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AVERTISSEMENT Ce texte a été téléchargé depuis le site http://www.leproscenium.com Ce texte est protégé par les droits d’auteur. En conséquence avant son exploitation vous devez obtenir l’autorisation de l’auteur soit directement auprès de lui, soit auprès de l’organisme qui gère ses droits. Cela peut être la SACD pour la France, la SABAM pour la Belgique, la SSA pour la Suisse, la SACD Canada pour le Canada ou d'autres organismes. A vous de voir avec l'auteur et/ou sur la fiche de présentation du texte. Pour les textes des auteurs membres de la SACD, la SACD peut faire interdire la représentation le soir même si l'autorisation de jouer n'a pas été obtenue par la troupe. Le réseau national des représentants de la SACD (et leurs homologues à l'étranger) veille au respect des droits des auteurs et vérifie que les autorisations ont été obtenues et les droits payés, même a posteriori. Lors de sa représentation la structure de représentation (théâtre, MJC, festival…) doit s’acquitter des droits d’auteur et la troupe doit produire le justificatif d’autorisation de jouer. Le non respect de ces règles entraine des sanctions (financières entre autres) pour la troupe et pour la structure de représentation. Ceci n’est pas une recommandation, mais une obligation, y compris pour les troupes amateurs. Merci de respecter les droits des auteurs afin que les troupes et le public puissent toujours profiter de nouveaux textes.

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Ce texte est protégé par les droits d’auteur.

En conséquence avant son exploitation vous devez obtenir l’autorisation de l’auteur soit directement auprès de lui, soit auprès de l’organisme qui gère ses droits.Cela peut être la SACD pour la France, la SABAM pour la Belgique, la SSA pour la Suisse, la SACD Canada pour le Canada ou d'autres organismes. A vous de voir avec l'auteur et/ou sur la fiche de présentation du texte.

Pour les textes des auteurs membres de la SACD, la SACD peut faire interdire la représentation le soir même si l'autorisation de jouer n'a pas été obtenue par la troupe.

Le réseau national des représentants de la SACD (et leurs homologues à l'étranger) veille au respect des droits des auteurs et vérifie que les autorisations ont été obtenues et les droits payés, même a posteriori.

Lors de sa représentation la structure de représentation (théâtre, MJC, festival…) doit s’acquitter des droits d’auteur et la troupe doit produire le justificatif d’autorisation de jouer. Le non respect de ces règles entraine des sanctions (financières entre autres) pour la troupe et pour la structure de représentation.

Ceci n’est pas une recommandation, mais une obligation, y compris pour les troupes amateurs.

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A l’abordage Tableau I I. Scène 1

Sur la scène, deux espaces bien limités visuellement. Une sortie des deux côtés.A cour, bien décalés vers le centre, des cubes noirs, disposés de façon à évoquer la forme d’un navire. Dans l’un des cubes est planté un mât.Un no man’s land, au centre, pas très large, mais évident pour le spectateur. A jardin, une table avec une liasse de papiers, une plume d’oie. C‘est la table d’un écrivain qui est en train d’écrire un roman. Il est au téléphone. L’écrivain : Oui… oui, bien sûr… Oui, j’y travaille… oh, non, j’y travaille sans arrêt…. Quoi ? Demain? Mais, c’est impossible… Comment ?... Eh bien, écrivez-la vous-même cette histoire de pirates… Comment… Je suis payé pour ça !... Oh, n’exagérons rien… il n’y a pas de quoi faire des folies… Oui, bon, d’accord, je fais tout mon possible… C’est ça... Au revoir. Il raccroche. Il souffle un peu, en panne d’inspiration, la tête dans les mains. Il en a de bonnes, lui… Ecrivez ! Ecrivez ! Et l’inspiration, il croit qu’elle arrive comme ça, à la demande ? Il ne se fatigue pas lui, il signe…. Mais qui est-ce qui écrit ? C’est moi… Et qu’est-ce que je vais bien pouvoir leur faire faire à mes pirates ? A ses pirates…

I. Scène 2Ses personnages, six pirates, entrent silencieusement. A leur démarche, on doit voir qu’ils sont sur un bateau, à cour. Ils sortent leurs armes, et se préparent à un assaut, prêts à bondir. Soudain, ils se précipitent face public, en criant :Joseph : A l’abordage !L’écrivain : (De sa table) Comment ça ? A l’abordage ! Je n’ai jamais écrit ça !Joseph : (A l’auteur, depuis l’espace bateau) Ah bon ? L’écrivain relit la fin du passage qu’il vient d’écrire. Les pirates s’immobilisent en arrêt sur image. L’écrivain : Non, j’ai écrit : « Ils sont tous là !... Pirates endurcis, boucaniers des tempêtes. Joseph dit Letourneur (le personnage salue et reprend sa position), Robert dit Taillefer (Idem), Yves dit Le Bègue (Idem), et d’autres brutes moins connues. (Idem) Immobiles à leur poste, ils attendent… Le bateau, suspendu sur la crête de la vague, hésite entre roulis et tangage… »Les dialogues se font au-dessus du no man’s land.Robert : Dites, Monsieur l’auteur, ça va durer, longtemps comme ça... suspendus sur la crête de la vague ?L’écrivain : Ça durera le temps qu’il faudra. Je dois finir mon roman. On me le réclame pour demain. Alors ne me dérangez pas. Compris ! Les pirates s’immobilisent à nouveau. Les dialogues se font du bateau à la table. Voix forte des pirates, pour bien délimiter l’espace)Joseph : Mais on est des pirates, hein les gars ? Et des méchants, hein les gars ? Tous : Oui.Yves : Vous n’allez tou…tout de même pas nous lai…laisser là, sans rien faire,

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sus… sus.. suspendus sur la crête de la vague. L’écrivain cherche ses mots. Quand il en note un, les pirates bougent un peu. Mais dès qu’il le biffe, ils reprennent leur position) Camille : On ne craint pas la mort, monsieur l’auteur !Pacôme : Mourir dans une tempête…Ange : La tête emportée par un boulet…Yves : Pourfendu par le sabrébré… le sabre ennemi…Robert : Le corps écrasé par la misaine qui s’effondre…Tous : Oui ! Ça, c’est normal !L’écrivain : Si vous parlez tout le temps, comment voulez-vous que j’écrive ? (Les pirates se taisent. L’auteur pose sa plume. Il se détend, s’allonge un peu sur sa chaise)Joseph : (Immobile au pied du mât) Qu’est-ce qu’il fait ? Ange : (En position de vigie, la main en visière) Rien ! Il réfléchit.Joseph : Je commence à avoir une crampe, moi.Robert : On ne va pas tomber, comme un fruit trop mûr, dans l’eau tranquille d’un lagon…Yves : Parce qu’un écrivain papa… paresseux, nana… n’a plus d’idée…Camille : Parce qu’il a trop chaud… parce qu’il en a assez d’écrire…Tous : Non, ça, jamais !Pacôme : Un pirate accepte tout, monsieur… Tout ! La tempête…Yves : Tout… la vévé… la vevé… Robert : La vérité ?Yves : Non ! La vévé… la vérole, la vermine, Robert : Tout… la famine, la défaite, la pendaison,Joseph : Tout ! Tout ! Même boire de l’eau !Tous : Pouah ! Yves : Tout !... Sauf le riri… le riri… le ridicule !(Un silence)Robert : Alors ? Qu’est-ce qu’on fait ?Joseph : Chut ! (Ils se regroupent et se concertent à voix basse. Puis un drapeau noir de pirate apparaît en haut du mât) (Les pirates descendent des cubes, franchissent le no man’s land en silence et entourent l’écrivain. Les pirates sont3 hommes et 3 femmes. Ce n’est que lorsqu’ils entourent la table, qu’ils hurlent)L’écrivain : Mais c’est une mutinerie. Au secours ! A moi, mon imagination ! Ne m’abandonne pas ! Camille : (Une femme pirate, la voix grave) Trop tard ! Tu aurais dû continuer notre histoire plus vite. On en a assez d’attendre. Il nous faut de l’action, des batailles, du sang. De ton sang. Du sang d’encre que tu te fais.L’écrivain : Vous n’allez pas me tuer !... Sans moi, vous n’existez pas.Pacôme : (Une femme pirate, la voix grave) Ne te plains pas. Ton talent nous a fait exister, pour de bon. Tant mieux pour toi. Mais tu n’es plus le maître de

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notre destin. Alors, les gars, qu’en fait-on ?Tous : Qu’on le pende !

