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7/23/2019 Bakhtine
1/2
174
Esthtique
et thorie
d .
rOll ail
tian du langage, mais bien l'ent it concrte et vivante des signes
de sa singularisatian sociale, qui peut aussi se raliser dans les
cadres d un langage linguistiquement unique, en se dterminant
par des transformations lexicolo:
giques.
C est
une perspectIve soclO-hngUlstIque concrte;
qUI
se singularise
l int
rieur
d un
langage abstraitement
un
.
Cette perspective linguistique souvent ne se prte pas
une
dfinition linguistique stricte, mais elle po
rt
e
en
elle les virtuali-
ts d une future singularisation dialectologique : c'est un dialecte
potentiel, son embryon encore informe. Au cours de son exis-
tence historique, de son deve
nir
multilingual, le langage est
rempli de ces dialectes potentiels ils s'entrecroisent de mul-
tiples faons, ne se dveloppent pas jusqu au bout et meurent;
mais quelques-uns fleurissent et deviennent des langages vri-
tables. Redi
so
ns-le : le langage est historiquement rel en ta
nt
que devenir plu ri lingual, grouill ant d e langages futurs et passs,
d
aristocrates linguistiques
guinds, de parvenus
linguis .
tiques, d'innombrables tendants au langage, plus ou moins
heureux ou malheureux, de langages
envergure sociale plus ou
moins grande, avec telle ou telle
sp
hre d'application.
L im
age
d un
tel langage dans le roman, c 'est celle
d une
pers-
pective sociale,
d un
idologme social soud
son discours,
son langage. Cette image ne peut donc,
d
aucune faon, tre une
image formaliste, et un jeu littraire avec de tels langages ne
peut tre un
jeu
formaliste. Les particularits formelles des
langages, des modes et des styles
du
roman,
so
nt des symboles
de perspectives sociales.
Les
particularits linguistiques ext-
rieures sont souvent utilises ici comme indices auxiliaires d une
diffrenciation socia-linguistique, parfois mme sous f
or
me de
omm entaires dire ts de l auteur aux discours de ses personnages.
Par
exemple, dans
res
et Fils
Tourguniev nous donne de
temps en temps des indications s
ur
tel usage
d un
mot, telle
prononciation d un personnage (il convient de noter qu elles
sont des plus caractristiques
du
point de vue socio-histo-
rique).
Ainsi les diffrentes prononciations du mot
printzipy
prin-
ci pes ) diffrenc ient, dans ce roman, les mondes historico-
culturel ct social: lc monde cultiv des grands propritaires ter-
riens des annes 20
30, du
XIX . sicle, duqu par la littrature
franaise, tranger au latin et
la
s
ien e allemande,
et
Je Inonde
de illtelligen tsia multiclasse des annes 50, quand le
ton
tait
donn par les sminaristes et les mdecins, nourris de latin et
d'allemand. Ce fut le
rud
e accent latina-allemand qui l'emporta
pour la prononciation en russe du mot priutzipy. Mais le voca-
bulaire de Koukchina, qui dit un monsieur
,
pour
un
homm
e
,
Du
iscours
romanesque
'75
s:es,t dans les genres infrieurs ct moyens du langage
htt
eratre.
Si les observations extrieures
et
directes
sur
les particularits
du
langage sont caractristiques
du
genre
romanesque, l est clatr qu.e ce ne sont pas e lles qui crent l'image
du langage. Ces observatIOns sont purement objectales; le dis-
cours
?e
l
:aut
e
ur
ne touche ici que superficiellement le langage
cornlne, c
ho
se, il
n
y a
pa
s ici de dialogisation
caractnstlq. e de l'image
du
langage. L'image authen-
tIque
du
langage a touJours des contours dialogiss deux voix,
deux langages (par exemple, les zones des hros dont nous
avons parl au chapitre prcdent). '
. Le du qui enchsse le
di
scours reprsent a une
slglllficatlOn
pnmordwle pour
la cration d une image
du
lan-
gage. L e contexte enchssant, telle ciseau
du
sculpteur, dgrossit
les contour.s .du discours d autrui et taille une image
du
langage
dans l'empIrIsme fruste de la vie du di scour
s
il confond et allie
l'aspiration
int
rieure
du
langage re
pr
se
nt
avec ses dfinitions
extrieures objectives.
Le
discours de l'a
uteur
reprsente et
le
di
scou rs d autrui, cre pour lui une perspective,
dlstnbue ses ombres et ses lumires, cre sa situ
at
ion et toutes
condit}ons de sa rsonance, enfin, y pntrant de l intr ieur,
y llltrodl11t ses accents et ses express ions cre pour lui un fond
dialogique. '
Grce
cette aptitude d'un langage qui en reprsente un
autre. de rsonner simultanment hors de lui ct en lui, de parler
de
lUI, tout
en
parlant
comme lui et avec lui et d'aut re part
l
, . d ' , ,
aplItu e
du
langage reprse
nt
servir simultanme
nt
d'objet de .reprsentation et de parler par lui-mme, ail peut
crer des nuages des langages spcifiquement romanesques.
C est pour
cela que dans le contexte de
l aut
e
ur
qui enchsse
le langage
repr
sent, ce dernier ne peut,
en
tout tat de cause
tre une chose, un objet du
di
scours, muet et sans rac tion:
demeura
nt
en dehors comme Il '
imp
orte quel objet de discours.
*
On peut
trois catgories principales tous les
pr
oc- \
de
ll ma.ge
dulang.age dans le
roman:
I) l'hybri-
dlsatlOn, 2) 1 mter relatJ?n dlaloglse des langages, 3) les d ia-
logue?
purs.
