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La problématique du transfert culturel Lect.univ.dr. Georgiana LUNGU BADEA Universitatea « Politehnica » din Timisoara Le processus de traduction est conçu comme une opération par laquelle le traducteur fait revivre un texte dans un contexte culturel cible. Remarquons que l’approche relationnelle des phénomènes culturels –fortement résistants à la traduction— est abordée par la théorie du polysystème (Berman, Cordonnier, Meschonic), mais aussi par la théorie des interférences (développée par les représentants de l’école de Tel-Aviv, Toury, Even-Zohar). Nous nous intéressons aux conditions de (re-) production du sens et de production des traductions, à la situation de traduction, puisque au niveau du texte, les choix des stratégies de traduction ne sont jamais innocents, jamais dépourvus de toute trace de subjectivité. La difficulté d’établir une correspondance entre la situation de production de sens (de communication) et la situation de traduction détermine le traducteur à recourir à des solutions qui respectent partiellement les normes, maintenant l’écart culturel, en tirant profit ou le neutralisant. Nous partons de l’idée que toute théorie de la traduction se fonde sur une approche spécifique du phénomène de traduction (qualité, processus et produit « fini ») et, par conséquent, elle envisage une problématique certaine de la traduction. Tout en souscrivant au point de vue de L. Nanni (1991) conformément auquel l’intention de la culture dirige les trois autres intentions de l’auteur, de l’œuvre, du lecteur, nous constatons que la culture influe sur l’interprétation du texte à traduire. Nous utilisons le terme culturème pour désigner un énoncé porteur d’information culturelle ou une unité culturelle de taille variable, identifié dans le texte source (TS) et identifiable dans le texte cible (TC). Au centre de notre approche que nous considérons culturaliste se situe le culturème (Lungu Badea, 2003). Selon Luciano Nanni,

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La problématique du transfert culturel

Lect.univ.dr. Georgiana LUNGU BADEAUniversitatea « Politehnica » din Timisoara

Le processus de traduction est conçu comme une opération par laquelle le traducteur fait revivre un texte dans un contexte culturel cible. Remarquons que l’approche relationnelle des phénomènes culturels –fortement résistants à la traduction— est abordée par la théorie du polysystème (Berman, Cordonnier, Meschonic), mais aussi par la théorie des interférences (développée par les représentants de l’école de Tel-Aviv, Toury, Even-Zohar).

Nous nous intéressons aux conditions de (re-) production du sens et de production des traductions, à la situation de traduction, puisque au niveau du texte, les choix des stratégies de traduction ne sont jamais innocents, jamais dépourvus de toute trace de subjectivité. La difficulté d’établir une correspondance entre la situation de production de sens (de communication) et la situation de traduction détermine le traducteur à recourir à des solutions qui respectent partiellement les normes, maintenant l’écart culturel, en tirant profit ou le neutralisant.

Nous partons de l’idée que toute théorie de la traduction se fonde sur une approche spécifique du phénomène de traduction (qualité, processus et produit « fini ») et, par conséquent, elle envisage une problématique certaine de la traduction. Tout en souscrivant au point de vue de L. Nanni (1991) conformément auquel l’intention de la culture dirige les trois autres intentions de l’auteur, de l’œuvre, du lecteur, nous constatons que la culture influe sur l’interprétation du texte à traduire. Nous utilisons le terme culturème pour désigner un énoncé porteur d’information culturelle ou une unité culturelle de taille variable, identifié dans le texte source (TS) et identifiable dans le texte cible (TC).

Au centre de notre approche que nous considérons culturaliste se situe le culturème (Lungu Badea, 2003). Selon Luciano Nanni, l’intention culturelle dirige les trois autres intentions de l’auteur, de l’œuvre, du lecteur. Donc, la culture influe sur l’interprétation du texte à traduire. Nous définissons le terme culturème comme étant un énoncé porteur d’information culturelle ou comme l’unité culturelle minimale. L’approche interculturelle des chercheurs allemands, Els Oksaar (1988), Vermeer et Witte (1991) sur le même sujet nous a permis de développer notre démarche tout en établissant des oppositions binaires : culturème-traductème (cornecul—histoires des cornecul), culturème-cultisme (aux sens de mots savants, péricope exemplative, style en littérature, hypercorrectitude), culturème- néologisme (optimisme chez Voltaire et optimisme, l’emploi courant), afin de rendre clair la définition de ce terme (exemples tirés de Lungu Badea, 2003).

