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entreprise travaux publics 40 Travail & Sécurité – Octobre 2010 La sécurité, d’amont en aval Barrage hydroélectrique A u cœur de l’Alta-Rocca, en Corse-du-Sud, le Rizzanese sera bien- tôt un long fleuve on ne peut plus tranquille. En 2012, si tout va bien, sa course devrait être régulée par un barrage en amont et par une cen- trale hydroélectrique en aval, gérés par EDF. Les quelque 80 millions de kW/h annuels qu’elle produira devraient permettre de mieux répondre aux brusques fluctuations de la demande en électri- cité des foyers corses et à l’augmentation générale de la demande d’électricité sur l’Île de beauté (six à huit fois supé- rieure à celle du continent). Après vingt longues années de concertation (cf. encadré page 43), EDF et le consortium d’entreprises qui intervien- nent mettent les bouchées doubles pour terminer l’ou- vrage dans les temps, et s’at- tachent à être exemplaires en matière de sécurité et de protection des 200 à 250 per- sonnes qui travaillent sur ce chantier depuis 2007. Compte tenu de la géographie des lieux (terrain escarpé, dénive- lée importante…) et des activi- Un nouveau barrage hydroélectrique EDF est en cours d’aménagement sur le Rizzanese, dans une vallée escarpée de la Corse-du-Sud. Objectif : augmenter de 40 % la puissance hydraulique installée et mieux satisfaire les besoins en électricité de l’île. À chaque étape de la réalisation, les différentes activités et corps de métiers qui coexistent sont sources de risques. Visite d’un chantier particulier où vigilance et coordination sont de rigueur. tés dangereuses et multiples qui coexistent, les risques sont nombreux. À chaque étape du chantier, où interviennent dif- férentes entreprises, la sécu- rité est une priorité. Première étape : le barrage, qui mesurera 40,5 m de haut pour une longueur de 140 m de crête. Sa construction n’est pas encore commencée. À ce stade, les équipes creusent la roche altérée sur les rives à l’emplacement du barrage, jusqu’à atteindre la roche la plus dure possible. Pour cela, ils utilisent des explosifs que des mineurs encordés placent dans des trous de mine réali- sés dans les parois rocheuses à l’aide de foreuses. « Ils por- tent des harnais de sécurité, précise Éric Mazières, chargé de la prévention chez Vinci Construction Terrassement. Lorsqu’une explosion est pré- vue, le personnel ainsi que les machines sont remontés et le chantier est arrêté. L’utilisation d’explosifs nécessite une auto- risation préfectorale et les mineurs possèdent une certifi- cation spécifique. Comme nous n’avons pas le droit de stocker des explosifs sur place, nous faisons livrer chaque jour la quantité nécessaire : elle doit être explosée le jour même, sinon il faut la renvoyer le soir à Bastia ! » Cependant, le minage n’est pas la première source de danger. « Le long des parois, lorsqu’un ouvrier travaille au-dessus d’un autre qui n’a pas la même acti- vité, cela peut être dangereux. C’est pourquoi nous les faisons travailler en décalé », poursuit Éric Mazières. Comme sur la plupart des chantiers de bâti- ment et de travaux publics, « la principale contrainte, c’est la coactivité », souligne-t-il, car sur ce chantier coexistent « des travaux de terrassement, La conduite forcée est assemblée tronçon par tronçon sur 400 m de dénivelée. Chaque section, mesure 12 m de long pour un poids de 5 à 10 tonnes, et est descendue grâce à un treuil puis assemblée par soudage. © Gaël Kerbaol/INRS

