BERLIOZ Los Músicos y La Música

Embed Size (px)

Citation preview

  • 7/24/2019 BERLIOZ Los Msicos y La Msica

    1/108

    HECTOR BERLIOZ, LES MUSICIENS ET LA MUSIQUE

    TABLE

    HECTOR BERLIOZ

    CRITIQUE MUSICALBerlioz tait revenu de Rome depuis deux ans. Il tait dj presque clbre: il avait fxcuter l'ouverture du Roi Lear, l'ouverture des Francs Juges, la Symphonie fantastique et la Symphonie d'Harold. Mais il tait pauvre. Son mariage avec Henriette Smithson avait encore augment sa gne. Les articles qu'il donnait quelques revues (Europe littraire, Revue europenne, Monde dramatique, Correspondant, Gazette musicale), lui taient mdiocrement pays. Il ne savait plus quel saint se vouer; c'est luqui nous l'a cont.

    Un jour de dtresse, il rdigea une courte nouvelle intitule Rubini Calais et la fitparatre dans la Gazette musicale. Le 10 octobre 1834, ce petit rcit fut reproduitdans le Journal des Dbats, prcd d'une note o l'on vantait la verve et l'esprit.

    Berlioz se rendit rue des Prtres-Saint-Germain-l'Auxerrois afin de remercier Bertin l'an. Ce dernier lui proposa, sance tenante, d'crire dans les Dbats des chroniqsur la musique. Castil-Blaze venait de quitter le journal. Delcluse y conservaitla critique des reprsentations du Thtre Italien; il ne l'abandonna jamais Berlioz

    qui, vraisemblablement, jamais ne la rclama. Jules Janin continuait de s'occuperde l'Opra et de l'Opra-Comique. Le domaine du nouveau feuilletoniste tait donc assez troit. On lui laissait les concerts et les varits musicales. Deux ans aprs, Julnin consentit ne plus juger la musique dramatique, mais il garda sur le ballet ledroit du seigneur.

    Ainsi commena la collaboration de Berlioz au Journal des Dbats. Elle dura jusqu'en1863. Pendant vingt-huit annes, ce feuilleton fut pour le musicien un gagne-pain, une torture et une arme.

    Berlioz a maintes fois dcrit l'abominable supplice que lui infligeait son mtier decritique. On se rappelle ce tableau presque tragique: l'infortun musicien arpente sa chambre grands pas, le cerveau vide; il s'arrte sa fentre et se perd en rve

    s devant le soleil couchant, puis revient sa table et, la vue de la page blanche, clate de colre; d'un coup de poing, il dfonce sa guitare; il considre longuement es deux pistolets chargs, pleure comme un colier qui ne vient pas bout de son thme.. jusqu' ce que son petit garon ouvre la porte en disant: Pre, veux-tu tre z'amis, l'enfant sur ses genoux, Berlioz s'endort[1]...

    L'enfant est devenu un homme; le pre continue sa tche dteste, et c'est son fils ql crit, le 14 fvrier 1861: Je suis si malade que la plume tout instant me tombe dela main, et il faut pourtant m'obstiner crire pour gagner mes misrables cent francs et garder ma position arme contre tant de drles qui m'anantiraient s'ils n'avaient pas tant de peur. Et j'ai la tte pleine de projets, de travaux que je ne puis excuter cause de cet esclavage[2].

    Il passe sa vie maudire cet esclavage. Il le maudit avec fureur: crire des riens des riens! donner de tides loges d'insupportables fadeurs! parler ce soir d'un grand matre et demain d'un crtin avec le mme srieux dans la mme langue!... oh! c'estcomble de l'humiliation! Mieux vaudrait tre... ministre des finances d'une rpublique. Que n'ai-je le choix! Il le maudit avec ironie: J'ai une passion pour la critique, rien ne me rend heureux comme d'crire un feuilleton, de raconter les milleincidents dramatiques, toujours piquants, toujours nouveaux d'un livret d'opra: les angoisses des deux amants, les tourments de l'innocence injustement accuse, les spirituelles plaisanteries du jeune comique, la sensibilit du bon vieillard; dedmler patiemment les fils de ces charmantes intrigues quand je pourrais couper l'c

  • 7/24/2019 BERLIOZ Los Msicos y La Msica

    2/108

    heveau brusquement, etc.[3]

    Il le maudit sur tous les tons, mais il le supporte. Il a trop d'ennemis; l'originalit de son gnie, le mordant de ses boutades, l'irritabilit de son caractre ont sulev contre lui des haines implacables: s'il n'a le secours d'un journal puissant, s'il n'est en tat de menacer ses adversaires de reprsailles, la bataille sera trop ingale. Grce son feuilleton, il trouve les directeurs moins arrogants, les artistes moins ddaigneux, ses confrres moins hostiles.Chaque heure consacre ces besoest peut-tre une heure d'immortalit qu'on se vole[4]..., disait mlancoliquement Thile Gautier. Peut-tre!... Mais on se demande avec angoisse quelle et t la destine Berlioz, s'il n'avait eu pour se dfendre une plume redoutable et la fidle amiti desBertin.

    D'ailleurs il ne faut pas se laisser duper par les hyperboles de Berlioz. Il ditvrai quand il rappelle les affres o le jetait, certains jours, l'obligation d'crire. Mais il eut ses revanches et ses consolations. La seule compensation, dit-il,que m'offre la presse pour tant de tourments, c'est la porte qu'elle donne mes lans de cur vers le grand, le vrai et le beau o qu'ils se trouvent. Cette compensation lui fut largement donne. Sa nature frntique ne pouvait se passer d'effusions ni d'panchements. Or il tait libre de glorifier dans son feuilleton les chefs-d'uvre, objets de son culte, libre de les venger des ddains du public ou de la malfaisancedes pasticheurs. Quand il vient parler de Gluck, de Beethoven, de Weber, de Spontini, il est tout la joie d'crire. La ncessit ne lui et-elle pas impos cette bede feuilletoniste, Berlioz, trente ans, l'et accepte, pour acheter ce prix la sa

    isfaction de mettre le public dans la confidence de ses enthousiasmes.A vrai dire, avec les annes, ces occasions heureuses devinrent plus rares. Berlioz restait pieusement fidle ses dieux (sa trs belle tude sur Alceste a paru en 1861. Mais, pour chanter leur gloire, il n'avait plus les transports de jadis. Au fond, il ne mprisait pas son uvre d'crivain autant qu'il l'a rpt dans ses Mmoires;sa correspondance, vous y surprendrez sans cesse l'ternel cri de l'homme de lettres: Avez-vous lu mon article? ou bien: Lisez mon article de demain. Mais, la lon, la corve du feuilleton le harassait.

    Son uvre de critique lui a donc donn des joies qu'il n'a pas toutes avoues. Mais ilfut sincre quand, la vente de la partition des Troyens lui ayant assur de suffisantes ressources, il s'cria: Enfin, enfin, aprs trente ans d'esclavage, me voil libr

    ! Je n'ai plus de feuilletons crire, plus de platitudes justifier, plus de gens miocres louer, plus d'indignation contenir, plus de mensonges, plus de comdies, plus de lches complaisances, je suis libre! Je puis ne pas mettre les pieds dans les thtres lyriques, n'en plus parler, n'en plus entendre parler, et ne pas mme rirede ce qu'on crit dans ces gargotes musicales![5]

    A l'allgresse de la libert se mlait le plaisir de contempler la mine dsappointe deens qui lui faisaient la cour: Ils ont perdu leurs avances, ils sont vols[6].

    * * *

    Les centaines de feuilletons que Berlioz accumula psent moins pour sa gloire quevingt mesures de Romo ou de la Prise de Troie. Si ces articles nous intressent, c'

    est surtout parce qu'ils sont de la mme plume qui a crit d'admirables symphonies.Si nous les relisons, c'est que nous esprons dcouvrir dans les jugements du musicien le secret de son gnie. Qui se soucie maintenant des opinions de Ftis et de Scudo, hors quelques curieux de l'histoire de la musique? Penserait-on dterrer les chroniques enfouies dans la collection du Journal des Dbats et signes d'Hector Berlioz, si ce mme Berlioz n'avait t un des artistes les plus extraordinaires du XIXe sile?

    Il serait donc puril de surfaire cette littrature; on aurait l'air de vouloir dpouiller le compositeur au profit du critique. A la vrit, ce jeu absurde ne dplairait p

  • 7/24/2019 BERLIOZ Los Msicos y La Msica

    3/108

    as tout le monde. Il y a vingt ans, artistes et amateurs furent saisis d'un fanatisme gnreux et aveugle pour l'auteur si longtemps mconnu de la Damnation et des Troyens, et ils applaudirent tout dans son uvre avec une gale ferveur, le sublime, le mdiocre et le pire: aujourd'hui, d'autres amateurs et d'autres artistesles mmes aussi, peut-tre!font payer Berlioz l'enthousiasme dsordonn de ses admirateurs et sprts dclarer qu'il ne reste pas grand chose dire de lui lorsqu'on a vant sa liture. En musique, nos modes ont des caprices enfantins...

    Berlioz naquit avec le don de l'crivain. Ses premiers articles, aprs son retour deRome, ont dj de la couleur et du mouvement. Parfois encore la phrase gauchit et s'emptre; la lourdeur de l'expression, l'improprit des mots rvlent l'inexprience dittrateur novice. Mais, d'anne en anne, la langue se fait plus sre et plus souple; es jours d'heureuse inspiration, elle devient abondante, image, vivante. Alorsc'est sa grande originalitla prose de Berlioz porte l'empreinte du gnie musical. Le morceau littraire est bti presqu' la faon d'un morceau de symphonie, avec des changemets de rythme, des rptitions et des cadences. On pourrait souvent mettre en tte d'une page de Berlioz: allegro, ou bien andante, ou bien scherzo.

    Pour rendre justice ces qualits de style et de composition, il faut ne point se laisser rebuter par le tour vieillot et dmod de certaines lgances de style qui pluret sous le roi Louis-Philippe. De tous les ges de notre littrature, l'ge o crivit Bioz est celui dont la phrasologie nous est la plus odieuse: elle est dj trop loin de nous pour ne pas nous sembler baroque et saugrenue, mais elle en est encore trop prs pour que nous lui dcouvrions, avec une indulgence attendrie, le charme des

    choses surannes. Berlioz, journaliste, tait parfois de cette cole parisienne qu'ilsait avec tant de force, ds qu'il tait question de musique. Et comment y et-il chapIl crivait aux Dbats, ct de Jules Janin, le matre incontest dont tous les feuistes, tous les critiques, tous les chroniqueurs imitaient de leur mieux la dsinvolture sautillante, le bavardage laborieusement dcousu, les digressions ahurissantes et les ironies sans fin. Ajoutez le lyrisme de pacotille que les romantiquesavaient introduit jusque dans le journalisme, la manie de la grandiloquence, desinterjections et des apostrophes. C'tait la manire de Lousteau et de Lucien de Rubempr. Ce fut quelquefois la manire de Berlioz.

    Mais, cette vieille friperie une fois carte, comment nier l'esprit, l'loquence, lagrce des pages ou librement il se livre la fantaisie de son esprit et la fougue de ses indignations?

    Ce got du pittoresque et ce sentiment de la nature, dont l'union, plus rare que l'on ne croit, fait la beaut de ses grandes peintures musicales, on les retrouve dans ces jolis Reisebilder dont il aime gayer le mlancolique compte rendu des opraset des opras-comiques. Son style ne vaut pas son orchestre, sans doute! Mais, que, pour retarder le moment fcheux o il va falloir analyser et juger la Sirne[7], ilrappelle ses souvenirs des Abbruzzes, les moines, les bandits, les madones, lescarabiniers, les pifferari, ou bien que le Lazzarone[8] d'Halvy lui soit un prtexte pour voquer la mer et la lumire de Naples, l'le de Nisida et les bateliers du Pausilippe, le coloris de ses esquisses est vif, sobre et juste.

