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LA LETTRE DE L’IRMC Institut de recherche sur le Maghreb contemporain Sommaire IFRE-USR 3077 du CNRS EDITORIAL La vocation contemporaine des sciences humaines et sociales est de mettre leurs capacités d’interrogations et d’analyses au service de la compréhension de nos sociétés. A ce titre, les évènements qui touchent le monde arabe sont de nature à modifier nos représentations de sociétés civiles que nombre d’entre nous avait sous-estimées. L’IRMC dés janvier 2011, tout en maintenant ses actions doctorales ou ses recherches ici présentées sur la production foncière, les violences scolaires ou l’orientalisme, a souhaité adapter ses programmes et manifestations à cette nouvelle situation d’une Tunisie devenue un vaste laboratoire d’observation et d’expérimentation sociale au quotidien. A cet effet, les précédentes rencontres organisées sur la question autoritaire et le débat constitutionnel, seront relayées dans les jours et semaines à venir par d’autres sur les « nationalités », la transition institutionnelle, les recompositions religieuses et les mouvements sociaux en ligne. Nous avions, dans la précédente lettre, consacré un dossier aux premiers temps de la révolution tunisienne. Nous y avions réuni des témoignages de chercheurs et universitaires. La révolution n’étant pas un « moment » mais un long processus semé de discontinuités, nous avons souhaité poursuivre la première initiative et solliciter d’autres voix. Dans le dossier ici proposé sur La révolution tunisienne au prisme des sciences sociales, les témoignages de psychiatres, psychanalystes et gens de lettres côtoient ceux d’historiens, géographes, urbanistes, sociologues et politologues, qu’ils soient chercheur(e)s confirmé(e)s ou plus jeunes, doctorants et étudiants. La consigne donnée aux auteurs était de livrer leur réaction sur la situation, en utilisant leur façon de regarder, leur manière d’interpréter, voire leurs concepts les plus familiers sous l’angle de leur discipline et de leur « culture » professionnelle. En filigrane de ce dossier et de la richesse des informations produites, se profilent autant de questionnements utiles et propices à la mission d’éveil et de vigilance scientifiques qui incombe, et tout particulièrement dans la présente période, à notre communauté de recherche en sciences humaines et sociales. Pierre-Noël DENIEUIL Directeur de l’IRMC N° 6 Bulletin trimestriel avril - août 2011 p. 1 Editorial p. 2 Axes de recherches - « Mouvements sociaux en ligne, cyber activisme et nouvelles formes d’expression en Méditerranée », par Sihem NAJAR - « Processus de production foncière et immobilière dans le Nord du Grand Tunis : Politiques, acteurs et enjeux - Cas des projets d’Ennasr II et de Ain Zaghouan » , par Hend BEN OTHMAN p. 4 Actualités de l’IRMC - Compte-rendu du séminaire « L’Orientalisme et après ? », par Pierre-Noël DENIEUIL - Compte-rendu des journées d’études « Jeunesse et violence scolaire au Maghreb », par Gilles FERREOL - Compte-rendu des Doctoriales 2010 en SHS de Sousse, par Pierre-Noël DENIEUIL p. 7 Hommage à André Raymond (1925-2011) André Raymond, témoignage sur le directeur, l'entrepreneur et l'homme, par Pierre-Robert BADUEL André Raymond les études arabes en France et dans le monde perdent un grand savant, par Khaled KCHIR p. 8 La révolution tunisienne au prisme des sciences humaines et sociales Jellal ABDELKAFI, Amin ALLAL, Abdelkhaleq B’CHIR, Hélé BEJI, Chirine BEN ABDALLAH, Hend BEN OTHMAN, Hassan BOUBAKRI, Abdelmajid CHARFI, Hassen EL ANNABI, Alia GANA, Essedik JEDDI, Amira MOKDED, Nabiha JRAD, Swanie POTOT, Isabel SCHÄFER, Sihem TALBI, Ridha TLILI, Sofiane ZRIBI p. 24 Calendrier de l’IRMC et publications

avril - août 2011 LA LETTRE DE L’IRMC N° 6IRMC+6.pdf · LA LETTRE DE L’IRMC Institut de recherche sur le Maghreb contemporain Sommaire IFRE-USR 3077 du CNRS EDITORIAL La vocation

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LA LETTRE DE L’IRMC

Institut de recherche sur le Maghreb contemporain

S o m m a i r e

IFRE-USR 3077 du CNRS

E D I T O R I A L

La vocation contemporaine des sciences humaines etsociales est de mettre leurs capacités d’interrogations et

d’analyses au service de la compréhension de nossociétés. A ce titre, les évènements qui touchent le monde arabe sont denature à modifier nos représentations de sociétés civiles que nombre d’entrenous avait sous-estimées. L’IRMC dés janvier 2011, tout en maintenant sesactions doctorales ou ses recherches ici présentées sur la productionfoncière, les violences scolaires ou l’orientalisme, a souhaité adapter sesprogrammes et manifestations à cette nouvelle situation d’une Tunisiedevenue un vaste laboratoire d’observation et d’expérimentation sociale auquotidien. A cet effet, les précédentes rencontres organisées sur la questionautoritaire et le débat constitutionnel, seront relayées dans les jours etsemaines à venir par d’autres sur les « nationalités », la transitioninstitutionnelle, les recompositions religieuses et les mouvements sociauxen ligne.

Nous avions, dans la précédente lettre, consacré un dossier auxpremiers temps de la révolution tunisienne. Nous y avions réuni destémoignages de chercheurs et universitaires. La révolution n’étant pas un« moment » mais un long processus semé de discontinuités, nous avonssouhaité poursuivre la première initiative et solliciter d’autres voix. Dans ledossier ici proposé sur La révolution tunisienne au prisme des sciencessociales, les témoignages de psychiatres, psychanalystes et gens de lettrescôtoient ceux d’historiens, géographes, urbanistes, sociologues etpolitologues, qu’ils soient chercheur(e)s confirmé(e)s ou plus jeunes,doctorants et étudiants. La consigne donnée aux auteurs était de livrerleur réaction sur la situation, en utilisant leur façon de regarder, leur manièred’interpréter, voire leurs concepts les plus familiers sous l’angle de leurdiscipline et de leur « culture » professionnelle. En filigrane de ce dossieret de la richesse des informations produites, se profilent autant dequestionnements utiles et propices à la mission d’éveil et de vigilancescientifiques qui incombe, et tout particulièrement dans la présente période,à notre communauté de recherche en sciences humaines et sociales.

Pierre-Noël DENIEUILDirecteur de l’IRMC

N° 6

Bulletin trimestrielavril - août2 0 1 1

p. 1 Editorialp. 2 Axes de recherches

- « Mouvements sociaux en ligne, cyberactivisme et nouvelles formes d’expression enMéditerranée », par Sihem NAJAR

- « Processus de production foncière etimmobilière dans le Nord du Grand Tunis :Politiques, acteurs et enjeux - Cas des projetsd’Ennasr II et de Ain Zaghouan » , par HendBEN OTHMAN

p. 4 Actualités de l’IRMC- Compte-rendu du séminaire « L’Orientalismeet après ? », par Pierre-Noël DENIEUIL

- Compte-rendu des journées d’études« Jeunesse et violence scolaire au Maghreb »,par Gilles FERREOL

- Compte-rendu des Doctoriales 2010 en SHS de Sousse, par Pierre-Noël DENIEUIL

p. 7 Hommage à André Raymond (1925-2011)André Raymond, témoignage sur le directeur,l'entrepreneur et l'homme,par Pierre-Robert BADUEL

André Raymond les études arabes en Franceet dans le monde perdent un grand savant,par Khaled KCHIR

p. 8 La révolution tunisienne au prismedes sciences humaines et socialesJellal ABDELKAFI, Amin ALLAL, AbdelkhaleqB’CHIR, Hélé BEJI, Chirine BEN ABDALLAH,Hend BEN OTHMAN, Hassan BOUBAKRI,Abdelmajid CHARFI, Hassen EL ANNABI,Alia GANA, Essedik JEDDI, Amira MOKDED,Nabiha JRAD, Swanie POTOT, IsabelSCHÄFER, Sihem TALBI, Ridha TLILI, Sofiane ZRIBI

p. 24 Calendrier de l’IRMC et publications

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2 Bulletin trimestriel n° 6 avril-août 2011

A X E S D E R E C H E R C H E S

Contexte et choix du sujet

D ans les années 1970, les politiquesurbaines tunisiennes ont connu un

important redéploiement, lié à l’échec dumodèle d’économie planifiée. Le paysinstaure une politique économiqueessentiellement basée sur l’initiative privée,le désengagement progressif de l’Etat etl’ouverture aux marchés extérieurs.

La réorientation des politiques urbainess’est traduite, entre autres, par la préparationde nouveaux documents d’urbanisme, quiont prévu l’aménagement de vastes zonesd’habitat en périphérie, tant au nord qu’ausud et à l’ouest du Grand Tunis.D’importants quartiers périphériques ont étéédifiés dans les années 1970 et 1980, etproduits par un nouvel acteur public,l’Agence Foncière de l’Habitat, créée en1973 dans le cadre de cette nouvellepolitique de l’habitat. Ces projets d’habitatfurent sélectivement orientés vers les classesmoyennes. Ce nouveau mode de régulation atraduit la volonté de l’Etat de se constituerune clientèle sociale parmi ces classes. Maisà partir des années 1990, sous l’effet decontraintes internationales (mondialisation,injonctions de bailleurs de fond) et dunouveau contexte de libéralisationéconomique en Tunisie, les modes de fairela ville ont été modifiés.

Nous partons de l’hypothèse que ceschangements économiques et ces mutationspolitiques induisent de nouvelles modalités

d’intervention de l’Etat par rapport aulogement et traduisent de nouveaux modes derégulation en faveur de populations cibles.

Problématique de la recherche

Aussi bien dans le domaine de larecherche urbaine que celui de la pratiqueprofessionnelle, le modèle classique deproduction de l’espace est remis en question.Contrairement aux années 1970 et 1980,caractérisées par la prédominance del’intervention de l’Etat, les années 1990 et2000 ont été marquées par le désengagementde ce dernier de la production de l’habitat, lerecours accru au secteur privé et à denouveaux modes de faire la ville.

La problématique de la recherchedoctorale s’intéresse à l’articulation entre lesprocessus d’urbanisation dans le Nord duGrand Tunis entre 1970 et 2010 et les modesd’intervention de l’Etat par rapport à laproduction urbaine qui sont révélateurs desprocessus de régulation sans cesse renouvelés.Dans cette perspective, la dynamique urbaineactuelle se caractériserait par unrenouvellement des modes de production dusol urbain : Acteur jusque là omniprésent etomnipotent de la fabrication urbaine, l’Etatest aujourd’hui relayé par de nouveauxacteurs. De nouvelles formes de mobilisationapparaissent, donnant lieu à un partenariatpublic/privé dans la production tant foncièrequ’immobilière, et traduisant les nouveauxenjeux de la production urbaine.

Dans ce cadre, il nous a paru pertinentd’analyser le processus de production urbainede deux projets situés au Nord du GrandTunis, à savoir « Les jardins d’Ennasr II » àl’Ariana, et « Les Résidences et Jardins deCarthage » à Ain Zaghouan, au Kram. Cesdeux projets sont en effet des productionsfoncières publiques de l’Agence Foncière del’Habitat (AFH) qui sont intervenues à destemporalités différentes, dans des contexteséconomiques et socio-politiques distincts.

Terrains objets de la rechercheLe premier projet, celui d’Ennasr II, est

un lotissement de 216 hectares, qui est situéau Nord du Grand Tunis, dans la communede l’Ariana. Son intérêt particulier résidedans le calendrier : lancé en 1977 (phase deplanification), conçu en 1986, Ennasr II est,en 2010, encore en cours de réalisation. Dece fait, ce projet se trouve à cheval sur deuxpériodes-clés des politiques tunisiennes del’habitat : celle, antérieure aux années 1990,caractérisée par la prédominance del’intervention de l’Etat et celle, postérieure,durant laquelle un recours accru est fait ausecteur privé et où sont expérimentées desformes de partenariat public/privé dans laproduction tant foncière qu’immobilière.

Le deuxième projet, celui des« Résidence et Jardins de Carthage » à AinZaghouan, est un lotissement de 310hectares, programmé par l’AFH en 1994,qui a été viabilisé dans les années 2000 et quiest encore en vente en 2010. Il est situé enpériphérie, dans la banlieue Nord de Tunis,et fait partie du territoire de la commune duKram. Il a été implanté à proximité desopérations de standing des Berges du Lac, etconstitue la dernière opération de l’AFH auNord-Est du Grand Tunis. Cette situationstratégique lui a conféré un statut particulierqui a exacerbé les enjeux et les négociationsentre les différents acteurs intervenants.

Analyser les processus de productionfoncière et immobilière de ces deux projetsurbains de l’AFH permet de rendre comptedes mutations de l’action publique urbaineset des modes d’intervention de l’Etat.Le désengagement relatif de l’Etat dénotepar ailleurs d’une réorientation de laproduction de l’habitat en faveur des classespopulaires, révélatrice du rôle de régulationsociale et d’intégration que détient l’Etat.

Hend BEN OTHMAN

PROCESSUS DE PRODUCTION FONCIÈRE ET IMMOBILIÈRE DANS LE NORD DU GRAND TUNIS :POLITIQUES, ACTEURS ET ENJEUX. CAS DES PROJETS D’ENNASR II ET DE AIN ZAGHOUAN

Hend BEN OTHMAN est doctorante enurbanisme à l’ENAU/Tunis. Elle travaille ausein du programme de recherche AUF/IFPO« Médiation publique dans les métropoles duMaghreb et du Moyen-Orient : concurrencefoncière et accès au logement (Amman,Beyrouth, Casablanca, Damas, Istambul, LeCaire, Teheran, Tunis) ». Elle a rejointl’équipe de recherche de l’IRMC en tant queboursière moyenne durée.

L’Institut de recherche sur le Maghreb contemporain (IRMC) est uncentre de recherche en sciences humaines et sociales, à vocationrégionale, dont le siège est à Tunis. Créé en 1992, il est l’un des27 Instituts français de recherche à l’étranger (IFRE) placés sous latutelle du ministère des Affaires étrangères et européennes et, depuis2000, du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, etdu Centre national de la recherche scientifique (CNRS) dont il constitueune Unité mixte (USR 3077). Un conseil scientifique participe àl’orientation et à l’évaluation de ses activités. Un Comité mixte de suivifranco-tunisien des activités de l’IRMC se réunit chaque année.

L’IRMC contribue, en partenariat avec la communauté scientifiquenotamment maghrébine et européenne, au développement de la recherchesur le Maghreb. Ses champs disciplinaires sont : anthropologie,démographie, droit, économie, études urbaines, géographie, histoire,sciences politiques, sciences sociales appliquées aux lettres, à laphilosophie et à la psychologie, sociologie.

Ses programmes participent aux débats des sciences humaines etsociales dans une perspective comparée, à l’échelle régionale etinternationale. Il organise des formations doctorales, des colloques,des séminaires internationaux et des conférences. Il accueille deschercheurs, des boursiers et des stagiaires maghrébins et français, encoopération avec les institutions des pays concernés.

Sa Bibliothèque est ouverte à un large public d’universitaires,doctorants, étudiants, boursiers et stagiaires étrangers. Elle permet laconsultation sur place de livres et de revues spécialisées (plus de28 500 ouvrages et 2 300 titres de revues).La valorisation de ses travaux de recherche représente aujourd’hui uncatalogue de plus d’une cinquantaine de publications collectives oud’auteurs, chez différents éditeurs (dont sa publication annuelleMaghreb et sciences sociales).

L ’IRMC est actuellement dirigé par Pierre-Noël DENIEUIL. Site internet de l’IRMC : http://www.irmcmaghreb.org.

L’IRMC

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Bulletin trimestriel n° 6 avril-août 2011 3

L es divers réseaux sociaux àcaractère a-topique et

déterritorialisé qui structurent aujourd’hui lepaysage virtuel génèrent de nouvellesconfigurations de sphères publiques où semanifeste un « agir communicationnel »(Habermas) dont les retombées sociales,économiques, culturelles et politiques nesont plus à démontrer. Le cyberespace quiinitie une dynamique globale ettransnationale permet à des acteurs sociauxd’aller au-delà de l’espace habitueld’expression, d’interaction et de négociation,pour investir un nouvel espace-tempscitoyen. Il est de plus en plus admis que laproduction, la circulation et l’échange desinformations via les réseaux sociaux virtuelsest une composante essentielle de lasocialisation et de la mobilisation citoyenne.En tirant profit du développement galopantdes technologies de l’information et de lacommunication (TIC), les potentialitésmobilisatrices s’engagent dans des actionsqui touchent à des domaines d’interventionaussi divers que l’environnement, ledéveloppement local, le développementdurable, les droits de l’Homme, l’égalitéentre les sexes, la liberté d’expression, etc.

Qu’il s’agisse de réseaux télématiques quinaissent à travers les échanges électroniquesentre militants, ou de communautésnumériques qui prolongent celles qui sontactives sur le terrain, l’objectif étant dedéfendre des intérêts et d’exprimer desrevendications. Le cyber activisme tire salégitimité du fait qu’il instaure et mobilise desréseaux télématiques en vue d’agir sur laréalité sociale et de défendre une cause

commune. L’intérêt de cet engagement àdistance réside, d’une part, dans le fait qu’ilest enraciné dans la réalité sociale et, d’autrepart dans sa capacité à constituer et àmobiliser des groupes de pressionstransnationaux et décentralisés. L’engagementcitoyen s’est depuis longtemps déroulé sur leterrain et avec le développement croissant desTIC s’est trouvé, d’une façon massive, doubléd’un cyberespace polyvalent et multi varié.Ainsi, le cyber activisme et les diversmouvements sociaux en ligne tendent àdéboucher sur des mesures et des procédurespropres à la vie réelle. De telles actions sontd’autant plus importantes qu’elles permettent

d’élargir lechamp de participation et derendre la contribution de certains activistes etcyber citoyens possible et visible. Enexemple, des diasporiens exclus du cercle dupouvoir et de la prise de décision peuvents’exprimer à travers des réseaux sociauxvirtuels et contribuer à l’orientation del’opinion publique et à la mobilisation socialeet politique. En outrepassant les frontièresmatérielles, les acteurs en question se serventd’une base (plateforme) transnationale pouragir à distance sur la réalité sociale de leurpays. Par ailleurs, il est important de soulignerque le cyberespace permet aux acteurssociaux de jouir d’une grande marge demanœuvre et surtout d’échapper au contrôleauquel ils sont habituellement exposés.

Reste à montrer que les mouvementssociaux en ligne et le cyber activismedéveloppent de nouvelles formes

d’expression qui leur permettent de jouerpleinement, et de manière efficiente, leur rôlede mobilisation sociale et politique. Plusconcrètement, l’engagement citoyen etl’action sociale sont essentiellement basés surla production et l’échange des informationssous forme d’images, de sons et de texte. Lesrevendications sociales sont de plus en plusexprimées à travers des supports aussi diversque des caricatures, des séquences-vidéosproduites par des citoyens profanes, despétitions et des manifestations en ligne, descommentaires et des messages échangés surla plateforme numérique (Facebook, blogs,mails, Tweeter, forums de discussion, etc.),des chansons engagées ou révolutionnaires,etc. Il est certain que la nature et le contenude ces différents supports varient en fonctiondes acteurs sociaux et des groupes concernés(des étudiants, des lycéens, des militantspolitiques, des syndicalistes, des militantsdans le domaine des droits de l’homme, etc.).

En quoi l’Internet, avec la panoplie deréseaux sociaux qu’il offre, peut-il ouvrir desespaces légitimes de participation, derevendications et de protestations ? Dansquelle mesure les cyber citoyensparviennent-ils à orienter à distancel’opinion publique et à agir sur la réalitésociale ? Comment les cyber activistespeuvent-il surmonter l’obstacle de la fracturenumérique pour assurer une mobilisationsociale et politique à grande échelle et évitertoute forme d’exclusion sociale ? En vued’amorcer des réponses à ces questions, troisaxes thématiques seront privilégiés dans lecadre des journées d’études organisées parl’IRMC les 24 et 25 juin 2011 : les mouve-ments sociaux en ligne et les nouvellesformes d’expression contestataire ; les cybercitoyens, les groupes de pression et laproduction d’un nouvel espace public ; lecyber activisme au service du dévelop-pement local.

Sihem NAJAR

A X E S D E R E C H E R C H E S

MOUVEMENTS SOCIAUX EN LIGNE, CYBER ACTIVISME ET NOUVELLES FORMES D’EXPRESSION EN MÉDITERRANÉE

Arrivées à l’IRMC

Nadia Sahtout est géographe, elle travaille sur « l’eauurbaine dans les villes : le cas du grand Sousse », dans lecadre du partenariat IRMC au programmeMeRsi/AUF/CEDEJ « ville durable au sud de laméditerranée ». Elle a rejoint l’équipe de recherche del’IRMC en tant que boursière moyenne durée.

