BANVILLE, Théodore de - Oeuvres Poétiques

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ODES

FUNAMBULESQUES

EUGNE, FASQUELLE EDITEUR, 11,

RUE DE GRENELLE

UVRES publies

DE

THODORE

DE

BANYILLE

DANS BIBLIOTHQUE-CHARPENTIER LA 3 fr. 50 le volume.

Esquisses parisiennes Contes les Femmes, pour grosse(4'mille). Contes orns d'un feriques, Contes orns d'un hroques, orns d'un Contes Bourgeois,

1 vol. orns d'un dessin de G. Roche1 1 1 1 vol. vt. vol. vol.

dessin de G. Rochegrosse dessin de G. Rochegrosse dessin de G. Rochegrosse. Posies obmipltes (dition dfinitive)': Tome i. Odes fnAambiHt'ques. Tome II. Les Exils. Tome III. Les Cariatides. Nous tous (posies nouvelles), avec un dessin de G. Rochegrosse. Sonnailles et Clochettes avec un dessin (posies nouvelles), de G. Rochegrosse. Com8dles. Le Feuilleton Le Beau Landre. d'Aristophane. Le Cousin du Roi. Diane aux Bois, etc. de posie Petit Trait suivi d'tudes sur Pierre franaise, de Ronsard et Jean de La Fontaine La Lanterne magiqne, MeBSouvenlrs(3*mitle). Paris vcu. L'Ame de Paris Lettres chimriques, ornes d'un dessin do G. Rochegrosse. Dames et Demoiselles Les Belles ornes d'un dessin de G. Rochegrosse poupes, Maroelle avec un dessin do G. Rochegrosse Rabe, (3' mille).. Dans la Fournaise (dernires posies)

1 vol. 1vol. 1 vol. 1 vol. 1 vol. 1 vol. 1 vol. 1 vol. 1vol. 1 vol. 1vol. 1 vol. 1 vol. 1 vol. 1 vol. 1 vol.

Paris.

L. Marethkux,

imprimeur,

1, rue

Cassette.

20641.

THODORE POSIES

DE

BANVILLE

COMPLTES

ODES

FUNAMBULESQUES OCCIDENTALESIDYLLES PRUSSIENNESDITION DFINITIVEE

PARISBIBLIOTHQUE-CHARPENTIER EUGNE DITEUR FASQUELLE, il, RUE DE GRENELLE, 11

1909 Tous droits rservs.

ODESFUNAMBULESQUES

AVERTISSEMENTDE LA DEUXIME DITION

1859 En crirant ses heures perdues les Odes funambulesques, l'auteur n'avait pas celte fois essay de crer une manifestation de sa pense szZcherchait seulement une forme nouvelle. Aussi pemait-il que sa signature ne devait pas tre attache ce petit livre. La critique en a dcid autrement, et l'auteur accepte son arrt. Avec une merveilleuse intuition, ses juges ont tout d'abord devin ses intentions les plus secrtes; et, devenus matres de sa pense intime, ils l'ont rvle et explique au public avec une conscience et une habilet rares. L'auteur leur tmmgne sa soumission et sa reconnaissance en n'effaant pas h nom qu'il leur a plu de replacer sur le titre des Odes funambulesques. Aujourd'hui, que pourrait-il dire sur le sens de cet opuscule qui n'ait t dit dj et cent fois mieux qu'il ne pourrait le faire? La langue comique de Molire tant et devant rester inimitable, l'auteur a pens, en relisant les potes du seizime sicle d'abord, puis Les Plaideurs, le quatrime acte de Ruy BIas et l'admirable premier acte de L'cole des Journalistes, qu'il

AVERTISSEMENT1.

ne serait pas impossible d'imaginer une nouvelle longue comique versifie, approprie nos murs et notre posie actuelle, et qui procderait du vritable gnie de la versification franaise en cherchant dans la rime elle-mme ses principaux moyens comiques. De plus il s'est souvenu que les genres littraires arrives leur apoge ne sauraient mieux s'affirmer que par leur propre parodie, et il lui a sembl que ces essais de raillerie, mme inhabiles, serviraient peut-tre mesurer les vigoureuses et puissantes ressources de notre posie lyrique. N'est-ce pas parce que Les Orientales sont des chefs-d'uvre qu'elles donnent mme leurs caricatures un fugitif reflet de beaut? Et s'il tait permis d'invoquer ici l'exemple de celui que nous devons toujours nommer genoux, la Batrachomyomachie ne fait-elle pas voir mieux que tous les commentaires possibles le rayonnement inou et les aveu2 glanles splendeurs de /'Iliade ?janvier 185*

Bellevue,

PRFACE 1851s'cria-t-il, ce pont n'tait il quoi Kh donc pas assez beau lorsqu'il paraissait avuj/ ('t construit en jaspe? Ne doit-on pas craindred'y poserles pieds,maintenant qu'il nous apparat comme un charmant cetprcieuxassemblage d'meraudes, de chrysoprases et de chrysolithesj Gthe, l'Homme la Lampe. Les diteurs des Odes funumbulesques ont-ils eu raison d3 rassembler en un volume ces feuilles volantes que le pote avait abandonnes comme un jouet pour la rcration des premires brises? Voil assurment des fantaisies plus que frivoles; elles ne changeront en rien la face de la socit, et elles ne se font mme pas excuser, comme d'autres pomes de ce temps, par le gnie. Bien plus, la borne idale qui marque les limites du bon got y est chaque instant franchie, et, comme le M. Ponsard dans un vers remarque judicieusement qui survivrait ses uvres, si ses uvres elles-mmes ne devaient demeurer immortelles, Quand la borneest tranchie, il n'est plus de limite. Plus de limite, en effet, c'est le pays des fleuves audes neiges ternelles, des forts de fleurs. Voici

rifres,

i.

rni'ACE.

la mauve carlate, la mousse l'hliante l'asclpias, les troupeaux blanche d'Espagne, les oiseaux-mouches, de buffalos et d'antilopes. Dans ces prairies ondules, i dans ces ocans de verdure, habits aussi par des dindons, parcourus en tous sens par des Indiens coloris d'une manire bizarre, notre homme, vtu d'une bonne blouse de peau de daim et chauss de mocassins aux semelles paisses, chasse aux chevelure;. Pourquoi la prairie parisienne n'aiirait-clle pas son Ilo-iri Huiler et son capitaine Mayne-Kcid? Il y a bien la question du dans le grand sang humain rassurez-vous, toutefois dsert dont la Banque de France et la Monnaie sont les oasis, tout le monde est chauve, et ce seront des perruques seulement que l'ennemi de Navajoes en frac suspendra sa ceinture. Lu balle de son rifle ne tuera que des mannequins pouvanter tes oiseaux, s'il reste mme car les oiseaux sont devenus de ces mannequins-l trs-malins. Ils ont lu les chasses do M. Elzar ISluzc et celles de M. Viardot. lis ont lu par la nirnie occasion d'autres chasses et aussi quelques recueils d'ana; si par hasard on les en priait bien fort, ils feraient leurs chos de Paris et leur Courrier de Paris tout comme M. Edmond Texier ou M. Yiilcmot. D'autres temps, d'autres oiseaux! d'autres oiseaux, d'autres chansons! murmure le divin Henri Heine, et il ajoute u Quel piaillement! on dirait des oies qui ont sauv ` le Capitole! Quel ramage! Ce sont des moineaux avec des allr. mettes chimiques dans les serres qui se donnent des airs d'aigles portant la foudre de Jupiter. Eh bien, que ferez-vous, Argiens aux cninides l-

PRFACE.

ces moineaux et ces oies gantes? Attaquerez-vous grands coups de lance ? N'est-ce pas assez d'une sarbacane pour mettre en fuite une couve de pierrots, et, quant aux volatiles plus graves, ceux qui servent de la majest de point de comparaison pour exprimer Hra aux bras de ueige, il suffit sans doute de leur arracher de l'aile une plume pour crire un mot. Un mot! n'est-ce pas beaucoup dj, lorsque tant de messieurs affairs font un mtier de cheval, et, les yeux crevs, tournent du matin au soir la roue d'un pressoir qui n'crase rien? Assurment ce temps-ci est un autre temps; ce qu'il appelle il grands cris, ce sont les oiseaux joyeux et libres; c'est la chanson bouffonne et la chanson lyrique. Lyrique, parce qu'on mourra de dgot si l'on ne prend pas, de ci de l, un grand bain d'azur, et si l'on ne peut quelquefois, pour se consoler de tant de mdiocrits, rouler dievels daus les toiles; bouffonne. tout simplement, mon Dieu! parce qu'il se passe autour de nous des choses trs-drles. De temps en temps Aiistophane refait bien sa comdie de Plutos, qu'il intitule Mercadet, ou une autre de ses comdies, qu'il intitule Vautrin, ou Les Saltimbanques, ou autrement mais toutes sortes car d'obstacles arrtent le cours des reprsentations, enfin l'art dramatique est dans le marasme. Et puis, ces satires refaites aprs coup, il manque toujours la parabase des Oiseaux il manque les churs, ces Odes vivantes qui font passer des personnages aux spectateurs du drame la mme coupe remplie jusqu'aux bords d'un En quelle langue peut-on s'crier auvin rparateur. sur un thtre Faibles humains, semblables jourd'hui la feuille lgre, impuissantes cratures ptries de

PaKFACB. limon et prives d'ailes, pauvres mortels condamns une vie phmre et fugitive comme l'ombre ou comme un songe lger, coutez les oiseaux, tres immortels, ariens, exempts de vieillesse, occups En quelle langue pourrions d'ternelles penses nous dire aux boursiers, qui lisent dans leur stalle le L'Amour s'unissant aux tnbres cours de la Bourse du Chaos ail engendra notre race au sein du vaste Tartare, et la mit au jour Ja premire. Avant que l'A mour et tout ml, la race des immortels n'existait pas encore; mais quand le mlange de toutes choses fut accompli, alors parut le ciel, l'ocan, la terre et la race immortelle des Dieux. Ainsi nous sommes beau coup plus anciens que tous les Dieux. Nous sommes fils de l'Amour, mille preuves l'attestent 3 ? J'entre dans un thtre de genre l'instant prcis o la salle croule sous les bravos. En effet, le rideau s'est lev sur un dcor aussi hideux qu'un vritable' salon bourgeois. Aux fentres, de vrais rideaux en damas laine et soie attachs avec de vraies torsades de passementerie de vraies patres en cuivre estamp. Sur la chemine, une vraie pendule de Richond. Puis de vrais meubles et une vraie lampe avec un vrai abat-jour rose en papier guufr. Voici un vrai comdien qui met ses vraies mains dans ses vraies poches il fume un vrai comme vrai commis un cigare, il dit Qu'est-ce que t'as de nouveauts; les applaudissements roulent comme un Aveztonnerre, et la foule ne se sent pas d'aise. vous vu? Il fume un vrai cigare! II a une vraie cuit lotte; regardez comme il prend bien son chapeau 1 Il Parabase des Uise-mx,traduction de 11. Artaud. iUd.