I. Scène 3(Arrive de jardin une femme de ménage, avec son aspirateur, son balai, son seau) (Devant cette apparition, les pirates retournent vite à leurs places)Marthe : Eh bien, monsieur Jean ! (Elle pose tout son matériel) Qu’est-ce qui se passe ? En voilà un désordre ! Il ya des cubes partout et des traces de pas tout autour du bureau.L’écrivain : Ah, Marthe !... Merci !... Merci Marthe! Vous m’avez sauvé ! Figurez-vous que mon équipage s’est révolté. Je ne sais pas pourquoi.Marthe : (Elle se penche sur la table et lit par-dessus l’épaule de l’écrivain) « Le bateau, suspendu sur la crête de la vague, hésite entre roulis et tangage. »… Ouais ! C’est peut-être beau, comme ça sur une page, mais pas dans un roman d’aventures… Ils s’embêtent, vos pirates. Voilà ! Donnez-leur de la houle, une voile à l’horizon, des baleines, des dauphins, des filles… bon, en pleine mer, c’est difficile… donnez-leur des sirènes… ça va les occuper. Ils ne penseront plus à vous.L’écrivain : Vous avez raison, Marthe. Je vais leur en donner des sirènes… (Il écrit) « Un chant mélodieux, surgi d’on ne sait où, suspend leur révolte. Surpris, ils écoutent. Puis ils se précipitent tous sur bâbord… »(Tous les pirates se précipitent tous du même côté- cour- sur les cubes, qu’ils renversent) Marthe : Pas tous en même temps, monsieur !... vous allez nous faire chavirer. Et moi, toute seule avec ma serpillière, je ne pourrais pas écoper. .. Et ça va déborder !

I. Scène 4(De jardin, arrive une femme inquiète, en robe de chambre, bigoudis, pantoufles) Germaine : Dites, monsieur l’écrivain, il n’y a pas une fuite chez vous ? Parce qu’il y a des gouttes qui tombent de mon plafond. Vous ne pourriez pas aller voir s’il n’y a pas un robinet mal fermé dans votre salle de bains !... (L’écrivain sort, à jardin) (A Marthe, près de la table) Ces écrivains, ça ne pense à rien…. Il en est où, dans son histoire ?... J’ai honte à l’avouer, mais je n’ai jamais pu dépasser la vingtième page de ses romans… Et vous ?Marthe : Moi, je les ai toutes lues… Quand je fais le ménage il faut bien ouvrir la fenêtre de temps en temps… Alors les feuilles s’envolent… Et il faut que je les remette en ordre, sinon… Comme il ne numérote pas toujours ses pages, je dois tout lire… Germaine : Il le sait ?Marthe : Oui, bien sûr… Quelques fois, il me demande ce que j’en pense. J’ai un peu l’impression de l’écrire, son livre.Germaine : Il est bien, celui-là ?Marthe : Oui, pas mal. Ça commence bien.

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Germaine : Qu’est-ce qu’on va faire ? Il y a l’eau qui continue à couler chez moi, en dessous. Si on redressait le bateau ! Marthe : Moi, je veux bien. Ça ne va pas être facile !Germaine : Mais si, il suffit simplement de redresser les cubes.Marthe : Ça ne suffit pas ! Il faut écrire, écrire une suite. Ils ne comprennent que ça, les pirates. (Elle s’approche du cahier et écrit lentement)… « D’une voix puissante, Joseph Letourneur, crie : “Une bordée sur tribord. Et vite ! Sinon, on va couler”. (Les trois piratesses passent sur tribord)… Et aussitôt le bateau se redresse ». J’espère que l’auteur ne verra pas ce que j’ai fait.(Les pirates reprennent leur équilibre, en oscillant comme sur un bateau.)Germaine : Eh bien, c’était ça, ou bien mon plafond à refaire.

I. Scène 5L’écrivain : (Qui revient de jardin) Non, madame Germaine, il n’y avait pas de robinet qui fuyait. Je ne sais pas ce qui a pu se passer.Germaine : Ça doit être fini… Quelques fois, comme ça, il y a des anciennes fuites qui restent sous les planchers et puis qui ressortent un jour, on ne sait pas trop pourquoi. Ce sont les mystères de la plomberie !L’écrivain : C’est comme les mystères de l’écriture.Germaine : Peut-être, mais ça je ne connais pas… Bon ! Je vais faire une tarte aux pommes. Je vous en monte un morceau ? L’écrivain : Oh, oui ! Merci !(Germaine sort, suivie de Marthe, à jardin L’écrivain se rassoit à sa table, se prépare à écrire tandis que les pirates reprennent leurs occupations sur leur bateau, à cour. L’espace entre les deux lieux est bien visualisé sur la scène)

I. Scène 6Ange : (Elle monte dans la hune) Eh bien, le temps que la tarte cuise !... Ce n’est pas ça qui va arranger nos affaires ! Après, il va la manger, sa tarte… Et pendant tout ce temps là, qu’est-ce qu’on va faire, nous ? En plus, la mer est calme. Il n’y a pas de vent. On n’a pas de prisonniers pour les faire ramer…Pacôme : Non, mais on a les hommes.Camille : Tu crois qu’ils vont vouloir ? Ange : On tire au sort.Camille : C’est risqué. Ça peut tomber sur nous.Pacôme : On est des pirates, oui ou non ? T’as jamais triché, toi ?Camille : Pas souvent. Je n’aime pas les gens qui trichent.Pacôme : On voit bien que tu es jeune dans la profession. Si tu ne triches pas, tu meurs… Surtout avec des gaillards comme ceux-là.Ange : (Toujours dans la hune) Attention, l’écrivain vient de s’asseoir devant sa table, ça va peut-être bouger… Tous à vos postes !(Ils se remettent à leur poste sur le bateau) L’écrivain : (A sa table, il relit ses feuilles) « Une bordée sur tribord » ? J’ai écrit ça, moi ? (Il lit) « D’une voix puissante, Joseph Letourneur, crie : “Une bordée sur tribord. Et vite ! Sinon, on va couler”… Tiens, je ne m’en souviens

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pas !Joseph : (A l’écrivain, depuis le bateau) Il a fallu bien prendre des initiatives, monsieur l’auteur, sinon on n’avait plus de bateau… Et des pirates sans bateau, ce ne sont plus des pirates.Yves : Si on osait, on vous demanderait… vous ne poupou…pourriez pas vous arranger pour nous faire descendre à terre… On a des trucs à faire…Robert : Chercher notre courrier, par exemple… voir si les parents vont bien…Yves : Et puis… euh…on, on manque de rhum...Joseph : Et puis, on manque aussi… de femmes.L’écrivain : Non, vous en avez à bord.Tous les trois : (Un rire énorme, gras, éraillé) Joseph : Vous êtes un petit rigolo, vous ! Des femmes, à bord ? Camille, Angeet Pacôme, des femmes ? Vous ne les avez jamais vus à l’abordage, ces hommes, je ne vous conseille pas de vous trouver en face. Camille : Alors, les braves, on papote ! Et la mutinerie, on l’oublie ? Allez, on s’empare de l’auteur. On le torture. Et après, hop, on le pend !(Tous les pirates descendent de leurs cubes, traverse l’espace et menacent l’écrivain)L’écrivain : Une arme, vite. Où ai-je mis mon revolver ? Dans le tiroir… La clé ! J’ai perdu la clé…. Ah, mon coupe papier !... (Effrayé, il regarde approcher les pirates armés jusqu’aux dents) Un coupe-papier contre un sabre ! (Début de duel entre un sabre et le coupe-papier, qui est arraché)… Je suis perdu… (Sa main rencontre sa plume. Et là, d’un geste victorieux, il biffe, rature sa feuille, supprime le passage de la mutinerie, froisse la feuille qu’il jette dans la corbeille. Les pirates se figent, en arrêt sur image. Puis, les uns après les autres, tout ratatinés, regagnent leurs postes.)Yves : Pipi, monsieur l’auteur, pipi…pitié… Pardonnez notre mutinerie !Robert : On ne veut pas finir, tout froissés, ratatinés dans une corbeille à papier. Joseph : On ne recommencera plus, c’est promis, juré !Pacôme : Sur la tête de notre pauvre mère qui nous pleure, Ange : Et que nous avons fait tant souffrir…Yves : Qu’elle en est morte de chagrin ! Robert : Nous pensons à nos sœurs, et puis à toutes ces femmes que nous avons connues et abandonnées…Camille : Pensez à cette tendresse que nous n’avons jamais connue et que nous ne connaîtrons jamais, si …Pacôme : Si vous nous rayez de votre livre. Pardon ! Monsieur l’auteur ! Pardon.Robert : Crois-tu qu’il nous a entendus ?Ange : Ne parlez pas tous à la fois. Je remonte là-haut voir ce qu’il manigance… Ah ! Il reprend sa plume.Camille : Et alors ?

