à partir des troupes d’Afrique, des FFL, d’évadés et de volontaires en nombre croissant, d’une véritable armée symbolisée par la croix de Lorraine, engagée par exemple en Italie (général Juin). Le 3 juin 1944, le CFLN devient le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF), présidé par De Gaulle, qui rétablit la légalité républicaine le 9 août 1944.

La lente unification de la Résistance intérieure (1940-1944) Actes isolés au départ en raison du choc de la défaite et de la désorganisation sociale, les

protestations et l’action contre l’occupant se structurent progressivement sous diverses formes, qu’il faut inventer et qui gagnent en efficacité : filières d’évasion (Espagne, Bretagne) pour les prisonniers de guerre en fuite, les aviateurs tombés lors des opérations de parachutage d’armes, les résistants “brûlés”, les suspects, les juifs ou les réfractaires, fourniture de faux papiers, opérations de renseignement et de transmission d’informations (radio), propagande patriotique ou politique, sabotages des moyens de communication, voire attentats et actions armées contre les troupes ou personnalités allemandes…

Le résistant C. Bourdet distingue trois grands types d’organisations :

Page 29: Aux origines de la Seconde Guerre mondialepasseport.univ-lille1.fr/site/DDC/histoire/Chap 1.pdfElle réunit à Munich les 29 et 30 septembre 1938 Hitler, Mussolini, Chamberlain et

La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)

29

- le réseau, groupement secret et cloisonné d’un nombre restreint, du moins au départ, de membres ayant des objectifs précis : renseignement pour Londres sur les plans de défense allemands (Confrérie Notre-Dame du colonel Rémy), sabotages professionnels (cheminots de Résistance Fer), etc.

- le mouvement, association plus large visant à conquérir l’opinion par la distribution de tracts ou de journaux clandestins, l’organisation de manifestations publiques (commémoration de fêtes nationales telles les 11 novembre, 14 juillet ou 1er mai)… Ainsi sont fondés fin 1940 en zone occupée Défense de la France (Philippe Viannay), Libération-Nord (Christian Pineau, Robert Lacoste), l’Organisation civile et militaire (OCM), Ceux de la Libération (CDLL) ou Ceux de la Résistance (CDLR) ; pour la zone “libre”, naissent en 1941 Combat (Henry Frenay), Libération-Sud (Emmanuel d’Astier de la Vigerie), Franc-Tireur (Jean-Pierre Lévy).

- le maquis, regroupement militaire dans des zones reculées (forêts, massifs montagneux) destiné à abriter les réfractaires du STO et, éventuellement, livrer des combats ; ces derniers tournent quelquefois au désastre devant l’action conjointe de l’armée allemande et de la Milice (aux plateaux des Glières et du Vercors, en mars et juin 1944), mais contribuent parfois, lorsque les rapports de force s’avèrent plus favorables, à la libération de régions entières avant la venue effective des Alliés, comme dans le Limousin (G. Guingouin) ou la Bretagne intérieure.

Mais il existe bien d’autres modalités de résistance : depuis la complicité plus ou moins active, jamais anodine (ignorer, prévenir, transporter, nourrir, recueillir…), jusqu’à la reconstitution d’une force militaire à partir du reste des troupes d’armistice (ORA, Organisation de résistance de l’armée), en passant par une opposition “intellectuelle” qui s’exprime par exemple dans la revue les Cahiers du Témoignage chrétien (novembre 1941) ou dans la publication d’œuvres dissidentes (Le silence de la mer en 1942 aux Éditions de Minuit). Les femmes, bien que très minoritaires dans l’effectif (guère plus de 15 %) et surtout la direction des mouvements, jouent un rôle aujourd’hui reconnu dans la résistance, notamment par leur activité quotidienne — en dehors des figures remarquables de Lucie Aubrac (Libération-Sud ) ou Bertie Albrecht (Combat).

