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Palabres et Bigoudis (JM TOURNIER) page 1 AVERTISSEMENT Ce texte a été téléchargé depuis le site http ://www.leproscenium.com Ce texte est protégé par les droits d’auteur. En conséquence avant son exploitation vous devez obtenir l’autorisation de l’auteur soit directement auprès de lui, soit auprès de l’organisme qui gère ses droits (la SACD par exemple pour la France). Pour les textes des auteurs membres de la SACD, la SACD peut faire interdire la représentation le soir même si l'autorisation de jouer n'a pas été obtenue par la troupe. Le réseau national des représentants de la SACD (et leurs homologues à l'étranger) veille au respect des droits des auteurs et vérifie que les autorisations ont été obtenues, même a posteriori. Lors de sa représentation la structure de représentation (théâtre, MJC, f estival…) doit s’acquitter des droits d’auteur et la troupe doit produire le justificatif d’autorisation de jouer. Le non respect de ces règles entraine des sanctions (financières entre autres) pour la troupe et pour la structure de représentation. Ceci n’est pas une recommandation, mais une obligation, y compris pour les troupes amateurs. Merci de respecter les droits des auteurs afin que les troupes et le public puissent toujours profiter de nouveaux textes.

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Palabres et Bigoudis (JM TOURNIER) page 1

AVERTISSEMENT

Ce texte a été téléchargé depuis le site http ://www.leproscenium.com

Ce texte est protégé par les droits d’auteur. En conséquence avant son

exploitation vous devez obtenir l’autorisation de l’auteur soit directement

auprès de lui, soit auprès de l’organisme qui gère ses droits (la SACD par

exemple pour la France).

Pour les textes des auteurs membres de la SACD, la SACD peut faire interdire

la représentation le soir même si l'autorisation de jouer n'a pas été obtenue par

la troupe. Le réseau national des représentants de la SACD (et leurs

homologues à l'étranger) veille au respect des droits des auteurs et vérifie que

les autorisations ont été obtenues, même a posteriori. Lors de sa

représentation la structure de représentation (théâtre, MJC, festival…) doit

s’acquitter des droits d’auteur et la troupe doit produire le justificatif

d’autorisation de jouer. Le non respect de ces règles entraine des sanctions

(financières entre autres) pour la troupe et pour la structure de représentation.

Ceci n’est pas une recommandation, mais une obligation, y compris pour les

troupes amateurs.

Merci de respecter les droits des auteurs afin que les troupes et le public

puissent toujours profiter de nouveaux textes.

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Palabres et Bigoudis (JM TOURNIER) page 2

Palabres et Bigoudise

de Jean-Marie TOURNIER ([email protected])

Comédie

Durée : 95 minutes environ

Décor : un salon de coiffure, avec (si possible)

Comptoir avec tiroir:

o dessus : une radio, un ordi portable, un tél fixe, un bocal à bonbons;

o devant : publicités pour Boréal.

Sièges et bac pour laver les cheveux ;

Siège tournant pour le coiffage;

Accessoires de coiffure : brosses, sèche-cheveu, etc.;

Etagère avec produits divers ;

Table basse avec revues : L'Express, Elle, autres…

Perroquet pour les manteaux ;

Psyché ou grand miroir sur pied.

Costumes :

tenue de femme de ménage pour Josiane ;

tenue sexy pour Laurie + blouse ;

tenues de ville pour les autres

Distribution

2 hommes

8 femmes (le rôle de Valentine peut être tenu par une femme)

Public : tout public

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Palabres et Bigoudis (JM TOURNIER) page 3

Résumé

Des femmes vont et viennent dans un petit salon de coiffure… Mais ce matin, la porte est trouvée ouverte et la clé a disparu.

Derrière le miroir central du salon, on lit sans peine le reflet de notre société avec ses personnages truculents parfois, amusants toujours où chacun s'identifie ou identifie son voisin. Mais tout ce petit monde cache un mystère qui n'est pas celui que l'on croit... Au fur et à mesure des bavardages et des allées et venues, l'histoire se dessine et le spectateur est plongé dans les petits tracas d'un quotidien qui n'est peut être pas aussi banal qu'il laisse paraître !

SCENE 1

EMMA PRADIER

Emma Pradier : Tiens, c'est curieux, il n'y a personne… Pourtant il est bien l'heure…

Et la radio est allumée… Ce n'est pas dans les habitudes de Lise-Hélène d'arriver en retard… C'est bizarre… Je sais bien qu'à 72 ans je n'ai plus grand-chose à faire de mes journées mais je n'aime pas attendre. C'est vrai que je suis souvent en avance… J'ai toujours été en avance sur mon temps.

Elle regarde sur le comptoir, trouve des bonbons, en met deux dans son sac sans qu'on les voie clairement, et un dans sa bouche ;

Tiens, eh bien, ça n'a pas été mis là pour rien. Allez hop ! ni vu ni connu…

Elle jette un œil sur les revues, journaux… Elle en prend deux d'abord, feuillette l'un, tombe sur l'article "naufrage en Sicile" et va poser l'autre sur le comptoir tout en lisant (avec le bonbon dans la bouche).

Tiens… "Naufrage au large de la Sicile : une centaine de morts. Dimanche matin, vers 7h, un bateau s'est échoué à quelques encablures des côtes de la Sicile. Il transportait essentiellement des Africains, qui venaient chercher une meilleure fortune sur notre continent mais ont tous péri dans l'accident. A l'évidence l'embarcation était surchargée ; et il a suffi qu'elle heurte un récif pour couler presqu'aussitôt. Ceux qui ne sont pas morts noyés ont tenté de gagner la côte à la nage, mais la police, présente sur les lieux au moment du drame, les a repoussés à la mer, leur assurant ainsi une mort certaine. Cette attitude inexplicable et qui a profondément choqué toute l'Italie a valu aux policiers d'être convoqués aussitôt devant une commission disciplinaire…" Bon, voilà qui va occuper les journaux pendant un certain temps…

Elle pose celui qu'elle lisait sur le comptoir, et va chercher le magazine Elle

Ah ! C'est l'été, voilà les maillots de bain… Enfin, si on peut appeler maillots ces minuscules bouts de tissus. Ça doit être ceux de l'an passé qui ont rétréci au lavage… Tous les ans, ils diminuent un peu plus… Et puis dans dix ans les filles seront corsetées comme ma grand-mère… Et là… sept pages pour apprendre à s'épiler… Et pas sous les bras… Avec gros plans, vue rapprochée du minou de la

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demoiselle… Mon Dieu ! sept pages ! C'est d'un compliqué… Allez, hop ! ça fait vendre… Ah ! "J'ai trompé mon amant… Sept femmes témoignent… Le jour où j'ai compris que mon amant avait une autre maîtresse, j'ai décidé de le tromper pour le rendre jaloux…" C'est vraiment n'importe quoi…

Elle repose la revue Elle sur le comptoir.

Et Lise-Hélène qui n'apparaît pas… Bon… Je reviendrai plus tard. Mais tout de même, la porte était ouverte ; elle ne doit pas être bien loin…

Elle s'en va.

SCENE 2

LAURIE, JOSIANE, VALENTINE

Elle change de station de radio.

" … pas fini de parler de ce scandale en Italie, où certains n'hésitent pas à dénoncer la banalisation des idées racistes propagées par l'extrême-droite … La météo pour finir avec cette annonce d'un fort coup de vent dans la matinée sur toute la région. Vous voilà prévenus."

Elle presse sur une touche pour changer de station.

Elle danse un moment sur la musique puis baisse le son.

Madame Faucogney ?... Lise-Hélène ?... Personne ?... Elle me demande de l'appeler par son prénom, mais je n'aime pas. Appeler les gens par leur prénom et les vouvoyer, ça me fait drôle… Elle n'est pas là mais la porte était ouverte… C'est bizarre… Pourtant c'est bien l'heure… Qu'est-ce qui a bien pu se passer ? Et la porte était ouverte… J'espère qu'elle n'est pas restée ouverte depuis hier soir…

Elle vérifie rapidement que rien n'a disparu, aperçoit les revues qui ont été déplacées, feuillette le magazine Elle.

Et cette revue, elle n'était pas là… "L'épilation intime en cinq leçons"… Ah ben oui, il faut bien au moins cinq leçons… "Le profil du pédophile"… N'importe quoi pourvu que ça se vende… Bon, mais la patronne n'est toujours pas là, ça m'inquiète…

Elle prend le 2e magazine sur le comptoir au moment où arive Valentine ; elle repose les magazines sur la table basse, laisse le 3e sur le comptoir. Elle regarde Valentine avec étonnement.

Valentine

Elle pose ses clés sur le comptoir. Pour faire de la place, elle enlève la revue qui est restée sur le comptoir et la glisse machinalement dans son sac.Elle dépose une quantité de flacons, vaporisateurs, bombes, etc. sur le comptoir.

Bonjour. Valentine de la maison Boréal. Tout va bien ? C'est parfait. Je vous rends ma petite visite habituelle. Actuellement nous avons une belle promotion sur les produits phare de la nouvelle gamme luxe, calme et volupté, avec une réduction de 3% à partir de 150 lots achetés seulement ; vous avez vu nos spots à la télévision, à

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la radio, nos visuels vraiment trendy, nos flyers percutants, flashy, très bien faits n'est-ce pas ? un must au niveau com. Ils insistent beaucoup plus sur l'aspect dream que sur l'efficacité et ça c'est très efficace, n'est-ce pas ? Ce serait dommage de ne pas profiter de cette campagne qui va booster vos ventes, fidéliser votre clientèle, d'autant plus qu'à partir d'un certain chiffre d'affaires nous offrons un voyage pour deux dans les îles, all inclusive. La deuxième personne est fournie si nécessaire, of course.

Josiane : Ben oui, c'est normal.

Laurie : Tiens, vous êtes déjà là, Josiane?

Josiane : Ben oui, c'est normal.

Laurie : Excusez-moi. Je n'ai rien compris…

Josiane : Ben oui, c'est normal.

Laurie : Oui oui, ça va, Josiane… Tiens, allez voir là-bas si j'y suis.

Josiane s'en va dans une pièce voisine.

Valentine : Boréal…

Laurie : Euh oui, mais vous voudrez bien repasser. Mme Faucogney n'estpas encore là, et c'est elle qu'il faut voir.

Valentine : Ah ! pardon. Eh bien, c'est d'accord, je repasserai dans la journée. Elle sera là ?

Valentine remballe ses produits, reprend théâtralement ses clés sur le comptoir et s'en va.