PRl'A CE.

a dit J'aime Adle, tout fait comme M. douard que nous connaissons, lorsqu'il allait pouser Adle Tu as raison, bon public. Tout cela est rel comme le papier timbr, le rhume de cerveau et le macadam. Les gens qui se promnent sur ce trteau encombr de poufs, de fauteuils capitonns et de chaises en laque, sembient en mais est-ce que je les effet s'occuper de leurs affaires moi spectateur Est-ce que leurs affaires m'inconnais, tressent ? .le connais Hamlet, je connais Romo, je connais Ruy Blas, parce qu'ils sont exalts par l'amour, mordus par la jalousie, transfigurs par la passion, poursuivis par la fatalit, broys par le destin. Ils sont des hommes, comme je suis un homme. Comme moi ils ont vu des lacs, des forts, des grands chemins, des cieux constells, des clairires argentes par la lune. Comme moi ils ont ador, ils ont pri, ils ont subi mille agonies, la souffance a enfonc dans leurs curs les pointes de mille glaives. Mais comment connatrais-je ces bourgeois ns dans une bote ? Ils ont, me direz-vous, les mmes tracas que moi, de l'argent gagner et placer, des termes payer, des remdes acheter chez le pharmacien. Mais justement c'est pour oublier tous ces ennuis que je suis venu dans un thtre Que ces me soient trangers, cela ne serait encore rien gens-l ce qu'il y a de pis, c'est. que je leur suis, moi, profondment tranger. Ils ne savent rien de moi, ils ne m'aiment pas, ils ne me plaignent pai quand je suis diMil, ils ne me consolent pas quand je pleure, ils ne souriraient gure de ce qui me fait rire aux clats. A chaque instant le chur antique disait au spectateur Nous avons toi et moi la mme patrie, les mmes Dieux, la mme destine c'est ta pense qui

PRFACE. acre ma raillerie, c'est ton ironie qui fait clater mon rire en notes d'or. A dfaut de chur, Racine et Shakspeare disent cela eux-mmes. Ils le disent chaque vers, chaque ligne, chaque mot, tant leur me individuelle est pntre, envahie et submerge par l'me humaine. Mais aujourd'hui, mme dans les uvres o par hasard le gnie comique clate en libert, l'auteur a toujours l'air de faire tous ces mots-l pour lui et de s'amuser tout seul. Il manque toujours le chur, ou du moins ce mot, ce cri, ce signe qui invite la communion fraternelle. Si le pote des Odes funambulesques pouvait avouer un instant cette fatuit, nous dirions qu'il a voulu tenter comme des essais de churs pour Vautrin, pour Les Saltimbanques, pour Jean Hiroux,\a. plus haute tragdie moderne, encore faire. Ii se serait efforc de rompre la glace qui spare de la foule quelques-unes et de montrer violemdes clbrits contemporaines, ment, dans une ombre dchire par un rayon de lumire, leur ct humain et familier. En un mot, il aurait tch de faire avec la Posie, cet art qui contient tous les arts et qui a les ressources de tous les arts, ce que se propose la Caricature quand elle est autre chose qu'un barHtons-nous de dire qu'il n'a biographie bouillage. Il n'a pas mme vu extrieurement et de trspersonne. loin le mur qui environne la vie prive. Ceci est utile constater, un moment o, si cela continue, nous finirons par tre dgots mme de Plutarque. Ici la critique reprend la parole.- Vous vouliez pein dre votre temps, la bonne heure. tait-ce une raison pour marcher sur la tte et pour vous vtir d'oripeaux dsordonns et bizarres? Est-ce pour peindre quelque chose, s'il vous plait, que vous affectez ces mtres

PREFACE.

ces csures effrontes, ces rimes d'une ci extravagants, sauvagerie enfantine? Peut-tre bien. Un homme qui est trs-spirituel malgr sa rputation d'homme d'esprit, M. Nestor Roqueplan, a dfini notre poque par un seul le Paroxysme. Selon lui, le grand mot trs-loquent caractre de notre ge complexe tait celui-ci, que tout s'est lev un degr extrme d'intensit. Pour clairer autrefois la chandelle classique, il faut ce qu'clairait de gaz, des incendies, des fournaises et des des orgies comtes. On tait riche avec dix mille livres de rente, et maintenant, si un banquier ne possde que dix millions de francs, chacun dit de lui Ce pauvre un tel n'est gure son aise Oil y avait du gris, nous mettons du vermillon pur, et nous trouvons que cela est encore bien gris. Nos crivains sont si spirituels que leurs cheveux en tombent, nos femmes si clatantes qu'elles font peur aux bufs, nos voitures si fines qu'elles se -cassent en mille miettes. des Nouvelles la main a Lorsque le chroniqueur sa dfinition, il ne se trompait certes pas et il imagin y avait l quelque chose de bien observ. Il faut dsormais faire un pas de plus. Nous en sommes toujours au paroxysme, mais au paroxysme de l'absurde. Bien entendu, nous parlons seulement ici du ct extrieur et pittoresque des murs: Rien n'empche et ne saurait empcher l'essor de la Science, de la Posie, du Gnie dans toutes ses manifestations, enfin de ce qui est la vie mme de la France. Mais l'existence dans la rue, le ct des choses qui sollicite l'observation superficielle est devenu essentiellement absurde et caricatural. Nous ressemblons tous ces baladins qui, aux derniers jours du carnaval jouent Les Rendez-vous Bourgeois travestis,

PRFACE. chacun portant un costume oppos l'esprit de son rle. Vous entrez dans le bureau d'un petit journal, vous y trouvez des vieillards qui regrettent le bon vieux temps; vous allez chez un acteur, vous le voyez en train de faire des chiffres; vous montez chez une courtisane, elle est abonne au Sicle. Ce jeune homme adorable, fatal comme Lara et habill comme Brumnicl, est un usurier. Ce monsieur qui tient ses livres de maison en partie double, et qui sert d'intermdiaire pour trouver de l'argent, c'est un pote. Mon domestique ne se contente pins d'tre mis dans la gazette il fait blir des maisons, et ce pauvre homme en habit rp qui monte dans un omnibus est un duc plus ancien que les La Trimouille. II reste un descendant de Godefroy d Bouillon, il chante dans les churs de l'Opra; et le dernier des comtes de Foix, M. Kugne Grailly, tait acteur la Porte-Saint-Martin. I*n saltimbanque a rcemment attach son trapze sous ie pont suspendu qui domine l.i cataracte du Niagara, et, dans les variations du Carnaval de Venise, Mmo Carvalho a montr qu'avec son gosier elle jouait du violon mieux que Paganini aprs cela venez dire que la versification des Odes funambulesques est excessive ou imprudente Sans parler des lus qui ont fait Les Feuilles d'Automne, La Comdie de la 3fort, Les Mditations, Rolla, Les lambes, loa, Les Ternaires, Les Fleurs du Alal, et d'autres beaux livres, il y a ici deux crivains qui possdent des natures essentiellement potiques ce sont MM. Louis Veuillot et Proudhon, les deux implacables adversaires de la posie et des potes. Dans un morceau merveilleux d'inspiration lyrique,' M. l'roudhon, qui n'a jamais lu un vers, s'est rencontr, presque ide pour ide, avec Les Litanies de Satan, de M. Charles

PRFACE.

Baudelaire; Dans Corbin et d'Aubecourt, M. Louis Veuillot a donn une page digne de Burns c'est la description de la cour d'une vieille maison dans le faubourg avec son puits la serrurerie ouvrage Saint-Germain, et son lilas dlicieusement fleuri sur un tronc antique. font des romans, les notaires et les Les cordonniers matres d'criture ventrus se moquent de M. Prudhomme, les vices d'Herpillis, de Lontion, de Dana et d'Archeanassa sont tombs aux cuisinires, et, aprs avoir trsspirituellement gay Le Charivari, Le Corsaire, Le Figaro et Le Tintamarre, les plaisanteries contre la tragdie ont t accapares par des imbciles. S'il plat donc a Daumier, en ses figures nergiques et puissantes, de tracer un pau d'habit un peu trop tordu par le vent du nord ou nne main qui ait presque six doigts, il n'y a vraiment du pas ! de quoi fouetter un chat. Les enthousiastes amrement de l'avoir vu comique rim, qui regrettent de notre posie aprs Les Plaideurs, savent disparatre difficults surhumaines notre versification oppose quelles J'artiste qui veut faire vibrer la corde bouffonne. Si l'on nous permet de retourner ici un mot clbre, ils savent combien il est inou de pouvoir rester fougueux sur un cheval calme. Le problme assurment n'est pas rsolu dans le pauvre petit bouquin trange que voici, improvis au hasard et bribe par bribe vingt poques dill'rentes. Mais, tel qu'il est, il pourra sans doute distraire pendant dix minutes les amateurs de posie il y a eu dans tous les sicles beaucoup de et d'art livres dont on n'en pourrait pas dire autant, et qui ne valent pas une cigarette. Pour ce qui regarde les formes spciales imites dans quelques pices, est-il ncessaire de rappeler encore une 2

PRFACE.

fois que la parodie a toujours t un hommage rendu la popularit et au gnie? Nous croirions faire injure nos lecteurs en supposant qu'il pt se trouver parmi eux une me assez mchante pour voir dans ces jeux o un pote obscur raille sa propre posie, une odieuse attaque contre le pre de la nouvelle posie lyrique, contre le demi-dieu qui a iaonn la littrature contemporaine l'image de son cerveau, contre l'illustre et glorieux ciseleur des Orientales. Quant aux personnalits parses dans ces pages phmres, qui pourraientelles raisonnablement courroucer ? Nous le rptons de nouveau, ce ne sont et ce ne pouvaient tre que des caricatures absolument fantastiques. Or nous ne savons pas que ni M. Thiers, ni M. de Falloux, ni M. Louis Blanc, ni M. de Montalembert, ni M. Proudhon, ni tant d'hommes d'tat et d'crivains minents se soient fchs propos des singuliers profils que leur jamais ont prts les dessinateurs humoristes. Il nous reste seulement le regret d'avoir cru la lettre apocryphe signe Thomas Couture; mais notre javelot perdu n'aura mme pas gratign cette jeune gloire. Un mot encore les Odes funambulesques n'ont pas t signes, tout bonnement parce qu'elles ne valaient pas la peine de l'tre. Et d'ailleurs, si l'on devait les restituer leur vritable auteur, toutes les satires parisiennes, quelles qu'elles soient, ne porteraient-elles pas le nom du factieux inconnu qui s'appelle TOUTLE MONDE? ce fragile Enfin, ennemi lecteur, avant de condamner essai de pamphlet en rhythmes, et de le jeter ddaigneusement la corbeille avec le dernier numro du de Boileau ne Ralisme, songe que la Satire magistrale peut plus servir en 1857, ni mme, plus tard, comme

PRFACE.

du moins. Heureux celui qui pourrait, non pas trouver, non pas complter, mais seulement fixer pour quelques jours au point o elle est parvenue la formule rime de notre esprit comique Sommes-nous srs que les chevaux indompts ne viendront plus jamais mordre l'corce de nos jeunes arbres ? Eh Lien, le jour o cette fatalit planerait sur nous, le jour o se lvera haletant, courrouc et terrible, le chanteur d'Odes qui sera le Tyrte de la France ou son fougueux Thodore Kerner, s'il cherche la langue de l'ambe arm de clous dans Le Mnage Parisien, ou dans L'Honneur et l'Argent, il ne ce n'est pas dans le sang du lapin ou l'y trouvera pas du pigeon gris que le guerrier libre du pays des lleuves empoisonne ses flches vengeresses. lf\rmr !">

arme

ODES FUNAMBULESQUES

GAIETES

LA CORDE

ROIDK

Do temps que j'en tais pris, Les lauriers valaient bien leur prix. A coup sr on n'est pas un rustre Le jour on l'on voit imprims Les pomes qu'on a rims Heureux qui peut se dire illustre Moi-mme un instant je le fus. J'ai comme un souvenir confus D'avoir embrassa la Chimre. J'ai mang du sucre candi Dans les feuilletons du hindi Mn bouche en est encore amro. Quittons nos lyres, rato On n'entend plus que le rteau De la l'on lette et de la banque; Viens devant ce peuple qui hout Jouer du violon debout Sur l'chelle du saltimbanque 1

2.

ODES

FUNAMBULESQUE

Car, si jamais ses yeux vermeils Ne sont las de voir les soleils Sans baisser leurs fauves paupires, Le pote n'est pas toujours En train de rjouir les ours Et de civiliser les pierres. En vain les accords de sa voix Ont charm les monstres; parfois Loin des ilts sacrs il migr, Las, sinon guri de prcher L'amour aux ctes du rocher Et la douceur aux dents du tigre. Il se demande s'il n'est plus, Sous les vieux arbres chevelus De cette France que nous sommes, De l'Ocan au pont de Kehl, Un dguisement sous lequel On [misse parler des hommes; Et, voulant protester du moins Devant les immortels tmoins En faveur des Dieux qu'or renie. Quoique son me soit ailleurb, Il te prend tes masques railleurs Et ton rire, sainte Ironie 1 Alors, sur son triste haillon Il coud des morceaux de paillon, Pour que dans ce sicle profane. Ft-ce en manire de jouet, Ou lui permette encor le fouet De son aeul Aristophane.

ODES

FUNAMBULESQUES.

Et d'une lieue on l'aperoit En souliers rouges Mais qu'il son Un hros sublime ou grotesque-; 0 Muse qu'il chasse aux vautours, Ou qu'il daigne faire des tours Sur la corde funambulesque, Tribun, prophte ou baladin, Toujours fuyant avec ddain Ces pavs que le passant foule, Il marche sur les fiers sommets Ou sur la corde ignoble, mais Au-dessus des fronts de la foule. Septembre 1856.

LA VILLE

ENCHANTE

II est de par le monde une cit bizarre, O Plutus en gants blancs, drap dans son manteau. Offre une cigarette son ami Lazare, Et l'emmne souper dans un parc de Wateau. Les centaures fougueux y portent des badines; Et les dragons, au lieu de garder leur trsor, S'en vont sur le minuit, avec des luiladines, Paire un maigre diner dans une maison d'or. C'est l que parle et chante avec des voix si douces^ Un essaim de beauts plus nombreuses cent fois, En habit de satin, brunes, blondes et rousses, Que le nombre infini des feuilles dans les bois 1

ODES

FUNAMBULESQUES.