Nadia Benalouache a rejoint l’IRMC en accueilscientifique. Elle est étudiante en master 2 de géographie àl’université Aix-Marseille. Son mémoire de recherche, sousla direction de Sylvie Daviet, s’intitule « Nouvelentreprenariat et dynamisme transméditerranéen dans lesecteur des énergies renouvelables en Tunisie ».

Alain Messaoudi est historien à l’EHESS-Paris, il a rejointl’équipe de l’IRMC en accueil scientifique dans le cadre d’une enquête dans les départements d’histoire et de

langue arabe des universités tunisiennes sur les usages de laproduction « orientaliste ».

Ophélie Arrouès est étudiante en master 2 de littérature arabemoderne à l’INALCO (Paris). Son mémoire de recherche s’intitule« Genres, généricité et processus de création littéraire dans unjournal arabe du début du XXe siècle : al-Shabâb de MahmûdBayram al-Tûnisî ». Elle a rejoint l’équipe de l’IRMC en tant quechercheure associée.

Jan Jansen est doctorant en histoire à l’université de Konstanz(Allemagne). Sa thèse s’intitule « les politiques commémoratives etl’espace public en Algérie coloniale (1840-1950) ». Il a rejointl’équipe de l’IRMC en accueil scientifique.

Irène Carpentier est étudiante en master 2 de géographie àl’université de Paris 7. Son mémoire de recherches’intitule : « Le développement territorial durable, analyse comparéesur les oasis du sud tunisien (Chenini, Tozeur) ». Elle a rejointl’équipe de l’IRMC en tant que boursière moyenne durée.

IR

MC

I

NF

OS

Sihem NAJAR est sociologue etchercheure détachée de l’universitéTunisienne. Elle conduit à l’IRMC unprogramme intitulé : La communicationvirtuelle par Internet, la complexité desidentités et les transformations des liens

sociaux en Méditerranée.

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4 Bulletin trimestriel n° 6 avril-août 2011

C e séminaire organisé à l’IRMC le25 février 2011, s’inscrivait dans la

recherche critique, impulsée par FrançoisPouillon, sur la question de l’orientalisme vudu Sud. L’idée en était de montrer quel’orientalisme ne renvoie pas uniquement àdes démarches occidentales ou métro-politaines, et d'analyser alors « la manièredont les acteurs du Sud se sont réapproprié,fut-ce après une critique radicale, lesdifférentes versions (savantes ou culturelles)de l’orientalisme ».

Cette séance animée par FrançoisPouillon, rassemblait des chercheurstunisiens, en vue de la préparation du colloqueL'orientalisme et après ? Médiations,appropriations, contestations, qui se tiendra àParis les 15, 16 et 17 juin 2011. Lesparticipants ont évoqué les différents cas defigure d’un même processus de constructiond’un savoir sur l’Orient, puis sa réception etsa réappropriation par celui qui en estl’objet, et la production d’un autre savoir,comme un orientalisme retraduit, voireréorientalisé, par l’indigène.

De la construction de l’orientalisme àsa réception indigène. Les propositions surce thème renvoient plutôt à l’analyse de laconstruction d’un savoir orientaliste utile etrepris par l’indigène. Dans cette perspective,Alain Messaoudi (EHESS, Paris) propose dese pencher sur les usages et enseignementsde l’orientalisme savant, à propos del’Encyclopédie de l’Islam, s’intéressant ainsiau processus de la transmission desorientalistes et de leurs élèves. SihemMissaoui (Université de la Manouba) asouhaité traiter de la présence des premiersislamologues dans l’enseignement et larecherche universitaire, et voir comment desarticles dits « orientalistes » passent dans lesencyclopédies, « mais avec des fautes ouerreurs ». Ce qui y est dit sur l’Islam et surses usages peut-être récusé ou considérécomme idéologique. Se pose alors laquestion de l’efficacité de cette informationpour des musulmans de culture arabe.Comme l’a rappelé François Pouillon, lesintellectuels chinois estiment pour leur partque le travail effectué par les grammairiensorientalistes est sans grande utilité pour eux.Ce n’est pas le cas des grammairiens arabes,qui ont souvent repris les cadres etinstruments de la grammaire élaborés surleur langue par les occidentaux. Il y a icil’idée d’une réappropriation positive du faitque les travaux des orientalistes ont puenrichir les approches des grammairiensarabes, connivence résultant sans doute d’un

recours commun aux concepts etformalisations aristotéliciennes. Autreréappropriation positive, celle que desintellectuels indigènes peuvent réaliser surl’analyse des cultures et traditions populairesdu Maghreb, souvent méprisées par latradition savante, mais initiées par lesorientalistes. C’est le cas, par exemple avecle recueil du patrimoine musical produit parle baron d’Erlanger et ses informateurs.Selon Ahmed Khoudja (Université deTunis), ces traditions, jusqu’alorsmarginalisée dans la culture arabe, ont ainsiété promues par les folkloristes pour lesintéressés eux-mêmes. Quelle est l’histoirede cette patrimonialisation : comment cetteculture orale a-t-elle été récoltée et auprès dequels informateurs, puis transcrite ettraduite ? Quels ont été les enjeux politiqueset contextuels de ce savoir colonial à la foisrefusé (ou récusé) et pourtant utilementrepris durant la période des indépendances ?

D’autres travaux ont abordé la question del’orientalisme du point de vue du projet derapprochement avec les intellectuels locaux,qui en sous tend la réception. Pour ClémentineGutron (EHESS, Paris), il s’agirait, pourillustrer la mise en place du mythe national,d’étudier la production allogène d’unearchéologie nationale. Elle s’intéressenotamment à la figure de Paul-Albert Février,militant de la décolonisation, constructeur dela pré-indépendance algérienne et bâtisseurdes idées d’on Orient nouveau à l’ombre desEtats nations. Pour Youssef Cherif (Universitéde Tunis) il faudrait enquêter à Columbia aucentre des études pour la Palestine, dépositairedes travaux sur Edward Said, pour un état deslieux de l’influence de cet auteur-phare, del’histoire institutionnelle des « post-colonialstudies », et du projet idéologique qui lesstructurent.

Réception indigène et reconstruction del’orientalisme. D’autres analyses nousconfrontent à une réappropriation plusconflictuelle. C’est ainsi que MouldiLhamar (Université de Tunis) a proposé uneréflexion sur « L’orientalisme en Libye : unsavoir colonial indigène ? » Le projet est deréexaminer la manière dont les intellectuelslibyens ont reçu les études orientalistes sur lacolonisation - le grand corpus de De Agostinisur les tribus libyennes - et comment ilspeuvent les utiliser pour réécrire la « vraiehistoire » de leur pays. Ils remettent en causetout d’abord les modes de recueil et lavéracité de certaines informations quin’auraient « pas été données correctement parla société locale ». Ils posent par la suite laquestion de ce que les orientalistes ont faitavec ces informations, ce qui pose problèmemoins de l’information elle-même que lamanière dont elle est traitée et interprétée.Parfois, le traducteur reprend desinformations de la source orientaliste et enchange les entrées. Parfois aussi, « des chosesne sont pas traduites parce que considéréescomme non-conformes ». L’ensemble de cesopérations marque la capacité deréappropriation et de rétablissement dutraducteur face à ce qu’il estime être une« dérive orientaliste ». Ce qui soulève laquestion du droit de l’indigène à contester laréception orientaliste, mais aussi sa capacité àla reconstruire. Dans le même sens, KhaledKchir (Université de Tunis) entend travaillersur le livre de l’érudit allemand, Welhausen,dont le texte (1924) sur l’histoire du prophètea été traduit en arabe dans les années 1950.Le traducteur utilise alors les notes de bas depage comme lieu de restitution de sa parole,rétablissant les choses comme il les conçoit etselon sa vision d’un pieux musulman. Dansces différents exemples, le champ del’orientalisme est limité par ce qui peut sereconfigurer en arabe. Dans son mouvementde réappropriation par l’individu,l’orientalisme est l’objet d’une rectificationet d’une conversion ou correction del’information captée dans celle reconstruitepar le traducteur.

De la co-construction orientaliste à laréorientalisation. Il s’agit là de montrercomment l’indigène construit sa propreconscience et identité, indépendamment dela construction qu’en fait l’autre, mais nonsans quelque intervention extérieure de sapart puisque cela consiste souvent à enreprendre les productions. Comment se co-construisent les identités collectives aprèsl’orientalisme ? Mercedes Volait (CNRS,

A C T U A L I T É S D E L ’ I R M C

L ’ O R I E N T A L I S M E E T A P R È S ? « Le débat sur l’orientalisme fut lancé, il y a quasiment un demi-siècle, avec l’ère des décolonisations. Il est temps de prendre la mesure, historique, d’unprocès qui a surtout consisté à se demander si, sous ses différentes formes (littéraire, plastique, linguistique, architecturale, culturelle), ce champ de curiositéet d’érudition, ce registre d’activité créatrice, étaient fondamentalement inféodés à une entreprise de domination de l’Occident, dont la forme suprême devaits’incarner dans le colonialisme » (Pouillon & Vatin, 2010).

SÉMINAIRE ANIMÉ PAR FRANÇOIS POUILLON ET ALAIN MESSAOUDI - Tunis - 25 février 2011

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Bulletin trimestriel n° 6 avril-août 2011 5

Paris) va analyser le projet artistique ou desociété qui sous tendrait et regrouperait surle marché de l’art orientaliste, les achats descollectionneurs du monde arabe à destinationde leur société. De son côté Nabiha Jerhad(Université de la Manouba) montre, dans lecas du discours publicitaire et de l’imagetouristique, comment le décolonisé devientsujet et non plus seulement objet dudiscours, en proposant au touriste sa propreimage. Quelle image le tourisme national va-t-il restituer au touriste tunisien ou àl’autochtone qui regarde son proprepatrimoine ? Est-elle médiatisée par dessources et images produites ailleurs ? Ou est-elle conforme à sa propre représentation desoi (mais n’est-ce pas déjà unereprésentation médiatisée) ? Il s’agirait là, devoir comment l’orientalisme savant oufolklorique se réorientalise dans les échangesau quotidien (publicitaires, commerciaux) enrelation avec l’indigène lui-même.

C’est d’une telle « réorientalisation »qu’ont parlé plusieurs autres intervenants.A ce titre, Charlotte Jélidi (IRMC) soulignedes formes d’une « sur erlangidisation » deSidi Bou Saïd, en référence au Barond’Erlanger qui, contrairement à l’idée reçue,n’aurait pas imposé par texte de loi le bleu

des boiseries de ce village. De son côté,Kmar Bendana (Université La Manouba) aplacé ce processus de réorientalisation sur unterrain « Sud/Sud », en retraçant l’itinéraired’Abdellaziz Talbi qui a réincorporé uneculture orientaliste dans son combatpolitique puis intellectuel. Pur arabophone,sans accès direct aux langues européennes,il a utilisé les orientalistes traduits en arabe,intégrant aussi de nouveaux outils fournispas la sciences européenne (historiographie,psychosociologie etc…) notamment surl’écriture de la vie du prophète. Il est ainsimontré que l’orientalisme s’est diffusé etréincorporé dans les milieux arabes mêmequand ils n’y étaient pas convertis.

Dans le même souci de sortir de ladichotomie orientaliste/indigène, et derechercher les espaces de négociation où lesdeux se rencontrent, Abdelhamid Hénia(Université de Tunis) montre que lesorientalistes n’ont pas construit leur savoirjuridique avec des informateurs qui n’auraientété que des aides et auxiliaires externes. Ildonne l’exemple d’un savoir colonial juridicofoncier qui a été créé avec la colonisation. Ilexplique que cette science dite « coloniale »constitue elle-même le produit d’une co-construction interactive entre les juristes

français et tunisiens, une alliance entre cesdeux élites qui ont construit un savoirjuridico-financier dans leur double intérêt. Ilsont alors réagencé, en les reformulant et en lesmétissant, à la fois les concepts fonciers dudroit romain et de la pratique juridiquetunisienne. De la même manière, les Turcs, dutemps de l’empire ottoman avaient mariéentre eux les droits hanéfite et le malékitepour créer une juridiction foncièreavantageuse pour les citadins. Une telleapproche conduirait, selon le souligne Hénia,à « banaliser » l’idée d’orientalisme, enmontrant que le changement ne se réduitjamais à la seule intervention de facteursextérieurs venant gommer toute participationdes acteurs locaux.

Enfin, les différentes participations à ceséminaire ont bien montré à quel point cesanalyses du décalage entre le discours desorientalistes et leur réappropriation ourectification par les indigènes viennentenrichir la question de l’écriture de l’histoire etla perspective historiographique dans sa formetranscendante de « projet de moi vers l’autre »selon les formules du philosophe Husserl.

Pierre-Noël DENIEUIL

A C T U A L I T É S D E L ’ I R M C

JEUNESSE ET VIOLENCE SCOLAIRE AU MAGHREB

C ’est sur cette thématique, trèssouvent d’actualité dans les médias,

que se sont retrouvés à Tunis les 8 et 9 mars2011, à l’initiative de l’IRMC et duLaboratoire du changement social del’Université d’Alger, une vingtained’enseignants-chercheurs, de jeunesdoctorants et de professionnels du monde del’éducation afin de confronter grilles delecture et réalités de terrain. Plusieurs pointsforts ont émergé :

- le caractère pluridisciplinaire desapproches retenues, les perspectives démo-graphiques, sociologiques, anthropo-logiques ou historiques apportant chacuneleur pierre à l’édifice ;

- la triangulation des sources et des outils(corpus statistique, questionnaires,entretiens, observations in situ), lesparadigmes évoqués se référant à lamobilisation des ressources, aux analyses entermes de don et de contre-don ou, dans unevisée plus critique, aux concepts dedomination ou de légitimation ;

- des préoccupations d’ordreméthodologique (appréhension et mesuredes types de délits, fiabilité des donnéesrecueillies dans le cadre de la problématiquedu dark number) et définitionnel (qu’entend-on précisément par violence, incivilités… ?)

- le souci de développer, dans uneoptique tocquevillienne, une démarchecomparative prenant appui sur diversesétudes de cas ayant trait à la Tunisie, à

l’Algérie, à la Mauritanie, à la Libye ou à laFrance (Nord-Pas-de-Calais, Alsace).

Le programme de la manifestation étaitstructuré en quatre grandes parties. Dans unpremier temps, étaient proposés deséléments de cadrage portant sur lacaractérisation des échanges et des face-à-face dans les cours de récréation, conçuescomme espaces de jeu et d’opportunités(Tayeb Kennouche), sur la prise enconsidération de différents registres(physique, psychologique, verbal,symbolique) et de tout ce qui renvoie ausubjectif, au ressenti ou à l’intentionnel(Hayet Moussa), ou bien encore sur ledécryptage des spécificités socioculturelles(Mohamed Ahbiel) ou de la réceptionmédiatique (Kenza Dali).

Après cet éclairage, place aux pratiques etaux représentations qui les sous-tendent. Leseffets maître, classe et établissement occupent

ici une place centrale, de même que lesmécanismes de sélection ou d’orientation,lesquels peuvent conduire à la construction del’échec scolaire et à la réactivité des élèves, cesderniers s’efforçant de sauvegarder leur estimede soi, de nier dévalorisation et déclassementen renversant les stigmates dont ils sontporteurs (Dorra Mahfoudh). La perception del’équité, est-il souligné, apparaît centrale. Onretrouve dès lors les débats classiques autourdes inégalités ou des injustices, certainsprivilégiant les références à la « galère », à la« frustration » ou aux « cultures surmacadam », d’autres témoignant de leurintérêt pour les travaux de Pierre Bourdieu,de Christian Bachmann ou de François Dubet,sans oublier les contributions de Amartya Sen,de John Rawls ou de Charles Taylor.

Troisième moment clé : l’examen durapport à l’autorité, celle-ci impliquantrespect et vivre ensemble à travers un jeu deconsentements réciproques qui passe par laconstitution d’attentes morales conjointes etpar la transmission de savoirs reconnus(Bernard Jolibert). La « socialisation desjeunes générations », pour reprendre uneexpression qu’aimaient à employer EmileDurkheim ou Ferdinand Buisson, n’estpourtant pas chose aisée car on assiste deplus en plus à un « relâchement des valeurs »,à un « affaiblissement des normes » ou à un« effacement de la mémoire familiale »(Nourredine Hakiki), les enquêtes réaliséespar Saïd Ghedir dans le Constantinois et par

JOURNÉES D’ÉTUDES - Tunis - 8 et 9 mars 2011

© Quotidien national d'information, 21 Février 2010.

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6 Bulletin trimestriel n° 6 avril-août 2011

L ’IRMC a organisé à Sousse du 5 au9 décembre 2010, en coopération

avec le SCAC de l’Ambassade de France enAlgérie, et en partenariat avec le consortiumdes universités de l’Est algérien ainsi que leCERES (Centre d’études et de rechercheséconomiques et sociales) de Tunis, unesession de formation doctorale à laméthodologie de la thèse et aux techniques derecherche, pour les doctorants enseignantsuniversitaires. Cette session a rassemblé 30doctorants (13 tunisiens, 11 algériens,4 français, 2 mauritaniens), sous la tutelle de8 encadrants (5 tunisiens, 3 français).

Dans le cadre du passage au LMD desuniversités tunisiennes et algériennes, laformation des doctorants issus de l’anciensystème devient essentielle. La session s’estadressée à des enseignants universitairesinscrits en 3ème et 4ème année ou plus, quioccupent des fonctions d’enseignants (Ater,assistants, maîtres assistants) devantterminer rapidement leur thèse et avec, pourles doctorants algériens, nécessité de fournirun article scientifique à l’appui de leurdossier. Cette session doctoriale s’est situéeen continuité de la précédente organisée en2009 à Hammamet, et a intégré 12doctorants de la première session,capitalisant ainsi les résultats antérieurs etassurant un accompagnement continu,mieux adapté aux besoins des étudiants.

Le stage a compris deux volets : 1. Un accompagnement théorique et

méthodologique aux doctorants, afin de lesaider à finaliser leur thèse.

2. Une formation en matière de rédactiond’article scientifique à partir de la thèse encours.

Les interventions dans le cadre desséances plénières ont été axées sur lesexpériences de chercheurs confirmésconcernant : les règles déontologiques de larecherche à l’heure des nouvelles technologiesde l’information et de la communication ; lafinalisation de la thèse ; la consultation desrevues ; les techniques d’approche des revueset les enjeux de publication.

Les thématiques des sujets de thèse sesont avérées novatrices et au cœur desenjeux contemporains : l’aménagement etles périphéries des villes, civilités etdéveloppement durable, mobilités etmigrations en Méditerranée, les nouvellesformes entrepreneuriales (centres d’appels),les enfants face à la mort (décès, orphelinat),les adolescents, les jeunes marginalisés, lesmaltraitances familiales, la violence scolaire,le voile et les représentations du corps,publicité et société au Maghreb, Internet, lesblogs et les réseaux de sociabilité étudiante.

Apports scientifiques. Une nouvelleformule d’école doctorale moins centrée surdes thématiques que sur des méthodologies.La confrontation pluridisciplinaire en SHSet le croisement des attendus métho-

dologiques entre : sociologie, anthropologie,démographie, géographie, histoire,psychologie, sciences politiques, droit eturbanisme.

Apport au doctorant. Prise de consciencede ses compétences et dépassement de sesblocages méthodologiques ; mise en situationde comparaison avec ses homologues ;meilleure inscription dans les réseauxinternationaux de la recherche ; renforcementde la relation étudiant/encadrant, au travers del’accompagnement d’enseignants chercheurs,réunis, c’est à souligner, bénévolement.

Apport organisationnel. La continuité etla capitalisation des expériencesindividuelles et collectives d’une sessiondoctorale (2009) à l’autre (2010) ; laconstruction d’un savoir-faire technique etorganisationnel sur la formation à la jeunerecherche et qui peut être reproduit dansd’autres contextes.

Apport en matière de coopération. Uneforme de coopération nord/sud passant par desrapports multilatéraux sur la région Maghrebet rassemblant l’IRMC à Tunis et le SCACd’Alger, dans une action multipartenariale(France, Tunisie, Algérie, Mauritanie).

Ces journées s’inscrivaient dans unevolonté de favoriser des espaces d’échangeseuroméditerranéens. De telles expériencesdoctorales contribuent à la structuration d’unréseau international de futurs chercheurs etde leurs encadrants. L’expérience pourraitêtre étendue à d’autres institutions derecherche et réseaux universitaires duMaghreb, en s’appuyant notamment sur lavocation régionale de l’IRMC.

