Ayahuasca : une synthèse interdisciplinaire Frédérick BOIS-MARIAGE

  • Upload
    oolon

  • View
    216

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

  • 8/14/2019 Ayahuasca : une synthse interdisciplinaire Frdrick BOIS-MARIAGE

    1/35

    Psychotropes Vol. 8 n 1 79

    Ayahuasca : une synthse

    interdisciplinaire1

    Frdrick BOIS-MARIAGEPsychologue spcialiste de lhypnotisme, form la recherche en neuropharmacologie,

    codoctorant sur lAyahuasca avec Annick Darley lUniversit Paris VII Denis Diderot, UF Anthropologie, Ethnologie, Sciences des Religions

    Rsum Pratiquement inconnus dans les pays occidentaux il y a encore

    quelques dcennies, layahuasca et ses rituels y font aujourdhui une entreremarquable.

    Nous prsentons une synthse multi et interdisciplinaire de cette singulire

    prparation psychotrope, dont deux des alcalodes principaux sont na-

    turellement prsents dans le corps humain.

    Les aspects pharmacochimiques (compositions, modes daction) et biom-

    dicaux (paramtres cardiovasculaires, EEG, risques aigus moyen et long

    termes, utilit thrapeutique) ont particulirement retenu notre attention.

    Une piste neuropharmacologique concernant le potentiel antiaddictifdocument de layahuasca est indique.

    Des raisons, formulables en termes de limitation des risques, dviter une

    pathologisation et une prohibition souvent plus rflexes que rflchies

    sont exposes.

    En conclusion est souligne la ncessit dorienter aussi la recherche sur

    les rapports entre les demandes explicites adresses layahuasca (thra-

    pies complmentaires et alternatives, panouissement personnel ; initia-

    tion et dveloppement spirituels) et les rponses apportes par les rituels

    ayahuasca.

    1 Merci Annick Darley, sans laquelle cet article naurait pas vu le jour. Pour nous

  • 8/14/2019 Ayahuasca : une synthse interdisciplinaire Frdrick BOIS-MARIAGE

    2/35

    Ayahuasca : une synthse interdisciplinaire

    80 Psychotropes Vol. 8 n 1

    Abstract Practically unknown in the Western countries a few decadesago, ayahuasca and its rituals are actually making a remarkable entry in

    them.

    A multi- and interdisciplinary review of this peculiar psychotropic

    preparation, of which two of the major alkaloids are naturally present in

    the human body, is presented.

    The biochemical (compositions), pharmacological (modes of action), and

    biomedical (cardiovascular parameters, EEG, acute and long term risks,

    therapeutic utility) aspects particularly retained our attention. A

    neuropharmacological hypothesis concerning the documented

    antiaddictive potential of ayahuasca is indicated.

    Expressible in terms of harm limitation, reasons to avoid the often morereflex than carefully thought-out pathologization and prohibition are

    exposed.

    In conclusion is emphasized the necessity to also orient research on the

    links between the explicit requests addressed to ayahuasca (complementary

    and alternative therapies, personal achievement, spiritual initiation and

    development) and the answers brought by ayahuasca rituals.

    Mots cls Ayahuasca DMT Harmine Harmaline Anthropologie Hallucinognes Anthropologie Toxicit Usage thrapeutique Rite.

    Introduction

    peu prs inconnues dans le monde occidental il y a une vingtaine dannes,

    les pratiques crmonielles comportant lingestion dayahuasca2

    et layahuascaelle-mme y font aujourdhui une entre dautant plus remarquable quellesconcernent des individus, groupes, institutions et rseaux htrognes dont lesintrts sont souvent disparates et parfois contradictoires3.

    2 Il existe plusieurs orthographes pour ce terme. Lusage a consacr ayahuasca. Sonorthographe phontique internationale standard estayawaska.

    3 Par exemple : Groisman (1998) ; Metzner (1999) ; Riba & Barbanoj (1998, 1999, 2000) ;Longi (2000).

  • 8/14/2019 Ayahuasca : une synthse interdisciplinaire Frdrick BOIS-MARIAGE

    3/35

    Psychotropes Vol. 8 n 1 81

    Frdrick BOIS-MARIAGE

    Localement, cela peut sillustrer en contrastant les actions concernantlayahuasca engages par diffrentes institutions ou instances administrativesfranaises durant la dcennie 1990-1999.

    Dun ct, plusieurs organismes officiels, dont la DGLDT (DlgationGnrale la Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie)4, ont, au total, accordplus de 230 000 (1 508 701 FF) de subventions pour la cration du centreTakiwasi par le mdecin franais Jacques Mabit Tarapoto au Prou5. Or laraison dtre de ce centre est lutilisation ritualise de layahuasca6, la maniredont les tradipraticiens de cette rgion de la Haute-Amazonie y sont initis7,pour la rhabilitation de personnes principalement venues des environs dpendantes pour la plupart de labondante pte-base de cocane locale8.

    De lautre, la brigade des stupfiants a procd une vague darrestations,perquisitions et saisies au mois de novembre 1999 dans les deux branches duculte catholico-syncrtique du Santo Daime prsentes en France9. Or l encore,une pratique codifie de layahuasca est la raison dtre de ces glises ougroupes cultuels qui soriginent de lAmazonie brsilienne dans les annes

    4 Devenue MILDT (Mission Interministrielle de Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie ;site web : http ://www.drogues.gouv.fr) en 1996 (dcret n 96-350 du 24 avril 1996).

    5 M. Mabit (1996).6 Saunders & Dashwood (1997).7 J. Mabit (1988).8 Mabit et al. (1995).9 Ces arrestations venaient sajouter celles quavaient connues quelques semaines

    auparavant les daimistes allemands et nerlandais, et prcdaient linterpellation dedeux leaders daimistes brsiliens en Espagne au printemps 2000. Malgr les apparen-ces, il nest pas certain que ces arrestations procdent dune action policire concerte lchelle europenne la suite de pressions tats-uniennes comme lavance Aymeric

    Longi (2000). Daprs Arno Adelaars (2000, correspondance personnelle) il sagiraitplutt dune concidence, les arrestations ayant dbut en Allemagne aprs quuneglise du Santo Daime locale se soit livre un proslytisme irresponsable et tapageur.Dautre part rien de tel ne sest produit en Italie, et en France une instruction judiciairetait et est toujours en cours depuis plusieurs annes. Quoi quil en soit, cesarrestations ont eu comme consquences somme toute assez prvisibles de 1)resserrer voire crer des liens entre les diffrents groupes daimistes europens quicoordonnent dsormais leur dfense lchelle europenne, 2) rapprocher fortementces groupes de leurs maisons-mres brsiliennes, confrant ainsi ces dernires unrle et un pouvoirpolitiquegrandissant dorganisations internationales. Cerise (amre ?)sur le gteau pour les polices et justices europennes, au Brsil, aprs enqute sanitaireet sociale, lusage de layahuasca dans un cadre traditionnel ou religieux (Indiens,nbuleuse du Santo Daime, UDV) a t reconnu et protg par la Constitution. En plusdu Brsil, son utilisation est libre dans les pays dont les territoires recouvrent lAmazonieoccidentale : la Bolivie, la Colombie, lquateur, le Prou et le Vnzuela.

  • 8/14/2019 Ayahuasca : une synthse interdisciplinaire Frdrick BOIS-MARIAGE

    4/35

    Ayahuasca : une synthse interdisciplinaire

    82 Psychotropes Vol. 8 n 1

    192010 : leur liturgie est spcifiquement adapte lingestion dayahuasca(daime), cette dernire tant volontiers clbre par des chants (hinos dodaime)11 danss sur un air de guitare au rythme des maracas. Certaines

    crmonies comportent aussi un aspect thrapeutique, implicite (concentrao)ou explicite (cura).

    Surprenante prparation pychotrope en vrit que cette ayahuasca, digne la fois dtre honore par des fonds publics en tant que possible remde certaines addictions et de se trouver ventuellement relgue au banc dinfamieaprs re-dfinition comme substance vnneuse et stupfiant dans lelexique juridique autochtone. Cette capacit qua layahuasca de surprendre,interroger, solliciter et rvler, de lchelle individuelle lchelle socitale en

    Occident, trouve un cho particulier dans les sciences. En effet, peu dobjets deconnaissance ont la capacit de mobiliser un ventail de sciences et pratiquesaffilies aux sciences aussi large que layahuasca. De la biochimie quantique12

    la science des religions13 en passant par lethnobotanique14, la phytochimie15,lethnopharmacologie16, la neuropharmacologie17, la psychopharmacologie18,la psychophysiologie19, les sciences et pratiques cliniques (mdecine, psycho-logie)20, lethnologie et lanthropologie21 ; sans oublier celles auxquelles je naipas pens.

    10 MacRae (1992) ; Deshayes (1993) ; Groisman & Sell (1995). Lune de ces glises(CEFLURIS = Centro Ecltico de Fluente Luz Universal Raimondo Irineu Serra), dont laparticularit a t dinclure lutilisation de cannabis (Santa Maria) sous la forme defeuilles sches et fumes conjointement layahuasca dans sa liturgie (MacRae 1998),sest particulirement tourne vers lexportation de ses pratiques et doctrines etpossde un site web fourni o lon trouve des informations sur les arrestations enEurope : http ://www.santodaime.org

    11 Melo (s.d.).

    12 Par exemple : Johnson et al. (1975) ; Beuerle et al. (1997).13 Luna (1986) ; Andrade (1995).14 Par exemple : Friedberg (1965) ; Pinkley (1969) ; Rivier & Lindgren (1972) ; Schultes

    (1986) ; Schultes & Raffauf (1992).15 Hashimoto & Kawanishi (1975, 1976).16 Poisson (1965) ; McKenna et al. (1984) ; Callaway et al. (1999).17 Callaway (1994) ; Smith et al. (1998) ; Freedland & Mansbach (1999).18 Riba & Barbanoj (1998, 1999, 2000, 2001).19 Don et al. (1998).20 Par exemple : Lemlij (1978) ; Valla (1987) ; J. Mabit (1988) ; Luis-Blanc et al. (1988) ;

    Bravo & Grob (1989) ; Mabit et al. (1992, 1995) ; Luis-Blanc (1994) ; Strassman (1995) ;Grob et al. (1996).21 Par exemple : Dobkin De Rios (1970) ; Kensinger (1973) ; Reichel-Dolmatoff (1974) ;

    Baer & Snell (1974) ; Langdon (1979) ; Chaumeil (1982) ; Gebhart-Sayer (1986) ;MacRae (1992) ; Deshayes (1993, 2000) ; Shepard Jr. (1998).

  • 8/14/2019 Ayahuasca : une synthse interdisciplinaire Frdrick BOIS-MARIAGE

    5/35

    Psychotropes Vol. 8 n 1 83

    Frdrick BOIS-MARIAGE

    Dans un tel contexte, afin dviter les visions partielles et mutilantes, il va ou devrait aller de soi quune approche multi et interdisciplinaire est la plus mme de rendre compte de et justice ce complexe et singulier objet.

    Quest-ce ?

    Le terme ayahuasca qui signifie liane des esprits ou des morts dans lalangue vhiculaire amrindienne quechua (Incas)22 dsigne la fois une planteprcise, une liane, pour les botanistes (Banisteriopsis caapi Spruce [ex Grisebach]Morton) et la prparation aqueuse dont elle est toujours lingrdient, soit

    unique

    23

    soit principal

    24

    . La plus rpandue de ces prparations est une dcoctionsouvent fortement rduite obtenue aprs une longue cuisson dans une marmite,en une ou deux tapes de 6 8 heures, dun mlange recouvert deau de tronons,pralablement lavs puis crass, de la liane, et de feuilles de chacruna (ouchacronaau Brsil), un arbuste de la famille du cafier :Psychotria viridis Ruzet Pavn25. Il convient donc en toute rigueur de distinguer entre ayahuasca-lianeet ayahuasca-potion. Pour la suite, cest de la potion quil sagira lorsque leterme dayahuasca sera employ seul. Cette boisson est consomme selon toutevraisemblance depuis la plus haute antiquit par des Indiens dAmrique du

    Sud : en se basant sur des lments archologiques, le mdecin quatorien

    22 Dans son ouvrage de rfrence sur layahuasca, le mdecin quatorien PlutarcoNaranjo (1983, p. 93) indique quil sagit dun mot compos, fabriqu partir deaya mort, dfunt et par extension : me, esprit ethuasca (waska) signifiant cordeet par extension : liane . Il rappelle par ailleurs (pp. 47-48, note) que, langue officiellede lempire Inca, le quechua (quichua) est une langue vhiculaire, un dialecteprincipal pour de trs nombreux groupes aborignes de la Bolivie, de lquateur etdu Prou.