0 pourpres et blancheurs L'une neiges et rosiers En dcouvrant son sein plus blanc que la Jung-Frau, Cause avec Cyrano qui revient de la lune, L'autre prend une glace avec Cagliostro. C'est le pays de fange et de nacre de perle; Un trteau sur les fts du cabaret prochain, Spectacle o les dcors sont peints par Diterle, Cambon, Thierry, Schan, Pbilastre et Desplchin; Un thtre en plein vent, o, le long de la rue, Passe, tantt de face et tantt de profil, Un mimodramc avec des changements vue, Comme ceux de Gringore et du cleste Will. L, depuis Idalie, o Cypris court sur l'onde Dans un coup de nacre attei d'un dauphin, Vous voyez dfiler tous les pays du monde Avec un air connu, comme chez Sraphin. La Belle au bois dormant, sur la moire Ileurie De la molle ottomane o rve le chat Miiit, Parmi l'air rose et bleu des feux de la ferie, S'veille aprs cent ans sous un baiser d'amour. La Chinoise rveuse, assise dans sa jonque, Les yeux peints et les bras ceints de perles d'Ophir, D'un ongle de rubis ros comme une conque Agace sur son front un oiseau de saphir. Sous le ciel toile, trempant leurs pieds dans ronde Que parfument la brise et le gazon Henri, Et d'un bois de senteur couvrant leur gorge blonde, Dansent s'enivrer les inlnaderi.

ODES

FUNAMBULESQUES.

L, belles des blancheurs de la ple chlorose, Et confiant au soir les rougeurs des aveux, Les vierges de Lcsbos vont sous le laurier-rose S'accroupir dans le sable et causer deux deux. La reine Cloptre, en sa peine secrte, Fire de la morsure attache son flanc, Laisse tomber sa perle au fond du vin de Crte, Et sa pourpre et sa lvre ont des lueurs de sang. Voici les beaux palais o sont les htares, Sveltes lys de Corinthe et roses de Milet, Qui, dans des bains de marbre, au chant divin des lyres, Lavent leurs corps sans tache avec un flot de lait. Au fond de ces sjours pompe triomphale, O brillent aux flambeaux les cheveux de mais, Hercule enrubann file aux genoux d'Omphale, Et Diogne dort sur le sein de Las. Salut, jardin antique, Tempe familire O le grand Arouet a chant Pompadour, O passaient avant eux Louis et La Vallire, La lvre humide encor de cent baisers d'amour C'est Dans Et le Et le l que soupiraient aux pieds de la dryade, la nuit bleue, l'heure o sonne l'angelus, jeune Lauzun, fier comme Alcibiade, vieux ltichelieu, beau comme Antinous. qui me sduit et ce qui me ramne verdure, o j'aime soupirer le soir, pas seulement Phyllis et Dorimne, robe d'or que porte un page noir.

Mais ce Dans la Ce n'est Avec sa

ODES

FUNAMBULESQUES.

C'est l que vit encor le peuple des statues Sous ses palais taills dans les mlzes verts, Et que le chur charmant des nymphes demi-nues Pleure et gmit avec la brise des hivers. Les Naades sans yeux regardent le grand arbre Pousser de longs rameaux qui blessent leurs beaux seins, Et, sur ces seins meurtris croisant leurs bras de marbre, Augmentent d'un ruisseau les larmes des bassins. Aujourd'hui les wagons, dans ces steppes fleuries, Devancent l'hirondelle en prenant leur essor, Et coupent dans leur vol ces suaves prairies, Sur un ruban de fer qui borde un chemin d'or. Ailleurs, c'est le palais d'Italie et de Grce O s'veillent les Dieux couronns de lotus, Pour lequel Titien a donn sa matresse, O Phidias a mis les siennes, ses Vnus 1 Et maintenant, voici la coupole ferique O, prs des flots d'argent, sous les lauriers en fleurs, Le grand Orphe apporte la Grce lyrique La lyre que Sapplio baignera dans les pleurs. 0 ville o le flambeau de l'univers s'allume Aurore dont l'il bleu, rempli d'illusions, Tourn vers l'Orient, voit passer dans sa brume Des foyers de splendeur toils de rayons 1 Ce thtre en plein vent bti dans les toiles, O passent la fois Cloplre et Lola, O dfile en dansant, devant les mmes toiles, Un peuple chimrique en habit de gala;

ODES

FUNAMBULESQUES.

Ce pays de soleil, d'or et de terre C'est la mlodieuse Athnes, c'est Eldorado du monde, o la fashion Importe deux fois l'an ses tweeds

glaise, Paris, anglaise et ses paris.

Pour moi, c'est dans un coin du salon d'Aspasie, Sur l'album clectique o, parmi nos refrains, Phidias et Diaz ont mis leur fantaisie, Que je rime cette, ode en vers alexandrins. Septembre 1845.

LA BELLE

VRONIQUE

Ce fut un beau souper, ruisselant de surprises. Les rtis, cuits point, n'arrivrent pas froids; Par ce beau soir d'hiver, on avait des cerises Et du johannisberg, ainsi que chez les rois. Tous ces amis joyeux, ivres, fiers de leurs vices, Se renvoyaient les mots comme un clair tambourin; Les dames, cependant, suaient des crevisses Et se lavaient les doigts avec le vin du Rhin. Aprs avoir pos son verre encore humide, Un tout jeune homme, pris de songes fabuleux, Beau comme Antinos, mais quelque peu timide, Suppliait dans un coin sa voisine aux yeux bleus.

ODES

FUNAMBULESQUES.

Ce fut un grand rgal pour la troupe savante Que cette bergerie, et les meilleurs plaisants Se dlectaient de voir un fou croire vivante Vronique aux yeux bleus, ce joujou de quinze ans. Mais l'heureux couple avait, parmi ce monde trange, L'impassibilit, de Olympiens; lui, Savourant la dmence et versant la louange, Elle, avalant sa perle avec un noble ennui. L'ardente causerie agitait ses crcelles Sur leurs ttes; pourtant, quoi qu'il en pt coter, Ils avaient les regards si chargs d'tincelles Que chacun la fin se tut pour couter. Vraiment? jusqu' mourir! s'criait Vronique, En laissant flamboyer dans la lumire d'or Ses dents couleur de perle et sa lvre ironique; Je veux le Koh-innor ? ~ Et si je vous disais (Elle jetait au vent sa tte fulgurante, Pareille la toison d'une anglique miss Dont l'aile des steam-boats la mer de Sorrente Emporte avec fiert les cargaisons de lys 1) Chre me, rpondit le rveur sacrilge, J'irais la nuit, tremblant d'horreur sous un manteau, Blme et pieds nus, voler ce talisman, duss-je Ensuite dans le cur m'enfoncer un couteau. Cette fois, par exemple, on clata. Le rire, Sonore et convulsif, orageux et profond, Joyeux jusqu' l'extase et gai jusqu'au dlire, Comme un flot de cristal montait jusqu'au plafond.

ODES

FUNAMBULESQUES.

C'est un hte bloui, qui toujours nous invite. La fille d'Eve eut seule un clair de piti; Elle baisa les yeux de l'enfant, et bien vite Lui dit, en se penchant dans ses bras moiti Ami, n'emporte plus ton cur dans une orgie. Ne bois que du vin rouge, et surtout lis Balzac. Il fut suprieur en physiologie Pour avoir bien connu le fond de notre sac. Ici, comme partout, l'exprience est chre. Crois-moi, je ne vaux pas la bague de laiton Si brillante jadis mon doigt de vachre, Dans le bon temps des gars qui m'appelaient Gothon I Novembre 1S&

MASCARADES

Le Carnaval s'amuse Viens le chanter, ma Muse, En suivant au hasard Le bon Ronsard 1 Et d'abord, sur ta nuque, En dpit de l'eunuque, Fais ilotter tes cheveux Libres de nuds

ODES

FUNAMBULESQUES.

Chante ton dithyrambe En laissant voir ta jambe Et ton sein arros D'un feu ros. Laisse mme, Desse, Avec ta blonde tresse, Le maillot des Keller Voler en l'air Puisque je congdie Les vers de tragdie, Laisse le dcorum Du blanc pplum, La tunique et les voiles Sems d'un ciel d'toiles, Et les manteaux pars A Saint- Ybars Que ses vierges plaintive, Catholiques ou juives, Tiennent des sanhdrins D'alexandrins Mais toi, sans autre insigne Que la feuille de vigne Et les souples accords De ton beau corps, Laisse ton sein de neige Chanter tout le solfge De ses accords pourprs, Mieux qne Duprez

ODES

FUNAMBULESQUES.

Ou bien. mon adore, Prends la veste dore Et le soulier verni De Gavarni 1 Mets ta ceinture, et plaque Sur le velours d'un claque Les rubans querelleurs Jonchs de ileurs 1 Fais, sur plus de richesses Que n'en ont les duchesses, Coller jusqu'au talon Le pantalon 1 Dans tes lvres closes Mets les cris et les poses Et les folles ardeurs Des dbardeurs 1 Puis, sans peur ni rserve, Rchauffant de ta verve Le mollet engourdi De Brididi, Sur tes pas fiers et souples Tranant cent mille couples, Montre leur jusqu'o va La redowa, Et dans le bal feui.que, Hurle un rhythme lyrique Dont tu feras cadeau APilodo! 1

ODES

FCNAMliL'LESQL'ES.

Tapez, pierrots et masques, Sur vos tambours de basques! Faites de vos grelots Chanter les flots Formidables orgies, Suivez sous les bougies Les sax aux voix de fer Jusqu'en enfer! 1 Sous le gaz de Labeaume Hurrah suivez le heaume Et la cuirasse d'or De Mogador Et madame Panache, Dont le front se harnache De douze ou quinze bouts De marabouts Au son de la musette Suivez Ange et Frisette, Et ce joli poupon, Rose Pompon 1 fclt Blanche aux belles forme, Dont les cheveux normes Ont t peints, je crois, Par Delacroix Ue mme que la Loire Se promne avec gloire Dans son grand corridor D'argent et d'or.

ODES

FUNAMBULESQUES.

Sa chevelure rousse Coule, orgueilleuse Elle pouvanterait Une fort. et douce;

Chantez, Musique et Danse 1 Que le doux vin de France Tombe dans le cristal Oriental 1 Pas de pudeur bgueule Amis la France seule Est l'aimable et divin l'axs du vin Laissons l'Angleterre Ses brouillards et sa bire 1 Laissons-la dans le gin Boire le spleen 1 Que la ple Opblw, En sa mlancolie, Cueille dans les roseaux Les lleurs des eaux Que, sensitive humaine, Desdmone promne Sous le saule pleureur Sa triste erreur Qu'Hamlet, terrible et sombre Sous les plaintes de l'ombre, Dise, accabl de maux Des mots des mots a.

ODES

FUNAMBULESQUES.

Mais nous, dans la patrie De la galanterie, Gardons les folles murs Des gais rimeurs Fronts couronns de lierre, Gardons l'or de Molire, Sans prendre le billon De Grbillon C'est dans notre campagne Que le ple champagne Sur les coteaux d'A Mousse bloui l C'est sur nos tapis d'herbe Que le soleil superbe Pourpre, frais et brlants, Nos vins sanglants 1 C'est chez nous que l'on aime Les verres de Bohme Qu'emplit d'or et de feu Le sang d'un Dieu 1 Donc, lvres vermeilles, Buvez pleines trcilles Sur ces coteaux penchants, Pres des chants Posie et Musique, Chantez l'amour physique Et les curs embrass Par les baisers I

ODES

FUNAMBULESQUES.

Chantons ces jeunes femmes Dont les pithalames Attirent vers Paris Tous les esprits 1 Chantons leur air bravache Et leur corset sans tache Dont le souple basin Moule un beau sein Leur col qui se chiffonne Sur leur robe de nonne, Leurs doigts colls aux gants Extravagants; Leur chapeau Pour toujours Avec son air Vienne et dont la race embarrasse malin, Berlin;

Leurs peignoirs de barge Et leurs jupes de neige Plus blanches que les lys D'Amaryllis; Leurs paules glaces, Leurs bottines lace,. Et leurs jupons tremblante Sur leurs bas blanc Chantons leur courtoisie Car ni l'Andalousie, Ni Venise, les yeux Dans ses flots bleus,

ODES

FUNAHBDLESQOKS.

