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1 Chef du bataillon de recrues de la 7 ème division territoriale, et bataille nocturne près d’Ammertzwiller du 11 au 12 juillet 1915 Extraits de l’ouvrage « Beamter und Soldat 1884-1936 Lebenserinnerungen von Dr. Leopold HEGELMAIER » ( Fonctionnaire et soldat 1884-1936 Mémoires du Dr. Léopold HEGELMAIER) (Traduction des pages 172 à 217) Les adieux furent cette fois-ci moins douloureux pour l’épouse et les enfants ; il s’agissait simplement de me rendre à Mulhouse pour y retrouver le bataillon de recrues de la 7 ème division de défense territoriale dont je devais prendre le commandement. J’arrivais à Mulhouse dans la nuit du 17 au 18 mai 1915, il m’appartenait à présent de constituer tout d’abord le bataillon. 18 officiers de réserve se présentèrent à l’appel ; deux médecins suivirent. La plupart des officiers étaient déjà titulaires de la crois de fer de 2 ème classe ou avaient des acquis de terrains. Mon adjoint fut l’adjudant badois Epp du 142 ème , qui m’avait été chaudement recommandé par l’état major de Mulhouse, très au fait de la règlementation des services internes comme des particularités de l’agglomération mulhousienne, et qui devait s’avérer extrêmement efficace dans l’exécution de sa tâche. Il était plus âgé que moi. Également mon plus jeune lieutenant d’active, l’architecte et maître d’œuvre de Stuttgart, Hengerer, moniteur régional de tir du Wurtemberg, était plus âgé que moi. Un de ses fils était également sous les drapeaux, mais ce fils était déjà lieutenant et pendant que mon « plus jeune » lieutenant était entrain de gagner sa croix de fer de deuxième classe au cours d’un combat de nuit du bataillon, il se vit offrir un petit -fils à la maison. De telles circonstances arrivaient parfois en ces temps. Les sous-officiers et hommes de troupe étaient en moyenne des personnes entre 33 et 37 ans, la plupart marié ; une excellente réserve physiquement efficace. On remarquait dans ses rangs beaucoup d’éléments ayant effectués « leur année », dans la seule première compagnie du lieutenant Lemppenau on pouvait en compter environ deux douzaines. Chacun s’attendait à être bientôt appelé à suivre une formation d’officier. Parmi eux se trouvaient de nombreux fonctionnaires, avocats, artistes, ainsi que deux comédiens de la cour de Stuttgart, un portraitiste, un coiffeur du théâtre de la cour et d’autres. Je disposais de 6 semaines et ½ pour rendre les recrues qui jusque là avaient tout juste bouclés leur formation personnelle, aptes à intégrer les régiments opérationnels de la Division, au travers d’entrainements intensifs dans l’art du combat et du service en campagne, au tir et à la construction d’ouvrages de lignes. Il s’agissait dès le tout premier jour, d’agir selon un strict planning et de s’y conformer d’une façon draconienne. C ‘est ce que je fis. Trois chevaux avaient été mis à ma disposition, et je puis dire que j’étais de fait auprès de mes compagnies du matin jusqu’au soir. Il y avait suffisamment de terrains d’exercices tout près de la ville. Les exercices de tirs avaient lieu dans les stands de tirs à 4 km. au nord de L’Ile Napoléon, une île artificielle créée sous Napoléon 1 er , à l’endroit du déversement du canal de

bataille nocturne près d’Ammertzwiller du 11 au 12 juillet

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Chef du bataillon de recrues de la 7ème

division territoriale, et

bataille nocturne près d’Ammertzwiller du 11 au 12 juillet 1915

Extraits de l’ouvrage « Beamter und Soldat – 1884-1936 – Lebenserinnerungen von Dr. Leopold

HEGELMAIER » (Fonctionnaire et soldat – 1884-1936 – Mémoires du Dr. Léopold HEGELMAIER)

(Traduction des pages 172 à 217)

Les adieux furent cette fois-ci moins douloureux pour l’épouse et les enfants ; il

s’agissait simplement de me rendre à Mulhouse pour y retrouver le bataillon de recrues de la

7ème

division de défense territoriale dont je devais prendre le commandement.

J’arrivais à Mulhouse dans la nuit du 17 au 18 mai 1915, il m’appartenait à présent de

constituer tout d’abord le bataillon. 18 officiers de réserve se présentèrent à l’appel ; deux

médecins suivirent. La plupart des officiers étaient déjà titulaires de la crois de fer de 2ème

classe ou avaient des acquis de terrains. Mon adjoint fut l’adjudant badois Epp du 142ème

, qui

m’avait été chaudement recommandé par l’état major de Mulhouse, très au fait de la

règlementation des services internes comme des particularités de l’agglomération

mulhousienne, et qui devait s’avérer extrêmement efficace dans l’exécution de sa tâche. Il

était plus âgé que moi. Également mon plus jeune lieutenant d’active, l’architecte et maître

d’œuvre de Stuttgart, Hengerer, moniteur régional de tir du Wurtemberg, était plus âgé que

moi. Un de ses fils était également sous les drapeaux, mais ce fils était déjà lieutenant et

pendant que mon « plus jeune » lieutenant était entrain de gagner sa croix de fer de deuxième

classe au cours d’un combat de nuit du bataillon, il se vit offrir un petit-fils à la maison. De

telles circonstances arrivaient parfois en ces temps.

Les sous-officiers et hommes de troupe étaient en moyenne des personnes entre 33 et

37 ans, la plupart marié ; une excellente réserve physiquement efficace. On remarquait dans

ses rangs beaucoup d’éléments ayant effectués « leur année », dans la seule première

compagnie du lieutenant Lemppenau on pouvait en compter environ deux douzaines. Chacun

s’attendait à être bientôt appelé à suivre une formation d’officier. Parmi eux se trouvaient de

nombreux fonctionnaires, avocats, artistes, ainsi que deux comédiens de la cour de Stuttgart,

un portraitiste, un coiffeur du théâtre de la cour et d’autres.

Je disposais de 6 semaines et ½ pour rendre les recrues qui jusque là avaient tout juste

bouclés leur formation personnelle, aptes à intégrer les régiments opérationnels de la

Division, au travers d’entrainements intensifs dans l’art du combat et du service en campagne,

au tir et à la construction d’ouvrages de lignes. Il s’agissait dès le tout premier jour, d’agir

selon un strict planning et de s’y conformer d’une façon draconienne. C ‘est ce que je fis.

Trois chevaux avaient été mis à ma disposition, et je puis dire que j’étais de fait auprès de mes

compagnies du matin jusqu’au soir. Il y avait suffisamment de terrains d’exercices tout près

de la ville. Les exercices de tirs avaient lieu dans les stands de tirs à 4 km. au nord de L’Ile

Napoléon, une île artificielle créée sous Napoléon 1er, à l’endroit du déversement du canal de

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décharge de Huningue dans le canal Rhin-Rhône. Sur l’un des pas de tir, on pouvait voir

l’arbre dont le tronc était criblé de nombreux impacts de balles, contre lequel étaient exécutés

les traîtres. Plus d’une fois on pouvait lire dans les rues de Mulhouse, placardé aux murs par

l’état-major, le communiqué lapidaire « Le N. N. de N. a trahit son pays et a été fusillé tôt ce

matin. ».

L’entrainement à la construction d’ouvrages fut exécuté d’une façon très pratique dans

la mesure où j’eus comme devoir de la part de la Division d’assurer la mise en œuvre d’une

deuxième ligne, au sud-ouest de Mulhouse, sur la hauteur au dessus de Galfingue, distante de

deux heures et demie de marche et à portée de tir de l’artillerie française. C’était une pensée

perspicace. Car pour une fois, les recrues étaient occupées à un ouvrage dont on ne pouvait

pas savoir s’il ne devait pas subir l’épreuve du feu et de fait, les hommes s’habitueraient aux

tirs d’artillerie. Les batteries françaises, distantes de 8000 et 9000 mètres derrière la forêt de

Gildwiller, allaient bientôt découvrir les travaux d’excavations, par temps clair, et cherchaient

à perturber et empêcher l’avancement des travaux par des tirs sporadiques, bien entendu sans

succès. C’est comme cela que mes hommes prirent conscience par eux-mêmes que des

tranchées bien ouvragées et bien étayées, - mon « plus jeune » lieutenant avait érigé à

proximité une véritable aire de charpentiers - fût-ce à une telle distance des canons de

campagne, étaient à l’abri de toute menace. L’agitation du débutant était bientôt surmontée.

Cependant, afin d’éviter quand même des pertes possibles, je déplaçais après quelques temps

les travaux d’ouvrages aux heures nocturnes. Une fois, après de tels travaux d’excavations

nocturnes de ma troisième compagnie sous le commandement du lieutenant Geiler, - c’était le

dimanche, 23 juin – mon avenir ne fut pas loin d’être contrarié. J’avais demandé qu’on

m’amène les chevaux à 7 heures du matin au bord d’un chemin rural, près de la position. Les

observateurs d’artillerie français en ce début de matinée baigné d’un air limpide, avaient dû

être particulièrement attentifs et préparés au feu. Car je ne m’étais pas plutôt mis en selle et

parti au trot en compagnie de mon adjudant et du soigneur, que ça se mit à péter à droite et à

gauche. Dans un sifflement, un obus s’abattit sur le chemin tout près des sabots antérieurs de

mon cheval. Par bonheur, l’explosion n’eut lieu que profondément dans la terre molle et

humide. Il va sans dire que dans un galop d’enfer nous sautâmes par dessus le plus proche

talus : nous étions à l’abri. Puis soudain, à nouveau une profonde paix se fit alentour. Une

paisible matinée estivale dominicale. Partout, également sur les sommets vosgiens, le

Rosberg, le Molkenrain et même sur le Hartmannswillerkopf, quiétude et silence. Seul les

alouettes chantaient au dessus de nos têtes.

Trois heures plus tard, je me rendis en compagnie des divisions qui n’avaient pas

creusé la nuit, dans la grande et majestueuse nef de la collégiale de Mulhouse pour assister à

un office religieux. Les images et les impressions étaient à l’époque d’une prompte

inconstance. Je me rappelle encore aujourd’hui avec plaisir à tant de chevauchées nocturnes

sur les hauteurs de Galfingue. Il n’y manquait jamais en jeux de lumières émis par les

projecteurs et en feux d’artifice. Sur la hauteur 425 au sud de Cernay, et sur le

Hartmannswillerkopf, les lumières des fusées éclairantes ainsi que le lent va-et-vient des spots

lumineux de la couverture française ne s’éteignaient de toute façon jamais entièrement avant

la grisaille du matin. En tous les cas, cette période n’avait rien de comparable à celle des mois

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à venir où on pouvait avoir l’impression, certaines nuits, depuis la vallée, qu’il y avait là-haut

sur le Hartmannswillerkopf une gare centrale illuminée. Mais ce n’étaient toujours seulement

que les incessantes boules éclairantes et les spots lumineux de la couverture.

Chaque fois à précisément 3 heures du matin, commençait le chant turlutant des

alouettes.

A cette époque, le bataillon était sous le commandement direct du lieutenant-général

de la 7ème

, plus tard, de la 26ème

division territoriale, von Wencher. Le cœur sur la main,

exigeant dans la parole et dans l’acte, grièvement blessé le 4 avril 1916 dans la toute première

tranchée de notre régiment voisin et soigné à l’hôpital du Hasenrain à Mulhouse, ce

valeureux commandant avait comme objectif particulier de dynamiser l’ esprit offensif de

notre défense territoriale et d’en nourrir à cet effet tous les échelons de responsabilités. Il avait

lui-même adressé à mes compagnies des paroles enflammées dans ce sens. Il savait de quoi il

en retournait. Après la guerre, le général avait poursuivi des études astronomiques, et fut avalé

par la tombe, le16 mai 1934, avec les profonds regrets de ceux qui avaient été sous son

commandement.

Dans le service ordinaire, c'est-à-dire, l’exercice, le tir, le comportement en campagne,

etc., la supervision était confiée au major-général von Dinkelacker, à l’époque commandant

de la 51ème

brigade d’infanterie territoriale, qui assistait chaque semaine, plusieurs fois à nos

exercices. Il lança un jour à une patrouille qui était en observation dans une tranchée : « Qui

est donc parmi-vous est le plus intelligent ? » Un des trois hommes se retourna, c’était un

avocat de Stuttgart, et dit d’nue voix timorée : « je crois moi, mon général.».

Je ne me sentais corporellement pas bien du tout au début de cette période. La voix

était menacée d’extinction, La langue et la gorge étaient enflammées et les bottes qui avaient

durcies pendant mon hospitalisation m’infligeaient de profondes et douloureuses plaies,

bientôt suppurantes, aux deux talons d’Achille. Aucun des produits et pansements des

médecins n’avaient d’effet et j’avais déjà la crainte de ne pouvoir continuer à assurer mon

travail. Je reportais mon dernier espoir sur les journées festives de la Pentecôte. Je pouvais me

consacrer, du 22 mai de l’après-midi jusqu’au lundi, 24 mai, à l’application personnellement

planifiée, de ma médication. J’envoyais donc mon ordonnance dans tous les magasins de

chaussures de Mulhouse pour y dénicher n’importe où, une botte fait dans un cuir

extrêmement souple, et de fait, elle me ramena finalement une paire de bottes jaunes à lacets

en cuir pour le moins en cuir très flexible, cassé et assoupli, dont la protection me guérit très

rapidement de mes blessures. Je me couchais alors et ne cessais de me mettre des compresses

brûlantes autour du cou. La médication fut opérante. On peut dire qu’il existe certaines

souffrances et bobos dont l’homme qui se connait arrive parfois mieux à se soigner soi-même

que le médecin.

A l’époque, je rencontrais un jour un officier revenant du front de l’Argonne qui me

raconta que la dépouille mortelle de mon petit-fils mort au combat, Otto Hegelmaier,

lieutenant dans l’artillerie de campagne, aurait été atteinte par deux fois dans sa tombe par des

grenades ennemies. Après la première fois, la compagnie sanitaire l’aurait inhumé une

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seconde fois plus en arrière, mais la grenade l’avait à nouveau trouvé. Il fut finalement

transféré au Waldfriedhof (Cimetière de la Forêt) à Stuttgart.

Le 30 mai, mon précédent chef de bataillon, le capitaine Hofacker, me rendit visite. Il

avait été décoré la veille de la crois de fer de 1ère

classe et était assis là, rayonnant, comme je

ne l’avais jamais vu auparavant. Et d’une façon générale, le grand nombre d’officiers et

d’états-majors qui passaient par Mulhouse était remarquable et je m’étonnais parfois comment

certains officiers supérieurs n’avaient d’intérêts que pour les vins, cigares, décorations,

histoires de femmes, mais qui ne désiraient pas évoquer les questions sérieuses qui nous

préoccupaient, ainsi d’ailleurs qu’eux-mêmes.

Le 11 juin, lors d’un exercice, nous fûmes pour la première fois témoins d’un duel

aérien entre deux avions, l’un allemand et l’autre français, dont l’issue resta indécise. Nous

apprenions plus tard, qu’il y avait dans l’appareil allemand, le lieutenant von Maltzahn

grièvement blessé et transporté mourant à l’hôpital du Hasenrhein et un vice-sergent blessé.

Entretemps, nous fûmes à nouveau vaccinés ; 3 fois contre le typhus et 2 fois contre le

choléra. J’ai été personnellement vacciné huit fois en l’espace de 2 ans.