Les traits des culturèmes, découverts à la suite des analyses détaillées (Lungu Badea, 2003), sont la monoculturalité, la relativité du statut de culturème et l’autonomie du culturème par rapport à la traduction. Le culturème appartient à une culture, par suite, ce qui est culturème pour l’usager de la langue source ne l’est pas pour le destinataire de la traduction ; le statut relatif de la marque culturelle varie à l’intérieur d’une même langue d’une catégorie d’usagers à l’autre. Le culturème n’est pas dépendent de la manifestation du processus de traduction ; la traduction l’anéantit le plus souvent, elle ne le conserve (v. infra, grandes écoles).

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L’adaptation culturelle se réalise par la modification d’un message ou d’un concept afin qu'ils correspondent aux préférences et aux goûts d’un public cible spécifique, souvent défini par un héritage culturel, une langue ou une ethnie. Prenons l’exemple suivant :

TS: De même cela permet de comprendre le rôle si particulier que jouent les Grandes Ecoles et les concours qui permettent d’y accéder dans la société française (Ph. D’Iribarne, La logique de l’honneur, 1993: IX).

TŢ (1): De asemenea, acest lucru permite înţelegerea rolului pe care îl joacă Grandes Ecoles şi concursurile care facilitează/permit intrarea în societatea franceză. Le transcodage ne refait point l’atmosphère culturelle source.TŢ (2): De asemenea, acest lucru permite înţelegerea rolului pe care îl joacă şcolile de elită, Grandes Ecoles... L’insertion explicative dans le texte mène à la confusion des voix de l’auteur et du traducteur, sans refaire pour autant la signifiance source concernant l’infrastructure de l’enseignement universitaire français.TŢ (3): De asemenea, acest lucru permite înţelegerea rolului pe care îl joacă academiile de înalte studii ... L’équivalence pragmatique est fréquemment rencontrée dans les traductions communicatives centrées sur le destinataire, mais elle entraîne des pertes informative, sémantique et stylistique.TŢ (4): De asemenea, acest lucru permite înţelegerea rolului pe care îl joacă academiile de înalte studii1... L’adaptation ou l’équivalence pragmatique accompagnée d’une note où le traducteur mentionne de façon succincte les caractéristiques de l’enseignement français d’élite est l’une des solutions les plus inspirées de point de vue sémantique.TŢ (5): De asemenea, acest lucru permite înţelegerea rolului pe care îl joacă academiile de studii înalte, Grandes Ecoles2... La traduction culturelle et l’explication dans une note conviennentt le mieux dans le transfert culturel parce qu’elles préservent le droit à l’identité de chacune des cultures en relation des traduction.

Les cinq solutions de traduction ont des conséquences directes sur l’appréhension du sens. On observe que par la traduction, les culturèmes disparaissent, car leur significance (atmosphère ou entourage culturel(le)) disparaît. Cependant, dans nombre de cas, on rencontre dans le texte traduit des culturèmes nouveaux. La monoculturalité et la relativité du statut de culturème (ce qui est culturème pour un usager de la langue ne l’est pas forcément pour un autre) se constituent comme des obstacles dans le déroulement de la traduction. Quelle stratégie de traduction choisir? Comment franchir le fossé culturel, pour diminuer l’écart culturel ? Produites pour répondre aux demandes d’une culture ou –le plus souvent— de divers groupes à l’intérieur de cette culture (à ajouter ici la manifestation des contraintes économiques, éditoriales, politiques, etc.), les traductions privilégient soit la culture source soit la culture cible. Il est nécessaire de se montrer réceptif afin de satisfaire les exigences de la langue cible. Il est parfois indispensable de modifier la conception et la mise en page d'un document afin qu'il corresponde aux préférences d'un public culturellement différent. Un texte traduit est parfois plus long que son original et nécessite une composition différente. Il est fait des mots, mais aussi de culture c’est pourquoi la traduction linguistique doit coexister avec la traduction culturelle.

La traduction qui anéantit l’écart culturel, détruit la résistance des actes culturels du texte d’origine est vivement critiquée par les adversaires de l’ethnocentrisme (Berman, Meschonic). Mais la problématique de l’explicitation du culturel est envisagée aussi en termes de lecture et de visée ou de finalité traductive.