Ni la belle Florence O, dans sa transparence, L'Arno prend les reflets De cent palais, Ni l'odorante Asie, Qui, dans sa fantaisie, Tient d'un doigt effil Le narghil, Ni l'Allemagne blonde Qui, sur le bord de l'onde, Ceint des vignes du Rhin Son front serein, N'ont dans leurs rveries Vu ces lvres fleuries, Ces croupes de coursier, Ces bras d'acier, Ces dents de bte fauve, Ces bras faits pour l'iloitve. Ces grands ongles couleur De ros en Heur, Et ces amours de race Qu Anacron, Horace Et Marot enchants, Eussent chants 1IkBTier 1846.

ODES

FUNAMBULESQUES.

PREMIER

SOLEIL

Italie, Italie, terre o toutes choses Frissonnent de soleil, hormis tes mchants vins 1 Paradis o l'on trouve avec des lauriers-roses Des sorbets la neige et des ballets divins Terre o le doux langage est rempli de diphthongues Voici qu'on pense toi, car voici venir mai, Et nous ne verrons plus les redingotes longues O tout parfait dandy se tenait enferm. Sourire du printemps, je t'offre en holocauste Les manchons, les albums et le pesant castor. Hurrah gais postillons, que les chaises de poste Volent, en agitant une poussire d'or 1 Les lilas vont fleurir, et Ninon me querelle, Et ce matin j'ai vu mademoiselle Ozy Prs des Panoramas dployer son ombrelle C'est que le triste hiver est bien mort, songez-y I Voici dans le gazon les corolles ouvertes, Le parfum de la sve embaumera les soirs, Et devant les cafs, des rangs de tables vertes Ont par enchantement pouss sur les trottoirs. Adieu donc, nuits en flamme o le bal s'extasie! Adieu concerts, scotishs, glaces l'ananas; Fleurissez maintenant, Heurs de la fantaisie, Sur la toile imprime et sur le jaonas! Et vous, pour qui natra la saison des pervenches, Rendez ces zphyrs que voil revenus, Les lgers mantelets avec les robes blanches, Et dans un mois d'ici vous sortirez bras nus 1 1

ODES

FUNAMBULESQUES.

Bientt, sous les forts qu'argentera la lune, S'envolera gament la nouvelle chanson Nous y verrons courir la rousse avec la brune, Et Musette et Nichette avec Mimi Pinson 1 Bientt tu t'enfuiras. ange Mlancolie, Et dans le Bas-Meudon les bosquets seront verts. Dbouchez de ce vin que j'aime la folie, Et donnez-moi Ronsard, je veux lire des vers. Par ces premiers beaux jours la campagne est en fte Ainsi qu'une pouse, et Paris est charmait. Chantez, petits oiseaux du ciel, et toi, pote, Parle nous t'coutons avec ravissement. C'est le Cueillir Et toute Except temps o l'on mne une jeune maltresse la violette avec ses petits doigts, crature a le cur plein d'ivresse, les pervers et les marchands de bois! 1 Avril 1854.

LA VOYAGEUSE Masques et visages.GAVARNI.A CAROLINE letes9ier

Au temps des pastels de Latour, Quand l'enfant-dieu rgnait au monde ?ar la grce de Poinpadour, Au temps des beauts sans seconde;

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FUNAMBULESQUES.

Au temps ferique, o sans mouchoir, Sur !es lys que Lancret dessine Le collier de taffetas noir Lutte avec la mouche assassine Au temps o la Nymphe du vin Sourit sous la peau de panthre, Au temps o Wateau le divin Frte sa barque pour Cythre En ce temps fait pour les jupons, Les plumes, les rubans, les ganses, Les falbalas et les pompons En ce beau temps des lgances, Enfant blanche comme Beaut mignarde, fleur Vous avez tout ce qu'il Pour tre danseuse ou le lait, exquise, fallait marquise.

Ces bras purs et ce petit corps, Noys dans un frou-frou d'toffes, Eussent damn par leurs accords Les abbs et les philosophes. Vous eussiez aim ces bichons Noirs et feu, de race irlandaise, Que l'on porte dans les manchons Et que l'on peigne et que l'on baiie. La neige Boucher Montrant Et pliant au sein, la rose aux doigts, vous et peinte en Diane sa cuisse au fond du bois comme une liane,

ODES

FUNAMBULESQUES.

Et Glodjon et fait de vous Une provocante faunesse Laissant mrir au soleil roux Les fruits pourprs de sa jeunesse Car sur les lvres vous avez La malicieuse ambroisie De tous ces paradis rvs Au sicle de la fantaisie, Et, nonchalante Dalila, Vous plaisez par la inorbide??e D'une nymphe de ce temps-l. Moiti nonne et moiti desse. Vos cheveux aux bandeaux o;v.its Rcitent de leur onde noire Des madrigaux dvergonds A votre visage d'ivoire,' Et, ravis de ce front si beau, Comme de vertes demoiselles, Tous les enfants porte-ilambcNO Vous suivent eu battant des uiios. Tous ces petits culs-nus d'Amour, Groups sur vos pas, Caroline, Ont soin d'embellir vos atours Et d'entier votre crinoline, Et l'essaim des Jeux et des Ri n. Doux vol qui foltre et se joui', Niche sous la poudre de riz Dans les roses de votre jouo.

ODES

FUNAMBULESQUES.

Vos sourcils touffus, noirs, pais. Ont des courbes dlicieuses Qui nous font songer la paix Sous les forts silencieuses, Et les charpes de vos cils Semblent avoir vol leurs franges A la terre des alguazils, Des manolas et des oranges. Au fait, Loin de Pendant Sous les vous avez donc t, nos boulevards moroses, tout ce dernier t, buissons de lauriers-roses? 1

Le fier soleil du Portugal Vous tendait sa lvre obstine Et faisait son meilleur rgal J Avec votre peau satine. Mais vous, tordant sur l'ventail Vos petits doigts aux blancheurs Vous dcoupiez Scribe en dtail Pour les rois et les diplomates; Et, digne d'un art sans rivaux, Pour charmer les chancelleries, Vous avez traduit Marivaux En mignonnes espigleries. C'est au mieux L'astre des cieux clairs Qui fait grandir le sycomore Vous a donn des jolis airs De Bohmienne et de More.

mates,

4

ODES

FUNAMBULESQUES.

Vous avez pris, toujours riant, Dans cet ternel jeu de barres, La volupt de l'Orient Et le got des bijoux barbares, Et vous rapportez Paris, Ville de toutes les dcences, Les molles grces des houris Ivres de parfums et d'essences. C'est bien encor mme Turin Menez Clairville, puisqu'on daigne Nous demander un tambourin L-bas, chez le roi de Sardaigne. Mais pourtaut ne nous laissez pas Nous consumer dans les attentes! Arrtez une fois vos pas Chez nous, et plantez-y vos tentes. Tout franc, pourquoi mettre aux abois Cet den, o le lion dne Chaque jour de la biche au bois Et soupe de la musardine? Valets de cur et de carreau Et boyards aux fourrures d'ourses, Loin de vous, sachez-le, Caro, Tout s'ennuie, au bal comme aux courser. Vous nous disputez les rayons .Avec des haines enfantines, Et jamais plus nous ne voyons Que les talons de vos bottines.

ODES

FUNAMBULESQUES.

Songez-y Vous cherchez pourquoi Ma Muse, qui n'esi pas mchante, M'ordonne de me tenir coi Et ne veut plus que je vous chante? C'est aue vos regards inhumains Ont partout des intelligences, Et tout le long des grands chemin Vont arrter les diligences. wtnisr itw.

ODES

FUNAMBULESQUES.

VOH MSIS INTRIMAIB

VEIL Puisque la Nmsis, cette vieille portire, Court en poste et regarde travers la portire Des arbres fabuleux faits comme ceux de Cham, Laissons Chandernagor, Pkin, Bagdad ou Siam Possder ses appas, vieux comme sainte Thcle, Et dsabonnons-nous le plus possibie au Sicle. Ne pleure pas, public qui lis encor des vers. Je ne te dirai pas Les raisins sont trop verts Et, quant s'en passer, je sais ce qu'on y risque; J'ai fait pour toi l'achat d'une jeune odalisque. Celle qui part tait infirme force d'ans Elle boitait; la mienne a ses trente-deux dents, L'il vif, le jarret souple eim est blanche', elle est nue, Charmante, bonne fille, et de ptus inconnue. Elle a le col de cygne et les trente beauts Que la Grce exigeait de ses divinits, Et ce ne sont partout, sous sa robe qui pouffe, Que cheveux d'or, que lys et que roses en touffe. ,La voil prsente, et, mon bras sous le sien, Nous allons tous les deux, pareils au groupe ancien D'une jeune bacchante agaant un satyre,

ODES

FUNAMBULESQUES.

Du mieux que nous pourrons jouer la satire. Nous savons, aussi bien que feu Barthlmy, Sur la lyre dix voix trouver l'ut et le mi. Puisqu'il a pris enfin la poudre d'escampette, 0 ma folle, ma Muse, embouche ta trompette Qui fouette les carreaux comme un clairon de Sax; Sur ton front chevelu mets le casque d'Ajax, Galope et fais claquer.sur les peaux les plus chres Ton fouet et son pommeau cisel par Feuchres! Lesbienne rveuse, prise de Phyllis, Tu n'as pas, il est vrai, clbr S Ni fait de Giraudeau ton souteneur en titre; Ni dans des vers gazs, qui font rougir un pitre, Fait clore, en prenant la iite et le tambour, Un dit paternel pour les filles d'amour; Ni, comme l'Amphion de ces pignons godiches, Fait surgir ta voix les colonnes-affiches. Mais enfin, c'est par toi qu'un jour le Triolet Ressuscita des morts et resta ce qu'il est, Et, pour mieux mettre vif nos modernes Linire, Devnt une pigramme aiguise en lanire; On a su par toi seule, en ce Paris lu, Ce que valent Nraut, Tassin et Grdelu Sur ton Rondeau tel barde, imprim vif chez Claye. S'est vu tralner vivant comme sur une claie, Et par toi ce bel ge apprit, en mme temps, Qu'un nouvel Arehiloque est g de huit ans. Vois, le sicle est superbe et s'offre au satirique Gronte dans le sac attend les coups de trique, Et sera trop heureux, Muse aux regards sereins, Si tu lui fais l'honneur de lui casser les reins. Regarde autour de toi ces mille nids d'insectes Qui fourmillent en paix dans des fanges suspectes, Et que tu vas fouler aux pieds de ton coursier! Messaline, ta sur, l'amante aux bras d'acier,4.

ODES

FtTHAMBUl.ESQ.DES.

De qui trois cents Romains composaient l'ordinaire, Ne serait aujourd'hui qu'une pensionnaire, Et pourrait concourir pour le prix de vertu. Les ntres ont un Claude imbcile et tortu, Qui, toujours gnreux au degr ncessaire, Pour les faire oublier donne tant par ulcre. Quelle est la Oloptre trois cents francs par mois, Dont l'Antoine en gants blancs, venu de l'Angoumois, Ne prenne pas plaisir voir fondre sa perle? Ds qu'Antoine est sec, plus joyeuse qu'un merle, Cloptre s'enfuit sur l'aile du steamer, Et, de Waterloo-Road affrontant la rumeur, Puise ces fonds secrets que, pour les amourettes, La perfide Albion avance nos lorettes. Demande au soleil d'or, qui mrit les cotons, Combien notre Opra, refuge de gothons, En dvore en un soir pour un ballet ferique, Et demande Sappho, la Llia lyrique, Dont la lvre du vent rougit les fro:ds appas, Si, par quelque hasard, elle ne saurait pas Quels timides aveux et quelles confidences, Au mpris de l'archet enrag pour les danses, Nos petites Las, dans les coins hasardeux, Au bal Valentino chuchotent deux deux ? Alcippe a le renom d'un homme littraire. II gagne peu d'argent. Est-il pauvre? Au contraire. Sa femme, nne pcupe aux petits airs souffrants, En cailloux de princesse, a deux cent m:lle francs, fJi, ds le grand matin, porte pour ses sorties Des bottines de soie en couleurs assorties A la robe du jour. Alcippe a deux landaus Et de petits habits qui plissent sur le dos;i Madame a son lundi; c'est un groom en livre Qui porte la Revue, bon droit enivre, Les tartines d'Alcippe, et ces poux profonds

ODES

KCKAMBULESQUES.