Enfin, il convient de faire un sort particulier à la position des communistes, qui ont contribué avec les gaullistes à forger la geste résistante, non sans brouiller une réalité mouvante. Il faut distinguer la ligne proclamée par le PCF dans l’Humanité clandestine (après l’échec d’une demande de reparution auprès des autorités allemandes en 1940), des positions effectives, plus variées. La première (Jacques Duclos), fidèle au pacte germano-soviétique et aux ordres de Staline, critique les dirigeants de la IIIe République, condamne également Vichy et Londres, et souhaite la paix, sans évoquer l’Allemagne : cette ligne “neutre”, de plus en plus délicate à tenir, dure jusqu’à l’invasion de l’URSS en juin 1941. Une deuxième position, accordant la priorité à la lutte antinazie, s’exprime à travers des voix d’abord clairsemées (Charles Tillon), puis prenant de l’ampleur au printemps 1941 (« grève patriotique » des mineurs du Pas-de-Calais en mai 1941) dans un parti divisé qui règle encore des comptes. L’attaque allemande contre l’URSS lève ces ambiguïtés : le PCF, accoutumé à une certaine clandestinité, disposant de militants dévoués et efficaces, parfois aguerris dans les Brigades internationales, contribue à renforcer la résistance. Retrouvant les

Page 30: Aux origines de la Seconde Guerre mondialepasseport.univ-lille1.fr/site/DDC/histoire/Chap 1.pdfElle réunit à Munich les 29 et 30 septembre 1938 Hitler, Mussolini, Chamberlain et

La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)

30

accents des patriotes jacobins de l’an II, il met en place en mai 1941 un Front national de lutte pour l’indépendance de la France destiné à regrouper tous les résistants de l’intérieur, sans distinction de couleur politique — mais contrôlé par l’appareil du PCF. Son bras armé est constitué des Francs-tireurs et partisans français (FTPF), créés en février 1942. Le PCF est plus enclin à une action urbaine immédiate (assassinats de militaires allemands — tel celui perpétré dans le métro en août 1941 par Pierre Georges, futur colonel Fabien —, sabotages) ; mais cette stratégie, au demeurant peu efficace à court terme, trouble l’opinion qui a peur des représailles nazies (exécution de 27 otages à Châteaubriant en octobre 1941) et inquiète aussi les autres mouvements, qui préfèrent rester autonomes. Il n’empêche que, localement, l’influence communiste grandit dans la résistance intérieure, surtout après 1942, ce qui suscite des craintes.

Les difficultés extrêmes rencontrées par les résistants métropolitains ont des causes externes (isolement, faiblesse des moyens, écran trompeur formé par Vichy, délation, persécution menée par la Gestapo, la SS ou la Milice, aveux sous la torture), comme internes (inexpérience de la clandestinité, imprudences, trahisons, inimitiés personnelles ou politiques, surtout parmi la première génération de résistants, divergences tactiques). Ainsi, certains privilégient la propagande destinée à informer et encourager la population (Défense de la France) tandis que d’autres (CDLL) estiment ce point secondaire, préférant contribuer à nourrir la lutte des armées alliées. Mais, de fait, les grands mouvements sont progressivement contraints de jouer sur tous les fronts et de se doter aussi d’une organisation militaire ou d’action spécialisée. Un autre clivage sépare ceux, vite accusés de mollesse (l’ORA), qui préfèrent attendre le débarquement allié, de ceux (communistes notamment) qui souhaitent en découdre plus vite avec l’ennemi et ses auxiliaires français, actions préparant une grande mobilisation populaire le jour venu. Il existe également des querelles de pouvoir entre les différents chefs de la Résistance intérieure, à l’ombrageuse susceptibilité ; en outre, ils admettent fort bien De Gaulle en tant que « symbole », mais refusent de lui être subordonnés. Enfin, l’évolution du conflit (invasion de la zone sud, renforcement des exigences allemandes dans la guerre totale engagée en 1943) met fin à la fiction du “bouclier” que pouvait représenter Vichy, d’autant que Pétain reste dans la métropole. Le jeu apparaît alors plus clair. Une partie des cadres ou des soutiens du régime, comme Maurice Couve de Murville ou François Mitterrand, bascule dans la résistance (les “vichysto-résistants” selon J.-P. Azéma) : ceux qui, au départ, notamment à droite, étaient d’accord avec certains objectifs de la “Révolution nationale” ne peuvent plus considérer en 1942 que Pétain protège les Français ou prépare la revanche. Le STO, largement condamné par l’opinion, fournit des troupes de réfractaires que les mouvements ont du mal à encadrer, sinon protéger, faute d’armes. Les réquisitions qu’ils mènent provoquent des tensions avec les habitants : l’hiver1943-1944 est d’ailleurs difficile pour ces hommes, parfois gagnés par le découragement ou l’indiscipline, fragiles lorsque, trop voyants, ils dépassent la cinquantaine. En ville aussi, une impitoyable répression (arrestations, déportations, exécutions) fait alors des ravages : le groupe Manouchian de FTP-MOI (main-d’œuvre immigrée), recherché sur la célèbre Affiche rouge, est éliminé fin 1943. Se développe ainsi une féroce guerre civile franco-française, qui laissera des traces durables dans le pays.

