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Actualités pharmaceutiques n° 533 février 2014 35 Mots clés - évaluation ; médicament ; méthodologie ; rapport bénéfice-risque Keywords - assessment; benefit-risk ratio; drug; methodology zoom © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés http://dx.doi.org/10.1016/j.actpha.2013.12.009 Bases méthodologiques de l’évaluation des médicaments L’évaluation du rapport bénéfice-risque des médicaments nécessite une méthodologie rigoureuse afin d’assurer leur utilisation rationnelle. Le but est souvent de ne pas montrer la supériorité mais la non-infériorité d’un nouveau médicament apportant un bénéfice sur des critères secondaires (tolérance, coût, galénique…). Methodological bases of drug assessments. The assessment of the benefit-risk ratio of drugs calls for a rigorous methodology in order to ensure they are used rationally. Often, the aim is not to show the superiority but rather the non-inferiority of a new drug with benefits regarding secondary criteria (tolerance, taste, galenic form, etc.) L a pathologie cardiovasculaire constitue un domaine privilé- gié pour l’évaluation des médi- caments, raison pour laquelle la plupart des exemples sont pris dans ce domaine thérapeutique. Phase préparatoire de l’essai La phase préparatoire est essen- tielle pour la réussite de l’essai. Définition de l’objectif La définition de l’objectif majeur de l’essai permet de circonscrire le critère de jugement principal, sur lequel se fonde le calcul des effec- tifs à inclure. Analyse des données disponibles L’analyse de toutes les informations disponibles relatives à la question qui doit être résolue par l’essai projeté représente une étape cru- ciale, qui influence grandement la méthode à employer. Ces données concernent les caractéristiques des individus à inclure, des modalités d’administration de l’intervention (voie, délai), ou de l’intervention que recevra le groupe de comparaison. Définition de l’intervention La définition des modalités d’admi- nistration, du comparateur et du mode d’administration constitue un préalable essentiel. Comparaison de stratégies ou de l’effet d’un médicament F La définition des modalités d’administration du médicament (dose fixe, voire changement de doses et des médicaments en fonc- tion d’une cible thérapeutique) peut rechercher : • soit l’évaluation de l’effet propre du médicament (attitude explica- tive, orientant vers une dose fixe) ; • soit l’évaluation du médicament dans des conditions proches de son utilisation future (attitude pragmatique, orientant vers l’ajustement des doses à la réponse et le changement de médicaments comme dans le cas de l’hypertension). F Dans l’hypertension artérielle (HTA), la plupart des essais de morbidité et de mortalité ont adopté une comparaison de stra- tégie plutôt que de principes actifs. Se posent alors différents pro- blèmes difficiles à résoudre : • celui du bien-fondé de la cible thérapeutique ; • celui de la validité du critère d’ajustement lui-même. Dans le domaine de l’HTA, il semble que l’effet des médicaments sur la réduction du risque cardio- vasculaire (objectif thérapeutique) ne soit pas entièrement expliqué par la baisse de pression artérielle ou PA (critère intermédiaire). Il est probable que les classes d’anti- hypertenseurs ne sont pas égales entre elles pour un même effet sur la PA. Il est aussi certain que des anti- hypertenseurs ont un effet allant largement au-delà de ce qui peut être expliqué par la baisse de cette dernière [1]. F Les hypocholestérolémiants ont été testés quant à eux dans des stratégies simples en mono- thérapie (sans doute du fait de leur fréquente intolérance en associa- tion) et le plus souvent en mono- dose. On dispose ainsi d’une estimation d’effet directement attri- buable à cette dose, l’extrapolation à la population cible étant grande- ment facilitée. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés © 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved François PILLON a, * Docteur en pharmacie et en médecine Yves MICHIELS b Maître de conférences associé en pharmacie clinique *Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (F. Pillon). a Service de pharmacologie clinique, Faculté de médecine Laënnec, 8 rue Guillaume- Paradin, 69008 Lyon, France b Faculté de pharmacie, 7 boulevard Jeanne-d’Arc, 21079 Dijon, France