Ont leur loge an Gymnase et leur loge aux Bouffons. Alcippe, homme de got, pote et dramatiste, Est un original extrmement artiste; Il croit sincrement devoir son travail Les dollars que madame a trouvs en dtail Sous les petits coussins d'une amie un peu mre, Dont pour aucun de nous le boudoir ne se mure. Si pourtant le mari, que favorise un dieu, Veut s'tonner, madame, en souriant un peu, Rpond qu'elle a gagn cet argent la Bourse. En peut-on ce point mconnatre la sourcel L'ange des actions, que chacun invoquait, Manque prsent de tout, ainsi que Bilboquet; Et la bourse o madame a gagn, c'est la ntre C'est la maigreur des uns qui fait un ventre l'autre. Damon. Mais quoi bon fatiguer votre voix 2 Muse, n'essayons pas de peindre en une fois Les immoralits de ce sicle bizarre. Nous en avons de reste au quartier Saint-Lazare, Pour remplir largement trois mille feuilletons. Tant de taureaux de Crte et de serpents Pythons Se dressent l'envi dans ce grand marcage, Que nous demanderons du temps pour mettre en cage Ces monstres de ferie, et pour bien copier Leurs langues de drap rouge et leurs yeux de papier. Voyez les Auvergnats, les pairs, les gens de lettres, Les Tom-Pouces gs de quatre centimtres, Le lzard-violon, le hanneton-verrier, Le caf de mas, t'annonce Dnveyrier, Le journal vertueux, Aym, deutiste questre, Et l-bas Mirliton qui s'rige en orchestre t Hilbey! Carolina! Toussenel! le guano! 1 Et Mangin! et Clairville et matre Chicoisneant Et la Bourse! et Madrid! et l'Odon! et Rollel Et le nez de Guttire et Buloz et l'cole

ODES

FUNAMBULESQUES.

Du Bon-Sens! et le Bal des Chiens! et le Journal Des Chasseurs! Janin mme, aid de Juvnal, Y perdrait son latin. Voyez, mademoiselle, Ce qui vous reste faire, et dployez du zle. Quand, rouge de plaisir et les yeux toiles, Ton cheval et ton casque au vent chevels, On te verra courir, Muse jeune et folle!1 Les critiques eux-mme, et les plus vieux, et Rolle, Te suivront d'un regard lascif, mes amours! l Oubliant qu'ils sont vieux et le furent toujours 1 Novembre1845.

LES

THEATRES

D'ENFANTS

Bonsoir, chre voh. Comment vous portez-vous? Vous arrivez bien tard! Comme vos yeux sont cL..i Ce soir! deux lacs du ciel! et la robe est divine. Quel crin! vous aimez Diaz, on le devine. Vos poignets amincis sortent comme des fleurs De cette mousseline aux replis querelleurs; Ce col simple et charmant, ce chapeau de peluche Blanche, ce tour de tte avec son humble ruche, Vous donnent, ma Desse, un air tout virginal, Et chez vous Gavarni complte Juvnal. Vous marcheriez sans bruit parmi les feuilles schet^ Et si jamais l'enfant ros manque de flches, II vous demandera es cils de cet il noir. Quel dommage qu'il soit dj samedi soir, Et qu'il faille cnanter, ma Muse foltre! Car je vous aurais dit Le feu brille dans l'Atre, l verte salamandre y sautille eu rvant

ODES

FUNAMBULESQUES.

Laissons tomber la pluie et soupirer le vent, Car les sophas sont doux loin de3 regards moroses, Et nos verres de vin sont pleins de rayons roses. Mais Karr seul peut flner aux grves d'tretat. Un dieu ne nous fit pas ces loisirs notre tat, C'est de fouetter au sang, comme Croquemitaine, Tous les petits vauriens, sans prendre de mitaine. Nous leur faisons bien peur! Heureusement je vois avec sa grosse voix, Que mon Croquemitaine, Avale belles dents les bonbous aux pistaches, Porte des bas jour et n'a pas de moustaches. La moustache irait mal avec sa douce peau. Mais nous perdons du temps! Jetez l ce chapeau, La robe, les jupons; tirez cette baleine, Ce bas de cachemire avec sa blanche laine; Otez ces joyaux d'or et ce petit collier. Il faut, ma chre enfant, vous mettre en cavalier. Nous allons dans un bouge o, tout le long du drame, On est fort expose en costume de femme. Passez ce pantalon et ces bottines, qui Viennent de chez Renard et de chez Sakoski Cachez votre beau sein dans un gilet bien juste Ce frac va dguiser tous les trsors du buste. Bien. Maintenant, prenez, comme les plus ardents, Le twine'sur le bras et le cigare aux dents; Faites mordre propos par l'pingle inhumaine Vos cheveux d'or. C'est tout. Venez, et Dieu nous mne Le Tartare des Grecs, o le cruel Typhon Les cent gueules en feu parait encor bouton Tobolsk, la rue aux Ours, qui n'a pas de Philistes, L'enfer, o pleureront les matrialistes, La Thrace aux vents glacs, les monts Hymalaa, L'htel des Haricots, Saint-Cloud, Batavia, Mourzouk, o l'on rtit l'homme comme une dinde, Les mines de Norwge et les grands puits de l'Inde,

ODES

FUNAMBULESQUES.

Asile du serpent et du camlon, L'Etna, Botany-Bay, l'Islande et l'Odon Sont des dens charmants et des pays du Tendre, A ct de l'endroit o nous allons nous rendre. Nulle part, ft-ce mme au fond de la Cit, L'Impudeur, la Dbauche et la Lubricit, La Luxure 'au front blanc creus de cicatrices, Et le Libertinage avec ses mille vices, Ne dansrent en chur ballets plus triomphantsl 1 C'est ce que l'on appelle un Thtre d'enfants. Figure-toi, lecteur, une bote malsaine Des lauriers de papier couronnent l'avant-scn, Et vous voyez se tordre avec nu air moqueur Des camaeus bleu-tendre soulever le cur. Quatre violons faux grincent avec la flte, La clarinette beugle, et dans leur triste lutte Le cornet piston survient tout essouffl, Comme un cheval boiteux pris dans un champ de bl, Et qui, les yeux hagards, s'enfuit avec dmence. Mais le rideau se lve et la pice commence. Des petits malheureux affubls d'oripeaux, Infirmes, rabougris, et suant dans leurs peaux, Rcitent une prose crier A la ga.de! n Et brament des couplets d'une voix nasillarde. La scrofule a dtruit les ailes de leur nez Leur joue est molle, et tombe en plis dsordonns, Les yeux tout chassieux prennent des tons d'absinthe, Et l'pine dorsale a l'air d'un labyrinthe. Ils sautent au hasard comme de petits faons. Vous homme simple et bon, rien qu' voir ces enfants Estropis sans doute et battus par leurs maitres, Vous les plaignez dj, ces pauvres petits tres 1 Mais un monsieur bien mis, un abonn dn lien, Qui hante la coulisse et fait le Richelieu, Vous apprend que ces nains, dont la race fourjaiifc.

ODES

FUNAMBULESQUES.

Ont cinquante ans et sont des pres de famille. Ils grisonnent; ils sont comme vous, chers lecteurs, Gardes nationaux, potes, lecteurs, Et portent des faux-cols; c'est le vice prcoce Qui les a desschs comme un pois dans sa cpsse Leur femme, dj vieille, lve un rossignol, Et l'un d'eux est orn de quelque ordre espagnol. A ces mots, voyant clair dans ce honteux arcane, Honnte citadin, vous prenez votre canne, Et le sage parti, trois fois sage en effet, De fuir en maudissant le maire et le prfet, A moins que, comme nous, aimant l'allgorie, Vous ne restiez pour voir la fantasmagorie. C'est un spectacle heureux et d'un effet hardi. Il ne vous montre pas la lune en plein midi, Mais il donne le droit d'teindre les chandelles. L'amour est libre alors, et vole tire d'ailes, Et l'on peut souhaiter un endroit cart O de n'tre pas chaise on ait la libert. Serrez-vous contre moi, chre voh, ma ir.usei Voici l'heure o bientt l'habit qni les abuse Va devenir utile, abominablement. Trois fois heureux encor si ce dguisement, A dessein mdit pour ce moment critique, Peut loigner de vous ce public clectique! Donc, ces ris que pousse en mourant la vertu, Honteuse de mourir sans avoir combattu, Au bruit de ces soupirs qu'un faible cho rpte, Sauvons-nous au hasard sans tambour ni trompette I Allons chez nous, ma mie, ma muse l'il bleu! Et, la main dans la main, lisons au coin du feu. Cependant qu'au dehors le vent siffle et dtonne, Les Chants du crpuscule et Les Feuilles d'automne. Car, tandis que l-bas, l'enfance, sous le fouet, A de honteux vieillards sert de honteux jouet,

ODES

FUNAMBULESQUES.

Il est doux de revoir, dans les odes closes, Les beaux petits enfants sourire avec les roses, Et la mre au beau front pour ce charmant essaim Rpandre sans compter les perles de son sein; Et d'couter en soi chanter avec les heures L'harmonieux concert des voix intrieuresl Dcembre 1845.

L'OPRA

TURC

Chre voh, voici le carnaval qui vient, Et l'on danse la fin du mois, s'il m'en souvient. Je voulais vous montrer une chose divine, Un domino charmant que Gavarni dessine, Une surprise, enfin! Pourquoi venir le soir? Nous n'avons mme pas le temps de nous asseoir, Quand j'aurais, pour rester sur ces divans sublimes, Encor plus de raisons que vous n'avez de rimes 1 Il faut partir. Prenez votre chle, voh. Si je ne vous savais un cur trs-dvou, Et de l'esprit flots, si vous tiez hgueule, Je vous engagerais rester toute seule Car je crois qu'il s'agit d'aller encore un coup Attaquer un dfaut que vous avez beaucoup. Vous voyez trop souvent votre amie au king's-Charles. Mais je ne veux savoir que ce dont tu me parles 1 Tortille tes cheveux avec des tresses d'or. 0 ma muse, et volons sur l'aile d'un condor Jusqu'au pays ferique o les blanches sultanes Baignent leurs corps polis l'ombre des platanes, Et s'enivrent le cur aux chansons du harem

ODES

F JNAMBULESQDES.

Sous les rosiers de Perse et de Jrusalem, Tandis qu'en souriant, les esclaves tartares Arrachent des soupirs l'me des guitares. Il tait Stamboul un thtre enchanteur, Dont le sultan lui-mme tait le directeur La Musique et ses voix, l'altire Posie, Les danses de l'Espagne et de la molle Asie Enchantaient, par l'accord des rhythmes bondissants, Ce palais bloui de feux resplendissants. Or le sultan, vers qui toute femme s'empresse, Avait dormi longtemps chez les filles de Grce, Et, versant des parfums sous le ciel embaum, Ainsi que Madeleine avait beaucoup aim. Mais quand l'ge eut glac tristement cette lave, Il fut, son hiver, l'esclave d'une esclave Qui lui chantait le soir de doux airs espagnols, D'une voix douce faire envie aux rossignols. Elle avait les langueurs des filles de la Gaule, Soit qu'elle soupirt la romance du Saule, Ou quelque chant d'amour plaintif et singulier, Sous l'habit provocant d'un jeune cavalier. Mais sa pourpre, fatale aux amours des captives, Buvait le sang vermeil des blanches et des Juives, Et ses regards, emplis de force et de douceur, Demandaient chaque mois la tte d'uu danseut. Lorsque la Favorite, avec ses airs de reine, Apparaissait, portant la couronne sereine Dont les lys enllamms ruisselaicnt en marchant, Tout le peuple, bloui du ballet et du chant Tremblait devant son doigt noy dans la dentelle. Un seul avait trouv sa grce devant elle, Ardent comme un lion ou comme le simoun, Un habile chanteur qu'on appelait Medjnoun. Or, ce jeune homme avait la perle des maitresses, Une blanche houri qui, par ses longues tresses, 5

ODES

FUNAMBULESQUES

Jetait aux quatre vents tous les parfums d'Ophir, Paupire aux sourcils noirs, prunelles de saphir, Gazelle pour'la grce indolente des poses, Nourmahal, dont la lvre enamourait les roses. Medjnoun se demandait quel ange au firmament Avait fondu pour lui des curs de diamant, Lorsque, par une nuit claire d'astres sans nombre, Errant par les sentiers du jardin comme une ombre, Prs d'un kiosque dor, que les ples jasmins Et les lys aux yeux d'or entouraient de leurs mains, Et sur lequel aussi dormaient dans la nuit brune Les blancs rosiers baigns des blancs rayons de lune, Par la fentre ouverte il entendit deux voix. L'une disait (c'tait la Favorite) Oh! vois, Ma Nourmahal! jamais le cur des jeunes hommes Ne s'attendrit; mais nous, ma chre me, nous sommes Douces; nos longs cheveux sur nos seins endormis Ont l'air en se mlant de deux fleuves amis Les rayons de la nuit argentent nos penses, Lorsque dans un hamac mollement balances. Entrelaant nos bras, nous chantons deux deux, Ou que, nous confiant des flots hasardeux, Et laissant l'eau d'azur baiser nos gorges blondes. Nous en drobons l'or sous la moire des ondes. La Favorite alors, les yeux noys de pleurs, Voyait chaque mot clore mille fleurs Sur le sein de l'enfant rougissante et sans voiles, Et le regard perdu dans ses yeux pleins d'toiles Comme les ocans du ciel oriental, tait agenouille aux pieds de Nourmahal, Et Nourmahal honteuse, au bout de chaque phrase, Ramenait sur son cou sa tunique de gaze. Permettez, dit Medjnoun, entrant la Talma, Qu'ici je vous salue, et que j'emmne ma Maitresse; il se fait tard et notre chambre est prte.