Laurie : Mais oui, elle ne va pas tarder…

Josiane (elle revient) : Ben non, vous n'y êtes pas…

Laurie : Ben oui, c'est normal, je suis ici…

Laurie : (se regarde dans un miroir) Et elle va encore trouver que je m'habille trop

sexy, comme elle dit… Mais zut ! j'ai 40 ans, je peux encore montrer mes jambes… Évidemment, elle, elle s'est fait plaquer par son mari il y a 5 ou 6 ans pour une jeune employée… C'est ce qu'elle m'a dit hier… Alors, les employées aujourd'hui elle les veut moches… Mais qui c'est qui fait rentrer les hommes dans le salon ? C'est pas sa grande robe ou son pantalon et son corsage (elle fait le geste de serrer le col de son vêtement)… Bon… Qu'est-ce que je fais ? C'est inquiétant tout de même…

Elle met la radio plus fort et danse un moment.

SCENE 3

LAURIE, LISE-HELENE, JOSIANE

Lise-Hélène : Mais… la porte était ouverte ? Baisse cette radio, tu veux ? Tu as la clé ?

Lise-Hélène arrête la radio.

Laurie : Euh… non… La porte était ouverte quand je suis entrée. J'ai cru que vous

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étiez là…

Lise-Hélène : Oui… enfin non… (elle lui fait la bise machinalement) Bonjour Laurie… Bonjour Josiane.

Laurie (même jeu) : Bonjour madame…

Josiane : Bonjour madame.

Lise-Hélène : Non, tu dois m'appeler par mon prénom… C'est mieux devant les clientes…

Laurie : Je n'ai pas l'habitude…

Lise-Hélène : Eh bien, il faut que tu la prennes… Tu es là depuis longtemps ?

Laurie : Non, non, j'arrive… Je vous attendais.

Josiane : Ben moi aussi, quand je suis entrée la porte était ouverte. Parce que, si la

porte avait été fermée, j'aurais pas pu rentrer, hein, c'est normal..

Lise-Hélène : Oui, oui, Josiane… Ponctuelle, c'est bien. Et la porte était ouverte ?

Laurie : Ben oui, je vous l'ai déjà dit… Ils ont annoncé du vent, mais heureusement pour l'instant tout est calme. La porte aurait pu claquer.

Lise-Hélène : Mais c'est invraisemblable… Qui est-ce qui a quitté le salon hier soir la dernière?

Laurie : Je ne sais pas… Je suis partie avant vous…

Lise-Hélène : Et j'aurais oublié de fermer la porte ? Si je perds la tête, c'est grave…

On n'a rien volé au moins…

Elle prend le magazine Elle sur la table basse.

Laurie : Je ne crois pas… J'ai juste trouvé cette revue déplacée, mais c'était sans doute hier soir…

Josiane lui prend le magazine des mains.

Josiane : C'est pas moi, parce que moi, je ne lis pas les revues ; je regarde les

photos seulement. Et dans celui-là (elle montre le magazine Elle) il y a des photos…

Lise-Hélène le lui enlève et le remet sur la table basse.

Lise-Hélène : Josiane, je vous en prie. Allez faire les carreaux, ça vous occupera.

Josiane disparaît dans l'arrière-boutique et revient peu après avec un chiffon.

Ah ! sur l'épilation… C'est possible qu'elle n'ait pas été remise à sa place : les clientes le lisent beaucoup…

Elle ouvre le tiroir du comptoir.

Ah ! mon dieu ! Le carnet de rendez-vous ! Tous les rendez-vous, les numéros de téléphone des clientes… Je n'aurais pas dû le laisser ici. Les numéros, je peux les retrouver, mais il y avait ton contrat dedans. Et je dois le renvoyer aujourd'hui même, sinon je suis obligée d'annuler ton embauche. Tu te rends compte ? Qui est-ce qui a bien pu ?

Laurie : Et on ne peut pas le refaire mon contrat ?

Josiane : Ben non, un contrat d'embauche, c'est un contrat d'embauche. On ne peut

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pas vous refaire un contrat comme ça : pour vous embaucher une deuxième fois, il faut d'abord vous embaucher une première, et si vous avez perdu le premier contrat…

Lise-Hélène (énervée) : Josiane, ça suffit et mêlez vous de ce qui vous regarde ! Allez, allez, lavez vous carreaux et fichez nous la paix…

Josiane s'en va.

Mais non ! c'est bien ça qui est fâcheux ! Je peux déposer plainte, mais ça ne servira à rien, puisque je dois le faire partir aujourd'hui sans faute… Qu'est-ce que je vais faire ? Et celui qui l'a volé ne s'est certainement pas rendu compte de l'importance de ce document… Tout ça est bien troublant…

Laurie : Comme les trous noirs…

Lise-Hélène : Quoi, comme les trous noirs ?

Laurie : Non, rien… Vous dites : c'est troublant… Je dis : comme les trous noirs…

Troublant, trous noirs…

Lise-Hélène (en colère): Tu crois que c'est le moment de plaisanter !… Alors qu'il

s'agit de ton embauche !… Tu veux rester ici ou non ? En tout cas, rien à personne, hein ? La clé d'accord, ça expliquera pourquoi je suis énervée, mais le carnet, motus. C'est bien compris ! Et puis je t'ai déjà dit que je ne voulais pas te voir dans cette tenue. C'est un salon ici, pas un… tu vois ce que je veux dire ? Alors, va mettre ta blouse… Allez, allez… Avant que les clientes arrivent…

Laurie : Ou les clients…

Lise-Hélène : Oui, alors raison de plus… Et n'oublie pas ce que je t'ai dit pour le shampoing bon sang… Hier tu en as raté deux… Tu dois leur dire : "Vous perdez vos cheveux… Il y en a beaucoup dans le bac… " C'est pourtant pas dur. Même si elles ne perdent rien… Et tu leur vends l'anti-chute de chez Boréal… Avec deux ou trois mots compliqués pour les convaincre, genre… Boréal, le régénérateur du cheveu à efficacité garantie, ou boostez votre capital capillaire avec Boréal, ou pour lutter efficacement contre l'hypotrichose, un seul remède : Boréal… c'est pas compliqué… Je peux avoir un voyage dans les îles pour deux avec Boréal… Alors fais attention !

Laurie : Vous m'emmèneriez ?

Lise-Hélène : Ne rêve pas, Laurie… Tu n'es qu'une employée… Et je t'ai dit d'aller te

rhabiller… Qu'est-ce que tu attends ? Oh ! je suis énervée, mais énervée ! Et elle prend ça à la légère !

Laurie : Ah, au fait, une dame est passée tout à l'heure; elle faisait une promotion sur la volupté ou quelque chose comme ça ; elle parlait vite, je n'ai pas tout compris, elle a dit qu'elle repasserait…

SCENE 4

LAURIE, LISE-HELENE, M. IKS

M. Iks : Bonjour madame Faucogney…

Lise-Hélène : Bonjour cher monsieur Iks… Quel bon vent vous amène ?

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Elle fait signe à Laurie de partir mais celle-ci ne part pas. Au contraire elle fait des mines aguicheuses à M. Iks.

M. Iks. : Euh… oui, c'est le cas de le dire : le vent vient de se lever, comme ça

brusquement ; j'aurais peut-être dû mettre un manteau… Mais rien de particulier… Je passais devant votre salon et je me suis dit : tiens, je vais lui dire bonjour…

Lise-Hélène : C'est très gentil…

(un temps)

M. Iks. : Et vous allez bien ?

Lise-Hélène : Euh oui… Enfin non. Figurez vous que la porte était restée ouverte

toute la nuit…

M. Iks. : Mon Dieu !... Des voleurs ?...

Lise-Hélène : Je ne sais pas, je ne crois pas. Rien n'a disparu… J'ai peut-être tout simplement oublié de la fermer hier soir. C'est bizarre…

M. Iks. : Ça ne fait rien. On vit une drôle d'époque… Il faut tout le temps se méfier. On ne sait jamais… Enfin, vous avez eu de la chance…

Lise-Hélène : Oui…

(un temps)

M. Iks. : Beau temps, hein ? C’est agréable.

Lise-Hélène : Oui, oui… Pourvu que ça dure…

(un temps)

M. Iks : Dommage qu'il y ait ce vent. Mais c'est passager qu'ils ont dit…

Lise-Hélène : Oui, j'ai entendu ça.

(un temps)

M. Iks. : Vous avez une nouvelle employée ?

Lise-Hélène : Oui, depuis deux jours.

M. Iks : Ah…

(un temps)

M. Iks. : Et ça va ?

Lise-Hélène : Oui, oui. Elle fait ce qu'on lui dit. C'est bien…

M. Iks. (à Laurie) : Vous avez de la chance… Vous verrez : Mme Faucogney est une …

Lise-Hélène : Oh ! n'exagérez pas… C'est…

M. Iks. (à Laurie) : Non non, je vous assure, elle est vraiment…

Laurie : Je sais. Plusieurs personnes m'ont déjà dit que j'avais de la chance d'être…

(un temps)

M. Iks. : Bon, je repasserai pour prendre un … Je ne sais pas encore…

Lise-Hélène : Mais… à votre service… Revenez quand vous voulez.

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Palabres et Bigoudis (JM TOURNIER) page 9

(un temps)

M. Iks. : Votre employée là, c'est à plein temps ? Je veux dire…

Lise-Hélène : Oui, mais elle a des horaires fixes. Pas comme moi… Si une cliente

est encore là à l'heure de la fermeture, elle, elle peut partir, je n'ai pas le droit de la retenir. Mais il faut bien que le travail…

M. Iks. : Je comprends… Bon… Je repasserai bientôt, hein, Mme Faucogney. C'est toujours un plaisir de…

Lise-Hélène : Oui. A bientôt. Bonne journée, M. Iks.

Il s'en va. Gros soupir de Lise-Hélène. Déception de Laurie.

SCENE 5

LAURIE, LISE-HELENE, VALENTINE, JOSIANE

Valentine : Ah, bonjour madame Fautaper.

Elle déballe à nouveau ses produits sur le comptoir.

Lise-Hélène : Faucogney…

Valentine : Euh oui, pardon, madame Faufrapper… Valentine de la maison Boréal. Tout va bien ? C'est parfait. Je vous rends ma petite visite habituelle. Actuellement, nous avons une belle promotion sur les produits phare de la nouvelle gamme luxe, calme et volupté; vous avez vu nos spots à la télévision, à la radio, nos visuels vraiment trendy, nos flyers percutants, flashy, très bien faits n'est-ce pas ? un must au niveau com.

Josiane revient sur scène écouter Valentine.

Ils insistent beaucoup plus sur l'aspect dream que sur l'efficacité et ça c'est très efficace, n'est-ce pas ? Ce serait dommage de ne pas profiter de cette campagne qui va booster vos ventes, addicter votre clientèle, d'autant plus qu'à partir d'un certain chiffre d'affaires nous offrons un voyage pour deux dans les îles, all inclusive. La deuxième personne est fournie si nécessaire, of course.

Vous avez essayé Sunshine of my life ou Love my baby ? Ce sont deux tout nouveaux régénérateurs actifs du cheveu qui prennent en compte la structure macrocellulaire de la racine pour mieux la revitaliser et assurer une croissance plus fluide de la kératine, le composant de base de votre…

Josiane : Oui, ben tout à l'heure, Laurie a dit qu'elle n'avait rien compris, ben moi non plus.