Le 2 juillet, le général von Wencher assista à l’exercice de tir, et le 7 juillet en

présence du général von Dinkelacker et des commandants des régiments de la division, eu lieu

la présentation de mon bataillon, à l’exercice et au combat. Les critiques qui suivirent sur le

plan de la performance globale du bataillon et de l’ensemble de mes prestations laissaient

entendre que tous les deux, le bataillon et moi, nous avions suspicieusement bien réussi. La

troupe n’obtint que reconnaissance et encouragement. Le général von Dinckelacker souligna

entre autre, me concernant, que la position près de Galfingue avait été excellemment

ouvragée, et ce qui à l’époque avait satisfait d’avantage ma vanité, que j’étais tellement à

l’aise à cheval. Le général von Wenscher résuma son éloge en soulignant qu’un commandant

de bataillon de l’active n’aurait pas mieux réussi dans le commandement du bataillon et dans

sa formation. Certainement la même chose aurait été réalisée par n’importe quel autre officier

de la défense territoriale, mais j’évoque ce fait afin d’encourager la race suivante d’officiers

mis en disponibilité et de les stimuler dans la persévérance d’un devoir élevé envers leur

patrie, qui est apprécié par tout homme lucide de la même façon que le devoir des officiers

d’active.

Oui, pourquoi avais-je utilisé les termes de « suspicieusement bien réussi » ? En fait,

le revers de la médaille devait bientôt se montrer. Le bataillon semblait entrainé d’une façon

tellement correcte qu’il pouvait être engagé immédiatement, la nuit du 11 au 12 juillet, encore

avant sa répartition dans les différents régiments, dans une attaque sur la tranchée française à

l’ouest d’Ammertzwiller, et à 6 kms. au sud-ouest de la deuxième position que nous avions

établie près de Galfingue. Je devais initier l’assaut pendant que les éléments des compagnies

sur place du 123ème

L.I.R. (Landwehr Infanterie Regiment 123) devaient se tenir prêts au combat

dans leurs propres tranchées. Suite à quoi, je me rendis de suite après le topo vers les

tranchées près d’Ammertzwiller et ensemble, avec le commandant du 1er bataillon du 123

ème

sur place, mon ami, le capitaine R. Gutermann, afin d’observer communément avec soin le

terrain. Nous abondions tous les deux immédiatement dans le même sens que de toute façon

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cet endroit nous promettait un pronostic à notre avantage dans l’assaut des lignes ennemies,

du fait que de nulle part, ni au nord, ni au sud, les lignes allemandes n’étaient plus avancées

par rapport aux lignes françaises comme en fait ici, à l’ouvrage avancé Sautter. Mais nous

étions de la même façon communément conscients que la portion de tranchée à conquérir ne

saurait être tenue, justement à cet endroit, qu’au prix de pertes conséquentes, en raison de

positions des Français surélevées, flanquées à droite et à gauche, à droite par leur position sur

le Lerchenberg, à gauche par l’ouvrage avancé de Balschwiller, une citadelle fortifiée

naturelle ouvragée dans les circonvolutions de la campagne ,sur une chaine de collines en

avancée. Si on avait voulu tenir la position conquise après l’assaut, on aurait du attaquer sur

un front plus étendu, y compris au Lerchenberg et à l’ouvrage avancé de Balschwiller1. Deux

jours avant l’assaut, eut lieu près d’Ammertzwiller une réunion concernant le projet sous la

direction du commandant de la brigade du secteur, le général Mathn, au cours de laquelle je

m’étais permis par deux fois de souligner avec vigueur les désavantages du terrain

d’affrontement. Mais le capitaine aide de camp du général me répondit en souriant : « Mon

cher camarade, cela ne fait rien » et la décision resta inchangée. Le bataillon n’avait qu’à

s’enterrer rapidement dans la position conquise après l’assaut.

Je dois malheureusement supposer que les Français avaient eu vent, par n’importe

quelque’ espion mulhousien, du départ du bataillon de recrues – il avait été transporté à Illfurt,

le 9 juillet, par le train blindé Mainz – ainsi que de l’entreprise projetée. Car ils concentraient

encore à point nommé, en face d’Ammertzwiller, dans la position derrière la forêt de

Gildwiller, une importante quantité d’artillerie.

Pour le choix de l’emplacement d’attaque, il avait été convenu que les pionniers de

l’ouvrage avancé Sauter creusent une galerie de mine dont le nez devait pouvoir faire sauter

une partie de la position française.

Le 11 juillet au soir, à 7 heures 30 précises, débuta l’efficace préparation à l’assaut par

nos canons et mortiers. Mais le premier tir d’un obus de 21 centimètres tomba sur l’église

d’Ammertzwiller, à l’arrière de notre position, le deuxième tir à 7heures 33, malheureusement

juste devant un de nos boyaux de sortie où le groupe d’assaut de ma troisième compagnie

s’était déjà réuni. Douze morts et plus de 50 blessés gisaient sur le lieu de l’explosion. Juste

après 9 heures, la chambre de la galerie de mine explosa dans une effroyable puissance et

secousse. Mai il s’avéra que la longueur de la galerie de mine avait été calculée trop courte.

La position française resta indemne. A la place, s’était formé, encore dans le no man’s land,

un profond entonnoir d’environ 12 mètres de diamètre, « l’entonnoir d’Ammertzwiller » qui

devait jouer un rôle important au cours de la guerre de position à venir dans ce secteur.

Immédiatement après l’explosion, j’apprêtais trois compagnies pour l’assaut, baïonnette au

canon. Je gardais la quatrième provisoirement en réserve, mais l’engageais également plus

tard. L’assaut se déroula avec relativement peu de pertes. Nous fîmes des prisonniers et un

mortier fut pris. Du reste, les premières tranchées avait déjà été évacuées avec à-propos par

les Français. Il s’agissait à présent de reconfigurer ces tranchées sur une largeur de 400 mètres

1 Analyse à rapprocher, ainsi que l’engagement nocturne qui s’en suivit, de l’interprétation des évènements

relatés dans l’ouvrage de l’Histoire du Régiment du 123 ème L.I.R., écrit par l’adjudant-général Dr. Mak,

éditions Belser, Stuttgart 1922 S.59ff.

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dans un schéma inverse de front et de creuser un boyau de communication avec l’ancienne

position en arrière. Ce travail s’avéra rendu plus difficile, voire presqu’impossible quant au

creusement du boyau, du fait d’une longue période de sècheresse qui avait rendu la terre dure

comme pierre, opposant une résistance coriace à l’action de la bêche. Alors que j’inspectais

personnellement toutes les positions prises pour m’assurer de l’avancement des travaux, se fit

jour dans toute sa dimension le handicap prévisible. Nous ne souffrions pas seulement d’un

feu de flanc, mais nous étions entourés à droite comme à gauche par le feu ennemi. Mais le

bataillon tint bon jusqu’à ce que, tout juste avant les premières lueurs de l’aube, à 3 heures 5,

le commandant du régiment du 123ème

, donc de cette portion de front, dont les hommes

auraient dû conserver la tranchée dans les jours à venir, donna l’ordre contre son gré, mais le

seul raisonnable, de ramener le bataillon sur la ligne du régiment. Tout ceci s’effectua avec le

rapatriement des morts et des blessés. Lorsque le rosissement de l’aube commença à poindre,

l’artillerie française commença un tir de représailles massif avec emploi d’une quantité

monstrueuse de munitions. Cependant, ils ne pouvaient plus arriver à grand-chose maintenant,

car les compagnies étaient à présent à l’abri dans la position solidement ouvragée du 123ème

.

L’infanterie française n’entreprit aucune contre-attaque. A cette heure, je me trouvais

personnellement environ au centre du champ de bataille, dans l’abri retranché « Immergrün »,

où se trouvait en même temps le poste de commandement du 1er bataillon du 123

ème et où le

capitaine Gutermann, sans protection, au milieu des explosions de grenades et de mines,

donnait l’image éclatante d’un chef prudent et intrépide.

Mes « recrues » s’étaient sorties avec courage du baptême du feu. Par contre, plus de

130 hommes manquaient lors de l’appel, parmi eux, environ 100 blessés qui avaient été en

majorité victimes des tirs de flanc.

L’après-midi du 12juillet, les morts devaient être enterrés dans une tombe commune,

au nouveau cimetière militaire près de Bernwiller, 2 kms derrière Ammertzwiller. Les

menuisiers avaient confectionné rapidement de simples cercueils en planches. Mais en entrant

dans la morgue située derrière la mairie, je constatais qu’il manquait les brancardiers qui

avaient été prévus pour la mise en bière. Je me doutais bien du prétexte sans fondement qui

les avait poussés à déserter la pièce. Ce travail peu commun les effrayait dans son horreur.

Car une partie des 21 corps gisants étaient terriblement mutilés. Un cadavre était tellement

déchiqueté que les différentes parties du corps avaient dû être ramassées. Un autre corps

présentait encore la pleine barbe collée au tronc, mais la tête manquait – ce n’est que plus tard

que les barbes furent sacrifiées au profit des masques à gaz. La dépouille du lieutenant

d’artillerie Bader était couchée paisiblement sur le lit de paille dans la pièce obscurcie. Il

s’était encore adressé à l’infirmier qui voulait l’emporter : « prenez l’homme à coté de moi

avec sa blessure à la cuisse ; personne ne peux plus m’aider, ma moelle épinière est

atteinte. ». Immédiatement je fis revenir les brancardiers et en silence ils prodiguèrent à leurs

camarades morts leur dernier pénible soin.

Je me remémore encore bien aujourd’hui, lors de la suivante cérémonie d’inhumation,

des paroles énergiques prononcées par l’aumônier militaire de la division, le pasteur réformé

Dr. Otto Meyer, (pasteur de la ville de Tübingen) s’adressant aux survivants : « tenez le coup

dans le mugissement de la tempête ! », et comment il dû abréger son homélie, parce que les

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Français avaient commencé à tirer sur Bernwiller. Le haut état major évoqua dans son suivant

rapport, d’une façon élogieuse, l’avancée de la défense territoriale wurtembergeoise exécutée

conformément au plan, près d’Ammertzwiller. Les enseignements tirés de notre bataille

nocturne servirent de leçon bienvenue pour toutes les actions ultérieures de la 7ème

division

territoriale

Guerre de position dans le 123ème

régiment d’infanterie territoriale

(L.I.R. 123) – début juillet 1915 à juillet 1916

Au cours des jours suivant l’assaut nocturne du 11 au 12 juillet, le bataillon

Hegelmaier, ainsi nommé dans les mots d’ordre et rapports d’engagements relatifs à l’action

menée près d’Ammertzwiller, fut réparti entre les régiments de la 7ème

division territoriale (7.

Landwehrdivision), les nouvelles recrues n’étaient pas encore arrivées. Une autre affectation

devait de ce fait m’être impartie. Je la trouvais au L.I.R. 123. (Landwehr Infanterie Regiment 123).

Déjà lors de la revue du 7 juillet, le commandant de ce régiment, le général von Trützschler,

m’avait fait part en confidence qu’il s’était déjà réservé ma personne auprès de la division car

il avait besoin d’un commandant de bataillon. C’est ainsi que me fut confié le 17 juillet, en

même temps que mes recrues, le commandement du 2ème

bataillon du L.I.R.123 stationné près

de Enschingen-Brünighofen, sur la portion de front jouxtant la position d’Ammertzwiller.

Mais pas pour longtemps. Car en août, le capitaine Gutermann, gradé le plus ancien, revint à

ce poste, et je fus déplacé de ci de là au sein du régiment, parfois au 3ème

bataillon qui avait

entretemps intégré la position d’Enschingen, parfois à nouveau au 2ème

bataillon cantonné

définitivement à Ammertzwiller. Dans l’intervalle, puisqu’aucun bataillon n’était disponible,

j’avais pris brièvement la tête, à deux reprises, du 6ème

, jusqu’à ce que je fusse définitivement

nommé commandant du 2ème

bataillon, le 16 novembre, et restais définitivement cantonné

dans la position d’Ammertzwiller.

Les évènements de cette période, notamment ceux vécus près d’Ammertzwiller, ne

sont pas faciles à relater. C’était une implacable année de guerre. Mesuré à Ammertzwiller, il

régnait à Enschingen presque une douce paix et comparé à l’idylle d’Enschingen, il brûlait un

enfer dans et autour de l’ouvrage avancé Sautter ; pas toujours, mais très souvent, une fois 10

jours à la suite. L’évocation de cet enfer peut devenir sujette à paraitre monotone ou même

fatigante, car justement, toute la brutalité et la barbarie du destin que mes hommes avaient dû

y endurer, configuré dans la constante répétition de la même couleur rougeâtre, presque dans

une répétition journalière de la même épouvante, de la même destruction de nos tranchées et

abris par des mines et des grenades. Néanmoins, si aujourd’hui les anciens combattants se

retrouvent et parlent de ces jours, c’était quand même le signe d’une période hors du commun.

De toute façon, lorsqu’à présent ils commémorent globalement leurs vécus de guerre, et que

la lumière tamisée par le temps arrive à adoucir la brutalité des couleurs, ils disent malgré tout

que cela avait été le plus beau moment de leur vie.

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1-Dans la position à Enschingen. (Enschingen fusionné avec Brinighoffen, forment la commune

de St. Bernard)

Il me fut très agréable d’avoir eu l’opportunité de vivre dans la tranquille position

d’Enschingen le tout début de mon commandement du 2ème

bataillon, du 17 juillet au 19 août,

ainsi que plus tard, d’une façon définitive, celui du 3ème

bataillon, d’octobre à mi-novembre.

À cet endroit, la Largue et sur son autre coté, le canal Rhin-Rhône, tracent une ligne de

partage ainsi qu’une zone de protection bienvenue entre les trois kilomètres de front français

et ceux de notre bataillon. Nos tranchées courraient le long des limites presque communes des

villages mitoyens d’Enschingen et Brünighofen (=Brinighoffen, actuellement St. Bernard), et étaient

impraticables en maints endroits lorsque la Largue était en crue.

Seule notre aile droite échappait à la protection des ‘’langues d’eau’’. C’est pourquoi

elle se retira sur la hauteur 293 dont la pente en direction de l’ennemi n’était pas sans procurer

une meilleure protection naturelle. Lorsque j’eu à y commander, à titre provisoire, la 6ème

compagnie, j’avais l’impression d’une aube estivale dans mon bunker. Les Français

occupaient de l’autre coté les positions les plus favorables, en surélévations des nôtres, et

leurs tranchées, dans des endroits bien choisis, n’étaient pas uniquement dotées de

mitrailleuses, mais également protégées par des ‘’Revolverkanonen’’ (Mitrailleuses lourdes à

barillets) ; mais ils étaient peu « actifs » sur cette portion de front, rarement entreprenants.

Je n’aimerais pas non plus raconter dans cette partie de mes mémoires des faits

communément relatés de la guerre, mais plutôt me restreindre à évoquer le cadre étroit

d’expériences personnelles, pour donner une image d’autant plus intelligible des faits et gestes

conformes à la réalité de notre vie au front.

Au début, le 17 juillet, je prenais mes quartiers à Enschingen, dans le lieu de

commandement habituel du bataillon, au premier étage de la maison Sigrist, à l’arrière de la

sortie du village. L’abri du bataillon, tout proche de la maison, n’était à l’époque qu’au stade

de la construction. Comme j’avais hérité le commandement du 3ème

bataillon des mains du

lieutenant-colonel Freiherrn von Grailsheim, plus tard, en octobre, ce dernier me

dit : « Lorsque je reviendrais, j’habiterais à nouveau la maison, et non pas dans l’abri (qui

entre-temps avait été terminé). Car si le destin de l’homme est de tomber, il tombe, soit ici en-

haut, soit dans l’abri. Vivez donc tranquillement là-haut. ». Il avait hérité cette subtile

conviction de ses expériences de guerre des années 1866 et 1870/71, auxquelles il avait

participé avec honneur. J’avais cependant une tout autre approche, dans le sens que l’homme

se devait dans une grande mesure, par la force de son libre-arbitre, de se protéger lui-même

des dangers, qu’il est même du devoir du soldat de ne pas s’exposer inutilement au danger –

je m’installais donc dans l’abri. C’est alors qu’advint l’évènement suivant : par une belle

matinée, c’était le 13 octobre, les vitres des fenêtres de la maison Sigrist brillaient au soleil, je

dis à mon brave ordonnance Schach, que j’avais récupéré auprès du L.I.R. 119 : « Pour une

fois, je vais aller me laver là-haut, dans une pièce éclairée. ». Il m’accompagna, et à peine

étions nous quelques minutes dans la pièce, qu’un crépitement se fit entendre sur le mur

extérieur, immédiatement suivi de 20 tirs pénétrant par les deux fenêtres pour s’écraser dans

la pièce d’habitation principale. Je ne sais pas comment, sans réfléchir, ‘’automatiquement’’,

9

nous nous mîmes à l’abri contre le pan de mur entre les deux fenêtres et restâmes indemnes.