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Ange : Il la trempe dans l’encrier…Joseph : Et après ?Ange : Passez-moi la longue-vue.Pacôme : Et ensuite ?Ange : Il écrit. L’écrivain : « Le navire jaillit de la vague, crachant l’écume de la mer et la bave des hommes. Les voiles se gonflent »Robert : Ça y est, on repart ! La houle nous porte vers d’autres cieux, vers d’autres aventures… (Il commence à chanter) Hardis les gars, vire au guindeau, la, la, la, lala ! Et nous irons à Valparaiso… Pour faire la pêche au cachalot… hardi les gars, et ho, hisse et haut ! (Tous reprennent en chœur un air de marins) (Ils pansent leurs plaies et réparent les voiles) (La nuit tombe sur le pont et sur la scène, pendant que l’écrivain s’endort à sa table.)

…………… Tableau II …………..II. Scène 1

(Sur la scène, la table n’est plus à cour, elle est au centre de l’espace bateau. Le jour se lève sur le bateau en mer. Dans une chaise longue sur le pont du bateau, l’écrivain dort, entouré des 6 pirates qui vaquent à leurs occupations de marins. Peut-être en léger fond sonore la mer au large, le bruit de l’étrave, de mouettes.)Pacôme : Hein, que j’ai eu une bonne idée de l’assommer et de l’embarquer ? Comme ça il ne sera jamais loin, et on pourra l’obliger à écrire…Camille : Oui !... T’as pensé à prendre assez de plumes ?Pacôme : (Penaude) Euh… non.Joseph : On tuera des oiseaux.Ange : Et tu as pensé à l’encre ?Pacôme : (Penaude) Euh… non.Joseph : Il y a toujours une ancre à bord !Ange : Tais toi, abruti. Quand on ne sait rien, on ferme sa gueule.Joseph : Si tu cherches la bagarre, mon gars, tu vas me trouver.Yves : Arrêtez ! On ne va pas se battre entre nous. Robert : On pourra toujours prendre l’encre des seiches…. Ça doit pouvoir faire l’affaire.Ange : Faudra lui demander.Joseph : Qu’est-ce qu’il a écrit ?Robert : Tu n’as qu’à regarder sur son cahier.Joseph : (Penaud) Ben...Robert : Tu ne sais pas lire ?Joseph : Oh, là ! Je sais lire, moi,… Môssieur !... Mais il écrit trop mal… trop petit… il y a des gribouillis partout. Il met un mot, et puis il le barre. Comme un coup de sabre, vlan ! Et puis, il en remet un autre au dessus. Ça ne lui plaît pas ! Vlan !... Une autre cicatrice !... Moi, quand j’écris, je mets une croix, là où il faut… Il ne faut pas m’embêter avec ça ! C’est moi le chef ! Compris ?

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Yves : Ce n’est pas fini, vous deux…Allez donc sur l’île, faire la corvée d’eau ! Joseph : Et tu en profiteras pour larguer les amarres… et vogue la galère, avec l’écrivain…. Et nous, moi et Robert, on sera bloqués sur l’île, sans espoir de retour. C’est lui qui décide de notre sort, tu le sais…. Alors, tu viens avec nous.Yves : Et les autres ? Ils peuvent partir aussi, et nous laisser tous les trois sur l’île.Joseph : Il n’y a rien à craindre… Ils ne savent pas naviguer… Je me demande bien où il les a trouvés, ceux-là… Ils savent à peine reconnaître l’avant de l’arrière… Ça, pour les combats, ils sont bons… mais pour la navigation, zéro !Robert : Alors, tu viens ? A trois, on ne sera pas de trop pour ramer, surtout avec les courants. (Ils sortent à cour, en ramant en marche arrière, comme avec des avirons.)

II. Scène 2(Les 3 femmes pirates en profitent pour se libérer de leur tricorne, de leur tenuepour se pomponner, pour se laver, se coiffer)Ange : Ouf, ça fait du bien de se retrouver un peu entre femmes…Camille : Si on le réveillait !Pacôme : Pourquoi ? Camille : Pour savoir ce qu’on fait là.Ange : Tu t’ennuies ?Camille : Non… En fait, c’est comme si on faisait une croisière… Mais, je pense à mon petit dernier… Il doit marcher maintenant.Pacôme : T’en as beaucoup, des enfants ?Camille : Cinq !Ange : Ah, oui… quand même !... Alors qu’est-ce que tu fais là ?Camille : Justement, c’est ce que je veux lui demander.(Elles s’approchent du dormeur. Ange sort son sabre pour le piquer, Pacôme s’apprête à lui verser un seau sur la tête. Camille les arrête, se penche sur lui et l’embrasse sur la joue)L’écrivain : Où suis-je ? Camille : Sur votre bateau, monsieur.L’écrivain : Je n’ai pas de bateau. Pacôme : Sur le bateau que vous avez inventé pour votre histoire.L’écrivain : Ah ! Je comprends.(Un petit temps pendant lequel l’écrivain se réveille et examine la situation dans laquelle il se trouve. Il boit un peu d’eau que lui ont donnée les piratesses.)Camille : On peut vous poser une question ?L’écrivain : Bien sûr !Ange : Pourquoi avez-vous mis trois femmes pirates dans ce bateau ?L’écrivain : Pourquoi trois femmes ?Pacôme : Oui.L’écrivain : Pour respecter la loi sur la parité. Autant d’hommes que de femmes. Imaginez les critiques ! Dans son roman, il n’y a que des hommes ! Le