Barrage hydroélectrique La sécurité, d’amont en aval

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entreprise travaux publics

40 Travail & Sécurité – Octobre 2010

La sécurité, d’amont en avalBarrage hydroélectrique

A u cœur de l’Alta-Rocca, en Corse-du-Sud, le Rizzanese sera bien-

tôt un long fleuve on ne peut plus tranquille. En 2012, si tout va bien, sa course devrait être régulée par un barrage en amont et par une cen-trale hydroélectrique en aval, gérés par EDF. Les quelque 80 millions de kW/h annuels qu’elle produira devraient permettre de mieux répondre aux brusques fluctuations de la demande en électri-cité des foyers corses et à l’augmen tation générale de la demande d’électricité sur l’Île de beauté (six à huit fois supé-rieure à celle du continent). Après vingt longues années de concertation (cf. encadré page 43), EDF et le consortium d’entreprises qui intervien-nent mettent les bouchées doubles pour terminer l’ou-vrage dans les temps, et s’at-tachent à être exemplaires en matière de sécurité et de protection des 200 à 250 per-sonnes qui travaillent sur ce chantier depuis 2007. Compte tenu de la géographie des lieux (terrain escarpé, dénive-lée importante…) et des activi-

Un nouveau barrage hydroélectrique EDF est en cours d’aménagement sur le Rizzanese, dans une vallée escarpée de la Corse-du-Sud. Objectif : augmenter de 40 % la puissance hydraulique installée et mieux satisfaire les besoins en électricité de l’île. À chaque étape de la réalisation, les différentes activités et corps de métiers qui coexistent sont sources de risques. Visite d’un chantier particulier où vigilance et coordination sont de rigueur.

tés dangereuses et multiples qui coexistent, les risques sont nombreux. À chaque étape du chantier, où interviennent dif-férentes entreprises, la sécu-rité est une priorité.Première étape : le barrage, qui mesurera 40,5 m de haut pour une longueur de 140 m de crête. Sa construction n’est pas encore commencée. À ce stade, les équipes creusent la roche altérée sur les rives

à l’emplacement du barrage, jusqu’à atteindre la roche la plus dure possible. Pour cela, ils utilisent des explosifs que des mineurs encordés placent dans des trous de mine réali-sés dans les parois rocheuses à l’aide de foreuses. « Ils por-tent des harnais de sécurité, précise Éric Mazières, chargé de la prévention chez Vinci Construction Terrassement. Lorsqu’une explo s ion est pré-vue, le personnel ainsi que les machines sont remontés et le chantier est arrêté. L’utilisation d’explosifs nécessite une auto-risation préfectorale et les mineurs possèdent une certifi-cation spécifique. Comme nous n’avons pas le droit de stocker des explosifs sur place, nous faisons livrer chaque jour la quantité nécessaire : elle doit être explosée le jour même, sinon il faut la renvoyer le soir à Bastia ! » Cependant, le minage n’est pas la première source de danger. « Le long des parois, lorsqu’un ouvrier travaille au-dessus d’un autre qui n’a pas la même acti-vité, cela peut être dangereux. C’est pourquoi nous les faisons travailler en décalé », poursuit Éric Mazières. Comme sur la plupart des chantiers de bâti-ment et de travaux publics, « la principale contrainte, c’est la coactivité », souligne-t-il, car sur ce chantier coexistent « des travaux de terrassement,

La conduite forcée est assemblée tronçon par tronçon sur 400 m de dénivelée. Chaque section, mesure 12 m de long pour un poids de 5 à 10 tonnes, et est descendue grâce à un treuil puis assemblée par soudage.

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La sécurité, d’amont en avalde génie civil, de minage, des engins circulant, des personnes à pied ou encordées… » Entre 15 et 20 véhicules circulent en même temps : foreuses, pelles, concasseurs, chargeurs, bull-dozers… « Les engins de chan-tier sont équipés de caméras de recul pour réduire le risque de collision, les pistes sont bien balisées et les talus sont stabili-sés », précise-t-il.