    Pour conter, louer, invectiver, sa verve toujours jaillissante fait merveille, condition que le dmon romantique ne le pousse pas aux dernires outrances. Sa phrase

    agile va un train d'enfer, frappe droite, frappe gauche, avec une sret, une dextt qui rvlent la bonne ducation latine de l'crivain. Prompte l'loquence, elle se'ironie. La violence de la passion rend parfois cette ironie trop lourde ou troptendue. Mais quandlassitude, ddain ou rsignationl'me tourmente s'apaise un installe a, pour traduire ses dgots et ses aversions, des cris de sensibilit endolorie qui font penser Henri Heine ou bien des traits lgers, acrs, terribles.

    Cet homme, dont la vie semble un perptuel paroxysme d'amour, de haine, d'orgueilet de douleur, possde le sens du comique et de la bouffonnerie. S'il s'amuse parodier le scnario d'un opra qui a pass les bornes de la niaiserie consentie ces esp

  • 7/24/2019 BERLIOZ Los Msicos y La Msica

    4/108

    d'ouvrages, s'il enchsse les perles qu'il a trouves dans un pome lyrique, s'il vese venger de l'ennui dont l'assomment la mauvaise musique et les mchants musiciens, il est fertile en inventions divertissantes. (Il faut lire certaine analyse du Cad crite en vers libres, en vers d'opra[9].) Ces drleries ne sont pas toujours tfinement ciseles: Berlioz montre pour les grosses facties, les coq--l'ne et les caembours une prdilection propre aux hommes de gnie. D'autres fois, il donne dans lagaiet romantique, la redoutable gaiet des Jeunes France qui, dociles la parole deVictor Hugo, admiraient Shakespeare comme des brutes. Oh! les plaisanteries shakespeariennes en franais! Mais il a aussi l'autre veine, la veine gauloise. Car chez lui tout est alliage et complexit.

    Par-dessus tout, il a le don de la vie. Il sait crer des personnages, les faire parler, les mettre en scne. Il excelle composer de petits dialogues spirituels etpassionns o l'on surprend et l un peu de l'art de Diderot. Les soires de l'orcheles Grotesques de la musique, les Mmoires contiennent un grand nombre de ces fragments de comdie, comme la visite de la jeteuse de fleurs, madame Rosenhain, l'irruption des virtuoses chez le critique malade, les conversations avec Cherubini. Le jour de la premire reprsentation du Faust de Gounod, Berlioz use du mme procd potraduire les sentiments divers du public et il nous fait ainsi assister aux conversations de l'entr'acte[10], cliquetis d'opinions tranges et contradictoires.

    Toutes ces qualits firent de Berlioz un merveilleux journaliste.

    *

    * *Lorsqu'en 1820 le prdcesseur de Berlioz au Journal des Dbats, Castil-Blaze avait targ de la Chronique musicale, il avait ainsi caractris lui-mme ses articles: Cetteronique sera exclusivement consacre la musique. Les opras nouveaux ou anciens y serontuniquement sous le rapport musicalexamins, analyss avec soin et d'aprs les pripes de la bonne cole... Sans rechercher ce que Castil-Blaze voulait dire par la bonne cole, constatons seulement que pour le reste il tint parole: il tudia sous lerapport musical toutes les uvres de thtre, de concert ou d'glise; il s'attira mme semonce de son collaborateur Hoffmann pour avoir imprim que les gens de lettres,n'entendant rien la musique, n'en devraient souffler mot. Comme il avait la dplorable mais lucrative manie de saccager les chefs-d'uvre allemands et italiens sous prtexte de les mettre la porte des Franais, il insrait trop souvent dans ses ch

    iques l'apologie de ses crimes. Mais il fit aussi de beaux loges de Gluck et de Mozart; il admira les Symphonies de Beethoven lorsqu'elles furent rvles aux abonns dConservatoire; il accueillit favorablement les premires Symphonies de Berlioz. Bref, il inaugura dans la presse franaise la critique musicale des uvres de musique[11].

    A ce point de vue, la critique de Berlioz ne fut donc pas une nouveaut. Mais c'tait bien la premire fois qu'en France un musicien de cette valeur tait appel communiuer au public ses gots et ses opinions. Castil-Blaze savait sans doute la musique; mais il tait plus connu pour avoir estropi Don Juan, les Noces, le Mariage secret, Freischtz que pour ses uvres musicales qui consistent, si les dictionnaires disent vrai, en Trios pour le basson et en un recueil de douze romances. Et, avantBerlioz, de grands musiciens avaient pris la plume pour dfendre ou expliquer leur

    s uvres. Gluck avait fait prcder Alceste d'une prface clbre. Mais ce que l'on n'apoint encore vu, c'tait un compositeur journaliste et juge de ses confrres. On l'arevu, depuis, quelquefois.

    Berlioz n'abusa pas de sa comptence technique; elle tait assez vidente pour qu'il pse dispenser d'en faire parade. Beaucoup de critiques d'art hrissent leur prosede termes spciaux, afin que l'on ne doute pas de leurs connaissances. Mais si cevocabulaire particulier a peut-tre l'avantage de nous donner quelque confiance, il nous inflige un tel ennui que le pauvre crivain perd du mme coup le bnfice de sa cience. A qui donc cet crivain s'adresse-t-il quand il fait un article de journal

  • 7/24/2019 BERLIOZ Los Msicos y La Msica

    5/108

    ? S'imagine-t-il, par hasard, que ses conseils seront couts du musicien lui-mme? Tout artiste mprise la critique; s'il dissimule son mpris, il est un poltron qui, amoureux du succs, redoute l'influence du journal; si, par malheur, sa dfrence est sincre, c'est qu'il ignore lui-mme ce qu'il sent, ce qu'il veut, et n'est pas un artiste. C'est du public, du plus profane des publics que le critique doit tre entendu et compris. Sans droit et sans pouvoir sur le crateur, il tchera de faire partager ses lecteurs ses aversions ou ses prfrences; il y russira s'il a de la verve, u bon sens, du got, s'il aime l'art dont il traite et sait rendre sa passion contagieuse.

    Tel fut Berlioz critique. Dans ses premiers feuilletons, il laissait encore traner des expressions qui sentaient le professionnel; mais il s'aperut vite que le pdantisme est le pire dfaut d'un journaliste, et que, si l'on veut former ou rformerle got du public, l'essentiel est d'mouvoir les imaginations, d'inspirer l'horreurdu mdiocre et l'amour des chefs-d'uvre. Berlioz donna donc libre carrire ses hains et ses enthousiasmes.

    Ses haines taient vigoureuses et innombrables.

    Il hassait les directeurs de thtre, les chefs d'orchestre qui ne respectent point le texte du musicien, les chanteurs qui rclament des airs de bravoure. Aux virtuoses pianistes, violoncellistes, hautbostes, fltistes, saxophonistes, cornistes, triples violonistes, simples racleurs, chanteurs, roucouleurs et compositeurs, il montrait sur sa table deux pistolets chargs.

    Il hassait les opras dnus d'ouverture. Il hassait les vocalises, il ne les pardonnpoint mme Mozart et toute l'admiration qu'il ressentait pour le Prophte ne l'empcait pas d'crire, s'adressant Meyerbeer:

    Vous savez si je vous aime et si je vous admire; eh bien, j'ose affirmer que dans ces moments-l, si vous tiez prs de moi, si la puissante main qui a crit tant de gandes, de magnifiques et de sublimes choses tait ma porte, je serais capable de lamordre jusqu'au sang[12].

    Il hassait la fugue au point que la majest du dieu Beethoven lui-mme ne pouvait arrer son indignation et qu'il crivait un jour propos de la Messe en r:

    Si au lieu de crier A-a-a-a-men pendant deux cents mesures, le chur chantant en franais s'avisait d'exprimer ses souhaits en vocalisant allegro furioso sur les syllabes Ain-ain-ain-si-i-i-i, avec accompagnement de trombones et de grands coupsde timbales, ainsi que ne le manque jamais de faire un de nos plus illustres compositeurs de musique sacre, il n'est pas un homme capable d'apprcier l'expressionmusicale qui ne se dit: C'est un vritable chur de paysans ivres se jetant les pots la tte dans une taverne de village ou une carricature impie de tout sentiment religieux. Je me rappelle avoir demand un professeur aussi savant que consciencieux,compatriote et ami de Beethoven, son opinion sur les amen vocaliss et fugus. Il me rpondit franchement: Oh! c'est une barbarie.Mais pourquoi donc s'obstine-t-on toujours en faire!Mon Dieu! Que voulez-vous? c'est l'usage! Tous les compositeurs enont fait. N'est-il pas dsesprant de penser que la routine ait conserv encore assezde puissance pour voir le front d'un Beethoven s'incliner un instant devant elle

    [13]?

    Il hassait les fabricants de pastiches, les arrangeurs, correcteurs et mutilateurs. Il les insultait, il les maudissait, il les ridiculisait[14]. Jamais personnen'a bafou avec plus de force cette engeanceimmortelle, car il suffit aujourd'huid'assister une reprsentation de Mozart l'Opra ou de Shakespeare la Comdie-Franour constater qu'il se rencontre toujours des adaptateurs prts faire au gnie l'ae leur science et de leur got.

    Et il hassait encore une certaine musique parisienne... Mais, quand nous saurons so

  • 7/24/2019 BERLIOZ Los Msicos y La Msica

    6/108

    n opinion sur les compositeurs de son temps, nous verrons mieux ce qu'il voulaitdire par l.

    Au fond, toutes ces haines de Berlioz sont la contrepartie de ses enthousiasmes.S'il dteste les virtuoses, c'est qu'ils altrent et corrompent les chefs-d'uvre; les arrangeurs, c'est qu'ils outragent les matres; les musiciens parisiens, c'est queleurs ouvrages dpravent le got public et le dtournent d'une musique plus noble etplus fire.

    Il exalte les uvres de Beethoven, de Gluck, de Mozart, de Weber et de Spontini. Nous sommes enclins aujourd'hui estimer qu'il y met parfois plus de ferveur que de pntration. Mais n'oublions pas que ces articles taient crits en vue d'un journal uotidien. D'ailleurs, pour mesurer le progrs que Berlioz fit faire la critique musicale, il n'est pas mauvais d'avoir lu quelques articles de Castil-Blaze.

    Il publia de nombreux feuilletons sur Beethoven et il analysa les neuf symphonies[15]. Cdant son propre temprament, il a peut-tre trop objectiv l'art de Beethoveil en a donn une interprtation moins musicale que potique. Mais qu'il y a de vivacit, parfois de dlicatesse dans ces transcriptions littraires! et qu'elles ont bien l'accent brlant d'une passion juvnile!

    Les tudes sur Alceste, sur Orphe, sur Obron, sur le Freischtz, reproduites dans A tavers Chants, manifestent le culte de Berlioz pour Gluck et Weber. L'esquisse biographique de Spontini (Soires de l'Orchestre) est un acte d'adoration, un hymne

    la desse de la musique expressive.On a parfois reproch Berlioz d'avoir mconnu Mozart. Cela n'est pas exact. Dans unmerveilleux feuilleton contre les arrangeurs de la Flte enchante[16], il appelle Moart le premier musicien du monde. Se rjouissant du succs de Don Juan[17] l'Opra cite le public de goter sans ennui une musique fortement pense, consciencieusement rite, instrumente avec got et dignit, toujours expressive, dramatique, vraie; une musique libre et fire qui ne se courbe pas servilement devant le parterre et prfre l'approbation de quelques esprits levs (suivant l'expression de Shakespeare) aux applaudissements d'une salle pleine de spectateurs... Je ne prtends pas que ces logessoient trs chaleureux: ce ne sont pas des cris d'admiration. Berlioz traite autrement Gluck ou Beethoven. Mais l'honneur du critique est sauf: il a lou Mozart.