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machisme n’a pas disparu ! Il y a encore des métiers qui sont refusés aux femmes ! Alors, pour être politiquement correct, je vous ai embarquées… Vous n’êtes pas bien ?Camille : Si… Seulement, vous auriez pu nous donner des compagnons de voyage un peu plus… enfin, un peu moins…L’écrivain : Vous voulez que je vous débarque, que je déchaîne une tempête qui vous déposera sur une île déserte… Trois malheureuses femmes abandonnées, obligées de se peigner avec les arêtes des poissons qu’elles auront pêchés.Ange : Sans aller jusque là.Pacôme : Mais j’y pense, si vous faîtes ça, on vous reprochera encore de ne pas avoir respecté la parité. Il manquera des hommes sur votre île déserte… Tiens, à propos d’hommes, les voilà qui reviennent…Camille : Vous ne pouvez pas les retenir encore un peu, qu’on ait le temps de profiter de cette trêve.L’écrivain : Si vous voulez. Donnez-moi une feuille, une plume et de l’encre…Ange : Euh… on n’a pas tout ça… on l’a oublié sur votre table… Comment peut-on faire ?L’écrivain : Une plume de mouette. Et de l’encre de seiche. Vous en avez ?Pacôme : Voilà un plume de goéland et du suif liquide pour graisser le cabestan, ça pourra aller ?L’écrivain : On peut essayer. (Il se penche sur un cube, et écrit) « Ils ne connaissaient pas la force des courants dans ces eaux. Ils avaient beau ramer, toujours le courant les ramenait dans la même anse, celle où ils avaient trouvé de l’eau… » Ça vous va ? Vous voulez que je les retienne encore un peu ?Camille : Si ce n’est pas trop vous demander !L’écrivain : « Le soleil est maintenant très haut. L’ombre étroite. La chaleur étouffante. Ils boivent sans se rendre compte que leur tonneau est maintenant vide. Il leur faut retourner à terre pour remplir à nouveau leurs récipients »Pacôme : Ils vont mettre longtemps à remplir leurs bidons ?L’écrivain : Le temps que vous souhaitez… Oh ! Attendez ! (Il regarde vers la «plage », vers les coulisses à cour.) Il y a du nouveau ! Deux femmes sont sur la plage. Elles font des signes. Elles leur font des signes.Ange : (Elle lit par-dessus l’épaule de l’écrivain, au fur et à mesure qu’il écrit) « Les trois hommes sont surpris de voir ces deux femmes, habillées comme si elles venaient de faire leurs courses dans un supermarché. Pour marcher plus facilement sur le sable, elles ont enlevé leurs chaussures qu’elles tiennent à la main » L’écrivain : (Regardant vers cour) Mais, c’est ma voisine, et ma femme de ménage ! Que font-elles, sur cette île ? Vous avez déjà vu autant de monde sur une île déserte ?Camille : Je ne sais pas. Je n’y suis jamais allée… Moi, je passais dans la rue, j’ai vu un attroupement. J’ai cru qu’on tournait un film. Quelqu’un m’a demandé si je voulais voir…C’est même vous qui m’avez dit ça !... J’ai dit : oui,

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je veux bien… Et me voilà avec un tricorne sur la tête, un sabre au côté, avec ces espèces d’abrutis qui ne parlent que de beuveries, de massacres, de viols…Pacôme : Qui chiquent, qui rotent, qui pètent, qui puent,Ange : Ils ne parlent pas de foot.Camille : Heureusement ! Ils ne peuvent pas avoir tous les défauts.L’écrivain : Vous n’aimez pas le foot ? C’est bon à savoir. Je n’en mettrai pas dans cette histoire. Promis… (Il regarde vers la « plage ») Mais, les voilà qui arrivent… Allez vite vous rhabiller.(Elles sortent par jardin).

II. Scène 3 ……………….(Seul en scène, l’écrivain met de l’ordre dans ses papiers étalés sur un des cubes, quand arrivent de cour, les 3 pirates et les deux femmes)Marthe : Ah, monsieur Jean, vous êtes là ! Je suis rassurée.Robert : Vous vous appelez Jean ?Marthe : Moi ? Non… Moi, c’est Marthe.Robert : Pas vous, lui.Germaine : Oui. Je trouve que c’est un joli prénom ? Et vous ?Robert : Moi ? (Brusquement tout intimidé) Moi, c’est Robert… Robert Taillefer.Marthe : Quand madame Germaine…Robert : Alors vous, c’est madame Germaine ?Germaine : Oui… Robert. Marthe : Bon, elles sont finies, les présentations ?... Je peux continuer ?Robert : Excusez-moi.Marthe : (A L’écrivain) Quand madame Germaine est montée pour vous apporter un morceau de tarte, vous aviez disparu. On vous a cherché partout. C’est vite fait. Il n’est pas bien grand, votre appartement. Vous n’étiez nulle part… Et votre table avait disparu, elle aussi… C’est ça qui m’a inquiétée.Robert : C’était une tarte… une tarte aux pommes, que vous aviez fait ?Germaine : Oui…Robert.Robert : (Il se met à pleurer tout doucement) C’est celle que je préfère... je me souviens de celles que maman me faisait.Marthe : Tenez, voilà mon mouchoir… Vous pourrez le garder.(Les 3 piratesses sont venues se mêler aux autres)Tous : Et alors ? Marthe : Quoi ?L’écrivain : Comment êtes-vous arrivées ici ?Marthe : Vous aviez laissé tomber une page quand vous vous êtes embarqué.L’écrivain : Quand ON m’a embarqué ! C’est différent !Marthe : C’est vous, l’auteur. Vous savez mieux que moi ce qui vous est arrivé. L’écrivain : Ce sont eux, ces pirates, qui m’ont enlevé. Je n’ai pas pu trouver ma plume à temps pour les en empêcher.

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Camille : On avait besoin de lui. Il n’écrivait plus rien… La révolte couvait à bord… Il fallait bien faire quelque chose !Marthe : Dans leur précipitation, ils ont perdu quelques feuilles… Il suffisait de les suivre… Et nous voilà !Joseph : Oh, monsieur l’écrivain… ?Robert : Il s’appelle Jean.Joseph : Comment tu sais ça, toi ?Robert : C’est Germaine qui me l’a dit.Joseph : Germaine ?... Germaine !... Tu veux que je te dise ? Toi, Taillefer, toi qui n’a pas besoin d’une hache pour abattre un arbre, toi qui tords une ancre entre deux doigts, tu l’appelles déjà Germaine ! Moi, je te dis : fais attention !Robert : A quoi ?Yves : Si tu es amoureux, mon vieux, tu es perdu pour la course. Te voilà coffré, emprisonné sous un jupon… Joseph : C’est pour ça, monsieur l’écrivain…Robert : Jean, je te dis.Joseph : Tu me laisses causer ? Ou bien je te coupe la langue… C’est pour ça, qu’on ne veut pas de femmes à bord. Ça porte malheur. Compris ? Yves : T’as peur des femmes, toi ? Joseph : Moi ?... Je n’ai peur de rien ! Mais il ne faut pas de femmes à bord ! C’est comme les pattes de lapins, comme les rats ! Ça porte malheur ! J’ai dit !Germaine : Il n’y a pas d’écrit tout ça dans votre roman, monsieur Jean ! Je n’ai jamais lu tout ça !Joseph : C’est peut-être lui qui écrit, ma petite dame…Robert : Elle s’appelle Germaine !Joseph : (Terrible coup d’œil à Robert)… ma petite dame… mais c’est moi qui parle !... J’ai dit !L’écrivain : Alors, pourquoi vous les avez prises dans votre canot ?Joseph : Ah, ah ! ah ! (Un rire énorme) Vous entendez ça, les gars ? Pourquoi ? (Tous les 6 pirates éclatent de rire, un rire bien gras) Ah, de rire comme ça, moi, ça me donne envie de pisser ! (Il se retourne, part au fond, derrière les cubes) Il demande pourquoi ?Germaine : Oui !Joseph : Mais, ma petite dame… (Regard de Robert) Bon, Germaine ! D’accord, d’accord !... mais parce qu’on n’abandonne jamais quelqu’un sur une île déserte.Yves : Ça ne se fait pas.Marthe : Même pour son pire ennemi ?Robert : Même pour son pire ennemi.Joseph : On le fait monter à bord…Camille : On le fait manger…Pacôme : On le fait boire…Ange : Et après, hop, on le balance par-dessus bord.