Quelques balles s’étaient après plantées dans la cloison intérieure faisant face aux fenêtres et

avaient troué ma belle veste en poils de chameaux et mon manteau de pluie qui étaient

suspendus là. La lanière des jumelles avait également été sectionnée. Du reste, plus de 10

projectiles gisaient dans la pièce. L’un d’une façon paisible, sous le tapis, et même un autre

d’une manière plus curieuse, avait atterri dans le réservoir d’huile en verre d’une lampe à

huile qui se trouvait sur la table. Mais le verre resta indemne. Le hasard, ou les circonstances,

plus noblement exprimées, nous dirons miraculeuses, y avaient injecté le projectile. L’équipe

de servants français d’une mitrailleuse implantée à une distance d’environ 800 mètres de

l’autre coté du canal, avait dû, soit apercevoir nos ombres, soit avoir été averti par le signal

d’un Alsacien. Malheureusement une partie de la population des deux villages d’Enschingen

et Brinighoffen restait à l’époque toujours encore à la traine, parmi elle également quelques

personnages douteux ; du reste, également des femmes et des enfants. Lorsqu’une fois je dis à

une mère : « gardez donc vos enfant à l’écart de la position », elle me répondit d’une façon

insouciante : « Les Français ne tirent pas sur nos enfants. ». À la mi-novembre, le lieutenant

colonel von Greilsheim était de retour et je lui fis part du détail des évènements en ajoutant le

commentaire : « Voyez-vous à présent ce qui peut arriver là-haut, dans la pièce. Mais cela

n’arrive pas deux fois de suite sans casse ». Le lieutenant-colonel n’en fut cependant pas

convaincu, oui, il s’attribua même la preuve et rétorqua : « En fait, votre heure n’était pas

encore venue pour trépasser. », mais il déménagea cependant dans l’abri. Certainement le

hasard, ou ce que nous nommons comme tel, se permet, et se permit aussi à l’époque, à

maintes reprises un jeu pour nous plein de mystères. En octobre 1915, le commando d’une

patrouille de la 10ème

compagnie procédait à des incursions nocturnes temporaires

quotidiennes jusqu’aux abords des réseaux de barbelés français. À chaque fois se

déclenchaient des échanges de tirs, et à chaque fois les hommes revenaient indemnes, alors

que les équipes pendant la distribution des vivres et les unités de terrassement, loin derrière,

subissaient des pertes en tués et blessés par des tirs sporadiques de l’artillerie française. Mais

on ne devait pas s’en faire un principe.

En juillet 1915, le « casino » (cercle) des officiers du bataillon se trouvait encore au

rez-de-chaussée de l’immeuble Sigrist. Plus tard, fut construit à cet effet, dans le centre du

village d’Enschingen, un abri dans lequel nous passions, en octobre et novembre, maintes

heures animées et joyeuses. Le plus ancien capitaine du 3ème

bataillon, à l’époque le bientôt

soixantenaire et courageux chef de la 11ème

compagnie, Gundermann, de métier professeur de

philologie classique à l’université de Tübingen, nous y racontait volontiers des mémoires de

guerre extraits de César, Gallus et d’autres auteurs romains. Curieusement, il tenait sa tâche

comme la plus importante et la plus dangereuse et nous a causé beaucoup de tracasseries avec

ses informations et ses rapports. La 10ème

compagnie était également commandée par un

universitaire, le capitaine Lenze, professeur d’histoire ancienne à la petite université

autrichienne de Czernowitz. Mais ce professeur menait sa compagnie dans la retenue, avec

fermeté et avec calme. Même un piano sur lequel étaient parfois interprétées des « chansons

gaies » avait été apporté dans l’abri. Même une bibliothèque s’y trouvait, comprenant une

encyclopédie en huit volumes. Il nous parait à nous-mêmes presque inconcevable aujourd’hui

qu’à l’époque, à seulement 600 mètres de distance des positions ennemies les officiers qui

n’étaient pas de service dans les tranchées, aient pu organiser le 11 novembre 1915, un repas

10

de la St. Martin en l’espèce d’une oie, agrémenté d’interprétations de cithare et de luth et

d’autres représentations enjouées. Un seul de mes officiers, l’adjudant de bataillon Gerdes,

qui était lui-même acteur de métier et aurait pu être sollicité le plus souvent, refusait à

l’époque pendant longtemps, de montrer en temps de guerre des échantillons de son talent.

J’avais aussi invité au repas le lieutenant-colonel von Crailsheim, à l’époque commandant du

régiment. Il vint avec plaisir et raconta ce soir là, jusque vers minuit, plus d’un souvenir hilare

de ses anciennes campagnes. Il relatait par exemple « en 1866, il se trouva un jour que des

cavaliers hussards venaient à notre rencontre, nous wurtembergeois, et nous ne savions pas

s’il ne s’agissait pas de prussiens ennemis et si nous devions ou non tirer, parce que les

hussards alliés turques portaient des uniformes identiques à ceux des hussards prussiens. Sur

ces entrefaites, un de nos officiers interpela les hussards en approche, ‘’Êtes-vous des

Prussiens ?’’ ce qui les fit se disperser. Nous savions par conséquent que c’étaient des

ennemis et ouvrîmes le feu. ».

Je peux honnêtement dire que nous mettions un point d’honneur à ce qu’officiers et

hommes de troupe restent toujours d’une humeur avenante et optimiste. Le capitaine de la

9ème

compagnie entonnait avec ses hommes dans l’abri, des chants de soldats et des chansons

populaires, aussi longtemps que l’artillerie française arrosait ses positions. Ses hommes

avaient à souffrir au premier chef de l’eau présente dans les tranchées et les abris. Hélas, l’eau

était à l’époque la principale responsable de beaucoup d’affections rhumatismales des années

durant ou à vie. Je me remémore par exemple qu’à mi-novembre 1915, l’eau stagnant dans les

abris voisins, « Max » et «Moritz » atteignait une hauteur telle que toute la troupe avait du

être transférée au plus vite dans l’abri suivant « Fromme Helene » (douce Hélène).

L’artillerie française avait pour cible de prédilection le ‘’moulin du haut’’ (die obere

Mühle) d’Enschingen consolidé avec le temps en une vraie petite forteresse, ainsi que les

abris proches du clocher de l’église de Brinighoffen visible de loin, qui procurait une mire de

choix. C’est la raison pour laquelle le clocher fut condamné à être détruit le 27 juillet 1915. Le

foudroiement laissa une scène étrange. La tour s’éleva dans la masse de son entière structure

architecturale vers le haut avant de s’effondrer ensuite sur elle-même. À partir de ce jour, les

abris autour de l’église connurent plus de répits.

Encore dans mon secteur, en contrebas de Brinighoffen, se trouvait un deuxième

moulin, le moulin du bas (die Niedermühle), qui fut occupé en octobre et novembre par des

dragons de la défense territoriale. Là, les dragons élevaient un jeune lion, cadeau de

Hagenbeck. L’animal, qui avait déjà atteint la carrure d’un saint-bernard, pouvait parfois

s’ébattre en plein air, sous surveillance, jusqu’à ce qu’un jour il fut abattu par un soldat de

l’armement à qui la bête avait chipé sa viande et s’était cru attaqué. Du reste, les dragons de la

Territoriale étaient toujours des joyeux drilles. Alors que je traversais pour la dernière fois

leur position, le 15 novembre, la sentinelle de la tranchée me fit le rapport : « Rien de neuf à

signaler – simplement notre tranchée à été copieusement mitraillée la nuit dernière. ». Un

autre dragon ne s’en fit pas, le même jour, passant par le contrôle postal, il avait adressé 4

lettres à 4 « chéries » dans des localités autour de Mulhouse où il avait déjà été cantonné.

Toutes le 4 lettres commençaient dans les mêmes termes : « à ma Rose aimée », « --

Madeleine », «-- Marie-- », « --Jeanne --», chacune était rédigée dans les termes identiques,

qu’il se réjouissait de les revoir.

11

En haut de la cote 293, on avait un large vu vers le nord. Si par conséquent, à partir de

cet endroit, on était contraint de voir et entendre comment la position d’Ammertzwiller était

submergée par le feu des Français, et que nous étions dans l’impossibilité de savoir ce qui s’y

passait, le sentiment frustrant de ne pouvoir apporter une aide restait toujours présent. Lorsque

le 15 août, sur notre droite, en provenance du Lerchenberg près d’Ammertzwiller, des

cuirassiers et des dragons à pied français avaient pénétré nos lignes, mais par bonheur avaient

pu être à nouveau refoulés, ce succès ne nous fut seulement connu le lendemain. On pouvait

apercevoir aux jumelles dans la position avancée française en face de Balschwiller, chaque

meurtrière et chaque tête qui s’y mouvait. À contrario, les batteries françaises étaient

tellement bien camouflées que nous ne pouvions pas établir avec certitude leurs

emplacements. À la suite d’un tir d’effet de notre artillerie sur les positions ennemies près des

écluses du canal, j’eu l’occasion de rencontrer dans la tranchée, c’était le 6 octobre,

l’infatigable général de notre artillerie Pohl. Le général me demanda en riant si j’étais satisfait

du résultat, ce à quoi je répondis : « Oui, j’en serais encore plus satisfait si notre artillerie ne

bombardait pas uniquement les positions d’infanterie ennemies, mais également les batteries

ennemies. Car nous recevons les jours à venir, en réponse à chaque coup, trois fois ou

d’avantage la monnaie de notre pièce à l’endroit de notre position d’infanterie. ». Le général

sourit à nouveau et dit : «Oui, si vous me dites avec exactitude où se trouvent les canons

français, alors la prochaine fois nous bombarderons les canons. ». Ceci ne nous arriva

pas…Cela devait être en fait le sort de l’infanterie.

Pendant tout ce temps, la technique d’établissement des positions continuait

inlassablement à s’améliorer, aussi bien auprès de la 7ème

division territoriale que dans la

position d’Enschingen. Derrière la première ligne de feu de la première position, une

deuxième ligne de feu fut insérée. Des boyaux de communications reliaient les deux lignes.

Le passage des relèves, des porteurs de bouteillons et l’approvisionnement en munitions était

assuré par des tranchées dédiées aussi longtemps que les tranchées de la deuxième ligne de

feu ne pouvaient plus en assurer la fonction. L’acheminement de réserves était assuré au

travers de boyaux qui menaient loin en arrière vers les villages les plus proches. À l’endroit

des tranchées visibles par l’ennemi du fait de sa position en surélévation, on les recouvrait

maintenant par le dessus. Les abris et postes de garde furent de plus en plus bétonnés et

sécurisés contre les éclats de mines et grenades. Des trous de renard (trous d’homme) hauts

d’1,4 m et large de 80 cm. comportant deux entrées et soutenues par des étais comme dans les

galeries de mine, furent creusés dans la terre à coté des abris. Avec cela, des pompes pour

évacuer l’eau d’infiltration devaient de toute façon être prêtes à fonctionner à maintes entrées.

Chaque sentinelle fut dotée d’un miroir de tranchée de façon à également protéger sa tête.

Partout furent aménagés des meurtrières encaissées, de caisses pour les cartouches, les

grenades à main, les masques à gaz et des tissus mouillés. Les obstacles devant le front furent

profondément renforcés en un vrai pêle-mêle et il y avait ainsi, de jour comme de nuit, plus

que suffisamment de travail. Seul le dimanche on ne travaillait pas chez nous, sauf cas de

nécessité, pendant que les Français piochaient également le dimanche.

Le 30 octobre, le commandant en chef de L’Alsace supérieure (Oberelsass = Haut-

Rhin), le général Gäde, vint dans ma position. C’était la seule fois à ma souvenance, qu’il

inspectait les tranchées du régiment. Il se laissa conduire trois heures durant de l’aile droite à

l’aile gauche, et prit finalement congé de moi, comme il disait, avec une excellente

12

impression. En fait, je ne me fis pas beaucoup d’illusions ; sachant depuis Mulhouse qu’un

grand éloge en ces temps-ci, pouvait avoir deux lectures.

Les succès de nos progrès dans la réalisation de positions se révélèrent d’une façon

presque miraculeuse plus tard, en décembre 1915 et janvier 1916, lors du terrible

bombardement d’Ammertzwiller. Déjà dans l’ordre promulgué par la brigade, le 7 septembre

1915, il nous avait été indiqué que l’inspecteur général des pionniers avait considéré la

position de notre brigade comme la plus aboutie dans la construction du front de l’ouest.

Quant à moi, si j’y repense maintenant, la plus part des hommes dont j’ai cité

nommément les noms dans ce paragraphe, von Crailsheim, Gundermann, Leuze, ne font plus

partie des vivants. Mais leur souvenir continuera à rester vivant en nous.

2 – Devant Ammertzwiller et dans l’enfer des labyrinthes

Tout était différent devant Ammertzwiller.

Nos lignes s’étendaient en larges arcs de cercle autour du village détruit par les tirs.

L’emplacement des deux compagnies sur les ailes n’était en fait pas mal choisi. L’aile droite

faisait face, depuis le Lerchenberg jusque vers le vallon de Spechbach (Spechbachergrund), à

la position française du Lerschenberg, à une distance moyenne de 500 mètres, avec une

convenable étendue de tir. Seul au niveau du vallon de Spechbach manquait la supervision sur

l’entre-deux front. Notre aile droite se trouvait environ à la même distance moyenne sur une

douce vague de terrain en face de l’avant-poste des Français à Balschwiller et n’en était

séparée que par une dépression partiellement marécageuse, libre à la vue. Au centre, près du

village d’Ammertzwiller, notre ouvrage avancé Sautter s’enfonçait profondément comme un

coin, depuis la route en direction de Gildwiller, vers les tranchées ennemies. Depuis que les

Français avaient gagné à leurs lignes l’entonnoir creusé au cours de l’attaque du 11 au 12

juillet, les premières tranchées des deux cotés s’étaient encore rapprochées. Et lorsque plus

tard, presqu’en décembre 1915, nous creusâmes partout dans la position d’Ammertzwiller,

des sapes en direction de l’ennemi, c'est-à-dire à la fois des issues pour l’attaque et des postes

d’écoutes , le tout premier poste de l’ouvrage avancé Sautter n’était plus distant que de

quelques mètres du plus proche poste français. J’y reviendrais plus tard (cf. p. 199). Les deux

flancs de l’ouvrage avancé ainsi que les tranchées de droite et de gauche avoisinantes

représentaient une cible commode très facile à atteindre par les mortiers de l’artillerie

française qui était positionnée en surélévation dans la forêt du mont de Gildwiller. C’était le

grand désavantage, au cours d’une guerre de position durable, d’une telle position autant

avancée sur un terrain découvert et plat comme servi à l’ennemi sur un plateau. Je me disais

souvent : « Dieu soit loué, que nous n’aillions pas poussé notre coin plus en avant après

l’attaque du 11 juillet. ». Ce n’était pas facile pour notre artillerie de prendre sous le feu la

plus proche portion de tranchée des Français près de l’entonnoir, sans mettre en danger notre

propre position, car en septembre, un de nos propres tirs de 21 cm. avait détruit le poste

d’observation bétonné à l’extrême limite de la position avancée. À l’époque, le général Pohl

avait ensuite lui-même accepté très énergiquement de se saisir de ce danger, avec succès.