Ces catgones ne p euvent tre divises que de faon
thonqu
e, car elles s'entrelacent sans cesse dans le tissu litt-
raire unique de l'image.
. Qu est-ce
que
l'hybridisation? C est le mlange de
langages sociaux l intri eur d un seul nonc, c'es t la rencont re 1
7/23/2019 Bakhtine
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Esth
tique
et th
orie
dit
romall
)
dans l arne de ce t nonc de deux consciences linguistiqu
es
,
spares par une poque par une diffrence sociale, ou par
les deux.
Cet amalgame de deux langages au sein
d un
mme nonc
est
un
procd exact.eme.nt, un
systme de procds ). MalS 1 hybndlsatl?n lIlvolontalre,
ci
ente est l un d
es
modes majeurs de 1 eXistence Il lstonque et
du des langages. On peut dire tout net que, dans l en-
semble,
le
lang
age
et les langues se modifient historiquement
au moyen de l hybridi
sa
tion, du mlange de s diverses langues
l
coexistant
au
sein d un mme dialecte, d une mme langue
nationale, d une mme ramification, d un mme groupe de
ramifications ou de plusieurs, tant dans
le
pass historique des
langues que dans leur pa ss palontologique, et c est toujours
l
nonc qui sert de marmite pour
le
mlange
.
L image du langage dans l art littraire doit, de par son essence,
tre un hybride linguistiqu.e il doit oblill.atoi-
rement exister deux consciences lingUistiques, celle qUi est
reprsente
et
celle qui reprsente, appartenant
un systme
de langage diffrent. Cal , s il
n y
avait pas
cette
seconde
conscience reprsentante, cette seconde volont de
tion
nOliS
verrions non point une
im ge
du langage, mais simple-
me;t un ch ntillon du langage d autrui, authentique ou
factice.
L image du langage comme hybride intentionnel est avant
tout un hybride conscient
la diffrence de l hybride historico-
organique et linguistiquement obscur); c est cela, prcisment,
cette prise de conscience d un langage
par
.un ? e,st la
lumire projete
sur
lui pal une autre. Imgmstlq,;,e.
Une image du langage peut se constrmre tllllquement du pomt
de vue d un autre langage, accept comme norme.
En outre, dans
un
hybride intentionnel et conscient se mlan-
gent non pa s deux consciences. linguistiques
(corrlats de deux langages), malS deux consCiences Imgms-
tiques individuali
ses
(corrlats de deux noncs, non de deux
langages ) et deux volonts linguistiques individuelles : la
conscience et
la
volont individuelles de l auteur qui reprsente,
et
la
conscience ct
la
volont individualises
d un
personnage
reprsent. Car c est
sur
ce reprsent que se
sent des noncs concrets Unltatr
es
, et donc la conSClence ltn-
1.
Ces hybrides historiques inconscients sont, en tant qu hybrides, bilin.
gues, mais
il
s sont , naturellemen
t,
univoques. Pour le systme du
l
an.gage
littra
ire,
l hybridi
sa
tion est caractristique.
N.d.A.).
Dtt
discours
romal/esque
177
guistique doit obligatoirement s incarner dan s des auteurs
qui parlent le langage donn, btissent sur lui leurs noncs ,
par consquent, introduisant dans les potentialits du langage
leur volont linguistique actualisante. Ce sont deux consciences,
deux volonts, deux voix, donc deux
accents
qui participent
l hybride littraire intentionnel et conscient.
./
Mais en relevant l aspect individuel de cet hybride,
il
faut
de nouveau souligner fortement que dans l hybride littrairc
du roman, qui construit l image du
lan
gage l aspect individuel
est indispensable pour actualiser
le
langage
et le
subordonner
l entit du roman (les d
es
tins des langag
es
s entrelaant ici
aux destins individuels des locuteurs), et qu il est indissoluble-
ment li
l lment socio-linguistique : cela veut dire que
l hybride romanesque n est pa s seulement bivoque et bi-accentu
(comme en rhtorique), mais bilingue; il renferme non seule-
ment (et mme pas tellement) deux consciences individuelles,
deux voix, deux accents, mais deux consciences socio-linguis-
tiques, deux poques qui, vrai dire, ne se sont pas mles ici
inconsciemment (comme dans
un
hybride organique) mais sc
sont rencontres consciemment, et se combattent s
ur
le terri-
toire de l nonc.
Dans un hybr ide int entionnel il nc s agit pas
se
ulement (et
pas tellement)
du
mlange des formes et des indices de deux
styles et de deux langages, mais avant tout du choc, au sein dc
ces formes, des points de vue
sur le
monde. C est pourquoi
un hybride littraire intentionnel n est pas un hybride smantique
abstrait et logique (comme en rhtorique), mais
concret et social.
videmment, dans l hybride historique organique ce ne so nt
pas seulement deux langages qui se mlangent, mais deux points
de vue socio-linguistiques (et galement organiques), mais ici
c est un mlange pais ct sombrc, non unc juxtaposition et une
opposition conscientes. Il est nanrnoins ncessaire de prciser
que cc mlange pais et sombre de points de vue linguistiques
s
ur le
monde, est profondment productif historiquement dans
les hybrides organiques: il est gros de nouvelles visions du monde,
de nouvelles ({ formes intr ieures d une conscience verbale
du monde.
L hybride smantique intentionnel est invitablement int-
rieurement dialogis la diffrence de l hybride organique).
Deux points de vue ici ne fusionnent pas mais so nt dialogique-
ment juxtaposs. Cette
di
alogisation intrieure de l hybride
1.
Vlme si ces
1
autcurs taient anonymes, taient des
l
types _ comme
dans le s sty
li
sat ions des langages des divers genres et de l
l
opinion publique -
N .d ).