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Joseph : Faut bien que les requins bouffent !Marthe : Vous ne vous battez pas, avant… ?Robert : Non, pourquoi ?Marthe : Vous le balancez comme ça ?Yves : Oh, ce n’est pas facile ! Il faut se mettre à plusieurs, parce qu’il se défend, le boubou… le bougre.Pacôme : On lui prend tout ce qu’il a dans ses poches…Camille : Son argent, ses pistoletsAnge : C’est plus facile pour le jeter à l’eau, il est moins lourd.Germaine : Pourquoi vous ne le laissez pas sur son île ?Joseph : Je vous l’ai déjà dit, ma petite dame… enfin, Germaine !... ça ne se fait pas !Marthe : Pourquoi ?Joseph : On a son honneur dans la flibuste. Et le code, c’est sacré !Germaine : Pourquoi ? Joseph : Vous commencez à m’énerver avec vos pourquoi… Et si elle n’était pas vraiment déserte cette île, et s’il y avait des sauvages, des cannibales?... On ne va pas quand même le laisser bouillir dans leur marmite, à petit feu…Camille : Tiens, qu’est-ce qu’on trouve comme épices sur une île déserte ?Yves : Je ne sais pas… Vous le savez, vous, monsieur l’écrivain ? L’écrivain : Non ! Mais on peut l’imaginer !... Des piments…Camille : Oh, non ! Pas de piment !...Ça le brûlerait !...L’écrivain : De la menthe…Robert : Ah, non ! Les sauvages ne sont pas des tortionnaires, quand même. Le faire bouillir dans une sauce à la menthe. My God ! Pacôme : Moi, je verrai plutôt une sauce au vin…Joseph : Ça suffit !... Avec toutes vos recettes !... Moi, ça me donne faim, et qu’est-ce qu’on a pour manger?... Rien.Marthe : Je suis désolée. J’aurais dû faire les courses au supermarché avant de partir… Mais on a fait si vite ! On était inquiètes pour monsieur Jean !Camille : Dites, monsieur Jean, vous ne pourriez pas nous envoyer un galion espagnol avec des tonneaux de nourriture ?Joseph : Et de l’or !Ange : Et des bijoux ! Robert : Et des femmes ! (Regard sombre de Germaine) Oh, pardon, Germaine !L’écrivain : Vous savez, je ne peux pas tout faire. Nous ne sommes pas sur la route des galions, ni espagnols, ni portugais, ni même hollandais.Marthe : Où sommes-nous ?Joseph : (Il lève le doigt en l’air, hume le vent) Sur le grand océan, au milieu de nulle part… Camille, apporte le sextant !Camille : Monsieur l’écrivain, c’est quoi un sextant ? Et vous l’avez mis où ?Joseph : Alors, moussaillon, il arrive ce sextant ?*

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Camille : Aidez-moi, monsieur Jean !L’écrivain : Attendez ! On va le trouver en quelques mots. « La dernière tempête avait quelque peu dérangé l’ordre des appareils. Et le sextant restait introuvable. Joseph dit Letourneur sentait la colère monter. Il fit un demi-tour rapide sur son pilon…Joseph : Qu’est-ce que vous écrivez là ? Je n’ai jamais eu de pilon !L’écrivain : Ah, bon ? Je trouvais que le pilon faisait plus vrai, quand on parled’un pirate.Joseph : Je voudrais bien vous y voir, vous, avec un pilon, vous qui n’êtes même pas capable de tenir sur le pont quand ça roule un peu.L’écrivain : Bon, ne vous énervez pas ! Je vais mettre talon à la place… « Un demi-tour rapide sur son talon. Mais une vague, lourde des tempêtes d’équinoxe, souleva le bateau. Letourneur vacilla et tomba sur une malle qui dérivait sur le pont. Elle alla s’écraser sur le grand mât. Quand elle s’est ouverte, le sextant est tombé … » (Joseph, qui était tombé, tient le sextant dans ses mains. Il se relève et essaie de faire le point)Camille : Ah, c’est ça, que vous cherchiez ! Comme je ne savais pas ce que c’était, je l’avais rangé là-dedans. Joseph : Dis-donc, moussaillon, tu as navigué sur quel bateau, toi ?L’écrivain : (Devant l’air embarrassé de Camille) « Camille ne savait pas quoi répondre. Sur le Bateau-Lavoir, dit-elle. Connais pas, dit Joseph, et il ajoute… »Joseph : Le capitaine ne devait pas valoir grand-chose… (A Yves) Tu vois ce que je te disais, ils ne savent pas naviguer…Ange : (Sur la hune) Baleines à tribord ! Robert : Tous à vos postes ! Larguez les ris ! Parez les harpons ! Virez sur tribord… J’ai dit sur tribord, pas sur bâbord… Non !!! (Crac !

…………………………….. Noir …………………………..Tableau IIIIII. Scène 1

(Quand la lumière revient, les cubes sont éparpillés en désordre. La table est renversée, les quatre pieds en l’air. Sur chaque cube il y a un pirate, effondré, dans une position invraisemblable. Robert et Germaine sont sur le même cube. L’écrivain est couché sur le fond de sa table renversée. Visiblement, il y a eu un naufrage. Peu à peu les personnages s’animent.)Camille : Où suis-je ? Pacôme : Sur le Grand Océan, au milieu de nulle part…Ange : Au milieu des épaves, plutôt !Joseph : Quel est le crétin qui tenait la barre ?Tous : Ce n’est pas moi !Joseph : Quand je pose une question, j’aimerai qu’on me réponde ! Qui était à la barre quand on a…Camille : Chaviré ?

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Joseph : Ouais !... Qui ? Que je l’étripe, que je le jokarise…L’écrivain : Tiens, un mot nouveau ! Je ne le connaissais pas… Dites Joseph, ça veut dire quoi ?Joseph : Quoi ?L’écrivain : Jokariser.Joseph : Vous n’avez jamais joué au Jokari, quand vous étiez gosse ?L’écrivain : Non. Pacôme : Moi, si. Il y a une balle attachée à un élastique. On tape sur la balle avec une raquette. Avec l’élastique, la balle revient…Ange : Et si on ne veut pas la prendre sur la tête, il faut la renvoyer.Camille : A toi, à moi, à toi, à moi,…Joseph : Sauf qu’à la place de la balle, il y a un ennemi, attaché par les pieds (Il rit) Le plus drôle, c’est qu’à la place de la raquette on met une pique, un sabre, une massue… On le fait tourner comme ça… A toi, à moi, à toi… Ça occupe, quand c’est le calme plat.Yves : C’est pour ça qu’il t’a appelé Le toutou… Le Tourneur !Joseph : Qui ?Yves : L’écrivain, tiens.Joseph : (A l’écrivain) C’est vrai, ça ?L’écrivain : (A Joseph) Puisqu’il vous le dit ! (Chacun, perché sur un cube, reprend ses occupations, la pêche par exemple)Pacôme : Ça mord ?Yves : Ne laisse pas traîner tes pieds dans l’eau, les requins pourraient te mordre.Ange : Il y a des requins, par ici, monsieur l’auteur ?L’écrivain : Attendez, que je retrouve la feuille !... Voilà ! « Il y a eu d’abord, un aileron, ce triangle de mort qui annonce le grand squale, puis un autre, plus près, puis un troisième. Bientôt, la mer ressemblait à une planche à clous, tant elle était hérissée d’ailerons. Le cercle se refermait autour des épaves… »Camille : Qu’est-ce qu’on va devenir ?Robert : Un hors d’œuvre !Germaine : Avec Joseph, ce sera le plat de résistance. Et coriace ! (Tous rient) Joseph : Avec vous, ma petite dame… Ouais, Germaine !... y crèveraient de faim, vous êtes immangeable.Robert : Joseph, si mon épave n’était pas si loin, je te…Joseph : Dis donc, petit Robert, tu deviens susceptible ! Dès qu’on touche à sa Germaine, il s’énerve… Vous voyez, les gars, pourquoi il ne faut jamais de femmes à bord.(Tous se hissent sur leur cube, en regardant autour d’eux)L’écrivain : Fausse alerte ! Je me suis trompé de page. Excusez-moi ! Pour l’instant, je n’ai pas encore vu de requin… Soyez rassurés !Ange : Alors, qu’est-ce qu’on fait ? On va se laisser dériver encore longtemps ?

