JOURS DE CHEVALDate : AVRIL/JUIN 15Pays : France

Périodicité : Trimestriel Page de l'article : p.80-83Journaliste : Maud Lafon

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avecbadine pases chevaux

pai Maud Lafon

Même si le terrine est impropre, I equitation écologique

fait désormais partie du paysage équestre

Elle a fait resurgir des techniques de la tradition

de I equitation française qui avaient été oubliées

Maîs on ne peut mer les excès de cc mouvement

C t n'est plus un courant maîs unphénomène de societe, l'equitation

ecologique est partout. Les sites surle sujet foisonnent, les démonstrationsremplissent la moindre manifestationequestre devant un public ébahi ou l'onvoit hommes et femmes faire quasimentce qu'ils veulent avec un cheval en liberte,

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sans le moindre mors, avec tout juste unlicol en corde... Il n'est pas un salon quin'ait ses ethologues (nous l'avons encorevu au dernier Salon du cheval de ParisVillepinte). Et l'on ne compte plus lesstages en tout genre dans toutes les pro-vinces de France, a commencer par ceuxdélivres par le Haras de la Cense dans lesYveknes.Le succes populaire de ce mouvement est tel que même la Federationfrançaise d'equitation a cree des diplômes fédéraux se rapportant a cette activite, qualifiée de discipline equestre apart entière, et que les fameux Galops(qui vont de I a 7, le 7 étant le sesamepour monter en compétition officielle)comportent des notions d'ethologie.Bref,un phénomène de societe popularise, ilest vrai, par le film Lhomme gm murmurail a I oreille des chevaux sortie en 1998,avec Robert Redford et Christine ScottThomas, ou I histoire vraie de l'Amencam Monty Roberts,qui,dit on, passa savie a dompter les chevaux les plus delicats parce qu'il les écoutait et comprenaît leur langage...

Pour les uns, cette equitation est sy-nonyme de douceur,de bien être,de compréhension, sans force, ni brutalités, enrupture avec ce qui se faisait"avant".Pourles autres, elle ne serait qu'une vaste en-treprise commerciale orchestrée par lesAméricains, comme si rien n'avait existeavant cette approche En tout etat decause, ces positions tranchées sont excessives et l'ethologie ne se résume pas aune opposition entre Anciens et Modernes Le terme même d'"equitationecologique" est ambigu, car il ne correspond pas a une réalité concrète. Ni-colas Blondeau, le pere de l'école eponyme (voir Jours de Cheval n° 2) affirmeque « l'appellation est une erreur et ne veutrien dire dans le monde du cheval» Des pro-pos d'ailleurs partages par Manuel Godm, directeur technique du Haras de laCense, ou encore d'Hélène Roche, universitaire, grande specialiste de la queslion et auteurs de nombreux livres surle sujet. « Cela n'a pas de sens », constatent ils. D'une maniere generale, ceuxla mêmes qui se revendiquent de cetteequitation expliquent sans ambages quece n'est "pas une discipline maîs uneapproche de travail adapte a toutes lespratiques et qu'il peut y avoir confusion dans la tête des gens" « C'est senlement, et seulement cela, unephtlosophie detravail », ajoute Helene Roche.

Al'ongme,rethologie (qui est l'étudedu comportement individuel et social desanimaux domestiques et sauvages, dansleur milieu naturel ou en captivité) est unediscipline scientifique dont les peres fondateurs sont,entre autres,KonradLorenz,Nikolaas Tmbergen et Karl von Fnsch,tous trois titulaires du prix Nobel demedecine et de physiologie en 1973 pourleurs travaux sur les causes et l'organisalion des schemes comportementaux.

En fait,ce sont simplement des"tech-niques" qui viendraient - il faut etre tresprudent en la matiere - a la fois d'Ir-lande et des Etats Unis. D'Irlande avecun certain Sullivan qui, au début duXIXe siecle, remettait "droit", seul dansun box en murmurant, des chevaux traumatiseb ou maltraites. Et des Etats-Unisavec, entre autres, Pat Parelli, Monty Roberts et John Lyons qui, dans les annees1980-1990, opposaient une voie plus

Jean-Marie Clair à cheval Page de gauche travail d un cheval au Haras de la Cense

Ces techniques de debourrage de dressage nont rien de révolutionnaires car elles reposent,

pour beaucoup, sur celles développées par les maîtres de I equitation française

Konrad Lorenz est sans doute le plusconnu des trois chercheurs grâce a sesfameux travaux sur les oies cendrées

En realite,l'etude du comportementanimal est beaucoup plus ancienne puis-qu'on en trouve même des prémices al'époque de Platon (428-347 avantJ C ) , avec ses observations sur les oiseaux, puis d'Anstote (384-322 avant J.-C.),qui fonde la zoologie Maîs Lorenz acontribue a l'indépendance de l'ethologie en tant que science a part entière etc'est pourquoi on lui en attribue generalement la patemite.Dans ces conditions,pour les ethologues scientifiques^ Tmstar de la Societe française pour l'étudedu comportement animal, l'emploi duterme equitation ethologique est abusifet l'ethologie ne peut donc servir de cau-tion a des methodes de dressage (lirenotre encadre page suivante)