Page 31: Aux origines de la Seconde Guerre mondialepasseport.univ-lille1.fr/site/DDC/histoire/Chap 1.pdfElle réunit à Munich les 29 et 30 septembre 1938 Hitler, Mussolini, Chamberlain et

La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)

31

Il reste que les divergences de vues et de sensibilités ne vont pas bloquer le processus d’unification de la Résistance intérieure, contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays (Yougoslavie, Grèce), source de guerres civiles. Bon gré, mal gré, l’accord se fait peu à peu autour de la lutte contre l’occupant et d’un humanisme progressiste (“l’esprit de la résistance”), en dépit de sensibilités politiques diverses (communistes et sympathisants au Front national, syndicalistes ou socialistes à Libération-Nord et Sud, conservateurs et démocrates-chrétiens dans Combat ou CDLL, officiers et hauts fonctionnaires de droite dans l’OCM, etc.).

L’impulsion décisive vient de Jean Moulin, envoyé clandestinement par De Gaulle en France (janvier 1942). Délégué général du chef de la « France libre », il unifie les trois mouvements de la zone sud en janvier 1943 dans les MUR (Mouvements unis de résistance), qui fusionnent leurs troupes dans l’Armée secrète, commandée par le général Delestraint. Au Nord, le processus échoue, même si l’envoyé de Londres, Pierre Brossolette, anime un comité de coordination (mars 1943) réduit à cette zone. Toutefois, les mouvements parviennent difficilement à accepter que les anciennes formations politiques jugées faillies, réduites au silence par Vichy, réintègrent les organes de décision. Ainsi les MUR s’élargissent-ils à des groupements de la zone nord en janvier 1944 pour former le Mouvement de libération nationale (MLN), afin de renforcer le poids politique des résistants. Si SFIO, PCF et le petit PDP démocrate-chrétien prennent une part active à la lutte, les autres partis ne brillent guère par leur engagement. Or, De Gaulle a besoin de ces organisations connues des Alliés pour consolider sa légitimité. L’action inlassable de J. Moulin aboutit à un compromis : le Conseil national de la Résistance (CNR), fondé le 27 mai 1943, comprend un représentant des principaux mouvements de chaque zone, — y compris le Front national, des partis (PCF, SFIO, radicaux, PDP, Alliance démocratique et Fédération républicaine) et des syndicats (CGT, réunifiée grâce à l’accord du Perreux, et CFTC). Organe de coordination et non de décision, il reconnaît De Gaulle comme chef politique et Giraud comme commandant militaire. L’arrestation de J. Moulin, trahi lors de la rencontre de Caluire le 21 juin 1943, puis torturé par Klaus Barbie (chef de la Gestapo de Lyon), ne remet pas en cause l’homogénéisation de la Résistance : il est remplacé à la tête du CNR par le militant catholique Georges Bidault. Le CNR établit le 15 mars 1944 un plan d’action immédiate, mais aussi un programme pour la paix future, dont le contenu ouvre de larges perspectives de réformes économiques et sociales allant bien au-delà de la reconstruction du pays. Il se dote d’une sorte d’état-major, le COMAC (Commission d’action militaire).