    23 Par exemple : Friedberg (1965) ; Reichel-Dolmatoff (1970, 1974) ; Naranjo (1983, pp.147-159) ; Desmarchelier et al. (1996).

    24 Au total, Dennis McKenna et al. (1986) ont compil 55 espces de plantes appartenant 28 familles vgtales susceptibles dtre individuellement mlanges la lianeBanisteriopsis caapi; recension complte par Jonathan Ott (1996a, pp. 212-221, et

    Tableau 3, citation p. 221) qui a dcrit et list 97 espces de plantes rparties en 38familles utilises comme additifs de layahuasca, dont environ un quart sont connuespour tre des plantes enthognes. Ott (1996a, p. 222) a galement tabli uneintressante analogie entre lutilisation de layahuasca-liane dans laire amazonienneet celle du cacao par les Aztques : dans les deux cas une plante fait office de base prte accueillir dans une prparation commune ou en prise simultane dautresingrdients vgtaux, psychoactifs et/ou mdicinaux.

    25 Par exemple : Del Castillo (1963) ; Pinkley (1969) ; Rivier & Lindgren (1972) ; Delgadoet al. (1972) ; Kensinger (1973) ; Luna (1984, 1986) ; McKenna et al. (1984) ; Arvalo

    Valera (1986) ; Henman (1986) ; Callaway et al. (1999).

  • 8/14/2019 Ayahuasca : une synthse interdisciplinaire Frdrick BOIS-MARIAGE

    6/35

    Ayahuasca : une synthse interdisciplinaire

    84 Psychotropes Vol. 8 n 1

    Plutarco Naranjo a propos une anciennet comprise entre 2 000 et 4 000 5 000 ans26.

    Quy a-t-il dedans ?

    La composition chimique des ayahuasca les plus courantes a commenc tretablie partir de 195727. Cette composition tait connue et disponible dans lesmilieux scientifiques franais ds 1965, les tudes publies des chercheursClaudine Friedberg28 et Jacques Poisson29 ayant contribu lucider cettecomposition. Des recherches ultrieures ont confirm, tendu et prcis quan-titativement ces rsultats initiaux30. Par ordre dcroissant selon leurs propor-tions dans les dcocts, les alcalodes identifis dans la plupart de ces breuvagessont : lharmine, la 1,2,3,4-ttrahydroharmine (THH), laN,N-dimthyltryptamine(DMT)31, lharmaline, et parfois lharmol. Lharmaline et lharmol sont le plussouvent prsents en trs petites quantits, ne dpassant gure 5 6 % du poidstotal des alcalodes. Toutes ces molcules ont en commun un noyau indole et, linstar de la srotonine (5-HT), drivent par biosynthse de lacide amintryptophane32. Lharmine, la THH, lharmaline et lharmol appartiennent lafamille des -carbolines, la DMT celle des tryptamines. Il existe une trs

    grande proximit biochimique entre ces deux familles, bien illustre par ladtection dune -carboline (2-mthyl-ttrahydro--carboline) comme mta-bolite in vitro33 et in vivo34 de la DMT dans le tissu nerveux de rats. Les synthsesdes trois principaux alcalodes (harmine, THH et DMT) ont t ralises enlaboratoire entre 1919 et 193135. Leurs concentrations et doses moyennes par

    26 2000 ans dans son ouvrage de 1983 (p. 68) et 4 5000 ans dans un article postrieur :P. Naranjo (1986).

    27 Hochstein & Paradies (1957).28 Friedberg (1965).

    29 Poisson (1965).30 Rivier & Lindgren (1972) ; McKenna et al. (1984) ; Liwszyc et al. (1992) ; Don et al.(1998) ; Callaway et al. (1999).

    31 La DMT a fait partie de la charrette de substances psychotomimtiques , halluci-nognes , enthognes ou psychdliques inscrites au tableau 1 de laConven-tion sur les psychotropes de lONU, signe par 71 pays (dont le Brsil, la Colombie etlquateur) Vienne le 21 fvrier 1971. La France a traduit sa participation cetteconvention internationale en la rajoutant sa liste des stupfiants , qui fait elle-mmepartie de celle des substances vnneuses , rglementes par le code de la Santpublique.

    32 McKenna & Towers (1984).33 Barker et al. (1980).34 Barker et al.(1984).35 Voir la remarquable annexe C ( Entheopia ) du Pharmacotheon de Jonathan Ott

    (1996a, pp. 429-454).

  • 8/14/2019 Ayahuasca : une synthse interdisciplinaire Frdrick BOIS-MARIAGE

    7/35

    Psychotropes Vol. 8 n 1 85

    Frdrick BOIS-MARIAGE

    prise dayahuasca sont rsumes dans le tableau 1, tabli partir des recherchescomportant des analyses quantitatives.

    Tableau 1.Analyses quantitatives dayawaska : concentrations et doses parprises moyennes

    CONTEXTE N HARMINE THH DMT TECHNIQUES(mg/ml) (mg/ml) (mg/ml) REMARQUES

    Dose/prise Dose/prise Dose/prise

    Rivier & Indiens Kulina et 6 0,14 0,06 0,052 0,03 0,12 0,04 CG-SMLindgren Sharanawa, Rio 30 mg 10 mg 25 mg(1972) a Purs, Prou

    McKenna Gurisseurs mtis 5 4,67 0,2 1,60 0,08 0,6 0,06 HPLCet al. de Pucallpa, 280 mg 96 mg 36 mg quantitative(1984) Prou

    Liwszyc Santo Daime 1 1,49 1,39 0,53 CG-SMet al. (Amrique 112 mg 104 mg 40 mg Provenance(1992) b du Sud) et volume

    des prisesnonprciss

    Don et al. Santo Daime, 4 0,74 0,58 0,55 HPLC(1998) Cu do Mar, 56 mg 44 mg 41 mg quantitative

    Rio de Janeiro, Pas dcarts-Brsil types

    Callaway Unio do Vegetal, 1 1,70 1,07 0,24 HPLCet al. Nucleo Caupuri, 252 mg 159 mg 35,5 mg quantitative(1999) Manaus, Brsil

    a Les moyennes et carts-types des concentrations ont t calculs partir des donnes fournies

    par les auteurs dans leur tableau IV (pp. 112-113).b Les doses par prise ont t calcules en se basant sur la moyenne de 75 ml dayahuasca par prisetablie par Don et al. (1998) dans le contexte le plus proche.

    N = nombre dchantillons ; CG-SM = chromatographie en phase gazeuse associe la spectro-mtrie de masse ; HPLC = chromatographie en phase liquide haute pression (et/ou hautesperformances).

    En nous aussi ? !

    partir du milieu des annes 1960, plus dune demi-douzaine dquipes dechercheurs en psychiatrie biologique et biochimie ont annonc avoir dtect ou/et quantifi la prsence de dimthyltryptamine dans diffrents fluides corporels

  • 8/14/2019 Ayahuasca : une synthse interdisciplinaire Frdrick BOIS-MARIAGE

    8/35

    Ayahuasca : une synthse interdisciplinaire

    86 Psychotropes Vol. 8 n 1

    humains comme le sang36, le plasma37, lurine38 et le liquide cphalo-rachidien39.Ceci fait de la dimthyltryptamine le premier endoalcalode potentiellementpsychotomimtique40, hallucinogne41, enthogne42 ou psychdlique43 (PHEP44)

    mis en vidence dans lorganisme humain. Son rle y est encore inconnu, fautede recherche. Des -carbolines endognes ont galement t trouves dans lesystme nerveux central de mammifres45, telle la 6-mthoxy-1,2,3,4-ttrahydro--carboline (6-MeOTHBC)46 rebaptisepinoline aprs quon lui ait trouv unrle dans la glande pinale47. Plus intressant encore, de lharmine a rcemmentt dtecte dans le sang humain48.

    En consquence, layahuasca se prsente comme la prparation PHEP tra-ditionnelle la plus proche de la physiologie humaine : deux parmi ses troisalcalodes principaux sont des substances naturellement prsentes au sein de

    notre organisme49. La prsence atteste de dimthyltryptamine dans le sang etle cerveau50 de mammifres signifie que lon peut trs probablement en absorberlorsque lon consomme du boudin noir ou de la cervelle dagneau.

    36 Franzen & Gross (1965) ; Heller et al. (1970) ; Bidder et al. (1974) ; Angrist et al. (1976).37 Wyatt et al. (1973).38 Par exemple : Tanimukai et al. (1967) ; Rosengarten et al. (1970) ; Carpenter et al.

    (1975) ; Oon et al. (1977) ; Risnen & Krkkinen (1979) ; Checkley et al. (1979) ;Ciprian-Ollivier & Cetkovich-Bakmas (1997).

    39 Christian et al. (1975) ; Corbett et al. (1978) ; Smythies et al. (1979).40 [Qui mime la psychose], attribu au psychiatre tats-unien Ralph Gerard en 1956 parOsmond (1957).

    41 [Qui gnre des hallucinations], prsent sous forme adjective dans la langue franaisedepuis le dbut des annes 1930 sous la plume des psychiatres Henri Claude et HenriEy (1932) puis comme substantif dans la langue anglaise partir de 1954 lorsquil futpropos par les psychiatres Abram Hoffer, Humphry Osmond et John Smythies (Hofferet al.1954).

    42 [Qui en-dieuit , pour reprendre lintressante traduction du terme grec antiqueentheos faite par Gilbert Rouget (1990, p. 345), primitivement utilis pour dsigner unetranse de possession], n en 1979 de la rencontre entre, notamment, lhellniste Carl

    Ruck, lethnomycologue Gordon Wasson et le chercheur indpendant Jonathan Ott :Ruck et al. (1979).

    43 [qui rend visible la psyche, manifeste lesprit ,success worddu psychiatre HumphryOsmond (1957), prsent pour la premire fois en public lAcadmie des Sciences deNew York en 1956.

    44 Cet acronyme regroupe les quatre termes les plus frquemment rencontrs dans lalittrature scientifique contemporaine.

    45 Par exemple : Farrel & McIsaac (1961) ; Rommelspacher et al. (1991).46 Barker et al. (1981).47 Callaway (1994).

    48 Zheng et al. (2000).49 Ce qui, suivre un pharmacologue franais de renom, te toute prtention delayahuasca lappellation de drogue : Les drogues sont toutes des xnobiotiques,cest--dire des substances trangres notre organisme (Richard 1995, p. 12).

    50 Par exemple : Christian et al. (1977).

  • 8/14/2019 Ayahuasca : une synthse interdisciplinaire Frdrick BOIS-MARIAGE

    9/35

    Psychotropes Vol. 8 n 1 87

    Frdrick BOIS-MARIAGE

    Comment a marche ?

    Que des feuilles contenant quasi exclusivement de la DMT servent dadditif

    frquent dans les dcoctions de B. caapi fut une surprise pour les ethnobotanisteset (ethno) pharmacologues qui firent ce constat dans la seconde moiti desannes 196051. Car lon savait depuis une dizaine dannes que si ladimthyltryptamine est active chez lhomme lorsquelle est administre parinjection intramusculaire52, elle reste sans effets notables par voie orale53, plusde dix fois (350 mg) la dose seuil de 25-30 mg par voie intramusculaire54.

    Afin de pouvoir rendre compte de lefficacit de la DMT aprs ingestiondayahuasca, certains auteurs avancrent alors lhypothse dune contribution

    des -carbolines apportes par la liane, et tout particulirement de leur capacitdmontre pour la premire fois en 195855 inhiber de faon rversible uneenzyme catabolisante largement rpandue dans notre organisme (foie, petitintestin, plasma et plaquettes sanguines, cur, poumons, cerveau) : la monoamineoxydase (MAO).