ODES

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Medjnoun fut, le jour mme, admis la retraite. 0 frres de don Juan! dompteurs des flots amers, Qui dchirez la perle au sein meurtri des mers, Vous dont l'ardente lvre et bu jusqu' la lie Les mystres sacrs de Gnide et d'idalie, Avec vos doigts sanglants fouillez l'uvre de Dieu, Et vous ne trouverez jamais, sous le ciel bleu, Si chaste lvre, encor pleine de fleurs mi-closes, Dont la ple Amiti n'ait effeuill les ross! Toi qui, depuis longtemps avec ton pied vainqueur, As foul pas pas les replis de mon cur, Blonde voh! tu sais si j'aime le thtre. Polichinelle seul peut me rendre idoltre, Et. lorsque nous prenons des billets au bureau, C'est pour voir, par hasard, Giselle ou Deburau. Pour la grande musique, elle est notre ennemie; Les lauriers sont coups et J'aime mieux ma mie, Avec la Kradoudja, suffisent nos vux, Et le moindre trio fait dresser nos cheveux. Eh bien! ma pauvre fille, il faut parler musiquel La basse foudroyante et le tnor phthisique Nous font l'il en coulisse et demandent nos vers; Dugne au nez de rubis, ingnue aux bras verts, Ciel rouge, galonn de quinquets pour la frange, Il faut dcrire tout, jusqu'aux arbres orange. La clarinette aspire des canards crits, Et le bugle naissant nous rclame grands cris. Donc, samedi prochain, nous dirons l'Europe Comme tombe le cdre au niveau de l'hysope, Et comment, et par quels joueurs d'accordon, L'Opra, devenu pareil l'Odon, A vu, depuis trois ans, aux stalles ddaignes, S'empiler en monceau les toiles d'araignes; Et comment il a fait. pour trouver un tnor, Des voyages plus longs que Vms ceux d'Antnor.

ODES

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Aprs tous nos malheurs et ton frac mis en loques, Tu dois har Th.ilie et toutes ses breloques; Mais si tu peux encor me suivre sans frmir, Je te promets ce soir ce bijou de Kashmir Qu'un faible vent d't ride comme les vagues, Et qui passe aux travers des plus petites bagues. Dcembre1815.

ACADMIE

ROYALE

DE MUSIQUE

0 Parnasse lyrique! Opra! palais d'or! Salut! L'antique Muse, en prenaut son essor, Fait traner sur ton front ses robes sidrales, Et dfiler en chur les danses sculpturales. Peinture! Posie! arts encore blouis Des rayons frissonnants du soleil de Louis Musique, voix divine et pour les cieux lue, 0 groupe harmonieux, Beaux-Arts. je vous salue! 1 0 souvenirs! c'est l le thtre enchant O Molire et Corneille et Mozart ont chant. C'est l qu'en soupirant la Mort a pris Alceste; L, Psych, tout en pleurs pour son amant cleste, A crois ses beaux bras sur le rocher fatal; L, naade orgueilleuse aux palais de cristal, Versailles, reine encore, a chant son glogue; L, parmi les dtours d'un charmant dialogue, Anglique et Renaud, Cyble avec Atys Ont cueilli la pervenche et le myosotis, Et la Muse a suivi d'un long regard humide

ODES

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Les amours d'Amadis et les amours d'Armide. L, Gluck avec Quinault, Quinault avec Lulli Ont chant leurs beaux airs pour un sicle poli L, Rossini, vainqueur des lyres constelles, Fit tonner les clairons de ses grandes mles, Et fit natre sa voix ces immortels d'hier, Ces vieux matres Auber, Halvy, Meyerbeer. C'est l qu'Esmralda, la danseuse bohme, Par la voix de Falcon nous a dit son pome, Et que chantait aussi le cygne abandonn Dont le suprme chant ne nous fut pas donn. Ici Taglioni, la fille des sylphides, A fait trembler son aile au bord des eaux perfides, Puis la Danse fantasque auprs des mmes flots A faitcarillonner ses grappes de grelots. 0 ferie et musique nappes embaumes Qu'argentent les wilis et les ples aimes 0 temple clair sjour que Phbus mme lut, Parnasse! palais d'or! grand Opra, salut! Le cocher s'est tromp. Nous sommes au Gymnase. Un peuple de bourgeois, nez rouge et tte rase, tale des habits de Quimper-Corentin. Un notaire ventru saute comme un pantin, Auprs d'un avou chauve, une cataracte D'loquence; sa femme est verte et lit L'Entr'acte. Elle arbore de l'or et du strass foison, Et renifle, et sa gorge a l'air d'une maison. Auprs de ce sujet, dont la face verdoie, S'talent des cous nus, pels comme un cou d'oi Plume et, ple-mle, au long de tous ces bancs Tranent toute l'hermine et tous les vieux turbans Qui, du Rhin l'Indus, aient vieilli sur la terre. J'apprends que l'un des cous est fillc du notaire. 0 ciel voici, parmi ces gens favoris, Un vieux monsieur qui porte un habit de Paris.S.

ODES

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Il a l'air fort honnte et reste bouche close Adressons-nous lui pour savoir quelque chose. C'est une occasion qu'il est bon de saisir.

KOI. Monsieur, voudriez-vous me faire le De me dire quels sont ces cous d'oie Jaunes, et dans quel lien de la terre Je me suis gar, cette dame est ma O suis-je ? plaisir et ces hommes nos sommes 2 soeur.

LE MONSIEUR, QUI A L'AIR HONNTE. A l'Opra. KOI. Vous tes un fareear t IM NOTAIRE TE.NTRU. Oui, biche, le rideau que tu vois reprsente Le roi Louis quatorze en seize cent soixanteDouze. Il portait, ainsi que l'histoire en fait foi, Une perruque avec des rubans. Le Grand Roi, Entour des seigneurs qui forment son cortge, Donne Lulli, devant sa cour, le privilge De l'Opra, qu'avait auparavant l'abb Perrin. UN DES COUS. Papa, je crois que mon gant est tomb. LE NOTAIRE VENTRU. a se nettoie av. de la gomme lastique.

ODES

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L'AVOU. Oui, madame, j'assigne'et voil ma tactique.

UNAVOCAT. On l'appelait au Mans matre Pichu minor, Et moi matre Pichu major. M. JOSSE. Le Koh-innor. A ON LAMPISTE LUNETTES 'OH. D Silence 1 LE BATONDU RGISSEUR. Pan pan pan l'avou Je ne suis pas leur dupe! d SECOND COU. Maman, ce gros monsieur veut s'asseoir sur ma jupe.

LA DAMEVERTE. Pince-le. LE NOTAIRE VENTRU. Je ne sais o sera le nouvel Opra. C'est, dit-on, l'ancien que Lotivel. L'ORCHESTRE. Tra, la, la, la, la, la ta, la, la, 1re. MOI. Qu'est-ce

ODES

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Que ce bruit-l, monsieur ? qu' donc la grosse caisse Contre ces violons enrhums du cerveau? Et pourquoi prluder l'opra nouveau Par J'ai du bon tabac ? LE MONSIEUR A L'AIR HONNTE. QUI Monsieur, De Guillaume Tell. MOI. Ah! 1 L'AVOCAT. Madame, la nature De la pomme de terre est d'aimer les vallons. Elle atteint dans le Puy la grosseur des,melons. PRES1IER CO.\ Mon corset me fait mal. M. CANAPLE, la scne. sur Il chante et l'IIelvtis Pleure sa libert L'AVOCAT. Que la dmocratie S'organise, on verra tous les partis haineux Fondre leurs intrts. CHURGNRAL SUR LA SCNE. Clbrons les doux noeuds! SECOND COU. Mon cothurne est cass. c'est l'ouverture

ObES FCNAMIiULESQOES.

M. DON JUAN, dans

la loge

infernale.

Veux-tu nous aimer, Gothe ? i'Soupons-nous l'Anglais ? M1Ie GOTHE, sur la scne. Non, c'est une gargote.

CHUR DES SUISSES SUR LA SCNE.

Courons armer nos bras

x GAR.

UN TRIANGLE Ktsin UNE CLARINETTE

RETARDATAIRE. Trum: I

CCCECR DE FEMMES SUR LA SCKNE.

Toi que l'oiseauNe suivrait pas l l'avoc. Monsieur, Pour la douceur. UN VIOLON Vzrumz MCHANT. ma femme est un roseau

vzrumz

M. AHNOUX, sur le thtre. llou H. OBIN, sur te thtre. Tra, PREMIER COU. Titina, Le monsieur met son pied le long de ma bottine. tra. hou!

ODES

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H. ARNOUX, le th&tr. sur La hou, la hou, la ha. M. OBIN,sur le thtre. Tra trou, trou tra, trou, trou LE NOTAIRE VENTRU. Monsieur, que pensez-vous du Genest de Rotrou ? CHUBDES SUISSESSURLA SCNE. Le glaive arme nos bras

l'avod. Mais! la pice est baroque. Ce n'est plus tout fait dans les murs de l'poque. Elle aurait eu besoin d'un bon coup de ciseau. LE NOTAIRE VENTRU. Hum c'est selon. sur M. ABPTOUX, le thtre. Hou hou 1

M. OBIN,sur le thtre. JVa.' tra! CHDR FEMMES DE SURLA SCNE. loi que r oiseau DE CHUR FEMMES SURLA SCNE, Toi qui n'es pas.

sur M. ARNOUX, le thtre. Hou hou

ODES

FUNAMBULESQUES.

M, 0B1N, sur le thtre. Tra LA DAME VERTE. tra 1

J'ai chaud aux joues. LE TRIANGLE GAR. Ktlin ILA CLARINETTE RETARDATAIRE. Trum LE NOTAIRE VENTRU.

Bibiche, c'est le morceau que tu jouesSur ton piano. PREMIER COU. a! l'avou. J'ai Ce que c'est que l'affaire. M. ARNOUX, sur le thtre. dit Ducluzean

Hou houCHUR DE FEMMES SUR LA SCNE. Toi que l'oiseau t

0 ma blonde Evohe, ma muse au chant de cygne, Regarde ce qu'ils font de ce thtre insigne. 0 pudeur autrefois, dans ces dcors vivants O l'il voyait courir le souffle ail des vents,

ODES

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L'eau coulait en ruisseau dans les conques de marbre, Et le doifft du zphyr pliait les feuilles d'arbre. L'orchestre frmissant envoyait la fois Son harmonie l'air comme une seule voix; Tout le corps de ballet marchait comme une arme Les desses du chant, troupe jeune et charme, Belles comme Ophlie et comme Alaciel, Avaient dans le gosier tous les oiseaux du ciel; La danse laissait voir tous les trsors de Flore Sous les plis des maillots, vermeils comme l'aurore; C'tait la vive Elssler, ce volcan adouci, Lucile et Carlotta, celle qui marche aussi Avec ses pieds charmants, arms d'ailes hautaines, Sur la cime des bls et l'azur des fontaines. L'audace d'une femme, arrtant ce concours, A remis une bande au bas des jupons courts, Et plong les tnors au sein de la banlieue. Cruelle ris, desse chevelure bleue, Desse au dard sanglant, desse au fouet vainqueur, Change mon encre en fiel; mets autour de mon cur L'armure adamantine, et dans mon front voque, Mtre de clous arm, l'ambe d'Archiloque L'ambe est de saison, l'ambe et sa fureur, Pour peindre dignement ces spectacles d'horreur Et les sombres dtails de ce cloaque immense. Vous, mesdames, prenez vos llacons, je commence. Un fantme d'Habneck, honteux de son dchet, Agite tristement un fantme d'archet vieillard est quinteux et morose L'harmonieux Il est devenu gai comme Louis Monrose. Ses violons fameux que l'on voyait, dit-on, Pleins d'une ardeur si noble, obir au bton, L'archet morne prsent et la corde lche, Semblent se conformer sa mine fche Et tout l'orchestre, avec ses .cuivres en chaudrons,