13

Août et Septembre 1915

Le 19 août 1915, notre 2ème

bataillon prenait la relève du 1er bataillon, et, en raison du

commandement par le capitaine Gutermann pendant 10 jours, du 2ème

bataillon, je pris mes

quartiers avec la 6ème

compagnie juste dans la position près de l’ouvrage avancé Sautter, pour

apprendre à m’en familiariser en profondeur, - ce qui me fut d’un grand profit plu tard -

L’apprentissage ne fut cependant pas aussi rapide. Aussi simple que l’ouvrage ait pu être

présenté sur un plan, - c’était donc un coin, enfoncé profondément dans la position des

Français, à l’endroit de l’entonnoir, - dans sa réalité, pour quelqu’un qui n’y avait pas été en

service assez longtemps, cela ressemblait à un dédale et un embrouillamini de tranchées,

abris, trous d’homme, postes d’observation et postes de garde. Dans un espace des plus

restreints, derrière la toute première tranchée, avaient été ajoutées une deuxième et une

troisième ligne de feu, elles mêmes encore reliées par des boyaux. Je peux dire avec certitude

que je n’oublierais jamais ces 10 jours du 20 au 30 août 1915, passés dans ce labyrinthe. À

chacune de ces journées, l’ouvrage était bombardé avec méthode à l’aide de mines et obus de

mortiers, parfois à deux reprises le même jour. Et lors de chacune de ces 10 nuits, les

tranchées et les abris devaient être reconstruits vers 1 heure ou 2 heures du matin. Le 21 août,

un incendie s’était déjà déclaré le matin vers 11 heures dans l’ouvrage avancé. Le 22, mon

abri personnel « Haus Würtemberg » (maison du Wurtemberg), au sud de la position, encaissa de

plein fouet le tir d’un bus de mortier. Le plafond fut enfoncé, mais heureusement personne

blessé. Le 24, les Français crièrent soudain « Hourra ! » pendant le deuxième bombardement

ce même jour, à 7 heures du soir. Nous entendîmes leurs signaux et les mitrailleuses

commencèrent à crépiter. Mais ils se trompaient s’ils pensaient que nous allions remplir nos

tranchées avec nos troupes. Seul les sentinelles furent renforcées et les équipes maintenues

dans les trous d’homme prêts à l’assaut. Il n’y eut aucun assaut. Par contre un nouveau

bombardement de mines lourdes. Nos hommes ne les craignaient pas trop car on apercevait

les mines, haut dans l’air, faire la culbute, ce qui nous donnait encore suffisamment de temps

pour nous mettre à l’abri dans la majorité des cas. Ce jour, l’ouvrage avancé fut à plusieurs

reprises méthodiquement arrosé d’explosifs. Le bombardement des 28 et 29 août était

identique dans son intensité.

Lorsqu’après une telle pluie d’engins explosifs je traversais la position, à beaucoup

d’endroits les passages étaient devenus impraticables et les tranchées sur de grandes distances

presque comblées à niveau. À cet effet, la responsabilité m’incombait : comment défendre un

tel labyrinthe dans le cas d’une attaque surprise. C’est pourquoi je fis occuper chaque jour la

position à titre d’exercice et chaque homme savait bientôt précisément ce qu’il aurait à faire

dans le cas d’une attaque. À part cela, il me restait encore l’espoir qu’un ennemi qui pénétrait

ici sans s’y connaitre, se serait mis dans une situation très fâcheuse en rencontrant la riposte

d’une troupe décidée familière du terrain. Donc le mot d’ordre était ici ‘’ travailler et non

désespérer ‘’. Nous enregistrâmes le nombre de mortiers et de mitrailleuses. On mit à ma

disposition une section de pionniers et de chasseurs à pied prussiens. Les pionniers creusèrent

de nouvelles galeries en direction de la ligne française et lorsqu’ils constatèrent qu’également

l’ennemi faisait de même de son coté, ils essayèrent de contourner ses tunnels. Les chasseurs

à pied furent dotés de lunettes de visée et disposés aux endroits stratégiques.

Jamais je n’ai pu apprendre à estimer nos hommes de la Territoriale (Landwehr)

d’avantage qu’en ces derniers temps. Je connaissais par moi-même la fatigue que cela

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entraînait : le jour, chaque fois le nouveau danger des bombardements et la nuit toujours la

même astreinte de reconstruction. Avec cela, le travail était toujours urgent, impossible de s’y

soustraire. On aurait facilement pu devenir de mauvaise humeur ou indifférent, mais les

hommes de la 6ème

compagnie et plus tard des autres compagnies qui se relevèrent dans les

positions avancées, restaient toujours impavides et patients, sous le commandement

d’officiers comme les dynamiques et intrépides lieutenants Wörz et Dinckelacker,

malheureusement tous deux tombés plus tard au champ d’honneur, toujours de bonne et

amicale humeur. Aujourd’hui encore, je me découvre devant cette opiniâtre et courageuse

application de la maxime wurtembergeoise « Furchtlos und treu » (“sans peur et fidèle“). Lors

d’une bonne guerre de mouvement les jeunes troupes de l’actif peuvent gagner la préférence,

mais dans ce coriace affrontement défensif avec un travail exténuant, notre Landwehr restait

inégalable. Les hommes venaient pour la plus part du haut Wurtemberg, de la région de

Ravensburg et des arrondissements avoisinants. Ils pouvaient peut être présenter un esprit

moins vif que les populations plus âgées du bas-Wurtemberg, mais ils ‘’raisonnaient’’

également moins et étaient plus enclins à supporter les travaux exténuants et toutes les autres

contraintes de la guerre.

Il était plus que jamais nécessaire qu’officiers et hommes de troupe restent étroitement

proches. Ainsi, nos supérieurs de plus haut rang, le commandant de brigade, général Mathn, et

le commandant de division, général Wenscher, vinrent par deux fois en journée dans

l’ouvrage avancé pour saluer officiers et hommes de troupe. Lors d’une de ses visites, le

général von Wenscher aperçut par hasard un écriteau sur un abri avec l’inscription Walhalla,

qui du reste devait se rapporter à un lieutenant Wall. « Un bien beau nom » dit le général

devant le sous-officier présent devant lui, « savez-vous ce que cela signifie ? » Le sous-

officier répliqua, bon enfant : « non, Excellence, je n’y ai jamais mis les pieds. » Ce à quoi le

général répondit : « à cet endroit arrivent les héros défunts, et vous pouvez bien aussi vous-

même y arriver une fois.». Pendant ce temps, j’entendis derrière moi un servant de

mitrailleuse murmurer : « c’est tiré de la mythologie grecque des Dieux. ». Je ne raconte pas

cela d’une façon légère mais en tant qu’histoire triste. Car elle montre la futilité de la

transmission au peuple, à l’époque, des plus belles et plus significatives épopées de la

mythologie germanique des Dieux et des Héros. Espérons que cela puisse être changé !

On ne peut pas s’étonner que l’état nerveux de nos hommes ait souffert de telles

situations et à l’époque, bien des choses s’étaient révélées que d’ordinaire on ne penserait pas

compréhensibles. Le 9 septembre au soir, après que la 8ème

compagnie se soit installée dans la

position près de l’ouvrage avancé, une sentinelle de la compagnie abattit près de l’ouvrage, le

voisin qui se tenait de l’autre coté du même épaulement et qu’il avait pris pour un Français en

incursion. Le matin suivant, des restes de cervelle collaient encore à l’épaulement. Au même

chapitre, quelque peu moins tragique : plus tard, il advint qu’un rêveur agité s’exclama dans

l’abri du 123ème

« Berta, Berta, que fais-tu donc dans le réseau de barbelés ? » Et cet appel fit

bientôt très vite le tour du régiment.

Du reste, le calme régnait à et autour d’Ammertzwiller durant tout le mois de

septembre. Au moins les tirs de destructions ennemis sur l’ouvrage avancé Sautter ne se

répétaient-ils plus jour après jour. J’avais personnellement repris le commandant du 2ème

bataillon et déménagé mon point de chute dans l’abri du bataillon près de la ruine de l’église

qui devait plus tard, pendant un certain temps, devenir mon chez-moi. Le 23 septembre,

15

j’écrivais à la maison : « chez-nous, le passé est toujours d’actualité : grenades et mines,

tranchées labourées par l’artillerie et réparations. Sinon, rien.».

Sur l’aile droite de la compagnie affectée à l’ouvrage avancé se trouvait, en direction

de Balschwiller, un plus petit poste avancé, bâti en saillie, baptisé ‘’Dragonervorwerk’’

(ouvrage avancé des Dragons) en raison de son occupation, à l’époque en août jusqu’à mi-

septembre 1915, par les sections des deux escadrons wurtembergeois de la Territoriale, Prince

Walberg-Zeil et de Greiff qui s’étaient relevés. Lorsqu’au cours de mes déplacements

quotidiens au travers de mon secteur j’arrivais à la position avancée des Dragons, j’y trouvait

à deux reprises le commandant prince Walberg-Zeil, qui plus tard devait trouver la mort du

brave dans le nord de la France, fumant une courte pipe et assis sur l’issue de la tranchée,

autour de lui quelques dragons de la Landwehr qui écoutaient ses paroles. Il lui aurait été

facile d’obtenir une affectation plus agréable, mais il avait décidé d’être au front. Par une

belle et douce soirée de septembre, entre 10 et 11 heures, de la portion de tranchée qui faisait

face à l’avant-poste des Dragons, émanait le son d’un violon joué par un Français. Il parvenait

avec cette prestation de violon à émouvoir nos dragons à tel point qu’à la fin, contrevenant à

l’interdiction de communiquer avec l’autre coté, des « bravo ! » forts et enthousiastes fusèrent

vers l’autre coté. Le violoniste s’étant senti honoré, remercia avec un ‘’bis’’. « C’est

certainement un grand artiste » me raconta un vice-adjudant dans la tranchée voisine, « car

son interprétation était mélodieuse comportant même des trilles. ».

Lorsque je repassais à la même heure, en septembre, au travers de la tranchée de la

5ème

compagnie en direction du Lerchenberg, j’aperçus pendant au cou d’un homme de la

défense territoriale qui était justement entrain de se laver, une médaille. Je la détaillais.

L’homme s’excusa inutilement et dit : « Je suis protestant, mais ma sœur qui est mariée à un

catholique me l’a offerte, elle garantirait une bonne protection.». Il rajouta que les camarades

catholiques portaient presque tous une effigie de la Mère de Dieu dans un sachet sur la

poitrine ou également des fleurs bénies. Je pouvais bien le comprendre. Porter un tel signe en

guise d’un amour fidèle et soucieux, rassure les gens.

Entretemps, sur le 3 septembre, le régiment fut rappelé pour participer à une parade

devant le roi sur le champ de manœuvres de Habsheim, près de Mulhouse. Pour cette durée,

un régiment prussien prit ses quartiers dans la position. Mes hommes auraient préféré rester

là, étant obligés très vite de revenir dans la position d’Ammertzwiller. La double transmission

des consignes, faire les paquetages, le remodelage dans un registre de parade, et les exercices

de pas cadencés amenaient beaucoup de travail et d’agitations.

Je fis installer le quartier de commandement à Schlierbach et y fit là, la connaissance

d’une paysanne alsacienne de l’espèce la plus désagréablement dévote. Toute la maison était

tapissée d’images de saints, et un des fils était devenu prêtre à Épinal, mais elle-même se

présentait à nous, qui faisions aussi malgré tout partie de son voisinage, sous un jour vraiment

très détestable. C’est ainsi qu’elle refusait de me montrer la chambre, ce n’est pas possible,

me disait-elle, car le conduit d’évacuation s’était bouché. On n’avait en fait besoin que de le

ramoner convenablement. Après cela le feu brûlait très bien. Sur ces entrefaites, elle s’énerva

d’une façon calculée qui lui permit de s’aliter arguant être malade. Grâce à dieu, il y avait

également des femmes de paysans alsaciennes très prévenantes à l’encontre du voisin. Aussi

longtemps que je résidais encore à Ammertzwiller, j’avais également à Bernwiller un siège

d’état major de régiment en tant que quartier de secours, pour les jours de visite et de compte-

16

rendu auprès du commandant du régiment, en fait sous le toit d’une femmes de paysans, cette

fois mère de 7 enfants, tous mineurs. Pour ceux-ci, elle avait construit elle-même un abri

recouvert de bois, de cailloux et de fumier. Lorsqu’il arrivait que Bernwiller soit bombardé,

elle rassemblait, à l’image de la mère-poule, ses poussins autour d’elle dans l’endroit le plus

sûr de l’abri et lorsqu’une fois j’avais été personnellement présent dans la maison, elle vint

me chercher en toute hâte pour m’offrir la meilleure place.

Période hivernale. Mi novembre 1915 à fin janvier 1916

Lorsque je fus nommé commandant du 2ème

bataillon et retournais d’Enschingen dans

la position d’Ammertzwiller, le commandant en chef français devant Ammertzwiller, qui

avait appliqué en août son plan de tirs de destruction quotidiens sur l’ouvrage avancé Sautter

et les tranchées adjacentes en vue de les fragiliser, n’était plus revenu. Il avait à présent décidé

d’une autre stratégie : économiser les munitions dans la guerre de position journalière et à la

place, chaque fois pendant des durées plus longues, après une préparation bien réfléchie,

noyer sous un feu roulant encore jamais délivré, une portion définie et délimitée de notre

position d’Ammertzwiller. Il devait certainement espérer pouvoir d’un seul coup, avec pleine

certitude, administrer à cette portion de terrain des brèches béantes dans notre ligne de feu,

après avoir annihilé tout ce qui était vivant et équipements. Il choisit à nouveau pour objectif

ad hoc à cet effet, fin novembre, l’ouvrage avancé Sautter avec les tranchées adjacentes, sur le

nord jusqu’au milieu du village d’Ammertzwiller, et sur le sud jusqu’à environ l’abri Haus

Würtemberg, délimitant ensemble une bande étroite de tout juste 300 mètres de large. En ce

qui concerne la profondeur, le feu roulant ne devait s’étendre que jusqu’à l’abri de mon poste

de commandement de bataillon, près de la ruine de l’église et jusqu’à la batterie 243 qui avait

été ramenée dans notre proximité.

Les 28 et 29 novembre, cette langue de terrain fut prise sous le feu d’engins de tous

calibres et de mortiers lourds, cependant, nous ne nous doutions pas encore ces jours là, que

l’ennemi n’effectuait que des tirs de réglages. Le 29 novembre, les Français réussirent

véritablement à ensevelir nos premières tranchées de l’ouvrage avancé et de détruire 7 abris

souterrains dans et avoisinant l’ouvrage. Malgré cela, nous n’avions à déplorer aucune perte

au cours de ces journées, nos hommes ayant appris à se mettre efficacement à couvert dans les

trous de renards.