Pierre-Noël DENIEUIL

DOCTORIALES EN SHS : FORMATION À LA MÉTHODOLOGIE DE LA THÈSE ET À LA RÉDACTION D’ARTICLESDOCTORIALES - Sousse - 5 au 9 décembre 2010

A C T U A L I T É S D E L ’ I R M C

Amadou Sall au sein de la communautépulaar de Nouakchott étant à cet égard trèsinstructives. La question du pouvoir ou de lagouvernance va ainsi de pair avec celle desstyles pédagogiques à promouvoir et, plusgénéralement, avec celle de l’articulationfamille/école/société (Fazia Ferraoune).

Le dernier atelier, consacré auxdispositifs et aux politiques de prévention, amis l’accent sur les processus de décrochageou d’absentéisme (Fatma Mediouni), lasituation dans les zones d’éducationprioritaires et le poids des contraintesorganisationnelles (Gilles Ferréol), lafréquence et le degré de gravité de tel ou telcomportement (Ahmed Mainsi), le sentimentde culpabilité ou de désaffiliation (ToufikBissekri), les dynamiques d’apprentissage oules stratégies parentales (Pascal Politanski).Des tensions plus ou moins vives peuvent dela sorte se manifester entre particularismeset universalisme, centralisation et

t e r r i to r ia l i t é s ,tradition eti n n o v a t i o n ,adaptation etréforme. Quellesque soient lesr é p o n s e sapportées, ilressort que cen’est pas lamultiplicité desa c t i o n sentreprises qui estgage decrédibilité ou

d’efficacité mais la disponibilité et la qualitéde l’encadrement, des règles du jeuclairement définies ainsi qu’une volontéd’explicitation, de cohérence et deconcertation.

Ces Journées, on le voit, constituent uneentrée de choix pour s’interroger sur le lien

social et la citoyenneté, la mixité et lasociabilité, la formation et les valeurs deresponsabilité ou d’engagement… Autant depistes qu’il conviendra d’approfondir cetautomne à Alger avec comme « feuille deroute » la nécessité :

- d’étoffer le matériau empirique(monographies, enquêtes longitudinales…) ;

- de faire montre de plus de technicitétant au niveau conceptuel que sous un angleplus méthodologique ;

- de bien décoder les discours, le plussouvent ambivalents, des différentsprotagonistes (lycéens, enseignants,personnels administratifs ou de surveillance,experts, décideurs publics…).

Les Actes de ce prochain colloquedevraient faire l’objet d’une publication,sous forme d’ouvrage, au printemps 2012.

Gilles FERREOLSociologue, Université de Franche-Comté

© Zenaba.com, 8 février 2008.

© Martine Hérin.

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Bulletin trimestriel n° 6 avril-août 2011 7

H O M M A G E À A N D R É R A Y M O N D (1925-2011)

Quand, nommé chercheur au CNRS,j’arrivais à Aix en 1979, j’y fus

généreusement accueilli par A. Raymond quiy enseignait depuis 1975. Son choix d’Aix àson retour de Syrie où il avait dirigé l’IFEAD(1966-1975) était sans doute motivé parl’existence d’un pôle d’enseignement et derecherches sur le Maghreb, le Monde arabe,l’Empire ottoman et la Méditerranée quis’était progressivement construit auxlendemains de la seconde guerre mondiale etdes décolonisations, autour – notamment - dequelques historiens de grand renom (R. LeTourneau, R. Mantran, L. Golvin, G. Camps,J.-L. Miège, J.-Cl. Garcin, …), de quelqueslaboratoires associés au CNRS (CRESM,LAPMO, GREPO, IHPOM, …) et dequelques publications périodiques (Revue del’Occident musulman et de la Méditerranée,Revue Méditerranée, Annuaire de l’Afriquedu Nord, Encyclopédie berbère,…). Lavenue d’A. Raymond devait cependantcontribuer à une montée en puissance de cepôle à la faveur de la création d’un institutfédératif limité aux mondes arabe etmusulman en substitution à une institutionplus large et moins intégrée, le GIS(Groupement d’intérêt scientifique)Méditerrannée (qui avec d’autres ambitionsdevait renaître ultérieurement avec laMMSH). Prenant appui sur le CRESM dontil fut nommé directeur en 1984 par MauriceGodelier, alors directeur scientifique dudépartement des SHS du CNRS, il devait eneffet fonder en 1986 l’IREMAM qu’il dirigeajusqu’en 1989. En 1987, avec le concours deJ. Leca, L. Valensi, … il créait enfin

l’AFEMAM, une association visant àorganiser à l’échelle nationale lacommunauté des spécialistes des Mondesmusulmans pour en défendre le champd’études face aux pouvoirs publics et enassurer une plus grande visibilité à l’échelleinternationale, en dialogue avec d’autresassociations nationales (MESA,BRISMES, …). Tôt, dès 1988, il sollicita sa

mise à laretraite desu n i v e r s i t é sfrançaises et ilalla terminer sac a r r i è r ed’enseignant àl’Institute forA d v a n c e d

Studies de Princeton (1988-1989). Jusqu’aubout de sa vie, jusqu’à l’épuisement de sesforces, il devait poursuivre ses recherches etentre 1988 et 2011 quasiment doubler lenombre des ouvrages de sa liste depublications.

D’autres que moi partageant sadiscipline ont dit et diront son apport àl’histoire du monde arabe, confirmant sansdoute le propos d’Albert Hourani, son maîtreoxfordien qui devait le reconnaître commeson égal. Je ne parlerai ici brièvement quedu directeur et de l’entrepreneur derecherche que j’ai connu de près durant monrattachement aixois : de 1980 à 1983 en tantque son adjoint à la ROMM puis en tant quechercheur au CRESM et à l’IREMAM qu’ildirigea successivement de 1984 à 1989,conservant par la suite un contact régulier

jusqu’aux derniers séjours qu’il fit à Tunis àl’invitation de l’IRMC, notamment pourl’écriture de Tunis sous les Mouradites paruen 2006. Je redirai ici pour l’essentiel ce quej’ai déjà écrit dans l’hommage que laREMMM lui rendit en 1990. Ceux qui ontconnu A. Raymond à la fin de la périodecoloniale savent qu’il fut dans sesorientations cognitives et dans ses choixmoraux de la trempe de son autre maître,Ch.-A. Julien. Homme de conviction, peut-être en partie à cause de cela, il fut aussi pourceux qui ont eu à travailler avec lui ou sousses ordres un homme exigeant à l’égard dechacun mais qui donnait lui-mêmel’exemple d’un travailleur acharné,méthodique et scrupuleux. Celui qui dirigeaavec beaucoup d’autorité et d’ascendantdiverses institutions savait, en grandentrepreneur, faire confiance aux individus,encourager les initiatives personnelles,laisser s’exprimer les talents, tout en lesorientant aussi au bénéfice de lacommunauté ou de l’institution. Quant àl’homme privé, il cachait une grandesensibilité qui affleurait parfois malgré lui.Au milieu des malheurs personnels qui nel’ont pas épargné, il fit preuve d’une forcemorale exceptionnelle qui a impressionnéses amis et ses collaborateurs de l’heure. Autotal, en ce qu’il fit comme en ce qu’il fut,A. Raymond laisse le souvenir d’un maître.

Pierre-Robert BADUEL Politologue, CNRS

ANDRÉ RAYMOND, TÉMOIGNAGE SUR LE DIRECTEUR, L'ENTREPRENEUR ET L'HOMME

A ndré Raymond s’est éteint le 18février 2011 -un mois à peine après

la Révolution tunisienne du 14 janvier- aprèsavoir partagé, souffrant, la joie desTunisiens. Avec lui, la Tunisie perd un grandami fidèle, qui a lié son destin au sien.

En 1947, à vingt deux ans, l’engagementcommuniste du jeune agrégé le mène enTunisie, où il a tenu à être nommé. Ilcommence sa carrière de professeurd’histoire-géographie au Lycée Carnot et semet à apprendre l’arabe. Soucieux des’immerger dans son milieu d’accueil, ildemande à enseigner au Collège Sadiki, où ilprend position pour l’indépendance de laTunisie, se démarquant des thèsescommunistes. Cette attitude courageuse luivaudra des déboires avec les autoritésd’occupation et des sanctions. Ce séjourengagé marque le début de l’attachementpolitique puis sentimental de l’humanisteRaymond à ce pays. Il sera suivi par undeuxième, au lendemain de l’indépendance(1957-1959), et de nombreux autres,toujours évoqués avec nostalgie.

Sur les conseils de son maître AlbertHourani, il fait ses premiers pas dans larecherche en préparant en 1954, un Ph D à

Oxford intitulé British Policy Towards Tunis,1830-1881, au Saint Antony’s College, travailresté hélas inédit. Sa thèse Artisans etcommerçants au Caire au XVIIIe siècle (1972)marque un tournant dans l’historiographie dumonde arabe moderne. Editée à Damas en1974, elle est rééditée au Caire en 1999, oùelle est traduite en arabe en 2005.

Féru d’archives, il a développé un goûtde la précision et de la nuance qu’il a sutransmettre à ses élèves, avec un esprittaquin toujours en éveil. Il a été un maîtreincontesté dans l’exploitation des documentsmanuscrits arabes envers lesquels sa quêtede l’authenticité et de la rigueur étaitinlassable : toute information devait êtrevérifiée et nuancée à la loupe.

Ses travaux sur les villes arabes et leurdynamique socio-économique (notammentson interprétation des waqfs-habous) restentdes références et des bases incontournablespour toute recherche dans le domaine.

Sa carrière de plus de trente ans dans lesuniversités françaises (Bordeaux, 1959-1966 ;Aix-en-Provence 1975-1988) et étrangèresmarquera des générations d’historiens et ledéveloppement de la recherche sur lesprovinces arabes de l’Empire ottoman.

Par son « rigorisme scientifique », il acontribué à une connaissance du mondearabe, et, tout en évitant de s’engager dansla polémique sur l’orientalisme, participé àle dépasser. Cela lui vaudra un hommagesolennel et une décoration au congrès duWOCMES tenu à Amman en 2006.

On ne peut terminer cet hommage sanss’arrêter sur les responsabilités et lesactivités du passeur entre les deux rives dela Méditerranée qu’il a toujours été, au seinde l’AFEMAM, à l’IREMAM (ex-CRESM)et des instituts français à Damas, au Caire età Tunis. André Raymond a été en effet un« ambassadeur » de deux cultures, d’un côtécomme de l’autre. A l’annonce de la créationde l’IRMC à Tunis, il n’a pas hésité à ycontribuer en publiant à Tunis l’éditioncritique et la traduction annotée des chapitresIV et V de l’Ithâf Ahl al-Zamân d’Ibn Abî al-Dhiyâf , 2 vol, 1994 (coédition Alif, ISHMNet IRMC). Tunis sous les Mouradites. Laville et ses habitants au XVIIe siècle publié àTunis en 2006 et présenté à l’IRMC, n’estautre que l’expression du retour d’unchercheur à ses premières amours.

Khaled KCHIRHistorien, Université de La Manouba

ANDRÉ RAYMOND, LES ÉTUDES ARABES EN FRANCE ET DANS LE MONDE PERDENT UN GRAND SAVANT

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8 Bulletin trimestriel n° 6 avril-août 2011

Le présent dossier prolonge celui livré dans La lettre n° 5. Aux lendemains du 14 janvier 2011, il en ressortait des lectures « à chaud ». Certainesmanifestaient l’intense émotion de « l’onde tsunamique » et du miracle de la liberté. Liberté de parler, d’écouter, de réinvestir l’estime de soi et le lien socialaffranchis de la peur. Plusieurs avaient voulu décrire ces « trente jours qui changèrent la Tunisie ». Ils y abordaient la place défaillante des élites, la« puissance révolutionnaire » des communications par Internet, le droit à la reconnaissance et à l’emploi, la voix des jeunes puis la « brise des steppes surle littoral ». D’autres avaient commencé à anticiper les promesses de « la boite de Pandore » et les défis à relever pour la révolution tunisienne.

Le dossier présenté ci-dessous s’inscrit dans la continuité du premier, mais dans un sens plus approfondi de l’analyse. S’y trouve toujours célébrée lajoie intérieure de l’identité retrouvée et de la parole réhabilitée, en proie à la liesse mais aussi à l’angoisse de « la mort du roi » ou d’un « citoyen sans l’Etat ».Des textes prennent le temps de s’arrêter sur les prémices des évènements, des révoltes de Gafsa au mythe de Bouazizi, puis sur leur déroulement, desslogans de la rue à la communication numérique des réseaux sociaux, du jeu des acteurs politiques aux stratégies des migrants puis d’une société solidaireconfrontée à l’exode libyen. Enfin, le lecteur y trouvera des analyses édifiantes tant sur les modalités de la « rupture » révolutionnaire, que sur les défis àrelever, et entre autres en matière d’inégalités socio-territoriales.

Pierre-Noël DENIEUIL

R É V O L U T I O N D E L’ O L I V I E R E N T U N I S I E

J ’ é t a i sparticulièrement

sensible à vos motsainsi qu’à vos pensées de

soutien et de solidarité avec lajeunesse et la population tunisienne de laTunisie profonde, qui ont construit cetteRévolution, ceci sans armes mais avecbeaucoup de cran et de courage, face à unegouvernance dictatoriale qui se donnaitcomme rempart, comme exemple et modèlesécuritaire à suivre contre tout risqueprésumé "de désordre et de dérive terroriste".

Cette jeunesse et cette population de laTunisie profonde a fait preuve d’une maturitépolitique et culturelle, s’adaptant àl’inexistence, au début, de tout cadrepolitique classique qui pourrait l’organiser,mais apte à user des moyens modernes de ceque l’on désigne de cyber-résistance... Cettejeunesse et cette population de la Tunisieprofonde a dû offrir son lot de martyrs,hommes et femmes, tués pour une grandepartie par des tireurs d’élite de la gardeprésidentielle, corps d’élite sous les ordresdirects de Ben Ali et de son bras droit, leGénéral Ali Seriati. Ce dernier a continué sonmassacre du peuple en vue de créer le chaoset de justifier la nécessité d’un rétablissementdu même pouvoir sécuritaire, ou à défaut,d’une nouvelle gouvernance prenant sonfondement à partir du même modèle demaniements sécuritaires des idéologies.

Cette Révolution de l’Olivier, plutôt quedu Jasmin (cette Tunisie profonde étant plusune région d’oliviers, de pommiers et deblé), vient à nous démontrer à tous quel’idéologie sécuritaire ne saurait constituerla base d’un mode de gouvernance (autre quefascisant et dictatorial) mais, comme lesoulignait déjà Ibn Khaldoun, l’ancêtre decette jeunesse tunisienne et de notre peuple,la sécurité se doit d’être un résultat, unaboutissement de l’exercice de la justice,dans le sens large de ce concept de ’Adl,c’est à dire la justice dans la répartition desrichesses, la justice dans la répartition desvaleurs économiques dans le cadre deséchanges des produits entre les cités et lescampagnes, la justice dans l’exercice pour

chacun de ses droits et de ses devoirs. C’estdans ce sens qu’il affirmait "al-’Adl assâs al-’Imran" (la justice est le socle et lefondement de l’urbanisme).

En nous offrant cette Révolution, avec cequ’il reste à faire pour la structurer et évitersa manipulation et une éventuelleréorientation..., la jeunesse tunisienne, nosenfants ont créé l’évènement avec sadimension régionale mais aussi universellepour nous révéler à tous l’inefficacité, nonseulement à long terme, mais même à moyenterme, de toute gouvernance qui se fonde surles maniements sécuritaires des idéologies,contrairement à ce que pouvait en penserMichèle Alliot-Marie à partir d’une Franceoublieuse des mécanismes et facteurs ayantengendré la Révolution française et laCommune de Paris (voir l’histoire de la

Révolution française par Louis Blanc,ouvrage qu’on a tendance aujourd’hui àrefouler sinon à forclore).

C’est aussi en ce sens, mais à un autreniveau que l’on peut comprendre le discoursde Kadhafi qui nous priait de l’écouter quandil clame que son ami Ben Ali demeurerait lemieux placé pour gouverner la Tunisiejusqu’à 2014, si ce n’est à vie. Mais, du pointde vue des peuples, on comprend que lespopulations maghrébines et arabes ontorganisé et organisent encore desmanifestations de soutien pour notre jeuneRévolution, au moment où lesgouvernements arabes demeurent silencieux.

C’est en ce sens que l’on peutcomprendre aussi le silence de tous lesgouvernements européens, qui adhèrent enpartie au maniement sécuritaire desidéologies comme mode de gouvernance enEurope même, ceci dans leur gestion de lacrise économique et de la crise de société enrapport avec l’absence de justice sociale dansla répartition des richesses et avec, chaquefois, la désignation de l’immigré comme s’ilétait responsable de la crise du capitalismefinancier en Europe, et de l’injustice socialecaractérisant (de l’aveu de tous leséconomistes) la gestion de cette crise.

Cette Révolution a déjà engendré enTunisie l’émergence d’une extraordinaireliberté d’expression. Nous commençons àassister à des débats particulièrement riches,même si les animateurs de ces débatséprouvent encore beaucoup de difficultés etde savoir-faire dans l’animation de cesconcertations de groupe. Mais, et c’estl’apport de cette Révolution, ils finiront paracquérir plus de professionnalisme. Quoiqu’il en soit, quelqu’un me disait au coursd’un entretien : "vous ne pouvez pas savoirce que c’est la "Hogra" (le mépris doubléd’une indifférence), il faut la vivre pour lesavoir...". Et encore hier, mardi matin, Mr.X.. me parlait quant à lui, comment toutesces manifestations dans les rues de Tunis,comment la gestion des problèmes desécurité dans les quartiers par des comités dequartiers, cela lui faisait peur et réveillait parmoments son angoisse, mais ceci sanspanique, au contraire, ajoute-t-il, "je me sensbien, je sens la "Fokhra" (la fierté) ; je mesens fier d’être Tunisien quand, à latélévision, je vois à travers différenteschaines des manifestations de soutien à laRévolution tunisienne".

A travers ces discours, cette Révolution aapporté aux Tunisiens les moyens desurmonter la Hogra ainsi que l’insoutenableétrangeté de se ressentir étranger, commel’aurait dit Tawhîdi dans Ghorbat al-Gharîb(L’Etrangeté de l’ étranger), de se ressentirétranger dans sa propre demeure, auprès dessiens, et étranger même dans et à son proprecorps.

Texte extrait de la lettre adressée par l’auteur le 23 janvier 2011 à l’association Alfapsy (et àson président, Paul Lacaze), en remerciements de son soutien au peuple tunisien

LA RÉVOLUTION TUNISIENNE AU PRISME DES SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES

© France Info, 27 janvier 2011.

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Bulletin trimestriel n° 6 avril-août 2011 9

LA RÉVOLUTION TUNISIENNE AU PRISME DES SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES

Cette Révolution a apporté et nousapporte, à nous autres Tunisiens, la Fokhra,la fierté, de réhabiter notre identité, deréhabiter notre corps, de réhabiter notredemeure, notre environnement, notre cultureet notre histoire, ceci pour nous réapproprierun discours historicisé et historicisant,ouvert sur autrui, acceptant la différence parelle-même comme source d’enrichissement.

Je ne peux que remercier la jeunesse

tunisienne et, parmi eux, mes propresenfants et petits enfants de m’avoir offert derenouer avec une flamme de militantisme,que j’avais depuis l’âge de 10-12 ans et queje croyais éteinte à jamais. Je les remercie dem’avoir offert aussi de vivre, avec eux, cesmoments glorieux sans avoir à prendre laplace qu’ils ont conquise, au prix quandmême d’une centaine de martyrs, sanscompter les blessés, surtout parmi la

population de Sidi Bouzid, de Thala, deRegueb et de Kasserine. Mais, restonsensemble tous vigilants pour préserver ladynamique évolutive de nos acquis, et pouréviter les dérives dogmatiques quellesqu’elles soient et, encore plus, pour éviter lesdérives sécuritaires.

Essedik JEDDINeuropsychiatre et psychanalyste, Tunis

De Gafsa à Sidi Bouzid

O n situe généralement l’acte deBouazizi comme le déclencheur de

la révolution tunisienne, en réponse à lamarginalisation, à l’injustice et au chômage.Révolution des chômeurs, dont les jeunesont pris le flambeau, guidés par une volontéde liberté, de dignité et de droit de vivre.Disons plus objectivement que cetterévolution a connu deux foyers dedéclenchement.