La difficulté de traduire la culture due à la résistance de la culture cible face à la culture de l’autre existe. Nous ne nions pas l’existence des contacts culturels entre le français et le roumain,

1 Dans la note du traducteur nous pourrions lire : În Franţa, Grandes Ecoles sunt instituţii de învăţământ superior, mai prestigioase decât universităţile (în care orice absolvent de liceu posesor al unei diplome de bacalaureat se poate înscrie pe bază de dosar), aici fiind pregătiţi viitori guvernanţi, directori şi responsabili de mari societăţi comerciale.2 Le même contenu que la note antérieure.

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mais les interférences interculturelles –plutôt unilatérales que bilatérales— qui en résultent ne résolvent que partiellement le transfert linguistique et culturel.

Prenons un autre exemple (tiré d’un roman et cité par Trandem, 2000) pour illustrer la monoculturalité, la relativité du statut de culturème et son autonomie par rapport à la traduction :

TS : Comme j’envie les parents gonflés d’orgueil qui plastronnent parce que leur fille épouse un jeune homme bien sous tous les rapports ou que leur fils vient d’être reçu à tel concours des Grandes Ecoles – « comme son grand-père et son père, dans notre famille tous les aînés sont X/Ponts (C. Collange, Moi, ta mère, 1985: 41, exemple tire de B. Trandem, 2000).TŢ : Cât (de mult) îi invidiez pe părinţii umflaţi în pene/plini de mândrie (orgoliu) care se mândresc (laudă) că li s-a căsătorit fiica cu un tânăr bine situat/cu situaţie bună (din toate punctele de vedere) sau că fiul lor tocmai a fost admis în vreo şcoală de elită - asemenea bunicului şi tatălui său (ajout), toţi înaintaşii familiei noastre sunt mari Intelectuali /ingineri /învăţaţi/absolvenţi ai acestei şcoli (explication). Traduction éffectuée par les étudaints.

Traduire le syntagme Grandes Ecoles par (vreo) şcoală de elită c’est justifier l’intention de l’auteur et du texte source, c’est à dire transmettre l’indignation d’une mère déçue par l’attitude des ses enfants à son égard. Pour saisir ce sens, il est moins important de connaître l’infrastructure de l’enseignement universitaire de France.

L’histoire de la compréhension scientifique du culturel se résume à un enchaînement de modèles de transfert culturel (polysystémique, d’interférences ou interculturel) de plus en plus complexe. Plus les théoriciens avancent, plus les choses se compliquent et des corrélations variées s’imposent (la corrélation de la finalité du texte cible à l’intention de l’auteur, mais non pas nécessairement à la finalité du texte source et ainsi de suite) alors qu’il serait souhaitable de les simplifier. Selon la finalité du texte à traduire le culturème est différemment traduit, donc les intentions de l’auteur et du traducteur changeront:

TS: Modifier tous les quatre mois les tarifs des médecins est un projet ubuesque (interview de Jean-Marie Spaeth, Le Monde, le 27 octobre1999).TŢ (1): Modificarea tarifelor medicilor din patru în patru luni este un proiect absurd şi grotesc. La traduction-explicitation détermine une entropie stylistique; cependant, la traduction communicative centrée sur le destinataire vise plutôt le transfert d’information que sa forme.TS: De même, les latents processus de formation nationale peuvent suivre la même « translation », depuis les anciens Etats-nations de l’ouest du continent vers ceux qui, soit renouent avec une souveraineté perdue (…), soit enfin, en sont encore au stade initial de la conscience nationale, comme on le voit en Biélorussie, soumise aux caprices d’un président ubuesque (M. Foucher, République européenne, Paris, 2000: 99).TŢ: (...) fie că se află abia sub stadiul iniţial al conştiinţei naţionale, cum se întâmplă în Belarus, ţară supusă capriciilor unui preşedinte ubuesc (A. Gheorghiu, M. Parău in Foucher, Republica europeană, 2002: 101). La traduction sémantique a une visée pragmaticiste différente de la traduction communicative, déterminée aussi bien par la correspondance des donnés de production de sens et de restitution de sens que par le destinataire présumé des textes source et cible.Pour observer les transformations et les entropies des faits culturels à la suite d’une

« transposition » d’une culture à l’autre nous avons choisi un exemple tiré d’un texte littéraire :TS : Qu’appelez-vous un « folliculaire » ? dit Candide. – C’est, dit l’abbé, un faiseur de feuilles, un Fréron (Voltaire, Candide, 1994: 209). TŢ: Ce înseamnă un pamfletar? Întreabă Candid: - Unul care scrie tot felul de fiţuici şi le răspândeşte în toate părţile (Voltaire, Candid, traduit par Al. Philippide, 1993: 157).