Bases méthodologiques de l’évaluation des médicaments

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Actualités pharmaceutiques

• n° 533 • février 2014 • 35

Mots clés - évaluation ; médicament ; méthodologie ; rapport bénéfi ce-risque

Keywords - assessment; benefi t-risk ratio; drug; methodology

zoom

© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

http://dx.doi.org/10.1016/j.actpha.2013.12.009

Bases méthodologiques de l’évaluation des médicamentsL’évaluation du rapport bénéfice-risque des médicaments nécessite une méthodologie

rigoureuse afin d’assurer leur utilisation rationnelle. Le but est souvent de ne pas montrer

la supériorité mais la non-infériorité d’un nouveau médicament apportant un bénéfice sur

des critères secondaires (tolérance, coût, galénique…).

Methodological bases of drug assessments. The assessment of the benefit-risk ratio of drugs calls for a rigorous methodology in order to ensure they are used rationally. Often, the aim is not to show the superiority but rather the non-inferiority of a new drug with benefits regarding secondary criteria (tolerance, taste, galenic form, etc.)

L a pathologie cardiovasculaire constitue un domaine privilé-gié pour l’évaluation des médi-

caments, raison pour laquelle la plupart des exemples sont pris dans ce domaine thérapeutique.

Phase préparatoire de l’essaiLa phase préparatoire est essen-tielle pour la réussite de l’essai.

Défi nition de l’objectif La définition de l’objectif majeur de l’essai permet de circonscrire le critère de jugement principal, sur lequel se fonde le calcul des effec-tifs à inclure.

Analyse des données disponiblesL’analyse de toutes les informations disponibles relatives à la question qui doit être résolue par l’essai projeté représente une étape cru-ciale, qui influence grandement la méthode à employer. Ces données concernent les caractéristiques des individus à inclure, des modalités d’administration de l’intervention (voie, délai), ou de l’intervention que recevra le groupe de comparaison.

Défi nition de l’interventionLa définition des modalités d’admi-nistration, du comparateur et du mode d’administration constitue un préalable essentiel.

Comparaison de stratégies ou de l’eff et d’un médicament

F La définition des modalités

d’administration du médicament (dose fixe, voire changement de doses et des médicaments en fonc-tion d’une cible thérapeutique) peut rechercher : • soit l’évaluation de l’effet propre

du médicament (attitude explica-tive, orientant vers une dose fixe) ;

• soit l’évaluation du médicament dans des conditions proches de son utilisation future (attitude pragmatique, orientant vers l’ajustement des doses à la réponse et le changement de médicaments comme dans le cas de l’hypertension). F Dans l’hypertension artérielle

(HTA), la plupart des essais de

morbidité et de mortalité ont

adopté une comparaison de stra-

tégie plutôt que de principes actifs.

Se posent alors différents pro-blèmes difficiles à résoudre :• celui du bien-fondé de la cible

thérapeutique ;• celui de la validité du critère

d’ajustement lui-même. Dans le domaine de l’HTA, il semble que l’effet des médicaments sur la réduction du risque cardio-vasculaire (objectif thérapeutique) ne soit pas entièrement expliqué par la baisse de pression artérielle ou PA (critère intermédiaire). Il est probable que les classes d’anti-hypertenseurs ne sont pas égales entre elles pour un même effet sur la PA. Il est aussi certain que des anti-hypertenseurs ont un effet allant largement au-delà de ce qui peut être expliqué par la baisse de cette dernière [1].

F Les hypocholestérolémiants

ont été testés quant à eux dans

des stratégies simples en mono-

thérapie (sans doute du fait de leur fréquente intolérance en associa-tion) et le plus souvent en mono-dose. On dispose ainsi d’une estimation d’effet directement attri-buable à cette dose, l’extrapolation à la population cible étant grande-ment facilitée.

© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

© 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved

François PILLONa,*Docteur en pharmacie et en médecine

Yves MICHIELSb

Maître de conférences associé en pharmacie clinique

*Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (F. Pillon).

aService de pharmacologie clinique, Faculté de médecine Laënnec, 8 rue Guillaume-Paradin, 69008 Lyon, FrancebFaculté de pharmacie, 7 boulevard Jeanne-d’Arc, 21079 Dijon, France

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Choix du comparateur F Lorsque plusieurs thérapeu-

tiques sont concurrentes pour

une même patho logie, la première pour laquelle une efficacité est démontrée possède un certain avantage, dans la mesure où elle a pu être comparée à un placebo. L’évaluation des autres thérapeu-tiques doit adopter comme compa-rateur le traitement déjà validé, afin de démontrer leur supériorité, ce qui est bien entendu plus difficile.

F Une alternative consiste à éva-

luer la nouvelle thérapeutique par

rapport à un placebo, les deux groupes recevant le traitement validé selon le bon usage établi par les résultats des essais antérieurs. Le défi est moins difficile à relever, mais la situation est souvent moins favorable à la démonstration d’une efficacité que lorsque le médicament est évalué seul contre placebo : elle nécessite en particulier des effectifs plus importants puisque le gain d’efficacité attendu est moindre.

Administration en insu ou non

F L’administration en insu pré-

sente des avantages importants,

comme de bien répartir entre les

groupes comparés certains biais ou facteurs confondants potentiels : effet placebo, biais d’évaluation lors du recueil des critères de jugement, biais de randomisation.

F En raison de la lourdeur logis-

tique d’une administration en

insu, certains auteurs ont promu

une méthode “allégée”, étiquetée PROBE (Prospective randomised open-labelled with blinded assess-ment of events), selon laquelle seule l’évaluation des événements cri-tiques est réalisée en insu, l’admi-nistration l’étant en ouvert pour l’investigateur et le participant. Les promoteurs de la méthode ont mis en avant les avantages de la légè-reté logistique et argué qu’elle était plus proche de la pratique. Il est important de garder à l’esprit qu’elle est aussi moins fiable pour l’estima-tion de l’effet pharmacologique propre de l’intervention testée, en rai-son des biais existants. Son succès tient à la nécessité d’inclure une large population de participants lorsque les critères de jugement sont peu fré-quents, comme en prévention cardio-vasculaire, ce qui est associé à un coût important : la méthode PROBE permet de minimiser les coûts, mais aux dépens de la qualité méthodo-logique, donc de la fiabilité des résultats.

Choix du plan expérimentalPlan expérimental croisé, où le malade est son propre témoin, ou plan factoriel, au sein duquel deux interventions sont testées, ont cha-cun leurs intérêts. Le plan expéri-mental classique est en groupes parallèles où chaque groupe reçoit un traitement. D’autres types exis-tent comme les plans croisés (cross-over) ou les plans factoriels.

Plan expérimental croisé F Le plan croisé (cross-over) pré-

sente l’intérêt de diminuer le

nombre requis de participants, en raison de la minimisation de la

variance du critère de jugement. La randomisation porte alors sur la période. Une phase de lavage ou de désimprégnation de durée suffi-sante (wash out) est indispensable pour éviter que la phase préalable “contamine” les résultats de la suivante. Il est un exemple très intéressant dans le domaine de l’HTA, où les auteurs ont cherché à déterminer s’il existait des profils de réponse à quatre médicaments antihyper-tenseurs représentatifs des quatre principales classes (diurétiques, antagonistes calciques, bêta-bloquants, inhibiteurs de l’enzyme de conversion). Les participants recevaient successivement l’un des quatre traitements, pendant un mois, après une période de lavage d’un mois. L’entrée d’un participant dans la succession des quatre périodes était aléatoire. Malheureu-sement, les auteurs n’ont pas randomisé l’ordre des périodes. Ce défaut constituerait un problème si l’effet d’un traitement pouvait être rémanent au-delà de la période de lavage d’un mois.