Lise-Hélène : Josiane !... Oui, c'est bon, j'ai fait des stocks… J'espère que j'aurai le voyage…

Valentine : Mais pourquoi pas ? Why not ? Vous faites partie de nos meilleures associées, car vous n'êtes plus une cliente mais une associée et vous faites partie de nos meilleures, vous êtes l'ambassadrice du happyness made in Boréal. Ce voyage dans les îles ne serait que la reconnaissance de votre grande implication dans le développement de notre maison… Est-ce que vous avez encore nos grands

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classiques, tellement tendance, n'est-ce pas ? To be or not to be et my sister is not a boy…

Lise-Hélène : Merci, j'ai tout ce qu'il me faut…

Valentine : Ok, ok… Je n'insiste pas. Je ne vous importune pas plus longtemps. Les shampoings à la soupe d'ortie et au calendula revitalisant, les après-shampoings au sirop d'érable vierge double pression à froid, j'insiste : double pression à froid, une exclusivité Boréal, eh bien je me ferai un plaisir de vous les présenter très prochainement. Je ne veux pas abuser de votre temps, chère madame Fautfouetter. Au revoir et bonne journée !

Elle remballe ses produits, oublie ses clés derrière le comptoir et s'en va. Gros soupir de Lise-Hélène et de Laurie.

Laurie : J'ai tout compris, Lise-hélène : quelques mots d'anglais, quelques mots compliqués, et je t'embrouille le client. Facile ! Je peux le faire…

Lise-Hélène : Eh bien, très bien… Tu apprends vite.

Josiane : Ben, vous aviez dit que vous n'aviez rien compris ?

Laurie : Zut ! Retournez à vos carreaux, vous ! (elle reste là)

(à Lise-Hélène) Il s'appelle monsieur Iks ? C'est un drôle de nom ! Ou alors il n'a pas de nom ! (elle rit)

Lise-Hélène : Oui, il s'appelle Iks. Comme le coureur automobile Jackie Icks.

Laurie (geste qui signifie qu'elle ne le connaît pas)

Lise-Hélène (énervée) : Et puis va te changer. Tu crois que je ne t'ai pas vu faire la

danse du ventre devant ce monsieur ? C'est un salon ici, je t'ai déjà dit…

Allez ! Disparais !

Laurie s'en va. Josiane la suit…

SCENE 6

LISE-HELENE

Le téléphone sonne.

Lise-Hélène : Salon Lise-Hélène, bonjour… Oui… Oui bien sûr… Oui… 9h-midi ;

14h-18h… Sur rendez-vous ou sans rendez-vous, comme vous voulez… Quel jour vous conviendrait ?... C'est parfait… Vers 15h ?... Eh bien c'est noté. Au revoir madame ; à bientôt.

Elle va chercher une revue, la feuillette machinalement, sans la lire.

J'aurais oublié de fermer la porte… Et ce contrat qui a disparu, ça c'est très très embêtant… Comment je vais faire ?... (énervée) Et ces revues, c'est que de la pub… Et là, des pages arrachées… L'article devait être intéressant, mais la dame n'a pas eu le temps de le lire… Merci pour les autres !

Le téléphone sonne. Elle repose la revue sur la pile des autres.

Lise-Hélène : Salon Lise-Hélène, bonjour… Ah c'est toi ? Je ne t'avais pas

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reconnue. Attends je vais dans une autre pièce… Non, non, tout va bien…

Elle quitte le salon.

SCENE 7

EMMA PRADIER, LAURIE, JOSIANE

Emma Pradier : Décidément… Tiens, la revue a changé de place… Il y a donc quelqu'un… (elle appelle) Lise-Hélène ?...

Arrive Laurie (en blouse) suivie de Josiane.

Emma Pradier : Ah ! je me disais aussi… Bonjour.

Laurie + Josiane : Bonjour madame.

Emma Pradier : Lise-Hélène n'est pas là ? Je passais lui dire un petit bonjour… Je

suis entrée tout à l'heure, mais je n'ai vu personne. Elle a dû arriver maintenant ? Mais ne la dérangez pas si elle est occupée…

Laurie : Elle est au téléphone dans la pièce (geste pour désigner la pièce voisine).

Emma Pradier : Non, non, ne la dérangez pas… Je repasserai…

Elle prend le magazine Elle sur la table basse.

La revue a changé de place…

Laurie : Euh oui… Les clients la lisent beaucoup mais ne la remettent pas toujours à sa place.

Josiane lui prend le magazine des mains.

Josiane : C'est pas moi, parce que moi, je ne lis pas les revues ; je regarde les

photos seulement. Et dans celui-là, il y a des photos…

Emma Pradier : Certains articles sont…

Laurie : Ah je ne sais pas… Je ne suis là que depuis deux jours…

Emma Pradier le lui prend à son tour et le feuillette.

Emma Pradier: Épilation intime, j'ai trompé mon amant… Tiens, je n'avais pas vu : "Le profil type du pédophile…" Et rien sur les femmes de 72 ans, pleines d'énergie comme moi !

Elle repose la revue sur la table basse.

Oui, 72… Je sais, je ne les fais pas… Tiens, faites voir..

Elle se tape sur un genou, sur l'autre, se frappe les mains, etc.; Laurie l'accompagne et finit tout essoufflée

Et hop hop hop ! Pas mal, hein, pour mon âge… Je mériterais bien un article dans cette revue, non ?

Laurie : Euh oui… sûrement.

Emma Pradier: Bon, écoutez, vous lui direz que je suis passée… Je ne veux pas la déranger si elle est au téléphone… allez, hop ! à bientôt !

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Palabres et Bigoudis (JM TOURNIER) page 12

Elle s'en va.

SCENE 8

LISE-HELENE, LAURIE, JOSIANE

Lise-Hélène revient, téléphone à la main.

Laurie : Ah c’est trop bête… Une dame vient de partir ; elle est déjà venue deux fois ce matin. 72 ans, qu'elle a dit. Mais elle ne les fait pas…

Lise-Hélène : Ah, Emma Pradier, je pense… Elle a dit qu'elle repasserait, je suppose…

Laurie : Euh oui … J'ai ma petite philosophie là-dessus (elle chante) : l'homme passe… la femme repasse…

Lise-Hélène : Laurie ! Tu es incorrigile à la fin ! J'aimerais un peu plus de… Tu n'es pas au café du commerce ici, mais dans un salon de coiffure. Alors, tes jeux de mots douteux, tu les gardes pour toi, compris ?

Laurie : Excusez-moi madame… euh… Lise-Hélène…

Josiane : La dame de tout à l'heure, elle a oublié ses clés, elles sont là.

Elle les sort de derrière le comptoir, les montre et les remet à leur place.

Et la première fois, elle était très pressée, je crois bien qu'elle a emporté une revue…

Laurie : Une revue ? Ou le carnet de rendez-vous ? Et c'est maintenant que vous le dites ?

Josiane : Ben, c'est maintenant que j'y pense, tout à coup… Mais c'est pas sûr…

Laurie : Et mon contrat, vous y avez pensé à mon contrat ? si elle est partie avec...

Josiane : Elle va peut-être repasser pour chercher ses clés.

Laurie : Oui, bon, allez-vous en, vous m'énervez ! Et si on vous demande quelque

chose, vous direz que vous n'en savez rien.

Josiane fait semblant de s'en aller et prend un balai.

SCENE 9

LISE-HELENE, LAURIE, MARIE-ANGE, JOSIANE

Marie-Ange : Ah ! ma chère Lise-Hélène ! Depuis le temps !

Laurie se met légèrement en retrait pour mieux singer Marie-Ange. Josiane s'appuie sur son balai.

Lise-Hélène : Bonjour très chère… (Elles s'embrassent) Comment allez-vous, Marie-

Ange ? Vous avez une mine superbe !

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Palabres et Bigoudis (JM TOURNIER) page 13

Marie-Ange : Oui, je sais… Je me disais ce matin, en me regardant dans le miroir de

la salle de bains : "Je suis trop belle, quoi !" (elle rit). J'adore me dire ça le matin quand je me réveille. Je me sens en forme pour toute la journée, quoi ! C'est si bon de se trouver belle… Et c'est un peu à vous que je le dois, ma chère Lise-hélène ! Vous avez une façon de vous occuper de mes cheveux qu'on dirait que vous ne leur faites rien, que vous laissez la nature s'exprimer avec magnificence… C'est pour ça que j'aime venir ici…

Lise-Hélène : Vous me flattez, Marie-Ange…

Marie-Ange : Mais pas du tout. Je le disais encore à mon mari, ce matin… J'aime

beaucoup mon mari. Il est en adoration devant moi, c'est très agréable. L'autre jour, il m'a dit, comme ça : You are the sunshine of my life ! Tu es le soleil de ma vie. Et il a ajouté : Tu es tellement radieuse que j'en ai mal aux yeux… Hmmm je l'adore ! Et ça fait plus de dix ans que ça dure !

Mais il me trouve parfois insupportable et ça m'agace. L'autre jour, par exemple… L'autre jour, j'étais en train d'essayer une nouvelle robe… Vous savez ce que c'est, ça prend du temps… On n'achète pas une robe… Eh bien, je sentais qu'il s'impatientait, il ne tenait plus en place. Au bout d'une heure, je lui ai dit : "Mais, va ailleurs, tu me fatigues !" Finalement je suis sortie du magasin sans rien acheter… Je suis allée dans un autre. Et là j'ai enfin trouvé ce que je voulais. Un homme ne peut pas savoir ce que c'est. Et dans mon cas surtout, quoi ! J'ai un certain souci de l'esthétique, de… Je veux être… Et tout à l'heure, c'est mon fils… 12 ans. "Tu sors ?" qu'il me dit… "Oui, je vais chez la coiffeuse… - Mais tu y es allée il n'y a pas si longtemps ! – Mon paure chéri, que je lui ai répondu, si tu veux que ta maman soit belle… enfin reste belle… il faut que je m'entretienne… - Mais tu y es allée la semaine passée… - Eh bien oui. Et j'y retourne…

Josiane : (geste d'ennui) Ben oui, moi aussi, j'y retourne…

Lise-Hélène : Lauriane !! (à Marie-Ange) Les maris, les enfants…

Marie-Ange : Oui ! Heureusement, je n'en ai qu'un ! (elle rit) de mari… Et je n'ai qu'un fils, quoi… Ah c'est dommage, j'aurais bien voulu avoir une fille. Elle m'aurait comprise, elle… Elle aurait su que… Bon, mais après la naissance de Charles-Louis – Charles-Louis, c'est mon fils… –

Lise-Hélène : Oui, je me souviens…

Marie-Ange va s'asseoir et feuillette machinalement la revue Elle.