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ODES

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Ainsi qu'un vieux banquier poursuivant les tendrons, Ou qu'un vers enjambant de csure en csure, Lui-mme se poursuit de mesure en mesure. La musique sauvage et le drle de cor Qui guide au premier mai la famille Bouthor; Chez notre Deburau, les trois vieillards piques Qui font grincer des airs pointus comme des piques; Le concert souterrain des aveugles; enfin L'antique piano qui grogne Sraphin Et l'orchestre des chiens qu'on montre dans les foires, Auprs de celui-l charment leurs auditoires. Mais si rempli qu'il soit de grincements de dents, Quels que soient les canards qui barbotent dedans, Si froce qu'il semble toute oreille tendre, Il vaut mieux que le chant qu'il empche d'entendre. Les choristes, en affreux bataillons, Marchent ud libitum, en tranant des haillons; Les femmes, elt'rayant le dandy qu'elles visent, Chantent faux des vers faux; mme, elles improvisent 1 0 ruines leurs dents croulent comme un vieux mur, Et ces divinits, toutes d'un ge mr, Dont la plus sduisante est horriblement laide, Font rver par leurs os aux dagues de Tolde. Leurs jupons vids marchant grands frous-frous, Et leur visage bk-u, perc de mille trous, S'tale avec orgueil comme une vieille cible. Les hommes sont plus laids encor, si c'est possible. Triste fin 1 si l'on songe, en voyant ces objets, Que ce chur endurci vaut les premiers sujets 1 Plus de tnors Leur si demande un cataplasme, Et l'ut, le fameux ut, tombe dans le marasme. En vain PiJlet tremblant envoya ses zls Parcourir l'Italie avec leurs pieds ails; En vain ils ont fouill Rome, ville papale, Naples, o la uiiucesse la pleur fatale 6

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Donne des rendez-vous aux jeunes cavaliers, Et, courtisane avec des palais en colliers, Venise, o lord Byron, deux fois vainqueur des ondes, Poussait son noir coursier le long des vagues blondes, Et Florence, o l'Arno, parmi ses flots tremblants, Mle l'azur du ciel avec les marbres blancs; Jusqu'au golfe enchanteur qu'un paradis limite, L'ut ne veut plus lutter, le tnor est un mythe. Seul, Duprez toujours plus grand, toujours vainqueur, Toujours lanant au ciel ton chant qui sort du cur, Firement appuy sur ta large mthode Qui reste, comme l'art, au-dessus de la mode, 0 Duprez Robert Arnold lazar I En voyant les cailloux qu'on met devant ton char, Et les rivaux honteux que la haine te donne Lorsque ta voix sublime la fin t'abandonne, Toujours matre d toi, tu luttes en hros, Toujours roi, toujours fort, tandis que tes bourreaux Inventent vingt tnors devant qui l'on s'incline, Et qui durent un an, comme la crinoline. Ah! du moins nous avons la Danse, un art divin 1 Et l'homme le plus fait pour tre un crivain, Clbrt-il Louis et portt-il perruque, Ft-il Caton, ft-il Boileau, ft-il eunuque, Ne pourrait dcouvrir l'ombre d'un iota Pour dfendre ses vers d'admirer Carlotta. Son corps souple et nerveux a de suaves lignes; Vive comme le vent, douce comme les cygnes, L'aile d'un jeune oiseau soutient ses pieds charmants, Ses yeux ont des reflets comme des diamants, Ses lvres l'den auraient servi de portes; Le jardin de Ronsard, de Belleau, de Desportes, Devant Cypre et Chloris toujours extasis, A, pour les crnliellir, donn tous ses rosiers. Elle va dans l'azur, laissant flotter ses voiles,

ODES

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Conduire en souriant la danse des toiles, Poursuivre les oiseaux et prendre les rayons Et, par les belles nuits, d'en bas nous la voyons, Dans les plaines du ciel d'ombre diminues, Jouer, entrelace ses surs les nues, Ouvrir son vantail et se mirer dans l'eau. Qu'auriez-vous pu trouver redire, Boileaul 1 Une chose bien simple, hlas 1 La jalousie Nous cache tout ce luxe et cette posie, De mme qu'autrefois, par un crime impuni, Les mmes envieux cachaient Taglioni, Cet autre ange charmant des cieux imaginaires. Sombre Junon Les dieux ont-ils de ces colres ? Aimez-vous les dcors? On n'en met nulle part. Les vieux servent toujours, percs de part en part, Et, par la main du temps noircis comme des forges, Ils pendent en lambeaux comme de vieilles gorges. Les arbres sont orange, et dans Guillaume Tell, La montagne est perce jour comme un tunnel. Le temple de Robert, ses colonnes en loques, S'agite aux quatre vents comme des pendeloques, Et le couvent a l'air de s'tre bien battu. Dans la Muette enfin, mirabile dictu L'ruption se fait avec du papier rouge Derrire lequel brille un lampion qui bouge. Le machiniste, un sage, ennemi des succs, Imite tour de bras le Thtre-Franais. Les travestissements, les changements vue, Les transformations sont comme une revue De la garde civique on les manque toujours. Les Franais, l'Odon, sont les seules amours Du machiniste en chef; il a ceHe coutume D'trangler les acteurs en tirant leur costume. Quelques-uns sont vivants; s'i' en ont rchapp, C'est que le machiniste une fuis s'est tromp,

ODES

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Et rvait d'Abufar, qu'il voit chaque dimanche. C'est nn homme d'esprit qui prendra sa revanche. Enfin on voit maigrir, comme un corps de ballet, Des marcheuses, des rats, peuple jeune et fort.laid Qui n'ont jamais dans qu' la Grande-Chartreuse, Et qui, rjouissant de leur maigreur affreuse Les lions estomps au cosmtique noir, Prennent des rendez-vous pour le souper du soir. Nous qui ne sommes pas danseurs, prenons la fuit. Allons souper aussi, mon cur, mais tout de suite, Et tchons d'oublier en buvant de bons -vins, Cet hospice fameux, rival des Quinze-Vingts Dcembre 1845.

L'AMOUR

A PARIS

Fille du grand Daumier ou du sublime Cham, Toi qui portes du reps et du madapolam, 0 Muse de Paris toi par qui l'on admire Les peignoirs rudits qui naissent chez Palmyre, Toi pour qui notre sicle inventa les corsets A la minute, amour du puff et du succs! Toi qui chez la comtesse et chez la chambrire Colportes Marivaux retouch par Barrire, Prcieuse voh chante, aprs Gavarni, L'amour et la constance en brodequin verni. Dans ces pays lointains situs dix lieues, O l'Oise dans la plaine panche ses eaux bleues, Parmi ces Saharas rcemment dcouverts, Quand l'indigne mu voit passer dans nos vers Ces mots dj caducs rat, grisette ou lorette,

ODES

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Il se cabre, on l'entend fredonner: Turlurette! Et, l'il dans le ciel bleu, ce naturel naf vacue un sonnet imit de Baf. 11voit dans le verger qu'il eut en patrimoine Tourbillonner en chur les cauchemars d'Antoine; Le voil frmissant et rouge comme un coq; Il rve, il doute, il songe, et tout son Paul de Kock Lui revient en mmoire, et, pendant trois semaines, Fait partir ses yeux des chandelles romaines Et dans son cur troubl met tout en dsarroi, Comme un feu d'artifice la fte du roi. La frisette Il revoit la petite fentre. Les rayons souriants du jour qui vient de naitre, A leur premier rveil, comme un cadre enchanteur, Dorent les liserons et les pois de senteur; Une tte charmante, un ange, une vignette De ce gai reposoir ;igace la lorgnette; En voyant de la rue un rire triomphant Ouvrir des dents de perle, on dirait qu'un enfant Ou quelque sylphe, pris de leurs touffes closes, A fait choir, en jouant, du lait parmi les roses. Elle va se lacer en chantant sa chanson, Lisette ou L'Andalouse ou bien Mimi Pinson, Puis tendre son bas blanc sur sa jambe plus blanche; Les plis du frais jupon vont embrasser sa hanche Et cacher cent trsors, et du cachot de grs La naade aux yeux bleus glissera sans regrets Sur sa folle poitrine et sur son col, que baigne Un doux or dlivr des morsures du peigne. Ce pome fini, dans un grossier rseau Elle va becqueter son djeuner d'oiseau, Puis son ouvrage en main, sur sa chaise de paille, La folle va laisser, tandis qu'elle travaille, L'aiguille aux dents d'acier mordre ses petits doigti Et, comme un frais mandre gar dans les bois,6.

ODES

FUNAMBCLESQ

CE.

Elle entrelacera, modeste posie, Les fleurs de son caprice et dc sa fantaisie. C'est ce que J'on appelle une brodeuse. Hlas 1 Depuis qu'en ses romans, faits pour le doux Ilylas, Paul de Kock embellit, d'une main paternelle, en soulier de prunelle, Cette fleur d'amourette Combien ses frais croquis. plus faux que des jetons, Ont fait dans notre ciel errer de Phatons! La grisette, dou-x rve! E. e avait ses aptres, Balzac et Gavarni mentaient comme les autres Mais un jour, Roqueplan, s'tant mis l'afft, Dit un mot de gnie, et la Lorette fut! Hurrah! les Agla! les Ida, les charmantes, En avant Le champagne a baptis les mantes 1 Dchirons nos gants blancs au seuil de l'Opra! Aprs, la Maison-d'Or! Corinne chantera, Et puis, nous ferons tous, comme c'est ncessaire, Des mots qui paraitront demain dans Le Corsaire! Des mots tout neufs, si bien arrachs au trpas Qu'ils se rendent parfois, mais qu'ils ne meurent pasl coutez Pomar, reine de la folie, Un gnral de l'arme d'ltalie Qui chante Ah! bravo! c'est pique, on ne peut le nier. Quel aplomb! je l'avais entendu l'an dernier. Vive Las! Corititlie existe au sein des Gaules! Ali! nous avons vraiment les femmes. les plus drles De Paris! Pricls vit chez nous en exil, Et nous nous amusons beaucoup. Quelle heure est-il 1 voh! toi qui sais le tond de ces arcanes, Depuis la Maison-d'Or jusqu'au bureau des cannes, Toi qui portas nagure avec assez d'ardeur Le claque enrubann du fameur dbardeur, Apparais! Montre-nous, femme sibylline, La ple Vrit nue et sans crinoline, Et convaincs une fois les faiseurs de journaux

ODES FUNAMBULESQUES* De complicit vile avec les Ondinots. Descends jusques an fond de ces hontes immenses Qui sont le paradis des auteurs de romanees Dis-nous tous les dtours de ces gouffres amers, Et si la perle en fea rayonne au fond des mers, Et quels monstres, avec lear cent gueules ouvertes, Attendent le nageur tomb dans les eaux vertes. Mne-nous par la main au fond de ces tombeaux: Montre ces jeunes corps si ples et si beaux D'o la beaut s'enfuit, dsespre et lasse 1 Fais-nous voir la misre et l'impudeur sans grce! 1 Parcours, en exhalant tes regrets superilus, Ces beaux temples de l'me o le dieu ne vit plus, Sans craindre d'y salir ta cheville nacre. Tu peux entrer partout, car la Muse est sacre. Mais du moins, voh, si la jeune Las, Avec ses cheveux d'or, blonds comme le mais, N'enchane dj plus son amant Diogne Dans ces murs, d'o s'enfuit l'esprit avec la gne, Si leur Alcibiade et leur sage Piiryn Abandonnent dj te sicle nouveau-n, Si dans notre Paris Athnes *st bien morte, Dans les salons dors o se tient la porte La noble Courtoisie, il est plus d'un grand nom Qui drobe la grce et l'esprit de Ninon. L, l'amour est un art comme la posie Le Caprice aux yeux verts, la rose Fantaisie Poussent la blanche nef que guident sur son lac Anacron, Ovide et le divin Balzac, Et mnent sur ces llc's o le doux zphyr passe, La Volupt plus belle ancore que la Grce! 0 doux mensonge! Avec tes ongles dj longs, Tche d'gratigner la porte des salons, Et peins-nous, s'il se peut, en paroles courtoises, Les amours de d'v.hesse et les amours bourgeoises'

ODES

FUNAMBULESQUES.