F De tels plans expérimentaux

nécessitent que l’intervention

n’interfère pas avec la possibilité

de recueillir le critère de jugement à la fin de chaque période. Si, par exemple, le traitement a un impact de type pronostique (modification de l’incidence d’un accident), cet effet peut interférer avec le recueil d’un critère de jugement sympto-matique ou para-clinique. C’est potentiellement le cas dans l’éva-luation :• de l’effet des anti-angineux sur

les performances à l’épreuve d’effort, si ces mêmes médica-ments préviennent ou précipitent l’évolution vers l’infarctus du myo-carde ;

• de la prévention de l’aggravation des lésions coronaires par des sta-tines, qui diminuent le risque d’évo-lution vers l’infarctus du myocarde et de décès coronariens ;

Des protocoles d’évaluationsont établis soit en comparaisonavec un médicament déjà validé,soit avec un placebo.

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• des digitaliques sur la perfor-mance à l’épreuve d’effort, alors qu’ils préviennent l’évolution vers l’insuffisance cardiaque sévère [2].

En effet, dans toutes ces situations, la survenue d’un accident clinique rend souvent impossible le recueil du critère de jugement de l’étude.

Plan factoriel F Un plan factoriel est un plan

expérimental où deux interven-

tions sont testées chacune contre

un comparateur. Il aboutit à la constitution de quatre groupes : intervention A et intervention B ; contrôle A et contrôle B ; interven-tion A et contrôle B ; contrôle A et intervention B.

F Les plans factoriels ont été

utilisés à la phase aiguë de

l’infarctus, notamment lors de méga -essais. Ils permettent de : • maximiser les possibilités d’éva-

luation sur une même population, puisqu’un tel plan permet d’ana-lyser deux interventions au lieu d’une, avec le même nombre de participants ;

• explorer l’interaction (dépen-dance des effets) entre deux inter-ventions thérapeutiques, ce qui répond à une question pratique dans la mesure où elles sont ame-nées à être prescrites simultané-ment.

Sélection des patientsSélectionner des patients à haut risque permet de démontrer plus rapidement l’effet d’un médica-ment. Toutefois, il est parfois inté-ressant d’inclure, dans un essai, des populations plus “marginales”.

Critères d’inclusion La sélection des patients à haut risque permet d’obtenir plus rapide-ment une démonstration de l’effet, en augmentant la puissance de la comparaison. Il est habituel que l’in-clusion dans un essai sélectionne un sous-groupe à bas risque, par rapport au risque prédit, et il n’est

pas toujours facile d’arriver à inclure des patients à haut risque.

Choix de la population F La multiplication des essais

dans un domaine donné entraîne une accumulation de connais-sances, modifiant le modèle théra-peutique par touches successives. Par ailleurs, le promoteur d’un essai peut aussi chercher à explorer des “niches thérapeutiques”, c’est à dire des populations “marginales” pour lesquelles la thérapeutique établie en général ne peut être formelle-ment recommandée.

F L’évolution des explorations

thérapeutiques dans l’HTA peut être résumée très succinctement par la succession des étapes sui-vantes :• démonstration qu’une associa-

tion d’antihypertenseurs réduit la morbidité associée à l’HTA sévère ;

• démonstration qu’une stratégie médicamenteuse antihyperten-sive réduit la morbidité associée à l’HTA modérée de l’adulte jeune ;

• démonstration qu’une stratégie antihypertensive réduit la morbi-dité associée à l’HTA systolique et diastolique de la personne âgée ;

• comparaison des diurétiques et des bêtabloquants comme traitement de première intention (ces  deux catégor ies sont aujourd’hui considérées comme de vieux antihypertenseurs) ;

• démonstration qu’une stratégie antihypertensive réduit la morbi-dité associée à l’HTA systolique isolée de la personne âgée ;

• démonstration que certains anti-hypertenseurs réduisent la morbidité chez des individus non sélectionnés sur leur PA mais à haut risque d’accident vasculaire cérébral (AVC) ou vasculaire ;

• comparaison des nouveaux et des anciens antihypertenseurs chez des hypertendus âgés ;

• comparaison des nouveaux et des anciens antihypertenseurs en

termes de morbi-mortalité chez des hypertendus modérés.