    ** *

    Si Berlioz n'avait eu qu' dauber sur des pianistes ridicules, invectiver contre les fabricants de pastiches et exalter les matres du pass, il se ft rsign de bon mtier. Mais il avait aussi la charge de juger les vivants.

    Cette partie de sa tche lui avait caus tant de tracas, tant d'ennuis que jamais ilne fit rimprimer les chroniques o taient prononcs les noms de ses contemporains. Dns ses volumes il a repris des fantaisies ou des essais thoriques publis propos decertains opras. Mais il ne voulut point exhumer ce qu'il avait crit sur les uvresde son temps. Peut-tre hsitait-il signer une seconde fois des loges de complaisancarrachs sa lassitude. Il fit une exception pour son clbre article sur Wagner et l

    musique de l'avenir; on put le relire dans A travers chants.

    Nous n'avons aucune raison de partager ces scrupules. Berlioz, du reste, s'est fait une singulire ide de notre clairvoyance s'il nous a cru incapables de discerner sa vraie pense travers les formules laudatives ou courtoises que mille ncessits ui imposaient. A quels misrables mnagements, disait-il dans ses Mmoires, ne suis-jepas contraint! que de circonlocutions pour viter l'expression de la vrit! que de concessions faites aux relations sociales et mme l'opinion publique! que de rage contenue! que de honte bue! Et l'on me trouve emport, mchant, mprisant! H! malotrus qi me traitez ainsi, si je disais le fond de ma pense, vous verriez que le lit d'o

  • 7/24/2019 BERLIOZ Los Msicos y La Msica

    7/108

    rties sur lequel vous prtendez tre tendus par moi n'est qu'un lit de roses, en comparaison du gril o je vous rtirais!...

    Assurment il ne put toujours livrer ses lecteurs le fond de son cur. Il dut quelquefois trpigner de colre l'instant de dcerner quelques vagues compliments des comiteurs qu'il et voulu dchirer. Il lui fallut sacrifier ses dgots tantt de chrestantt ses propres intrts: on n'est pas impunment candidat l'Institut, puis acan; de dures servitudes psent sur le journaliste, mme le plus indpendant de caractreenfin, si l'on est musicien, on ne saurait faire excuter sa musique sans le concours d'artistes, de directeurs, de cantatrices, de chefs d'orchestre, etc... etil serait tmraire de vouloir conqurir leur dvouement force d'injures. Berlioz couquelquefois la tte, afin de conserver, malgr tout, le droit de dire ou d'insinuerla vrit, quand il lui semblait indispensable de le faire pour la dignit de l'art ou pour sa propre dfense.

    De ce droit il a us souvent, plus souvent que lui-mme ne l'a dit. Je citerai troisfeuilletons o, sans circonlocutions, sans rien concder aux relations sociales ou l'opinion publique, il a exprim sa pense tout entire. Le premier de ces articles a rit en 1835, le second en 1849, le troisime en 1861. On voit que, durant sa longue carrire de journaliste, Berlioz a toujours su, quand l'occasion l'exigeait, exprimer ses indignations, sans mnager personne.

    Sa premire victime fut Hrold. L'Opra-Comique venait de reprendre Zampa. Berlioz quin'avait pas encore s'occuper des reprsentations de ce thtre, fit simplement une

    e de la partition. Hrold, sans avoir un style lui, n'est cependant ni Italien, niFranais, ni Allemand. Sa musique ressemble fort ces produits industriels fabriqus Paris d'aprs des procds invents ailleurs et lgrement modifis: c'est de la musiquienne. Tel tait le thme de ce feuilleton qui fit scandale[18]. Les admirateurs d'Hrld ne le pardonnrent jamais Berlioz. Quand celui ci mourut, Jules Janin prtendit en laver la mmoire de son collaborateur et dclara qu'il tait lui-mme l'auteur du famux article sur... le Pr aux Clercs. L'intention tait charitable. Mais Jules Janinconfondait le Pr aux Clercs avec Zampa. L'article tait bel et bien de Berlioz. Ilest assez lourdement rdig, avouons-le. Mais peu de personnes trouveront aujourd'hui draisonnable le jugement du critique de 1835 sur Zampa.

    Quand parut la Fille du Rgiment, ce fut au tour de Donizetti d'tre tendu sur le litd'orties. Berlioz affirma que la musique de cette pice avait dj servi au compositeu

    italien pour un petit opra imit ou traduit du Chalet d'Adam et reprsent en Italie:'est une de ces choses comme on en peut crire deux douzaines par an, quand on a la tte meuble et la main lgre... Lorsqu'on est sur le point de produire une uvre cper la fama[19], comme disent les compatriotes de M. Donizetti, il faut bien segarder de montrer un pasticcio esquiss per la fame. On fait en Italie une effrayante consommation de cette denre chantable, sinon chantante... Et cela n'a pas beaucoup plus d'importance dans l'art que n'en ont les transactions de nos marchands de musique avec les chanteurs de romances et les fabricants d'albums... Tout cela est per la fame, et la fama n'a que peu de chose y voir... La partition de la Fille du Rgiment est donc tout fait de celles que ni l'auteur ni le public ne prennent au srieux... L'orchestre se consume en bruits inutiles; les rminiscences les plus htrognes se heurtent dans la mme scne, on retrouve le style de M. Adam ctavec celui de M. Meyerbeer[20]... Et le feuilleton tout entier est de cette plume

    rapide et incisive. Berlioz montre tous les thtres de Paris envahis la fois par Donizetti. Il se demande ce que penserait ce dernier s'il voyait Adam accaparer ainsi toutes les scnes de Florence, pour y faire reprsenter des uvres mprises Paril imagine les dolances du public florentin devant le dballage de cette pacotille.Donizetti se fcha. On ne sait ce qu'Adam pensa de cette ironique fantaisie. Berlioz fut un peu moins cruel quelques semaines plus tard pour les Martyrs de Donizetti. On ne cesse de jouer la Fille du Rgiment l'Opra-Comique. Les Martyrs ont eu des destines moins heureuses.

    En 1861, c'est contre la bouffonnerie d'Offenbach que se dchane Berlioz. L'Opra-Com

  • 7/24/2019 BERLIOZ Los Msicos y La Msica

    8/108

    ique vient de jouer Barkouf. Le critique s'abandonne une exaspration qui nous fait aujourd'hui un peu sourire. Il s'indigne, avec le public, car Barkouf tait tomb,de voir le genre trivial, bas, grimaant, envahir la scne de l'Opra-Comique et il ie: Dcidment, il y a quelque chose de dtraqu dans la cervelle de certains musicienLe vent qui souffle travers l'Allemagne les a rendus fous. Les temps sont-ils proches? De quel Messie alors l'auteur de Barkouf est-il le Jean-Baptiste[21]?...

    Voil le Berlioz des jours de complte franchise.

    Comment traitait-il les gens qu'il voulait mnager?

    La violence, disait-il, que je me fais pour louer certains ouvrages, est telle que la vrit suinte travers mes lignes, comme, dans les efforts extraordinaires de lapresse hydraulique, l'eau suinte travers le fer de l'instrument. La vrit suintaitsouvent. Tout le monde s'en apercevait, les auteurs des opras et les lecteurs desfeuilletons. Un jour que l'on avait reprsent un ouvrage de Billetta, professeur de piano Londres, Berlioz crivait son ami Morel: Ne croyez pas un mot des quelquesoges que contient sur cette musique mon feuilleton de ce matin, et croyez, au contraire, que je me suis tenu quatre pour en faire aussi tranquillement la critique[22]... Vraiment ni Morel ni personne n'avait besoin d'tre averti.

    On est surpris au premier abord des louanges accordes par Berlioz aux uvres d'Halvy, d'Auber et d'Adam. On est un peu scandalis de trouver sous sa plume cette apprciation du Shrif d'Halvy: Jamais M. Halvy ne s'est montr si abondant, si riche et si

    iginal. Cette uvre a une physionomie tout fait part. Elle m'a fait prouver, presqe d'un bout l'autre, ce plaisir rare que donnent aux musiciens les compositionshardies, nouvelles et savamment ordonnes[23]. Et Halvy n'tait pas le seul bnficcette belle indulgence. Attendez pourtant! Voici ce qu'il crit, une autre fois, du mme Halvy, propos du Val d'Andorre: Le succs du Val d'Andorre, l'Opra-Comiquun des plus gnraux, des plus spontans et des plus clatants dont j'aie t tmoin. Lre-vingt-dix-neuf centimes des auditeurs applaudissaient, approuvaient, taient mus.Une fraction cependant, une fraction imperceptible, mais qui contient encore des esprits d'lite, ne partageait qu'avec des restrictions l'opinion dominante surla haute valeur de l'ouvrage; d'autres, ds la fin du second acte, se montraient djfatigus d'entendre dire: Que c'est charmant! O Athniens, vous avez pourtant bien ped'Aristides! Pour moi, j'ai franchement approuv et admir; j'ai t impressionn vivet sans songer en coutant les clameurs enthousiastes de la salle, appliquer M. Hal

    y ce mot antique: Le peuple applaudit: aurait-il dit quelque sottise?... Mot plusspirituel que profond, car le peuple applaudit mme les belles choses quand ellessont sa porte et qu'elles ne drangent pas brusquement le cours de ses habitudes etde ses ides[24]. Un long reintement, comme nous disons aujourd'hui, et-il valu cgnes dlicieuses et perfides?

    La mansutude qu'il tmoignait Auber tait assez intermittente: Il y a un nombre proieux de motifs de contredanse dans cette partition (Les Diamants de la couronne). La premire reprise est ainsi toute faite, il ne s'agira plus que d'en ajouter une seconde et les quadrilles surgiront par douzaines. videmment, c'est le but ques'est propos M. Auber; il a cru plaire davantage par l au public spcial de l'Opra-omique, et lui plaire d'autant plus que ces thmes courants seraient moins originaux. La dure du succs peut seule dmontrer si ce but a t atteint[25]. Encore cette

    et charmante ironie: M. Auber a crit sur ce livret (L'Enfant prodigue) une riche partition, brillante, anime, vive, joyeuse, souvent touchante et compltement prive de ces beauts terribles qu'accompagne l'ennui[26]. De tels traits sembleraient maintenant inoffensifs. En ce temps-l, on savait encore goter les sous-entendus, comprendre les allusions.

    Berlioz fut donc moins froce qu'on ne l'a dit; mais il fut moins indulgent qu'ilne l'a lui-mme prtendu.

    *

  • 7/24/2019 BERLIOZ Los Msicos y La Msica

    9/108

    * *

    Il a sincrement aim les uvres de quelques-uns de ses contemporains. Prenons icicettrserve est indispensablele mot de sincrement dans le sens attnu qu'il faut toujoului attribuer s'il s'agit d'un artiste jugeant les productions de ses rivaux oude ses disciples heureux. Un musicien dnu de toute jalousie, tranger toute malice,joyeux de succs qui ne sont pas les siens, ce prodige s'est une fois rencontr: CsarFranck fut un saint. Berlioz n'en tait pas un: il aima qui l'aimait et clbra volontiers les uvres dont la russite lui semblait un gage de sa propre revanche. Cependant l'accent de certains feuilletons trahissait une chaleur de sentiment laquelle ne pouvaient pas se tromper les compositeurs gratifis la veille de louanges banales: ces jours-l, le critique tait heureux que la reconnaissance, l'intrt et la prdence lui permissent d'admirer librement ce qu'au fond du cur il jugeait admirable.