Mais ensuite, le 1er décembre, précisément à midi de notre heure, commença le feu

roulant dont l’efficacité était dirigée par 3 aéroplanes qui survolaient en cercle la forêt de

Gildwiller. Nous n’avions encore jamais vécu un tel vacarme d’enfer et un tel vomissement de

départs de feux, éclairs sur éclairs. Celui qui avait oublié de se boucher les oreilles avec des

boules de coton – mais qui aurait pu y penser au départ – s’exposait à des dommages pour son

tympan. Cela m’était arrivé à l’époque. Après 45 minutes, le feu marqua une pause durant

trois heures, puis repris de plus bel, avec une intensité doublée. Jusque vers 4 heures de

l’après midi, une grêle drue de plus de 3000 grenades et plus de 500 mines de gros calibres

s’abattit sur nous. L’information qu’une brèche avait lardée notre réseau de barbelés à gauche

de notre ouvrage me parvint encore. Ensuite, les lignes de communications vers l’avant et

17

vers l’arrière furent arrachées. C’est seulement plus tard que j’appris que le commandant de

régiment, derrière nous à Balschwiller, s’était déjà apprêté à avancer vers Ammertzwiller avec

la seule compagnie de réserve disponible aussitôt que l’ennemi essayait d’opérer une

incursion. Dans mon abri du bataillon il y avait, à part mon adjudant et nos deux

ordonnances, seulement les plantons de liaison de la 4ème

compagnie. Nous étions donc deux

officiers et 6 hommes de troupe. Notre emplacement d’observation resta continuellement

occupé. Le planton de liaison de la 5ème

compagnie, un réserviste Amann, s’était porté

volontaire à ce poste et en effet, il endura avec un rare sang-froid, en plein milieu des impacts,

coups après coups, des explosions de grenades, sans avoir été blessé miraculeusement. Entre

temps, j’entendis en provenance de la galerie, à l’époque encore inachevée et mitoyenne à

l’abri, des autres équipes, proférer la sentence : « Cette fois-ci notre dernière heure a sonné ».

Sur ce, je fis distribuer immédiatement le double en réserves de munitions, mettre la

baïonnette au canon, de façon à ce que, dès l’arrêt du feu roulant et l’avancée de l’ennemi,

nous puissions reculer vers l’ouvrage avancé et vendre notre peau aussi chèrement que

possible. En de tels moments, on ne peut pas laisser les hommes en prise avec leur propre

pensée, mais il faut au contraire la canaliser selon un plan défini, peu importe la façon de

laquelle son exécution soit après coup réalisée. Mais étonnamment, le Français n’essaya pas

d’avancer. Son intention était probablement de presser le commandement en chef allemand de

faire retirer des troupes du Hartmannswillerkopf pour les déverser sur la position fragilisée

d’Ammertzwiller.

Dés le crépuscule tombant, les travaux de remise en état prêts pour le combat furent

bien entendu entrepris et lorsque le matin du 2 décembre commença à poindre, les réseaux de

barbelés et les premières lignes de feu étaient à nouveau partiellement restaurés, les abris

recouverts de toitures de fortune. Lorsqu’au cours de cette nuit de travaux de reconstruction je

m’adressais à mes hommes, je ne reconnus plus du tout ma propre voix. Celle-ci m’apparut

beaucoup trop haute et lointaine, pareille à celle d’un enfant. Mais ce n’était qu’une illusion,

car l’ouïe ne faisait plus son office habituel. Si je devais décrire ce ressenti qui m’avait touché

après un tel vécu, je ne puis que dire que je me sentais comme un homme à qui avait été

offerte à nouveau la vie. Aucun autre sentiment n’émergeait plus, ni haine ni désir de

vengeance, ni crainte, ni espoir, seulement la gratitude.

Le 4 janvier 1916, le même scénario se répéta. Cette fois, le commandement français

avait choisi un autre secteur de ma position, sur l’est d’Ammertzwiller : la position avancée

Dragon à présent occupée par la 8ème

compagnie et les tranchées adjacentes des 8ème

et 6ème

compagnies. Cela représentait à nouveau une relative bande étroite de pas plus de 400 mères

de large. Après que l’artillerie française eut procédé à des tirs de réglage le 3 janvier, une

sentinelle de la 6ème

compagnie postée près de l’ouvrage avancé Sautter entendit une voix en

provenance de la tranchée ennemie, apparemment celle d’un Alsacien, nous crier en

allemand : « Attendez seulement, bientôt on vous rendra la monnaie de votre pièce ». Du reste

un mauvais exemple du manque de discipline chez l’ennemi.

Puis, le 4 janvier, 9 heures, débuta le feu roulant. Je me trouvais justement en

compagnie de mon adjoint, le lieutenant Sanders, dans une sape devant la position de la 6ème

compagnie lorsque les premiers obus au phosphore explosèrent. Une pause dans les tirs nous

permit de nous rendre dans l’abri du bataillon d’où on pouvait seulement avoir une vue

d’ensemble de la situation. Un mélange infâme de feu, fumée, poussières et mottes de terre

18

recouvrait devant nous sur notre gauche, la position de la 8ème

compagnie du capitaine

Wagner. De surcroit, l’air fut saturé d’un terrifiant fracas et d’une détestable odeur de

phosphore. Jusqu’à 4 heures de l’après-midi, sur une surface à peu de chose prêt aussi étroite

que celle du 1er décembre, furent déversés 6000 grenades de tous calibres, jusqu’au 22

centimètres, et un grand nombre de mines. L’ouvrage avancé Sautter et l’abri du bataillon

n’avaient écopé cette fois-ci que du superflu.

En ce jour, j’éprouvais depuis le début un doute quant à la velléité des Français à

attaquer sérieusement avec l’infanterie en plein jour, car notre position en face du

retranchement fortifié de Balschwiller se prêtait moins bien à une percée. Du fait que leurs

troupes d’assaut, après avoir enfoncé notre ligne de feu, se seraient retrouvées sur un terrain

en légère pente descendante sur lequel, sans protection, en plein jour, ils auraient prêté le

flanc au feu de nos armes.

Ils ne vinrent donc pas. Ils réussirent à nouveau de mitrailler méthodiquement nos

notre position, notamment l’ouvrage fortifié Dragon qui après-coup ne ressemblait plus qu’à

un méchant tas de décombres. Mais la résistance de nos installations se révéla cette foi-ci de

façon plus éclatante au grand jour. Suivant mes observations, les tirs des canons ennemis

impactaient bien sur notre position et malgré cela, les 6000 obus tirés n’occasionnèrent que

très peu de dégâts. On me rapporta 3 blessés pour cette nuit.

Dans le rapport de guerre du commandement des armées français, il fut notifié

après : « 4 janvier, 11 heures du soir. Dans les Vosges, tirs efficaces sur les installations

ennemies, dans la région de Balschwiller, au nord-ouest d’Altkirch. Les tranchées ennemies

ont été détruites. Un dépôt de munitions a sauté. ». Nous apprîmes seulement à ce moment là

que nous avions un dépôt de munitions. Je n’en avais jamais eu connaissance. Peut être

quelque part des cartouches de fusil dans des caisses à munitions avaient-elles explosées dans

la première ligne de feu. Et les tranchées. Partant de là, tout fut remis en état en quelques

nuits. Qu’y avait-il là comme succès ? Aucun.

Quelques jours plus tard, je fus moi-même appelé à présenter au régiment un rapport

concernant mes observations au cours les deux tirs de feux roulants des 1er décembre 1915 et

4 janvier 1916. Je pouvais en tirer le plus important des enseignements dans le fait que

pendant le lourd bombardement d’artillerie les trous de renard ou les galeries avaient

remarquablement résistés. Sous seule condition de leur utilisation sans risques, leurs deux

issues devaient constamment maintenues ouvertes. Mais en dehors de la sentinelle dans sa

guérite bétonnée, il était également nécessaire que des officiers ou sous-officiers intrépides

délaissent de temps en temps leur galerie et gardent un œil sur l’avant des lignes. Par contre,

les meurtrières dans la ligne de feu n’auraient aucune utilité pendant une attaque. On devait

tirer par-dessus la crête de feu. Suite à cet exposé, un ordre de la brigade du 17 janvier

spécifiait que tous les officiers de la brigade était tenu de le lire.

Si je repensais plus tard à mes expériences à Ammertzwiller ou si j’y repense

aujourd’hui, je devais toujours, et je le dois encore aujourd’hui, affronter avec la plus grande

détermination les oiseaux de mauvais augure qui élevaient la voix de leur ignorance à

l’encontre de toutes les instructions concernant la protection aérienne passive, arguant que

nommément les abris sous les maisons ne servaient à rien car les maisons seraient traversées

jusque dans les caves par les engins de gros calibre…… Au matin du 12 juillet 1915, mes

recrues ne disposaient encore d’aucune galerie. Elles se tenaient dans des abris de fortune, la

19

plus part du temps seulement recouverts provisoirement de madriers et de terre, qui ‘’en

théorie’’ ne devaient même pas protéger contre l’impact direct d’une grenade de calibre 7,5

cm. Et cependant, au cours du lourd bombardement d’artillerie et de mortiers de cette

matinée, nos hommes dans ce genre d’abris, avaient à déplorer relativement peu de pertes en

plus. Car même dans le cas d’un feu roulant, il ne reste pas plus probable qu’une grenade

ennemie ne tombe verticalement, de plein fouet, au milieu de la couverture de l’abri. Nos

hommes étaient protégés dans ces abris de fortune des innombrables éclats de grenades et de

mines. Il est bien entendu qu’une bombe larguée d’un avion peu traverser une maison jusque

dans l’abri de la cave. Mais d’abord, une bonne partie des bombes tombe sur des routes, des

places, des jardins, des cours et des entrées. Une autre partie impacte sur la terre et sur

d’autres parties de maisons qui n’ont pas de caves, une troisième partie explose trop tôt pour

quand même aller finir sa course dans les soubassements. Ceux qui sont assis en bas dans

l’abri anti-aérien, restent protégés pour au plus 95 dangers sur cent, certainement pas de tous.

C’est la raison pour laquelle les abris anti-aériens sont de la plus haute efficacité. Je sais bien,

les pessimistes ajouteront plus loin, bon, mais alors les gens dans les abris seront tués par les

gaz. Mais des parades existent également contre ce danger au travers de masques à gaz et de

moyens d’isolation. Bien entendu pas avec une totale sécurité, mais, si je ne puis avoir le

meilleur, je prends le bon et peut être trouvera-t-on un jour un moyen pour dissiper les gaz

d’une façon plus rapide. Pour finir, encore une considération d’ordre générale d’une vaste

signification : la Croix Rouge, présente chez tous les peuples, devrait être d’avantage et de

plus en plus sollicitée pour avoir la haute main sur la protection des populations ne prenant

aucune part active au conflit, les femmes, les enfants, les vieillards. Ile serait quand même

déplorable pour toute la ‘’culture’’ des peuples, sans même parler de christianisme, s’il ne

devait pas être possible d’interdire de lâcher des bombes au gaz toxiques sur des villes

désarmées. Un tel peuple qui désire s’y opposer, et se targuer d’être un ‘’peuple de culture’’,

peut-il aller à l’encontre de telles propositions sur la durée ? Je suis d’avis que les possibilités

qu’a la Croix Rouge à se doter de moyens d’action pour atténuer l’horreur abominable de la

guerre aérienne et chimique, ne sont encore longtemps pas taries. Les états devraient garder

beaucoup plus à l’esprit cette voie et se ranger avec enthousiasme à l’avertissement de notre

chef et chancelier du Reich, Adolf Hitler, dans son discours au Reichstag, le 21 mai 1935, en

référence à une pareille convention de la Croix Rouge qui existe pour les blessés et les

prisonniers devenus sans protection, défendre de la même façon la guerre de bombardement

contre la population civile sans défenses et finalement l’interdire totalement.

Début décembre 1915, notre L.I.R. 123 (123ème

régiment d’infanterie territoriale) reçut

l’ordre du chef d’état major de corps d’armée Gäde, de creuser dans la position

d’Ammertzwiller 35 sapes, c'est-à-dire des boyaux à ciel ouvert, depuis notre ligne de feu en

direction de l’ennemi, si possible sur 100 ou 150 mètres. En même temps, les localités situées

directement sur le front et celles lui étant immédiatement contigües, devaient enfin être

évacuées de leurs habitants. Au départ, nous ne connaissions pas le bien-fondé de ces sapes.

Je n’étais en fait qu’un petit sous-chef. Mais nous pouvions penser en nous-mêmes que cette

fois-ci, se préparait une offensive de grand style, sur un large front. Donc, les sapes furent

creusées suivant les ordres. En quelques nuits, on y adjoignit d’autres unités de troupes à

disposition. Car j’aurais été incapable avec mes propres hommes d’effectuer un tel travail en

si peu de temps.

20

Il n’était pas possible de préparer les sapes planifiées 16, 17 et 18 sur de plus longues

distances à partir de l’ouvrage avancé Sautter – la position se trouvait environ au milieu de

l’aire d’attaque. La sentinelle dans la tête de sape 17 à la pointe de l’ouvrage ne se trouvait

déjà plus qu’à seulement peu de mètres de la sentinelle française voisine. Oui, on peut se

demander comment cela aurait pu être possible avec les armes d’aujourd’hui. Cela était

possible et resta possible pendant des jours, des semaines et plusieurs mois. Les deux

sentinelles, l’allemande et la française, étaient enterrées à tel point que l’une ne pouvait

apercevoir au plus qu’une partie de la têtière du casque de l’autre. Les deux devaient se

considérer comme ennemies dans la vie, même si elles ne se connaissaient pas. L’une

entendait l’autre tousser et éternuer. L’une ne pouvait pas tirer sur l’autre lorsque l’autre

restait au fond de la tête de sape. Lancer des grenades était impossible sans mettre en péril sa

propre vie. Car entre les deux postes de sentinelles, le terrain parsemé de cratères de grenades

s’étendait dans un enchevêtrement infranchissable de barbelés, chevaux de frise et d’autres

entraves en bois de différentes dimensions. Le tout parsemé de chausse-trappes. Cet

enchevêtrement au travers duquel il était impossible de lancer, était également suspendu au

dessus de la tête des deux voisins ennemis. Les deux ne pouvaient qu’observer et faire

attention à ce que l’autre n’entreprenne rien. Aussi tôt que l’un aurait fait mine d’exécuter une

sortie, il aurait été abattu au fusil. Les deux auraient pu converser, sans élever la voix. Ils ne le

firent cependant pas, mais étaient heureux d’être relevés, la peau sauve. J’étais presque

quotidiennement, également la nuit, dans cette sape comme dans d’autres dehors, et y

emmenais à plusieurs reprises mon commandant de régiment et les généraux qui venaient

dans la position. « Pas parler » les priais-je à chaque fois, et personne ne parlait. C’était

toujours pour le visiteur inaccoutumé, une randonnée étrange de se trouve dans la proximité

immédiate de l’ennemi en arme.

Après le 4 janvier, le régiment se rapprocha d’avantage de façon à ce qu’à partir de ce

moment, chaque bataillon garde une compagnie en réserve. Je me dégageais de la position du

Lerschenberg, mais me maintenais dans celle la plus menacée d’Ammertzwiller.

Trois jours de festivités se profilaient au cours de ces mois d’hiver, la fête de Noel, la

fête du Nouvel An et le 27 janvier, l’anniversaire de l’empereur. Je n’autorisais pas d’allumer

un arbre le soir de la veillée de Noel. Paix sur la terre et aux hommes de bonne volonté, ce

n’était plus à l’ordre du jour. Par contre, je sillonnais les tranchées des premières lignes et

visitais de nombreux abris. Pluie et orage régnaient dehors. Les Français illuminaient leur

avant-front avec beaucoup de fusées en forme de boules lumineuses. Mais dans les abris, les

hommes de la relève se tenaient autour de petits arbres de Noel, sereins et de bonne humeur,

parlant du pays. Ils étaient tous en grande majorité des pères de famille. Ils me montraient les

vœux envoyés par leurs proches, et parlaient volontiers de leurs femmes et de leurs enfants. Et

à l’instar de mes hommes, je pensais aussi à mon épouse et aux enfants, comment ils se

tenaient pacifiquement autour du sapin de noël, mangeaient à l’instar d’un suédois sa bouillie,

leurs mets de noël, et à la fin, les enfants écouter la mère leur lire un extrait des psaumes et du

nouveau testament. Des dons charitables (Liebesgaben) furent échangés. Mon ami Ferdinand

Auberlen de Stuttgart, avait, comme déjà souvent par le passé, ravi nombre d’hommes de la

Territoriale avec des présents. Du reste, le mot d’ordre était : « Ne pas s’attendrir. Rester

vigilant et garder la tête haute. ». Lorsque j’arrivais tout juste à l’abri des blessé, le cantique

‘’Douce nuit, Sainte nuit’’ fut entonné, alors que les canons français recommençaient à nous

21

envelopper de leur tonnerre. Seul le chef de la 5ème

compagnie s’était résolu à s’offrir un festin

dans son abri. A mon arrivée, il y avait au menu, comme entrée au repas, une salade italienne,

du homard avec champagne. Dans d’autres abris, les hommes attendaient les nuits suivantes

jusqu’à ce que j’arrive jusqu’à eux pour allumer à ce moment-là leur modeste petit arbre.