D’ailleurs, la Résistance intérieure, avec près de 300 000 membres actifs, accroît son audience et son efficacité au printemps 1944 : la presse clandestine se diffuse largement (400 000 exemplaires pour Défense de la France, plus de 100 000 pour Combat ou Franc-Tireur, ce qui constitue un exploit vu les pénuries de papier et la répression). Sabotages et renseignements gagnent en nombre et en précision. L’“armée des ombres” grossit, menant plus des opérations de guérilla urbaine ou rurale que des combats d’ampleur, faute d’armement lourd. Les groupes militaires se fédèrent partiellement en février 1944 dans les Forces françaises de l’intérieur (FFI) dirigées par le général Kœnig depuis Londres, dotées de commandements régionaux et locaux à la

Page 32: Aux origines de la Seconde Guerre mondialepasseport.univ-lille1.fr/site/DDC/histoire/Chap 1.pdfElle réunit à Munich les 29 et 30 septembre 1938 Hitler, Mussolini, Chamberlain et

La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)

32

large autonomie. Enfin, De Gaulle prépare soigneusement la Libération en choisissant les cadres de la relève politique ; mais il ne peut toujours faire valoir ses vues ni prévaloir ses fidèles, car les Comités départementaux de libération, chapeautés par le CNR, promeuvent des hommes souvent issus des mouvements. Retenons que les conflits majeurs entre deux légitimités, celles de la France dissidente et de la France résistante, ont pu être évités, grâce à leur pragmatisme et aux contradictions des partisans de Vichy. Toutefois, de grandes incertitudes demeurent sur le statut de la France à libérer, qui dépendra largement de l’attitude des populations devant le chef de la « France combattante » et de l’intelligence politique de ce dernier.

Organigramme des composantes de la Résistance et de leur unification

Les Français sous l’Occupation L’exode durable, le morcellement du territoire, les difficultés pour franchir la ligne de

démarcation ou correspondre, l’absence des prisonniers, la désorganisation des circuits économiques et les retombées de la guerre conduisent durant quatre ans les Français à se préoccuper avant tout de leur survie. Si l’on excepte une minorité de privilégiés, notamment à Paris, pouvant acheter très cher les denrées, le souci du ravitaillement demeure le lot commun, surtout en ville, et absorbe toutes les énergies. En effet, le blocus naval des Alliés, la coupure avec l’Empire colonial et, surtout, la massivité des prélèvements allemands (eux aussi acteurs et bénéficiaires du “marché noir” grâce aux transferts financiers) s’ajoutent à la diminution des productions (d’un quart au moins pour l’agriculture et de moitié pour l’industrie en 1943-44) pour expliquer les pénuries.

L’intervention nécessaire des pouvoirs publics, à travers le ministère du Ravitaillement, les Comités d’organisation… consiste à taxer les prix et répartir les contingents. Le rationnement introduit dès août 1940 est progressivement étendu à toutes les denrées de première nécessité, alimentaires ou non (charbon, vêtements, chaussures…), parfois remplacés par des ersatz. Ainsi les cartes d’alimentation, attribuées selon huit catégories en fonction de l’âge, du sexe ou du travail (“J3” pour les adolescents), donnent des rations très insuffisantes — guère plus de 1 200 calories par jour : la croissance des enfants en est gravement affectée. Les queues se multiplient devant des magasins presque vides et le rutabaga (chou-navet) symbolise la nourriture des années sombres. Maintes familles se privent pour envoyer des colis aux prisonniers en Allemagne. Beaucoup de citadins (ouvriers, petits fonctionnaires, personnes âgées ou isolées) qui n’ont pas conservé des parents à la campagne ont faim, froid, et doivent recourir à des palliatifs (le « système D »). Les agriculteurs, plus avantagés, accroissent leur autoconsommation pour ne pas livrer des produits requis à bas prix par l’administration, ou en conservent pour le “marché gris” une part destinée aux achats individuels à des tarifs un peu plus élevés que les prix officiels, tout comme certains commerçants. Mais les exploitations souffrent du manque de main-d’œuvre agricole, d’outils et d’engrais. Certains, servant d’intermédiaires en gros avec les Allemands, s’enrichissent scandaleusement par le “marché noir”, qui implique un changement d’échelle du trafic. Cependant,