    Il a pieusement glorifi la musique de son matre Jean-Franois Lesueur[27]. Son granddgot de l'italianisme ne l'empcha pas de rpter vingt fois que le Barbier tait un-d'uvre et de reconnatre la sensibilit profonde de Bellini, son expression si soujuste et vraie... sa simplicit nave[28]. Pour l'amour de la symphonie, il combla delouanges les pauvres symphonistes de cette poque: Heller, Reber, Litolff.

    De tous les musiciens de son temps, celui qu'il loua avec le plus d'ardeur, ce fut Meyerbeer. Ce got dconcertant gne quelques-uns de ses fervents: ils voudraient mettre au compte des complaisances ncessaires les loges dcerns par le musicien des T

    oyens au compositeur du Pardon de Plormel: simple gratitude de Berlioz, disent-ils, pour un matre illustre, auditeur assidu et bienveillant de toutes ses symphonies et de tous ses opras. A leur avis, si l'on veut savoir sa vritable opinion, ilfaut s'en tenir cette boutade rapporte par M. Adolphe Jullien[29]: Meyerbeer n'a pas seulement le bonheur d'avoir du talent, il a surtout le talent d'avoir du bonheur.

    Berlioz a pu lcher cette mchancet dans un instant d'humeur. Ce n'tait point son opiion intime. Tels passages de ses uvres (ce ne sont pas les meilleurs), notammentle finale de la Rconciliation, thtral pilogue de la belle symphonie de Romo et Julte, prouveraient que l'admiration de Berlioz pour Meyerbeer ne fut que trop relle... Mais, rien qu' lire ses feuilletons, nous en sommes dj convaincus. Qu'il s'agisse de l'auteur des Huguenots ou de celui de la Juive, l'loge sonne d'une manire di

    ffrente.

    En 1836, Berlioz avait publi une analyse de la partition des Huguenots, trs longueet trs chaleureuse[30]. On a lu plus haut un fragment d'un de ses articles sur le Prophte. A la suite de la reprsentation de l'toile du Nord, il disait: C'est mervilleux de vrit, d'lgance, de fracheur d'ides, d'originalit, d'audace et de bonhedes plus jolies, des plus coquettes chatteries musicales, on y trouve des combinaisons effrayantes de complexit, des traits d'expression passionne d'une vrit saisisante[31].Pour le Pardon de Plormel, mmes louanges[32]. Et si l'on conserve un dout, malgr tous ces tmoignages publics, il faut ouvrir les Lettres intimes Humbert Ferrand: on y lit ceci (28 avril 1859): Que la musique d'Herculanum est d'une faiblesse et d'un incoloris (pardon du nologisme) dsesprants! Que celle du Pardon de Plomel est crite, au contraire, d'une faon magistrale, ingnieuse, fine, piquante et so

    uvent potique! Il y a un abme entre Meyerbeer et ces jeune gens. On voit qu'il n'est pas Parisien. On voit le contraire pour David et Gounod.

    Berlioz traite ici avec un peu d'amertume ces deux jeunes gens. Il avait pourtant salu leurs dbuts avec une vidente sympathie. Pour Flicien David, sympathie est trp peu dire. L'article sur la premire audition du Dsert ressemble un sacre, une apthose: un grand compositeur vient d'apparatre; un chef d'uvre vient d'tre dvoil. toutes les tides rticences, toutes les rserves ingrates sous lesquelles se cache lalche crainte de trouver des railleurs, ou celle plus misrable encore et plus malfonde de voir les travaux futurs du nouvel artiste ne pas rpondre l'attente que so

  • 7/24/2019 BERLIOZ Los Msicos y La Msica

    10/108

    n premier triomphe fait concevoir!... Ah! prudents aristarques, vous ne savez pas de quelle nature est l'motion qui fait battre le cur de l'artiste dont l'uvre estreconnue belle! Ce n'est pas de la vanit, ce n'est pas de l'orgueil, ce n'est pas la satisfaction d'avoir vaincu une difficult, la joie d'tre sorti d'un pril, ce n'est rien de tout cela, dtrompez-vous, c'est de la passion, c'est une passion partage, c'est l'enthousiasme pour son uvre multipli par la somme des enthousiasmes intelligents qu'elle a excits... L'amour du beau remplit seul tout entire l'me du pot; ce qu'il dsire, c'est d'avoir, autour de lui, quand il chante, un chur de voix mues pour rpondre sa voix: plus elles sont belles, savantes et nombreuses et plus sa vie rayonne et se divinise, plus il est heureux[33]... Pauvre Berlioz! Il livrait le secret de ses plus cruelles rancurs, lorsqu'il peignait avec tant de feu les joies du pote applaudi; de toute son me il aspirait l'ivresse du triomphe, au dlre qui divinise la vie; mais un destin avare lui marchandait cette flicit: ce fut sn dsespoir. Pauvre David! la gloire lui avait souri trop tt. Ces aristarques prudents dont les scrupules et les rserves indignaient son pangyriste, n'taient peut-tres si mal aviss. Il justifia leur prudence, et Berlioz lui-mme crivit sur Herculanumun article d'une svrit mitige o le dpit d'avoir t mauvais prophte se mlait tout le monde n'et pas perdu le souvenir des solennels enthousiasmes de nagure.

    Quant Gounod, le feuilleton de Berlioz sur Sapho contient de svres admonestationsmais aussi de grands loges. Il mrite d'tre relu. C'est un de ceux o Berlioz a exprisa pense, toute sa pense, avec le plus de franchise et de libert. Aprs avoir vant pome d'mile Augier comme un magnifique texte pour la musique, il ajoute que Gounod 'a trs bien trait dans certaines parties. Mais d'autres passages de l'uvre l'ont rv

    lt: Je trouve cela, dit-il, hideux, insupportable, horrible. Et s'adressant au musicien: Non, mon cher Gounod, l'expression fidle des sentiments et des passions n'est pas exclusive de la forme musicale... Avant tout il faut qu'un musicien fassede la musique. Et ces interjections continuelles de l'orchestre et des voix dansles scnes dont je parle, ces cris de femmes sur des notes aigus, arrivant au cur comme des coups de couteau, ce dsordre pnible, ce hachis de modulations et d'accords, ne sont ni du chant, ni du rcitatif, ni de l'harmonie rythme, ni de l'instrumentation, ni de l'expression. Il arrive dans certains cas au compositeur d'tre oblig par son sujet des espces de prludes dans lesquels se montrent demi les ides qse propose de dvelopper immdiatement aprs; mais il faut qu'enfin il les dveloppe, cs ides, il faut que l'espoir de voir le morceau de musique commencer et finir nesoit pas continuellement du[34]... Aprs cette vive mercuriale, il met en lumire tos les beauts de la partition, surtout la dernire scne, dont il dira quelques mois p

    lus tard, en rendant compte d'une reprise de Sapho:

    L'art est si complet qu'il disparat. On ne songe plus qu' la sublimit de l'expressin gnrale sans tenir compte des moyens employs par l'auteur. C'est beau!... mais trsbeau, miraculeusement beau[35]!

    J'ai dj cit les vivants dialogues par lesquels dbute le feuilleton sur Faust. Quanddans le mme article, Berlioz prend ensuite la parole pour son compte, il s'efforce d'tre quitable; mais le cur n'y est pas. Comment ne serait-il pas bless des invetions saugrenues des librettistes? comment, surtout, pourrait-il carter de sa pense le triste destin de sa Damnation? A son avis la partition de Gounod a de fort belles parties et de fort mdiocres[36]. Il loue de son mieux les premires. Quant auxsecondes, il use d'ingnieuses prtentions: Je ne puis me rappeler la forme ni l'acc

    ent du petit morceau chant par Sibel cueillant des fleurs dans le jardin de Marguerite. Quatre heures de musique l'ont tellement fatigu qu'il a gard seulement un souenir confus du trio final[37].

    Avant que Berlioz renont la critique musicale, deux jeunes compositeurs franais dot les noms furent depuis glorieux. Georges Bizet et Ernest Reyer, avaient fait reprsenter Paris leurs premiers ouvrages. Berlioz leur rendit justice.

    Ce fut l'auteur de la Statue qui occupa dans les Dbats la place abandonne par l'auteur des Troyens. Il continua la glorieuse tradition de son matre. A son tour, pe

  • 7/24/2019 BERLIOZ Los Msicos y La Msica

    11/108

    ndant plus de trente annes, il prodigua dans d'innombrables articles les fantaisies, les malices, les ironies de son esprit alerte et mordant, les boutades de son humeur indpendante, et les jugements de son got libre, sr et dlicat.

    ** *

    La suite des feuilletons de Berlioz forme donc une histoire complte de la musique Paris de 1835 1863. On n'y relve qu'une grave omission: Berlioz n'a point prononc le nom de Csar Franck. Mais il faut observer que la seule uvre de Franck excute dant ce laps de temps fut Ruth et Booz et qu'alors (4 janvier 1846), Berlioz voyageait en Autriche. Ce fut Delcluze qui rendit compte de ce concert dans les Dbats[38]; il loua le nouvel oratorio et fit cho l'enthousiasme du public, car la premire uvre de Csar Franck remporta un clatant succs.

    Je n'ai rien dit de l'attitude de Berlioz l'gard de Wagner. On a si souvent cont la querelle du musicien franais et du musicien allemand[39]! Autrefois beaucoup depersonnes s'imaginaient, sur la foi de Scudo, que Berlioz et Wagner taient de lamme famille... deux frres ennemis... deux enfants terribles de la vieillesse de Beethoven; et, comme cette opinion tait accepte non seulement par les dtracteurs maisaussi par certains admirateurs de Berlioz et de Wagner, une telle dispute de famille tonnait les uns et attristait les autres. Aujourd'hui que les grandes hainessont teintes et que les grands engouements sont calms, aujourd'hui que l'on ne gote plus en applaudissant, soit Wagner, soit Berlioz, la joie de passer pour rvolut

    ionnaire, on comprend mieux que Berlioz ne pouvait pas aimer Wagner, sans dsavouer une partie de son uvre, sans blasphmer ses dieux.

    Il rdigea une solennelle profession de foi, un vritable credo et jeta l'anathme lausique de l'avenir. Plus tard, des griefs personnels se mlrent ses rpugnances artiques; sa colre s'exaspra quand il vit l'Opra recevoir Tannhuser, tandis que le sordes Troyens demeurait incertain. Le lendemain de la premire reprsentation, il allait, dans ses lettres, jusqu' fliciter les Parisiens de leurs rires et de leurs sifflets; il trouvait bon que la foule, sur l'escalier de l'Opra, et trait tout hautWagner de gredin, d'insolent, d'idiot; il ne pouvait rprimer ce cri pitoyable: Je sis cruellement veng[40]. Cependant tout n'tait pas rancune assouvie et jalousie satisfaite dans le plaisir que lui procurait la chute du Tannhuser. Il faut se reporter l'article que, dix annes auparavant, il avait consacr la Sapho de Gounod, pou

    saisir les causes lointaines et profondes de son hostilit contre la musique de Wagner.