"douce" aux methodes brutales et expeditives traditionnellement employees parlescow boys pour dresser les chevaux Cesont eux les horse ivhisperers, les fameuxchuchoteurs, qui furent popularises parle film de Robert Redfort.Leur doctrine ?< Persuader le cheval plutôt que de le soumettre » et « se mettre a sa place pour penser comme lm », Le terme "ecologie" ar-rive dans le milieu équestre en France dansles annees 1980 et trouve son essor, apres2000, avec la venue d'Américains sur lesol français dont Pat Parelli au Haras dela Cense

Leur redoutable sens commercialtrouve echo. Ce que démontre fort bienle chercheur Jean Pierre Digard, severesur ce mouvement (c'est un euphé-misme ') II est indéniable que la perceplion même de l'equitation a évolue, pas-sant de l'approche militaire ou utilitaire

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à une vision civile, plus ludique, la pro-gression exponentielle du nombre de li-cenciés à la PPE le prouve. Ces change-ments se sont accompagnés, selonJean-Pierre Digard, « d'une nouvelle cul-ture équestre, baroque, hédoniste et senti-mentale » avec une pratique équestre« moins orientée vers l'effort et la compéti-tion que vers la recherche de sociabilité, dedétente, déplaisir sans contrainte ». Pouraboutir à une dérive du statut même ducheval, entre animal de rente et de com-pagnie et « qui devient a ce titre l'objet detous les soins et de toutes les compassions ».Avec, comme conséquence directe, unchangement d'approche dans le dres-sage. .. « Laspiration était là », constate,en effet, Manuel Godin.

Maisl'éthologien'est-ellepas,en réa-lité, l'application, avec bon sens et intel-ligence, des méthodes développées de-puis des siècles par les maîtres de['équitation française? « En France, nomavons une tradition équestre que le mondeentier nous envie », constate Nicolas Blon-deau qui n'a pas attendu les chuchoteurspour appliquer des méthodes douces,pro-gressives,mais fermes, voilà plus de vingtans maintenant. Cette tradition fran-çaise repose, en effet, sur les grands prin-cipes inculqués parl'écuyer François Ro-

T ÉLhologie ou équitation éthologique?

L 'application de l'éthologie dans le milieu équestre s'est progressivement imposée commeune methode de dressage maîs on oublie trop souvent la definition originelle de l'étho-

logie qui est, avant tout, une science et non une recette pour rendre un cheval docile. Lesscientifiques le rappellent régulièrement, à l'instar de Claire Neveux, biologiste et etho-logue, créatrice d'une entreprise de conseil en comportement equm*, qui regrette qu'« enFrance, le terme ecologie equme [equitation éthologique] [soit] couvent utilise pour parler cleméthodes de dressage douces pour les chevaux [et il en existe une large palette] aussi appelé equi-tation naturelle ou natural horsemanship dum ln pays anglo-saxons. Même si la plupart de cesmethodes sont basées sur certaines caractéristiques comportementales du cheval, il ne s'agit pas aproprement parler d'ethologie au sens scientifique du terme Par contre, des ethologues déformationscientifique interviennent dans certaines de ces formations. » Elle distingue d'ailleurs deux typesd'éthologues : les chercheurs en laboratoire et les ethologues sur le terrain qui font le lienentre la recherche scientifique et les acteurs de la filiere equme. « Les chercheurs s'intéressentau temperament du cheval a la memoire du cheval, a la relation homme cheval, aux methodes desevrage, aux conditions de vie du cheval domestique .. Le travail des ethologues sur le terrain est demettre en application les recherches scientifiques a travers des formations et des conseils auxparti-cuhers et aux professionnels », exphque-t elle.

Si la frontière entre ethologie et equitation éthologique a ete franchie, Claire Neveux re-connaît quand même que l'equitation éthologique peut, dans certains cas, œuvrer à l'amé-liorer des conditions de vie et d'utilisation du cheval domestique.(*) www ethonova fr

bichon de La Guérimère, François Bau-cher et le général Alexis L'Hotte, auteurdu fameux « calme, en avant et droit >>. Or« un cheval ne peut bien travailler que s'ilest détendu et décontracté », souligne Ni-colas Blondeau qui précise n'avoir que

codifié ce que faisaient nos ancêtres etn'avoir rien inventé. Il fait appel au men-tal du cheval et non à son physique pouréviter des débourrages "virils" (le dé-bourrage est une période t ras délicate pourun cheval et qu'il ne faut pas rater). Ni-

Les techniques de {'équitation éthologique ont remis au goût du jour le travail à pied, le travail aux longues rênes (ici avec Ludovic d'Hautefeuille),

dans la plus pure tradition francaise équestre, en faisant toujours appel au mental du cheval tout en évitant I epreuve de force.