Le 29 décembre, le nouveau commandant du régiment, le lieutenant-colonel

Vowinckel, apparut dans mon abri pour m’apporter personnellement une bouteille de vin du

Kaiserstuhl. Quelques semaines auparavant, il avait pris le commandement d’une main ferme

et restructuré son état-major avec des hommes qui avaient toute sa confiance. Il n’était pas

aussi affable et paternel envers les hommes de troupe et jeunes officiers comme l’avait été son

prédécesseur. Il s’entendait mieux avec les bêtes, chevaux et chiens. Mais s’était un homme

de fort caractère et un homme sur lequel on pouvait compter les yeux fermés. Je l’ai toujours

hautement estimé et me réjouissais à chaque fois qu’il venait ou lorsque j’étais convoqué à

l’état major du régiment à Bernwiller.

La nuit de la St. Sylvestre, vers 12 heures, nos hommes envoyèrent un feu nourri sur

les postes de sentinelles françaises. Mais lorsque trois quarts d’heure plus tard minuit sonnait

chez les Français, le silence continuait à régner d’une façon surprenante. Du reste, l’ambiance

chez nous restait atténuée. Car il pleuvait et ventait comme la veille de Noel. Et pendant ces

jours, le grondement des canons ne voulait pas s’arrêter de retentir au Hartmannswillerkopf.

Une fois même, le bruit courait que les Français étaient à Cernay jusqu’à ce qu’enfin, huit

jours plus tard, à notre grande joie et soulagement, on nous annonça une brillante victoire de

l’armée allemande. Lorsque je revins vers minuit de la tranchée vers mon abri, je fêtais encore

à ma manière la fin de l’année pendant une heure dans le silence : dans le fait que je me

demandais précisément ce qui pouvait bien rester de ses propres actes de l’année qui vient de

s’écouler, ce qui est traduit dans la lettre de Jacques lorsqu’il y est dit : « Mais soyez l’acteur

de la Parole et pas seulement l’auditeur ! ». Je devais malheureusement reconnaître, un peu

dépité, que la facture avait pu être soldée avec gratitude, mais bien mieux qu’en temps de

paix. Je ne suis certes pas ennemi des fêtes joyeuses, mais que tant de gens s’échangent des

souhaits avec complaisance juste à la St. Sylvestre, est un signe trouble et je n’ai jamais

compris cela. S’il existe un soir dans l’année qui devrait nous inciter à faire notre examen de

conscience et à méditer, c’est bien le dernier soir, et là se trémoussent tant de jeunes écervelés

qui se prennent bien trop peu de temps pour appréhender le sens et le but de la vie, pour

passer dans la nouvelle année comme des papillons attirés par un nouveau rayon de soleil.

L’anniversaire de l’empereur fut célébré par la 7ème

compagnie sous le commandement

du capitaine Faber, futur président du sénat auprès de la cour d’appel régionale de Stuttgart,

d’une manière sensée dans le fait que, dans la nuit du 26 au 27 janvier, le capitaine Faber fit

déployer dans le no man’s land devant le front occupé par sa compagnie, un drapeau de quatre

mètre de long, aux couleurs noir-blanc-rouge, en forme d’étendard. Le 27 janvier, l’étendard

claquait librement au vent. Les Français ne purent résister de le prendre comme cible, et

lorsque la nuit suivante il fut amené, la toile comptait 21 perforations. Je repensais plus tard

souvent à l’image de l’étendard devant le front – nous n’avions pas de drapeau de bataillon –

lorsque pendant la période révolutionnaire de 1919, le drapeau fut changé. Les personnes qui

ne participaient pas à la guerre, ne pouvaient pas comprendre ce que cela signifiait pour nous.

C’était une mauvaise habitude non sans danger de la part des Français de héler les

nôtres parfois le soir et la nuit. Cela était d’autant plus aisé au niveau de l’ouvrage fortifié

22

Sautter du fait de la proximité des positions se faisant face. Les épithètes étaient la plus part

du temps de grossières injures comme ‘’boches’’, ou ‘’cochons d’allemands’’ ; une fois aussi

‘’crapules de Ravensburg’’, après qu’ils eurent appris probablement par un alsacien que

notre régiment comportait de nombreux hommes issus de Ravensburg. Le bataillon de réserve

était également stationné à Ravensburg. Avec d’autres vocables, le français essayait de saper

l’ambiance chez nous, comme avec la répétitive mise en garde : « Russie kaput, l’Allemagne

bientôt kaput, la France aussi bientôt kaput. » Quelqu’un rajouta aussi une fois « vive

l’empereur d’Allemagne ! ». À chaque fois qu’on me rapportait ces invectives, je me

demandais s’il n’y avait pas d’officiers de l’autre coté, et si ces officiers pouvaient n’éprouver

aucune compréhension au travers de ces injures dans le fait que chez nous il existe de braves

soldats qui se battent pour leur patrie. Il arrivait malheureusement aussi chez nous, d’une

façon isolée, que les nôtres n’arrivent plus à se maîtriser assez devant les insultes pour garder

le silence. L’un des nôtres renvoya une fois de l’autre coté – on était déjà début février1916 -

: « Est-il exact que le roi du Monténégro a été embauché à Belfort, chez les sapeurs-

pompiers ? ». Là au moins il y avait un peu d’humour troupier ! Ce à quoi le français

répondit : « Ce n’est pas vrai du tout que vous avez conquis la Serbie et le

Monténégro ! ».Une fois suivante, l’un de chez-nous qui comprenait quelques bribes de

français se prit à répondre d’une façon insensée à une question venant de l’autre

coté : « voulez-vous des cigarettes ? » par « avec plaisir », à quoi l’autre coté répliqua

immédiatement par un coup de feu. Ce sont de simples histoires mais en fait c’était tout juste

la réalité et les gens y faisaient toujours allusion. Lorsque par hasard j’entendis parler de

l’absurdité des réponses, le contrevenant fut immédiatement révoqué pour manquement à la

discipline ; car il est probable que les Français essayaient avec la complicité de quelques

malins Alsaciens de délimiter la provenance géographique des troupes adverses, au travers de

l’éventuelle consonance dialectale des réponses.

Le 12 janvier, vers minuit, un transfuge français me fut présenté. Un imbécile, doublé

d’une canaille. Il avait avec lui deux miches de pain blanc et lorsqu’il arriva au niveau de la

sentinelle de la 7ème

compagnie devant les réseaux de barbelés, il éleva très haut au dessus de

lui l’une des deux miches dans le reflet de la lune, ce niais pensant que le soldat allemand

‘’affamé’’ allait tomber en pamoison devant cette vision. Mais le soldat allemand avait lui-

même suffisamment à manger, et son pain noir avait bien plus de saveur, de valeur

nutritionnelle et était plus sain que le pain blanc sec des Français. J’écrivis dans mon

journal : « Ce benêt est une trouvaille rare. Car la plus part des prisonniers sont conscients à

ne rien divulguer. Mais ce dernier nous livre tout ce qu’il sait : son régiment, le régiment

engagé 416, l’importance des troupes nous faisant face, les états majors et leurs sièges,

autant qu’un simple soldat de l’infanterie peut effectivement savoir. ». C’était un des rares cas

dans lesquels mes connaissances de la langue française m’étaient d’une utilité pratique dans la

vie. Concernant les motivations, le pourquoi de sa désertion, l’homme répondait simplement

qu’il était ‘’dégouté’’ et qu’il en avait maintenant assez. Je le fis transférer la nuit-même au

régiment. Après quelques jours cependant, la division me le renvoya avec mission de le

questionner plus en avant, ‘’en lieu et place’’.

La division souhaitait durant tout cet hiver que nos patrouilles, également la nuit

pendant les moments de calme, restent inlassablement actives et gardent l’ennemis sous

tension. Ceci arriva. Le no man’s land dans la pénombre resta presqu’exclusivement dominé

23

par les nôtres. Des commandos de patrouilles avaient été spécialement entraînés à cet effet

dans les 4 compagnies. Je puis volontiers dire qu’à l’époque, également la Territoriale qui

n’était pas engagée dans les grandes batailles avait à son actif quelques actions courageuses

dont aucun hymne ni livre de héros ne font état. Oui, à l’époque, dans la Territoriale s’était

réveillé au sein d’un homme ordinaire l’audace et le sens du sacrifice, pour qui le beau mot

allemand de Heldentum (héroïsme) n’est pas un qualificatif surfait. Pour évoquer seulement

deux exemples, il y avait à la 6ème

compagnie un lieutenant Burkart, instituteur de profession,

qui jusqu’à sa blessure en février 1916, n’avait pas une seule fois commandé une sortie

audacieuse contre l’ennemi. Le 21 janvier, il s’était faufilé au travers de trois rangées de

barbelés françaises et lorsqu’il arriva au bord de la tranchée ennemie, débouchant sur un

groupe de Français, il leur lança sept grenades à main nouées ensemble. En guise de

représailles à ces lourdes pertes suite à ce coup de main, les Français attaquèrent à la grenade

un poste d’écoute au cours d’une des nuits suivantes. Mais la sentinelle avait la présence

d’esprit de relancer la grenade sur les attaquants avant qu’elle n’explose. Déjà en février, le

lieutenant Burkart revenant plus tard d’une patrouille avec un blessé, remarqua seulement à ce

moment-là qu’il manquait un homme. Immédiatement il retourna personnellement avec le

réserviste Koch vers les barbelés ennemis et à deux, ils ramenèrent le manquant -mort- de

manière à ce que le mort aussi ne tombe pas entre les mains ennemies. C’était de la

camaraderie.

Ensuite, il se trouva dans la 5ème

compagnie territoriale un soldat nommé Schaible,

berger de profession. Oui, il pouvait dormir le jour, mais la nuit, il était continuellement,

presque passionnément, prêt à se faufiler avec une patrouille au travers des herbes folles vers

le Français pour infliger à l’ennemi des dommages par n’importe quel moyen, au corps à

corps ou par la destruction de ses positions. Il s’introduisait assez souvent dans les tranchées

ennemies. Il fut plus tard blessé à plusieurs reprises, fut promu adjudant et reçut toutes les

distinctions jusqu’à la médaille militaire d’or pour le mérite (médaille du courage)1 . Il

possédait une vision nocturne presqu’aussi bonne que le jour. C’était de toute façon une

particularité des gens qui pendant l’exercice de leur profession ont beaucoup à faire la nuit

dans les champs et les forêts. Je remarquais la même particularité chez ma propre ordonnance

Schach (garde-champêtre et forestier). Lorsque je voulais me rendre compte la nuit de la

vigilance des sentinelles le long des réseaux de barbelés, et que je l’emmenais, j’étais assuré

d’avoir un guide fiable au travers des entonnoirs de grenades, barbelés et chausse-trapes.

Pourquoi je reparle toujours de mon ordonnance ? En fait, parce que l’officier allemand à qui

personnellement la destinée à réservé une ordonnance dévouée sur le champ de bataille, a

trouvé là un trésor inestimable.

Bien entendu, il y en avait également dans la Landwehr (la Territoriale) , au cours de

cet hiver, qui étaient gagnés par l’amertume du fait de l’interminable durée de la guerre, et

devenus intérieurement épuisés. Dans cet état d’esprit, un homme de la Landwehr écrivait

chez lui, en décembre 1915 : « Je ne crois plus à aucun dieu ou les hommes sont de tout façon

les diables. Car je constate que les justes qui privilégient le livre de prièrent sont ceux qui

tombent les premiers. ». Mais d’une façon générale, nos hommes de la Landwehr d’après

1 C’est lui qui, plus tard, alors que je n’étais plus rattaché au régiment, reçut au cours d’une patrouille des tirs au travers de la bouche et des épaules, répondit au commandant qui voulait lui exprimer ses regrets concernant ses blessures : « oh ! mon commandant, cela n’a aucune emprise sur un berger. »

24

leurs comportements et leurs lettres, étaient restés des soldats allemands énergiques

affectueusement liés aux leurs, soumis à la volonté divine et inébranlables. C’était toujours

pour moi des moments exaltants lorsque j’avais l’honneur de leur conférer, dans le cadre de

mes attributions, nombre de distinctions ou leur attacher la Croix de Fer ou la médaille du

courage.

Pour finir, encore une aventure burlesque avec le lieutenant von Grailsheim : après

avoir reçu l’ordre :- les commandants des bataillons étaient tenus de se rendre également au

fait des sections voisines et apprendre à connaitre les relations avec les secteurs de droite et de

gauche-, le lieutenant von Grailsheim vint un jour me rendre visite à Ammertzwiller, depuis

Enschingen. Après avoir procédé à son tour d’horizon, je le raccompagnais avec quelques

officiers jusqu’à la limite de son secteur. Alors que nous traversâmes ensemble la tranchée de

la deuxième ligne de feu, il se rendit compte qu’à cet endroit, ma casquette et ma tête

dépassaient le bord de la tranchée alors que lui avec sa petite taille restait continuellement à

couvert. Il me fit part de ses doutes, dans son sens aigu de l’ordre et me demanda : « À quelle

partie du corps avez-vous été blessé ? » Je répondis : « On m’a tiré dans le pied. ». À ma

réponse, il se retourna pensif, – il marchait juste devant -, me toisa à nouveau de son regard et

répartit : « On aurait dû vous tirer dans la tête ! ».

Printemps et début de l’été 1916

Après la douceur de l’hiver 1915/16, les signes avant-coureurs du printemps dans la

région du Rhin supérieur se révélèrent très en avance. Déjà le 6 février, on pouvait lire dans la

« Breisgauer Zeitung » (journal du Brisgau) du 2 février, un article d’Offenburg relatant que

dans la région vinicole les cerisiers étaient déjà en pleine floraison depuis huit jours. C’était

tôt d’une façon inquiétante. Pendant que ces douces brises nous rappelaient la germination et

le bourgeonnement dans les sèves et les pousses des arbres fruitiers et aux semences de la

paix, nous recevions l’ordre du haut commandement des armées d’estomper et détourner

l’attention, dans tout le Sundgau, depuis Cernay jusqu’à la frontière suisse, d’un projet

d’offensive massive sur Verdun, à l’époque planifié à un autre endroit, comme nous devions

plus tard l’apprendre, mais ultérieurement retardé en raison de conditions climatiques

défavorables, en feignant aux yeux des Français une vaste action offensive de grand style en

direction de Belfort qui serait actuellement en préparation ici et déjà en phase d’exécution. La

diversion devait débuter le 7 février. Tout d’abord, des renforts de troupes devaient nous

arriver. Dans cet esprit, nos patrouilles avaient à perdre dans les réseaux de barbelés du coté

français quelques enveloppes de lettres à l’adresse de régiments et de bataillons de chasseurs

dont pas un homme de chez nous n’avait connaissance. Nos soldats de la Landwehr devaient

porter tantôt des casquettes, tantôt des casques. Des feux nourris avec du bois humide furent

allumés dans les abris abandonnés et les tranchées de la seconde ligne de feu et plus loin en

arrière. L’artillerie commença à régler ses tirs sur toutes les positions de tranchées les plus

importantes des Français ainsi que sur leurs batteries. Concernant l’infanterie, des patrouilles

doublées voire triplées, furent envoyées et chaque nuit des échanges de tirs nourris avaient

lieu devant le front ennemi. À ce stade, je ne peux m’empêcher de relater une aventure

25

cocasse : j’avais également ordonné par écrit, entre autre, pour le 6 février, à une patrouille

d’officiers de la 7ème

compagnie et avais précisé : « Comme la lune se couche le soir à 8h35,

la patrouille ne partira seulement qu’à 8h45 du soir. » (L’heure du coucher lunaire m’avait

été transmise par mon adjudant qui l’avait vérifié sur le calendrier.) . Le matin suivant, le

capitaine Faber me fit parvenir par écrit le rapport suivant : « La lune ne s’est certes pas

soumise aux ordres du bataillon du 6 février, mais au lieu de 8h35 le soir, elle s’est seulement

couchée à 8h35 du matin, la patrouille des officiers, conformément aux instructions, est

cependant partie à 8h45 du soir. ». Les 12 et 13 février, la phase de l’ensemble du stratagème

devait atteindre son apogée en l’espèce d’un tir de concentration simultané de l’artillerie et

l’infanterie. Ma compagnie devait prendre sous le feu principalement les tranchées arrières de

l’adversaire et ne pas être regardant cette foi-ci aussi chez-nous sur les munitions. Nous ne

nous considérions plus comme de sous-chefs automates, mais pareil à des ‘’figurants’’ d’une

enseigne dans une scène de guerre sur le vaste plateau du théâtre de la guerre mondiale.