    Vaguement formule telle quelle56 ou en termes aussi prcis qu effetspharmacologiques spcifiques 57 et potentialisation 58, lhypothse dunrle des -carbolines dans lactivation ou la rvlation des effets de la DMT co-

    ingre attendra une quinzaine dannes avant dtre prcise et empiriquementteste dans son principe. En 1984 parat un article relatant une exprimentationconduite par Dennis McKenna et deux associs sur limportant effet inhibiteurde la MAO (IMAO) dchantillons dilus dayahuasca in vitro59. Dans cet articleet une revue de la littrature sur les tryptamines et les -carbolines parue lamme anne60, D. McKenna a prsent la thorie toujours en vigueur aujourdhui :une rapide dgradation viscrale de la dimthyltryptamine par la monoamineoxydase est bloque par laction IMAO conjointe mais non synergique61 de

    51 Par exemple : Poisson (1965) ; Agurell et al. (1968) ; Der Marderosian et al. (1968) ;Pinkley (1969).

    52 Par exemple : Szra (1956, 1957) ; Sai-Halsz et al. (1958) ; Turner & Merlis (1959).53 Szra (1957).54 Turner & Merlis (1959).55 Udenfried et al. (1958).56 Der Marderosian et al. (1968, p. 146).57 Agurell et al. (1968, p. 148).58 Pinkley (1969, p. 311).

    59 McKenna et al. (1984).60 McKenna & Towers (1984).61 Cest--dire quelles ne se potentialisent pas mutuellement : Lactivit inhibitrice des

    trois composs pris ensemble nest pas plus grande que lactivit du compos le plusactif du groupe (McKenna et al. 1984, pp. 219-220).

  • 8/14/2019 Ayahuasca : une synthse interdisciplinaire Frdrick BOIS-MARIAGE

    10/35

    Ayahuasca : une synthse interdisciplinaire

    88 Psychotropes Vol. 8 n 1

    lharmine, de la THH et de lharmaline, rendant ainsi la DMT active par voieorale. La distinction entre deux espces (isozymes) de MAO, A et B dont lessubstrats62, les gnes, les proprits biochimiques et immunologiques diffrent

    tait indique ainsi que la prfrence de lharmaline pour la MAO-A. Depuis,des recherches ont confirm le bien-fond de cette distinction : lharmaline etsurtout lharmine sont de puissants inhibiteurs rversibles spcifiques de laMAO de type A63 (Inhibiteur Rversible de la Monoamine oxydase-A = IRMA,daprsReversible Inhibitor of the Mao-A = RIMA). La spcificit de lharmineest telle quune version radioactive a t valide comme traceur, marqueur dela MAO-A dans des tudes dimagerie crbrale64.

    Lautoexprimentation humaine a fourni des arguments supplmentaires

    cette thorie : ingres isolment, harmine et DMT synthtiques ou obtenuespar extraction ont t dcrites comme pratiquement dpourvues deffets PHEPaux doses communment trouves dans les ayahuasca alors que leur combinai-son rvlait des effets attribus la DMT partir dun certain dosage dharmine65.

    Laction IRMA des -carbolines rend galement assez bien compte delimpressionnante modification dun des principaux paramtrespharmacocintiques de la DMT lorsquelle est ingre dans layahuasca : sontemps de concentration plasmatique maximale (T

    max) passe en moyenne plus

    dune heure et demie (107,5

    32,5 minutes)

    66

    alors quaprs injection, il est de10-15 minutes en intramusculaire67, voire 2 minutes par voie intraveineuse68 !

    62 En ultrasimplifiant , la MAO-A oxyde prfrentiellement les monoamines drives dutryptophane (tryptamine, srotonine) ainsi que la noradrnaline ; la MAO-B, seule oucombine la MAO-A, celles issues de la tyrosine (phnylthylamine, dopamine,adrnaline) ainsi que la tyramine, monoamine sympathomimtique auquel a t attribu

    une responsabilit dans des accidents cardiovasculaires (crises hypertensives) obser-vs avec des IMAO non slectifs irrversibles ( effet fromage ).

    63 Par exemple : Kim et al.(1997). Ajoute au caractre rversible de leur action, cettespcificit des -carbolines vis--vis de la MAO-A permet de saffranchir avec layahuascades restrictions drastiques en aliments riches ou trs riches en tyramine quimposentles IMAO-B ou les IMAO non slectifs : bires avec ou sans alcool, vins, camembert,gouda, roquefort, gruyres, foies de volailles, poissons schs ou en saumure,saucissons, bouillons cubes et extraits de viande, choucroute, soja, levure de bire etproduits ferments, olives, voire cacahutes, chocolat, caf, framboises, avocats,figues et bananes.

    64 Bergstrm et al. (1997).65 Ott (1994, 1999).66 Callaway et al. (1999, p. 250, tableau 2).67 Kaplanet al. (1974, p. 242).68 Strassman & Qualls (1994, p. 89).

  • 8/14/2019 Ayahuasca : une synthse interdisciplinaire Frdrick BOIS-MARIAGE

    11/35

    Psychotropes Vol. 8 n 1 89

    Frdrick BOIS-MARIAGE

    On peut se rappeler ici de la diffrence entre la petite heure deffets de la DMTsynthtique constate en moyenne aprs 50 60 mg par voie intramusculaire69

    et les 3 4 heures deffets rapportes aprs avoir aval une dose type dayahuasca

    contenant 25 40 mg de DMT70. Il est aussi remarquable qu doses identiquesles concentrations plasmatiques maximales de DMT varient considrablementdune personne lautre, quelle que soit la manire dont celle-ci est introduitedans lorganisme : dun facteur 6 ou 7 aprs injections intramusculaires ouintraveineuses71, 2 aprs ayahuasca72.

    Cela dit, je nadhre pas la proposition dgrade en vulgate restreignantla contribution de la liane un simple effet purgatif lorsquelle est prpareseule73 ou de faire-valoir de la DMT dans le mlange74 : il ne saurait tre question

    de rduire les effets de layahuasca ceux de lassociation harmine-DMT,encore moins ceux de la seule dimthyltryptamine.

    Dune part, le cocktail de -carbolines prsent dans layahuasca estnettement purgatif, psychoactif et finement psychdlique. Souvenons-nousque plusieurs groupes dAmrindiens ont t dcrits comme ne prparant desayahuasca quavecBanisteriopsis caapi 75. La plupart des Indiens prparant desayahuasca ont dailleurs signifi toute limportance de cette dernire en donnantau mlange le nom local, vernaculaire, de la liane76. De plus, les effets

    psychotropes dune dcoction non rduite dayahuasca-liane sans additif, telsque nous les avons personnellement nots durant une dite de 4 jours Tarapoto,recouvrent bon nombre de ceux dcrits pour le mlange. En vrac et rsum :magnification de la perception des sons, des couleurs et des contours (dtails),sensibilit exacerbe aux odeurs, introspection, prise de conscience du corps(notamment de la sphre gastro-intestinale), permabilit lAutre77. Lesrarissimes exprimentations cliniques avec des-carbolines synthtiques nont

    69 Szra (1956) ; Sai-Halsz et al. (1958) ; Turner & Merlis (1959) ; Kaplan et al. (1974).

    70 Rivier & Lindgren (1972) ; McKenna et al. (1984) ; Callaway et al. (1999) ; Callaway(1999).

    71 I.m. : Kaplanet al. (1974, p. 241, fig. 1) ; i.v. : Strassman & Qualls (1994, p. 90).72 Callaway (1999, p. 269).73 Par exemple : Andritzky (1989) ; Fericgla (1997, p. 31).74 Par exemple : Ott (1994, p. 23) ; McKenna et al. (1998).75 Friedberg (1965) ; Reichel-Dolmatoff (1970, 1974) ; P. Naranjo (1983, pp. 147, 159) ;

    Desmarchelier et al. (1996).76 Luis Eduardo Luna (1986a, annexe 2 ; 1986b, pp. 249-251) a compil une quarantaine

    de noms vernaculaires attribus aux breuvages. La plupart dentre eux dsignent laliane. Les plus communment trouvs dans la littrature sont : caapi (langue Tupi),

    natem (langue Jivaro) etyaj (langue Tukano).77 Nos (auto)observations saccordent mieux avec celles, nocturnes, de William Burrou-

    ghs (dans sa Yage Letterdu 15 avril 1953 [1997, p. 45]) et de lethnologue GerardoReichel-Dolmatoff (1970), qui ont bu une macration de liane seule prpare par des

  • 8/14/2019 Ayahuasca : une synthse interdisciplinaire Frdrick BOIS-MARIAGE

    12/35

    Ayahuasca : une synthse interdisciplinaire

    90 Psychotropes Vol. 8 n 1

    pas puis le sujet. Prise par voie orale, lharmine a t dclare incapable deproduire des hallucinations visuelles jusqu prs dun gramme (960 mg)tout en produisant dautres effets subjectifs partir de 300-400 mg78, ou encore

    dtre moiti moins efficace, hallucinogne , que lharmaline avec un seuil 8 mg/kg79. Quant aux exprimentations dites de discrimination de drogue (drug discrimination) qui ont valu avec diffrentes souches de rats une gnralisation de lharmaline et/ou de lharmine au stimulus constitupar ladministration rpte (associe un conditionnement oprant) dun PHEPsynthtique ou semi-synthtique classique (DOM [STP] & LSD)80, ouinversement81, leurs rsultats sont si contradictoires et peu significatifs que laseule conclusion raisonnable aujourdhui est quen la matire il sagit d agents

    nigmatiques

    82

    .Dautre part, lharmine, la THH et lharmaline par leur action IRMA, lattrahydroharmine par sa probable capacit inhiber la recapture de la sroto-nine83 interagissent certainement84 et concourent ensemble attnuer85 et

    (suite note 77)Indiens de la rgion du Vaups en Colombie, quavec celles des psychonautes testeurs d anahuascas (analogues vgtaux le plus souvent prpars avec desgraines de larbuste Peganum harmala comme source de -carbolines) et de

    pharmahuascas (gnralement un mlange dharmine ou dharmaline et de DMTpures) qui dcrivent un effet ressemblant celui du Valium diazpam ( Valium-like ) (par exemple : Ott 1994, 1999).

    78 Harry Pennes & Paul Hoch (1957, p. 888), avec 32 patients psychiatriques volontai-res .

    79 Claudio Naranjo (1967, p. 387). Ce psychiatre chilien a surtout travaill avec lharmaline, laquelle il a cru pouvoir rduire layahuasca (C. Naranjo 1973) comme dautres le fontaujourdhui avec la DMT. Or lharmaline est un composant mineur des ayahuasca-lianes, souvent prsent ltat de traces dans les dcocts.

    80 Nielsen et al. (1982) ; Glennon et al. (1983b) ; Helsley et al.(1998).81 Grella et al. (1998).

    82 Helsley et al. (1998, p. 658).83 Le pharmacologue finlandais Mauno Airaksinen et ses collaborateurs (1980) ont valu

    7 -carbolines pour leurs capacits inhiber la recapture de la srotonine et de ladopamine dans les plaquettes sanguines humaines. La ttrahydroharmine (THH) nefaisait pas partie du lot. Toutefois, Jace Callaway, qui travaille dans le mme dparte-ment de pharmacologie que les susnomms, sest rfr cet article pour prter unfaible potentiel dinhibition de la recapture de la srotonine neuronale la THH :Callaway (1999, p. 259) ; Callaway et al. (1999, p. 254). Dautres recherches (parexemple : Portier 1984) ont confirm sur des cerveaux de rats les rsultats de lquipedAiraksinen (inhibition de la recapture de la srotonine) avec 3 ttrahydro--carbolines

    testes par cette dernire. Mais toujours rien concernant la THH. Il sagit donc duneextrapolation de bon aloi, double dune hypothse plausible dont la dmonstrationempirique reste faire.

    84 Callaway et al. (1999, p. 254).85 Sai-Halsz (1963) ; Grob et al. (1996) ; Ott (1996b) ; McKenna et al. (1998).

  • 8/14/2019 Ayahuasca : une synthse interdisciplinaire Frdrick BOIS-MARIAGE

    13/35

    Psychotropes Vol. 8 n 1 91

    Frdrick BOIS-MARIAGE

    modifier86 les effets des doses paradoxalement plutt faibles dedimthyltryptamine releves dans les ayahuasca. Mme des souris lont signi-fi : au dcours dune procdure standard de testing neuropsychopharmaco-

    logique des combinaisons harmine + DMT et extrait dayahuasca-liane +DMT, Cory Freedland et Robert Mansbach ont not que leurs souris avaientprsent des diffrences subtiles mais nettes entre ces combinaisons87.