Marie-Ange : Après la naissance de Charles-Louis, j'ai fait une G.E.U… Nous étions en vacances à Biarritz – mon mari adore le sud-ouest - et ça s'est très mal passé. J'ai dû être opérée sur place en urgence pendant que mon mari revenait avec Charles-Louis à la maison. Les vacances étaient finies. Et moi, j'ai dû prendre l'avion quelques jours plus tard… Je déteste l'avion. On n'est jamais tranquille dans ces… Je sais bien qu'il y a plus d'accidents en voiture, mais je préfère quand même … Le médecin m'a dit que j'aurais pu en mourir très facilement. C'est une mort douce, on ne se sent pas partir, qu'il m'a dit… Par chance, les choses ont été prises à temps. J'avais d'abord vu un spécialiste, mais qui n'avait rien décelé. J'étais chez des amis et je me suis sentie un peu faible. Ils ont fait venir leur médecin de famille – vraiment un excellent médecin ; sans lui… - il m'a aussitôt envoyé à l'hôpital ou plutôt dans une clinique. Il a téléphoné au chirurgien et tout s'est fait très très vite…

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Palabres et Bigoudis (JM TOURNIER) page 14

Bon… Je n'aime guère en parler parce que c'est un souvenir douloureux. Mais…

Lise-Hélène : Et aujourd'hui… ?

Marie-Ange : Aujourd'hui, Dieu merci, tout va bien. Mais je n'ai pas eu de fille,

quoi…. (elle rit) J'ai eu un ou deux amants, mais ce n'est pas pareil… Il faut bien que le corps …

Laurie (chanté) : exulte !.

Marie-Ange (en colère) : comme dit Jacques Brel… Mais pour qui elle se prend

celle-là ?

Lise-Hélène : Laurie ! Comment oses-tu ? Une employée doit savoir se montrer

discrète. Excusez la, chère amie ; elle n'est là que depuis deux jours et elle a beaucoup à apprendre…

Marie-Ange : C'est vrai qu'on a de plus en plus de mal à trouver de bons employés aujourd'hui, quoi ! Tenez, j'y pense… L'autre jour, ma femme de ménage, une femme sérieuse pourtant (fort, en direction de Laurie) et discrète, (voix normale) eh bien elle avait égaré les clés…

Lise-Hélène (brusquement affolée) : Les clés ? Ah mais oui… Figurez-vous que le salon est resté ouvert toute la nuit et… mon Dieu, mais oui, où est la clé ? (elle cherche partout) Peut-être qu'il n'est pas resté ouvert, mais que quelqu'un l'a ouvert… C'est affreux, je ne retrouve pas ma clé, Laurie, tu n'as pas vu ma clé ?

Laurie : Pardon ?

Arrive Josiane, comme si on l'avait appelée.

Lise-Hélène : Ma clé ? Tu n'aurais pas vu ma clé ? Pourquoi je n'y ai pas pensé plus tôt…

Laurie : Non, je… non, je ne l'ai pas vue.

Josiane : Ben la dame, elle a laissé les siennes.

Laurie (regard furieux) : Ça n'a rien à voir...

Lise-Hélène : Oui, disparaissez, vous m'énervez…

Josiane : Bon, bon… Je m'en vais.

Josiane s'en va en bougonnant.

Marie-Ange : Vous avez été cambriolée ? Ah mon Dieu ! Décidément, nous ne sommes plus en sécurité nulle part. Je me demande ce que fait le gouvernement, quoi ! Avec tous les impôts qu'on paye !... L'autre jour, ma belle-sœur me dit… enfin, je ne sais plus ce qu'elle m'a dit, mais…

SCENE 10

LISE-HELENE, LAURIE, MARIE-ANGE, M. IKS

M. Iks : Pardon de vous déranger à nouveau… (à Marie-Ange) Bonjour madame…

Marie-Ange : Bonjour monsieur…

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Palabres et Bigoudis (JM TOURNIER) page 15

Mimiques aguicheuses de Laurie en direction de M. Icks pendant toute cette scène.

M. Iks : Je suis passé tout à l'heure et je ne retrouve plus mes clés.

Marie-Ange : Décidément…

M. Iks : Pourquoi vous dites ça ?

Marie-Ange : Lise-Hélène aussi a perdu ses clés…

M. Iks : Ah oui ? On vous a pris vos clés ? Le cambrioleur a dû être surpris et il est

reparti sans avoir eu le temps de rien vous emporter, mais il a gardé vos clés…

Marie-Ange : Auquel cas, vous allez devoir remplacer la serrure… S'il a toujours la

clé…

Lise-Hélène : J'espère que non… Je l'ai peut-être égarée, tout simplement.

Marie-Ange : Mais dans ce cas, comment le voleur a-t-il pu entrer ? Ce qui est curieux, c'est qu'il n'ait pas fermé la porte en repartant…

M. Iks : Mais pourquoi la fermer ? Surtout s'il a été surpris… Enfin… je me mets à sa place… moi, je ne l'aurais pas fermée…

Marie-Ange : C'est tout de même très embêtant… Et vous dites que vous aussi vous avez perdu vos clés ?

M. Iks : Oui, c'est moins grave : celle de mon garage. Je pensais l'avoir peut-être posée par inadvertance sur cette table… Quand je viens ici, je suis toujours un peu…

Marie-Ange : Ah bon, et pourquoi donc ? C'est Lise-Hélène qui …

M. Iks : Non non non pas du tout… Je ne sais pas… Les odeurs des produits, les

parfums…

Lise-Hélène : Ou Laurie peut-être ?

M. Iks : Euh non… Avec sa blouse…

Lise-Hélène : Elle est très bien sa blouse… C'est un vêtement de travail, pas une

tenue de soirée…

Laurie : Non, pas une tenue de soirée…

Lise-Hélène : Laurie !

M. Iks : Ah mais je… Je n'ai rien dit… Je voulais juste, avant de partir, vous dire que

je connais un serrurier de mes amis. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, ne faites rien sans m'en parler… Et j'espère que vous allez retrouver votre clé… Je reviendrai tout à l'heure… Au revoir madame Faucogney, au revoir mesdames…

Il s'en va.

Lise-Hélène : Tu crois que je n'ai pas vu ton manège, Laurie ! Je te préviens…

Laurie (faussement naïve) : Pardon ?

SCENE 11

LISE-HELENE, LAURIE, MARIE-ANGE, MME DUVAUCHELLE

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Palabres et Bigoudis (JM TOURNIER) page 16

Mme Duvauchelle : Bonjour Lise-Hélène. Bonjour mesdames…

Lise-Hélène : Bonjour Diane… Comment allez-vous ? Vous êtes superbe…

Laurie : Bonjour madame.

Mme Duvauchelle : Merci. C'est très aimable à vous…

Marie-Ange : Bonjour madame… Bien, je vous laisse… Je repasserai dans un moment… Je vois que vous avez une cliente… Et bonne chance pour votre clé !

Lise-Hélène : Au plaisir, Marie-Ange. A bientôt…

Marie-Ange s'en va.

SCENE 12

LISE-HELENE, LAURIE, MME DUVAUCHELLE

Lise-Hélène : Et pour vous, Diane, comme d'habitude ?

Mme Duvauchelle : Euh oui… Je ne devrais pas le dire, mais j'ai quelques petits cheveux blancs, je crois, et ils ont tendance à fourcher…

Lise-Hélène : Eh bien, je vais vous confier à Laurie pour le shampoing ; c'est ma nouvelle employée ; elle vous fera ça très bien. Et nous avons des produits aujourd'hui… qui font des miracles, vous verrez.

Mme Duvauchelle : Ah très bien… Mon mari me dit toujours - mon mari, c'est

Gontrand, je crois que je vous en ai déjà parlé, il a bientôt quatre-vingts ans, mais toute sa tête…. forcément : c'est un Duvauchelle, vous connaissez forcément même si vous n'êtes pas d'ici – il me dit toujours : les soins capillaires, ce n'est pas un luxe, c'est une nécessité dans notre milieu…

Laurie : Vous voulez me suivre, madame Duvauchelle ?

Elle l'installe pour lui laver les cheveux.

Lise-Hélène : Je vous laisse… Mais où sont-elles passées ? C'est très inquiétant…

SCENE 13

LAURIE, MME DUVAUCHELLE, JOSIANE

Laurie sifflote tout en lui lavant les cheveux.

Mme Duvauchelle : Pas trop froid, s'il vous plaît… Ni trop chaud… Mon mari dit toujours qu'il faut se garder des excès… Lise-Hélène a perdu quelque chose ? C'est embêtant… J'espère que ce ne sont pas ses clés ou ses papiers… Vous perdez un papier, c'est toute une affaire pour les refaire… Ouh ! c'est trop chaud ! Mais faites donc attention, bon sang ! Je vous ai dit ni trop chaud ni trop froid !

Laurie : Excusez-moi… mais ce robinet n'est pas toujours…

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Palabres et Bigoudis (JM TOURNIER) page 17

Mme Duvauchelle : Lise-Hélène avait l'air toute perturbée. Elle a perdu quelque

chose d'important ?

Le téléphone sonne. Josiane apparaît avec un plumeau et fait signe à Laurie d'aller répondre.

Laurie : Excusez-moi…

Elle décroche.

Oui… Bonjour madame… oui … Ça dépend… C'est comme vous voulez, c'est vous qui … D'accord… Entendu… Oui… oui, oui… c'est cela… Oui, d'accord… Non, non, pas de… Mais… Entendu… A bientôt… Mais pas du tout… Très bien… Au revoir… Au revoir, madame…. Mais je vous… Oui, oui… Pas de souci… C'est très bien comme ça… Au revoir… Oui, au revoir.

Mme Duvauchelle : Eh bien… On aurait dit qu'elle ne savait pas ce qu'elle voulait, celle-là… Vous allez me dire que je me mêle de ce qui ne me regarde pas, mais…

Laurie : Non, je vous en prie, mais vous perdez vos cheveux de façon inquiétante. Il y en a plein dans le …

Mme Duvauchelle : Oh je sais… Mon mari me le rappelle au moins une fois par semaine. "Diane, vous perdez vos beaux cheveux… " C'est sa façon à lui de me faire remarquer qu'il en a trouvé dans la baignoire. En réalité je ne m'appelle pas Diane, mais Josiane… J'en veux beaucoup à mes parents de m'avoir donné un tel prénom… Josiane… Vous ne trouvez pas que c'est commun comme prénom ?

Josiane fait rageusement le ménage.

Et de toute façon ça n'allait pas avec Duvauchelle, c'était un assemblage hétéroclite de vulgarité et de distinction… Diane, c'est… Et vous, c'est comment votre petit nom ?