    ** *

    Esthtique! maugrait Berlioz, je voudrais bien voir fusiller le cuistre qui a inventce mot l.Le vocable est disgracieux, disons-le avec Berlioz. Mais celui-ci avait des raisons particulires de har l'esthtique. Sa devise tait celle du romantisme: Dsoe et Gnie. On ne discipline pas le Dsordre; on ne dfinit pas le Gnie.

    Aprs avoir parcouru livres et feuilletons de Berlioz, nous gardons le souvenir d'un chaos d'invectives et de dithyrambes, d'un trange ple-mle de folie et de bon sen

    s, d'amour et de haine, d'emphase et d'esprit, mais o rien ne ressemble un systme.Il est sans doute puril de rclamer d'un artiste crateur un ensemble de rgles et deprceptes: ces lgislations sont jeux de pdants. Mais, sachant les objets de ses prfces et de ses aversions, nous pouvons, en gnral, restituer sa potique, c'est--dire erminer avec plus de prcision et de sret les caractres de son gnie: un artiste quimle de critique confesse au public ses propres ambitions.

    Nous connaissons bien la doctrine morale de Berlioz, son thique professionnelle: elle est trs belle et trs claire: le musicien doit se garder de toute trivialit, mprier le vulgaire, le mdiocre, le parisien, se moquer de la fortune, respecter les mat

  • 7/24/2019 BERLIOZ Los Msicos y La Msica

    12/108

    es et ne rien cder de son idal.

    Mais quel fut l'idal de Berlioz? quelle son esthtique?

    On dcouvre sans peine dans les livres de Wagner la gense des ides qui devaient aboutir la fondation de Bayreuth, les influences sous lesquelles s'est labore, acheve a conception du drame lyrique. Quelques phrases parses en des lettres familires suffisent dvoiler la pense intime de Mozart sur la musique et l'opra. Avec Berlioz, ous sommes en pleines tnbres. Il a entass des milliers de pages de critique; on possde les lettres qu'il adressait ses amis; lui-mme n'a jamais t avare de confidencsur ses uvres et sa vie; cependant il nous est impossible de nous orienter au milieu de la diversit de ses thories et de ses tendances.

    Wagner a entrevu la cause de ces dcevantes inconsquences: Du fond de notre Allemagne, dit-il, l'esprit de Beethoven a souffl sur lui, et certainement il fut des heures o Berlioz dsirait tre un Allemand; c'est en de telles heures que son gnie le possait crire l'imitation du grand matre, exprimer cela mme qu'il sentait exprimses uvres. Mais ds qu'il saisissait la plume, le bouillonnement naturel de son sang de Franais reprenait le dessus, le bouillonnement de ce sang qui frmissait dansles veines d'Auber, lorsqu'il crivit le volcanique dernier acte de sa Muette... Heureux Auber, qui ne connaissait pas les symphonies de Beethoven! Berlioz lui, les connaissait; bien plus, il les comprenait, elles l'avaient transport, elles avaient enivr son me... et nanmoins c'est par l qu'il lui fut rappel qu'un sang francoulait dans ses veines. C'est alors qu'il se reconnut incapable de faire un Bee

    thoven, c'est alors aussi qu'il se sentit incapable d'crire comme un Auber[41].La remarque de Wagner est pntrante, mais elle ne touche qu' l'criture musicale; elln'claire pas encore tous les aspects du gnie de Berlioz. Il faut pousser plus loin si l'on veut deviner quel combat terrible tourmenta cette me divise contre elle-mme.

    J'ai mis au pillage Virgile et Shakespeare..., crit Berlioz au sujet des Troyens. Virgile et Shakespeare! Voil en deux mots l'origine des incertitudes, des contradictions, des incohrences parmi lesquelles se dbattait son imagination inquite et douloureuse. Pas un seul jour il ne se douta qu'il adorait deux divinits ennemies etque servir l'une, c'tait renier l'autre. Il ne s'en douta pas; mais les divinitsse vengrent.

    Il tait classique d'intelligence, classique d'ducation, classique jusqu'aux moelles.

    Le premier pote qu'il a lu, senti, aim, c'est Virgile[42]. Enfant, l'agonie de Didon l'a fait pleurer et frissonner. Plus tard, Gluck excite les premiers transports du musicien et lui dicte sa vocation, Gluck qui, mme en voquant les hros d'Euripide ou du Tasse, reste par-dessus tout virgilien, c'est--dire profondment classique au sens franais ais du mot, Gluck si voisin de l'art de nos tragiques par sa robuste sobrit, sa science de la passion, sa pompeuse lgance, Gluck qui, dans ses chef-d'uvre, a continu, sans le surpasser, Rameau, le plus franais des Franais de Fran43]. Mais, pour son malheur, le temps de ses premires uvres et de ses premires amous est celui o la bourrasque romantique se dchane sur la France. Tout dans les prome

    sses de l'cole nouvelle sduit sa nature brlante: les rgles brises, les conventionsolies, la passion glorifie, la rvlation d'une beaut inconnue. Il devient donc romanique; mais sa sensibilit est seule atteinte; son got demeure classique.

    Quand Berlioz part pour Rome, le poison est dj dans ses veines: c'est Byron qu'illit au Colise, ce sont des churs de Weber qu'il chante avec des peintres allemandsen revenant, le soir, de ses promenades travers la campagne romaine. gar par lesprestiges romantiques, il n'est plus capable d'couter la leon des ruines et du ciel. Mais ni les fes, ni les sorcires, ni Satan, ni les dieux du Nord ne peuvent fermer son oreille la voix de Virgile, qui lui parle sans relche sur la terre du Lat

  • 7/24/2019 BERLIOZ Los Msicos y La Msica

    13/108

    ium. Des vers de l'nide se rveillent tout propos dans son esprit; et, prs de Subi, s'accompagnant de sa guitare, il chante, dans la solitude, la mort du jeune Pallas et le dsespoir du bon vandre. Ces souvenirs, rien ne les effacera jamais; ilsse mleront toutes les joies, toutes les souffrances, toutes les admirations de erlioz. Ce sera le convoi de Pallas qu'il croira voir passer, quand il entendrala marche funbre de la Symphonie hroque. Tous ses crits sont parsems de citations Virgile; ses feuilletons les plus moroses en sont maills. Il est tortur, tenaill, pense de dbrouiller un scnario de Scribe: un vers des glogues traverse sa mmoire,le voil qui sourit sur le chevalet. Le pote latin a inspir son premier essai: la Mort d'Orphe, et sa dernire uvre: les Troyens.

    Berlioz a aim aussi, hlas! formidablement aim ce ftiche barbare que les artistes d'lors nommaient Shakespeare, ayant appris, par les traductions de Letourneur, quele pote anglais, dtest de Voltaire, ignorait la rgle des trois units, peuplait lae de fantmes et introduisait le calembour dans la tragdie. Le shakespearianisme des romantiques franais est une des mystifications les plus plaisantes de l'histoire littraire. Berlioz, lui-mme, nous a fait l-dessus des aveux bons retenir. Il venit d'assister avec une motion poignante la reprsentation de Romo et Juliette donnaris par la troupe anglaise dont Henriette Smithson faisait partie; Il faut ajouter, dit-il en rappelant cette heure de sa vie, que je ne savais pas alors un seul mot d'anglais, que je n'entrevoyais Shakespeare qu' travers les brouillards dela traduction de Letourneur et que je n'apercevais point en consquence la trame potique qui enveloppe comme d'un rseau d'or ces merveilleuses crations. J'ai le malheur qu'il en soit peu prs de mme aujourd'hui. Il est bien plus difficile un Fran

    de sonder les profondeurs du style de Shakespeare qu' un Anglais de sentir les finesses et l'originalit de celui de La Fontaine et de Molire. Nos deux potes sont de riches continents. Shakespeare est un monde. Avec les autres romantiques, il adora donc ce pote inconnu. Shakespearien devint pour lui comme pour eux le mot quiexcuse toutes les folies. Shakespeariens, les effets foudroyants pour lesquels ildcuple les sonorits de l'orchestre; shakespearienne, l'obsession du colossal, dutitanique; shakespearien, le mlange du trivial et du sublime dans la symphonie; shakespearien surtout, ce mpris des conventions qui tiennent l'essence mme de l'art, l'imprudente ambition d'amalgamer des sons, des couleurs et de la littrature.

    Dans ses premires uvres, la passion romantique domina presque souverainement; maiselle ne put en bannir la finesse, l'lgance et la tendresse virgiliennes. La scne ax champs de la Symphonie fantastique, le dbut de la Damnation de Faust, d'autres f

    ragments encore attestaient la persistance du got classique. Puis, un jour, par cette sorte de rgression qui, vers le milieu de la vie, ramne les hommes leur vritale nature, aux instincts qu'ils ont hrits de leur race et de leur famille, Berliozse dtourna du romantisme. Alors il composa l'Enfance du Christ, Batrice et Bndict,les Troyens: son insu, il rentrait dans sa voie. Quand il fit excuter l'Enfance du Christ, quelques personnes soutinrent qu'il avait modifi son style et sa manire.Il haussa les paules: J'aurais crit, dit-il, l'Enfance du Christ de la mme faon, y a vingt ans. C'tait vrai: il et pu l'crire; mais il avait crit la Symphonie fantique! Nul artiste ne fut aussi inconscient des mouvements de son gnie. Jamais ilne s'aperut qu'en lui mme son got et sa sensibilit se livraient bataille. Il souffrt tragiquement de ce conflit, mais ignora la cause de son mal.

    Combien de potes et d'artistes romantiques subirent le mme tourment pour avoir, da

    ns un moment de bravade, refus d'entendre le cri de leur propre nature! Combien ont pu rpter le cantique de Racine:

    Hlas! en guerre avec moi-mmeO pourrai-je trouver la paix?

    La paix, c'est--dire l'heureux accord de toutes les facults d'une me humaine, sousla loi de la tradition.

    ANDR HALLAYS

  • 7/24/2019 BERLIOZ Los Msicos y La Msica

    14/108

    AVERTISSEMENTLe titre de ce volume: La Musique et les Musiciens avait t choisi, du vivant de Berlioz, pour un recueil d'articles qui est rest l'tat de projet. Celui que nous offrons aujourd'hui au public, contient quelques-uns des feuilletons publis dans leJournal des Dbats, de 1835 1863.

    Un grand nombre de feuilletons de Berlioz ont t dj rdits, soit en entier, soit pments, dans A travers Chants, dans les Grotesques de la Musique, dans les Soiresde l'Orchestre, dans les Mmoires. Ceux que nous runissons aujourd'hui n'ont jamaist reproduits. On pourra retrouver et l quelques lignes dj rimprimes dans de mes. Lorsque le feuilleton d'o ces lignes avaient t tires, prsentait un rel intravons cru pouvoir le donner intgralement.

    Nous nous sommes attachs choisir les articles les plus propres bien faire connatrl'opinion de Berlioz sur les musiciens de son temps. Si l'on veut savoir comment il jugeait ses matres de prdilection: Beethoven, Gluck, Weber et Spontini, il faut se reporter aux Soires de l'Orchestre et A travers Chants. Cependant nous avons cru devoir citer ici deux feuilletons relatifs Mozart, les autres recueils nedonnant que d'une faon incomplte la pense du critique sur l'auteur de Don Juan. Tout le reste de la publication est consacr des contemporains de Berlioz.

    Il ne pouvait tre question de reproduire tous les articles de critique musicale i

    nsrs dans le Journal des Dbats pendant vingt-huit annes. Personne aujourd'hui ne s'ntresserait tous les opras mort-ns que Berlioz a t forc de passer en revue. Nouen sommes tenus aux uvres des compositeurs qui sont demeurs glorieux ou clbres.