    Enfin, une chelle neurobiologique fine, laspect IRMA des -carbolinesnest peut-tre pas la fin de lhistoire : en conclusion dune rechercheneuropharmacologique sur des prparations membranaires, Jan Klinker et sescollaborateurs ont suggr que, par ordre defficacit relative dcroissante,lharmol, lharmine et lharmaline se comportent en agents atypiques capables

    dactiver un mcanisme de transduction neuronal88

    en interagissant directementavec une protine-G intracellulaire couple un rcepteur, sans passer parlintermdiaire de ce dernier89. Mme si la pertinence de cette dernire recherchesavrait tre nulle pour la neuropsychopharmacologie de layahuasca, elle nensouligne pas moins le caractre trs incomplet, fragmentaire de celle-ci.

    cette incompltude concernant les proprits psychotropes de certains deses composants (la THH est trs peu connue) sajoute la difficult penserlenchevtrement dau moins trois actions pharmacologiques simultanes :

    layahuasca possde son propre profil pharmacologique, irrductible lunquelconque de ses composants. Cest un alliage la pharmacodynamiquesingulire et complexe, quil est aussi pertinent de rduire , mettons, la DMT,

    86 Freedland & Mansbach (1999).87 Freedland & Mansbach (1999, pp. 192, tabl. 2, 193).88 Schmatiquement, il sagit dune tape cl de la neurotransmission o le signal

    chimique constitu par la liaison entre un neurotransmetteur (ou plus gnralement unemolcule efficace, un ligand agoniste), en quantit suffisante, et un site de fixationappartenant un rcepteur transmembranaire, lui aussi prsent en quantit/densit

    suffisante (et que nous supposerons appartenir un neurone-cible et une synapseexcitatrice pour simplifier lexplication), est converti, transduit dans le voisinage de lazone de contact chimique (synapse) en mini-vnements lectrochimiques (ouverturede canaux ioniques, diminution du potentiel lectrique, du voltage de la membrane) lintrieur de ce neurone-cible via une cascade plus ou moins complique de proces-sus. Lorsquelle atteint un seuil dit dexcitation, laddition de ces mini-vnementslocaux peut donner naissance une onde lectrochimique qui se propage dans tout leneurone : le potentiel daction ou influx nerveux. Des protines-G (dont le nom provientdes nuclotides drivs de la Guanine auxquelles elles sont lies) font office dinterm-diaires dans la cascade transductrice pour un trs grand nombre de rcepteurs.

    89 Klinker et al. (1997). Relativement aux doses absorbes avec layahuasca, les concen-trations auxquelles ce phnomne a t mis en vidence sont trs leves. Toutefoisles auteurs soulignent que leur proprit lipophile pourrait leur permettre de seconcentrer localement de faon beaucoup plus importante in vivo dans des membra-nes neuronales.

  • 8/14/2019 Ayahuasca : une synthse interdisciplinaire Frdrick BOIS-MARIAGE

    14/35

    Ayahuasca : une synthse interdisciplinaire

    92 Psychotropes Vol. 8 n 1

    que de rduire la couleur marron au rouge. Ce que confirment les donnesphysiologiques.

    Indicateurs physiologiques

    Les effets proprement physiologiques de layahuasca et de la dimthyltryptamineprsentent des similarits aussi bien que des diffrences : troitement lis ladure des effets neuropsychiques, ils sinstallent et disparaissent rapidementavec la dimthyltryptamine synthtique, sont plus lents se dvelopper etseffacer avec layahuasca. Parmi eux, les effets cardio-vasculaires sont certai-nement parmi les plus importants prendre en considration lorsquil sagitdvaluer des risques potentiels pour la sant. Or les lvations de la frquencecardiaque et de la pression artrielle durant les 60 90 minutes suivant la prisedayahuasca (il y a ensuite retour la normale, voire une lgre bradycardie ethypotension) sont nettement moins prononces (dun facteur 2 environ)90

    quaprs administration de dimthyltryptamine de synthse91. Bien que remar-quables, elles ont t considres comme non hypertensives 92 dans le cas delayahuasca alors que lexclusion des personnes ayant ou ayant fait de lhyper-tension a t recommande pour les protocoles de recherche sur la

    dimthyltryptamine93

    . Il y a fort parier que leffet hypotenseur et bradycardiaquede lharmine, not depuis bien longtemps94, est partie prenante dans ce netamortissement de laction cardio-vasculaire de la DMT.

    Parmi les indicateurs physiologiques, les missions biolectriques neuro-nales transduites en lectroencphalogramme furent longtemps seules fournirquelques indices sur lactivit crbrale, activit laquelle il est lgitimedaccorder quelque importance avec layahuasca et la DMT. Or ce jour je naiconnaissance daucune tude lectroencphalographique digne de ce nompublie sur les effets de la DMT chez lhomme95. Quant layahuasca, lesrsultats de deux recherches publis rcemment confirment sa capacit

    90 Callaway et al. (1999, p. 253, figure 5).91 Strassman & Qualls (1994, p. 94, figure 10).92 Callaway et al. (1999, p. 253).93 Strassman & Qualls (1994, p. 95).94 Par exemple : Halpern (1930) ; Gunn (1935) ; Pennes & Hoch (1957). La plupart des

    IMAO tests (Greeff et al. 1983) ou prescrits (Lambert 1980, pp. 117-119) ont une actionsympatholytique, ergo hypotensive.

    95 Hormis William Turner & Sidney Merlis (1959, p. 127), qui dune phrase signalent untrac EEG inchang propos dune patiente victime de leurs curantes exprimen-tations new-yorkaises (40 mg de DMT intramusculaire), et les quelques lignes issuesdes recherches conduites par Bernd Saletu et ses collaborateurs Vienne avec 8volontaires normaux (1,2 mg/kg de DMT intramusculaire), qui l aussi indiquent soit

  • 8/14/2019 Ayahuasca : une synthse interdisciplinaire Frdrick BOIS-MARIAGE

    15/35

    Psychotropes Vol. 8 n 1 93

    Frdrick BOIS-MARIAGE

    surprendre : ils sont totalement contradictoires. Avec des donnes EEG prove-nant de 12 Indiens Shuar (dont 3 chamanes) enregistrs chez eux dans lAma-zonie quatorienne et 12 Espagnols volontaires qui ont pris de layahuasca dans

    un centre hospitalier de Barcelone, lanthropologue Josep Maria Fericgla abouti lhypothse que layahuasca augmente limportance relative et absoluede lactivit biolectrique du cerveau associe lamplitude des ondes thta. 96

    De leur ct, Neil Don et ses (nombreux) collaborateurs, aprs avoir recueillileurs enregistrements auprs de 11 fidles dune glise du Santo Daime auBrsil, ne trouvrent daugmentation significative que dans la bande (parfoisappele gamma) des 36-44 Hz, au-dessus des aires postrieures gauches ducortex. Ils notrent galement une lgre diminution dans le thta et lalpha et

    une lgre augmentation dans le bta au niveau de la plupart des sitesdenregistrement97.

    Toxicit aigu ?

    Soulignons-le demble : aucun cas de dcs suite lingestion dayahuasca nat document ou rapport de premire main dans la littrature ethnographiqueet mdicale consulte. Le docteur Mabit est, ma connaissance, le seul avoir

    not entre parenthses que des cas de dcs conscutifs la non-observance dune abstinence sexuelle immdiatement aprs une sessiondayahuasca lui avaient t signals 98. En fait, si lon excepte les effetspurgatifs, monctoriels (vomissements et diarrhe) parfois impressionnants,parfois absents puisquils occupent une position centrale dans les dispositifstraditionnels vise thrapeutique (dans toute lAmazonie occidentale hispano-phone, le terme castillan utilis pour dsigner layahuasca est la purga, la

    (suite note 95)une absence de changement (Arnold et al. 1971) soit des modifications ne reproduisantque partiellement celles observes avec le LSD (Saletu 1976, p. 38), la littrature estremarquablement vide.

    96 Fericgla (1997, chap. 4, section 2 ; citation p.103). Soulign par lauteur.97 Don et al. (1998, citation p. 91). Les bornes infrieures et suprieures des bandes de

    frquence de lEEG fluctuent lgrement selon les auteurs ou le degr de sophisticationde la recherche. Le physiologiste spcialiste de lEEG Pierre tvenon (1987, p. 25)

    indique les valeurs suivantes : 4-7 Hz pour le thta, 8-12 Hz pour lalpha et 13-30 Hzpour le bta.98 J. Mabit (1988, p. 5). Traduit en anglais, toujours entre parenthses et sans plus de

    dtailsin Mabit et al. (1995, p. 271). Une ltalit potentielle ne se traite pas en passant :tout risque sanitaire majeur exige un luxe non superflu dinformations et de prcisions.

  • 8/14/2019 Ayahuasca : une synthse interdisciplinaire Frdrick BOIS-MARIAGE

    16/35

    Ayahuasca : une synthse interdisciplinaire

    94 Psychotropes Vol. 8 n 1

    purge)99, la seule complication somatique aigu srieuse documente et publieconcerne linteraction entre layahuasca et un clbre psychotrope ISRS (cf.infra) transnosographique abondamment prescrit de par le monde : la

    fluoxtine100, dont le nom commercial na pas besoin de publicit ici. La gravitdu cas prsent tait moyenne, sans squelles apparentes. Toutefois, le risquepotentiel est de voir survenir un syndrome srotoninergique grave, vnementrare dont lissue peut tre fatale101. Il est donc au passage rappel que participer un rituel comportant lingestion dayahuasca exige, tant pour des raisons descurit que de sens, larrt des prises de tout psychotrope industriel, et toutspcialement de ceux augmentant les taux de srotonine crbrale libre (Inhi-biteurs Slectifs ou non de la Recapture de la Srotonine : ISRS, IRS, IRS-IRNA [NA = noradrnaline] ; IMAO-A ou non spcifique ; prcurseurs de lasrotonine). Le pharmacologue Jace Callaway a recommand un dlai de huitsemaines entre larrt des prises dun inhibiteur slectif de la recapture de lasrotonine (ISRS) et lingestion dayahuasca102. Au vu de la littrature sur lapersistance plasmatique inhabituelle de la fluoxtine et de certains de sesmtabolites103, cinq six semaines paraissent dj trs raisonnables.

    Toxicit moyen et long terme ?

    Depuis des dcennies, ethnoanthropologues et ethnobotanistes ont dcrit desconsommations rituelles collectives rgulires dayahuasca auxquelles pren-nent part peu prs tous les hommes dans des groupes dIndiens vivant engrande partie de la chasse dans la fort amazonienne104. Compte tenu desperformances cognitives et sensorimotrices inoues quimposent une chasse

    99 Il en irait autrement dans les cultes syncrtiques brsiliens (Santo Daime, UDV) o

    les vomissements seraient plutt perus comme lindice dune foi dfaillante (PatrickDeshayes 2000, communication personnelle). De lenqute en cours mene parlauteur de ces lignes avec Annick Darley auprs des pratiquants du Santo Daimefranais, il ressort que si les vomissements nont pas une place privilgie dans leursrituels, les attitudes leur gard sont loin dtre homognes : certains en ont uneconception trs proche de celle associe au chamanisme et au curandrisme ouest-amazoniens, o il sagit dexpulser le mal (maladies, conflits, traumas, motions etaffects ngatifs, malfices, etc.).

    100 Callaway & Grob (1998).101 Par exemple : Sternbach (1991) ; Beasleyet al. (1993) ; Neuvonen et al. (1993).102 Callaway (1999, p. 261).103 Par exemple : Copland & Gorman (1993).104 Par exemple : Carneiro (1964, 1974) (Amahuaca) ; Der Marderosian et al. (1968)

    (Kofns) ; Kensinger (1973) (Huni Kuin) ; Reichel-Dolmatoff (1974) (Tukano) ; Deshayes& Keifenheim (1994) (Huni Kuin) ; Deshayes (2000) (Huni Kuin).

  • 8/14/2019 Ayahuasca : une synthse interdisciplinaire Frdrick BOIS-MARIAGE

    17/35

    Psychotropes Vol. 8 n 1 95

    Frdrick BOIS-MARIAGE

    larc (ou la sarbacane) fructueuse dans un tel biotope105, une quelconque(neuro) toxicit rsiduelle de layahuasca, amoindrissant ne serait-ce quelgrement ce niveau soutenu de performances, naurait pas permis ces rcits

    de nous parvenir, faute dIndiens dcrire. Quant parler dun usagemultimillnaire

    Pour les citadins qui vivent des et font vivre les sciences biomdicales, lesstandards obligs de lvidence sont moins immdiats que ceux de lIndienvivant de sa chasse quotidienne en fort : il faut en passer par le protocole et laquantification.