Avant Sidi Bouzid, il faut mentionner lesprotestations du bassin minier du phosphateà Gafsa en 2008. Les habitants de la régiony ont manifesté durant six mois sans queleur action n’ait pu trouver un écho sur leplan national. Ce mouvement de bassinminier visait à lutter contre la situation dechômage croissante dont souffrent les jeunesde la région de Gafsa. Il dévoilait la réellesituation économique et sociale demarginalisation et de pauvreté des citoyensdans une région supposée être riche. Le faitque l’État ait négligé les demandes desprotestataires a contribué à politiser lemouvement ainsi passé d’une demanded’emploi vers un mouvement politiquecontre la gouvernance de Ben Ali et contrela fuite de l’argent de Gafsa hors del’activité minière. Puis est intervenu lemouvement politique des syndicats et del’UGTT (l’Union Générale Tunisienne duTravail) visant à abattre une dictaturecoupable de vol. Il y a eu alors la flambéedes slogans réclamant un pays sans Ben Ali.Il s’en est suivi une guerre locale, entrainantvictimes et crimes, entre la police et lescitoyens de différentes délégations dugouvernorat. A cette époque, une majoritéde tunisiens n’était pas au courant de ce quipassait dans la région, voire n’avait pasentendu parler du mouvement du Bassinminier. Les médias tunisiens, contribuant àdissimuler le mouvement, avaient occultéces manifestations en déclarant seulementquatre meurtres dénoncés comme étant àl’origine des émeutes et comme commis pardes irresponsables fauteurs de troubles etmenaçant la sécurité... Cette voix de dignitéissue du bassin minier, avait été éteinte sousl’usage de la violence et de l’agressivité dela police.

Ces protestations qui ne s’étaient pasachevées en 2008, sont réapparues lors de ladéclaration du décès de Bouazizi, dans lesgouvernorats de Kasserine, Sidi Bouzid etGabes. À ce moment là, le mouvementn’était pas encore répandu sur tout leterritoire tunisien, et il fut porté par des élitesdont les avocats témoins de toutes lescorruptions et les criminalités de la familleprésidentielle ainsi que de l’usage des armespar la police tunisienne durant lesmanifestations. Tel fut le début de cettegrande éruption volcanique des tunisiens detout âge et catégorie socioprofessionnelle,guidés par leur patriotisme, leur amour dupays et leur solidarité.

Qui sera le martyr ? Dès le déclenchement des protestations

révolutionnaires, l’acte de Bouazizi a étéconsidéré comme le flambeau de larévolution, son nom a été scandé par tous lestunisiens comme celui du héros du pays, dusacrifice de la liberté, annonciateur du retourau droit de tout être social : avoir du travail,une vie digne et devenir respecté. L’on saitde ce héros qu’il était un vendeur ambulantde légumes, appartenant à une classe socialedéfavorisée et ayant grandi dans un milieumarginalisé situé à Sidi Bouzid au centreouest de la Tunisie. Il a été sacralisé commeune victime de l’ancien régime de Ben Ali,des inégalités sociales, du chômage, dudétournement économique, de la censure deslibertés d’expression suite à la gifle reçued’une femme membre de l’équipe decontrôle municipal, symbole de l’injusticeincontournable du pouvoir gouvernemental.

Depuis le 17 Décembre, personne nesavait où se trouve Fédia Hamdi la femmequi a giflé Bouazizi. Il a fallu attendre lemois de Mars pour découvrir qu’elle étaitprisonnière depuis le début de la révolution,observant une grève de faim afin d’êtreprésentée rapidement devant le tribunal.Plusieurs mouvements solidaires ont vouludéfendre cette femme sous le motif que sagifle n’était qu’une réaction pour se protégerface à l’irrespect des paroles scabreusesutilisées par Bouazizi. Outre l’acquitementrendu le 19 avril par le tribunal, pour unegifle qui n’aurait pas été donnée, Fédia vienten outre d’obtenir un nouveau statut et unenouvelle appellation : « le martyr est encoreen vie ». L’interprétation des faits prenddésormais un nouveau sens : lors du« moment révolutionnaire », ils étaientconsidérés comme une réponse à la dictaturede Ben Ali et au système politique abusif ;par la suite, ils ne deviennent que la réponsed’une faible créature n’ayant pas trouvéd’autre moyen de se défendre face à uneviolence verbale, que celui d’une gifle qui aété « représentée » comme la cause de larévolution. Gifle « construite » par lesreprésentations sociales, et finalementinfirmée par la confrontation destémoignages.

On constate ainsi la manipulation par uneaction de politisation d’un incident qui aabouti à la chute d’une dictature et à lalégitimité révolutionnaire d’un vendeur delégumes, aboutissant à la dépolitisation et àla stigmatisation d’une réaction conduite parl’instinct protecteur d’une femme devant desprovocations blessantes. Il s’agit d’unelecture des faits, et d’une transformation desrôles par la domination d’un groupe socialayant une influence majeure au nom de lavoix du peuple. Sous cette instrumenta-lisation politique des mots et des faits, sera-t-il possible de relever la vérité ? Bouazizidemeurera-t-il le martyr de la Tunisie oubien, avec la réhabilitation sociale de FédiaHamdi, sa situation changera-t-elle de celled’un martyr vers celle d’un simple hommemis en défaut ?

Amira MOKDEDEtudiante en Master, ISSHT, Tunis

PREMIERS « MOMENTS » RÉVOLUTIONNAIRES

© toprevolution.blogspot.com/

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10 Bulletin trimestriel n° 6 avril-août 2011

L a formule « révolution de jasmin »s’est très rapidement imposée chez

les commentateurs pour qualifier lesprotestations qui ont précipité la chute durégime de Ben Ali. Déjà employée pourqualifier le « coup d’Etat médical » de BenAli en novembre 1987, l’expression reflètebien le mythe exotique d’une Tunisie de lamodération, de la négociation et ducompromis. Toute une série de stéréotypesdéveloppés ici et là démontrent uneincapacité à saisir les dynamiquessociopolitiques affectant le pays depuis denombreuses années. D’où d’ailleurs unetendance à valoriser les explications de type« spontanéiste » et « conspirationniste »,comme si la révolution tunisienne était lefruit de l’activisme cyber-militant (mythe dela révolution Facebook), d’intrigues ausommet entre militaires et « colombes » durégime (mythe de la révolution de Palais) ouencore d’une intervention étrangère discrète(mythe de la « révolution orange »orchestrée par les Etats-Unis). De tellesexplications ont probablement une part devérité. Toutefois, elles ont tendance àentretenir le cliché d’une apathie politiquegénéralisée et corrélativement à euphémiserles formes de résistance populaire et decontre-conduites, voire de dissidences 1, dontles manifestations visibles ne sauraient selimiter aux événements de l’hiver 2010-2011mais qui renvoient à une temporalité bienplus complexe.

Une telle démarche nous incite à réviserla chronologie médiatique de ladite« révolution » et à penser les dynamiquesprotestataires à l’œuvre dans la sociététunisienne ces dix dernières années,conduisant à un épuisement progressif dessources de légitimité du régime Ben Ali 2 età un grippage de ses modes de contrôlesocial, dont la répression policière neconstitue qu’un registre parmi d’autres. Eneffet, si le phénomène de peur était bienprésent dans la population, il n’a pasempêché, le développement d’actes isolés dedésobéissance, les critiques larvées des« familles » au pouvoir coïncidant avec unmoindre engagement lors des cérémoniesofficielles comme, par exemple, lescélébrations du 7 novembre, commémorantle « coup d’Etat médical » de Ben Ali. Maisce qui est davantage significatif desdernières années du régime, ce sont lesactions collectives de contestation d’uneampleur inédite sous Ben Ali, dont lesprotestations du bassin minier de Gafsa en2008 sont l’épisode principal 3.

En effet, depuis les révoltes de 1984, laTunisie n’avait pas connu de mouvementssociaux aussi importants. A partir du 6janvier 2008, suite à l’annonce des résultatsd’un concours de recrutement de la

Compagnie des Phosphates de Gafsa (CPG),des habitants des principaux villages et villesdes centres miniers de la région du sud-ouesttunisien se sont massivement engagés dansune série d’actions de protestation qui ontduré plus de six mois, abouti à des centainesd’emprisonnement et fait des dizaines deblessés et trois morts. La dénonciation dumode népotique d’attribution des postes dela CPG avait réuni un nombre important dechômeurs (diplômés ou non), de leursfamilles, en bref de « militants » ad hoc detous bords. Dans la région de Gafsa, ce nesont pas des ouvriers, comme il a été parfoisdit, mais bien une majorité de « jeunes » pourla plupart sans emploi qui se sont mobilisés.

Les mobilisations à Gafsa sont« ancrées » dans des raisons d’être, desmodes d’énonciation et des relations socioéconomiques spécifiques à la région minière.Mais simultanément l’analyse de cesrévoltes 4 et de celles qui vont leur succéderdans d’autres régions de l’intérieur du pays,permet de mettre en exergue les traitssaillants de ces protestations fort éloignéesdes registres militants des activistes desdroits de l’homme de la capitale : un registrede dénonciation contre la corruption, unedétermination contre la fatalité du chômage,une mobilisation surtout de jeunes déclasséset une action collective peuinstitutionnalisée, en tout cas en décalageavec la classe politique d’opposition et ladirection de la centrale syndicale.

Un double clivage socio-territorial etgénérationnel caractérise ces actionscollectives. Une géographie politique etéconomique rapide de la Tunisie montre quela carte des disparités socioéconomiques sesuperpose à la « carte protestataire » de cesdernières années. Dans les régionspaupérisées du bassin minier de Gafsa dansle sud-ouest dès 2008, dans le sud-est à BenGardane en août 2010, dans la régionagricole de Sidi Bouzid en décembre 2010,ainsi qu’à Kasserine dans le centre ouest dupays en janvier 2011, se sont déclenchés deforts mouvements protestataires. Ces

mouvements, les données tangibles surlesquelles ils reposent et le sentiment depaupérisation qu’ils expriment, dévoilent ceque la Tunisie du « miracle économique » 5

élude : les disparités régionales, lamarginalisation économique et sociale depans entiers de la population, exclus dusystème de protection car exclus des circuitsde l’emploi. Mobilisations de ces régionspaupérisées donc, mais aussi actionsprotestataires de jeunes animés par unprofond sentiment de déclassement social etd’indignité.

En effet, lors du « momentrévolutionnaire » qui a vu la fuite de Ben Ali,les acteurs protestataires sontmajoritairement des « jeunes » de quartierspopulaires. Ils sont pour la plupart chômeursou occupent des métiers jugés dévalorisantet pénibles : ouvriers à l’emploi non durabledans les sociétés sous traitantes de la CPG,contrebandiers de Ben Gardane se battantcontre les aléas d’une économie de surviedépendant des douaniers, diplômés desuniversités face à la précarité de leur travaildans les centres d’appels des grandes villes,« garçons du quartier » éternels adolescentspassant leur journée dans les cafés, « tenantles murs » 6 et condamnés à une économiede la débrouille au quotidien. C’est cettejeunesse humiliée qui a été le moteur desmouvements de contestation contre lerégime.

Amin ALLALPolitologue, doctorant, IEP Aix en Provence,

Université de Nice

DES RÉVOLTES DE GAFSA À LA SITUATION RÉVOLUTIONNAIRE

1. Michel Camau, 2008, « Tunisie : vingt ansaprès. De quoi Ben Ali est-il le nom ? », L'Annéedu Maghreb, Paris, CNRS-Editions, 507-527.2. Vincent Geisser, 2008, « Tunisie : la questionsociale à l’assaut du régime », L’Encyclopédie del’état du monde, Paris, Éditions La Découverte.3. Amin Allal, 2010, « Réformes néolibérales,clientélismes et protestations en situationautoritaire. Les mouvements contestataires dansle bassin minier de Gafsa en Tunisie (2008) »,Politique africaine, n° 117, 107-125.4. Larbi Chouikha et Vincent Geisser, 2010,« Retour sur la révolte du bassin minier. Les cinqleçons politiques d’un conflit social inédit »,L’Année du Maghreb, Paris, CNRS-Editions,415-426.5. Béatrice Hibou, 1999, « Tunisie : le coût d’unmiracle économique », Critique internationale,n° 4, 48-56.6. Amin Allal, 2010, « ‘Avant on tenait le mur,maintenant on tient le quartier !’ Germes d’unpassage au politique de jeunes hommes dequartiers populaires lors du momentrévolutionnaire à Tunis », Politique africaine,

n° 121, 53 -67.

© Manifestation à Redeyef, dans la région minière

de Gafsa, juin 2008. D.R.

LA RÉVOLUTION TUNISIENNE AU PRISME DES SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES

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Bulletin trimestriel n° 6 avril-août 2011 11

LA RÉVOLUTION TUNISIENNE AU PRISME DES SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES

T oute analyse sereine, déchargée deconduits idéologiques ou de

perceptions anthologiques de la révolutiondu 14 janvier 2011 laisse percevoir uncertain nombre d’événements qui échappentà l’ordre du rationnel, aux scénariosprospectifs, voire même aux aspirationspolitiques des partis de l’opposition et dessyndicats contestataires. C’est ce qui s’estproduit : abattre une dictature, l’humilier,défaire tous ses symboles par des anonymes,par une dissidence informelle, par unejeunesse inattendue qui a fait tache d’huileau milieu des syndicats ouvriers régionauxtout particulièrement dans les régionsoubliées, une jeunesse qui s’est emparéed’internet sans demander l’autorisation àquiconque, une jeunesse qui a inventé« Dégage », un slogan inimaginablequelques semaines auparavant. C’est ce quia poussé l’opinion publique à se retournersoudainement contre le parti au pouvoir, leRCD, élargissant ainsi la sympathie à tousceux qui luttaient pour la démocratie. Parailleurs, l’organisation d’une résistanceimplacable partout, dans les quartiers, dansles villages et dans les villes a complètementtransformé le comportement de la sociétévis-à-vis de la peur et la servilité.

C’est dans cette atmosphère que lerégime politique de Ben Ali a été secoué parun mouvement populaire, massif quiaffichait au départ des idéaux humanistes,« dignité et justice »

N’est-ce pas là un miracle ? Certesd’aucuns diront à raison que cette révolutions’inscrit dans l’histoire, en étant la résultantede plusieurs combats et sacrifices assuméspar des dizaines de syndicalistes etd’opposants politiques tout au long de ladictature de Ben Ali. Cependant, cetteapproche historique classique exclut en

grande partie la dimension extraordinaire,miraculeuse d’un tel mouvement pour lesraison suivantes :

- Malgré tous les moyens répressifs dontdispose le pouvoir, le rapport de force n’ajamais été en faveur de ce dernier toutparticulièrement après les funérailles du jeuneBouazizi qui s’est immolé à Sidi Bouzid :

- La marche des régions sur Tunis est unepremière dans l’histoire du mouvementsocial depuis l’indépendance.

- La résistance dans les régions commedans la capitale s’articulait autour de deuxprincipes : l’autonomie de décision parrapport aux mouvements politiquesstructurés, et l’engagement collectif de tousles acteurs de la révolution.

- La volonté des manifestants et desrésistants d’affronter à tout moment la milicedu parti au pouvoir.

- L’impératif politique accompli, quiexige que face à un régime où l’idéologie, ladécision, la coercition, le capital, les mediasdemeurent monopolisés ouvertement par undictateur et sa famille, seul un soulèvementpopulaire généralisé soit en mesure de lechasser, l’écrasante majorité des tunisiensayant participé d’une manière directe ouindirecte au soulèvement.

- Enfin, la résistance s’est trouvée face àune armée faible, désorientée mal préparée,décapitée de ses chefs, tenue à l’écart et isoléepar Ben Ali lui-même. En réalité, l’arméetunisienne n’avait ni les moyens humains, nila logistique nécessaire lui permettantd’affronter la population. Sa neutralitéaffichée est en fait une forme de revanchecontre celui qui l’a humiliée pendant 23 ans,le général Ben Ali issu de ses propres rangs.

Tous ces éléments réunis et en y ajoutantl’éclosion de la chanson contestataire etl’émergence d’un humour pertinentridiculisant le régime avant même sa chuteont largement contribué à la construction dumiracle du 14 janvier.

En conclusion, la révolution a chassébeaucoup plus qu’un dictateur. Elle a mis finpour le moment à une idéologie populistemaléfique, rituel initié par Bourguiba quiconsiste à faire croire à la population que lerégime est immuable, éternel, plébiscité parle monde entier… Le miracle s’arrête là.

Aujourd’hui la question est de savoir sicette révolution « miraculeuse » sera enmesure de mettre à profit son génie pourréaliser la démocratie et la justice sociale…Rien n’est moins sûr : le miracle n’a jamaisété un argument historique et politiqueirréversible. Le principal facteur de prudenceest la faiblesse sociale et intellectuelle dumouvement démocratique lui-même. Quant àla seule certitude que nous pouvons avancer,c’est qu’aucune solution idéologique globalen’est en mesure de l’emporter à elle seule enTunisie, parce que la transition démocratiqueest avant tout la construction d’une sociétécivile avec tous ses différents liens sociaux,culturels, économiques et politiques.

Attention, le miracle ne se produitqu’une seule fois.

Ridha TLILIHistorien, Université de La Manouba

LA RÉVOLUTION TUNIS IENNE, UN MIRACLE DES TEMPS MODERNES

QUAND DIRE C’EST FAIRE : LA RÉVOLUTION TUNISIENNE, UN ÉVÈNEMENT DE LANGAGE FAIT L’HISTOIRE

A u moment où les Tunisienscommencent à parler le langage des

partis et des élections, il est bon de rappelerles énoncés de la révolution, ce premierréveil arabe pour la liberté qui a résonnédans toute la région et où les mots clés de sesslogans furent répétés. Initiée par unejeunesse que l’on croyait apolitique, cetterévolution a d’abord montré la vertuperformative du langage, sa capacité detransformer par le simple fait de dire unesituation politique longtemps considéréecomme le destin de certains peuples à vivresous la tyrannie. Aussi, la théorie du langagecomme action ne trouvera pas meilleure

illustration que dans les propos de HannahArendt, et la théorie du clash de civilisationsplus juste démenti que dans les mots des

slogans qui ont secoué la Tunisie et d’autrespays arabes dix ans après les événements deseptembre 2001.

La révolution comme événement delangage et événement politique

Ecrasés sous une chape de plomb desilence pendant 23 ans, les Tunisiens ontaccompli une révolution qui a abattu l’unedes dictatures les plus sévères de notre tempsavec pour seule arme le langage. Brève,pacifique, sans leaders, sans partis, larévolution tunisienne a réuni toutes lesclasses sociales autour de slogans qui ontcatalysé la haine d’un régime policier et

« C’est le langage qui fait de l’homme un animal politique, [...] les mots justes trouvés au bon moment sont de l’action [...] seule la violence brutale est muette »

Hannah Arendt

© canalstreet.canalplus.fr/arts/news/la-revolution-tunisienne-est-sur-les-murs-aussi.

© source : facebook merci le peuple ! merci facebook.

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12 Bulletin trimestriel n° 6 avril-août 2011

c o r r o m p u .Lorsque le murde la peur esttombé, laparole s’estlibérée. Et c’estcet événementde langage quia constitué enmême temps uné v é n e m e n tpolitique. C’est

une révolution qui a opposé à la répressionpolicière la performance langagière. Desmots longtemps tus, censurés ont été criés àhaute voix dans les manifestations, écrits surles pancartes et sur les murs de la ville aprèsavoir été écrits sur les murs de Facebook oùl’on a pu voir et entendre ce qu’on n’osaitpas se dire à soi-même. Ce fut unerévélation : l’impensable devient dicible etcommunicable.

Facebook est remercié pour sacontribution à la victoire. Il a anticipé etvalorisé le regroupement, la manifestationqui rend au peuple son autonomie en la luimanifestant.

La révolution « pour la liberté et la dignité » Alors que l’information officielle avait

déclaré que l’immolation par le feu deBouazizi était un « fait divers », la populationa mis en mots cet acte comme unedéclaration politique, un appel pour dénoncerune vie sans dignité et sans liberté où lecitoyen réduit à rien s’ anéantit. Les mots quifurent répétés durant les manifestationsétaient : « shoghl, horryya, karamawataniyya » (emploi, liberté et dignité decitoyen), des mots justes qui ont sonnél’heure de parler pour tout un peuple humiliépar la peur et l’absence de liberté. Le mot« emploi » a une connotation politique avanttout. Il dénonce la corruption et l’inégalité dela répartition des richesses. Il est glosé parcette précision : « Ce n’est pas une révolutiondes affamés 1» que nous voyons sur cetteimage. Nous ne sommes plus dans le cycledes révoltes du pain, comme le souligne l’undes plus célèbres slogans de la révolution:« Khobz w mé w ben ali lé » (du pain, de l’eau et pas de Ben Ali ). « Emploi » Ce mot afini par trouver son sens intégré dans les motsde « liberté » et « dignité » qui sont les seulsmarqueurs linguistiques de la révolutiontunisienne et ses repères fondateurs : desvaleurs universelles. Point de référence àl’islamisme, ni à l’impérialisme, ni aupanarabisme.

C’est cette nouveauté dans les mots desslogans des révolutions arabes qui a surpris.Le quotidien français Libération a signalécette nouveauté dans la couverture de sa

livraison du 15 janvier 2011 par le mot« horrya » écrit en arabe et en grandscaractères sur une photo de la manifestationde la veille qui a chassé Ben Ali du pouvoir.Sans doute pour la première fois, le mot« liberté » en arabe donne-t-il à voir, dans lalettre que les Tunisiens commencent à écrireavec ce mot, une nouvelle page de l’Histoire 2.Après eux, au Caire, à Sanaa, à Damas, … lesjeunes se sont soulevés pour exiger le départde leur gouvernant en scandant : « Horrya »,ou « ashaab youreed isqat an-nidham »(le peuple veut la chute du régime).