L’ennemi se retint tout d’abord, mais répliqua ensuite au feu avec toute sa puissance et sur

toutes nos positions jusqu’à très loin en arrière, et nous ne subissions ces jours pas de pertes

insensibles.1 En même temps, un obusier de 38cm, surnommé ‘’lange Max’’ (Max le long) tirait

par-dessus nos positions en direction de Belfort, c'est-à-dire que nous n’entendions parfois au

travers des nuages par dessus nos têtes qu’un roulement sourd en direction du sud-est. C’était

comme si un lourd train de marchandises roulait dans les hauteurs du firmament. Ce n’est que

plus tard que nous apprîmes, par l’intermédiaire d’un journal suisse, l’effroi et les ravages

qu’auraient suscités les grenades tirées de loin, su la citadelle de Belfort.

Mi-février, notre activité déclina à nouveau pour revenir au niveau habituel de notre

puissance au Rhin. Les Français en tirèrent vengeance et continuèrent à me détruire au canon

l’ouvrage avancé Sautter ; de même que les 8, 13 et 25 mars.2

La protection du bastion fut préparée d’une façon encore plus méthodique et je

nommais un propre commandant de l’ouvrage avancé qui n’était pas responsable d’autre

chose que de la défense. Notre activité de patrouilles nous restait acquise et le zèle de nos

hommes aboutissait souvent à des perles. À tel point qu’un jour, on était déjà mi-avril, l’ordre

arriva que nous devions nous assurer de l’identité des régiments qi nous faisaient face, au

travers de prisonniers français, morts ou vifs. C’était parfois difficile à exécuter quant les

Français ne sortaient pas de toute la nuit de leurs réseaux de barbelés. Cependant une

patrouille réussit à sortir d’une tranchée un Français tué et à le ramener au travers des barbelés

français. Comme ils ramenaient le français tué, quelques hommes dans les tranchées pensaient

les décharger de leur fardeau et porter le mort dans un abri afin de relever à la lumière son

appartenance d’unité. Mais les membres du commando refusèrent de le céder. Il y eut alors

1 Note du traducteur : traduction dans l’ordre des termes - cela veut-il dire en fait : « nous subissions ces jours des pertes sensibles » ? 2 À la page 83 de L’HISTOIRE DU RÉGIMENT du L.I.R. 123, il est mentionné à ce sujet : « Mis à part les pertes sanglantes quotidiennes, ces bombardements de mines sont les plus sévères que le vaillant L.I.R. 123 avait eu à endurer. Ce fut un acte héroïque silencieux des Souabes, qui est certainement comparable à des faits d’armes connus. Jamais ces moments de résignations n’ont été pleinement reconnus par les hautes autorités : mais chaque officier et homme de troupe du L.I.R. 123 qui avait pris part une fois à ces combats à l’ouvrage avancé Sautter, porte en lui la certitude d’avoir rempli son devoir envers sa patrie à l’un des endroits les plus exposés, dans un acte des plus résignés et une persévérance opiniâtre »

26

des invectives cinglantes : « Cherchez-vous vous-même votre Français, espèce de… ! » et

d’autres. Peut être cela se serait-il soldé par une sérieuse bagarre si je n’étais pas arrivé par

hasard. Le mort qui nous avait livré tout ce que la division voulait savoir, avait une musette

remplie de grenades à mains en forme d’œuf. Chacune était du double de la grosseur d’un œuf

de poule. C’était le temps où nos patrouilles sortaient pour leurs expéditions nocturne munis

plutôt de grenades et poignards qu’un fusil à la main.

Une attaque sur les positions ennemies devait, pour une fois, à nouveau être opérée

depuis le front de mon bataillon, au cours du moi de mai. À cet effet, l’objectif d’attaque

désigné, sur ma suggestion, n’était cette fois-ci plus derechef la portion de terrain voisine en

face de l’ouvrage Sautter, mais l’ouvrage fortifié français de Balschwiller dont la situation

analogue à celle d’une forteresse s’étalait sur le dos d’une colline en saillie que j’avais déjà

décrite plus tôt. À la suite des nouvelles expériences de guerre acquises jusqu’à présent, une

nouvelle tactique dans l’exécution de telles incursions était apparue qui devait n’être mise en

œuvre que dans cette portion de front pour la première fois. Selon celle-ci, après une brève

mais efficace préparation d’artillerie, l’incursion ne devait pas s’opérer avec l’engagement

total des compagnies, mais par des plus petites sections d’assaut, spécialement choisies et

entraînées. Celles-ci devaient enfoncer la ligne ennemie avec une rapidité fulgurante, suivant

des itinéraires pré-planifiés avec méthode, détruire les abris, faire des prisonniers et se retirer

des positions ennemies avant que le feu de la défense de l’ennemi n’ait pu prendre sa pleine

efficacité.

Donc, des volontaires dans toutes les 4 compagnies furent tout d’abord demandés et

sélectionnés : 30 hommes sous le commandement du lieutenant Gaupp et les vice-adjudants

Lachenmann et Senfried. Deux sections d’assaut en furent formées et chacune renforcée par

quelques pionniers. À l’écart du front, un officier des pionniers à l’aide d’une maquette

réalisée à partir de vues aériennes précises, familiarisa les commandants et équipes avec

l’ouvrage avancé ennemi, l’emplacement des points d’incursion et des tranchées ennemies,

ainsi qu’avec les chemins à emprunter pour le retour. Toute l’opération devait se dérouler

dans les temps d’exécution, comme dans un mécanisme d’horlogerie.

Après avoir été saisi de la direction de l’opération, je délaissais l’abri du bataillon à

Ammertzwiller, pour émigrer dans la position de tranchée de la 7ème

compagnie, sur la hauteur

dénudée de tout arbre, faisant face à l’ouvrage de Balschwiller. Là, je m’installais dans un

abri positionné en hauteur, nommé abri du régiment, car il pouvait du fait de sa situation

dominante être apte à servir de poste de commandement d’une action plus importante. Il y

avait à coté un autre abri, décoré, avec un sympathique écriteau ‘’cirque de poux’’ (Flohzircus)

du commandant de compagnie, capitaine Faber. À mon arrivée, une belle couronne me salua

en ces termes : « Bienvenue de tout cœur ! ». Entre les deux abris, une baraque en bois

baptisée ‘’maison de campagne Faber’’ se trouvait dans la tranchée. Le jour, on pouvait

écouter d’ici le chant de nombre d’alouettes qui ne se laissaient perturber par aucun tir

d’artillerie, la nuit on apercevait à la lumières des boules lumineuses de l’ennemi le no man’s

land.

L’attaque fut fixée au 27 mai. Pour la préparation d’artillerie, en dehors de notre

propre mortier, deux mortiers moyens et deux lourds ainsi que toute l’artillerie de la sous-

division ‘’von Rhönel’’ furent mis à ma disposition. À 8 heures précises du soir, le feu fut

ouvert, immédiatement suivi par la réponse de l’artillerie française située sur la position du

27

Lerschenberg au nord d’Ammertzwiller, dirigée vers nos positions à cet endroit. À 9 heures

exactement, au moment où les tirs de notre artillerie et des mortiers cessèrent brutalement, les

deux commandos d’assaut délaissèrent nos tranchées et le mécanisme d’horlogerie se mit en

mouvement sans anicroches. Sauf que malheureusement une grosse partie de la garnison de

l’ouvrage avancé s’était retirée sous le commandement du capitaine. Les abris furent détruits

à l’explosif et des prisonniers ne purent être faits que dans la troisième ligne de feu. Lorsque

les deux commandos eurent rejoint leurs propres tranchées sains et saufs, ils s’aperçurent

qu’un homme manquait. Aussitôt quelques-uns des plus téméraires revinrent sur leurs pas

malgré un contre-feu ennemi très nourri, et ramenèrent leur camarade grièvement blessé.

Le bilan de cette entreprise chez-nous se solda pour les pertes à 2 morts et 4 blessés.

La démonstration de l’esprit combatif de nos sections d’assaut de volontaires se

confirma par le fait que la nuit suivante du 28 au 29 mai, le vice-adjudant Lachenmann,

(l’autre vice-adjudant Senfried avait été blessé le 27) retourna avec ses hommes, tous

volontaires, dans l’ouvrage ennemi pour continuer la destruction, alors que les Français

jusque là ne s’étaient pas aventurés à le réoccuper.

Le succès du déroulement de l’entreprise du 27 mai engendra pour les sections

d’assaut et moi-même de profondes félicitations de la part du régiment, de la brigade et de la

division. Lorsque plus tard j’eus l’occasion de le revoir, le général von Wencher me salua

malicieusement en riant, du qualificatif de « prince de Balschwiller ».Mais je dois encore

avouer aujourd’hui que ces compliments à ma personne me rendaient honteux. Bien entendu

mon poste de combat situé en hauteur, était ce soir là, le rendez-vous privilégié pour de

nombreuses grenades ennemies. Du reste, je limitais ma participation à l’énoncé des ordres et

le contrôle de la coordination entre l’artillerie, les mortiers et les troupes d’assaut. Cependant

la gloire de la valeureuse action en revient exclusivement aux troupes d’assaut. Depuis, je

puis très bien lire dans les sentiments des plus hauts responsables qui doivent la gloire et le

succès de leurs ordonnances au courage de leurs troupes.

À présent encore un mot sur la bravoure et pourquoi nous, à la Territoriale, avions plus

de raisons de faire appel à des volontaires pour former des patrouilles et des sections d’assaut.

Il y avait parmi nous beaucoup de pères de familles qui avaient laissé chez eux à la maison,

non seulement leurs épouses, mais une multitude d’enfants mineurs. Aussi, telle fidèle et

prévenante épouse avait-elle, avec insistance, alerté le cœur de son mari, qu’il ne s’expose

surtout pas plus que de nécessaire. De tels pères de familles avaient dans ces moments

d’appels au volontariat, je dirais, des instants d’hésitation devant leur devoir envers leur

patrie, ce qui était pas le cas, ni chez les jeunes recrues et encore moins chez les célibataires –

à l’exception peut-être chez les fils uniques et derniers de la famille. Par exemple, il y avait

chez-nous deux hommes de la ville de Brême, venus avec leur conception hanséatique et

transférés à notre régiment pour des raisons indéfinis. L’un des deux avait laissé 10 enfants au

foyer, l’autre 8. Je me laissais parfois raser par ce dernier qui se faisait un peu d’argent de

poche avec cette activité de figaro, ce qui me donnait l’occasion d’en apprendre d’avantage

sur les relations familiales. C’étaient en fait les plus jeunes et les célibataires qui avaient la

prépondérance pour se porter volontaires à des patrouilles et des sections d’assaut. Il y avait

bien sûr aussi des hommes qui par déception quelconque dans le parcours de leur vie, n’y

tenait plus tellement et se déclaraient prêts à prendre part à une entreprise audacieuse et non

sans danger. C’étaient bien entendu également les plus jeunes et les célibataires qui étaient

28

médaillés en premier lieu, de distinctions nommément les décorations de guerre plus élevées,

et étaient cités à titre personnel à l’ordre du régiment et de la brigade avec les honneurs. Mais

les autres, qui restaient parmi la multitude des relèves de postes, je ne les ai jamais considérés

comme tels. Je savais que parmi eux, se trouvaient beaucoup d’hommes aussi valeureux,

dignes de confiance et méritants dont l’accomplissement du devoir et l’abnégation ne pesaient

pas moins que chez les médaillers. À ceci prêt que le courage n’était pas aussi perceptible et

mesurable que l’action d’éclat qui avait été accomplie dehors, à l’extrême limite du front.

Il y avait aussi dans les tranchées place pour un esprit d’attentions malicieuses : le 25

février 1916, date anniversaire de notre roi du Wurtemberg, j’invitais les responsables de

compagnie à boire un verre de champagne dans l’abri du bataillon. Lorsque par hasard notre

cuisinier l’apprit, ce dernier, en l’honneur de ma nomination au rang de commandant huit

jours plus-tôt, confectionna d’artistiques épaulettes de commandant (Majorsachselstücke) en

meringue, et nous les fit parvenir dans l’abri.

Du 15 avril au 6 mai, lors de Pâques, le bataillon fut enfin retiré du front pour un repos

mérité. Nous fûmes dirigés vers Brunstatt et les localités avoisinantes au sud de Mulhouse

pour prendre nos quartiers, moi personnellement dans la maison d’un médecin de Brunstatt.

Le devoir principal des officiers était tout d’abord de laisser les hommes se reposer

convenablement, mais aussi les reprendre en main après pour leur insuffler un nouvel

optimisme. Il en fut ainsi. Des soirées festives furent organisées dans toutes les compagnies,

nous dirions aujourd’hui des soirées de camaraderie, avec spectacles. Le capitaine Faber

m’invita pour le 4 mai à un spectacle dans un cirque érigé à Didenheim, monté par lui avec la

7ème

compagnie, dans lequel des hommes de la Landwehr se produisaient en tant que

funambules et ventriloques. La corde était tendue à hauteur de maison et le funambule avait

fait venir son tricot de son pays.

Le médecin chez qui j’habitais était bien germanophile mais j’avais quand-même

remarqué que jusqu’en août 1914, les rendez-vous dans son agenda étaient en majorité libellés

en français.

Tout d’abord, il me fallut me refamiliariser avec une pièce d’habitation, à la lumière et

à l’air. La pièce était tout d’abord trop claire à mes yeux, ce qui m’amenait à tirer les rideaux.

Dans l’abri nous ne recevions la lumière qu’au travers d’un puits d’aération et de lumière.

Ensuite, le chauffage central ne me convenait guère. Dans l’abri, mon ordonnance Schach

allumait quatre à cinq fois journellement, autant qu’il en était nécessaire, un petit feu de bois

dans le fourneau, qui dégageait toujours une chaleur agréable. Et attention au lit ! On

s’enfonçait littéralement dans ce coussin efféminé et mollasson. Par contre on se sentait plus à

son aise et plus frais sur un sac à viande rempli de foin. Sauf si le sac était nouvellement

rempli de paille et encore rebondi, on ne pouvait pas assez bien s’y lover.