Choix du critère de jugementLes critères de jugement qui prési-dent à l’évaluation d’un médicament sont divers : cliniques, intermé-diaires, de types symptomatique et de pronostique, combinés.

Critère clinique et critère intermédiaire Le choix du critère de jugement et notamment de sa nature clinique (c’est-à-dire son expression pos-sible en termes de quantité ou de qualité de vie ou encore directement perceptibles par les patients) est tout à fait fondamental (tableau 1). Le recours à des critères intermé-diaires (non cliniques) est indispen-sable aux étapes précoces du développement des médicaments. Idéalement, la démonstration de l’effet sur un critère intermédiaire doit être validée ultérieurement par un essai sur des critères cliniques.

F Le problème est la coexistence

d’autorisation de mise sur le mar-

ché pour des médicaments avec

des niveaux de preuve très diffé-

rents en termes d’efficacité clinique, dans une même indication. Les rai-sons en sont essentiellement histo-riques et il est probable que les preuves d’efficacité établies sur des critères cliniques deviennent rapide-ment indispensables. Dans la période intermédiaire actuelle, les résumés des caractéristiques du produit rela-tent les résultats obtenus avec le médicament.

F La stratégie la plus satisfai-

sante est l’évaluation en termes de morbidité et de mortalité avant la mise sur le marché. C’est celle qui a été choisie pour le clopido-grel, antiagrégant plaquettaire comparé à de l’aspirine en préven-tion secondaire après infarctus du myocarde, AVC ou chez des patients avec artériopathie des membres i n fé r i eu rs ( essa i

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CAPRIE) [3]. Le domaine des anti-agrégants plaquettaires impose nature l lement ce genre de contraintes, en raison de l’absence de critère de substitution reconnu de l’effet antiagrégant. Cette stra-tégie a bien entendu un coût et peu de f irmes sont prêtes à prendre le risque de tels investis-sements sans que le marché ou les autorités réglementaires les y contraignent.

Critère de type symptomatique et de type pronostique Il est possible qu’un médicament n’ait pas une efficacité dans la même direction en termes de symp-tômes et de longévité (tableau 2).

Ainsi, si les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) allongent la sur-vie et accroissent le confort de vie des insuffisants cardiaques, la digoxine en améliore les symp-tômes sans modifier la survie, et la milrinone diminue la longévité alors qu’elle améliore la tolérance de la maladie.

F La mise en place d’un essai ne

peut être satisfaisante au plan

éthique sans que soit bien pris

en compte ces aspects. Ainsi, l’objectif de démonstration de l’effet pronostique d’un médicament (sur la longévité) est extrêmement discutable si un bénéfice sur les symptômes est formellement établi, dans la mesure où cela reviendrait à priver des patients de médicaments

qui peuvent améliorer leur situation. F Par exemple, l’incidence de

l’usage des diurétiques thia-

zidiques ou de l’anse sur le

pronostic dans l’insuffisance

cardiaque n’est pas connue, alors que ces médicaments sont admi-nistrés systématiquement dans cette indication en raison de leur bénéfice sur les symptômes (dys-pnée, œdèmes). Un essai serait possible au plan éthique, mais devrait limiter l’inclusion aux par-ticipants asympto matiques sans diurétiques. Si un tel essai mon-trait des résultats en défaveur du traitement (comme une majoration de la mortalité sous traitement), il deviendrait alors licite de vérifier chez des individus symptoma-

Tableau 1. Exemples de critères de jugement intermédiaires et cliniques dans les grandes situations en pathologie cardiovasculaire.