La thèse du clash de civilisations peut-elle encore résister ?

Nabiha JRADLinguiste, Université de Tunis

LA RÉVOLUTION TUNISIENNE AU PRISME DES SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES

FACEBOOK, UN OUTIL D’ IDENTITÉ POUR LA RÉVOLUTION

I nternet offre de plus en plus deservices aux particuliers, aux

entreprises, aux associations et aux acteurssociaux de différents âges et catégoriessociales. L’utilisation du réseau numérique yest devenue un moyen de participation sur lemode de l’éventuel et du virtuel. A cepropos, qu’est ce que facebook ? Quelle a étéla portée de ce réseau social sur la révolutiontunisienne ?

Sur facebook on crée un compte, une listed’amis, un profil, on y multiple les donnéespersonnelles sur sa page de démarrage.Chaque utilisateur, à partir des informationsrentrées dans son profil, y gère une véritable« identité numérique » qui intériorise son« identité individuelle » et favorisel’identification de soi dans la contribution àun champ social virtuel. Chaque site possèdeun espace de reconnaissance sur lequelchaque membre peut inviter un nouveaucontact et ainsi accroitre les réseaux desnouveaux adhérents du site visité.

Facebook constitue un espace desoulagement pour extérioriser nos idées, nosémotions, nos attitudes, nos envies, tout cequi constitue nos identités duales etassemblées. Bref, une identité plutôtschizophrène entre la réalité sociale quiimpose un contrôle de l’expression sur dessujets interdits tels les sujets politiques, et

une réalité personnelle par laquellel’utilisateur dévoile et construit sa nouvelleconception de soi dans la réflexivité socialeet sa validation par autrui. C’est dans cettemême expérimentation de soi, que l’onobserve la vie des autres, et que l’on sepositionne par rapport à leur existence.

Facebook a joué un rôle important dansle contexte tunisien. Tout d’abord par lesphotos qui ont été prises de Bouazizi en trainde se bruler devant la municipalité, imagespartagées sur facebook par son cousin, etayant un pouvoir d’influence. Cet incident,historique dans le cadre de la progression desrévoltes de jeunes dans les différentsgouvernorats, a renforcé l’exaspération et lacolère envers l’Etat dictateur. Le courant demanifestation a commencé à prendre del’ampleur grâce aux vidéos enregistrées pardes téléphones mobiles et partagées sur les

pages du réseau social. Facebook est ainsidevenu un vecteur de circulation d’uneinformation qui échappait au contrôle desautorités, plateforme d’échange qui a libéréla parole et mobilisé les énergies.

Facebook a été aussi un moyen decoordination d’actions collectives telles lesmanifestations. Il a de même constitué unoutil puissant pour contourner les barrièresmises en place par le pouvoir afind’empêcher les médias étrangers de couvrirles événements. Les vidéos filmées sur leterrain et diffusées sur Facebook ont étémassivement exploitées par les télévisonsétrangères (France 24 et Aljazira) pourrelater les faits sur le terrain et informerl’opinion publique internationale et nationalesur l’évolution de la situation.

Enfin, facebook est devenu un exutoiredes jeunes tunisiens dans l’intention des’exprimer et de publier des vidéos, desphotos voire des citations personnelles. Ils’est agi de dépasser un monde contrôlé etinterdit pour s’ouvrir à un autre monde,virtuel, auquel il est possible de s’identifierplus librement afin de réaliser notre propreliberté, liberté d’expression et de pensée, envue de construire une nouvelle Tunisie.

Sihem TALBIÉtudiante en Master, ISSHT, Tunis© nawaks.blogspot.com/2011_02_01_archive.html

1. Jacques Chirac, lors de sa visite officielle àTunis en 2003 avait déclaré « Le premier droithumain est celui de manger » pour vanter lemiracle économique de la Tunisie, crédo de tousceux qui défendaient le régime.2. Certains observateurs se sont empressés depenser que la démocratie peut s’exporter par lesmots. « Dégage » « un mot français pour uneinvitation à la démocratie ». Le Monde. MensuelNuméro 13. Février 2011. En réalité c ‘est un motque la mémoire collective a réactivé pourrevendiquer la liberté et la souveraineté du peuple,d’où le symbole du drapeau et de l’ hymnenational dans cette révolution vécue comme uneseconde indépendance voire l’ indépendanceréelle comme l’ont affirmé les révolutionnaires.

© Revue Libération, Liberte - Actualités et médias,

n° 9229, 15 janvier 2011.

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Bulletin trimestriel n° 6 avril-août 2011 13

LA RÉVOLUTION TUNISIENNE AU PRISME DES SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES

QUELLE PORTÉE DES RÉSEAUX SOCIAUX DANS LE PROCESSUS RÉVOLUTIONNAIRE ?

L a révolution tunisienne, cetterévolution de la dignité, venue suite

à un ras-le-bol du peuple et à sa décision devaincre sa peur a été également le fruit d’unconcours de circonstances, dans lequelInternet a joué un rôle prépondérant. Lespostures scientifiques et journalistiques quise sont exprimées sur le rôle à jouerd’Internet dans le « printemps arabe » se sontrévélées contrastées voire dichotomiques.D’une part celles qui attribuent au réseau desréseaux un rôle central dans les révolutionset vont même jusqu’à dire qu’il s’agit derévolutions 2.0. Et d’autre part celles quicondamnent et considèrent les premierscomme des cyber-utopistes, comme le faitEvgeny Morozov, un exilé biélorusse auxEtats-Unis, dans son livre récent au titreévocateur : The Net Delusion (l’illusion duNet). Il apparaît que si les réseaux sociauxn’ont pas « fait » la révolution, ils onttoutefois contribué à la porter, dans uncontexte historique et des structures socialesdonnées, au travers des expressionsphysiques de désarroi et de contestationpopulaires. Ces réseaux sociaux sontdevenus un « territoire libéré » pour lesjeunes Tunisiens, un pays virtuel où se disaitet se montrait tout ce qui pouvait déplaire aurégime de Ben Ali.

Du « terrain » aux réseaux sociaux.Devant la censure, le déficit d’informationsfiables et en l’absence d’une couvertureréelle des événements par les télévisionsnationales et internationales (mis à partquelques médias arabes dont Aljazeera), lesTunisiens, munis de leurs téléphonesportables, ont tout filmé et posté sur Internetdepuis l’immolation de Mohamed Bouazizi :des émeutes de solidarité avec ce jeune, enpassant par les manifestations et répressionset jusqu’aux blessés et morts, premièresvictimes de Kasserine. Ces informations ontété relayées par les internautes, usagers deFacebook, Twitter et autres sites et réseaux.A partir des smart phones avec Internet 3G,d’une connexion à domicile ou depuis lespublinets du quartier, la circulation desvidéos a contribué à rehausser lemécontentement et à mobiliser les masses.Leur reprise et diffusion en masse par les

télévisions internationales notammentAljazeera et Al Arabia leur a donné unvéritable écho populaire.

La mobilisation des cyberactivistes. Ladivulgation par WikiLeaks de documentsconfidentiels de la diplomatie américaine surla Tunisie, de même l’attaque des sitesofficiels du régime et le blocage de lamachine étatique par le Groupe de HackersAnonymous, afin de protéger cet espace derésistance de la cyberpolice, ont peut être

renforcé le rôle d’Internet comme pierreangulaire du processus révolutionnaire. Denombreux jeunes indépendants, actifs de lasociété civile et cyberactivistes, se sontmobilisés sur le net. Une dizained’événements et de pages facebook (appel àmanifester, appel à grève régionale puis àgrève générale le 14 janvier) ont été crééessur le réseau social. « Tout est passé parFacebook », témoigne une Tunisienne au siteNouvelobs.com, où le slogan « Partagernous sauvera » s’est érigé en règle. Quant àTwitter, il a servi pendant les « manifs »d’outil logistique pour les manifestants. Ilss’en sont servis pour envoyer des tweetsindiquant les rues bloquées par les forces del’ordre et proposant des itinéraires alternatifspour encercler le ministère de l’intérieur le14 janvier.

Un nouveau support de lacommunication. Au lendemain du 14 janvier,le rapport à sens unique télévision-Internet acédé la place à un rapport de va-et-vient,d’interactivité et d’interconnexion entre lesdifférents supports médiatiques. Internetservait auparavant de relais entre les médias :on y trouvait des extraits ou des émissionsentières de télé, de radio, des articles depresse. Internet est devenu aujourd’hui lasource privilégiée de l’information. Legouvernement de transition formé parMohamed Ghanouchi a créé les pagesfacebook du premier ministère, du ministèrede l’intérieur, du ministère des affairesétrangères. Le même Mohamed Ghanouchi,a accordé une interview pour répondre auxquestions des internautes, diffuséeuniquement sur Viméo, Youtube etFacebook. Le ministère du commerce et dutourisme a lancé sur facebook la compagne« I love Tunisia », un mois après la chute deBen Ali, le 14 février jour de la saint-Valentin reconvertie en Saint-révolution ; cesite avait pour objectif de soutenir et de

relancer le tourisme tunisien. Un logomilitant sur lequel on pouvait lire « I loveTunisia » a remplacé les photos de profilsdes facebookers tunisiens-tout comme ledrapeau avec l’accolade des mains dans lamobilisation d’avant le 14 janvier.

Ces réseaux ont mobilisé tout autant lesmasses que les communautés diasporiquesqui ont pu contribuer par ce biais, à ladiffusion de l’information et à la motivationde leurs compatriotes. Les images et vidéosdiffusées sur facebook ont permis égalementd’éclairer les rédactions occidentales sur laréalité des faits vécus. A ce propos, l’AFP adécrit Twitter et Facebook comme «descaisses de résonance de la révolte desTunisiens», dans «un flux ininterrompu quele régime n'est pas parvenu à contenir».

Un outil politique. Les manifestants dela Kasbah ont investi la toile à leur tour, parla mise en ligne d’un streaming live assurévia le channel Tunilive sur ustream.tv afin depermettre la transmission en direct de leursit-in contre le gouvernement de transition etde motiver les gens à venir, dans l’absenced’une couverture fiable par les médiasclassiques. Ces jeunes manifestants seproclamant protecteurs de la révolutiontunisienne, ont créé leur page facebookbaptisée l’« Union des pages de larévolution » (Ittihad Safahat Ethawraa) àtravers laquelle ils diffusent leurscommuniqués et appels à manifester. Et pourconsolider encore plus le rôle d’Internet dansla transition démocratique de la Tunisie,Mohamed Chaabane et Afef Amamou avecl’aide de deux étudiantes de l’InstitutSupérieur d’Informatique et deMathématiques de Monastir ont eu l’idée dedévelopper un logiciel permettant de voterpar Internet. Les réseaux sociaux de la toileont joué un rôle indéniable de relais del’information dans la révolution tunisienne,dans la mesure où la parole du peuple estdevenue davantage audible. Mais larévolution n’est pas terminée et les réseauxcontinuent à participer au processus detransition démocratique. Hier utilisé pour unseul but, celui de déboulonner Ben Ali deson siège, aujourd’hui les enjeux sontdifférents, les objectifs contradictoires etl’utilisation de l’Internet et notamment defacebook peut se révéler une arme à doubletranchant particulièrement dans la diffusiondes Intox et des rumeurs qui peuvent semerainsi la zizanie dans le pays. La maîtrise decet outil se situe désormais moins dans sesperformances et sa technicité, que dans lesmodalités citoyennes des usages que ferontdésormais les tunisiens de cette ingénieriesociale.

Chirine BEN ABDALLAHDoctorante, sociologue, IRMC/CNRS

© Jonathan-Simon Sellem – JSSNews

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14 Bulletin trimestriel n° 6 avril-août 2011

LA RÉVOLUTION TUNISIENNE AU PRISME DES SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES

PISTE POUR UNE LECTURE SOCIOLOGIQUE DE LA RÉVOLUTION TUNISIENNE : LES STRUCTURES, LES ACTEURS ET LA COMPLEXITÉ

U ne révolution n’est pas unmoment (un point de rupture).

C’est plutôt un processus (une tranched’histoire). L’on gagnerait à la pensercomme un long mouvement ou cycle dedéstructuration /restructuration qui est loind’être linéaire et ne s’inscrit pasnécessairement dans un schéma évolutif. Dece point de vue, une lecture sociologique nedoit pas se limiter a une approche descriptiveni se cantonner dans un schéma largedécrivant les déterminants historiquesstructurels régissant le mouvement social.

Face à un changement social brutal,l’analyste collé au sens commun risqueraitde faire fausse route tout comme l’acteur,collé à ses idéaux, risquerait la désillusion. Ilest donc impératif de saisir les faits dans leurcomplexité : de quoi, paradoxalement,conforter l’analyste et réconforter l’acteursocial et politique. La sociologie tunisiennedoit dans le nouveau contexte-pouvoirrendre opérationnel le concept de« complexité » à l’instar de la sociologieitalienne d’avant les années 90.

Au sens sociologique, la Révolution estune Crise. Mais le concept de crise a étébanalisé et approprié par le sens commun,incluant le discours politique et médiatique,au point de perdre toute valeuropérationnelle pour saisir la « complexité ».

Quels sont les déterminants de larévolution tunisienne ? Est-il permis derechercher des causalités simples etlinéaires ?

A priori, les traits structurels et objectifssuffiraient pour camper le schémathéorique : Le blocage relatif dudéveloppement ; les inégalités régionales ;la sclérose de l’appareil d’état ; leverrouillage dictatorial de la société civile ;l’absence de libertés ; les menaces dedéclassement au sein des strates moyennes ;les faibles perspectives d’ascension voire defixation socio économique sur un marché dutravail valorisant la précarité et la flexibilitéde l’emploi …

Ces traits illustrent certes le contextehistorique de la mondialisation et del’extraversion libérale depuis trois décennies

mais sont à retenir comme les descripteursmajeurs de la société tunisienne depuisd’indépendance.

Alors, pourquoi la Révolution (larupture) maintenant et pas plus tôt ou plustard ? C’est parce que à notre sens le pointd’inflexion est intervenu au moment ou tousles paradoxes ont atteint leur pointculminant. Je m’explique sommairement :

Les régions de centre ouest (Kasserine,Kairouan, Sidi Bouzid) ont « explosé » aumoment où elles ont commencé à connaitreun processus significatifde développement. Sousplusieurs indicateurssocio-économiques, lesrégions de l’intérieur etplus particulièrement lenord et le centre-ouest, ontconnu au cours de ladernière décennie, deschangements significatifsdes modes et conditions devie, illustrés par ledéveloppement des petitesvilles au niveau de « l’axemédian » (bande parallèleà ligne côtière dans uneprofondeur de 50 a70 km) : et le recul de l’habitat rural disperséet des formes anciennes de subsistance et depauvreté , l’extension du salariat et del’emploi féminin, une migration« pendulaire » exprimant des stratégiesmultiformes des ménages ….

Rappelons que le pouvoir déchu a inscritle développement de régions intérieurescomme un thème majeur de sa quête delégitimité socio –politique. Mais dans leslimites d’une politique de saupoudrage dudéveloppement fortement encadrée par lesréseaux clientélistes sous la coupe du RCD,à travers le Programme Régional deDéveloppement, les divers instrumentsd’appui à l’agriculture, à l’artisanat et à lamicro entreprise et les chantiers d’emploi.Dans ces régions à dominante rurales, unpeu plus qu’ailleurs l’Etat apparaît commel’extension du parti plutôt que l’inverse.

Dans la mesure où ce sont là les régionsles plus représentées au RCD (Donnéesvérifiables et existantes), l’explosionressemble à une crise interne de l’appareilsocio politique du parti-Etat au pouvoir dontl’UGTT n’était plus qu’une annexeturbulente et sous contrôle. Cette criseinterne est venue amplifier une crise socialeque l’élite politique locale a pour rôlehistorique de contenir et de retarder. Pourl’anecdote (…), les acteurs institutionnelscentraux (UGTT) du mouvement à SidiBouzid portent la seconde casquette RCD.

Dans le même sens, les régionsdéfavorisées de l’intérieur ont toujours étéles plus grandes pourvoyeuses de policiers.Les passe-droits accordés à la police et aux« militants » du parti et autres pôlessatellites de pouvoir, ont impulsé des acteurset des pratiques qui ont fortement noyautél’économie informelle et au-delà, et cecidans l’ensemble du pays. Les rivalités entreles différentes composantes de l’économiemaffieuse liée à la gestion du secteurinformel approchaient de leur point de

rupture. Le jeune marchand ambulantMohamed Bouazizi , s’est trouvé face à unesituation intenable : Il devait distribuerplusieurs « rachouas » à la fois.

Cette crise locale n’était en fait que lamanifestation d’une crise générale quiimprégnait l’ensemble du tissu social etinstitutionnel tunisien. Elle prend son sensdans une crise originelle ou congénitale delégitimité du pouvoir depuis 1987. Une criseliée non seulement au profil personnel dusuccesseur de Bourguiba mais aussi etsurtout au profil autoritaire et centralisateurdu pouvoir qui prolonge bien l’ancienrégime mais selon un modèle nouveau àforte connotation policière (« le changementdans la continuité » est un slogan récurrent).

Un modèle nouveau où le parti reste unpole de pouvoir mais doit désormaiscomposer avec l’appareil sécuritaire et leprolonger. Le parti versera le plus souventdans la surenchère dans la glorification de« Siyadet Errais » pour le rassurer sur sapertinence incontournable - en comparaisonavec la police- dans le quadrillage du pays.En milieu rural, et au niveau des petitesvilles de l’axe médian notamment, c’est leparti qui assure le mieux la fonctionpréventive sécuritaire. Il en tire plus d’auraauprès de la police, de meilleures placespour les « militants » provenant de cesrégions, davantage de pouvoir et unemeilleure part du gâteau national.

© Publié par Pakool, janvier 25, 2011.

© Beschuss, Tir tendu de grenade lacrymogène à Tunis, le 14 janvier 2011.

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Bulletin trimestriel n° 6 avril-août 2011 15

La machine clientéliste ne doit pas échappertotalement au parti.

Mais les pans les plus viables du« gâteau national » au niveau desquelss’échange l’essentiel des ressources(financières notamment) fait l’objet deconvoitises et de traitement particuliers. Ils’agit des activités et des acteurs liés àl’ouverture libérale et à l’émergence du groscapital privé structuré, que la mondialisationa porté à des niveaux inédits en Tunisie(sociétés, entreprises, groupes et holdings auniveau des secteurs clé).

Le pôle politique et le pôle économiqueentretiennent des relations d’inter-dépendance sur un fonds de méfiance larvée.Cette méfiance entre ces deux pôles est unprocessus ancien car depuis d’indépendance,le pouvoir central (développeur exclusif dela nation) a toujours vu d’un mauvais œill’émergence d’un entreprenariat national quiconstituerait l’embryon d’une bourgeoisienationale susceptible de prétendre aupouvoir (rappelons-nous le traitementréservé par Bourguiba aux acteurs politiquesréputés financiers, banquiers, chefs

d’entreprises, … et autres héritiers degrosses fortunes ; il ne semblait aimer nil’argent ni les gens qui en parlent, àcommencer par son propre fils) .

Or, le déficit de légitimité du pouvoirdéchu (et déjà déçu !...d’être aussi mal aimé)l’a conduit à la dérive maffieuse et à desrapports ambigus avec les pôles de l’argentqui ont ambitionné de se structurer commepôle de pouvoir prétendant à l’autonomie età la participation aux processusdécisionnels : La caste au pouvoir cherchaittour à tour à rivaliser , à soumettre auchantage, à ravager, à phagocyter ou à sesubstituer aux détenteurs de capitaux pourpeu qu’ils soient suspectés de désir ou descapacité de puissance. Les alliancesmatrimoniales ont servi parfois à exorciserla peur qui marquait les rapports entre le pôleéconomique et le pôle politique (mariagesentre le clan et le milieu entrepreneurial àcommencer par le « patron des patrons »)

Le clan au pouvoir vivait un doubledéficit de légitimité : D’un coté vis-à-vis dela population, perçu comme un pseudoleadership, et de l’autre coté vis-à-vis de la

classe des entrepreneurs, considéré commeacteurs parvenus disposant d’une fortuneindue qui se confond avec les ressourcespubliques.

Une sociologie de la complexité et desparadoxes doit intégrer dans la même unitéd’analyse les structures, les acteurs et lesprocessus qui les traversent. De ce point devue, la tendance totalitaire et la dérivemaffieuse en tant que processus, prennentappui sur les comportements stratégiques desdivers acteurs mais trouvent leur source dansles structures aussi bien organisatricesqu’idéologiques qui en constituent lesupport. C’est tout l’enjeu d’une sociologiede la complexité post révolution qui devraanalyser la dynamique des acteurs face à unensemble de processus interditsd’expression : l’islamisme, le régionalisme,le mouvement revendicatif syndical etpopulaire, la lutte des classes et la lutte desplaces désignant les enjeux de pouvoir.