Je m’étais à l’époque beaucoup entretenu avec des Alsaciens germanophiles au sujet

des situations en Alsace. Que l’Alsace était connue comme étant habitée par une population

purement allemande à l’origine, mais métissée à plusieurs reprises au cours des derniers

siècles par du sang welche (par opposition à germain). Cette dernière est douée, mais bien plus

encline à la critique et à la satire que créative, avec cela, très souvent à l’aise dans l’opulence

et la fertilité du pays. Il leur manquait une politique de l’acceptation d’une obédience vis-à-

vis de leur patrie et de projection dans l’avenir. Les armes étaient commandées avant la guerre

par des braillards et des têtes ambitieuses, par des avocats issus du ‘’cercle’’ de l’université de

29

Strasbourg, et des ecclésiastiques sortant de séminaires spirituels. Une personne germanophile

bien pensante me dit que l’université de Strasbourg aurait été créée trop tôt. À travers-elle, les

jeunes Alsaciens auraient trouvé un point de ralliement qui leur facilitait l’acceptation de

l’influence welche plutôt que les vieilles universités allemandes. Les gents biens nantis de

Mulhouse, nommément les riches industriels, parlaient et pensaient en français. Ça les aidait à

se cataloguer dans une catégorie supérieure. La classe supérieure protestante allaient à

l’église au temple français calviniste et fréquentaient en tant que membres le club dans la rue

du Sauvage. Les ‘’riches’’ entouraient leurs jardins prestigieux de hauts murs afin de les

cacher aux yeux du reste de la population. Malheureusement peut être aussi des enfants

descendants d’anciennes familles immigrées allemandes étaient-ils devenus pareils aux amis

des français indélicats, afin de mieux pouvoir progresser ça et là dans les affaires. Les hauts

fonctionnaires prussiens formaient presque partout une caste fermée qui fréquentaient tout au

plus quelques familles plus nanties, comme l’a illustré un gouverneur de Strasbourg (maréchal

von Manteuffel). Le nom d’un immigré du Brunswick nommé Witte s’écrivit après quelques

temps Witté (comme Wetterlé). Lorsqu’on lui demandait pourquoi, c’était l’instituteur qui le

lui avait enseigné à l’école. On me racontait que les juifs de Mulhouse avaient accueilli si

chaleureusement les Français avant la première bataille sérieuse près de Mulhouse, ne fut-ce

qu’en raison de la présence dans le corps des officiers français d’un grand nombre de Juifs.

Ah ! comme il eut été facile pour un énergique gouvernement allemand lié au peuple,

de remodeler au marteau ce peuple dans son noyau vieil-alémanique, s’il avait déjà pu

commencer au niveau des plus jeunes écoliers, dans l’esprit de notre chef actuel, Adolf Hitler,

d’ inculquer dans leur cœur la manière de penser allemande, solidaire et pleine d’abnégation.

Les Alsaciens, en tous cas les Alsaciens du Haut-Rhin, ne se sentaient pas

spécialement proches des Lorrains, d’avantage des Allemands du sud, ainsi que de nous, les

Souabes, et ça ne m’étonnait pas d’avantage qu’à l’époque, plus d’un cercle vieil-allemand se

souhaitait comme gouverneur ou régent un prince bavarois ou wurtembergeois, pour l’époque

d’après-guerre.

En ces temps de repos, les aumôniers nous rendaient d’avantage visite que de

coutume ; les hommes en détente étaient à leur disposition le jeudi-saint, le vendredi-saint et

les autres jours de fête. Une différence particulière m’était restée fortement imprimée dans la

mémoire concernant ces visites : lorsque l’aumônier réformé avait accompli l’exercice de son

ministère, il ne se permettait pas d’atténuer le sérieux de son devoir spirituel, aussi bien lors

des rencontres conviviales avec les équipes qu’au cours du repas avec nous, officiers. De

même, en sa présence, une constante gravité et un rappel à son ministère nous maintenaient

dans une certaine fascination. Mais lorsque l’aumônier catholique venait dans la position ou

chez-nous, à Brunstatt, après avoir rempli son office, à ce moment là, la soutane était ôtée et

l’aumônier devenait un joyeux et vivant compagnon de table qui nous abreuvait de toutes

sortes de blagues et histoires drôles. Il aimait par-dessus tout raconter des histoires dans

lesquelles un chanoine avait la vedette. Pour simplement se rappeler : un conseiller privé

berlinois, Excellence, par une matinée fraîche au Tyrol, fait la connaissance d’un chanoine et

les deux s’en vinrent à parler de la métempsychose. Le conseiller se mit à penser : « Ce serait

quand même une pensée désagréable d’imaginer que plus tard mon âme puisse continuer à

vivre sous une autre forme, peut être sous celle d’un bœuf ou d’un âne » Le chanoine

30

rétorqua : « Rassurez-vous, Excellence, ce qu’on était avant, on ne le sera certainement plus

là-bas. »

En cette période de repos, il nous avait enfin été donné l’occasion de monter nos

chevaux. Je me réjouis d’une superbe alezane nommé Thétis, la monture idéale d’un

commandeur, qui avait été sorti au début de la guerre de l’écurie du conseiller économique

rural Köstlin à Ochsenhausen. C’était un plaisir de laisser Thétis trotter sur les quais du canal

de Rhône au Rhin ou dans les forêts de Bruebach et Flaxlanden. L’équitation était la plus

belle activité sportive que j’ai pratiquée dans ma vie.

Malheureusement, déjà au cours de cette année de guerre de 1916, les hommes de la

Landwehr revenaient de leurs permissions plein d’amertume. Ils racontaient : à la maison

beaucoup tirent au flanc, perçoivent toujours plus de salaires, et ont par ailleurs d’autres

avantages, pendant que nous fixons toujours la mort dans les yeux, d’autres disaient devoir

tendre la tête et que nos proches étaient dans la détresse à la maison. On n’était même pas

considéré de façon amicale à la maison. « Les gens ne deviennent pas meilleurs au travers de

la guerre », disait un honnête permissionnaire. D’autres racontaient qu’avec les matières

premières, coton, nickel, cuivre, etc. la situation devenait très préoccupante. Cela deviendrait

lourd de conséquences si l’Allemagne devait encore endurer un hiver de guerre. On était déjà

à l’époque en mars et avril 1916 !

Comme par ailleurs tout au long de ces mémoires, je ne veux pas trop glorifier ici, les

camarades de cette époque, qui continuent encore aujourd’hui à vivre leur bonhomme de

chemin. Mais que soit ici consacré un rameau d’olivier en gage de commémoration sincère,

au moins aux quelques uns des hommes qui se tenaient avec moi sur le champ de bataille et à

qui il n’avait plus été donné de vivre le renouveau du Reich : je vois dans ce souvenir, tout

d’abord au plus près de moi, se dresser mon dernier adjoint, le lieutenant Sanders. La région

de la Frise avait été son pays natal. Celui qui ne savait pas qu’il était, chez lui, enseignant

dans une plus haute école, ne pouvait pas s’en douter. Car l’art de la didactique, prendre la

parole et convaincre les autres, ce qui souvent est naturellement présent en dehors de toute

considération professionnelle chez ceux qui ont en charge d’enseigner à d’autres la matière

dont eux-mêmes se posent la question de sa pertinence, restait chez lui imperceptible. Il

possédait en revanche, ce qui reste le meilleur indice d’un honnête homme, un regard droit et

un cœur sincère. Il restait toujours un soldat d’une maîtrise calculée et fidèlement à l’écoute

de son commandant. Après une deuxième blessure, il vécu la fin de la guerre, mais fut plus

tard victime d’une affection cérébrale, beaucoup trop tôt, le 28 septembre 1931 à

Wilhelmshafen.

Plus loin, je perçois devant moi, le lieutenant Wörz de la 6ème

compagnie. C’était le héros

juvénile toujours alerte et enjoué, vaillant à tout va, très aimé de sa compagnie. Je vois encore

aujourd’hui ciller son œil quant il reconnaissait, hilare : « j’ai tellement d’affection pour les

filles ! ». Il est tombé en 1918. Le commandant Wagner de la 8ème

compagnie était de métier

juge de tribunal de première instance et conseiller auprès du tribunal, à Herrenberg. Il n’était

pas né pour devenir soldat, ni par sa façon de penser ni par le fait que Mars, le fougueux dieu

de la guerre, ne l’avait pas doté dès son berceau de tous les attributs guerriers. Mais à quoi

m’aurait servi une silhouette de parade pleine d’allant à Ammertzwiller ? On y avait besoin de

gents conscients de leurs devoirs sur lesquels on pouvait compter en toute circonstance, et il

était de ceux-là, ce qui était le cas, dieu soit loué, pour beaucoup d’autres Souabes de nature

31

modeste. Les constants bombardements de destruction sur Ammertzwiller avaient finalement

eu raison de sa résistance nerveuse. Mais malgré cela, il tint le coup jusqu’à la fin. La

Virginia1 l’aida encore des semaines durant, à passer des nuits sans sommeil. Mais un matin

de printemps 1916, comme je venais d’arriver tout juste dans sa position, il s’écroula

totalement anéanti. Son énergie l’avait abandonné. Plus tard, après la guerre en 1929, il

succomba à une affection nerveuse qui était à coup sûr essentiellement à rapprocher de ses

expériences vécues à Ammertzwiller. Hélas, à nombre de ceux qui ont emporté avec eux sur

le front une souffrance ou une autre affliction, ou en ont rapporté chez-eux, la guerre a abrégé

la vie. Pendant que de toute façon, sa dure école en a façonné d’autres qui en sont revenus

sains et saufs, dans une capacité à la résistance et à la rusticité d’autant plus grande ; ceci avait

déjà été constaté auprès des participants à la guerre de 1870/71. J’ai déjà parlé de mon dernier

commandant de régiment, le lieutenant-colonel Vowinkel, l’ami des bêtes. Lorsque j’aperçois

un beau cheval, ou croise un regard intelligeant de chien, je pense à lui. Il possédait un

humour sec particulier. Il aimait bien prendre comme cible de ses facéties les médecins

militaires, même si au fond il les tenait bien entendu en haute estime. Lorsque début avril

1916, je m’informais auprès de lui de l’état de santé du commandant de division von Wencher

qui avait été blessé, il me dépondit sans modifier le sérieux de sa voix grave sans la moindre

intonation particulière : « Les blessures dues aux éclats ne sont pas toutes dangereuses, mais

vous devez donc savoir qu’il n’y a aucune plaie si superficielle soit-elle qui ne puisse devenir

mortelle par l’approche d’un médecin militaire. » Lorsqu’ à l’issue d’une communication de

service à Bernwiller il m’avait, un soir, retenu à diner, et que les autres officiers avaient

finalement pris congé vers minuit, il me dit : « Bien, jusqu'à présent nous avons bu en état de

service. Maintenant nous allons également boire pour nous, en dehors du service. » Et il

procura également le vrai contenu à cette subtile différenciation des genres. Il avait une vraie

aversion pour les travaux d’écritures. Il devait avoir été dans une particulière mauvaise

humeur, quand il m’avait écrit à Stuttgart en mai 1917 : « Les scribouillards s’adonnent chez-

nous à une vraie orgie.» Ce serait une guerre de scribouillards qui dégoute l’officier au front

dans sa satisfaction du service accompli. Le soldat serait accessoire, le scribe possèderait la

grande parole et aurait toujours raison. Il me consola de la durée de la guerre au travers de la

‘’guerre de trente ans’’ « Celle-là prit aussi un jour une fin ! » Il reste toujours dans mon

souvenir reconnaissant non seulement en tant que commandant de régiment vénéré, mais aussi

en qualité de camarade bon et chaleureux. Enfin, notre commandant de brigade, le badois

général Mathn, était l’apparition d’un colosse regorgeant de force, un homme qui savait

prendre la vie du bon coté même en période de guerre. Au début je me disais qu’il n’avait pas

beaucoup d’attentions pour nous, de la Landwehr wurtembergeoise. Mais assez vite, je

remarquais qu’il venait, même avec prédilection, nous rendre justement visite dans notre

position d’Ammertzwiller et que de plus en plus il prenait personnellement intérêt à nos

destinées. Également à son encontre, je solde avec cette évocation, ma dette personnelle en

gratitudes. Alors qu’un jour, très tard le soir, il m’avait remis personnellement la croix de fer

de première catégorie, il déclara dans son allocution solennelle en présence du commandeur

de régiment que c’était depuis longtemps son désir de me remettre cette distinction. C’est

pourquoi cela avait été encore officialisé cette nuit. Il s’en réjouissait d’avantage encore que

1 Cigare typiquement autrichien enroulé autour d’un fétu de paille. (Note du traducteur)

32

s’il l’avait lui-même méritée. Nous tous nous continuâmes à voir dans le souvenir, son

physique de géant déambuler à travers les tranchées. J’aimerais au moins encore rendre

hommage à un officier d’une autre arme, l’artillerie, le commandant de la sous-section

d’Ammertzwiller, le commandant von Rönek. C’était une apparition militaire rigide, en pleine

harmonie avec le dieu de la guerre. Pourquoi j’y fais spécialement référence ? Parce qu’il a

coordonné l’action combinée avec l’infanterie d’une façon magistrale. Il venait parfois dans

mon abri à Ammertzwiller pour se renseigner personnellement sur la situation. Je l’avais

souvent appelé à toute heure du jour ou de la nuit, quant l’artillerie française nous donnait du

fil à retordre, n’importe où, et chaque fois, dans les délais les plus brefs, il faisait tonner ses

canons sur la bonne cible. Nous nous réjouissions le plus, officiers et hommes de troupe,

lorsqu’il arrosait au moyen des obusiers stationnés à Enschingen la position française de

l’entonnoir. Nos voisins du L.I.R. 119 étaient moins satisfaits, pendant un certain temps, avec

leur artillerie. Ils en vinrent à faire part à l’artillerie, bien entendu sur un ton humoristique,

qu’à l’avenir, ils renonceraient à son soutien et allaient se confectionner eux-mêmes leur

propre canon, au moyen de matériaux récupérés dans la cantine. Lorsque plus tard, quelque

part à proximité ou dans le lointain, une batterie laissait partir quelques coups isolés, les

artilleurs disaient : « c’est à présent le canon du 119ème

qui tonne ».

Début juin 1916 - les cerises étaient déjà mures – j’avais été convoqué avec un plus

grand nombre d’officiers d’états-majors à un exposé sur les mortiers, à Efringen1, au pied du

Isteiner Klotz. Je ne fus pas peu surpris de constater à l’époque la faiblesse de l’armement de

l’Isteiner Klotz alors que je pensais toujours que derrière, par-dessus le Rhin, une citadelle

lourdement dotée couvrait nos arrières. Donc le haut-commandement des armées était

foncièrement confiant que le front dans le Sundgau n’enfoncerait pas l’étroite bande de la

Landwehr. Celle-ci n’a aussi jamais été ébranlée. Je n’aimerais pas non plus terminer ces

évocations de campagnes sans encore une fois exprimer ma gratitude envers la coriace

endurance et la bravoure de la Landwehr wurtembergeoise qui ensuite, plus tard encore,

jusqu’au jour de l’armistice, avait tenu indéfectiblement sa position dont elle avait la

responsabilité, dans la haute Alsace, s’infiltrant dans les positions ennemies, et se défendant

âprement de lourdes attaques. La Landwehr du Wurtemberg s’y est taillé en vérité la gloire

méritoire d’une imposante et fidèle force.

Nous, cependant, qui nous tenions toujours sur le champ de bataille, dans les Vosges

et dans le Sundgau, nous garderont à jamais, jusqu’à l’ultime jour de notre vie, l’image de la

belle Alsace.

1 Commune allemande du Bade-Wurtemberg, située dans l’arrondissement de Lörrach au pied de l’Isteiner Klotz, promontoire rocheux se dressant 150 mètres au-dessus des plaines inondables. (Note du traducteur)

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