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L’écrivain : Je ne peux rien faire pour vous. Je n’ai plus de papier, plus de plume, plus d’encre… J’ai tout perdu dans le naufrage !Pacôme : Alors, on est condamnés à dériver sur l’océan. Eternellement. Comme le bateau fantôme ? Yves : De quoi tu te plains ? On sera une légende. Plutôt que de périr dans l’anonymat, on sera célèbres. On écrira des livres sur nous…Ange : S’ils ont du papier…Camille : … et des plumes… Pacôme : … et de l’encre ! Robert : On fera des films sur nous ! Moi, j’aimerai que ce soit Belmondo qui joue mon rôle.Joseph : T’as aucune chance, Belmondo, il n’accepte que le rôle principal. Robert : Et alors, il n’est pas principal mon personnage ? Demande à monsieur l’écrivain…Germaine : Jean !! Il s’appelle Jean. Tu écoutes quelquefois ce que je te dis ? Yves : Et puis Belmondo, dans ses films, il faut que ça bouge... Et là, pour l’instant, ça ne remue pas beaucoup ! Ange : Même pas du tout !(Tous se tournent vers l’auteur)L’écrivain : Pourquoi me regardez-vous tous comme ça ? Ce n’est tout de même pas ma faute si vous avez oublié de prendre des feuilles de papier…Camille : … et des plumes, Pacôme : ... et de l’encre !Joseph : Silence !... Vous n’entendez pas ? (Tous tendent l’oreille)… Une sorte de ronflement !Yves : Ça ? C’est Pacôme qui ronfle ! Ça se voit bien que vous ne dormez pas à côté. On ne devrait pas embarquer des gens comme ça.Joseph : Silence !! ... Le bruit se rapproche.Camille : Un bateau à moteur ?Joseph : Chut ! Ange : Un hélicoptère ?Joseph : Chut !!Robert : Une tondeuse à gazon ? Quand je suis à terre, il y a mon voisin qui fait le même bruit…Joseph : Chut !!!Pacôme : Un mixer ? Pour faire des jus d’orange… Quand je pense qu’on est sous les tropiques et qu’on n’a pas encore mangé d’oranges.Joseph : Chut !!!!Ange : Pardon ! Contre le scorbut, c’est du citron qu’il faut !Camille : Il en faut aussi pour faire un punch ! Joseph : Vous ne pouvez pas vous taire ? (Il colle son oreille sur le sol)… Ça vient de là ! (Il montre la table renversée) Ecoutez !*Où placer la table renversée ? Sur le bateau ou dans l’appartement ?A vérifier !

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III. Scène 2(De jardin, arrive Marthe avec son aspirateur)Marthe : Eh bien ! En voilà un désordre !... Et votre table qui est renversée !* Qu’est-ce qui s’est passé, monsieur Jean ?L’écrivain : Ah ! Madame Marthe ! Vous allez encore me sauver ! Marthe : Faut d’abord que j’éponge toute cette eau. Je ne peux pas approcher ! (Elle passe sa serpillière, en chantonnant)… Tiens, Germaine ? Vous vous êtes fait embarquer ?Germaine : Robert m’a proposé une petite croisière dans les îles… Ça ne se refuse pas !Marthe : Non, bien sûr !Germaine : Tout va bien dans l’immeuble ? … Si vous pouviez regarder si j’ai bien éteint la lumière avant de partir. Merci ! On est parties si vite.Joseph : C’est fini, oui ?Marthe : Dites-donc, il n’a pas changé ! Toujours aussi grincheux !Germaine : Oui ! Il prétend que c’est parce que je suis à bord, que tout va mal.En fait, il est jaloux de Robert. Il ne supporte pas que je ne l’ai pas choisi, lui. Marthe : Il est un peu rustre. Mal rasé. Il râle tout le temps. Il me rappelle feumon mari… Le troisième !... Parce que les deux autres…Joseph : Silence !!! Je vous dis, il ne faut jamais de femmes à bord. La preuve : on n’avance pas !Germaine : Et, le Grincheux, si je n’étais pas là, vous avanceriez plus vite ?... Yves : On aurait sûrement plus de calme à bord !... On ne peut pas avancer, il n’y a pas de vent.Pacôme : Il y a des rames !... (A l’écrivain qui maltraite son tiroir) Qu’est-ce que vous faites avec votre tiroir ? L’écrivain : J’essaye de l’ouvrir. Mais la tête en bas, ça n’est pas facile ! Il ne veut pas coulisser.Marthe : Il est simplement fermé à clé, votre tiroir. Un tour de clé, et hop, ça s’ouvre.L’écrivain : Vous avez la clé ?Marthe : Non ! Pourquoi aurais-je la clé de votre tiroir ? C’est votre petit jardin secret, votre tiroir. Il y a toutes vos petites idées, vos petites astuces d’écriture, vos brouillons, vos pensées…L’écrivain : Il y a surtout du papier…Camille : … et des plumes, Pacôme : … et de l’encre. Joseph : Assez !!! J’en ai assez ! Je me révolte ! Je me mutine !Robert : Mais on ne peut pas…Joseph : Que ceux qui sont des hommes me suivent !... A l’attaque !(Il y a juste Yves qui le suit. Robert est retenu par Germaine)………………….

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(Joseph et Yves, l’air menaçant, font avancer leur cube, comme s’ils ramaient, vers la table. L’écrivain redresse sa table pour en faire un rempart… Et le tiroir s’ouvre) (toujours cette table. Où la placer ?)L’écrivain : (Il écrit à toute vitesse) « Mais Joseph, dans sa précipitation, a perdu sa rame, il ne peut plus avancer. Yves, surpris par cette manœuvre inattendue, ne peut l’éviter, l’éperonne et s’apprête à couler. Heureusement, Pacôme lui tend la main et peut le sauver d’une noyade inévitable, tandis que Joseph s’enfonce dans la mer glauque…» (Joseph : A moi ! A moi ! J’ai horreur de l’eau ! Je ne sais pas nager !Ange : (Fait mine de plonger, se rapproche de Joseph et le tire de l’eau, le remonte sur son cube et entreprend la manœuvre de respiration artificielle.) C’est malin, un marin qui ne sait pas nager !Joseph : Tu sais, toi ?Ange : Bien sûr ! J’ai appris ça à l’école. (Joseph, à plat- ventre sur son cube, apprend les rudiments de la brasse) Comme une grenouille ! Tu plies les jambes, et tu plies les bras sous toi ! Tu allonges brusquement les bras, en même temps que tu détends tes jambes, après les avoir écartées, comme ça. Puis écarte les bras, que tu ramènes en arrière. (Ange, debout, montre les mouvements à Joseph.)Yves : (Il rit) T’as plutôt l’air d’un crapaud ! Germaine : Vous devriez apprendre vous aussi ! Au moins, ça vous lavera.(Sur un signe de tête de Germaine, Robert se met aussi sur un cube. Tous les trois apprennent à nager) Les 3 piratesses : Une, deux, plié, trois, écarté, quatre, tendu, et ramenez les bras… une, deux, plié…Cette leçon de natation doit se jouer comme un petit ballet…. Noir……..

III. Scène 3(Quand la lumière revient, la table est remise en place. Marthe finit d’éponger la scène. Elle essore sa serpillière dans un seau. Les 3 pirates finissent de s’essuyer avec des serviettes)Yves : Je ne souvenais plus que c’était si agréable.Robert : De nager ?Yves : Non ! De se laver. On se sent tout autre.Germaine : Vous sentez surtout meilleur !Pacôme : Robert aussi, on le sent tout autre, hein ?Germaine : On ne peut pas en dire autant de vous.Pacôme : On ne va pas le manger, votre Robert ! Il puait comme les autres, c’est tout. Et maintenant, ça va mieux !Marthe : Oh, là-bas ! Parlez moins fort ! Vous allez le réveiller.Pacôme : Ce ne sera pas trop tôt. Il va pouvoir enfin nous écrire une suite.Germaine : Et vogue la croisière !... Hein, Robert ? A nous les horizons lointains, les mers turquoises…Yves : Où soufflent les alizés bleus…

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Robert : Je ne les avais jamais vus comme ça, les alizés !Yves : C’est que tu n’es pas un poète ! Pacôme : Tu les voyais comment ?Robert : Les alizés ?Yves : Oui ! Tous ces vents chauds qui sentent la cannelle, le gingembre, Robert : Je les vois poussant devant eux, l’étrave des brigantines…Pacôme : pleines de brigands, et de pirates aux barbes négligées…Joseph : (Bougon) Ils ont du vent, eux, au moins !