Abdelkhaleq B’CHIR Sociologue, Monastir, INTES, Tunis

C ’est un lieu commun de faire de larupture avec l’ordre établi une

condition sine qua non de la réalisation de larévolution. Mais, la notion de rupture estmoins évidente à saisir qu’il n’y paraît. Ellen’est jamais définie définitivement, car c’estdans le feu de l’action qu’on fixe son plafondet toujours d’une manière provisoireen rapport avec le contexte. Il n’estpas exclu d’ailleurs qu’elledébouche sur la notion antinomiquede continuité.

En Tunisie, en l’espace dequelques semaines, la rupture achangé plusieurs fois de contenu. Lesuicide de Bouazizi a révélé lanécessité de rompre avec unepolitique de l’emploi aussiinefficace qu’inéquitable. Lesréactions maladroites et de toutefaçon tardives du pouvoir centralont scellé la rupture avec Ben Ali etson clan, avec pour mot d’ordre« plutôt crever que perdre sadignité ». Au lendemain de la fuite dudictateur, c’est au tour de la dictature, puisdu parti qui lui est associé, de tomber dans lecollimateur de la rupture. Du coup, avecl’appel à la démocratie, c’est tout le systèmepolitique qui est remis en question. Ainsi, lasuccession en un temps record des mots-slogans de la rupture : équité, dignité etdémocratie donnent-ils la mesure del’importance de la cassure entre gouvernantset gouvernés.

Cependant, comme dans la plupart desrévolutions, une autre rupture n’a pas tardé àse mettre à l’œuvre, cette fois-ci entrerévoltés et révolutionnaires, entre ceux qui,excédés par la radicalisation de lacontestation, entendent maintenant marquerle pas et ceux qui, emportés par l’élan, sont

décidés à aller de l’avant. Si la rupture recèlepour ces derniers un contenu positif, elledevient pour leurs contradicteurs synonymede déstabilisation, voire d’anarchie.D’aucuns se risquent même à gommer laradicalité de la rupture en réintégrant lephénomène révolutionnaire dans la longuedurée.

La recherche du temps perdu ou le retourà une période considérée idyllique fournitune autre dimension à la rupture, celle de la

continuité. Ce résultat paradoxal est, en fait,le résultat du passage de l’enthousiasme à lapeur. Peur de perdre des acquis, mais ausside provoquer un désordre social, défavorableà l’establishment.

Maintenant, il faut dire que rupture entemps révolutionnaire rime aussi avec

surenchère, du moins pour une catégoriede personnes, celle qui, paropportunisme ou par peur d’êtredémasquée lorsque sonne l’heure de lavérification des cursus, n’a pas d’autremoyen que de se saisir de la rupturecomme d’une arme de la dernièrechance. La notion de rupture se présentealors de plus en plus en filigrane,servant de prétexte à certainesidéologies ou de stratégies de gestiondes risques. Aussi, certaines rupturesréclamées apparaissent-elles commeartificielles, voire comme des leurres.

En fait, l’approche de cette notionest inhérente à l’étude des acteurs et desintermédiaires. Elle requiert de la part

du chercheur une analyse à la fois dudiscours et de la pratique des uns et desautres pour distinguer la rupture qui afavorisé une dynamique d’innovation decelle qui a suscité plutôt le besoin decontinuité, voire la restauration sous uneautre forme d’une situation pré-révolutionnaire.

Hassen EL ANNABIHistorien, CERES, Tunis

RÉVOLUTION ET RUPTURE(S)

LA RÉVOLUTION TUNISIENNE AU PRISME DES SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES

© AFP, Fethi Belaid.

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16 Bulletin trimestriel n° 6 avril-août 2011

LA RÉVOLUTION TUNISIENNE AU PRISME DES SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES

ACQUIS ET DÉFIS DE LA RÉVOLUTION TUNIS IENNE

L a révolution a révélé les tunisiens àeux-mêmes. C’est un phénomène

nouveau dans la mesure où le régime de BenAli a cassé tous les baromètres avec lesquelson pouvait mesurer les tendances de lasociété tunisienne. Tous ceux qui étaientsevrés de liberté, et d’expression, semanifestent parfois bruyamment. Et leremarquable est qu’ils apprennent eux-mêmes à prendre en compte les opinionsdifférentes exprimées par leurs concitoyens.Il est incontestable qu’il s’agit là d’uneconquête très importante, qui aura desrépercussions essentielles sur la viepolitique, mais également sur la vie socialedans tous les secteurs d’activité.

Mais aussi, cette révolution a permis audroit, dans le sens large et non technique duterme, d’être une locomotive de la société,de jouer un peu le rôle qu’il a joué au débutde l’indépendance avec la promulgation ducode du statut personnel. Le fait que la paritédans les listes électorales soit instituée avecune très large majorité, est révélateur du rôleque peut prendre le droit, et on constate parla même occasion que notre droit n’était pastrop au diapason de la société, voire plutôten retard par rapport à l’évolution desesprits. Cette question de la parité constitueune avancée dans la reconnaissance desdroits des femmes, et une première dans lemonde arabe et islamique.

Par ailleurs, la période que vit la Tunisiedepuis le 14 janvier n’a pas que des aspectspositifs. Parmi les manifestations négatives,il faut voir la surenchère que pratiquentbeaucoup de ceux qui étaient plus ou moinsimpliqués dans l’ancien régime, profitant decette situation pour s’octroyer une certainevirginité. Il y a là un vrai problème, surtoutau niveau des médias et des journaux quijuste avant la révolution ne faisaient quelouer l’ancien pouvoir. Dans les mêmesjournaux et médias, les rédacteurs maiségalement d’anciens responsables,deviennent les porte-paroles de larévolution, plus révolutionnaires que lesrévolutionnaires.

Au titre des aspects défavorables, onpeut également citer les décisions précipitéesauxquelles sont acculées les autorités,lourdes de conséquences pour l’avenir. Jepense particulièrement au recrutement decentaines de diplômés chômeurs dansl’enseignement sans s’assurer suffisammentà l’avance qu’ils répondent aux exigences dumétier. Quand vous avez un diplômé qui aobtenu son diplôme il y a dix ans et qui apratiquement tout oublié, c’est dangereux dene le recruter que pour des considérationssociales ou politiques.

Ces éléments positifs et négatifscaractérisent une période ouverte à tous lesscénarii. Personne ne peut avoir de certitudesur la tournure que prendront les évènementsaprès les élections, parce que, en l’absencede baromètres laissés par l’ancien régime,personne ne connaît les tendancesd’ensemble de la population.

L’on peut tout au moins dire que laTunisie se confronte à des problèmeséconomiques et qu’il y a lieu de réfléchir àun autre modèle de développement tenantcompte de la réalité tunisienne et descontraintes de l’économie mondialisée. Troisquestions se posent à ce propos: le typed’intervention de l’État à définir ; le rôle dela fiscalité qui doit être révisée de fond encomble ; la production des richesses,comment et par quels moyens, en tenantcompte des déséquilibres régionaux maisaussi de la rentabilité purementéconomique. Ces trois aspects sont liés. Ilne s’agit pas seulement de penser laredistribution de la richesse, il fautauparavant penser sa production. Ces défismajeurs sont structurels et non plusseulement conjoncturels.

On peut toutefois être optimistes dans lamesure où les décisions politiques etbureaucratiques seront prises sous les feuxd’une communication libre où l’opinionpublique, qui était jadis absolument excluede cette décision, aura son mot à dire. Car endéfinitive il faudra bien aboutir à un certainconsensus, explicite ou implicite, qui ne

devra pas être factice, de façade tel celuiproclamé sous l’ancien régime. Il sera larésultante des volontés libres, de gens quiadhèrent de leur plein gré et dans leurmajorité à ce modèle de développement.

Cela ne veut pas dire que d’autresproblèmes non moins importants ne seposeront pas dans l’avenir. En particulier deschoix d’ordre culturel, non moinsimportants, et qu’il faut actuellementaffronter. On peut résumer les défis qui s’yposent de la manière suivante : comment lesTunisiens apprendront-ils à se tournerrésolument vers le futur et ne seront plusobnubilés par le passé quel qu’il soit ? C’està la base de tout. Par passé j’entends le passérécent, le mouvement national de libération,les réalisations du pouvoir depuisl’indépendance, ou bien le passé lointain, lapratique historique de la religion ou lessymboles culturels qui étaient à l’œuvre dansles mentalités tunisiennes en général, parexemple le rôle des ulamas, le rôle du chef,la hiérarchie au sein de la famille. Tout cela,ce sont des symboles culturels et pasuniquement des réalités.

C’est tout un état d’esprit tourné versl’avenir qui permettra aux potentialités quiexistent chez les jeunes en particulier, des’épanouir, et notamment pour certains dansla recherche non seulement scientifique ettechnologique, mais dans les sciences del’homme et de la société. Autrement dit, ils’agit d’apprendre à se remettre en cause,d’avoir une attitude interrogative au lieu etplace de l’attitude dogmatique, savoir sedébarrasser de la théorie des complots. Cetteéventualité est maintenant possible. Si cetterévolution aboutit à un changement profonddans les manières de penser des Tunisiensdans tous les domaines, elle méritera alors lenom de révolution et non d’un simplesoulèvement ou évènement conjoncturel.

Abdelmajid CHARFIHistorien de la pensée islamique

(Propos recueillis par PND)© Photo : AFP/Fethi Belaid, Manifestants à Tunis.

© Photothèque Rouge/Akremi Mesbah, Tunis le 24 janvier 2011.

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Bulletin trimestriel n° 6 avril-août 2011 17

A Tunis, quelle foule sur l’avenue !Pas celle des employés qui se

rendent à pas pressés à leurs bureaux, nicelle des fonctionnaires du ministère del’intérieur qui commencent leur journée àarpenter le terre plein central, à surveiller età écouter aux cafés. C’est une masse devisages nouveaux, jeunes filles et jeunes garsqui s’attroupent, s’interpellent, échangentdes points de vue, argumentent. La libreparole explose, elle renvoie aux graffitis desfaçades qui appellent à la démocratie et à lalaïcité. D’autres messages rappellent que« la femme est libre et elle le restera ». Cetteliberté fragile est toutefois tangible puisqueles femmes s’habillent semble-t-il, commeelles le veulent : robes- chemisiers, jeans-bousons, robe et foulard, niqab toutes voilesdehors, gants et œillères. J’ai mêmerencontré une dame en safsari, une moderare d’un autre temps. Tout est donc possiblepourvu que ça dure et, comme disait M. BéjiCaïd Sebsi, à l’époque écrivain, en évoquantle statut des femmes : « Regarder lemonde sans voile et, sans voile êtreregardée » (Habib Bourguiba.)Qu’est ce qu’on cause sur l’avenue !Debout, en petits groupesdécontractés ou bien aux terrassesdes cafés où des groupes d’amis seretrouvent ou se forment. Pas detouristes. Le théâtre municipal a été« retourné » « détourné ? », lespectacle est à présent sur lesmarches, la nouvelle grande scène !

On chante sous cette bellefaçade Art nouveau d’où jaillissentdes chevaux marins, des nymphes etdes naïades. Tout à coup, l’hymnenational jaillit, des voix s’élèvent, le tonmonte, la foule invite « à dégager ».

L’avenue plus que séculaire dont lesficus ont vu bien d’autres dégagements del’histoire, est subitement parcourue par desgroupes compacts scandant des slogans qued’autres contestent ou reprennent en choeur

Ces manifestants - 30 ans tout au plus-marchent à grands pas sur le terre pleincentral ; mais subitement, tout s’arrêtedevant le quadrilatère de fils de fer barbelésqui enchasse le ministère de l’intérieur,comme si c’était une icône. Ainsi protégé, iln’est plus possible de prendre d’assaut lesfenêtres ni de grimper sur le auvent de laporte centrale, comme cela se produisit uncertain 14 janvier 2011, entre 14 et 16heures… N’empêche, les manifestants semassent, saluent les soldats, les slogansfusent encore et encore plus puis toute lafoule se disperse, allez savoir pourquoi.Seule demeure une dame âgée, vêtue deguenilles, mal chaussée, rougeaude commesi elle avait dormi dans le froid de la nuit,sur le trottoir, devant la banque. Elle est

debout, devant les barbelés ; elle fixe lessoldats et les chars.

Debout, immobile, impassible ; le regardperdu devant elle. Elle stationne dans cetteposition un long moment sans rien dire,comme pétrifiée, scrutant la place du7 novembre devenue Mohamed Bouazizi.Les soldats sont étonnés, sans doute gênés.Puis elle se retourne et se perd dans la foule.Je l’ai rencontrée au même endroit, plusieursjours de suite, silencieuse au milieu de toutecette foule qui laissait courir des flots deparoles. J’ai eu envie de lui parler mais jen’ai pas osé l’aborder. Elle avait sans doutequelque chose à dire, mais à l’inverse de tousceux qui l’entouraient, elle n’a pas jugé utilede s’exprimer. A moins qu’elle n’ait étésaisie de stupéfaction par le spectacle inouïde cette avenue d'ordinaire, banalementencombrée par les voitures, reconvertie,Intifadha oblige, en un vaste espace publicque le peuple s’approprie pour parler etcauser, chanter et danser ! Mais aussi lancer

des pierres, casser les vitrines et affronter lapolice ou les soldats. L’avenue s’estmétamorphosée au fil du temps politique. Lastatue en pieds de Jules Ferry a disparu lebeau jour de l’indépendance ; la statueéquestre de Habib Bourguiba a subi lesoutrages du coup d’Etat médical. Depuis le14 janvier, l’avenue est le grand salon desTunisois auxquels désormais viennent semêler les provinciaux de Sidi Bouzid,Kasserine, Le Kef…y compris les étrangers,désireux de ressentir l'énergie de larévolution, pour qui elle est devenue unpassage obligé. Une façon comme une autrede rappeler les émeutes du pain de janvier1984 et si cela ne suffisait pas, l’insurrectiondes tribus de 1864.

L’avenue est désormais un espace publicnational où se jouent toutes sortes de luttespolitiques, certaines pacifiques, d’autresviolentes. Souvenons-nous d’un certainvendredi ou le hezb Ettahrir a investil’avenue pour prier et en même temps

menacer d’exécuter les femmes du quartierréservé à l’extrémité de Bab Bhar. Mêmetechnique qu’à Alger en 1988 où lesjihadistes avaient imposé la séparation destrottoirs pour les hommes et pour lesfemmes. Les luttes politiques sont égalementdes luttes urbaines. Il faut se battre sur lesdeux fronts pour construire les institutionsde la démocratie et la ville de la liberté.Monsieur Rajhi au temps où il fut ministrede l’intérieur, a été interpellé au cours d’uneémission télé par un journaliste quidemandait le déplacement du ministère dansun autre endroit, pas à l’extrémité de cettebelle avenue. Le ministre s’est montréfavorable en doutant toutefois de lapossibilité de réaliser cette belle utopie. Maisla question méritait d’être posée ne serait-ceque pour réfléchir à l’héritage de l’histoirecoloniale. Car, ce qui est aujourd’hui leministère de l’intérieur a été conçu par lesautorités du protectorat comme lecommissariat central de police, avec une

grande cour intérieure surmontantdes caves, pour rassembler lesmanifestants nationalistes et lessyndicalistes, notamment lesdockers du port de Tunis. Cebâtiment en position stratégiquepuisqu'il contrôlait les flux destravailleurs, a été conçu parl’architecte Kyriacopoulos qui s’estfait un point d’honneur deconstruire la première architecturemoderne en béton armé tramé.Achevé en 1954, il a bien résisté àl’usure du temps et à l’enfermementdes manifestants.

En 1966, le maire de TunisHassib Ben Ammar recevait l’architecteGeorges Candilis au moment où O. C.Cacoub, grand prix de Rome, architecte-conseiller du Président de la Républiqueproposait, froidement, de percer la médinaen prolongeant l’avenue Bourguiba jusqu’àla Kasbah. Candilis, étonné, a vu les chosesautrement : pourquoi faire une autoroutedans la ville a-t-il demandé ? Supprimons lacirculation automobile et créons une vasteavenue piétonnière. La proposition a faitsourire la classe dirigeante qui y voyait unretour à la tradition… si humiliante pournombre de modernistes acculturés.

A Barcelone, les ramblas quitraversaient la ville ancienne jusqu’au portont été fermées à la circulation automobile.Un immense succès. L’intifadha a paralyséla circulation automobile sur la grandeavenue de Tunis, lui rendant sa fonctionpremière de promenade piétonnière. Unesorte d’exercice grandeur nature dont lamunicipalité pourrait tirer parti pourconcevoir un autre système de circulation,introduire des moyens de transport en

L’ AV E N U E D E L A L I B R E PA R O L E

LA RÉVOLUTION TUNISIENNE AU PRISME DES SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES

© J. ABDELKAFI.

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18 Bulletin trimestriel n° 6 avril-août 2011

commun qui donneraient satisfactionà tous ceux qui manifestent pour unemeilleure répartition des droits et desobligations. Marcher à pied, circuleren autobus ou en trolleybus commeau bon vieux temps, est un droit. Letout-automobile est un abus depouvoir qui coûte cher, quidiscrimine les citoyens, une nuisancesociale. Jean Pierre Vernant,analysant « Les origines de la penséegrecque » a décrypté « le régime dela cité, qui lui est apparu solidaire

d’une conception nouvelle de

l’espace, les institutions de la Polis seprojetant et s’incarnant dans ce qu’on peutappeler un espace politique. On notera à cetégard que les premiers urbanistes, commeHippodamos de Milet, sont en réalité desthéoriciens politiques : L’organisation del’espace urbain n’est qu’un aspect d’uneffort général pour ordonner et rationnaliserle monde humain »

Faisons en sorte que cette penséegrecque soit à nouveau entendue

Jellal ABDELKAFIUrbaniste, Tunis

L e 14 Janvier fût un jour à jamaisgravé dans ma mémoire, empreint

d’émotions intenses et d’un espoir naissantpour un avenir meilleur. Restent maintenantla fierté et l’impératif de la reconstructiond’un avenir meilleur.

Le mouvement de contestation a mis enévidence des disparités multiples, dont le sous-équipement et le manque d’infrastructures, deservices et de projets structurants dans lesrégions de l’intérieur du pays.

L’Etat Tunisien a misé, durant les deuxdécennies écoulées, sur une politique demétropolisation, qui implique unsurinvestissement dans des projetsstructurants dans la capitale et quelquesvilles littorales. 1 Cette politique est sous-tendue par l’impératif d’insertion de laTunisie dans le mouvement de globalisation,afin de promouvoir une croissanceéconomique et d’attirer les investisseursétrangers en leur offrant des conditionsfavorables à leur implantation. Elle a eu poureffet la marginalisation des régions du centreet du Nord-Ouest, de ce mouvement de miseà niveau des villes Tunisiennes, et n’a faitque renforcer les clivages existants. Bien

qu’il soit impératif de garantir pour laTunisie une insertion dans l’économiemondiale par les différents échangeséconomiques et l’implantation d’investisseursétrangers susceptibles de créer des emplois,il est essentiel de réfléchir à une orientationstratégique qui garantirait un équilibre dansla répartition des investissements au niveaurégional. Des travaux de terrain doivent êtreentrepris par les chercheurs en sciencessociales et les professionnels de l’urbain,afin de comprendre les processus qui ontmené à ces clivages sociaux et régionaux, etpouvoir ainsi proposer des solutionsadéquates afin de les réduire. 2

Il est également de notre devoir dechercheurs de susciter le débat etd’entreprendre des recherches portant sur lesprocessus et les dynamiques institutionnellesliées au développement urbain, mais surtoutautour de la question de gouvernanceurbaine. Ce concept galvaudé à l’ère deBen Ali, et utilisé à tort dans une entreprised’affichage politique, garantit en réalité laconcertation et la participation citoyenne audéveloppement urbain. Dans ce sens, selonP. Le Galès, 3 la gouvernance urbaine est à la

fois la capacité àintégrer, à donner formeaux intérêts locaux, maisaussi à les représenter àl’extérieur, à développerdes relations plus oumois unifiées en relationavec le marché, l’Etat,les autres villes et autresniveaux degouvernement. Il s’agiradonc de réfléchir àl’avenir de nos villes, età la mise en place d’unréel développementlocal et régional, basésur la rationalité

procédurale, et l’élaboration de modesconsensuels de coordination, aussi bien dansla planification et la programmation desprojets urbains locaux, régionaux etnationaux, que dans leur mise en œuvre.

S’agissant enfin de développement local,il est essentiel de reconquérir l’espace localen participant aux conseils municipaux etrégionaux futurs, et d’œuvrer à leur rendreleur autonomie et leur poids prépondérantdans les processus décisionnels. Il s’agira deproposer de nouveaux modes de gestionurbaine, davantage basés sur la concertationet la transparence et garants d’unedémocratie participative. Un développementurbain ne peut en effet être efficient que s’ilémane de la population cible, des acteursprivés et de la société civile.