Page 33: Aux origines de la Seconde Guerre mondialepasseport.univ-lille1.fr/site/DDC/histoire/Chap 1.pdfElle réunit à Munich les 29 et 30 septembre 1938 Hitler, Mussolini, Chamberlain et

La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)

33

si les Français souffrent inégalement de l’Occupation, tous voient leurs conditions de vie s’aggraver nettement dès 1941, ce qui rejaillit de fait sur la popularité du régime.

Les préoccupations de tous les jours encouragent au repli sur soi ou au recours aux distractions de masse : le sport, la radio et surtout le cinéma connaissent un succès certain, qui prolonge l’action culturelle du Front populaire. Œuvres d’évasion certes pour l’essentiel, mais aussi créations de qualité jalonnent les Années noires, qu’il s’agisse d’auteurs connus — films de Marcel Carné (Les Visiteurs du soir 1942, Les Enfants du Paradis), pièces de Claudel (Le Soulier de satin, 1943) et Montherlant (La Reine Morte, 1944) — ou de jeunes talents (cinéastes comme H.-G. Clouzot, R. Bresson, J. Becker, écrivains tels Sartre et Camus). Comme beaucoup de leurs compatriotes, rares pourtant sont ceux qui s’engagent dans la résistance active.

Les Français, très majoritairement attentistes, glissent progressivement d’un maréchalisme diffus — plus sensible à la personne de Pétain protecteur qu’à sa politique, plus indulgent pour le Maréchal que pour son entourage — à l’espoir d’une Libération, qui serait pour l’essentiel l’œuvre des Alliés. Même si le thème du « double jeu » de Pétain rencontre un certain écho, l’Occupation et la Collaboration sont globalement condamnées, surtout après 1941. Mais la résistance intérieure fait l’objet de jugements contradictoires : son activité militaire, estimée peu efficace voire dangereuse pour les populations, semble plutôt crainte (d’autant que s’y mêlent des sentiments anticommunistes, en particulier dans les campagnes), bien que les résistants eux-mêmes bénéficient de larges complicités. Multiplication des tracasseries administratives ou policières, couvre-feu, extinction des lumières pour éviter les repérages aériens, perquisitions et rafles, inquiétude des représailles diffusent l’angoisse, qu’attise la proximité accrue du conflit.

L’intensification des bombardements alliés au printemps 1944 vise avant tout à préparer l’opération “Overlord”, sans la laisser deviner. Les raids aériens touchent surtout le littoral de la Manche et de l’Atlantique (ports du Havre, de Rouen, Brest, Saint-Nazaire, Nantes…), les agglomérations du Nord et de l’Ouest (Paris, Orléans), puis plus méridionales (Lyon) et les nœuds de communication. Mais ils font près de 50 000 victimes et ne sont guère sélectifs, détruisant au moins autant les habitations que les usines ou les gares. Ceci crée une psychose certaine (alertes multiples, nuits dans les abris ou les caves, deuils), voire un malaise vis-à-vis des Anglo-Saxons. L’on espère et l’on craint tout à la fois le débarquement, qui ramènera les batailles sur le sol métropolitain.

Page 34: Aux origines de la Seconde Guerre mondialepasseport.univ-lille1.fr/site/DDC/histoire/Chap 1.pdfElle réunit à Munich les 29 et 30 septembre 1938 Hitler, Mussolini, Chamberlain et

La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)

34

La Libération du territoire et les défis à relever

Libérer le territoire

Reconquérir la souveraineté nationale

Panser les plaies

Épurer : comment ? jusqu’où ?

Les mémoires de la Seconde Guerre mondiale