    Publie dans un des priodiques de rfrence lchelle mondiale enpsychiatrie, une tude standardise sur les consquences long terme de lusage

    rgulier dayahuasca dans un cadre rituel, conduite par une quipe internatio-nale compose de chercheurs brsiliens, tats-uniens et finlandais (lhoascaproject) a conclu la normalit physiologique, neuropsychologique et psychia-trique des personnes tudies. Il sagissait de 15 membres dun culte syncrtiquebrsilien, lUnio do Vegetal (UDV)106, ayant consomm de layahuasca

    105 Une illustration : archers remarquables (il leur faut tuer le gibier dune flche, envitant de le blesser [Patrick Deshayes 1999-2000, sminaire du DESS de lU.F.

    Anthropologie, Ethnologie, Sciences des religions, Universit Paris 7 Denis Diderot.

    Notes personnelles], les chasseurs Huni Kuin (Cashinahua ou Kaxinawa) savent parexemple dceler lodorat le passage dune bande de pcaris [], mme quelques heures dintervalle (Deshayes & Keifenheim 1994, p. 44). Passs matresdans lart du camouflage visuel et olfactif (Deshayes 2000, p. 176, note 1), ils attirent eux leur proie en imitant les cris pertinents. Dume Taku Bena, un des meilleurschasseurs de Balta, sait imiter environ 120 cris danimaux (Deshayes & Keifenheim1994, p. 44). Leur capacit dobservation des animaux quils chassent vaut celledun(e) thologue : Un chasseur peut observer des semaines, voire des mois unebande de singes hurleurs avant de prendre la dcision dintervenir. [] Ce momentvenu, il se contentera de tuer peu de singes et toujours trs loin de larbre qui leursert de camp de nuit. Sil sattaquait cet arbre il ferait certes une chasse trs

    fructueuse mais ceci aurait pour consquence la disparition de la bande de sonterritoire (Deshayes & Keifenheim 1994, pp. 43-44). Par ailleurs, lexception duchamane, lensemble des hommes prend rgulirement de layahuasca lors decrmonies collectives (Deshayes 2000, p. 195).

    106 Dapparition plus rcente (1961) que le Santo Daime, lUDV originelle dont le nomstatutaire complet est Centro Esprita Beneficente Unio do Vegetal sen distinguepar une doctrine plus sotrique dominante franc-maonnique et rosicrucienne,labsence de chants collectifs et de danses durant les crmonies, une hirarchie etdes rgles dadmission plus rigides (dinspirations maonniques), une compositiono les urbains des classes moyennes et aises sont majoritaires (Henman 1986 ;

    Andrade 1995). LUDV a galement une stratgie dinstitutionnalisation plus affirme(MacRae 1998). Ainsi lhoasca project, cr linitiative de sa branche mdicale,avait clairement pour objectif de prenniser lautorisation lgale de layahuasca auBrsil. Pour autant cela ne la pas mise labri des dissidences (phnomneendmique avec layahuasca) : il existe aujourdhui trois UDV concurrentes au Brsil

  • 8/14/2019 Ayahuasca : une synthse interdisciplinaire Frdrick BOIS-MARIAGE

    18/35

    Ayahuasca : une synthse interdisciplinaire

    96 Psychotropes Vol. 8 n 1

    environ une fois par semaine pendant plus de dix ans lors des crmonies duculte. En fait, bien quayant pour la plupart prsent des antcdents dedpendance lalcool ou dautres substances avant dentrer lUDV, toutes ces

    personnes taient abstinentes depuis et leurs rsultats aux testsneuropsychologiques taient meilleurs que ceux dun groupe contrle apparide personnes nayant pas pris dayahuasca107.

    Cette quipe a toutefois mis en vidence une consquence biologiqueinattendue de la prise rgulire dayahuasca chez ces personnes : une lvationstatistiquement significative vis--vis du groupe contrle de la densit (B

    max)

    de sites de recapture de la srotonine (transporteur) dans les plaquettes sangui-nes (considres comme un bon modle de ce qui se passe dans le cerveau quant

    ce paramtre). Leur conclusion fut que cette augmentation nindiquait pas un tat neurologique ou psychiatrique indsirable 108. Intrigu par ce rsultat,Jace Callaway a suspect la THH et sa probable capacit dinhibition de larecapture de la srotonine (ergo du transporteur). Il a fourni une premirevrification empirique de cette hypothse sur lui-mme en prenant quotidienne-ment de la THH durant 6 semaines. Une session de Tomographie par missionde Simples Photons (TESP) (Single Photon Computed Tomography = SPECT)en dbut et fin dexprience lui a permis de noter une augmentation des sites derecapture de la srotonine dans son propre cortex prfrontal. Quelques semaines

    plus tard, ils taient revenus leur densit initiale109.En consquence des deux derniers points traits, il nest pas possible de

    parler de toxicit de layahuasca ce jour. En revanche, il nest pas non pluspossible de passer sous silence lexistence de complications aigus, de crisesdescriptibles avec les mots de la psychopathologie.

    Crises psychopathologiques

    La probabilit de voir survenir une crise que la tradition psychopathologiquefranaise pourrait nommer dallure psychotique de type bouffe dlirante

    (suite note 106)(Andrade 1995, p. 3, note 1). Les deux principales, le Centro Esprita BeneficenteUnio do Vegetalet le Centro EspiritualBeneficente Unio do Vegetal, ont leurs sitesweb respectifs : http ://www.udv.org.br et http ://www.uniaodovegetal.org.brComme certaines branches du Santo Daime, lune et/ou lautre des deux UDVprincipales ont export leurs pratiques, beaucoup plus discrtes que celles des

    daimistes. Selon des responsables daimistes franais, lUDV (laquelle ?) estimplante en France. Nous nen connaissons aucun membre dclar.107 Grob et al. (1996).108 Callaway et al. (1994, p. 387).109 McKenna et al. (1998, p. 71).

  • 8/14/2019 Ayahuasca : une synthse interdisciplinaire Frdrick BOIS-MARIAGE

    19/35

    Psychotropes Vol. 8 n 1 97

    Frdrick BOIS-MARIAGE

    (onirode) subaigu durant ou la suite dune prise dayahuasca est faible maisbien relle. Les gurisseurs mtis de lAmazonie pruvienne (curanderos) quiemploient layahuasca (ayahuasqueros) connaissent, noncent ce risque : ils

    croient que certaines personnes ont des mes faibles et ne devraient pasprendre le breuvage. Si elles le font, elles peuvent faire des choses insensescomme ter leurs vtements et senfuir dans la jungle, mordre ou chercherquerelle dautres participants la crmonie, etc. 110. Plusieurs rcits serecoupant, entendus en France et au Prou, indiquent que les praticiens expri-ments de layahuasca eux-mmes ne sont pas labri dun imprvisible, rareet soudain pisode confusionnel dintensit et dure variables aprs en avoirabsorb. La prsence dassistant(s) et/ou de confrre(s) dans le cercle crmo-niel fonctionne alors comme un efficace et littral garde-fou : ils prennent lerelais et, le cas chant, aident le maestro qui tarde recouvrer, l encore biensouvent littralement, ses esprits. Ces crises sont souvent racontes sur un modeanecdotique par les praticiens ou par un tiers en leur prsence. Une chronicisationparat donc de facto exclue.

    En France, de sources sres, je suis au courant de deux cas dpisodesqualifiables de dlirants, lun aprs et lautre pendant une session dayahuasca.Le premier a eu un certain retentissement : une pouse dsempare a dposplainte au tlphone auprs de lAssociation de dfense des familles et de

    lindividu (ADFI), racontant en substance que son mari tait dans la pice ct en train de se battre avec des esprits 111. Dans les deux cas il sagissait depersonnes ayant particip des crmonies conduites par des personnesitinrantes et officiant seules : un authentique chamane (et fils de chamane)Shipibo-Conibo des environs de Pucallpa (Prou) qui part en tourne chaqueanne en Europe et une autoproclame chamane bien de chez nous qui asjourn au Prou.

    La prvalence, lincidence et les consquences de telles crises parmi les

    centaines de Franais(es) et les milliers dEuropen(ne)s qui prennent delayahuasca chaque anne en Europe ou en Amrique du Sud sont extrmementdifficiles tablir, ne serait-ce quen raison de labsence dtudes, de la diversitdes contextes qui rend toute mise sur le mme plan quelque peu arbitraire, et dela discrtion de ces pratiques lorsque layahuasca est en dlicatesse avec lesautorits policires ou/et judiciaires locales. Toutefois, il semble bien que pourdes personnes naves non slectionnes, le risque soit bien plus lev enparticipant une session dayahuasca aprs une trs courte prparation (1 2 jours), dans un lieu investi pour loccasion, avec un matre de crmonie en

    110 Luna (1986a, pp. 152-153).111 Patrick Deshayes (1999-2000), sminaire du DESS de lU.F. Anthropologie, Ethno-

    logie, Sciences des religions, Universit Paris 7 Denis Diderot. Notes personnelles.

  • 8/14/2019 Ayahuasca : une synthse interdisciplinaire Frdrick BOIS-MARIAGE

    20/35

    Ayahuasca : une synthse interdisciplinaire

    98 Psychotropes Vol. 8 n 1

    transit oprant en solo. En faisant disparatre les quelques pratiques rituellesstabilises existant en France (en Europe ?), une prohibition lgale de lusagede layahuasca ne pourrait que faire se multiplier de tels contextes risque

    augment112.De plus, suivre lethnologue Ernesto de Martino (1971) et Bertrand

    Mheust113, nous vivons dans une socit dont la majorit de llite intellectuellea, depuis les annes 1930, class le drangeant dossier de la mtapsychique toutau fond du tiroir tabou acadmique avec la mention implicite dfense dechercher . Cela laisse bien peu de place des expressions, interprtations etprises en charge alternatives de phnomnes indissociables voire caractristi-ques des pratiques chamaniques et mtisses : abandonns au peuple, les esprits,

    la sorcellerie, la cryptesthsie (prmonition, vision distance, tlpathie, etc.)sont, retour attendu de lopration, au mieux taxs de croyances , survivan-ces et superstitions populaires, quand ils ne sont pas considrs commelindice dun dysfonctionnement psychique majeur114.

    Or ds la fin des annes 1950 lanthropologue Anthony Wallace avaitadopt un point de vue systmique et signal limpact ngatif probable dunedfinition pathologique conventionnelle sur des expriences que lui-mme nadailleurs pu ou su formuler autrement quen termes d hallucinatoires 115.

    112 Selon nos informations les plus rcentes (janvier 2001), le conditionnel nest plus demise : des pratiques sauvages apparaissent alors quelles taient inconnues il y aquelques mois, avant que juge et policiers ninterdisent de facto la tenue en Francede crmonies-ayahuasca dans des structures stabilises. Une augmentation delincidence, de la prvalence et de la gravit des crises ractionnelles est prdictible.

    113 La thse dite de Bertrand Mheust (1999), qui se dfinit lui-mme comme polygraphe curieux , est une somme magistrale qui tord le cou quelquesprjugs modernes tenaces concernant le mdiumnisme, la mtapsychique etpermet de se faire une ide de la partie immerge de liceberg, dont les aspectsaujourdhui les plus visibles, la parapsychologie et la psychologie transpersonnelle,peinent rendre compte.

    114 Autre thse publie, louvrage de Pascal Le Malfan (1999) dtaille dans son chapitreIV le rejet et la pathologisation dont fit lobjet la mtapsychique dans les annes1930 de la part dune psychiatrie juge et partie dans la dfinition dune normalitculturelle.