Laurie : Laurie…

Mme Duvauchelle : Hmmm c'est bien… Pour une employée, c'est bien… Gontrand – c'est mon mari, hein – Gontrand dit toujours que les prénoms sont les reflets de l'âme. Je ne sais pas bien ce que cela veut dire, mais je crois qu'il a raison. Un prénom, c'est comme…

Laurie : Vous savez qu'il existe aujourd'hui d'excellents produits qui ralentissent ou même stoppent la chute des cheveux. Ce serait vraiment dommage de ne rien faire dans votre cas… Chez Boréal, ils ont mis au point une solution à double protéine vitaminée qui modifie le gène de l'autodestruction capillaire avec des résultats superbes même en cas d'hypotrichose prononcée… Vous voulez essayer ?

Mme Duvauchelle : Holà ! Je me méfie de tous ces nouveaux produits… Souvent

c'est de la poudre de perlinpimpin à dix sous la douzaine… (un temps) Si vous me permettez, je vais demander à mon mari… (elle sort son portable)

Laurie : Je vous en prie…

Josiane s'en va avec un regard venimeux pour Mme Duvauchelle.

Mme Duvauchelle : Allo ? Oui, mon chéri… Je suis chez la coiffeuse… Oui, oui… Mais elle trouve comme toi que je perds beaucoup de cheveux et … oui, c'est ça, tu me l'as encore dit … et elle me propose un produit un peu cher mais qui fait de miracles, paraît-il… Combien ?

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Palabres et Bigoudis (JM TOURNIER) page 18

Elle fait signe à Laurie de lui donner le prix.

Oui, je n'étais pas sûre, j'ai redemandé : 52€… Oui, oui… D'autres clientes l'ont utilisé et ont été très satisfaites, m'a dit la … Mais non, Gontrand… D'accord… Je savais que tu serais d'accord… Bisous, mon chéri… A tout à l'heure… (elle raccroche) J'ai un mari adorable. Vous savez quoi ? Je l'ai épousé pour sa fortune. Oh je n'ai pas peur de le dire… J'avais trente ans, lui soixante, encore très beau, riche, belle voiture, belle maison, belle femme… Il était marié, oui. Eh bien j'ai tout fait – oh je n'ai pas fait grand-chose à vrai dire (elle fait le geste de remonter un peu sa jupe ; elle rit) – pour me retrouver enceinte… Il ne fallait plus trop attendre, si vous voyez ce que je veux dire…. Sexagénaire, c'est plus génaire que sexa (elle rit). Et voilà vingt ans que nous sommes ensemble…

Laurie : Voilà… C'est fini. Si vous voulez bien me suivre.

Elle l'installe dans un autre fauteuil pour le coiffage.

Mme Duvauchelle : Pour aujourd'hui, ce sera un simple coiffage… Peut-être quelques pointes mais c'est tout… Et jetez un œil sur mes petits cheveux blancs, s'il vous plaît…

Laurie : Très bien ; j'appelle Lise-Hélène... Ah je l'aperçois qui revient…

SCENE 14

LAURIE, MME DUVAUCHELLE, LISE-HELENE

Lise-Hélène : Je n'ai rien retrouvé… C'est très embêtant. Comment je vais faire ?

Laurie : Madame désire un simple coiffage… Et quelques pointes éventuellement.

Mme Duvauchelle : Vous avez perdu quelque chose d'important… ?

Lise-Hélène : Oui, ma clé, la clé du salon… Tenez, asseyez-vous là…

Mme Duvauchelle : Perdue ou volée ? De nos jours tout peut arriver. On croit qu'on

a perdu quelque chose mais on s'aperçoit bien vite que… Ils sont très malins aujourd'hui.

Laurie : Une revue peut-être…

Laurie lui tend plusieurs revues. Et tend l'oreille…

Lise-Hélène : Le plus fort justement, c'est que je ne sais pas si je l'ai perdue ou si on me l'a volée. Le salon était ouvert ce matin quand Laurie est arrivée…

Mme Duvauchelle (soupçonneuse) : Et vous êtes sûre de votre employée ? (elle commence à feuilleter le magazine)

Lise-Hélène : Je n'ai guère de raison de la soupçonner…

Mme Duvauchelle : C'est une employée… vous savez… Il faut rester prudent,

même si…

Laurie s'en va.

SCENE 15

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Palabres et Bigoudis (JM TOURNIER) page 19

MME DUVAUCHELLE, LISE-HELENE

Lise-Hélène : Je vous les coiffe comment ?

Mme Duvauchelle : Il faudrait leur donner…

Lise-Hélène : Du volume, je pense… Ils manquent encore de tonus… Ce qu'il vous faudrait, c'est un bon embelliseur du cheveu… Ils en ont un chez Boréal qui est remarquable, et en plus il est biologique. Entièrement naturel… Comme je vois que vous déjà avez pris le régénérateur actif, vous allez voir : ces deux produits se complètent très bien… Vous m'en direz des nouvelles…

Votre mari va bien ? Quatre-vingt ans, c'est ça ?

Mme Duvauchelle : Oui, quatre-vingt ans… Il commence à radoter un peu, mais…

Lise-Hélène : Et vous avez une superbe maison, vous m'aviez dit.

Mme Duvauchelle : Oui, merci. Surtout elle ne m'a rien coûté ! (elle rit) Je n'ai eu qu'à poser mes valises dedans. Très fonctionnelle, spacieuse, non, je ne me plains pas… Une cuisine moderne, un grand salon, une salle de cinéma au sous-sol, chambre à coucher avec salle de bain privative… Écoutez, je me suis mariée très jeune avec un homme, comment dire ? un peu… Ça a été dur… Alors j'ai pris ma revanche : à trente ans, j'ai épousé un vieux monsieur très riche… Au début, il ne voulait pas, mais…

Lise-Hélène : Il était marié ?

Mme Duvauchelle : Oui, mais quand on sait y faire… Une femme sait toujours y faire…

Lise-Hélène : Oh oui…

Mme Duvauchelle : (elle feuillette une revue) Vous avez vu ce naufrage au large de

la Sicile. Une centaine de morts. C'est tout de même révoltant, non ? L'embarcation était surchargée. Forcément, plus ils en passent, plus ça rapporte, alors ils chargent la barque, c'est le cas de le dire… Mais cette fois-ci, ça ne leur a pas porté chance à ces trafiquants. Ils sont morts avec les autres. Evidemment, là-bas, en Afrique, ils crèvent de faim, et ici on crève de ce qu'on mange. Et qu'on leur a volé. Le pire, c'est ces policiers qui les ont repoussés à la mer ; c'est ignoble. Comment peut-on être aussi méchant ? (elle pose le journal et feuillette le magazine Elle) Oh ! tiens, regardez : "j'ai trompé mon amant…" (elle rit) Ils ont de ces articles ! Remarquez : c'est un peu ce que j'ai fait moi aussi… Pensez : soixante ans et moi trente ; en vingt ans, ça ne s'est pas arrangé… Ce n'était pas tous les soirs la fête à Mickey… Alors… Je l'ai trompé, oui, c'est vrai, une fois ou deux… Vous non ? Vous n'avez jamais ?

Lise-Hélène (choquée) : Euh non… C'est lui qui…

Mme Duvauchelle : Ah ! mais oui, je me souviens… Avec votre employée. Excusez-moi… C'est vrai qu'elle était mignonne. Mais quand c'est un vieux comme mon mari, ça ne compte pas… Vous êtes bien d'accord avec moi. Et puis il faut bien que le corps…

Laurie (depuis la coulisse) : … exulte, comme dit Jacques Brel…

Lise-Hélène : Laurie !

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Palabres et Bigoudis (JM TOURNIER) page 20

Mme Duvauchelle : Vous avez une employée…

Lise-Hélène : Elle travaille bien, mais pour le reste… Ça vous ira comme ça ? (elle fait pivoter son siège face au grand miroir)

Mme Duvauchelle : Très bien… Très bien… Je vous prends les deux produits… C'est mon mari qui paie…

SCENE 16

MME DUVAUCHELLE, LISE-HELENE, AMELIE BONPAIN

Amélie Bonpain : Bonjour Lise-Hélène…

Lise-Hélène : Bonjour Amélie.

Amélie Bonpain : Ah madame Duvauchelle ! comment allez-vous ? Toujours aussi

superbe… Je me demande, Lise-Hélène, pourquoi elle vient chez vous ? Que pouvez-vous lui faire de plus ?

Mme Duvauchelle : Bonjour Mme Bonpain. Vous voulez me faire rougir… Je viens dépenser les sous de mon mari (elle rit). Et vous ? Les nouvelles sont bonnes ?

Amélie Bonpain : Si on veut. Mais il ne faut pas lire les journaux : tout va mal en ce moment. Et encore je ne lis que les titres. C'est agression par ci, meurtre ou viol par là. Même dans une petite ville tranquille comme ici il y a de quoi avoir peur.

Mme Duvauchelle : Mon mari – vous vous souvenez : il venait régulièrement vous

acheter son journal…

Amélie Bonpain : Ah oui, je me souviens bien. Comment va-t-il ? Il doit être âgé

maintenant ?

Lise-Hélène : Bon, je vous laisse. Je vois que vous n'avez plus besoin de moi… Je

vais téléphoner à mon mari. Il faut absolument que je retrouve…

Amélie Bonpain : Tout à l'heure, Lise-Hélène… Excusez-moi, je bavarde avec Mme

Duvauchelle.

Lise-Hélène s'en va.

SCENE 17

MME DUVAUCHELLE, AMELIE BONPAIN

Mme Duvauchelle : Quatre-vingts ans et toute sa tête. Il me disait encore ce matin qu'il avait entendu des horreurs à la radio.

Amélie Bonpain : Et moi, je peux vous dire que le quartier n'est pas sûr. Le soir, je m'enferme à double tour. Ma voisine avait oublié de fermer sa porte. Eh bien elle a failli être volée ! Heureusement que c'était en plein jour. Une heure, c'est bien assez pour un voleur. Et s'il vous prend vos clés, là c'est pire.

Mme Duvauchelle : Vous êtes au courant pour Lise-Hélène ?

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Palabres et Bigoudis (JM TOURNIER) page 21

Amélie Bonpain : Ah non ! Pourquoi ? Il lui est arrivé quelque chose ?

Mme Duvauchelle : On lui a volé sa clé. Ou elle l'a perdue. En tout cas, elle ne la retrouve pas. Elle en est très affectée, vous n'avez pas vu ?

Amélie Bonpain : Euh oui, elle avait l'air toute… mais on perd rarement ses clés. Pour moi, c'est un vol. Et je connais des gens dans le quartier qui en sont très capables. Et peut-être même ici dans ce salon… Je ne le dirai pas sur la place publique, mais à vous je peux… Vous avez déjà vu mon voisin, celui de droite quand on regarde notre magasin ? Il a l'air tout à fait correct. Eh bien moi, je ne lui fais pas confiance du tout. Il a une moustache qui n'est pas… C'est des choses qui se sentent, ça, Mme Duvauchelle, et moi je les sens ! Oh il vient acheter son journal tous les matins, jamais d'histoire, bonjour au-revoir, mais je me méfie : on ne sait pas ce qu'il peut penser, et ça !… Il y en a un autre, au bout de la rue… Lui, c'est les lunettes qui ne sont pas… mais je n'en finirais pas de vous dire tous les gens dont il faut se méfier. Et pas toujours les mieux habillés, les plus présentables… Dans Closer ou Détective, je ne sais plus, Voici peut-être ou… peu importe, ils parlaient d'un notaire qui avait détourné je ne sais combien…

Mme Duvauchelle : Oh je sais !