    On a parfois omis la partie du feuilleton o est analys le livret. On a pens aussi que, dans certains cas, le jugement de Berlioz sur les interprtes ne prsentait plusaucun intrt et on a retranch de fastidieuses nomenclatures d'artistes disparus.

    Nous ne nous sommes pas cru autoriss effacer certaines ngligences de style que Berlioz eut sans doute fait disparatre, s'il avait rdit lui-mme ces articles crits ar le jour.

    MOZART

    DON JUAN15 novembre 1835.

    On a donn hier soir Don Juan l'Opra. Je ne viens pas en faire l'analyse. Dieu m'engarde! Trop de savants critiques, musiciens, potes, ou la fois potes et musiciens(comme Hoffmann par exemple) se sont exercs sur ce vaste sujet, de manire ne rienlaisser glaner aprs eux. Je me bornerai mettre quelques ides gnrales propostonnante production toujours jeune, toujours forte, toujours l'avant-garde de lacivilisation musicale, lorsque tant d'autres, dont l'ge n'gale pas la moiti du sie

    n, gisent dj, cadavres oublis dans les fosss du chemin, ou mendient des suffrages dune voix casse qu'on coute peine. Quand Mozart l'crivit, il n'ignorait pas que le uccs d'une uvre pareille serait lent, et que peut-tre mme il ne serait pas donn eur de le voir. Il disait souvent, en parlant de Don Juan: Je l'ai fait pour moiet quelques amis. Mozart avait raison de n'esprer que l'admiration du petit nombrede musiciens avancs de son poque. La froideur de la masse du public devant le monument musical qu'il venait d'lever le prouva bien. Aujourd'hui mme, si la suprioritde Mozart ne trouve pas en France de contradicteurs, c'est moins dans un sentiment rel du peuple dilettante qu'il en faut voir la cause, que dans l'influence exerce sur lui par l'opinion constamment la mme des artistes distingus de toutes les n

  • 7/24/2019 BERLIOZ Los Msicos y La Msica

    15/108

    ations; opinion qui a fini par passer dans l'esprit de la foule comme un dogme religieux sur lequel la controverse n'est point permise, et dont il serait criminel de douter. Pourtant le succs de Don Juan l'Opra, succs d'argent s'il en fut, pet tre regard comme la manifestation d'un progrs sensible dans notre ducation musicae. Il prouve avec vidence qu'une bonne partie du public peut dj goter sans ennui unmusique fortement pense, consciencieusement crite, instrumente avec got et dignitoujours expressive, dramatique, vraie; une musique libre et fire, qui ne se courbe pas servilement devant le parterre et prfre l'approbation de quelques esprits lev(suivant l'expression de Shakespeare) aux applaudissements d'une salle pleine de spectateurs vulgaires. Oui, le nombre des initis est devenu assez grand aujourd'hui pour qu'un homme de gnie ne soit plus oblig de mutiler son uvre en la rapetissant la taille de ses auditeurs. La majorit des habitus de nos thtres lyriques estcore, il est vrai, sous l'influence d'ides bien troites, mais ces ides mmes perdentpeu peu de leur empire, et, dans l'incertitude cause par la chute successive de leurs illusions, les tranards finissent par s'en rapporter aveuglment la parole deceux qui les ont devancs dans la voie du progrs, et s'applaudissent chaque jour deles avoir suivis, en faisant sur leurs pas de merveilleuses dcouvertes. Certaines parties des grandes compositions demeureront bien encore quelque temps voiles pour la multitude, mais au moins n'en est-elle plus refuser ces hiroglyphes une signification, et ne dsespre-t-elle pas d'en pntrer le sens. On commence comprendre'il y a un style en musique comme en posie, qu'il y a par consquent une musicalit de bas tage, comme une littrature d'antichambre, des opras de grisettes et de soldats, comme des romans de cuisinires et de palefreniers. Par induction, on concevrapeu peu qu'il ne suffit pas qu'un morceau de musique soit d'un agrable effet sur

    l'organe de l'oue, mais qu'il doit remplir en outre d'autres conditions sans lesquelles l'art musical ne s'leverait pas beaucoup au-dessus de l'art des Carmes et des Vatels. On comprendra que, s'il est ridicule de vouloir exclure de l'orchestre le moindre de ses instruments, puisqu'ils peuvent tous produire des effets intressants, employs propos et avec sagacit, il l'est cent fois davantage de jouer del'orchestre comme d'un piano dont on a lev les touffoirs; d'entendre tous les sonsconfondus sans distinction de caractre, sans gard pour la mlodie qui disparat, poul'harmonie qui devient confuse, pour les convenances dramatiques blesses et pourles oreilles sensibles offenses. On verra bien qu'il est monstrueux d'accueillirl'entre en scne de mademoiselle Taglioni avec les beuglements de l'ophiclde et un eu roulant de coups de tampon, que cette instrumentation barbare, qui conviendrait des volutions de cyclopes, devient un stupide contresens applique la danse de a plus gracieuse des sylphides; qu'il n'est pas moins singulier d'entendre la pe

    tite flte doubler la triple octave le chant d'une voix de basse, ou un accompagnement de violons, a punta d'arco, gayer un hymne de prtres inclins sur un tombeau. On apercevra enfin les dplorables consquences de ce systme de musique saltimbanque.En effet, comment voulez-vous ainsi produire des contrastes puissants? O le compositeur consciencieux pourra-t-il trouver les moyens de faire ressortir certainesnuances sans lesquelles il n'y a pas de musique? Veut-il tirer de son orchestreune voix effrayante, grandiose, terrible? Les trombones, l'ophiclde, les trompettes et les cors sont l, il les met en action... Ils ne produisent cependant pas sur l'auditoire l'impression qu'il esprait; le bruit de cette masse d'instruments de cuivre n'est ni effrayant, ni grandiose. Le public en entend tous les jours desemblables dans l'accompagnement d'un duo d'amour ou d'un chant d'hymne; il y estaccoutum, et l'clat sur lequel comptait le musicien n'ayant pour lui rien d'extraordinaire, ne le frappe en aucune faon. Si l'auteur a besoin, au contraire, d'une

    instrumentation douce et dlicate, moins que la situation dramatique ne soit saisissante au dernier point, soyez sr qu'un auditoire, habitu voir ses conversationscouvertes par le fracas d'un orchestre possd, ne prtera pas le degr d'attention ncaire pour l'apprcier. Voil pourquoi je pense qu'avant l'apparition de Robert le Diable et celle du second acte de Guillaume Tell, c'et t folie d'esprer un brillant sccs pour la partition de Don Juan l'Opra. La sensibilit du public tait engourdie;est grce l'heureuse influence exerce par ces deux modles dans l'art de dispenser ls trsors de l'instrumentation, que nous devons de l'avoir vue se rveiller. Enfin Mozart est venu point.

  • 7/24/2019 BERLIOZ Los Msicos y La Msica

    16/108

    Malheureusement, on a cru devoir introduire dans Don Juan des airs de danse formsde lambeaux arrachs et l aux autres uvres de Mozart, tendus, tronqus, disloquruments selon la mthode qui me parat si contraire au sens musical et aux intrts deart; sans cela, le style si constamment pur de la sublime partition, en rompantsans mnagements les habitudes que le public avait prises depuis huit ou dix ans,et achev cette rvolution importante. Et notez bien que Mozart seul pouvait prendrela responsabilit d'une pareille tentative. On n'a pas encore os dire que son orchestre ft pauvre, ni que son style mlodique et vieilli; ce nom a conserv sur les savats comme sur les ignorants, sur les jeunes compositeurs comme sur les anciens matres, tout son prestige. On pouvait donc, sans crainte de s'attirer le reproche de ressusciter des vieilleries, remonter un opra dont l'ensemble et les dtails sontune critique sanglante des procds adopts par une cole musicale moderne. Tentative ui et t souverainement imprudente, au contraire, dans un nouvel ouvrage. C'est une usique bien ple, aurait-on dit de toutes parts, cet orchestre est bien pauvre, bien dpourvu d'clat et de vigueur. Tout cela, parce que la grosse caisse n'aurait pastonn dans tous les morceaux, flanque d'un tambour, d'une paire de timbales, des cimbales et du triangle, et accompagne de toute la brillante cohorte des instruments de cuivre. Eh malheureux! vous ne savez donc pas que Weber n'a jamais permis la grosse caisse de s'introduire dans son orchestre; que Beethoven, dont vous nercuserez pas, j'espre, la puissance, ne l'a employe qu'une seule fois, et que dansle Barbier de Sville et quelques autres ouvrages de Rossini on n'en trouve pas une note! Si donc tout orchestre dpourvu de ce grossier auxiliaire vous parat faible et maigre, n'en accusez que ceux qui vous ont ainsi blass par l'abus des moyensviolents, et prtez plus d'attention au compositeur assez clairvoyant sur les cau

    ses relles du pouvoir de son art, pour n'avoir recours au bruit qu'en des occasions rares et exceptionnelles.

    C'est ce qu'on fait aujourd'hui pour Mozart, je n'en citerai pour preuve que lesilence religieux avec lequel on coute l'Opra la scne de la statue, dont l'entre Thtre-Italien, est ordinairement le signal de l'vacuation de la salle. Il n'y a plus l de prima donna ou de tnor la voix sduisante, pour donner une leon de chant auntes des premires loges; il ne s'agit point d'un duo la mode, dans lequel les deux virtuoses font assaut de talent et d'inspiration, ce n'est qu'un chant mortuaire, une sorte de rcitatif, mais sublime de vrit et de grandeur. Et comme l'instrumentation des actes prcdents a t traite avec discernement et modration, il s'ensuit'apparition du spectre, le son des trombones, qu'on n'a pas entendus depuis longtemps, vous glace d'pouvante, et qu'un simple coup de timbale, frapp de temps en t

    emps sous une harmonie sinistre, semble branler toute la salle. Cette scne est siextraordinaire, le musicien a ralis l de tels prodiges, qu'elle crase toujours l'aceur charg du rle du Commandeur; l'imagination devient d'une exigence excessive etdix voix de Lablache unies lui paratraient peine suffisantes pour de tels accents. Il n'en est pas de mme des cris forcens de Don Juan, se dbattant sous les treinteglaces du colosse de marbre. Comme l'impie sducteur de donna Anna n'est rien de plus qu'une crature humaine, l'esprit ne lui demande que des accents humains, et c'est peut-tre mme de toutes les parties de ce rle vari celle que l'acteur rend ordiairement le mieux. Au moins cela nous a-t-il sembl tel pour Garcia, Nourrit et Tamburini.

    Le rle d'Ottavio est devenu presque inabordable par la perfection dsesprante avec laquelle Rubini chante l'air fameux: Il mio tesoro. Je cite cet air seulement par

    ce qu'il est impossible de reconnatre la mme supriorit dans la manire dont il excout le reste du rle. Dans les morceaux d'ensemble, dans le duo du premier acte, Rubini semble chercher s'effacer compltement; le grand nombre de phrases crites dans le bas, ou tout au moins dans le medium, doivent en effet prsenter un obstaclerel au dveloppement de cette voix admirable, destine planer toujours sur les autreau lieu de les accompagner. Il en rsulte que le duo dont il est question produitordinairement beaucoup plus d'effet l'Opra qu'au Thtre Italien. Disons aussi que ademoiselle Falcon est pour beaucoup dans cette diffrence. Mademoiselle Grisi n'aime gure Mozart, et ne joue donna Anna qu' contre cur; ce n'est pas en Italie, o jaais Don Giovanni n'obtint droit de cit, qu'elle pouvait apprendre goter cette musi

  • 7/24/2019 BERLIOZ Los Msicos y La Msica

    17/108

    que. Mademoiselle Falcon, au contraire, la chante avec amour, avec passion, on s'en aperoit l'motion qui la tourmente, au tremblement de sa voix dans certains passages touchants, l'nergie avec laquelle elle lance certaines notes, l'habilet qu'lle met faire ressortir plusieurs coins du tableau que la plupart de ses rivaleslaissent dans l'ombre. Je n'ai pas entendu mademoiselle Sontag dans donna Anna,mais de toutes les autres cantatrices que j'ai vues s'essayer dans ce rle difficile, mademoiselle Falcon me parat incontestablement la meilleure sous tous les rapports.