Situations Critères intermédiaires Critères cliniques

Hypertension artérielle Pression artérielle Accident cardiovasculaire majeur, mortalité

Hypercholestérolémie Cholestérolémie Accident cardiovasculaire majeur, mortalité

Thrombose veineuse Thrombose veineuse profonde par examens morphologiques systématiques Épreuve d’effort, mortalité, thrombose veineuse profonde clinique

Infarctus du myocarde Marqueurs biologiques d’infarctus du myocardeTaux de désocclusion coronaire

Mortalité, récidive d’infarctus

Angor instable Marqueurs biologiques d’infarctus du myocarde Mortalité, évolution vers l’infarctus du myocarde

Angor stable Épreuve d’effort, électrocardiogramme Mortalité, accident cardiovasculaire majeur

Insuffi sance cardiaque Consommation d’oxygène à l’effortDistance parcourue en 6 minutes

Stade d’invalidité (dyspnée selon la New York Heart Association), mortalité

Accident vasculaire cérébral Évolution de l’œdème cérébralÉvolution de l’ischémie vers la nécrose

Mortalité, handicap

Fibrillation auriculaire Taux de récidive après cardioversion (choc électrique externe)Taux de retour en rythme sinusal

Confort de vie, stade d’invalidité, accidents emboliques

Troubles du rythme Enregistrement Holter Récidive du trouble, mortalité

Syncope Enregistrement Holter Récidive de syncope, mortalité

Tableau 2. Exemples de dissociation entre impacts pronostique et symptomatique, empruntés à l’insuffi sance cardiaque.

Th érapeutique Impact symptomatique Impact pronostique

Inhibiteurs de l’enzyme de conversion Positif Bénéfi que

Digoxine Positif Neutre

Milrinone Positif Délétère

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tiques que le traitement n’entraîne pas une surmortalité.

Critères combinés F Il est d’usage d’adopter un cri-

tère de jugement combiné pour

accroître la puissance de l’ana-

lyse statistique. Un tel critère combine différents types d’acci-dents, considérés comme devant être influencés par l’intervention thérapeutique. Ainsi, les accidents cariovasculaires majeurs compren-nent en général les décès d’origine cardiovasculaire, les AVC et les infarctus. Lorsqu’un tel critère composite est adopté, il est fonda-mental d’assurer le suivi des patients au-delà de la survenue de chacun des accidents qui le composent. Cette condition est indispensable à la justesse des analyses secondaires qui ne concernent que l’un des composants du critère. Si elle n’est pas vérifiée, les analyses secon-daires en question sont exposées à un biais, dit “biais de censure”.

F Une étude australienne dans

l’HTA modérée [4] en est un exemple malheureux ; le critère de jugement composite comprenait :• décès ;• AVC ou accident ischémique

transitoire ;• infarctus du myocarde ;• autre cardiopathie ischémique

détectée par questionnaire de Rose ou électrocardiogramme ;

• insuffisance cardiaque conges-tive ;

• dissection aortique ;• hémorragie rétinienne, exsudats

ou œdème papillaire au fond d’œil ;

• encéphalopathie hypertensive ;• insuffisance rénale avec élévation

de la créatininémie au-delà de 2 mg/dL (177 μmol/L).

Ainsi, les patients présentant une simple altération du fond d’œil lors d’une visite étaient exclus de l’étude et n’étaient plus suivis. Pour aggra-ver cette carence, aucune enquête de mortalité n’a été réalisée. Il est

donc impossible de se fier à une analyse des résultats de cette étude qui porterait sur un autre critère que celui combinant l’ensemble des accidents du critère composite, et en particulier d’inclure cette étude dans une méta-analyse dans la mesure où chaque étude a adopté des critères différents. Par ailleurs, si l’interpréta-tion des résultats combinés demeure méthodo logiquement valide, bio-logiquement elle pose le problème du poids relatif d’accidents de nature très variable.