Amélie Bonpain : Pour Lise-Hélène, j'ai déjà ma petite idée et je pense que le voleur est dans le quartier. Je me trompe rarement. L'an dernier, quand ils ont volé la boulangerie, j'avais deviné qui c'était mais je n'ai pas voulu le dire pour ne pas faire d'histoire. J'en ai même parlé une fois avec un inspecteur de police : "Les bandits, moi je les sens, je lui ai dit ; j'ai un flair de chien policier." Mais ils préfèrent faire des enquêtes, chercher pendant des heures, et en plus ils ne trouvent pas. Ou rarement. Alors que moi, je te mettrais tout ça en prison vite fait… Cet homme est suspect ? Mettez-le en prison. Vous ne savez pas pourquoi ? Lui, il le sait… On n'a pas besoin de preuve quand on sent les choses comme moi…

Je lui dirai tout à l'heure. Des vols de clés, il y en déjà eu par ici. Et après, il faut changer la serrure, c'est pas rien. La pauvre… Elle doit être dans tous ses états…

SCENE 18

MME DUVAUCHELLE, AMELIE BONPAIN, EMMA PRADIER

Emma Pradier : Bonjour mesdames…

Mme Duvauchelle + Amélie Bonpain : Bonjour.

Emma Pradier : Excusez-moi… Lise-Hélène n'est pas là ? Je suis déjà passée deux fois…

Amélie Bonpain : Euh si, elle est là, mais elle est très occupée…

Mme Duvauchelle : Elle a perdu la clé de son salon et elle la cherche partout… En

ce moment, elle doit être en train de téléphoner à son mari.

Emma Pradier : C'est bien fâcheux. Elle les a perdues depuis longtemps ?

Amélie Bonpain : Elle ne les a pas perdues. On les a volées, j'en suis sûre…

Mme Duvauchelle : Elle a trouvé son salon ouvert en arrivant ce matin, ou plutôt

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Palabres et Bigoudis (JM TOURNIER) page 22

c'est Laurie, son employée, qui l'a trouvé ouvert. Alors elle croit qu'il est resté ouvert toute la nuit. Mais c'est curieux : elle dit que rien n'a disparu.

Amélie Bonpain : Oh ! il y a de voleurs qui font semblant de ne rien voler. Ce sont

les pires ! Et quand vous vous en apercevez il est trop tard…

Emma Pradier : Oui, mais en général les voleurs volent quand ils sont sur place.

Pas à distance ou par télépathie…

Amélie Bonpain (vexée) : Vous voulez dire que…

Emma Pradier : Et si rien n'a disparu, peut-être qu'elle les a simplement perdues. Ce sont quand même des choses qui arrivent.

SCENE 19

MME DUVAUCHELLE, AMELIE BONPAIN, EMMA PRADIER, M. IKS, VALENTINE, JOSIANE

M. Iks : Bonjour mesdames. Quel vent !

Mme Duvauchelle, Amélie Bonpain, Emma Pradier : Bonjour monsieur…

Valentine : Euh bonjour..

Mme Duvauchelle, Amélie Bonpain, Emma Pradier : Bonjour madame.

Josiane arrive en douce.

Josiane : Ben, elle est revenue…

Valentine : Excusez-moi, mais je suis venue tout à l'heure et j'ai oublié mes clés, derrière le comptoir je crois.

M. Iks : Ah bon, vous aussi…

Valentine : Ah ! vous avez oublié les vôtres ? Oui, j'ai laissé mes clés ici. Ah ! les

voilà (elle les prend derrière le comptoir). Je ne voudrais pas vous importuner, je suppose que vous connaissez les produits Boréal. En ce moment, nous avons une belle promotion sur les produits phares de la nouvelle gamme luxe, calme et volupté : luxe pour le prix, calme, après le prix, volupté quand vous utilisez le produit ; vous avez vu nos spots à la télévision, à la radio, nos visuels vraiment trendy, très bien faits n'est-ce pas ? Mais vous pouvez préférer nos grands classiques, indémodables comme To be or not to be, my sister is not a boy, baby come back… Et je ne vous parle pas de nos autres produits, n'est-ce pas ? : shampoing à la soupe d'ortie blanche, un must !, gel douche au nutella : énorme succès auprès de notre jeune clientèle, après-rasage décomplexant survitaminé, antiride aux oméga 3 double effet pour les seniors n'est-ce pas ?, lotion belle de jour à appliquer juste avant le réveil : une exclusivité Boréal sans équivalent sur le marché, etc. etc.

Madame Fracasser a dû vous en parler, n'est-ce pas ?

Mme Duvauchelle : Oui, oui, j'en ai acheté deux… Mais c'est mon mari qui paie

(elle rit).

Emma Pradier : Oui, oui, vous pouvez prendre vos clés et partir. Vous avez fait

votre petite pub, hop ! c'est bon… Au revoir !

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Valentine s'en va.

Josiane : Ben je n'ai rien compris. Mais elle n'a pas rapporté la revue.

Emma Pradier : Quelle revue ?

Josiane : Ben elle a pris une revue ce matin quand elle venue la première fois…

Valentine réapparaît.

Valentine : Ah ! excusez-moi, j'avais pris par mégarde cette revue. Cette fois-ci, c'est définitif… Je m'en vais pour de bon. Euh… je ne sais plus : je vous ai parlé de nos soins du corps à la crème de jouvence ?

Emma Pradier : Oui, oui, oui… On a tout ce qu'il faut. Allez hop ! Au revoir et bon

vent !

Valentine s'en va.

SCENE 20

MME DUVAUCHELLE, AMELIE BONPAIN, EMMA PRADIER, M. IKS, JOSIANE

M. Iks : Excusez-moi, Lise-Hélène n'est pas là ?

Mme Duvauchelle : Elle est au téléphone ; elle va revenir.

M. Iks : Vous savez si elle a retrouvé sa clé ?

Amélie Bonpain : Pour l'instant, non. Et je pense qu'elle ne va pas la retrouver de sitôt.

M. Iks : A moins que le voleur ne la lui rapporte...

Emma Pradier : C'est un peu rare, non ?

M. Iks : Certains voleurs sont honnêtes et, s'ils se sont trompés…

Amélie Bonpain : Vous regardez trop la télévision !

M. Iks : En tout cas, j'ai retrouvé les miennes. Je les avais tout simplement laissées sur la porte de la cave. Elles y étaient encore et on ne m'a rien volé.

Mme Duvauchelle : Vous avez eu de la chance, c'est tout.

M. Iks : Vous verriez une clé sur la porte d'une cave, vous la prendriez ? Vous la

laisseriez en place ? Vous feriez quoi ?

Amélie Bonpain : Je ne toucherais à rien. Je n'ai pas envie qu'on m'accuse ensuite.

J'ai déjà lu des histoires comme ça sur Détective. Vous faites un bon geste et vous vous retrouvez en prison…

Emma Pradier : Eh bien, moi, je les prends et, hop ! j'ouvre la cave, je prends une bonne bouteille, je referme la porte, je jette les clés dans une poubelle, histoire de faire durer le plaisir, et hop ! ni vu ni connu ! Elle est pas belle, la vie ?

Mme Duvauchelle : Curieuse mentalité…

Emma Pradier : Bah ! Tous les moyens sont bons pour s'enrichir dans la vie. On peut épouser un riche héritier, (elle regarde Mme Duvauchelle) un vieux rentier, voler

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Palabres et Bigoudis (JM TOURNIER) page 24

des œuvres d'art dans les églises, faire des trafics en tout genre, moi, je pique des bouteilles dans les caves quand je trouve la clé sur la serrure… Et hop ! ni vu ni connu, c'est bon pour la santé !

M. Iks : Elle téléphone depuis longtemps ?

Amélie Bonpain (à M. Iks): Je ne sais pas ; un quart d'heure peut-être…

Emma Pradier : Et puis c'est discret. Souvent la personne ne s'en aperçoit pas, et quand elle s'en aperçoit, elle se dit : J'ai de la chance ; on aurait pu tout me prendre. Il faut bien s'amuser ! (elle fait le geste de boire) Allez, hop ! à votre santé !

Mme Duvauchelle (grimace) : Je vous trouve bien…

Emma Pradier : Mais non, je plaisante ! Vous n'imaginez pas que je vais passer en revue toutes les caves du coin en espérant trouver une clé sur une serrure…. A mon âge ! J'ai soixante douze ans tout de même… Je sais que je peux encore en faire courir quelques uns, mais pas les flics ! Vous avez vu mes guibolles ?

Elle s'assied et feuillette Elle.

M. Iks : Eh bien ! Vous ne les faites pas !

Emma Pradier : Merci.

M. Iks : Ce serait tout de même une bonne farce. Vous les volez et puis vous les

rapportez en disant que vous les avez retrouvées. Et tout à la joie des retrouvailles celui que vous avez volé vous offre à boire ! Bien joué !

Mme Duvauchelle : Vous êtes encore plus vicieux que madame…

Emma Pradier : Mais oui ! monsieur me comprend.

SCENE 21

MME DUVAUCHELLE, AMELIE BONPAIN, EMMA PRADIER, M. IKS, KALINA, LAURIE

Kalina (timidement) : Bonjour messieurs-dames.

Tous : Bonjour…

Kalina : La coiffeuse n'est pas là ? Ce serait pour…

Laurie (arrivée en même temps): Bonjour… Une coupe ? Une couleur ?...

Kalina : Euh… une coupe…

Laurie (elle aperçoit M. Iks): Vous avez retrouvé vos clés ?

M. Iks : Oui oui, merci. Une simple distraction…

Emma Pradier : Vous avez vu : il manque des pages… Elles ont été déchirées…

Kalina (à Laurie) : C'est vous la coiffeuse ?

Laurie : Non, moi je suis une simple employée. Mais Lise-Hélène va bientôt arriver ;

elle pourra vous coiffer. Un shampoing peut-être ?

Kalina : Euh oui…

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Palabres et Bigoudis (JM TOURNIER) page 25

Laurie : Alors venez… (A M. Iks) Vous pouvez vous asseoir en attendant…

M. Iks : C’est Lise-Hélène qui vous oblige à travailler en blouse ?

Laurie (grimace) : Eh oui… Elle dit que ça fait plus professionnel.