    Je lui reprocherai seulement le mode de vocalisation qu'elle a adopt pour les phrases formes de gruppetti diatoniques o les notes se lient de deux en deux, comme celle qui se trouve dans son duo avec Ottavio au premier acte. En pareil cas, mademoiselle Falcon accentue tellement fort la premire noie de chaque gruppetto, quela seconde en est presque efface, et qu' un certain loignement il rsulte de cette ngalit un effet tout autre que celui qu'en attend probablement la cantatrice, et assez analogue la phrasologie des cors, lorsqu'ils emploient alternativement un son ouvert et un son bouch. Ainsi rendu, le trait que je viens de dsigner dans le duo de Don Juan, perd beaucoup de sa force au lieu d'en acqurir. Si on ne le lui dit pas, il est impossible que mademoiselle Falcon s'en aperoive, l'effet n'tant plus le mme de prs.

    Je ne saurais passer sous silence l'excution foudroyante du grand finale aux premires reprsentations. Le soin avec lequel les rptitions gnrales en avaient t fai'assurance qu'une tude minutieuse et bien dirige de sa partie avait donne chaque c

    oriste, ne sont pas les seules causes de ce rsultat. Tous les acteurs de l'Opra, qui n'avaient pas de rle dans la pice, ayant demand figurer comme choristes dans lefinale, cette augmentation inusite du nombre des voix, l'excution chaleureuse de ces chanteurs auxiliaires, l'enthousiasme rel prouv par quelques-uns et se communiquant la masse, tout concourut faire de ce morceau le prodige de l'excution chorale l'Opra. Comme, d'ailleurs, l'orchestre de Mozart, malgr tout ce qu'il a de richesse et de force, n'crase pas le chant, on a pu voir enfin de quoi tait capable un pareil chur ainsi excut. Voil de la musique dramatique!!!

    LA FLTE ENCHANTE

    ET

    LES MYSTRES D'ISIS[44]1er mai 1836.

    La Flte enchante est celui peut-tre de tous les ouvrages de Mozart dont les morceaux dtachs sont les plus rpandus et la partition complte la moins apprcie en Francee n'obtint du moins qu'un fort mdiocre succs Paris, quand la troupe allemande voulut la reprsenter au thtre Favart, il y a six ou sept ans. Pourtant il n'y a pas deconcert o l'on ne puisse en entendre des fragments; l'ouverture est sans contredit l'une des plus admires et des plus admirables qui existent; la marche religieuse est de toutes les crmonies des temples protestants; l'aide de quelques vers parodis sur elle, cette mlodie instrumentale est devenue un hymne que chantent en Angleterre des milliers d'enfants; les petits airs, depuis longtemps populaires, ont

    servi de thmes aux fabricants de variations, pour la plus grande joie des amateurs de guitare, de flte, de clarinette et de flageolet, cette lpre de la musique moderne; et avec quelques autres, bien que fort peu dansants, on a confectionn mme des ballets. On ne devinerait gure cependant quelle somme Mozart a retire de cettepartition qui, avant d'arriver jusqu' nous, a fait la fortune de trente thtres en Allemagne et sauv de sa ruine le directeur qui l'avait demande... Six cents francs,ni plus ni moins. C'est prcisment le prix que les diteurs donnent un de nos faisers la mode pour une romance; et Rubini ou mademoiselle Grisi ne gagnent pas moins en dix minutes chanter deux cavatines de Vacca. Pauvre Mozart! il ne lui manquait plus pour dernire misre que de voir son sublime ouvrage accommod aux exigences d

  • 7/24/2019 BERLIOZ Los Msicos y La Msica

    18/108

    e la scne franaise, et c'est ce qui lui arrivera.

    L'Opra, qui, peu d'annes auparavant, avait si ddaigneusement refus de lui ouvrir seportes, l'Opra, d'ordinaire si fier de ses prrogatives, si fier de son titre d'Acadmie royale de Musique, l'Opra, qui jusque-l se serait cru dshonor d'admettre un rage dj reprsent sur un autre thtre, en tait venu s'estimer heureux de monter ction de la Flte enchante. Quand je dis une traduction, c'est un pasticcio que jedevrais dire, un informe et absurde pasticcio rest au rpertoire sous le nom des Mystres d'Isis. Fi donc, une traduction! Est-ce que les exigences d'un public franais permettaient une traduction pure et simple du livret qui avait inspir de si belle musique? D'ailleurs, ne faut-il pas toujours corriger plus ou moins un auteurtranger, pote ou musicien, s'appela-t-il Shakespeare, Gthe, Schiller, Beethoven ouMozart, quand un directeur parisien daigne l'admettre l'honneur de comparatre devant son parterre? Ne doit-on pas le civiliser un peu? On a tant de got, d'esprit, de gnie mme dans la plupart de nos administrations thtrales, que des barbares, come ceux que je viens de nommer, doivent s'estimer heureux de passer par de si belles mains. Il y a dans Paris, sans qu'on s'en doute, une foule de gens aussi favoriss sous le rapport de la puissance cratrice que Mozart, Beethoven, Schiller, Gthe ou Shakespeare; plus d'un souffleur et t capable de crer Faust, Hamlet ou Don Calos; bien des clarinettes et autant de bassons eussent pu crire Fidelio ou Don Juan; et s'ils ne l'ont pas fait, c'est indolence, c'est paresse de leur part, mpris de la gloire, que sais-je? enfin c'est qu'ils n'ont pas voulu. On ne pouvait donc pas, sans de grandes modifications, non seulement dans le libretto, mais aussi dans la musique, introduire l'Opra une partition allemande de Mozart. En consqu

    ence, on fit le beau drame que vous savez, ce pome des Mystres d'Isis, mystre lui-me, que personne n'a jamais pu dvoiler. Puis quand ce chef-d'uvre fut bien et dmentcharpent, le directeur de l'Opra, pensant faire un coup de matre, appela son aide n musicien allemand pour charpenter aussi la musique de Mozart, et l'accommoderaux exigences de ces beaux vers. Un Franais, un Italien ou un Anglais, qui et consenti se charger de cette tche sacrilge, ne serait nos yeux qu'un pauvre diable drvu de tout sentiment lev de l'art, qu'un manuvre dont l'intelligence ne va pas jusqu' concevoir le respect d au gnie; mais un Allemand, un homme qui, par orgueil national au moins, devait vnrer Mozart l'gal d'un dieu, un musicien (il est vrai que e musicien a crit d'incroyables platitudes sous le nom de symphonies) oser portersa brutale main sur un tel chef-d'uvre! Ne pas rougir de le mutiler, de le salir, de l'insulter de toutes faons!... Voil qui bouleverse toutes les ides reues. Et vus allez voir jusqu'o ce malheureux a port l'outrage et l'insolence. Je ne cite qu

    ' coup sr, ayant sous les yeux les deux partitions.

    L'ouverture de la Flte enchante finit fort laconiquement; Mozart se contente de frapper trois fois la tonique, et c'est tout. Pour la rendre digne des Mystres d'Isis, l'arrangeur-charpentier a ajout quatre mesures, rpercutant ainsi treize fois de suite le mme accord, suivant la mthode ingnieuse et conomique des Italiens pour alonger les opras. Le premier air de Zorastro ( desse immortelle), rle de basse, come on sait, et de basse trs grave, est fait avec la partie de soprano du chur Per voi risplende il giorno, enrichie de quatre autres mesures dues au gnie du charpentier-arrangeur. Le chur reprend ensuite, mais avec diverses corrections galement remarquables, et la suppression complte des fltes, trompettes et timbales, si admirablement employes dans l'original. L'instrumentation de Mozart corrige par un telhomme! n'est-ce pas l'impertinence la plus bouffonne qui se puisse concevoir?

    Ailleurs, nous la verrons se manifester d'une autre manire. Ce ne sera plus sur l'orchestre que s'exercera le rabot de notre manouvrier mais bien sur la mlodie, l'harmonie et les dessins d'accompagnement. Nous en trouvons la trace d'abord dans cet air sublime, la plus belle page de Mozart peut-tre, o le grand prtre dpeint lcalme profond dont jouissent les initis dans le temple d'Isis; la fin de la dernire phrase: N'est-ce pas imiter les dieux, le rabotteur a mis ut, ut, la, au lieudes deux notes graves sol, fa, sur lesquelles la voix du pontife descend avec une si paisible majest. En outre, la partie d'alto est change, et les accords que Mozart avait mis au nombre de deux seulement par mesure, entrecoups de petits sile

  • 7/24/2019 BERLIOZ Los Msicos y La Msica

    19/108

    nces d'une admirable intention, se trouvent remplacs par six notes dans les violons, et enrichis d'une tenue de deux cors laquelle n'avait pas song l'auteur.

    Plus loin, c'est le chur des esclaves: O cara armonia, qu'il a impitoyablement estropi, et dont il s'est servi pour fabriquer l'air encore charmant, malgr tout: Soyez sensibles nos peines; ailleurs, c'est le duetto: La dove prende amor ricetto, qu'il a converti en trio; et, comme si la partition de la Flte enchante ne suffisait pas cette faim de harpie, c'est aux dpens de celles de Tito et de Don Giovanni qu'elle va s'assouvir. L'air: Quel charme mes esprits rappelle est tir de Tito, mais pour l'andante seulement, l'allegro si original qui le complte ne plaisantpas apparemment notre uomo capace. Bien qu'il et pu satisfaire aux exigences dela situation, il l'en a arrach pour en cheviller la place un autre dans lequel ila fait entrer des lambeaux de l'allegro de Mozart.

    Et savez-vous ce que ce monsieur a fait encore du fameux Fin ch'an dal vino, decet clat de verve libertine o se rsume tout le caractre de Don Juan?... un trio pouune basse et deux soprani chantant entre autres gentillesses sentimentales lesvers suivants:

    Heureux dlire!Mon cur soupire!

    Que mon sort diffre du sien!Quel plaisir est gal au mien!

    Crois ton amie,

    C'est pour la vieQue ton sort va s'unir au mien (bis)...O douce ivresseDe la tendresse!Ma main te presse,Dieu, quel grand bien!

    C'est ainsi qu'habill en singe, affubl de ridicules oripeaux, un il crev, un bras trdu, une jambe casse, on osa prsenter le plus grand musicien du monde ce public franais si dlicat, si exigeant, en lui disant: voil Mozart!O misrables, vous ftes beureux d'avoir faire de bonnes gens qui n'y entendaient pas malice et qui vous crurent sur parole; si vous aviez tard quelque vingt-cinq ans pour commettre votrechef-d'uvre, je connais quelqu'un qui vous aurait envoy un furieux dmenti.

    Nous avons toujours cru, en France, beaucoup aimer la musique; il faut esprer quecette opinion est mieux fonde aujourd'hui qu'elle ne l'tait l'poque o l'on cartainsi Mozart l'Opra. En tout cas, quand une nation en est encore supporter de semblables profanations, c'est le signe le plus vident de son tat de barbarie, et toutes ses prtentions au sentiment de l'art sont le comble du ridicule.