III. Scène 4(L’écrivain apparaît à jardin. Il tient une liasse de papiers, une poignée de plumes et une thermos)Pacôme : Pourquoi avez-vous une thermos ?L’écrivain : Pour ne pas laisser refroidir mes idées.Camille : L’idée au chaud, là-dedans, c’est quoi ? Va-t-on repartir sur les vagues démontées ? Vont-elles cracher leurs embruns salés sur les visages burinés, emporter l’imprudent qui glisse sur le pont, …L’écrivain : Vous voulez ma place ? Je vous sens en verve d’inspiration.Joseph : Moi, je voudrai bien inspirer autre chose que ce roman à l’eau de rose. Vous nous embarquez pour une croisière lointaine, comme tant de capitaines, et nous voilà encalminés devant une thermos à café.Yves : Du rhum, et du tafia, voilà ce qu’il nous faut.Robert : De la poudre, et des femmes et qu’on boive à gogo !Germaine : Robert ! Un peu de tenue ! Ne joue pas au poivrot.Pacôme : Laissez-le donc ! Avant, il était rigolo.Yves : Il a raison, Joseph, pas de femmes en canot ! Joseph : Arrêtez ! Vous voyez qu’il nous mène en bateau !Je suis trop loin de lui pour lire dans son dos, Mais je suis bien sûr qu’il n’a pas écrit un mot.(L’écrivain, bien assis, contemple sa feuille vierge. Il laisse son regard errer sur les pirates au repos dans leur bateau. )Marthe : Je crois, monsieur, qu’il faut vous remettre au boulot,N’est pas bon pour ces hommes un aussi long repos.(L’écrivain avec sa plume, fait des petits dessins tout en rêvassant)Ange : (toujours sur sa hune) Il a écrit quelque chose. Juste quelques mots…Yves, passe-moi la longue vue… je ne vois pas très bien !... « L’un d’eux s’avance vers lui… »(Yves s’approche doucement vers lui, l’air menaçant)Yves : Après qu’est-ce que je dois faire ? Qu’est-ce qu’il a écrit ?Pacôme : (Elle raconte ce que fait l’écrivain.) Rien. Il s’arrête. Il pose sa plume. Il repousse un peu sa chaise. Il pose ses coudes sur la table, le menton dans ses mains et il réfléchit.Marthe : (La théière à la main) Je me suis fait du thé. Vous en voulez une tasse ?

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L’écrivain : Volontiers !... (Elle le sert) En avez-vous assez pour en offrir à ces hommes assoiffés ?Marthe : Bien sûr ! J’en fais toujours beaucoup.L’écrivain : (Aux pirates qui sont à bord) Je vous offre le thé, les gars ?... La mer est calme. On sera tranquilles pour le boire.Pacôme : Oh, oui, je veux bien.Joseph : C’est quoi le thé ?Germaine : Une feuille d’arbuste trempée dans de l’eau chaude.Joseph : Dans de l’eau ?... Pouah ! Quelle horreur !... Monsieur l’écrivain…Germaine : Monsieur Jean. Il s’appelle…Joseph : Oui, je sais !… Vous nous encalminez, vous nous engourdissez, et maintenant vous nous faites boire de l’eau… Non ! Jamais.

III. Scène 5.(Après avoir franchi avec précaution le no man’s land, Marthe monte à bord et offre le thé à tous) (Les 3 piratesses et Germaine boivent le petit doigt en l’air.)Germaine : Non ! Non, mon petit Robert, pas comme ça ! Tu n’es pas en train de boire une grosse chope de bière…Joseph : (En dehors du groupe) Hélas !!Germaine : Regarde ! Tu tiens la tasse par son anse, entre le pouce et l’index, et pour maintenir l’équilibre, tu lèves le petit doigt…. Voilà, comme ça !Joseph : Tu vois Yves, c’est pour fuir ces trucs là, que j’ai choisi la flibuste ! Chez mes vieux, c’étaient des chichis sans arrêt…Yves : Tu as eu de la veine d’avoir des vieux… (Il se rapproche du groupe et essaie d’imiter Robert)Germaine : De l’autre main, tu tiens la soucoupe, en dessous la tasse, pour éviter de salir la nappe.Robert : Il n’y a pas de nappe !Germaine : Tu fais comme s’il y en avait une… Bien !... Tu vois que ça n’est pas difficile… Maintenant, tu bois sans faire du bruit avec tes lèvres… Voilà ! Pacôme : Vos cookies sont délicieux, madame Marthe. Il faudra nous en donner la recette.Marthe : Oh, c’est très simple… l’important, c’est le temps de cuisson…Joseph : Ça suffit !!... Bientôt, ça va être la broderie, la dentelle… Moi, la seule dentelle qui me plaise, c’est celle que je fais avec mon sabre sur la peau de ceux qui m’embêtent. (Il sort son sabre) Je me fais bien comprendre ? Tous : Oui !(Joseph tourne le dos à tout le monde et se perd dans l’inspection du ciel. Il va se balancer comme s’il compensait le roulis du bateau et qu’il naviguait.)Yves : Le ciel se couvre. Les nuages deviennent noirs. Ce n’est pas signe de beau temps. Oh, non ! Ça va fraîchir !… Il faudrait renter…Pacôme : La voilure ? Yves : Non, le service à thé. Il pourrait se casser… Ce serait dommage.

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Marthe : Oui, ce serait dommage. C’est ma belle-mère qui me l’a offert… la deuxième ! Parce que la première…Pacôme : Et la voilure ? Il ne faut pas la rentrer quand le temps se couvre ? Joseph : Silence !!! Je vais en étriper un… je vais te le faire tourner, à la grande vergue, et on va jouer au jokari, c’est moi qui vous le dis !! Germaine : Monsieur Jean ?L’écrivain : (De sa table) Oui ?Germaine : Il faut vous décider à écrire… Le gros ours, là, il a l’air bien excité. Et je sens mon Robert tout prêt à le suivre.Pacôme : C’est peut-être la menace d’orage qui fait ça ? Mon chat, ça lui fait la même chose. Il grogne, et il saute partout.Yves : Pacôme, tu devrais te taire… Le Tourneur, il n’a pas l’air content, et quand il est comme ça, il faut se méfier.Pacôme : Mais la voilure ? Il ne faut pas la rentrer, quand…Yves : Fous… fous… nous la paix, avec ta voilure ! Pacôme : Bien, bien ! Moi, pour ce que j’en dis ! (Elle va, avec les autres, ranger le service à thé que Marthe pose sur un plateau) (Joseph tourne le dos à tous. Il suit le roulis et le tangage qui deviennent de plus en plus forts) L’écrivain : (De sa table) Marthe et vous Germaine, vous devriez rentrer chez vous. Je sens que ça va cogner dur.Germaine : Jamais. Je ne quitterai jamais mon Robert. Hein, mon petit Robert ?Robert : Non, maman, il faut que tu rentres…Germaine : Maman ? Tu me prends pour ta mère ?L’écrivain : (Il a repris sa plume) « La vague s’enfle. Elle éclate sur le pont, se brise en paquets qui renversent les hommes. Germaine et Marthe ont juste eu le temps de s’abriter sous la table… non, pas sous la table…dans leur appartement bien douillet… » (Elles se précipitent dans l’appartement à jardin)

III. Scène 6Yves : T’aurais pas dû lui dire ça ?Robert : Quoi ?Yves : Que tu la prenais pour ta mère !Joseph : Amarrez tout ce qui bouge ! Rentrez la voilure…Pacôme : Vous entendez ? C’est bien ce que je disais. Joseph : Affalez, au lieu de causer. (Ils sont de plus en plus instables sur la scène. La tempête fait rage. Bruit de vent violent L’écrivain de son côté, a du mal à retenir ses feuilles qu’il serre contre lui. Lui aussi est instable. Il se cramponne à la table. Il rattrape à temps sa plume et son encrier, et se remet à écrire, debout, sur un bloc de papier.)L’écrivain : « Aussi subitement qu’elle avait commencée, la tempête se calme » Ouf !! Hein, les gars, j’ai cru que je n’y arriverai jamais.