M. Iks : Si on veut.

Mme Duvauchelle : Oui, moi aussi, je trouve que c'est plus professionnel, pour un

salon de coiffure en tout cas…

M. Iks : Peut-être pour une employée, mais Lise-Hélène n'en porte pas, elle n'en a

pas besoin : on voit bien sur sa mine que c'est elle qui tient le salon… Elle a une classe naturelle.

Mme Duvauchelle : Vous avez tout à fait raison…

Laurie (mine vexée) : Elle a peut-être la mine (elle montre ses jambes) mais moi j'ai

les crayons…

Mme Duvauchelle : Mademoiselle ! Ne parlez pas comme ça de Lise-Hélène !

C'est… c'est vulgaire !

Laurie invite Kalina à s'asseoir pour un shampoing.

Emma Pradier : Mais non ! elle a de belles jambes (elle soulève la blouse de Laurie) ; c'est dommage qu'elle les cache ! Et tiens, vous avez vu ? Tout un article sur le pédophile…

Amélie Bonpain : Quel pédophile ? Ah ça ne m'étonne pas ! Il y en a de plus en

plus. Je ne sais pas comment ils se reproduisent, mais… J'ai lu dans Exclusif ou je ne sais plus quel journal je ne sais plus quoi à leur sujet, mais il faut les condamner à mort tous ces détraqués !

Emma Pradier : Le titre, c'était : le profil du pédophile. Ils ne parlent pas d'un

pédophile en particulier, mais du pédophile en général.

Amélie Bonpain : Ça ne fait rien. Et je ne leur couperais pas seulement la tête…

Le téléphone de Kalina sonne.

Kalina : Allo ?... Oui, c'est moi, Kalina… [1Kalina, oui ! Je ne t'avais pas reconnue ;

comment vas-tu ?... Oui, bien, et toi ?... Ah bon ?... Oui… Rien de grave ?... Oui oui… Non… Là je suis dans un salon de coiffure… Oui oui… mais la coiffeuse n'est pas là. On m'a dit qu'elle allait bientôt revenir, je ne sais pas ce qu'elle fait… Oui oui…. Je n'ai pas envie de moisir ici… Oui… Oui…]

Amélie Bonpain : Pourquoi elle dit toujours tak, tak, tak… ?

M. Iks : Je crois que ça veut dire oui en polonais ou en russe.

Amélie Bonpain : : Mais non en russe, c'est da…

Laurie : Oui, en russe on fait du dada… En polonais on fait tak tak (geste

obscène)…

1 Les propos entre crochets seront dits en polonais (peu importe qu'on reconnaisse ou non du polonais ;

l'essentiel est de faire croire qu'il s'agit de polonais, notamment par le mot tak qui signifie réellement oui en

polonais…).

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Palabres et Bigoudis (JM TOURNIER) page 26

Mme Duvauchelle : Mademoiselle ! un peu de tenue… et de retenue surtout ! (Elle

décroise les jambes, tape des deux pieds par terre, recroise les jambes, outrée).

Emma Pradier : Moi aussi, j'aime bien une langue qui fait tak tak… Vous voulez bien

remettre ça ? Allez hop ! taktak ! Vous reprendrez bien un peu de ce petit vin d'Espagne ? Allez hop: ! taktak ! Qu'est-ce que vous faites cet après-midi ? Allez hop: ! taktak !

Mme Duvauchelle : Décidément… Vous n'allez pas vous y mettre, vous aussi ? Ah

mon dieu ! tout fout le camp... Si même les personnes âgées s'y mettent… Je ne sais plus pourquoi je suis encore là. Allez, je quitte la partie. Au revoir, messieurs-dames. Dites à Lise-Hélène que je repasserai…

Tous : Au revoir / Au revoir Mme Duvauchelle, etc.

SCENE 22

AMELIE BONPAIN, EMMA PRADIER, M. IKS, KALINA, LAURIE, MARIE-ANGE

Marie-Ange : Bonjour messieurs-dames.

Tous : Bonjour.

Kalina : [Oui… oui oui… Je ne suis pas toute seule ; il y a d'autres clientes, mais elle

a perdu sa clé ; elle la cherche partout. Si elle ne la retrouve pas, elle sera obligée de changer la serrure de son salon… Oui… oui oui… Non… Oui oui… Je ne sais pas… Tu as été malade ? Ah bon ? Grave ?... Oui, oui, oui… Mais maintenant tu vas bien ?... Oui… Pour longtemps ?... ]

Marie-Ange : Mais qu'est-ce qu'elle dit ?

Amélie Bonpain : C'est du polonais. Vous ne pouvez pas comprendre.

Emma Pradier : Je comprends qu'elle dit souvent oui. Taktak, c'est oui oui

Laurie : En tout cas, une femme qui dit oui, c'est bien agréable… N'est-ce pas, M

Iks ?

Emma Pradier (imitant Mme Duvauchelle : elle décroise les jambes, tape des deux

pieds par terre, recroise les jambes).

Oh ! un peu de tenue… et de retenue surtout ! (elles rient)

M. Iks : Euh oui, mais pourquoi vous me dites ça ?

Laurie : Oh comme ça… Une femme qui dit oui, c'est… Vous savez la différence

qu'il y a entre un militaire, un diplomate, et une femme du monde ?

Marie-Ange : Qu'est-ce que vous nous racontez là ?

Laurie : Eh bien, le militaire, quand il dit oui, c'est oui ; quand il dit non, c'est non, et quand il dit peut-être, ce n'est pas un militaire… Le diplomate, quand il dit oui, c'est peut-être, quand il dit peut-être, c'est non, quand il dit non, ce n'est pas un diplomate. La femme du monde, quand elle dit non, c'est peut-être, quand elle dit peut-être, c'est oui, quand elle dit oui, ce n'est pas une femme du monde…

Emma Pradier (elle applaudit) : Oh ! bravo ! Vous en savez des choses !

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Palabres et Bigoudis (JM TOURNIER) page 27

Applaudissements réservés d'Amélie Bonpain et de M. Iks.

Kalina : [Ah ! d'accord… Oui… oui oui… (visage changé) Ah bon ? Mais c'est affreux ! Comment c'est arrivé ?...]

Marie-Ange (pincée) : Lise-Hélène n'est pas là ?

Kalina : Chut ! J'ai du mal à entendre… [oui oui… non… il y a plusieurs personnes

autour de moi… je vais peut-être sortir mais il y a du vent… Oui… Oui…]

Marie-Ange : Elle a retrouvé sa clé ? Elle est toujours au téléphone ? Ah c'est très

embêtant cette histoire de clé. Et toujours pas d'indice, je suppose ? Oh elle va la retrouver, quoi ! Sinon, elle change la serrure et le tour est joué. Ce n'est pas la peine de se mettre martel en tête…

SCENE 23

AMELIE BONPAIN, EMMA PRADIER, M. IKS, KALINA, LAURIE, MARIE-ANGE,

LISE-HELENE

Tous (en l'apercevant, cris divers) : Alors, vous l'avez retrouvée ? / Vous avez

retrouvé votre clé ? / vous ne l'avez pas retrouvée ?, etc. (Kalina fait un bonjour discret à Lise-Hélène)

Lise-Hélène : Oh ! je suis vraiment désolée de vous importuner avec ça. Je crois que je vais changer la serrure, ce sera plus simple… Ah ! bonjour Emma… Excusez-moi, je suis un peu perturbée…

Emma Pradier : Bonjour Lise-Hélène… Si on peut…

M. Iks : S'il le faut, j'ai un ami qui pourrait…

Lise-Hélène : Merci, c'est très gentil. Mais c'est peut-être plus compliqué que je ne

pensais…

M. Iks (très inquiet) : Ah bon ? Vous avez perdu autre chose ?

Lise-Hélène : Non, rien… C'est sans importance… Alors, je dois m'occuper de qui ? Kalina, je la verrai plus tard, elle téléphone, et généralement, quand c'est en Pologne, ça dure un moment. Il faut la comprendre… Kalina, je vous en prie : passez dans la pièce à côté, vous serez plus à l'aise…

Kalina disparaît.

Amélie peut-être ? A moins que Marie-Ange… Enfin… M. Iks, vous vouliez ?

M. Iks : Non, non… Je sais être galant, ces dames d'abord. Je repasserai (geste de Laurie) quand il y aura moins de monde … Ce n'est pas urgent. A tout à l'heure…

Il s'en va.

SCENE 24

AMELIE BONPAIN, EMMA PRADIER, LAURIE, MARIE-ANGE, LISE-HELENE

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Palabres et Bigoudis (JM TOURNIER) page 28

Marie-Ange : Ce sera juste un tout petit rien pour moi, Lise-Hélène. Vous savez

comme je suis naturellement belle quoi !

Lise-Hélène : Eh bien je vais vous faire un soin sublimateur de beauté comme la

dernière fois…

Marie-Ange : Oui ! Avec moi, voilà un produit Boréal qui prend vraiment tout son

sens.

Lise-Hélène : Amélie ?

Amélie Bonpain : Une coupe, c'est possible ?

Lise-Hélène : Mais bien sûr… Laurie, tu veux bien t'occuper d'Amélie ?

Laurie : Madame…

Laurie l'installe pour un shampoing.

Lise-Hélène : Allons-y Marie-Ange…

Emma Pradier : Je vois que vous êtes très occupée, Lise-Hélène ; j'ai tout mon

temps ; je repasserai tout à l'heure. On trouvera bien un un moment pour bavarder…

Lise-Hélène : Mais vous pouvez rester, Emma… Prenez une revue…

Emma Pradier : Bon, si vous voulez. Allez, hop ! mon magazine préféré et je ne vous dérange plus

Elle s'assoit et prend le magazine Elle, mais elle écoute tout ce qui se dit et fait des commentaires par gestes.

Marie-Ange : J'adore venir dans votre salon, savez-vous, Lise-Hélène. Je me sens tellement bien que parfois j'ai envie de chanter, comme la Castafiore : "Je ris de me voir si belle en ce miroir…"

Lise-Hélène : Tant mieux, tant mieux…

Marie-Ange : Vous savez à quoi je pense ? J'écoutais les informations ce matin en prenant mon bain… Mais je crois que je vais arrêter : ils ne nous parlent que de misère et de malheur alors que je me prélassais si agréablement dans l'eau chaude quoi… (elle rit) Cent morts d'un coup près des côtes de la Sicile ! Au moins c'est un chiffre rond… Une embarcation trop petite, une fausse manœuvre et hop ! tout le monde à l'eau ! Et pas de mousse et de petites bulles comme dans mon bain ! Le journaliste disait qu'ils criaient, qu'ils se débattaient ! Ils venaient trouver une meilleure situation chez nous, enfin en Italie… Ils ont été servis ! Il paraît que certains ont même tenté de rejoindre la côte à la nage, mais les policiers les ont repoussés. Moi je leur aurais dit : allez, nage dans l'autre sens, retourne chez toi, mon petit !... Est-ce que je vais chez eux, moi ? Bon, c'est vrai que chez eux il n'y a pas grand-chose à manger, je ne vois pas pourquoi j'irais là-bas... Je riais toute seule dans mon bain !