Travail en pentePartant du barrage et s’en-fonçant dans les profondeurs du Monte Grossu, la galerie d’amenée souterraine, réalisée à 75 %, sert à guider l’eau stoc-kée dans la retenue jusqu’à la centrale où elle sera turbi-

née. Elle aura une longueur de 5 800 m et un diamètre de 3,5 m. Plus de 4 500 m sont déjà creusés grâce à un tun-nelier, laissant l’espace néces-saire à la mise en place d’une conduite métallique enro-bée de béton. Une noria de camions achemine le béton jusqu’à l’entrée de la galerie, ce qui n’est pas sans risque pour les équipes qui s’affai-rent sur le chantier. « Ceux qui travaillent au fond du tunnel peuvent recevoir des projec-tions de béton, note Vincent Ladet, responsable Qualité, Sécurité et Environnement chez Razel, mais ils portent leurs équipements de protec-tion individuelle. » Toutefois, tout se complique lorsqu’un accident survient dans cette galerie à plusieurs centaines de mètres sous terre et de la sortie. « Nous avons fait évo-

Sous les coups de pelleteuses, l’emplacement du futur

barrage se dessine.

Lac de retenue

chenal decanalisation

Barrage

Conduite forcée1 245 m

Cheminéed’équilibre

Turbine

Alternateur

Bassin dedémodulation

Galerie d’amenée5 800 m

Transformateur

Centrale

M O N T E G R O S S U

Restitution

Vers Ste Lucie de Tallano

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luer nos procédures d’urgence, explique Jean-Claude Moncla, coordinateur sécurité EDF. Nous envoyons directement un médecin urgentiste avec du matériel médical car il faut compter près de trois heures

pour évacuer la victime. » Le risque majeur se situe plu-tôt au niveau de la cheminée d’équilibre, située à 440 m de la sortie, qui permet d’évi-ter toute surpression dans la galerie. « Nous avons réa-lisé un gros travail en amont pour éviter les interférences de matériels et les risques liés à l’alternance des entreprises intervenant », insiste Bruno Gondouin, chef de projet EDF. À cette galerie succède la

conduite forcée qui amène l’eau jusqu’à la centrale. Ce long tuyau métallique de 1,75 m de diamètre chemine sur 1 245 m, pour partie à l’air libre, et dévale quelque 400 m de dénivelée. Sa construction,

qui devrait être terminée fin 2011, semble pour le moins délicate. Chaque section, mesurant 12 m de long pour un poids de 5 à 10 tonnes, est descendue grâce à un treuil puis assemblée par soudage. Pour ce faire, les opérateurs travaillent à l’in-térieur de la conduite sur des chariots montés sur roues, reliés par des câbles au point d’ancrage situé tout en haut de la conduite. Sur ce site, les risques se cumulent. « Le dan-ger vient surtout de la manu-tention des pièces qui sont lourdes et du travail en pente :

des chutes peuvent survenir, souligne Pierre Goudal, chef de section fonctionnement et matériel chez EDF. Un système de ventilation qui pulse de l’air vers le haut évacue les fumées de soudage et rafraîchit l’air

ambiant. Les chariots sont éga-lement équipés de détecteur d’oxygène. » En outre, les ori-fices ont été obstrués afin que personne – en particulier des randonneurs – ne puisse tom-ber à l’intérieur.

Coordonner la sécurité

Environ 6 km en aval du bar-rage, 400 m plus bas, émer-gent les premières fondations de la future centrale hydro-électrique située en bordure du Rizzanese sur la com-mune de Sainte-Lucie-de-

Tallano, ainsi que le bassin de démodulation et le poste de transformation. À ce jour, l’en-semble est construit à 60 % : la phase de terrassement de la centrale et le levage des voiles qui constitueront les murs

Au fond de la galerie d’amenée souterraine, la vigilance est de mise.

Le barrage en chiffres

Le barrage du Rizzanese sera un ouvrage en

béton de type « poids » : il résistera à la pression exercée par l’eau sur son parement (mur) amont et sous sa fondation par son propre poids et exercera peu d’efforts sur les rives. La retenue d’eau créée aura une superficie de 11 ha et une capacité totale de 1 300 000 m³. Grâce à ses deux turbines Pelton, la centrale hydroélectrique disposera d’une puissance installée de 55 MW. Ajoutée aux 135,5 MW existants (trois barrages et sept usines hydroélectriques EDF), elle permettra d’augmenter de 40 % la puissance installée du parc hydraulique corse.L’ouvrage coûtera au total près de 200 millions d’euros. Il est réalisé par un consortium d’entreprises : Vinci, Razel et Bec pour le barrage, Razel et Bec pour les travaux souterrains, Vendasi, SCT pour la centrale. Débuté en 2007, il est à ce jour réalisé à 50 % environ. L’ensemble devrait être mis en service en janvier 2012.