Moment de recueil du critère de jugementLe choix de ce moment a des conséquences logistiques impor-tantes. Ainsi, pour l’exploration des effets thérapeutiques à la phase aiguë de l’infarctus, deux dates sont couramment choisies : la sortie de l’hôpital et la fin du premier mois. La seconde solution impose un recueil actif d’informations, par une visite supplémentaire, une enquête téléphonique ou administrative pour la mortalité. La première pose le problème de la variabilité inter-individuelle de la durée d’hospitali-sation, surtout si celle-ci est liée à l’intervention thérapeutique.

Vers de nouveaux critères de jugement ?Si la survenue d’un infarctus du myocarde a une signification relati-vement bien répandue dans la population, elle représente une entité hétérogène, depuis un infarc-tus passé inaperçu et dépisté à l’électrocardiogramme (infarctus silencieux d’ordinaire exclu des cri-tères de jugement) à l’infarctus mortel. De même, un AVC même constitué peut n’avoir aucune séquelle apparente, ou priver de toute vie relationnelle. Le poids res-pectif de chaque accident devrait être comptabilisé, le critère de juge-ment le plus pertinent étant la survie sans altération sérieuse de la qualité de vie et sans handicap significatif.

AnalyseDans le cas général, un essai est construit et met tout en œuvre pour tester une hypothèse et une seule.

Analyses en sous-groupes Les analyses en sous-groupes sont particulièrement justifiées dans un but précis : la vérification de la sta-bilité de l’effet thérapeutique pour les différentes caractéristiques indi-viduelles des participants, élément de la démarche d’extrapolation des résultats d’essais. Idéalement, cette démarche est entreprise à l’échelle de plusieurs essais, en analysant l’ensemble des données recueillies au niveau individuel. Les résultats de cette démarche n’ont pas le même niveau de preuve que l’ana-lyse principale de l’essai et doivent plutôt être considérés comme une analyse exploratoire.Il faut être particulièrement méfiant devant des résultats d’analyses en sous-groupes :• lorsque les résultats de l’essai

sont globalement négatifs ;• lorsque l’analyse en sous-groupe

n’a pas été prévue au protocole (en effet, l’inscription au protocole témoigne d’un argumentaire physio pathologique ou pharmaco-logique préalable à l’étude) ;

• lorsque le nombre de sous-groupes explorés est important sans qu’une correction du seuil de signification statistique ait été proposée pour prendre en compte la multiplicité des tests.

Supériorité ou équivalence Un essai d’équivalence (ou plus justement de non -nfériorité) peut être justifié lorsqu’un traitement apporte une supériorité mani-feste sur un critère cl inique secondaire (comme la tolérance, la facilité d’emploi, l’amélioration de symptômes, etc.) sans qu’une supériorité en soit attendue sur un critère clinique plus important (réduction de la morbidité ou de la mortalité). w

Références[1] Hansson L, Zanchetti A, Carruthers SG et al. Effects of intensive blood-pressure lowering and low-dose aspirin in patients with hypertension: principal results of the Hypertension Optimal Treatment (HOT) randomised trial. Lancet. 1998;351:1755-62.

[2] ISIS-2 (Second International Study of Infarct Survival) Collaborative Group. Randomised Trial of intravenous Streptokinase, oral Aspirin, both, or neither among 17187 Cases of Suspected Acute Myocardial Infarction: ISIS-2. Lancet. 1988;II:349-60.

[3] CAPRIE Steering Committee. A randomized, blinded, trial of clopidogrel versus aspirin in patients at risk of ischaemic events (CAPRIE). Lancet. 1996;348:1329-39.

[4] Management Committee. The Australian therapeutic trial in mild hypertension. Lancet. 1980;i:1261-7.

Déclaration d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas

avoir de confl its d’intérêts

en relation avec cet article.