Laurie (voix normale mais pas forcément bien audible par le public) : La température

de l'eau, ça va ?

Amélie Bonpain : Oui, très bien…

Marie-Ange : Vous voyez, j'essaie toujours de prendre les choses par le bon côté…

Lise-Hélène : Je vois… Je vous ai mis un nuage subtil de sublimateur à base de

tensio-actifs polymérisés. C'est tout nouveau, et c'est exactement ce qu'il vous faut.

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Palabres et Bigoudis (JM TOURNIER) page 29

Laurie (voix nettement audible) : Vous avez de très beaux cheveux, madame

Bonpain, très fins, mais vous en perdez beaucoup… Là j'en ai bien une poignée dans le bac. Je vous rassure : ce n'est pas une fatalité… Aujourd'hui nous avons des produits très efficaces à ce niveau-là… Boréal vient de sortir une solution à double protéine vitaminée qui modifie le gène de l'autodestruction capillaire avec des résultats superbes même en cas d'hypotrichose prononcée… Vous voulez essayer ?

Amélie Bonpain : Je n'ai rien compris… Mais si vous me dites que c'est efficace…

Laurie : Ah mais oui… Et pour un prix…

Amélie Bonpain : Oh ! c'est toujours des petits prix, je sais… Je m'attends au pire.

Combien ?

Laurie : Détrompez-vous, c'est un prix tout à fait raisonnable : 52€ seulement.

Amélie Bonpain : C'est ça que vous appelez un petit prix ?

Laurie : Je sais, ça peut paraître élevé. Mais d'une part l'efficacité est garantie et

d'autre part c'est environ deux fois moins cher que chez les concurrents… Le cheveu, c'est tout de même un capital précieux, il faut l'entretenir. Dans votre cas surtout, vu la finesse et la beauté de votre chevelure…

Lise-Hélène : Voilà, vous êtes superbe, vraiment… (elle fait pivoter son siège face

au grand miroir)

Marie-Ange : Merci mille fois, Lise-Hélène. Je sens que je ferais un excellent modèle

pour un photographe de mode quoi. Hmmm c'est si bon de se sentir si belle… Je lisais votre revue tout à l'heure et j'ai pensé : vous ne faites pas d'épilation intime ? Je ne savais pas que c'était aussi compliqué, mais de ce côté-là aussi il faut entretenir son capital beauté…

Amélie Bonpain : Je vous remercie, mais je ne peux pas…

Lise-Hélène : Ah je suis désolée, Marie-Ange… Je ne le fais pas. C'est une

technique que je ne maîtrise pas, il faut des microscopes, il faut… et vous êtes la première cliente à me le demander.

Marie-Ange : Que voulez-vous ? La mode a ses tyrannies… et je l'avoue : je suis une fashion victim quoi… En tout cas merci mille fois encore pour ce sublimateur de beauté… Il est extraordinaire sur moi… Vous remercierez Boréal de ma part…

Lise-Hélène : C'est moi qui vous remercie. Au revoir, Marie-Ange, à bientôt.

Marie-Ange : Au revoir, ma chère Lise-Hélène. A bientôt.

Elle s'en va.

SCENE 25

AMELIE BONPAIN, EMMA PRADIER, KALINA, LAURIE, LISE-HELENE

Lise-Hélène : C'est votre tour, Amélie… Ah ! Kalina a terminé, vous allez pouvoir

vous occuper d'elle, Laurie. Oh ! vous avez l'air toute… Quelque chose qui ne va pas, Kalina ?

Kalina : Euh… je ne sais pas si je vais pouvoir rester. Mon amie polonaise m'a

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Palabres et Bigoudis (JM TOURNIER) page 30

raconté une histoire affreuse, j'en suis encore toute retournée…

Emma Pradier : Mais oui, vous êtes toute blanche…

Kalina : Et c'est très curieux, parce que ça a commencé par un vol de clé. Un jeune

homme qui était amoureux d'une jeune fille et il a volé la clé de son appartement. Il en a fait une copie et lui a rapporté l'original en lui disant qu'il avait retrouvé sa clé par terre, dans les escaliers, que c'est là sans doute qu'elle l'avait perdue. La jeune fille, d'abord très inquiète de la disparition de sa clé, a été pleinement rassurée et ne se doutait de rien. Il lui avait déjà fait des avances, avec une certaine insistance, mais elle avait toujours refusé et ne pensait pas que… Elle ne se méfiait pas vraiment et comme il avait retrouvé sa clé… Mais lui, il a attendu qu'elle quitte son appartement et il s'est introduit chez elle. Quand elle est revenue, le soir, assez tard…

Amélie Bonpain : Mais c'est un fou… Elle a dû avoir très peur…

Kalina : Oui, elle a eu très peur. Mais comme elle avait repoussé ses avances plusieurs fois, il était devenu très agressif ce soir-là. Et finalement il l'a rouée de coups et l'a violée… Le jeune homme a été arrêté le lendemain, mais… (un temps) C'est la voisine de ma sœur, à Varsovie. Elle a 21 ans… Elle est étudiante… C'est affreux. Quand elle m'a dit ça… Je vais vous laisser, je reviendrai quand ça ira mieux.

Amélie Bonpain : Ah ! moi, celui-là, je sais ce que je lui ferais et comme ça il ne recommencerait pas !

Emma Pradier : Oui, mais c'est avant qu'il aurait fallu le faire, pas après…

Emma Pradier : Je vous accompagne…

Laurie (elle prend un petit panier derrière le comptoir) : Tenez, prenez un bonbon ; c'est tout ce que j'ai à vous offrir…

Kalina : Merci, c'est gentil, mais…

Emma Pradier : Non, non, je vous accompagne… J'ai tout mon temps…

Elles s'en vont. Laurie s'assoit et feuillette des revues, etc.

SCENE 26

AMELIE BONPAIN, LAURIE, LISE-HELENE

Lise-Hélène : Quelle histoire ! Je comprends qu'elle soit toute retournée… Alors, je vous les coupe… un peu, beaucoup, passablement…

Amélie Bonpain : Oh rien de particulier. Juste un petit rafraîchissement…

Lise-Hélène : Ça fait longtemps que vous n'êtes pas venue ?

Amélie Bonpain : Il y a un mois à peu près. J'étais partie dans ma famille en Franche-Comté. Une très belle région. Vous y êtes déjà allée ?

Lise-Hélène : Non… On m'en a déjà parlé, mais…

Amélie Bonpain : Les gens sont agréables comme partout, mais il faut se méfier

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Palabres et Bigoudis (JM TOURNIER) page 31

quand même. Les histoires de viol, il y en a tous les jours ! Je lisais encore, dans Paris-March je crois, l'histoire de ce fou qui avait violé toute sa famille : sa mère, ses sœurs, ses tantes, ses nièces, ses cousines… Ils disaient même dans cette revue qu'il s'en était pris à une chienne… Vraiment cinglé ! Il faudrait… je ne sais pas, moi…

Lise-Hélène : Mais vous croyez que c'est vrai des histoires pareilles ?

Amélie Bonpain : Ah mais oui ! C'était écrit en toutes lettres, avec les noms, les

dates, tout… Oh je sais : ils n'en parlent pas à la Télé, mais je sais que c'est vrai… J'ai même lu dans je ne sais plus quel magazine – ça ne va pas vous faire plaisir, c'est une histoire de coiffeur, mais c'est une histoire vraie ! – C'est un coiffeur qui rasait ses clients avec une lame de rasoir là, vous voyez ce que je veux dire : pas un rasoir jetable, non une grande lame… Il les installait sur son fauteuil et quand ils étaient bien installés, il leur demandait de lever le menton et il leur tranchait la gorge !

Lise-Hélène : Vous avez de ces lectures !

Amélie Bonpain : C'est pas fini. C'était un fauteuil à bascule : le corps glissait du

fauteuil, une trape s'ouvrait et le corps tombait dans une cuve au sous-sol. Ni vu ni connu…

Lise-Hélène : Vous y croyez à des histoires pareilles ?

Amélie Bonpain : C'était écrit ! Je ne l'ai pas inventé. Même qu'il découpait ensuite

les cadavres pour en faire de la chair à pâté, des saucisses, des… Et il refilait tout ça à un complice qui était charcutier… C'est fou, non ? Et ça a duré un moment ! Plus de dix ans !

Lise-Hélène : Et personne ne s'est aperçu de rien ?

Amélie Bonpain : Ben non… C'est incroyable… C'est pour ça que je dis qu'il faut tout le temps se méfier. Moi, j'ai toujours une petite bombe lacrymogène sur moi…

Lise-Hélène : C'est vrai ?

Amélie Bonpain : Bien sûr…

Lise-Hélène : Voilà, j'ai terminé. Ça vous va ? Voyez, je ne vous ai pas tranché la gorge !

Amélie Bonpain : Mais non, pas vous… Je sais bien que…

Lise-Hélène : Est-ce que je peux vous proposer… alors soit l'embelliseur bio du

cheveu, une lotion capillaire remarquable de chez Boréal, soit, encore mieux, le sublimateur de beauté des stars, toujours chez Boréal… ?

Amélie Bonpain : Euh non, non… Je suis très bien comme ça… Je vous remercie…

Lise-Hélène : Comme vous voudrez… A bientôt alors ?

Amélie Bonpain : A bientôt, Lise-Hélène… Au revoir mesdames.

Laurie : Au revoir madame…

Amélie Bonpain s'en va..

SCENE 27

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Palabres et Bigoudis (JM TOURNIER) page 32

LAURIE, LISE-HELENE, M. IKS, JOSIANE

M. Iks : Je viens de voir sortir votre cliente… Je peux vous importuner maintenant ?

Lise-Hélène : Mais vous ne m'importunez pas du tout, M. Iks…

M. Iks : C'est que… J'ai une bonne nouvelle pour vous…

Laurie : Vous avez retrouvé la clé de Madame ?

M. Iks : Euh oui…

Pour obtenir le texte complet, s'adresser à

[email protected]

Lors de sa première représentation à Étaples (62630), la distribution était la suivante

Lise-Hélène coiffeuse Anne CHOTEAU

Laurie apprentie Sylvie LAMOUR

Josiane femme de ménage Florence WHATELET

Valentine commerciale Boréal Sophie MOREL

M. Iks client Jean-Marie TOURNIER

Emma Pradier cliente Thérèse RENAUX

Marie-Ange cliente Fabienne SALON

Mme Duvauchelle cliente Florence DEBUS

Amélie Bonpain cliente Anne-Lise LENOIR

Kalina cliente Marie BECART

Avec la précieuse participation de Julien ROQUEBERT [salon Les Cheveux dans le vent) pour le prêt de son matériel professionnel.