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Autre problème dans la traduction des culturèmes est le chemin ardu –à partir d’un phénomène ou d’un acte de culture— de retrouver les règles sous-jacentes qui lui ont donné naissance, la signifiance source ou l’atmosphère culturelle. Les lois traductives fondamentales pourraient émerger de la comparaison des solutions de traduction différentes, en fonction des facteurs qui conditionnent les choix du traducteur. Par conséquent, le traducteur, qu’il traduise à l’écrit ou à l’oral, qu’il traduise un poème ou le mode d’emploi d’une machine, est confronté à l’écart culturel et doit le prendre en compte, parce que: «la visée même de la traduction — ouvrir au niveau de l’écrit un certain rapport à l’Autre, féconder le propre par la médiation de l’Étranger — heurte de front la structure ethnocentrique de toute culture ou cette espèce de narcissisme qui fait que toute société voudrait être un Tout pur et non mélangé » (A. Berman, 1984 : 16).

La problématique de l’explicitation du culturel s’envisage également en termes de lecture de l’œuvre et de visée traductive puisque les traductions sont souvent produites pour répondre aux demandes d’une culture ou de divers groupes à l’intérieur de cette culture. Ainsi, par la traduction, le contact qui se réalise entre les cultures n’est jamais de façon totale, il passe toujours par un prisme conjoncturel et reste évidemment partiel. Par la traduction bien des culturèmes disparaissent, mais nous rencontrons aussi des cas où dans le texte traduit apparaissent de nouveaux culturèmes. Les culturèmes sont un formidable outil d’étude de la complexité du transfert culturel. Le problème qui attend une solution concerne la création des dictionnaires de culturèmes et la contribution de ces nouveaux outils au perfectionnement du travail du traducteur. La question qui doit se poser désormais est de savoir comment « participer » dans une édification commune du savoir humain au lieu de se fixer sur la quête narcissique d’une originalité exclusive; impossible d’ailleurs en dehors de son contexte de communication et de rapport à l’altérité. Il s’agit d’instaurer une norme et de ne pas prétendre détenir une originalité qui serait inconditionnelle et irréversible. Toute prétention de ce genre condamnerait l’esprit à l’atomisation et à la monadisation, les deux privées de communication et de rapport à l’Autre. Il serait préférable, pour la survie des cultures, de briser leur rigidité par la nomadisation des idées, tout en garantissant le contact des cultures source et cible.

BibliographieBENKÖ, Otto, Culturema, punct final? , in Elemente de teoria şi practica informaţiei şi comunicării, Timişoara, 1989, p. 184-196.BERMAN, Antoine, L'Epreuve de l'étranger. Culture et traduction dans l'Allemagne romantique, Paris, Gallimard, 1984.CORDONNIER, Jean-Louis. Traduction et culture, Paris, Didier, 1995.EVSEEV, Ivan, Proiectul unei grile valorice a textului lecturat in Cultură, model, educaţie permanentă, T.U.T, 1985, p. 15-32.LUNGU-BADEA, Georgiana, Culturemele—între conotaţii şi aluzii culturale. încercare de definire a conceptului de culturem in Analele Universităţii de Vest din Timişoara, Seria Ştiinţe Filologice, AUT, XXXIX, 2001, p. 369-383.LUNGU-BADEA, Georgiana, Contextul extralingvistic în traducerea culturemelor. Cazul limbilor franceză şi română, teză de doctorat, Coordonator prof. univ.dr. Ileana Oancea, Universitatea de Vest din Timişoara, 2003.NANNI, Luciano, Tesi di Estetica (a Umberto Eco in forma di risposta), Bologna, Book Editore, 1991.OKSAAR, Els, Kulturemtheorie. Ein Beitrag zur Sprachverwendungsforschung. Göttingen: Joachim Jungius-Gesellschaft der Wissenschaften în Kommission beim Verlag Vandenhoeck&Ruprecht, 1988.RICHARD, J.-P., Traduire l’ignorance culturelle, Palimpsestes, nr. 11, p. 151-159.TRANDEM, Beate, Le transfert culturel, http://. google.co./beate trandem/transfert culturel, 2000.