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Yves : Fallait pas vous presser, monsieur l’écrivain. Nous on aime ça, le gros temps, on se sent revivre. Pacôme : Moi, j’ai cru mourir !Ange : Et moi donc ! En voulant retenir mon tricorne, je n’avais plus qu’une main pour me tenir… Heureusement que Robert était là ! Yves : C’est pour ça qu’on est fait, les gars ! Le petit temps, la tasse à thé, tout ça, ce n’est pas pour nous ! Hein, Joseph !Joseph : Etouffe plutôt le tourmentin, et envoie le cacatoès ! Camille : Ah, il y a des oiseaux à bord ? Où ça ?Yves : Ne popo… pose pas de questions idiotes… Il n’est pas encore calmé, le Joseph ! Le coup de tabac n’a pas été assez long. Ange : Tu trouves ?Yves : Moi, je l’ai connu, debout sur la hune, quand la frégate coulait… Les vagues nous recouvraient. On était aveuglés par les éclairs ! Ça grondait de partout ! Il a enlevé son bandeau. Il l’a fixé sur ce qui restait du mât, ça faisait une voile, pas bien grande, et on a navigué comme ça, pendant trois jours, avec les requins qui rodaient. Et lui, il riait, et il riait, et il chantait…. Tellement faux que les requins se sont sauvés.Ange : Tiens, tu ne bébé… bégaies plus ? Joseph : Alors, ce perroquet, ça vient ?Ange : (Remontée sur sa hune) Epaves à tribord ! Des caisses !... Plein de caisses ! Qui flottent…Camille : Elles dérivent vers nous ?Ange : Non ! Elles s’éloignent.Robert : Monsieur Jean, on peut aller les chercher ?Pacôme : Il y a peut-être de la nourriture ?Yves : Du rhum… peut-être ?Robert : Des femmes, peut-être ? Tous : Tu nous agaces avec tes femmes. L’écrivain : Voyons, jamais je ne mettrai de femmes dans des caisses.(Joseph, la longue vue vissée sur l’œil, ne dit rien. Tous le regardent)Yves : Vous savez ce qu’il y a dedans, monsieur l’écrivain ?L’écrivain : Non, pas du tout. Ça, ça n’est pas mon histoire.Yves : On peut aller voir ?L’écrivain : Si vous voulez… Mais ne restez pas absents trop longtemps ! Si jetrouve une nouvelle idée, je ne voudrais pas la laisser partir. Tant pis si vous n’êtes pas rentrés, je continuerais l’aventure sans vous.Joseph : (A part) Pour ce qu’il nous donne comme aventure !L’écrivain : Allez ! Je sonnerais dans la corne de brume, si je dois reprendre votre histoire.Joseph : Les canots à la mer ! (A Camille) Toi, tu restes, pour garder le bateau !Camille : Vous n’oubliez pas, hein, si vous coulez ! Plié, tendu, écarté, plié… (Ils se préparent et sortent tout excités, sauf Camille. L’écrivain sort à jardin.

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III. Scène 7. Camille reste seule en scène, assise sur un cube. Un petit instant)Germaine : (Elle apparaît à jardin) Je suis toute secouée. J’ai du mal à m’en remettre.Camille : De la tempête ?Germaine : Non ! De Robert ! Le monstre, l’ingrat, le mufle ! Ah, ces hommes, ils sont tous pareils !Camille : Il a pourtant l’air bien gentil, Robert !Germaine : Lui ? Vous n’avez pas entendu ? Il m’a appelée : maman !Camille : (Elle lui fait signe de venir s’assoir à côté d’elle sur un cube) Et alors, moi aussi, mon mari, il m’appelle maman !Germaine : Votre mari ?Camille : Non, non ! Qu’est-ce que je raconte ? Non ! C’est moi qui appelle ma femme : maman ! Et je l’aime, ma femme ! On s’est fait cinq enfants…Germaine : Ah… quand même !Camille : Maman, c’est gentil, c’est tendre ! Non ? C’est mieux que ma chérie, ma poulette, mon colibri, mon oiseau des îles. On le dit à… toutes, ça, dans les ports… ça aide à oublier qu’on est loin des siens.Germaine : Alors, vous croyez que… lui et moi… ?Camille : Bien sûr… maman ! (Elles rient)Germaine : Merci ! Vous aussi, vous êtes gentil pour un pirate.Camille : Oh là, ne tombez pas amoureuse de moi ! Vous seriez déçue !Germaine : Il n’y a pas de danger ! Je tiens trop à mon petit Robert… Vous avezvu comme il sait boire le thé, maintenant !... On en fera quelqu’un de bien, autrechose que ces voyous de pirates !... Oh, pardon ! Je ne dis pas ça, pour vous !Camille : Oh, vous pouvez dire ce que vous pensez ! Moi, ça ne me gêne pas !... Germaine : Vraiment ?... Si j’osais, je vous inviterais à venir chez moi, boire…Camille : Merci ! Mais je garde le bateau. Je ne dois le quitter sous aucun prétexte…. D’ailleurs, j’entends du bruit. Ce sont sûrement mes complices.(Germaine repart côté jardin, en faisant un petit salut complice de la main)Germaine : Ah !... Surtout, ne dites rien à Robert !... ce sera notre petit secret. (Elle sort à jardin)

III. Scène 8(Les pirates rentrent à cour, la mine triste) Camille : Alors ? Vous avez trouvé de l’or, des bijoux ?Yves : Non !Camille : De la nourriture, des fruits, des légumes ?Pacôme : Non !Camille : Du rhum, du ratafia, des alcools défendus ?Ange : Non !Camille : Des femmes ?Robert : Oui !

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Camille : Alors, tu es content !Robert : Non !... C’étaient des mannequins… en bois, pour les magasins.Camille : Et c’est tout ?Joseph : Non !… Il y avait d’autres caisses !Camille : Ah ! Joseph : Des caisses pleines de livres… Des centaines de livres, des milliers de livres… Et sans images !L’écrivain : (Qui est revenu à sa table pendant ce dialogue) Alors, vous êtes revenus bredouilles ?Yves : Non !… J’ai pêché un maquereau et… pas bien gros. Joseph : Ce poisson. Il est à nous autant qu’à toi…Yves : C’est moi qui tenais le fil. C’est mon poisson. Je partage, si je veux ! Ange : J’ai pris un livre… L’Ile au trésor ! Ça peut lui donner des idées ! (Elle désigne l’écrivain.)Pacôme : Moi, j’ai rapporté “Robinson Crusoë”… Je me suis dit que ça pourrait lui être utile !... Si on s’échoue sur une île déserte… On ne sait jamais, ce qu’il va nous trouver…Camille : S’il trouve quelque chose. Pour l’instant, c’est… L’écrivain : Si vous vous taisiez un peu, je pourrais peut-être trouver une idée.Joseph : (A l’écrivain) Et si vous ne la trouvez pas, cette idée, je pourrais peut-être jouer un peu avec vous… au jokari ! L’écrivain : Attention Joseph ! Si vous me menacez, j’ai l’arme absolue ! D’un simple coup de plume, hop, je vous barre, je vous supprime. Adieu Joseph ! Votre sabre, vous voyez ce que j’en fais… (Il écrit) « Un coup de roulis fait tomber Joseph… Il perd son sabre qui glisse, qui glisse…Joseph veut le retenir, mais il glisse lui aussi vers le vide, il glisse vers l’océan profond… » (La plume en l’air) Alors Joseph, qu’est-ce que fais ? Je continue ? Ou vous vous calmez ?Joseph : (A plat ventre, en train de glisser. Il se relève) Bon, ça va ! Tant que vous l’avez votre plume, vous êtes intouchable… mais vous pouvez l’égarer, votre plume ! On peut vous la voler, votre plume ! A votre place, je me méfierai ! On est des pirates, ou pas ?Marthe : (Elle arrive de jardin) A votre place, je me méfierai ! Ce sont des pirates. C’est vous qui les avez rendus méchants comme ça.L’écrivain : Vous avez raison. Construisons un fortin. (Il renverse la table. Met sa chaise au milieu. Il place une plume à chaque angle. Toutes tenues par une ficelle, entourée autour des pieds. Marthe fait aussi le guet. Tous deux sont aux aguets, attentifs, une feuille et une plume à la main. Musique de Fort Alamo ?) Vous prenez le premier tour de la garde. …………………………………………………………….

III. Scène 9(A suivre)En demandant l’autorisation à l’auteur : [email protected].

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