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Nicolas Blondeau ne se définit pas comme un éthologueet confie n'avoir rien inventé : "J ai tout simplement codifiéce que faisaient nos ancêtres"... Nous sommes loindes "chuchoteurs" popularises par le film "L'hommequi murmurait à loreille des chevaux" avec Robert Redford.

colas Blondeau concède qu'il procédaità ces débourrages virils jusqu'à ce qu'ilrencontre Jean Pélissier, « éthologue avantl'heure », dit-il, qui lui fit découvrir sestechniques pour les jeunes chevaux.

Nombre d'éthologues sont d'accordpour affirmer que ces techniques, quin'ont rien d'une science,sont empiriqueset se transmettaient de manière confi-dentielle sous forme de compagnon-nage... e Nous avons voulu formaliser cestechniques, ces savoir-faire sans autre pré-tention ̂ explique Manuel Godin Au vrai,ces techniques s'adressent à tous les che-vaux mais, de préférence, aux jeunes su-jets non débourrés ou "à problèmes".En outre, elles ont remis au goût du jourle travail àpied,le travail aux longues rênes—dans la plus pure tradition françaiseéquestre! - en faisant toujours appel aumental du cheval et en évitant l'épreuvede force. Les méthodes mises en œuvresont basées sur quèlques grands prin-cipes apprentissage dans la douceur,dansle plaisir, cheval coopératif et dresseurpédagogue, calme et patient.

Surtout, ces méthodes s'adressent àun large public et non plus aux seuls mi-litaires,au monde des courses et des sportsequestres.il n'empêche que de nombreuxprofessionnels, dont on connaît pour-tant la méfiance envers tout changement,font appel à des éthologues... C'est lecas du cavalier français de concours com-plet Nicolas Touzaint, de la cavalière del'équipe de France de GSO Pénélope Le -prevost ou d'un autre cavalier de GSO

TimothéeAntiaumefvoirnotrederniernu-méro) qui travaille avec Jean-Marie Clair.«Jel'airencontré,explique-t-il,powunche-val qui avait des problèmes. R l'a réglé. Puisil a débourré mes poulains, et il fait aujour-d'hui partie intégrante de mon écurie. »

Le monde des courses s'y est mis(nous mettons à part Nicolas Blondeauqui ne se définit pas comme un étho-logue au sens dévoyé du terme et quitravaille avec le monde des galopeurs de-puis des années). Ainsi, des éleveurs detrotteurs font confianceàLudovicd'Hau-tefeuille parce qu'ils savent qu'un chevalbien débourré, c'est du temps de gagné.

Il n'empêche que le doute est demise. Peut-être aussi parce que la com-pétence des personnes qui se présen-tent sous l'étiquette d'éthologues équinsest inégale et, qu'en cas d'échec, les dé-gâts peuvent être considérables. Peut-être aussi parce qu'une partie du pu-blic semble trop crédule, qui confondéthologie et douceur, sans la moindrecontrainte (par exemple que le cheval n'a

Des adresses...

Haras de la Cense www. lacense. com

Ludovic ^hautefeuille ludo.dhcuuefeuille.free.fr

Jean-Marie Clair www.jean-maneclair.com

Nicolas Blondeau www.ecoleblondeau.com

pas besoin de mors et qu'un simple li-col suffit...). « C'est une vision totalement/aussée,explique posément Manuel Go-din. C 'est ce que pensent certaines personnesmais Hy a confusion dans leur esprit entreles mots douceur et justesse. Une phase dedressage peut être parfois dure car, à unmoment ou à un autre, ily a contramte,maistoujours juste ».«Ilest vrai que certains étho-logues ont perverti le message de départ,explique de son côté Hélène Roche, enlaissant croire que ces techniques sont unefin alors que,justement, elles ne sont qu'unmoyenpour'arriveràavoirunchevaldressé».

Déjà, nous voyons poindre un autredanger, ce que Nicolas Blondeau quali-fie de « robotisation » du cheval. En effet,les hommes de cheval (mais pas seule-ment eux) ne peuvent accepter de voir deschevaux suivre leurs maîtres comme depetits chiens ; le cheval ne sera jamais unanimal de compagnie.Ce que ne contestepas Manuel Godin.

Concrètement, que faut-il penserde ces techniques? Ces pratiques,quine seront jamais une discipline, ont Tin-signe qualité d'avoir redécouvert des tech-niques presque oubliées, de les avoir for-malisées. Car l'équitation n'est qu'une:c'est un patrimoine, à condition dè pou-voir le transmettre ! *

... et quèlques études

Les méthodes dites éthologiques de débourrage des chevaux. Une analyse des pratiques

et des fondements théoriques, deLiseTeissier(VetAgroSup,2011).

Étude du comportement animal et éthologie : l'empreinte de Konrad Lorenz,

de Catherine Daragon (Ecole nationale vétérinaire de Nantes, 2005).

Le Débourrage par la méthode Blondeau, de Nicolas Blondeau (Belm, 2003).

D'Hekne Roche et chez Belm : Mon cheval est-d heureux à l'écurie ? (2014) ;

Motiver son cheval, clicker et récompenses (2013) ; et Comportements et postures (2012).