    115 Wallace (1959).

  • 8/14/2019 Ayahuasca : une synthse interdisciplinaire Frdrick BOIS-MARIAGE

    21/35

    Psychotropes Vol. 8 n 1 99

    Frdrick BOIS-MARIAGE

    viter la pathologisation

    linstar dautres substances PHEP naturelles, layahuasca et la dimthyltryp-

    tamine stimulent fortement limagerie mentale116.Cette intensification de lima-gerie est recherche et cultive dans les pratiques rituelles chamaniques117, dansleurs avatars mtis et les cultes syncrtiques, pour des fins thrapeutiques118,liturgiques119, divinatoires120 et de cohsion sociale121 (rouverture, partage etvcu intime de lespace/temps mythique, originel ou fondateur du groupe,intgration somato-psycho-culturelle, adaptation, expression artistique). Dansces contextes, il est abusif et dnu de sens de se borner employer les termes hallucination , hallucinatoire , voire hallucinogne , la manire dontun psychiatre occidental pourrait le faire. Lauteur du monumental Trait deshallucinations est trs clair ce sujet : Il y a des cas incontestables dHallu-cinations pathologiques et des cas de fausses hallucinations qui ne sont paslobjet de la Psychiatrie, mais de la Sociologie ou de la Thologie. [] La loiqui fixe lassignation dun coefficient de ralit (communment institue) desphnomnes imaginaires nest rien dautre que celle du groupe culturel. []Aussi lillusion mtaphysique tout en laissant la libert dune rponse chacun est-elle en quelque sorte conforme la loi du groupe dont lindividu fait partie,et cet gard, elle nest justement pas anomique donc pas hallucina-

    toire. 122

    Dautre part, la plupart des scientifiques et cliniciens qui se sont penchs surles psychotropes PHEP naturels dits classiques depuis plus dun demi-sicle

    116 Cest bien sr la modalit visuelle qui est la plus spectaculairement sollicite avec laDMT. Les modalits auditives et olfactives sont galement trs prsentes aveclayahuasca mais il reste vrifier si lon peut parler dintensification de limagerie

    leur sujet. Pour la partie visuelle, lanthropologue Jeremy Narby (1995) sest taill unsuccs mondial avec lhypothse que layahuasca stimulerait lmission de photonspar notre ADN dans le spectre visible. Reste trouver dans notre systme nerveuxdes yeux pour voir cette lumire, qui ne contiendraient pas eux-mmes de lADN lumineux .

    117 Par exemple : Noll (1985).118 Par exemple : Delgado et al. (1972) ; Dobkin de Rios (1972/1984, 1973, 1989,

    1992) ; Siskind (1973) ; Luna (1986a) ; Hultkrantz (1995).119 Par exemple : Henman (1986) ; Lapassade (1990, chap. 6) ; Deshayes (1993) ;

    Andrade (1995).120 Par exemple : Rouhier (1927) ; Wasson (1958) ; Dobkin de Rios (1992, chap. 10).121 Par exemple : Allain (1973, partie III, chap. E) ; Kensinger (1973) ; Reichel-Dolmatoff

    (1974) ; La Barre (1974) ; Baer & Snell (1974) ; Andritzky (1989) ; Fericgla (1994) ;Rossi (1997, pp. 110-116) ; Deshayes (2000).

    122 Ey (1973, vol 2, p. 1191).

  • 8/14/2019 Ayahuasca : une synthse interdisciplinaire Frdrick BOIS-MARIAGE

    22/35

    Ayahuasca : une synthse interdisciplinaire

    100 Psychotropes Vol. 8 n 1

    (DMT, 5-MeO-DMT, mescaline, psilocybine, psilocine et leurs sources vg-tales) les ont considrs comme dpourvus de potentiel toxicomanogne ouaddictif123. Ceci a t confirm par des expriences sur lanimal124 ainsi que par

    des recherches cliniques o ont t examins et tests les critres de dpendancedfinis dans loutil diagnostic de rfrence international en psychiatrie, leDiagnostic and Statistical Manual (DSM, versions III-R & IV)125. Dans cesdernires recherches, alors que des facteurs uniques ont permis de valider unconcept de dpendance dfinissant un putatif processus psychobiologiquecommun plusieurs substances (alcool, cannabis, cocane, stimulants, sdatifset opiacs), tel ntait pas le cas avec les psychotropes PHEP. Combinantamertume prononce et activit mtique, layahuasca possde en sus la

    proprit dengendrer rapidement chez tous les humains un insurmontablerflexe de dgot126 (taste aversion).

    Utilit thrapeutique

    Les usages et les effets thrapeutiques de layahuasca pris dans un cadre ritualissont bien attests et documents : chez les Indiens qui lont invente127, dans lespratiques des gurisseurs mtis pruviens128 et colombiens129 ainsi que dans les

    cultes syncrtiques brsiliens qui ont vu le jour au XXe sicle130. Ces pratiques,situations ou contextes thrapeutiques sont trs divers et noffrent lanalyseque peu de points communs :

    123 Par exemple : Guttmann (1936) ; Frederking (1955) ; Osmond (1957) ; Hollister

    (1968) ; Schultes & Hofmann (1981) ; Valla (1983) ; Siegel (1990) ; Carroll (1990).124 Par exemple : Glennon et al. (1983a) ; Siegel (1990).125 Par exemple : Kostenet al. (1987) ; Morgenstern et al. (1994).126 Patrick Deshayes (1998-99), sminaire Utilisation rituelle des psychotropes du

    DESS de lU.F. Anthropologie, Ethnologie, Sciences des religions, Universit Paris7 Denis Diderot. Notes personnelles.

    127 Par exemple : Siskind (1973) ; Schultes & Hofmann (1981) ; P. Naranjo (1983) ;Gebhart-Sayer (1986) ; Illius (1992) ; Matteson Langdon (1992) ; Schultes & Raffauf(1992) ; Shepard Jr. (1998) ; Deshayes (2000).

    128 Par exemple : Del Castillo (1963) ; Dobkin de Rios (1972/1984, 1973, 1989, 1992) ;

    Delgado et al. (1972) ; Luna (1984, 1986) ; Luis-Blanc et al. (1988) ; J. Mabit (1988) ;Luis-Blanc (1994).129 Par exemple : Taussig (1987).130 Par exemple : MacRae (1992) ; Deshayes (1993) ; Groisman & Sell (1995) ; Grob et

    al. (1996).

  • 8/14/2019 Ayahuasca : une synthse interdisciplinaire Frdrick BOIS-MARIAGE

    23/35

    Psychotropes Vol. 8 n 1 101

    Frdrick BOIS-MARIAGE

    1. la prsence dune prparation base deBanisteriopsis caapi ;2. une conception des maladies et des ressources thrapeutiques autre que

    celle cantonne lorganicisme physicaliste de la mdecine occidentale ;

    3. trs souvent, mais pas toujours, une crmonie nocturne et des chants.Une action bnfique de layahuasca sur lhumeur et lanxit chronique a

    t avance par certains auteurs131, ce qui pourrait en partie sexpliquer par laproprit IRMA de lharmine et celle (hypothtique) dinhibition de la recapturede la srotonine par la ttrahydroharmine : des IMAO (irrversibles et nonslectifs) ont compt parmi les premiers antidpresseurs, les inhibiteurs slec-tifs de la recapture de la srotonine parmi les derniers. Bien sr cela reste examiner de prs car il est gnralement admis que laction antidpressive des

    IMAO et des ISRS ne se manifeste pleinement quaprs 10 15 jours dadmi-nistration quotidienne alors que dans les contextes o elles sont les plusfrquentes, les prises dayahuasca ont lieu 1 2 fois par semaine.

    Utilise dans des contextes rituels, layahuasca a par ailleurs permis despersonnes de se librer de leurs dpendances des produits addictifs : alcool132,cocane et pte-base de cocane133, hrone134, amphtamine et nicotine135. Desrecherches rcentes sur des modles animaux de lalcoolisme136 suggrent que,au moins dans le cas de lalcool (thanol), cette proprit antiaddictive puisse

    tre pour bonne part due laction stimulante, agonistede la dimthyltryptaminesur certains rcepteurs crbraux la srotonine : les 5-HT2A

    137. Cest en effetlaction principale quelle partage avec le DOI138, ligand srotoninergique

    131 Dobkin de Rios (1972/1984, 1996) ; Grob et al. (1996).132 Grob et al. (1996).133 Mabit et al. (1992, 1995) ; M. Mabit (1996) ; Grob et al. (1996).134 Deshayes (1993).135 Grob et al. (1996).

    136 McBride et al. (1990), et surtout les travaux de Sophie Maurel et al. (1999 a, b).137 Une recherche de pharmacologiein vitro (Deliganis et al. 1991) avait fait de la DMT

    unantagoniste de ces rcepteurs, cest--dire un ligand bloquant, capable doccu-per, de se lier avec les rcepteurs sans dclencher le processus de transduction (cf.note 88). Depuis, Randy Smith et al. (1998) ont dmontr de manire fiable unagonisme partiel important de la DMT vis--vis des 5-HT

    2Aen procdant deux types

    dexprimentations complmentaires : une mise en vidence de lactivation par laDMT dun intermdiaire de la cascade transductrice spcifique de ce rcepteur (IP3)dans des cellules en culture et des tests comportementaux de discrimination dedrogues o des rats, aprs administration de DMT, ont, par rapport des congn-

    res contrles recevant du srum physiologique, press significativement plus le levierassoci par un conditionnement pralable un agoniste reconnu des 5-HT2A

    (DOI),ignorant celui associ un antagoniste de ces mmes rcepteurs (ketanserine).

    138 1-(2,5-dimthoxy-4-iodophnyl)-2-aminopropane. Par exemple : Pranzatelli (1990) ;Schreiber et al. (1994) ; Smith et al. (1998).

  • 8/14/2019 Ayahuasca : une synthse interdisciplinaire Frdrick BOIS-MARIAGE

    24/35

    Ayahuasca : une synthse interdisciplinaire

    102 Psychotropes Vol. 8 n 1

    psychotrope le plus spcifiquement et slectivement efficace test dans cesrecherches : il a diminu la consommation et la prfrence pour lthanol(spcificit) en restant sans effets sur les prises liquidiennes et alimentaires

    totales aux doses diminuant la consommation dalcool (slectivit)139. Nonobs-tant les difficults notoires rendre des rats alcooliques (des lignes prsentantune plus grande apptence pour lthanol que les autres ont t spcialementslectionnes cet effet), il est un peu surprenant que laneuropsychopharmacologie prclinique ait attendu les annes 1990 pour sin-tresser au potentiel antialcoolique des agonistes 5-HT

    2A: entre la fin des

    annes 1950 et celle des annes 1960, lun des produits historiquementprototypiques de cette classe, le LSD140, a t largement utilis au Canada et aux

    tats-Unis dans le traitement de lalcoolisme (de prfrence rsistant) avec desrsultats certes variables selon les faons de procder, mais allant globalementdans le sens dun effet positif notable durant les deux premiers mois suivantladministration dune dose le plus souvent unique141.

    Conclusions

    Telle que nous lavons passe en revue, layahuasca demeure sous bien des

    aspects une nigme, un dfi penser. Son succs grandissant dans les pays duNord, comme en tmoignent la multiplication des publications142 et les centaines

    139 Maurel et al. (1999 a, b). Comme tous les bons agonistes 5-HT2A

    connus, la DMT etle DOI sont galement des agonistes pour un autre rcepteur la srotonine, le 5-HT

    2C(plus prcisment, la plupart des agonistes 5-HT

    2Ane discriminent pas entre les

    3 sous-types de rcepteurs 5-HT2rpertoris ce jour ; ce sont donc des agonistes

    nots 5-HT2A/2B/2C

    . Rcemment invent, le 5-HT2B

    est encore peu connu). SophieMaurel et ses collaborateurs ont donc pris soin de tester cette composante 5-HT

    2C.

    Leur conclusion est que lactivation des 5-HT2C

    entrane une diminution gnrale

    du comportement de consommation (Maurel et al.1999b, p. 93) indiquant unemoindre slectivit.140 Par exemple : Colpaert et al. (1982) ; Glennon et al. (1984) ; Sanders-Bush et al.

    (1988).141 Pour une bonne revue de ces recherches : Mariavittoria Mangini (1998).142 Rien quen France, aprs une absence quasi totale des tagres des libraires

    pendant une trentaine dannes, les livres traitant de layahuasca se mettent prolifrer depuis la sortie dubest sellerde Jeremy Narby en 1995 : traductions dela biographie la premire personne de Manuel Crdova-Ros, crite par FrankBruce Lamb, en 1996 et 1997 (orig. 1971 et 1985) (dont le clbre et controversrcit de son sjour parmi les Huni Kuin, qui a inspir le ralisateur John Boorman pour

    son film La fort dmeraude), et du classique ouvrage anthropologique collectifdirig par Michael Harner Hallucinogens and Shamanism en 1997 (orig. 1973) ;rdition en collection conomique grand public des Yage Letters de WilliamBurroughs et Allen Ginsberg en 1997 (orig. 1955) ; publications dau moins 3 essaisautobiographiques.