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Jérôme Lemarié

sont en cours. « Nous sommes dans la phase de gros œuvre. Nous sommes très vigilants sur les garde-corps, notam-ment pour le travail en hauteur sur les voiles, les accès et les chemine-ments, explique Laurent Del Gatto, responsable de la section ouvrage aval chez EDF. Les échelles sont proscrites au profit d’es-caliers en bois plus sûrs. Parfois, la personne est attachée avec un harnais et une corde. » Toutefois, « il manque des garde-corps à certains endroits, nuance Stéphane Crouin, technicien de prévention à la Carsat Sud-Est. Et le chemin d’accès au chan-tier devrait être mieux sécurisé ». En revanche, les nombreuses tiges d’acier en attente sont recouvertes d’embouts en plastique. Sur un chantier d’une telle ampleur, le respon-sable de la sécurité EDF joue un rôle crucial : il doit coordon-ner le suivi de la sécurité et de la prévention des accidents, tant au niveau de la concep-tion, de la préparation des travaux que de la réalisation, sur chaque chantier et avec chaque entreprise interve-nante. « Lors de la préparation des travaux, nous réalisons une analyse macroscopique pour faire émerger les risques poten-tiels et amener chaque entre-prise à rédiger une procédure de sécurité le plus tôt possible et à intégrer la sécurité dans les modes opératoires d’exé-

cution des travaux, explique Jean-Claude Moncla. Durant la phase de réalisation des tra-vaux, nous mettons notam-ment en place des traceurs de suivi opérationnels hebdoma-daires ainsi qu’un tableau de suivi des accidents du travail. De plus, des visites de sécurité impromptues sont régulière-ment réalisées. » Globalement, entre le début du chantier en 2007, et 2009, « la fréquence des accidents est élevée mais la gravité reste faible, hormis trois basculements de bennes, raconte Stéphane Crouin. Nous n’avons pas relevé d’in-

cidents significatifs : quelques lombalgies, des chocs avec des engins ou encore des éclats dans les yeux de personnes tra-vaillant près d’une meu-leuse. » À ce stade de réalisation du chantier, le jugement est plutôt positif. « La gestion de la sécurité est sérieuse, la coordination est effective avec un délégué sécurité par site et par entre-prise, résume Stéphane Crouin. Il n’y a pas de salariés en réelle situa-tion de danger grave et imminent. Les pistes de circulation sont en très bon état, même s’il faut améliorer la signalisation du chantier, afin d’empê-cher l’accès aux prome-neurs. Toutes les trémies

sont protégées, ce qui est rare. En revanche, il faut renforcer les garde-corps à certains endroits – car le risque majeur est la chute de personnes et non d’objets – ainsi que l’élingage. Il faut également mieux organi-ser le flux des gros camions et rappeler que le port de la cein-ture est obligatoire ! » Car ce ne sont pas les chutes de hau-teur qui tuent le plus, mais les accidents de circulation, sur la route ou sur le chantier.

20 ans de batailles

Lancé en 1987, le projet de construction d’un

barrage hydroélectrique sur le Rizzanese a fait l’objet d’une bataille juridique de près de 20 ans entre EDF et l’Association pour la défense du Rizzanese et de l’environnement (ADRE). Elle a pris fin en 2006 avec la confirmation, par le Conseil d’État, de la déclaration d’utilité publique de l’ouvrage.

Des mineurs encordés et équipés de foreuses creusent la paroi rocheuse afin d’y placer des explosifs.

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