Ces pistes de recherches pourraientconstituer un support pour la compréhensiondes phénomènes urbains et sociaux etcontribuer à modeler de nouvellesorientations stratégiques en vue d’undéveloppement urbain local et régionaléquitable et d’une gouvernance urbaine.Issues de revendications légitimes etpopulaires, ces réformes pourraient garantirl’adhésion des populations aux politiquesmises en place, et une légitimité de l’actionpublique urbaine.

Hend BEN OTHMAN Architecte – Urbaniste, doctorante en urbanisme

VERS LA RECONQUÊTE DE NOS VILLES : POUR UNE PARTICIPATION CITOYENNE AU DÉVELOPPEMENT URBAINLOCAL ET RÉGIONAL. PISTES DE RECHERCHE

1. Ben Letaief M., 2008, « Quelquesréflexions sur les mutations d’une actionpublique postkeynésienne », Revue Métropoles,n° 4, 133-155.2. Des débats sont programmés à l’initiative del’Association Tunisienne des urbanistes (ATU),afin de réfléchir sur le devenir des villestunisiennes et la gouvernance urbaine.3. LE GALÈS P., 1995, “Du gouvernement desvilles à la gouvernance urbaine”, Revue française

de science politique, n° 1, vol. 45, 57-95.

LA RÉVOLUTION TUNISIENNE AU PRISME DES SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES

© J. ABDELKAFI.

© http://www.siba-immobiliere.com/2010/10/developpement-urbain-et-amenagement-du-territoire-la-tunisie-se-prepare-deja-pour-2050/

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Bulletin trimestriel n° 6 avril-août 2011 19

LA RÉVOLUTION TUNISIENNE AU PRISME DES SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES

L a révolution du 14 janvier a faitvoler en éclats l’image d’Epinal

dont bénéficiait la Tunisie jusque-là : modèlede réussite économique, de progrès social etde stabilité politique, une image savammententretenue par le pouvoir en place et par sessoutiens internationaux !

Nul doute en tout cas que lesbouleversements en cours, la force et larapidité de leur irruption et de leurpropagation à l’échelle du monde arabecontribuent non seulement à remettre encause les modèles de développement qui ontguidé l’action des Etats et les politiquespubliques dans la région, mais aussi àréinterroger certains schémas intellectuelsqui ont dominé l’analyse des dynamiquessocioéconomiques et politiques des pays dela région.

A posteriori, Il est bien sûr aisé dedéceler dans les vives tensions et les gravesconflits qu’a connus la Tunisie au cours de lapériode récente (révolte du bassin minier deRedeyef en 2008, grèves sauvages etoccupations d’usines, conflits pour l’eau etla terre, etc.) les signes annonciateurs del’explosion sociale et populaire qui a conduità la chute du régime. Mais ce regardrétrospectif sur les causes profondes de laRévolution tunisienne est désormais plusque nécessaire. Parmi celles-ci,l’aggravation des phénomènes d’exclusionsociale et les disparités territorialescroissantes qui ont accompagné lesprocessus de développement, surtout depuisles deux dernières décennies, figurent aupremier plan.

Des orientations de développementgénératrices de sous-emploi et dechômage pour les jeunes diplômés

En effet, malgré une croissance soutenueau cours des années 1990 et une tendance àla diversification de l’économie(tertiarisation), la Tunisie fait faceaujourd’hui à une crise majeure du secteurde l’emploi, accentuée par l’arrivée massivede jeunes diplômés, y compris une largeproportion de femmes, sur le marché dutravail. Ayant basé sa stratégie d’industria-lisation sur le développement des entreprisesexportatrices intensives en main-d’œuvre, laTunisie a subi de plein fouet lesrépercussions de la conjoncture inter-nationale liée à l’exacerbation desconcurrences à l’échelle mondiale, avec pourconséquence, la disparition de milliersd’emplois industriels. L’économietunisienne est restée largement dominée pardes activités à faible valeur ajoutée,nécessitant un niveau de qualification peuélevé, et a continué de baser sa compétitivité

sur la compression des coûts de la maind’œuvre, obtenue grâce à la mise au pas dusyndicat. Ainsi, le développement desecteurs d’activités susceptibles d’absorberles jeunes diplômés, qui constituentaujourd’hui 60 % des nouveaux arrivants surle marché du travail, est resté extrêmementlimité (Banque Mondiale, 2011). Cettesituation, ajoutée à la régression de l’emploipublic et au problème de l’inadéquationentre emploi-formation, explique le taux dechômage élevé chez les jeunes diplômés etla montée des frustrations au sein de cettecatégorie de population.

L’aggravation des inégalités régionalesPar ailleurs, une des caractéristiques

majeures du développement en Tunisie estl’aggravation des inégalités régionales quis’exprime notamment dans le doublephénomène de métropolisation et deconcentration des activités dans les régionslittorales, situées à l’Est du pays (Belhedi1999), deux phénomènes qui n’ont fait quese renforcer avec l’extraversion croissante del’économie. Le Nord-ouest de la Tunisie,mais surtout le Centre Ouest, où se sontdéclenchées les révoltes populaires récentes,ainsi que le Sud, ont de manière générale peuprofité des fruits de la croissanceéconomique. Et au-delà des indicateursglobaux illustrant les performances dudéveloppement économique et humain enTunisie, d’importantes inégalités persistent,voire s’aggravent, entre d’une part lesrégions intérieures et les zones littorales,d’autre part entre les zones rurales et leszones urbaines. Ces inégalités persistantessont attestées par les principaux indicateursde développement humain (conditions devie, santé, éducation, emploi). Selon deschiffres rectifiés et publiés récemment parl’Office National de la Jeunesse, le taux dechômage parmi les jeunes (de 18-29 ans) estde 35 % dans la région du Centre Ouest, de45 % dans le Nord-Ouest et de 50 % dans leSud-Ouest, contre 26 % dans la région ducentre Est et 30 % dans le Grand Tunis. Ce

sont aussi les régions de l’Ouest de laTunisie qui affichent les taux de pauvreté lesplus élevées. L’enquête de l’INS (2005) surla consommation et le niveau de vie desménages classe les régions du Centre-Ouestet du Sud-Ouest comme les plus pauvres dupays avec un taux de pauvretérespectivement de 12,8 % et 5,5 % pour unemoyenne au niveau national de 3,8 %.

Marginalisation de l’agriculture dans lespolitiques d’aménagement du territoire

Les politiques d’aménagement duterritoire mises en place de manière tardive,à la fin des années 80, dans l’objectif decorriger les disparités régionales, ainsi queles mesures incitatives pour favoriserl’implantation d’activités industrielles dansles zones rurales, se sont révélées peuefficaces en matière de création d’emploispour les habitants des régions rurales ; alorsque la part de l’agriculture dans les revenusdes ménages ruraux n’a cessé de régresser.Aujourd’hui l’agriculture ne contribue plusqu’à hauteur de 13 % au PIB et n’emploieplus que 16 % de la population active (contre19 % pour l’industrie et 50 % pour lesservices). Cette régression apparaît commeune conséquence directe des processusd’ajustements structurels engagés dès la findes années 80, du modèle d’insertion del’économie et de l’agriculture tunisiennedans la mondialisation, qui s’est basé demanière importante sur la valorisation de sesavantages comparatifs et le développementdes exportations.

Dans ce contexte, la réallocation desressources en faveur du secteur des grandesexploitations privées, la profonde trans-formation des conditions de l’activitéagricole, notamment des conditions d’accèsà la terre, à l’eau et au crédit, la hausse descoûts de production, l’endettement accru,mais aussi la dégradation des terres,contribuent à la marginalisation accélérée,voire à l’exclusion des petits agriculteurs,surtout dans le secteur de l’agriculture ensec. Aujourd’hui, une fraction importantedes petites exploitations, dont le nombre n’acessé d’augmenter en lien avec lemorcellement des terres, n’est plus enmesure d’assurer la survie des ménages.Elles deviennent principalement des espacesrefuge pour les membres de la famille,y compris pour les jeunes ruraux diplômésau chômage, ce qui ne fait qu’augmenter lapression sur les revenus familiaux etexacerber les frustrations. Dans cesconditions, les stratégies de survie despopulations défavorisées se sont appuyéesde plus en plus sur le développementd’activités informelles, voire illégales (petit

LES INÉGALITÉS SOCIO-TERRITORIALES AUX ORIGINES DE LA RÉVOLUTION TUNISIENNE : DÉFIS DU DÉVELOPPEMENT, ENJEUX POUR LA RECHERCHE

© Martine Hérin.

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commerce), en particulier dans les zonestransfrontalières (Algérie, Libye). Unrapport de la Banque Mondiale évalue lacontribution du secteur informel à 38,4% duPIB et d’autres études estiment sa part à 40%dans la création de l’emploi non agricole.

Pour un renouveau des études dudéveloppement

Aujourd’hui, la question sociale, enparticulier l’emploi, et celle dudéveloppement régional pèsent fortementsur les termes du débat politique en Tunisieet sur l’agenda de la transition. Dans undiscours prononcé il ya quelques jours,l’actuel premier ministre a réaffirmé cesdeux priorités et a annoncé une réorientationdes choix budgétaires en faveur de lacréation d’emploi et du développementrégional. De ce point de vue la Révolutiontunisienne, qui apparaît comme laconséquence majeure de l’échec despolitiques de libéralisation et des stratégiesd’insertion à l’économie mondiale, ouvresans aucun doute une étape nouvelle dans laréflexion sur les modèles de développement,et notamment sur la place du monde rural etde l’agriculture dans l’élaboration desmodèles à venir. Cependant, le diagnosticprésenté récemment par le Ministère du

développement régional attribuant lesdifficultés du secteur agricole au maintiend’un secteur « traditionnel » en sec, posed’ores et déjà la question des bases socialesdu développement et des formes d’inscriptionde la Tunisie dans la mondialisation.

La période de bouleversement ouvertepar la Révolution tunisienne et l’urgence desréponses à apporter à l’explosion desdemandes sociales interpellent leschercheurs en sciences sociales. Leurresponsabilité est fortement engagée et leurparticipation au débat sur les choix desociété et les options en matière dedéveloppement est plus que jamaisnécessaire. Alors que les études dudéveloppement sont tombées en désuétudedepuis les années 1980 et qu’elles ont eutendance à s’inscrire dans une approcheéconomiciste des problématiques del’intégration au processus de mondialisation,il apparaît plus qu’indispensable deréinscrire les questions du développementdans des approches holistes etinterdisciplinaires du changement social.C’est dans cette perspective globale dudéveloppement, considéré dans son caractèresociétal (Coméliau, 1993) et non passeulement dans ses dimensions économiquesqu’il convient en particulier d’intégrer

l’approche des questions de l’exclusionsociale et de la pauvreté, le plus souventréduites au traitement des coûts sociaux desréformes économiques. La renouvellementnos cadres d’analyse doit non seulementpermettre de dépasser les cloisonnementsdisciplinaires qui ont caractérisé lesrecherches sur les pays du sud de laMéditerranée et du monde arabe, mais aussiles schémas binaires (Nord/Sud) danslesquelles se sont inscrites assez largementles recherches en sciences sociales.

Alia GANASociologue, CNRS/LADYSS, Paris

LA RÉVOLUTION TUNISIENNE AU PRISME DES SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES

Références

Banque Mondiale. 5 janv. 2011 La croissance del’économie tunisienne, une source d’emplois,http://web.worldbank.org/WBSITE/EXTERNAL/ACCUEILEXTN/PAYSEXTN/MENAINFRENCHEXT/TUNISIAINFRENCHEXTN/.

Belhedi Amor, 1999, « Les disparités spatiales enTunisie : État des lieux et enjeux », RevueMéditerranée, n° 1-2, 63-72.

Coméliau Christian, 1993, « Pour un renouveaude l’étude du développement », in Tiers-Monde,tome 34, n° 135. La réhabilitation de lademande (sous la direction de Jean-Marc

Fontaine), 687-701.

EXODE ET MIGRATIONS EN TUNISIE : QUAND LA SOCIÉTÉ CIVILE SE RÉVEILLE

A u moment où l’Union Européennes’alarme de l’arrivée de quelques

milliers de jeunes tunisiens sur les côtesitaliennes et déploie une « mission Frontex »pour combattre l’afflux de ces migrantséconomiques, la Tunisie accueille à brasouverts plus de cent mille réfugiés de Libyeen une dizaine de jours. C’est une situationexceptionnelle dans ce pays qui rappellel’invasion italienne de la Libye, un siècleplus tôt, et l’exode massif qu’elle a engendrévers les pays frères voisins.

L’affaiblissement des institutions et lesdifficultés que rencontre la Tunisie pourdessiner un nouvel horizon politique ne l’ontpas empêchée de faire face avec efficacité etrespect pour la dignité des personnes, àl’afflux massif de migrants originaires desquatre coins du monde, fuyant les violencesdu régime de Kadhafi.

Durant plus de dix jours, tandis quel’aide internationale tardait à arriver, lasociété tunisienne s’est mobilisée au niveaulocal d’abord, dans les régions deBen Gardane et de Tataouine, pour apportersecours et assistance aux nouveaux arrivants.Tandis que l’armée organisait le premiercamp de réfugiés, les habitants des villagesalentours ont amené spontanément de quoinourrir et installer temporairement tant bienque mal ces étrangers sur place. Certainsproposaient leurs véhicules pour conduire lesarrivants de la frontière aux camps de RasJdir et de Choucha. Cet élan a rapidement étérelayé dans tout le pays.

Nous avons été témoins de cettemobilisation massive sur les quelques 400km de route qui nous ont conduit de Sousseà la frontière libyenne; dans la nuit du 4 au 5mars, où nous avons croisé ou doublé une

suite ininterrompue de voitures personnelles,de camionnettes et même de semi-remorquestransportant des produits et matériels depremière nécessité, répondant ainsi auxappels diffusés par les médias. A côté duCroissant rouge tunisien, des collectifs desolidarité ont émergé un peu partout dans lepays, au sein des entreprises, des quartiers,des écoles, des universités, des mosquées ouentre amis. Ils apportent non seulement desmédicaments, des vivres et des couverturesmais ont également conduit de nombreuxvolontaires de différentes professions(médecins, infirmiers, étudiants enmédecine, ingénieurs, secouristes…) ou desimples citoyens venus dans le seul but,parfois, de ramasser simplement les déchetsqui s’accumulent. Ces véhicules arborentfièrement le drapeau tunisien devenu, aprèsla Révolution, symbole de l’union, de laliberté retrouvée et de la force de tout unpeuple. Des responsables du HCR, pourtantrompus à ce type de situations, nous disaientêtre impressionnés par la capacité déployéepar les habitants de ce petit pays pour gérerune telle crise humanitaire.

Cette forte mobilisation ne peut êtrecomprise comme le seul fait d’unquelconque panarabisme. Si la solidaritéavec le peuple libyen et sa révolution sontclairement revendiquées par les Tunisiens, lesoutien apporté ne s’établit pas sur la base decritères communautaires ou religieux.© Le Monde.fr avec AFP, 23 février 2011.

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Les réfugiés ne sont pas des citoyenslibyens, et les Tunisiens le savent ; ce sontdes travailleurs migrants de toutes originesqui fuient les combats. Lors de notre passagedans la zone frontalière, les Egyptiensavaient presque tous quitté le camp pourlaisser la place à des dizaines de milliers deBengalais, de Soudanais, de Vietnamiens, etsurtout d’Africains sub-sahariens.

La réaction spontanée de la populationtunisienne est d’autant plus inattendue queles régimes autoritaires qui se sont succédéen Tunisie depuis l’indépendance n’ontjamais permis l’éclosion d’un tissu associatifindépendant ou d’acteurs solides de la

société civile. Cela n’a pas facilité ledéveloppement, à large échelle, de traditionsde volontariat et de travail humanitaire.

Il semble plutôt que cet engouement soitporté par l’élan révolutionnaire de cesderniers mois. La mobilisation sociale qui apermis le renversement du régime de BenAli et la mise en place progressive d’unenouvelle feuille de route vers la démocratie,par décisions gouvernementales etréajustements face aux vives réactions desmanifestants à travers le pays (par exemplelors de la nomination des nouveaux préfets àla mi-février, dont 17 sur 24 étaientd’anciens RCDistes), semblent avoir

développé un sens aigu des responsabilitéscollectives et la conviction que chacun a unvéritable poids sur le cours de l’Histoire. Unvolontaire sur place résumait ainsi cettenouvelle conscience citoyenne «[…] dans lepassé, nous nous considérions comme deslocataires dans notre propre pays,aujourd’hui nous nous sentons propriétaireset, désormais, nous prenons le destin du paysen main […] ».

Hassan BOUBAKRIGéographe, Université de Sousse

Swanie POTOTSociologue, CNRS-IRD

LA RÉVOLUTION TUNISIENNE AU PRISME DES SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES

L es soulèvements récents despopulations en Tunisie et en Egypte

mettent en question les analyses desdernières décennies sur la résistanceprésumée du Monde arabe aux processus deréforme, souvent attribuée par certainsauteurs à la non-compatibilité impliquéeentre la démocratie et la civilisationislamique. Aujourd’hui nous vivons unchangement de paradigme et il est vrai quenon seulement l’Europe en tant qu’acteurinternational, mais aussi les chercheurs ontbesoin de revisiter certaines hypothèses.

Mais quels sont finalement les facteursqui ont favorisé le développement actuel etqui ont déclenché peut-être – il est trop tôtd’en juger – cette quatrième vague dedémocratisation ? Parmi les nombreuxfacteurs qui ont déclenché la révolution enTunisie, et que la recherche dévoilera endétail au cours des prochaines années, nouspouvons en appréhender dès maintenant

quelques-uns : l’écart social croissant, lesystème autoritaire étouffant, la corruptionavancée, le sous-emploi, le chômage, lemanque de perspectives professionnelles,notamment pour la jeune génération, lesnouveaux médias ou bien le rôle de l’armée.Tous ces facteurs ont fait que le systèmepolitique était arrivé à un moment où ildevrait éclater ou imploser. Mais il fautretenir aussi que personne, ni en Tunisie, nien Europe, n’a pensé que ceci allait arriver sirapidement et finalement si « facilement »(comparé à la situation en Libye).

Mon hypothèse est que la mobilité dansl’espace euro-méditerranéen est égalementun facteur central pour la transition. Le faitque la révolution tunisienne ait pu réussir estaussi du à l’existence d’une société civileengagée, et que malgré les verrouillages par« l’ancien régime » il y avait un échangepossible avec le reste du monde et ainsi unéchange d’idées et de valeurs. Finalement,c’est la modernité, l’aspiration à la liberté età la dignité de l’individu qui ont vaincu. Lasociété tunisienne a prouvé qu’elle étaitbeaucoup plus moderne, avancée etprogressiste que son régime, pourtantaffichant et promouvant une certainemodernité ; mais le régime et la société sesont accélérés à des vitesses différentes etcontradictoires. Cette modernité, elle esttransportée et véhiculée non seulement àtravers les nouveaux médias, mais surtout etaussi à travers les individus. Presque chaquefamille tunisienne a un parent qui vit enEurope ou à l’étranger, ou bien on connaîtquelqu’un qui vit à l’étranger.L’interconnexion humaine entre le Maghrebet l’Europe est beaucoup plus avancée queles décideurs politiques ne l’aperçoiventjusqu’à ce jour. Les migrants qui sont partistravailler et vivre en Europe dans les années1960 possèdent souvent une doublerésidence dans les pays d’origine ; ilsvoyagent entre les deux pays. Leurs enfants,la deuxième et troisième génération, sontpour la plupart nés et scolarisés en Europe.Ils ont grandi dans des systèmes politiquesdémocratiques et ils connaissent leurs droitset leurs devoirs de citoyens démocratiques.Ils reviennent souvent en Tunisie pourintensifier leurs connaissances de langues,pour passer des séjours d’études, lesvacances, pour voir leurs familles, pour créerdes entreprises ou tout simplement pourretrouver leurs identités euro-maghrébines.C’est notamment cette génération, qui vitentre la Tunisie et l’Europe, qui est mobile,soit physiquement, soit virtuellement, quipeut faire la différence maintenant.

Ces individus mobiles, qui voyagententre les mondes, sont issus de toutes lescatégories sociales : les élites intellectuelles,aussi bien que les entrepreneurs, lesétudiants, les travailleurs saisonniers que lesmères de familles. Leur apport à la transitionen Tunisie prend corps dans différentesformes matérielles ou bien immatérielles.Parmi les apports matériels, nous pouvonsnommer les transferts financiers, mais aussiles transferts de bien, de savoir faire et deprofessionnalisation dans certains secteurs.Parmi les apports immatériels, ce sontnotamment la contribution en matière desavoir faire, des connaissances, un potentield’innovation, des expériences vécues et desidées qui peuvent enrichir le processus detransition actuel. Tout en jonglant avec etentre différentes cultures, et habitués àtransgresser les frontières, ces individusbinationaux ou transculturels sont capablesde regarder d’une manière parfois plusneutre et plus distanciée et en même tempsavec moins de préjugés les développementspolitiques et sociaux dans le pays d’origine.