  • 8/14/2019 Ayahuasca : une synthse interdisciplinaire Frdrick BOIS-MARIAGE

    25/35

    Psychotropes Vol. 8 n 1 103

    Frdrick BOIS-MARIAGE

    de pages web o il en est question, commence tre accompagn par desrecherches scientifiques143. Une des singularits de layahuasca est que cesrecherches se calqueront difficilement sur ce qui a t fait jusqu prsent avec

    ce que lon amalgame en France sous le terme de drogues . Plusieurs raisonssautent aux yeux : les Europens, tats-uniens ou Japonais qui prennent delayahuasca ne sont pas des marginaux, des dviants, des personnes que lonpeut aisment pathologiser. Ce sont pour la plupart des personnes qui ont plusde 30, voire 40 ans, dun niveau socioconomique et dducation suprieur lamoyenne. Dautre part layahuasca nest quexceptionnellement utilis defaon rcrative et/ou par des individus isols : il saccompagne le plus souventde pratiques ritualises, prouves, dont les origines, indiennes ou mtisses, seperdent dans la nuit des temps et le brassage des cultures. Ces pratiquesparaissent aujourdhui porteuses de rponses des demandes thrapeutiques ou,plus largement, de ce que lon recouvre sous lappellation de dveloppementpersonnel , qui peut prendre la forme dune qute spirituelle explicite. Lesprohiber et/ou les disqualifier en Europe serait un procd inefficace et courtevue : le phnomne des sjours ayahuasca au Brsil ou au Prou et desayahuasca-toursau Prou et en Colombie prenddj de lampleur, avec tous lesrisques darnaques (aux comptences144) que suscite un afflux de gringos prts dbourser quelques dizaines, centaines ou milliers de dollars pour leur

    initiation layahuasca. Il est tous points de vue prfrable de se pencher surladquation et le type de rponses quapportent les rituels dayahuasca (impor-ts ? adapts ?) ces demandes de thrapies alternatives et dinitiations spiri-tuelles. Ce programme de recherche, indit, fait appel des ressources, notam-ment scientifiques, pistmologiques et philosophiques, qui peuvent sajouter, complter et intgrer ce quamnent les sciences biomdicales et cliniques.

    Reu en janvier 2001

    143 En Europe, dans leur laboratoire de recherche pharmacologique sis lhpital SantaCreu i Sant Pau de Barcelone, les Catalans Jordi Riba et Manuel Barbanoj (1998,1999, 2000) ont lanc un programme de recherche humaine sur layahuasca sansprcdent ni quivalent dans le monde. La premire publication papier portant surles rsultats est paratre courant 2001. ct de ces expriences de laboratoire( in vitro psychosocial ), il reste largement de la place pour des protocolespsychopharmacologiques de terrain (in vivo psychosocial ), ralisables moin-dres frais. De tels protocoles pourraient tre facilement et rapidement mis en uvreen France (ou ailleurs si layahuasca tait victime du prvisible rflexe administratifprohibitionniste local).

    144 Tel employ dune agence de voyages de Lima sest improvis chamane jusquesur Internet et organise des crmonies ayahuasca traditionnelles autour deCuzco (rgion la plus touristique du Prou, proximit de Machu Pichu) (Renaud Renato 2000, communication personnelle), o il nexiste pas dusage traditionnelde layahuasca.

  • 8/14/2019 Ayahuasca : une synthse interdisciplinaire Frdrick BOIS-MARIAGE

    26/35

    Ayahuasca : une synthse interdisciplinaire

    104 Psychotropes Vol. 8 n 1

    Bibliographie

    AGURELL S., HOLMSTEDT B., LINDGREN J.E., Alkaloid content of Banisteriopsis Rusbyana,

    American Journal of Pharmacy, 1968, 140 (5), 148-151.AIRAKSINEN M.M., SVENSK H., TUOMISTO J., KOMULAINEN H., Tetrahydro--carbolines and

    corresponding tryptamines : in vitro inhibition of serotonin and dopamine uptake by human bloodplatelets,Acta Pharmacologica et Toxicologica, 1980, 46, 308-313.

    ALLAIN P.,Hallucinognes et socit. Cannabis et peyotl, phnomnes culturels et mondes de limagi-naire, Paris, Payot, 1973.

    ANDRADE A.P. de, O fenmeno do ch e a religiosidade cabocla um estudo centrado no Unio do Vegetal,Resumos de Dissertaes e Teses,Instituto Metodista de Ensino Superior, So Bernardo do Campo/SoPaulo, Brsil, 1995, Ano 2, 9, 17 p.

    ANDRITZKY W., Sociopsychotherapeutic functions of ayahuasca healing in Amazonia, Journal ofPsychoactive Drugs, 1989, 21 (1), 77-89.

    ANGRIST B., GERSHON S., LOPEZ-RAMOS B., MANDEL L.R., SATHANANTHAN G.,VANDENHEUVEL W.J.A., WALKER R.W., Dimethyltryptamine levels in blood of schizophrenicpatients and control subjects,Psychopharmacology, 1976, 47, 29-32.

    ARVALO VALERA G., El ayahuasca y el curandero Shipibo-Conibo del Ucayali (Per), AmricaIndgena, 1986, 46 (1), 147-161.

    ARNOLD O.H., BURIAN K., GESTRING G.F., PRESSLICH O., SALETU B., The effect of DMT and LSDon acoustic evoked potential,Electroencephalography and Clinical Neurophysiology, 1971, 30, 170.

    BAER G., SNELL W.W., An ayahuasca ceremony among the Matsigenka (Eastern Peru),Zeitschrift fr

    Ethnologie, 1974, 99, 63-80.BARKER S.A., MONTI J.A., CHRISTIAN S.T., Metabolism of the hallucinogenN,N-dimethyltryptamine

    in rat brain homogenates,Biochemical Pharmacology, 1980, 29, 1049-1057.BARKER S.A., BEATON J.-M., CHRISTIAN S.T., MONTI J.A., MORRIS P.E.,In vivo metabolism of

    a,a,b,b-tetradeutero-N,N-dimethyltryptamine in rodent brain, Biochemical Pharmacology, 1984, 33,1395-1400.

    BARKER S.A., HARRISON R.E.W., MONTI J.A., BROWN G.B., CHRISTIAN S.T., Identification andquantification of 1,2,3,4-tetrahydro-b-carboline, 2-methyl-1,2,3,4-tetrahydro-b-carboline, and 6-methoxy-1,2,3,4-tetrahydro--carboline as in vivo constituents of rat brain and adrenal gland, Biochemical

    Pharmacology, 1981, 30, 9-17.BEASLEY C.M., MASICA D.N., HEILIGENSTEIN J.H., WHEADON D.E., ZERBE R.L., Possiblemonoamine oxidase inhibitor-serotonin uptake inhibitor interaction : fluoxetine clinical and pre-clinicalfindings,Journal of Clinical Psychopharmacology, 1993, 13, 261-272.

    BERGSTRM M., WESTERBERG G., LNGSTRM B., 11C-harmine as a tracer for monoamine oxidaseA (MAO-A) : in vitro and in vivo studies,Nuclear Medicine & Biology, 1997, 24 (4), 287-293.

    BEUERLE G., KOVAR K.-A., SCHULZE-ALEXANDRU M., Three-dimensional quantitative structure-activity relationships of hallucinogenic phenylalkylamine and tryptamine derivatives : studies usingcomparative molecular field analysis (CoMFA), Quantitative Structure-Activity Relationships, 1997,16, 447-458.

    BIDDER T., MANDEL L.R., AHN H.S., VANDENHEUVEL W.J.A., WALKER R.W., Blood and urinarydimethyltryptamine in acute psychotic disorder,Lancet, 1974, 1, 165.

    BRAVO G., GROB C., Shamans, sacraments, and psychiatrists,Journal of Psychoactive Drugs, 1989, 21(1), 123-128.

  • 8/14/2019 Ayahuasca : une synthse interdisciplinaire Frdrick BOIS-MARIAGE

    27/35

    Psychotropes Vol. 8 n 1 105

    Frdrick BOIS-MARIAGE

    BURROUGHS W. S., The Yage Letters, Paris, Mille et une nuits, 1997.CALLAWAY J.-C.,-Carbolinas endgenas y otros alcaloides indolcos en los mamferos. In : FERICGLA

    J.-M. (d.),Plantas, Chamanismo y Estados de Consciencia, runion de San Lus Potos, Mexique,

    16 novembre 1992, Barcelona, Espagne, Los Libros de la Liebre de Marzo, 1994, 196-229.CALLAWAY J.-C., Phytochemistry and neuropharmacology of ayahuasca. In : METZNER R. (d.),

    Ayahuasca : Hallucinogens, Consciousness, and the Spirit of Nature, New York, Thunders MouthPress, 1999, 250-275.

    CALLAWAY J.-C., GROB C.S., Ayahuasca preparations and serotonin reuptake inhibitors : a potentialcombination for severe adverse reactions,Journal of Psychoactive Drugs, 1998, 30 (4), 367-369.

    CALLAWAY J.-C., AIRAKSINEN M.M., MCKENNA D.J., BRITO G.S., GROB C.S., Platelet serotoninuptake sites increased in drinkers ofayahuasca,Psychopharmacology, 1994, 116, 385-387.

    CALLAWAY J.-C., MCKENNA D.J., GROB C.S., BRITO G.S., RAYMON L.P., POLAND R.E.,ANDRADE E.N., ANDRADE E.O., MASH D.C., Pharmacokinetics ofHoasca alkaloids in healthyhumans,Journal of Ethnopharmacology, 1999, 65, 243-256.

    CARNEIRO R.L., The Amahuaca and the spirit world, Ethnology, 1964, 9, 6-11.CARNEIRO R.L., Hunting and hunting magic among the Amahuaca of the Peruvian Montaa. In : LYON

    P.J. (d.), Native South Americans : Ethnology of the Least Known Continent, Boston, USA, Little,Brown & Co, 1974, 122-132.

    CARPENTER W.T., FINK E.B., NARASIMHACHARI N., HIMWICH H.E., A test of the transmethylationhypothesis in acute schizophrenic patients,American Journal of Psychiatry, 1975, 132, 1067-1070.

    CARROLL M.E., PCP and hallucinogens,Advances in Alcohol and Substance Abuse, 1990, 9, 167-190.CHAUMEIL J.-P., Les plantes-qui-font-voir . Rle et utilisation des hallucinognes chez les Yagua du

    Nord-Est pruvien,LEthnographie, 1982, 87-88 (1-2), 55-84.CHECKLEY S.A., OON M.C.H., RODNIGHT R., MURPHY M.P., WILLIAMS R.S., BIRLEY J.L.T.,

    Urinary excretion of dimethyltryptamine in liver disease,American Journal of Psychiatry, 1979, 136,439-441.

    CHRISTIAN S.T., BENINGTON F., MORIN R.D., CORBETT L., Gas-liquid chromatographic separationand identification of biologically important indolealkylamines from human cerebrospinal fluid,Biochemical Medicine, 1975, 14, 191-200.

    CHRISTIAN S.T., HARRISON R., QUAYLE E., PAGEL J., MONTI J., The in vitro identification ofdimethyltryptamine (DMT) in mammalian brain and its characterization as a possible endogenous

    neuroregulatory agent,Biochemical Medicine, 1977, 18, 164-183.CIPRIAN-OLLIVIER J., CETKOVICH-BAKMAS M.G., Altered consciousness states and endogenouspsychoses : a common molecular pathway ? Schizophrenia Research, 1997, 28, 257-265.

    CLAUDE H., EY H., Evolution des ides sur lhallucination, position actuelle du problme,LEncphale,1932, 27 (5), 361-377.

    COLPAERT F.C., NIEMEGEERS C.J.E., JANSSEN P.A.J., A drug discrimination analysis of lysergic aciddiethylamide : in vivo agonist and antagonist effects of purported 5-hydroxytryptamine antagonists andof pirenperone, an LSD-antagonist,Journal of Pharmacology and Experimental Therapeutics, 1982,221, 206-214.

    COPLAND J.-D., GORMAN J.-M., Detectable levels of fluoxetine metabolites after discontinuation : an

    unexpected serotonin syndrome,American Journal of Psychiatry, 1993, 150, 837.CORBETT L., CHRISTIAN S.T., MORIN R.D., BENINGTON F., SMYTHIES J.-R., Hallucinogenic N-

    methylated indolalkylamines in the cerebrospinal fluid of psychiatric and control populations, BritishJournal of Psychiatry, 1978, 132, 139-144.

  • 8/14/2019 Ayahuasca : une synthse interdisciplinaire Frdrick BOIS-MARIAGE

    28/35

    Ayahuasca : une synthse interdisciplinaire

    106 Psychotropes Vol. 8 n 1

    DEL CASTILLO G.S., La ayahuasca, la planta mgica de la Amazona. El ayahuasquismo,Per Indgena,1963, 10 (24-25), 88-98.