Dis l'enfant Chrubin tenant sur ses genoux Sa marraine aujourd'hui moins svre; dis-nous La nouvelle Phryn, lascive et ddaigneuse, Instruisant les d'Espard aprs les Maufrigneuse Dis-nous K;s nobles seins que froissent les talons Des superbes chasseurs choisis pour talons: Et comment Messaline encore extasie, Au matin rentre lasse et non rassasie, Ple, essouffle, en eau, suivant l'ombre du mur, Tandis que son poux, orateur dj mr, Dans son boudoir de pair dsinfect par l'ambre, Interpelle un miroir en attendant la Chambre! Ah! posons nos deux mains sur notre cur sanglant! Ce n'est pas sans gmir qu'on cherche, en se troublant, Quelle plaie ouvre encor, dans l'ternelle Troie L'implacable Cypris attache sa proie! Quand il parle d'amour sans pleurer et crier, Le plus heureux de nous, quel que soit le laurier Ou le myrte charmant dont sa tte se ceigne, Sent grincer son Ilanc la blessure qui saigne, Et se plaindre et frmir avec un ris moqueur, L'ouragan du pass dans les flots de son curl Fvrier 1846.

UNE

VIEILLE MOI.

LUNE

Chrc infidle! eh bien, qu'tes-vous devenue? Depuis quinze grands jours vous n'tes pas venuel Chaque nuit, l'abri du rideau de satin, Ma bougie e.i pleurant brle jusqu'au matin;

ODES

FUNAMBULESQUES.

le m'endors sans tenir votre main adore, Et lorsque vient l'Aurore en voiture dore, Je cherche vainement dans les plis des coussins Les deux nids parfums o s'endorment vos seins, Comme de doux oiseaux sur le marbre des tombes. Qu'en faisiez-vous l-bas de ces blanches colombes? Et tu ne m'aimes plus. tvontJe vous aime toujours. MOI. Un corset un peu juste, une troite chaussure Ont-ils gratign d'une rose blessure Tes beaux pieds frissonnants comme des lys plis? Un drap trop dur, froiss par tes ongles polis, A-t-il enfin meurtri, dans ses neiges trames, Ces bijoux rougissants, cames? pareils des As-tu.bris ta lyre en chantant Krudoudja? Ou bien, dans ces doux vers que l'on aimait dj, Ta soubrette Cypris a-t-elle, d'aventure, En te frisant le soir pli ta chevelure ? As-tu perdu ta voix et ton gazouillement? liVOH. Je suis harmonieuse et belle, mon amant! Le drap tissu de neige et la chaussure noire N'a pas mordu mes pieds ni mes ongles d'ivoire; Ma soubrette Cypris, qui m'aime quand jo veux, N'a pas coup nos vers pour plier mes cheveux; On admire toujours les cent perles feriques Et les purs diamants de mes crins lyriques Les ros voletants me servent d'chansons, Et ma lyre d'argent est plfine de chansons.

ODES

FUNAMBULESQUES.

MOI. Pourquoi donc as-tu fui la guerre, qui s'aggrave? On reprend Abufar et Lucrce, on te brave 1 Pends-toi, grillon! Lucrce, enfin deux Abufar Et ce Bache espagnol ivre de nnuphar, Damon, ce grand auteur dont la muse civile Enchanta si longtemps et Lecourt et Clairville, Est photographi pour ses talents divers. Le Tarn au loin gmit et demande tes vers. VOH. N'as-tu donc point appris la fameuse nouvelle Que l'aveugle Desse, en entlant sa grande aile, Emporte aux quatre coins de l'univers connu V MOI. Non. VOH. Tremblez, terre et cieux! Le maitre est rvent Nnisis-Astronomc assemble ses vieux braves, Barberon.sse s'abat au milieu des burgraves, Barthlemy rayonne, allumant son fanal, Clou, dernier pamphlet, son dernier journal! Sa Muse a, rveillant la satire latine, Comme un Titan vaincu foudroy Lamartine; Pareille aux grands parleurs d'Homre et de Hugo, Des rocs du feuilleton, la dure virago Sur ce cygne plus doux que les cygnes d'Athnes Fait couler grand bruit ces paroles hautaines Himeur, que viens-tu faire au milieu du forum? Cet acte audacieux blesse le dcorum. Reste avec tes pareils! Les gens de ta squelle Ne sont bons qu' rimr une ode, telle quelle [ Tu chantes l'avenir! le prsent est meilleur.

ODES

FUNAMBULESQUES.

Ce qui te convenait, divin rimailleur, C'tait, ambitieux du laurier de Pindare, D'aller au mont Horeb pincer de la guitare Pour ton roi lgitime, ou plutt d'arranger Des vers de confiseur au Fidle-Berger. Mais ta loi sociale est une rocambole, Et Fourier n'est qu'un ne ct de Chambolle. Tombe et, le front meurtri par mon divin talon, Souviens-toi dsormais d'admirer Odilon. Ainsi par ses gros vers, Nmsis-Astronome, Du pote sacr, dj plus grand qu'un homme, A bris firement les efforts superflus. MOI. Tiens! je n'en savais rien. VOH. Lamartine non plus. Bois, mon jeune amant! les larmes que je pleure. Si Nmsis renat, il faut donc que je meure? MOI. Ta lvre a le parfum du rosier d'Orient O l'Aurore a cach ses perles en riant; Cette bouche foltre est pleine de feries, Et. comme un voyageur dans des plaines fleuries, Mon cur s'est gar parmi ses purs contours. VOH. Si je chantais encor, m'aimeriez-vous MOI. Eh! que nous fait nous Nmsis-Astronome"? Nous, et Barthlemy que le sicle renomme, Nous avons deux trteaux dresss sous le ciel bleu, toujours?

ODES

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le sien ressemble feu Deux magasins d'esprit Le Thtre-Franais une loque de toile Y reprsente Rome ou bien l'Arc-de-l'toile, Au choix. Sur le devant, de lourds alexandrins, Portant tout le harnois classique sur les reins, Casaques abricot, casques de tragdie, Dclament, et s'en vont quand on les congdie Ce genre srieux n'a pas un grand succs; On y bille parfois, mais c'est l'esprit franais; Cela craque partout, mais c'est la bonne cole, Et cela tient toujours avec un peu de colle. Si quelque spectateur pourtant semble fch, On lui rpond Voltaire! et le mot est lch. Mais nous, nous travaillons pour un public foltre En haillons! En plein vent! Nous sommes le thtre A quatre sous, un bouge. Aux regards des titis Nous offrons lphants, diables et ouistitis Dans notre drame bleu, la svelte Colombine A cent mille oripeaux pour cacher sa dbine. Ses paillettes d'argent et son vieux casaquin Eblouissent encor ce filou d'Arlequin; On y mord, et parfois la gorge peu svre Sort de la robe, et luit sous les colliers de verre. Sur ce petit thtre o le bon got n'est pas, L'invincible Pierrot se dmne grands pas; Et quand le vieux Cassandre y passe a l'tourdie, Au lieu de feindre un pi-u, comme la Tragdie, De percer d'un poignard ce farouche barbon, Il lui donne des coups de trique, pour de bon!.. Sur cette heureuse scne, on voit le saut de carpe Aprs le saut du sourd; et ltose, sans charpe, S'y montre ce public trois fois intelligent, Faisant la crapaudine au fond d'un plat d'argent. La fe A;:ur, tenant le diable par les cornes, Y court dans son char d'or attel de licornes;

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L'ange y dvore en scne un cervelas; des feux De Bengale, des feux charmants, roses et bleus, Embrasent de rayons cette aimable folie, Et l'on y voit passer Rosalinde et Clie I VOH. Eh bien donc, vos rangs, Guignols et Bilboquets l Ouvrons la grande porte! allumons les quinquets 1 Mets ton collier de strass, reine de Trbizonde 1 Entrez, entrez, messieurs 1 Entrez suivez le inonde 1 Hurrah, la grosse caisse, en avant Patapouml 1 Zizi, boumboum! Zizi, boumboum! Zizi, boumboum 1 ET Venez voir COLOMBINE LE Gnie, OU L'HYDBE EN mal D'ENFANT! Orgeat, de !a bire, du cidre! 1 .m,v,er rraa..

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LES FOLIES

NOUVELLES

PREFACE lite du monde lgant, Qui fuis le boulevard de Gand, 0 troupe lue, Pour nous suivre sur ce trteau O plane l'esprit de Wateau, Je te salue 1 Te voil! Nous pouvons encor Te dvider tout le fil d'or De la bobine En un rve matriel, Nous te montrerons Ariel Et Colombine. Dans notre parc arien S'agite un monde qui n'a riea Su de morose Bouffons que l'Amour, pour son jau, Vtit de satin ray, feu, Bleu-cift"ni>t Un bon cigare. Tu jugeras notre savoir Tout l'heure, quand tu vas voir La pantomime. Je suis sr que l'Eldorado O te conduira Durandeau Sera sublime. Car notre Thalie aux yeux verts, Qui ne se donne pas des airs De pdagogue, A tout Golconde en ses crins Seulement, cher public, je crains Pour son prologue Oui moi qui rve sous les cieux, Je fus sans doute audacieux En mon dlire, D'oser dire l'ami Pierrot Tu seras valet de Marot, Porte ma lyre Mais, excusant ma privaut, N'ai-je pas l, pour le ct Mtaphysique, Paul, que Molire et observ t Puis voici Kelm, et puis Herv Fait la musique 1 Berthe, Lebreton, Mlina, Avec Suzanne Senn, qui n'a Rien de terrestre,

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Dansent au fond de mon jardin Parmi les fleurs, et Bernardin Conduit l'orchestre coute Louisa Melvil t N'est-ce pas un ange en exil Que l'on devine Sous les plis du crpe flottant, Lorsqu'elle chante et qu'on entend Sa voix divine ? Ravit-elle pas, front vermeil, Avec ses cheveux de soleil Lisss en onde, Le paysage triomphant, Belle comme Diane enfant, Et blanche! et blonde 1 Pour ces accords et pour ces voit, Pour ces fillettes que tu vois, Foule choisie, Briller en leur verte saveur, Daigne accueillir aveu faveur Ma posie! Car, sinon mes vers, peu vants! Du moins tous ces fronts invents Pour qu'Avril naisse, Comme en un miroir vif et clair, Te feront entrevoir l'clair De la jeunesse 1 Octobre 1854.

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de mon ami Pierrot, La scne est au petit spectacle 41, boulevard Le thdu Temple, le samedi 21 octobre 1854, jour de l'ouverture. un dcor un jardin de Wateau, tre reprsente peint par Cambon. Au lever du rideau, la scne est vide. On entend dans la coulisse le bruit d'un corps qui tombe par terre, puis des cris de dtresse. Arrive un homme chiffonn, couvert de pltre, avec un aveugl, c'est le Bourgeois. chapeau bossue

SCENE

PREMIERE.

UN BOURGEOIS. Au meurtre pargnez un bourgeois Voyant que personne ne le poursuit, il se rassure un peu, se tte, examine ses vtements d'un air piteux, et continue.

J'ai donn contre Un mur, et j'ai cass le verre de ma montre Mon chapeau dfonc s'est tout aplati sur Ma tte. C'en est fait, je suis mort, a coup sr 1 Non, je ne suis pas mort. mais je suis plein de pltre. O suis-je? C'est l'enfer, ou Dieu c'est un thtre Oui, voil des dcors. Que c'est vilain de prs Un ancien a raison de dire en mots exprs Que, mme soixante ans, un homme n'est pas sage Au public, confidentiellement. Je crois sans plus d'affaire enfiler un passage, (Je venais de dner au prochain restaurant;) j) J'entre, je m'aplatis le nez contre un torrent Je crve une fort, et ma jambe, qu'attrape Un cble, s'engloutit dans le trou d'une trappe' Mon pre l'exprimait judicieusement

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Quoiqu'on y voie, avec leur sourire charmant, Des femmes aux regards clestes, aux cous lisses, On ne se saurait trop mfier des coulisses: On peut trop aisment s'y faire estropier! Apercevant la salle. Mais je n'avais pas vu cela! Sac papier! Le bel endroit! Quelle est cette superbe salle? Ma suprise est vraiment colossale 1 Quel luxe Je ne reconnais rien du tout pourtant je sais Qu'ici je ne suis pas ait Thtre-Franais! S'il -passait dans ces lieux, o le hasard m'amne, En Prudhomme. Quelque acteur, un suppt de l'art de Melpomne, Je saurais si ces murs, qui n'ont rien de mesquin, Abritent le cothurne ou bien le brodequin Et je lui parlerais sins terreur, d'un ton mle. Apercevant Pierrot qui parait au fond. Justement, j'en vois un qui vient. Comme il est ple! On dirait un malade, avec son blanc sarrot 1

SCNELE BOURGEOIS, Pierrot, ?

Il.PIERROT. avec intrt.

LE BOURGEOIS, Mo