Finalement ce sont aussi ces individus,les migrants et leurs descendants, qui grâceà leurs expériences, leur vécu et leur bagagepersonnel, ont contribué à préparer le terrainpour les transitions actuelles en Tunisie, etils seront des acteurs importants dans laréalisation des objectifs de la révolution.

Isabel SCHÄFERPolitologue, Université Humboldt de Berlin

LE PRINTEMPS ARABE, LES MIGRANTS EURO-MAGHRÉBINS ET LA TRANSITION

© Clando afrik-online.com.

© weld-el-banlieue.com, fier-tunisien-revolution.

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22 Bulletin trimestriel n° 6 avril-août 2011

D epuis la chute de l’ancien régime,un phénomène indicible est en train

de se généraliser : les Tunisiens sont devenusallergiques à toute forme d’autorité, quellequ’elle soit, comme si l’autorité était en soiun abus de pouvoir. L’autorité politique a ététrop associée à l’exercice de l’arbitraire. Enconséquence, le politique est devenu l’objetde toutes les méfiances. Après avoir été troplongtemps dociles, les Tunisiens ontdéveloppé le goût immodéré de laprotestation révolutionnaire, du refussystématique, de la négation de l’ordreétabli. Dans un certain sens, c’est légitime.Après avoir tout accepté, on veut toutrepousser. Mais à présent qu’on a étévictorieux de la tyrannie, avec un panachequi a fasciné le monde entier, à présent quechacun a droit au chapitre, veut obtenirréparation, et que ce dont on a été privé, lacitoyenneté, tente de prendre corps dans lavie réelle, hic et nunc, c’est à chacunqu’échoie le sens de l’Etat, le pouvoir d’agir.Il faut que chacun réalise que l’autorité estdésormais de sa responsabilité, de son fait.Chacun est une incarnation active dunouveau pouvoir. Désormais, tout ce qui sefait au sommet de l’Etat est une illustrationde la société dans ses remous et ses courantsimmédiats. Si la vision des citoyens n’est pasclaire, celle de l’Etat ne le sera pas non plus.Si cette nouvelle responsabilité n’est pasmenée avec une haute conscience desintérêts collectifs, si ce sont à nouveau lescalculs individuels qui prévaudront dans laconquête de l’alternance, l’Etat, au diapasondu peuple, risque d’anéantir la promesse dela nouvelle république. La tyrannie estrejetée par tous, mais la démocratie n’aencore été trouvée par personne.

Le fait d’avoir séparé le Parti de l’Etat,dont la fusion stalinienne s’est enracinéedurant 50 ans dans tout l’espace social, a étésalutaire. Mais en même temps, l’Etat setrouve privé de ses principales courroies detransmission avec le corps social, et commeprivé de ses racines. Il n’en a pas l’habitude.L’immense organe tentaculaire sur lequel il

s’appuyait a disparu. L’Etat est désormaiscomme suspendu aux aléas des mouvementsde rue, et il tangue au gré des inquiétudes,des pressions, des désirs, des désordres nésde ce bouleversement. Gouverner desrebelles chroniques est une acrobatie arduepour un système politique accoutumé à dessujets débonnaires. Maintenant, lespolitiques ne tirent leur autorité que del’expression populaire, et ils ne savent pastrès bien comment s’y prendre pour larecueillir et la traduire. Et comme il n’y a pasencore d’organe réellement représentatif,

l’Etat tunisien, dans ce vide créé par laliberté elle-même, cherche dans le peuple ceque celui-ci ne parvient pas à lui donner : laconfiance en lui-même. L’Etat, affaibli etculpabilisé par les fautes du passé, cherche àlire dans les yeux du peuple le signal flou deson avenir. Ne pouvant plus se permettre lamoindre coercition, il cherche en tâtonnantles voies de la conciliation.

Ainsi les rôles se sont inversés. L’Etat nedicte plus ses ordres d’en haut, il doits’accoutumer à les recevoir d’en bas. Maiscomment les déchiffrer, ces ordres, commentles comprendre, comment les recevoir ?Quelles sont les impulsions réellementlégitimes, quelles sont celles qui, aucontraire, exploitent les troubles à des finsobscures ? Comment les différencier ? Rudetâche. L’Etat doit marcher la tête en bas, lesyeux rivés sur la rue, et cela lui donne un peu

le vertige. Il y a, dans cettepériode transitoire, dans cevide institutionnel, dans cetétat un peu informe quisuccède aux grandescassures, et qui précède lagenèse d’un monde indéfini,un sentiment de forces sanslimites, et de faiblessesinsurmontables. Tout semblepossible, tout insuffle uneénergie surhumaine auxinitiatives qui poussentpartout comme des plantessoudain inondées d’un soleil

dont la longue éclipse avait fané les fleurs.Mais tout semble aussi accompagner cetteénergie d’une sourde agitation inquiète, faceà un présent que la révolution ne parvientpas à faire entrer dans la maîtrise des choses,dans le contrôle de soi. L’Etat a dilapidé soncapital d’autorité par de trop longues annéesde pouvoir sans partage, les citoyens sedépensent en mille passions actives, mais quine savent pas encore s’incarner dans unepromesse claire. Cette gestation est excitanteet harassante. Il n’y a pas de répit. L’histoireva plus vite que nos esprits. Tunis est uneimmense agora où se tiennent desmanifestations, des sit-in, des meetings, oùse promulguent des chartes et des pétitions,au milieu de quelques empoignades quijouent à des simulacres de discorde civile.La rue fait un peu la loi, dit-on, c’est vrai.Mais, après tant d’années d’effacement,d’humilité, comment faire autrement ? Pourun oui, pour un non, on descend dans la rue,on savoure son mécontentement, on dégusteson irritation. C’est une forme dedilettantisme engagé. La télévision est tantôtun immense cahier de doléances, tantôt unprétoire où se déclament des scènes decatharsis collective, de purgatoire, dechâtiment.

Il y a aussi les outrances, les surenchèresqui troublent l’entrée en démocratie, lesdélations, les dénonciations, les calomnies,les nouvelles injustices, et une méfiancegénéralisée à l’égard des élites. Cela pourraitconduire à une épuration dangereuse ducorps créatif de l’Etat. La Justice tarde à seséparer de l’exécutif. En réalité, elle nedépend pas seulement de tel ou tel régime,mais de la vie morale de chacun et de sacapacité à se forger son propre sens dudevoir. L’avenir se compte désormais parheure, chaque minute fomente un coup dethéâtre, chaque nomination, imaginaire ouréelle, est objet de scandale, chaquefonctionnaire est en passe d’être « dégagé »,un soupçon pernicieux gâche la solidaritédes premiers jours. Mais en dépit dessymptômes d’anarchie, nous assistons à unemontée de citoyenneté, comme si unecommunion secrète entre les gens se tramait,pour que cette liberté encore sans visage,sans idéologie, sans discours, sansprogramme ne se laisse pas gagner par sespropres excès. Que sortira-t-il de notrevolonté ? Tout simplement notre volonté, etelle seule. Tout désormais dépend d’elle. Ilva falloir pour cela quitter l’ambiance devacances révolutionnaires et se mettre àtravailler. La liberté est un labeur, non unloisir.

Hélé BÉJICollège international de Tunis

POST-RÉVOLUTION : LE CITOYEN SANS L’ÉTAT

LA RÉVOLUTION TUNISIENNE AU PRISME DES SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES

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Bulletin trimestriel n° 6 avril-août 2011 23

LA RÉVOLUTION TUNISIENNE AU PRISME DES SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES

L a chute de la dictature et ladisparition de ses référentiels

classiques à savoir la personnalisationabsolue du pouvoir et la centralisation del’autorité sociale ne peuvent en aucun caslaisser le psychiatre insensible aux remoussymboliques qui agitent aujourd’hui lasociété tunisienne.

Oui ; la dictature avait un certain côtésécurisant. Le dictateur, personnage déifié,jouait de manière perverse aux yeux de sessujets, le rôle d’un père, détenteur d’une loiprimitive sévère et incontestable. Mais aussi,celui d’une mère nourricière et bienfaitrice.

Il maintenait ainsi ses sujets qui ainsiadvenaient, dans une position régressivetantôt infantile tantôt avilissante etdégradante.

Il faut se rappeler pour l’anecdote, maisc’est aussi très significatif, que cettedictature, avait activement interditl’importation puis la fabrication locale desinducteurs d’érection. Comme si un peuplequi avait accès à la sexualité aurait accès àune liberté qui terrorisait le dictateur.

Sujets soumis, volontairement maintenusdans une régression infantile, il estuniquement demandé aux Tunisiens detravailler, de consommer et de servir lemaître et sa clique. Toute tentative derébellion par rapport à l’ordre établi étaitsévèrement réprimée. Pour sortir del’esclavage, point de salut en dehors del’immigration ou encore la folie ; l’addictionet le repli sur soi.

Plus sujets que citoyens, les tunisiens serésignaient à leur sort et s’abandonnaient àune dépression chronique avec pour seulesdéfenses quand ils ne voulaient pass’engager dans les risques terribles del’opposition, la religion pour les uns et lafuite vers un modèle de vie consuméristepour les autres.

Dans ce contexte, la créativité devenaitabrasée, la citoyenneté inexistante. Alors quela majorité des Tunisiens faisaient le dos rondfaisant mine de se désintéresser da la chosepolitique, certains malheureusements’abandonnaient à la tâche de faire plaisir àce père pervers et incestueux qu’est ledictateur. En le glorifiant sans retenue et sansrelâche, ils le poussaient pourtant au plushaut de la pyramide de la toute puissancejusqu’à ce qu’il eut atteint la hauteur critiqueoù tout bascule et où soudain le roi seredécouvre nu et où les attributs de la royautéredeviennent ce qu’ils sont : des chimères.

Il est d’ailleurs intéressant d’étudier cemoment critique dans le processus du cultede la personnalité quand les forces quipoussent à la déification du dictateur au seinde la population le détachent soudain de toutlien avec les citoyens qu’il est censé

représenter et où la seule issue pour lui pourperdurer consiste à prendre toujours plus dehauteur. Mais cet exercice suppose qu’il seprive de ressembler aux autres pour vivre auxcôtés des surhommes au sens nietzschéen.

Succombe-t-il à la tentation de partageravec les hommes leurs plaisirs terrestres dela fortune, du sexe et de l’argent et le voilàqui dégringole de son piédestal pour revenirhomme parmi les hommes.

Lacan aimait dire qu’un fou qui se croitroi est fou mais un roi qui se croit roi n’estpas moins fou.

Dans cette optique Bourguiba a mieuxréussi que Ben Ali dans l’exercice de laDictature, le premier fut dépossédé dupouvoir par le coup d’état de 1987 alors quele second, le fut suite à la révolution deJanvier 2011.

Entre Bourguiba et ben Ali, il y atoutefois d’autres différences.

Bourguiba, cultivé et patriote justifiait leculte de sa personne par son passé militantet sa sagesse. Il demandait aux tunisiens delui ressembler, ils devaient se hisser haut etdevenir cultivés, sages studieux pour obtenirsa grâce. Ben Ali, inculte, rustre, roublardsur les bords s’adonnait sans frein ni mesureaux plaisirs que procure l’argent. LeTunisien idéal sous son règne se devaitd’être soumis et obéissant et si possible richeet parader de sa richesse. Activitéqu’affectionnait particulièrement la famillerégnante.

Mais dans un cas comme dans l’autre,que ce soit sous Bourguiba ou sous Ben Ali,le tunisien n’était pas citoyen, mais sujetd’un tyran éclairé dans un cas, despotiquedans l’autre, tyran qui l’a privé du minimumnécessaire pour être et devenir acteur de sapropre histoire.

La brusque libération du tabou du roi ausens primitif du terme (rappelé par Freuddans Totem et tabou) s’est accompagnéed’une forme de désorientation chezbeaucoup de Tunisiens. Le roi est mort mais

il n’y a plus de roi. L’institution est àréinventer. Un laps de temps insupportablepourrait s’écouler entre temps. Un temps oùle plus faible est la merci du plus fort et où laloi du groupe prend le pas sur la loi socialetout court. Le pouvoir fragile né après le 14Janvier 2011 doit montrer son côté de mèrenourricière avant d’être obéi. Partout enTunisie, on continue à manifester, à exigerici des aides sociales ; là-bas du travail.

A peine libérée de la dictature, toute unepopulation plutôt que de fêter l’évènements’engouffre dans un processus deréclamation d’avantages sociaux. Comme siquelques parts, les publicités pour les biensinaccessibles que faisaient miroiter lesentreprises de Ben Ali et qui généraient chezles plus pauvres une immense frustrationétaient à l’origine du soulèvement populaireet que les nouvelles autorités n’auraient delégitimité que si elles arrivent à satisfaire cebesoin de consommer et ramener cette mèrenourricière imaginaire collée dansl’ambivalence à la personne du dictateur.

D’ailleurs ; derrière la révolution secachent en fait trois Tunisies différentes, quiont toutes les trois rejeté avec force ladictature. La Tunisie des couches aisées etintellectuelles qui réclame la libertéd’expression et d’entreprendre, la Tunisiereligieuse et traditionnaliste voire intégristequi réclame un retour vers les fondementsidentitaires islamiques, et la Tunisieprolétaire qui demande le droit au travail età la société de consommation.

À l’échelle des personnes, un vécud’angoisse et d’incertitude est rapporté cheznombre de consultants. Une insoutenableangoisse par rapport à un lendemain dont lestraits restent flous alors que les qualificatifstypes démocratie, conseil constitutionnel,élections libres ne signifient pas grand-chosepour le citoyen lambda pour la simple raisonque malgré son histoire millénaire le tunisienn’a jamais connu la liberté depuis laNumidie et Jugurtha.

Peut être par ce « meurtre du père » queles Tunisiens sont entrain de commettre,arriveront-ils à faire le saut symboliquenécessaire qui leur permettra dedéfinitivement s’ancrer dans la modernité endevenant la source et les acteurs de la loi quiles organise et non de simples sujets pliéssous le joug du dictateur.

Arriveront-ils à répondre à l’appel dudestin comme leur hymne national lesconvoque ? Telle est la question à laquelleles mois prochains répondront ?

Sofiane ZRIBIPsychiatre, psychothérapeute, Tunis

RÉVOLUTION TUNIS IENNE : LE ROI EST MORT, IL N’Y A PLUS DE ROIS !

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Pierre-Noël Denieuil et MohamedMadoui (Ed.), 2011, Entrepreneursmaghrébins. Terrains en développement,coll. Hommes et sociétés, IRMC-Karthala, Paris. 446 p. ISBN :9782811104641.

Ridha Ben Amor, 2011, Les formesélémentaires du lien social en Tunisie. Del’entraide à la reconnaissance, coll.Sociologie-anthropologie des mondes

méditerranéens, IRMC-L’Harmattan,Paris, 244 p. ISBN : 978-2-296-14010-3.

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2011. Marges, normes et éthique.Thème 1 sous la responsabilité de CélineAufauvre, Karine Bennafla et Montserrat

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�18-20 avril 2011 (Tunis)2e réunion du séminaire international co-organiséà Tunis par l’IRMC et le CEDEJ dans le cadre duprogramme AUF-MeRSI « Ville durableméditerranéenne : un bilan des premièresexpérimentations sur la rive Sud (Maroc,Tunisie, Egypte, Liban) », coordonné par Pierre-Arnaud BARTHEL (CEDEJ).

�21-23 avril 2011 (Sidi Bouzid) Sociologie des révolutions arabesColloque organisé par l’Association arabe desociologie en collaboration avec l’Associationtunisienne de sociologie, avec le soutien de l’IRMC.

�22 avril 2011 (Diraset-Tunis)Changement politique et recompositions dureligieux en Afrique. Nouveaux acteurs,nouveaux modes de faireConférence de René OTAYEK, politologue,Directeur de l’UMR Les Afriques dans le Monde(ex-CEAN) de sciences-po Bordeaux, dans lecadre du cycle de conférences Reconfigurationsreligieuses. Significations et problèmesd’approche, organisé en partenariat avec lelaboratoire Diraset et l’Institut supérieur dessciences humaines et sociales de Tunis.

�29 avril 2011 (IRMC-Tunis)Qu’est ce qu’un Tunisien, qu’est ce qu’unFrançais ? Les transformations récentes du liende nationalité

Conférence de Patrick WEIL, Directeur derecherche au CNRS, professeur d’histoire àl’université de Paris 1.

�30 avril 2011 (IRMC-Tunis)Empires, nationalités et autochtonie au prismede la question de la souverainetéJournée d’étude organisée à l’IRMC, sous laresponsabilité de Noureddine AMARA, doctoranten histoire, université Paris 1 et boursier à l’IRMC.Interventions de Fatma BEN SLIMANE (Diraset),Burleigh HENDRICKSON (NortheasternUniversity), Jan JANSEN (Konstanz-IRMC),Grégory MANN (Columbia University), GianlucaPAROLIN (AUC), Yerri URBAN (CREDESPO)et Patrick WEIL (CNRS-Paris 1).

�4 mai 2011 (9 avril-Tunis)La pensée de Georges Balandier : héritages etempreintes maghrébinesJournée d’étude et visioconférence avec GeorgesBalandier, organisée par l’IRMC, encollaboration avec l’ATASC, le laboratoireDIRASET et l’université virtuelle de Tunis, sousla responsabilité de Stéphanie POUESSEL.Interventions de Noureddine AMARA (IRMC),Jean-Loup AMSELLE (Centre d’étudeAfricaine-EHESS), Georges BALANDIER(Paris 5), Kmar BENDANA (La Manouba) etLilia BEN SALEM (Université de Tunis).

�6-7 mai 2011 (Diraset-IRMC-Tunis)Repenser l’assimilation et l’intégration enMéditerranée. Des enjeux historiques auxdébats contemporains2e séminaire co-organisé avec le PRITransméditerranée de l’EHESS-Paris et lelaboratoire Diraset, coordonné par JocelyneDAKHLIA (historienne, directeur d’études àl’EHESS-Paris).

�18 mai 2011 (IRMC-Tunis)Télécommunications, espace public et civilitéConférence de Francis JAUREGUIBERRY,Directeur du SET, Institut de recherche sur lessociétés et l’aménagement, université de Pau,coordonnée par Sihem NAJAR (IRMC).

�20 mai 2011 (IRMC-Tunis)Transition démocratique et mutationsinstitutionnelles

Table ronde organisée à l’IRMC avec SanaBEN ACHOUR (Tunis), Anna KRASTEVA(Bulgarie) et Imed MELLITI (Tunis).

�10-11 juin 2011 (Tunis)2e réunion du programme « Vers unentrepreneuriat transméditerranéen ?Les stratégies d’inter-nationalisation desentreprises maghrébines et de réinvestissementdes Maghrébins d’Europe », sous laresponsabilité de Sylvie DAVIET (géographe,CNRS-IRMC).

�15-17 juin 2011 (EHESS-Paris)L’orientalisme et après ? Médiations,appropriations et contestationsColloque organisé à l’EHESS-Paris, sous lacoordination de Jean-Claude VATIN, Directeurde recherche CNRS (GSRL), EPHE-Paris etFrançois POUILLON, Directeur d’étude àl’EHESS-Paris, avec le partenariat de l’IRMC.

�17 juin 2011 (IRMC-Tunis)Conférence de Patrick MICHEL, professeur desciences politiques à l’ENS-Cachan, dans lecadre du cycle de conférences Reconfigurationsreligieuses. Significations et problèmesd’approche organisé en partenariat avec lelaboratoire Diraset et l’Institut supérieur dessciences humaines et sociales de Tunis.

�24-26 juin 2011 (IRMC-Tunis)2e réunion du programme de rechercheIRMC : « La communication virtuelle parInternet, la complexité des identités et lestransformations des liens sociaux enMéditerranée », sous la responsabilité de SihemNAJAR (sociologue, IRMC).Organisée en partenariat avec l’Agenceuniversitaire de la francophonie (AUF),à l’occasion de son cinquantenaire.Table ronde bloggeurs/chercheurs sur lecyberactivisme avec des partenaires maghrébinset la Fondation Hans Seidel.

�8 juillet 2011 (IRMC-Tunis)Les avocats tunisien : sociologie politiqued’une professionConférence d’Éric GOBE, chargé de rechercheà l’IREMAM-CNRS

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Parution en avril 2011 de l’ouvrageEntreprises et environnement : quelsenjeux pour le développementdurable ? sous la direction de FrançoisBost et Sylvie Daviet, géographe etchercheure en délégation CNRS àl’IRMC, aux Presses de Paris Ouest.ISBN : 978-2-84016-073-1