    DELGADO M.C., URZA A., CASSELS B.K., Tribal and urban healing with hallucinogenic beverages in

    Amazonian Peru,American Journal of Pharmacy, 1972, 144, 187-190.DELIGANIS A.V., PIERCE P.A., PEROUTKA S.J., Differential interactions of dimethyltryptamine

    (DMT) with 5-HT1A

    and 5-HT2

    receptors,Biochemical Pharmacology, 1991, 41 (11), 1739-1744.DER MARDEROSIAN A.H., PINKLEY H.V., DOBBINS IV M.F., Native use and occurrence of N,N-

    dimethyltryptamine in the leaves ofBanisteriopsis rusbyana,American Journal of Pharmacy , 1968, 140,137-147.

    DESHAYES P., O Santo Daime, Film documentaire, 35 mm dolby stro, 100 mn, Paris, Les Films de laLiane, CNRS, Ministre de la recherche, 1993.

    DESHAYES P., Les mots, les images et leurs maladies chez les Indiens Huni Kuin de lAmazonie, Paris,Loris Talmart, 2000.

    DESHAYES P., KEIFENHEIM B., Penser lAutre chez les Indiens Huni Kuin de lAmazonie, Paris,LHarmattan, 1994.

    DESMARCHELIER C., GURNI A., CICCIA G., GIULETTI A.M., Ritual and medicinal plants of the Eseejas of the Amazonian rainforest (Madre de Dios, Per),Journal of Ethnopharmacology, 1996, 52, 45-51.

    DOBKIN DE RIOS M., Curing withAyahuasca in an urban slum. In : HARNER M.J. (d.),Hallucinogensand Shamanism, New York, Oxford University Press, 1973, 67-85.

    DOBKIN DE RIOS M., Visionary Vine : Hallucinogenic Healing in the Peruvian Amazon, rimpr. de ld.de 1972, Prospect Heights, USA, Waveland Press, 1984.

    DOBKIN DE RIOS M., A modern-day shamanistic healer in the Peruvian Amazon : pharmacopoeia andtrance,Journal of Psychoactive Drugs, 1989, 21 (1), 91-99.

    DOBKIN DE RIOS M., Amazon Healer : The Life and Times of an Urban Shaman, Bridport, GrandeBretagne, Prism Press, 1992.

    DOBKIN DE RIOS M., On human pharmacology of hoasca : a medical anthropology perspective,Journal of Nervous and Mental Disease, 1996, 184 (2), 95-98.

    DON N.S., MCDONOUGH B.E., MOURA G., WARREN C.A., KAWANISHI K., TOMITA H.,TACHINABA Y., BHLKE M., FARNSWORTH N.R., Effects ofAyahuasca on the human EEG,Phytomedicine, 1998, 52 (2), 87-96.

    TVENON P.,Du rve lveil. Bases physiologiques du sommeil, Paris, Albin Michel, 1987.EY H., Trait des hallucinations, 2 vol., Paris, Masson, 1973.FARREL G., MCISAAC W.M., Adrenoglomerulotropin,Archives of Biochemistry and Biophysics, 1961,

    94, 543-544.FERICGLA J.-M., Alucingenos o adaptgenos inespecficos ? In : FERICGLA J.-M. (d.),Plantas,

    Chamanismo y Estados de Consciencia, runion de San Lus Potos, Mexique, 16 au 16 novembre 1992,Barcelona, Espagne, Los Libros de la Liebre de Marzo, 1994, 231-252.

    FERICGLA J.-M., Al trasluz de la ayahuasca. Antropologa cognitiva, oniromancia y conscienciasalternativas, Barcelona, Espagne, Los Libros de la Liebre de Marzo, 1997.

    FRANZEN F., GROSS H., Tryptamine, N,N-dimethyltryptamine, N,N-dimethyl-5-hydroxytryptamine and

    5-methoxytryptamine in human blood and urine,Nature, 1965, 206, 1052.FREDERKING W., Intoxicant drugs (mescaline and lysergic acid diethylamide) in psychotherapy,Journal

    of Nervous and Mental Disease, 1955, 121, 262-266.

  • 8/14/2019 Ayahuasca : une synthse interdisciplinaire Frdrick BOIS-MARIAGE

    29/35

    Psychotropes Vol. 8 n 1 107

    Frdrick BOIS-MARIAGE

    FREEDLAND C.S., MANSBACH R.S., Behavioral profile of constituents in ayahuasca, an Amazonianplant mixture,Drug and Alcohol Dependence, 1999, 54, 183-194.

    FRIEDBERG C., DesBanisteriopsis utiliss comme drogue en Amrique du Sud. Essai dtude critique,

    Journal dAgriculture Tropicale et de Botanique Applique, 1965, 12 (9-10, 11, 12), 403-437, 550-594,729-780.

    GEBHART-SAYER A., Una terapia estetica. Los disenos visionaros del ayahuasca entre los Shipibo-Conibo,Amrica Indigena, 1986, 46 (1), 189-218.

    GLENNON R.A., ROSECRANS J.A., YOUNG R., Drug-induced discrimination : a description of theparadigm and a review of its specific application to the study of hallucinogenic agents, MedicinalResearch Reviews, 1983a, 3, 289-340.

    GLENNON R.A., TITELER M., MCKENNEY J.-D., Evidence for 5-HT2involvement in the mechanism of

    action of hallucinogenic agents,Life Sciences, 1984, 35, 2505-2511.GLENNON R.A., YOUNG R., JACYNO J.-M., SLUSHER M., ROSECRANS J.A., DOM-stimulus

    generalization to LSD and other indolealkylamines,European Journal of Pharmacology, 1983b, 86,453-459.

    GREEFF K., DNES B., TAWFIK H., Cardiovascular effects of (+)- and (-)-tranylcypromine compared toother monoamine oxidase inhibitors. In : BECKMANN H., RIEDERER P. (d.),Monoamine Oxidaseand its Selective Inhibitors, Modern Problems of Pharmacopsychiatry, 19, Ble, Suisse, S. Karger, 1983,220-230.

    GRELLA B., DUKAT M., YOUNG R., TEITLER M., HERRICK-DAVIS K., GAUTHIER C.B., GLENNONR.A., Investigation of hallucinogenic and related-carbolines,Drug and Alcohol Dependence , 1998, 50,99-107.

    GROB C.S., MCKENNA D.J., CALLAWAY J.-C., BRITO G.S., NEVES E.S., OBERLANDER G., SAIDEO.L., LABIGALINI E., TACLA C., MIRANDA C.T., STRASSMAN R.J., BOONE K.B., Humanpsychopharmacology of Hoasca, a plant hallucinogen used in ritual context in Brazil,Journal of Nervousand Mental Disease, 1996, 184 (2), 86-94.

    GROISMAN A., Ayahuasca in Europe,MAPS Newsletter, 1998, 8 (3), d. lectronique, MultidisciplinaryAssociation for Psychedelic Studies : http ://www.maps.org/news-letters/v08n3/08317gro.html

    GROISMAN A., SELL A.B., Healing power : cultural-neurophenomenological therapy of SantoDaime, Yearbook for Ethnomedicine and the Study of Consciousness, 1995, 5, 241-255.

    GUNN J.A., Relations between chemical constitution, pharmacological actions, and therapeutic uses, in the

    harmine group of alkaloids,Archives Internationales de Pharmacodynamie et de Thrapie, 1935, 50,379-396.GUTTMANN E., Artificial psychoses produced by mescaline,Journal of Mental Science, 1936, 82 (338),

    203-221.HALPERN L., Ueber die Harminwirkung im Selbstversuch [Sur leffet de lharmine dans

    lautoexprimentation],Deutsche Medizinische Wochenschrift, 1930, 56, 1252-1254.HASHIMOTO Y., KAWANISHI K., New organic bases from Amazonian Banisteriopsis caapi,

    Phytochemistry, 1975, 14, 1633-1635.HASHIMOTO Y., KAWANISHI K., New alkaloids fromBanisteriopsis caapi,Phytochemistry, 1976, 15,

    1559-1560.

    HELLER B., NARASIMHACHARI N., SPAIDE J., HASKOVEC L., HIMWICH H.E., N-dimethylatedindole-amines in blood of acute schizophrenics,Experientia, 1970, 26, 503-504.

  • 8/14/2019 Ayahuasca : une synthse interdisciplinaire Frdrick BOIS-MARIAGE

    30/35

    Ayahuasca : une synthse interdisciplinaire

    108 Psychotropes Vol. 8 n 1

    HELSLEY S., FIORELLA D., RABIN R.A., WINTER J.-C., A comparison of N,N-dimethyltryptamine,harmaline, and selected congeners in rats trained with LSD as a discriminative stimulus,Progress inNeuro-Psychopharmacology, Biological Psychiatry, 1998, 22, 649-663.

    HENMAN A.R., Uso del ayahuasca en un contexto autoritario. El caso de la Unio do Vegetal en Brasil,Amrica Indgena, 1986, 46 (1), 219-234.HOCHSTEIN F.A., PARADIES A.M., Alkaloids ofBanisteria caapi andPrestonia amazonicum,Journal

    of the American Chemical Society, 1957, 79, 5735-5736.HOFFER A., OSMOND H., SMYTHIES J.-R., Schizophrenia, a new approach II. Result of a years

    research,Journal of Mental Science, 1954, 100, 29-45.HOLLISTER L.E., Chemical Psychoses : LSD and Related Drugs, Springfield, USA, Charles C. Thomas,

    1968.HULTKRANTZ ., Shamanic Healing and Ritual Drama : Health and Medicine in Native North American

    Religious Traditions, Aix en Provence, France, Le Mail, 1995.ILLIUS B., The concept ofnihue among the Shipibo-Conibo of Eastern Peru. In : MATTESON LANGDON

    E.J., BAER G. (d.),Portals of Power : Shamanism in South America, Albuquerque, USA, Universityof New Mexico Press, 1992, 63-77.

    JOHNSON C.L., KANG S., GREEN J.-P., Stereoelectronic characteristics of LSD and related hallucinogens.In : SANKAR D.V.S. (d.),LSD A Total Study, Westbury, USA, PJD Publications, 1975, 197-244.

    KAPLAN J., MANDEL L.R., STILLMAN R., WALKER R.W., VANDENHEUVEL W.J.A., GILLIN J.-C., WYATT R.J., Blood and urine levels of N,N-dimethyltryptamine following administration ofpsychoactive dosages to human subjects,Psychopharmacologia, 1974, 38, 239-245.

    KENSINGER K.M., Banisteriopsis usage among the Peruvian Cashinahua. In : HARNER M.J. (d.),

    Hallucinogens and Shamanism, New York, Oxford University Press, 1973, 9-14.KIM H., SABLIN S.O., RAMSAY R.R., Inhibition of monoamine oxidase A by -carboline derivatives,

    Archives of Biochemistry and Biophysics, 1997, 337 (1), 137-142.KLINKER J.-F., SEIFERT R., DAMM H., ROMMELSPACHER H., Activation by -carbolines of G-

    proteins in HL-60 membranes and the bovine retinal G-protein transducin in a receptor-independantmanner, Biochemical Pharmacology, 1997, 53 (11), 1621-1626.

    KOSTEN T.R., ROUNSAVILLE B.J., BABOR T.F., SPITZER R.L., WILLIAMS J.B.W., Substance-usedisorders in DSM-III-R : evidence for the dependence syndrome across different psychoactive substan-ces,British Journal of Psychiatry, 1987, 151, 834-843.

    LA BARRE W., Les plantes psychdliques et les origines chamaniques de la religion. In : FURST P.T.(d.),Flesh of the Gods : The Ritual Use of Hallucinogens, Paris, Seuil, 1974, 249-266.LAMB F.B., Wizard of the Upper Amazon : The Story of Manuel Crdova-Ros, Monaco, ditions du

    Rocher/Le Mail, 1996.LAMB F.B.,Rio Tigre and Beyond : The Amazon Jungle Medicine of Manuel Crdova, Monaco, ditions

    du Rocher/Le Mail, 1997.LAMBERT P.,Psychopharmacologie clinique. Les mdicaments psychotropes, Toulouse, France, Privat,

    1980.LAPASSADE G.,La transe, Paris, Presses Universitaires de France, coll. Que sais-je ? , 2508, 1990.