    Je n'ai pas nomm le coupable[45] qui s'est ainsi vautr avec ses guenilles sur le riche manteau du roi de l'harmonie; c'est dessein; il est mort depuis longtemps;ainsi paix ses os, il serait inutile de donner ce nom aucun genre de clbrit; j'aoulu seulement faire ressortir l'intelligence avec laquelle les intrts de la musique ont t dfendus chez nous pendant si longtemps, et montrer les consquences du systqui tend placer le sceptre des arts entre les mains de ceux qui, ne voulant s'e

    n servir que pour battre monnaie, sont toujours prts, au moindre espoir de lucre, encourager le brocantage de la pense, et pour quelques cus feraient, selon la belle expression de Victor Hugo, corriger Homre et gratter Phidias.

    CHERUBINI

    ESQUISSE BIOGRAPHIQUE

  • 7/24/2019 BERLIOZ Los Msicos y La Msica

    20/108

    20 mars 1842.

    La vie de ce grand compositeur peut tre offerte aux jeunes artistes comme un modlesous presque tous les rapports. Les tudes de Cherubini furent longues et patientes, ses travaux nombreux, ses ennemis puissants. A l'inflexibilit de son caractre, la tnacit de ses convictions, se joignait une dignit relle qui les rendit toujourespectables, et qu'on ne trouve pas souvent, il faut malheureusement le reconnatre, chez les artistes mme les plus minents.

    N Florence, vers la fin de 1760, disciple ds l'ge de neuf ans, de Bartholomeo et dAlexandro Felici, et plus tard de Bizarri, et de Castrucci, matres tous galement inconnus aujourd'hui, il n'acheva son ducation musicale que vers sa vingtime anne etsous la direction de Sarti. Le grand duc de Toscane, Lopold II, le prit alors sous sa protection spciale, et Sarti, pour prix de ses leons, se contenta de faire crire son lve une foule de morceaux qu'il intercalait dans ses propres ouvrages, etdont il gardait sans scrupule tout l'honneur pour lui seul. Le matre dut se dciderpourtant donner carrire son lve; et Cherubini, libre enfin de voir ses composits applaudies sous son nom, crivit pour les thtres d'Italie plusieurs partitions dont le succs le fit bientt appeler Londres. Ce fut en Angleterre qu'il composa la Finta principessa et Julio Sabino. Quelques annes aprs, Ifigenia in Aulide parut avec un grand succs sur le thtre de Turin. Aprs avoir donn Faniska Vienne, Cherubinourna en Angleterre pour diriger les concerts de la Socit Philharmonique. A son retour en France, son ami Viotti, qui tait fort la mode, le mit en relations avec l

    e monde lgant et lui ouvrit la plupart des salons de la capitale. Cherubini songeaseulement alors crire pour la scne franaise, et Marmontel lui donna le pome de Don. Ce sujet, trs dramatique et essentiellement musical cependant, avait dj t fatane partition de Vogel, dont la pathtique ouverture est seule reste. Le succs du Dmohon de Cherubini fut douteux; mais les beauts nergiques qu'on ne put y mconnatre fient prssentir ce qu'on pouvait attendre de l'auteur dans ce genre grandiose et svre.

    Charg bientt aprs de la direction musicale de l'Opra-Italien, il dut, dans l'introuvrages qu'on y reprsentait et, peut-tre aussi bien souvent, pour satisfaire lescaprices des chanteurs, reprendre sa tche de collaborateur anonyme, abandonne avec les leons de Sarti. Il introduisit ainsi dans diverses partitions un grand nombre de morceaux charmants, dont quelques-uns dcidrent le succs des opras auxquels il

    les donnait si gnreusement; tels furent le fameux quatuor des Viaggiatori felici et celui moins connu mais galement admirable du Don Giovanni de Gazzaniga. Ce quiprouve sans rplique qu'il y eut un compositeur italien du nom de Gazzaniga, qui fit un opra de Don Giovanni: Mozart aussi en a fait un.

    Tout en crivant ces mlodieux fragments pour les habiles virtuoses du Thtre-Italien,Cherubini tudiait l'esprit de l'cole franaise, et cherchait si, en demandant davantage l'accent dramatique, aux modulations imprvues, aux effets d'orchestre, on nepourrait suppler ce qui manquait d'habilet aux chanteurs franais. La question fut olue affirmativement par son opra de Lodoska, dont le succs eut t plus long et pluopulaire si le petit ouvrage de Kreutzer, sur le mme sujet et portant le mme titre, ne se fut assur la vogue par une plus grande facilit d'excution et par l'exiguit racieuse de ses formes mlodiques. On sait qu'en France surtout, des productions g

    randes et belles sont souvent clipses par d'autres qui ne sont que jolies. La Lodoska de Cherubini produisit nanmoins une profonde sensation dans le monde musical,et le mouvement qu'elle imprima l'art, second par les efforts peu prs parallles Mhul, de Berton et de Lesueur, amena pour l'cole franaise une re de gloire laquelil tait permis de douter qu'elle pt jamais atteindre.

    Lodoska fut suivie, des intervalles plus ou moins rapprochs, d'lisa ou le Mont Sait-Bernard, de Mde, de l'Htellerie portugaise et enfin des Deux Journes, dont le sucdevint rapidement populaire. C'est dans lisa que se trouve ce chur de moines cherchant les voyageurs ensevelis sous la neige, qu'on a trop rarement excut aux conce

  • 7/24/2019 BERLIOZ Los Msicos y La Msica

    21/108

    rts du Conservatoire, et dont le caractre est empreint d'une telle vrit, qu'on disait en l'entendant: Cette musique fait grelotter! Dans le mme opra, on admire avec rison la scne de la cloche, dans laquelle, en tournant constamment autour de la note unique d'une cloche, dont le tintement se fait entendre sans interruption d'un bout l'autre du morceau, le matre a montr tout ce qu'il possdait de ressources hrmoniques et son adresse rare enchaner les modulations.

    La Mde est une uvre plus complte que la prcdente; elle est reste au rpertoire dnombre de thtres allemands, et c'est une honte pour les ntres qu'elle en soit bannie depuis si longtemps.

    La mme observation s'applique aussi aux Deux Journes, qu'on a eu dernirement une vellit de remonter l'Opra-Comique, et qu'on a laisses en dfinitive dans les cartonrce qu'il tait impossible d'accorder l'auteur, pour le rle du porteur d'eau, l'acteur Henri qu'il exigeait. Voil de ces impossibilits faire mourir de rire, et donton parle aussi srieusement dans nos thtres que s'il s'agissait de ressusciter Talma. L'Htellerie portugaise a t moins heureuse. Cette partition n'est pas mme grave; n'en est rest qu'un trio bouffe fort intressant (on le chante souvent dans les concerts) et l'ouverture, dont l'andante contient un canon sur l'air des Folies d'Espagne d'une couleur mystrieuse et de l'effet le plus original.

    Un peu avant la reprsentation de son opra des Deux Journes, Cherubini avait t nommn des inspecteurs de l'enseignement du Conservatoire. Cette place fut pendant longtemps la seule qu'il eut remplir; Napolon ayant, comme on sait, une affectation

    bizarre, et en tout cas peu digne de lui, faire sentir Cherubini l'antipathie qu'il ressentait pour sa personne et pour ses ouvrages. On a donn pour motif cet loignement quelques rparties fort rudes de Cherubini des observations assez mal fondes de Napolon sur sa musique; on prtend que le compositeur aurait dit un jour au Premier Consul, avec une vivacit, fort concevable du reste en pareille occasion: Citoyen consul, mlez-vous de gagner des batailles, et laissez-moi faire mon mtier auquel vous n'entendez rien! Une autre fois, comme Napolon lui avouait sa prdilectionpour la musique monotone, c'est--dire pour celle qui le berait doucement, Cherubini aurait rpliqu, avec plus de finesse que d'humeur cependant: J'entends, vous aimez la musique qui ne vous empche pas de songer aux affaires d'tat! Ces rparties, on e verra plus loin, sont bien dans le caractre et la tournure d'esprit de Cherubini; toujours est-il certain que Napolon chercha constamment blesser son amour-propre en exaltant sans mesure en sa prsence Paisiello et Zingarelli, toutes les fois

    qu'il en trouvait l'occasion, en le laissant l'cart comme un homme mdiocre, et ens'obstinant prononcer son nom la franaise, pour faire entendre par l qu'il ne letrouvait pas digne de porter un nom italien.

    Ce fut en 1805 seulement que Napolon, aprs la victoire d'Austerlitz, ayant su queCherubini tait Vienne, occup crire son opra Faniska, le fit venir et lui tmoigz de bienveillance pour ne plus prononcer son nom la franaise. Il le chargea mme d'organiser ses concerts particuliers, et ne manqua pas, lorsqu'ils eurent lieu,d'en critiquer l'ordonnance et d'exiger de Cherubini les choses les plus ridicules. Ainsi il voulut que l'air du pre de la Nina de Paisiello (air de basse) ft chant par le castrat Crescentini; Cherubini lui faisant observer que le povero ne pourrait le chanter qu' l'octave suprieure: Eh bien, qu'il le chante, dit Napolon, jene tiens pas une octave! Et ce fut vraiment bien heureux, car si le grand homme a

    vait tenu une octave, et s'il et exig que le chanteur prt une voix grave, malgr te sa bonne volont, il et t impossible celui-ci d'y parvenir.

    Napolon eut encore Vienne avec Cherubini l'ternelle discussion, tant de fois commence Paris avec Paisiello et avec Lesueur, sur les nuances de l'orchestre. Le gantdes batailles, le virtuose du canon, n'aimait pas que les instruments de musiquese permissent d'lever la voix; les forte, les tutti clatants l'impatientaient. Ilprtendait alors que l'orchestre jouait trop haut, et quand il avait fait comprendre ses malheureux matres de chapelle qu'il entendait par ces mots, jouer trop fort, ils devaient ncessairement ne plus tenir compte des intentions du compositeur

  • 7/24/2019 BERLIOZ Los Msicos y La Msica

    22/108

    , ni du sens de l'uvre, et ordonner aux excutants d'teindre le son jusqu'au pianissimo. La musique alors berait le grand homme, et il pouvait rver aux affaires d'tat.Napolon aurait d se contenter pour chur et pour orchestre d'une harpe olienne. Ceres, rien ne ressemble moins aux soupirs harmonieux de cet instrument que l'orchestre de Cherubini; mais le got exclusif de l'Empereur pour la musique douce, calme et rveuse, a peut-tre contribu, en dirigeant l'esprit du compositeur sur ce pointde son art, lui faire trouver cette forme curieuse de decrescendo dont il a laiss de si admirables modles dans quelques-unes de ses compositions religieuses. Personne avant Cherubini et personne aprs lui n'a possd ce point la science du clair bscur, de la demi-teinte, de la dgradation progressive du son; applique certainesparties essentiellement mlodieuses de ses messes, elle lui a fait produire de vritables merveilles d'expression religieuse et dcouvrir des finesses exquises d'instrumentation.

    A son retour de Vienne, Cherubini fut atteint d'une maladie nerveuse qui donna les plus srieuses inquitudes sa famille, et qui lui rendit tout travail musical impossible. La composition lui tant absolument interdite, il se prit, dans sa profonde mlancolie, d'un vif amour pour les fleurs; il tudia la botanique, ne songea plus qu' herboriser, former des herbiers, tudier Linn, de Jussieu et Tournefort. Cepassion sembla mme survivre la maladie qui l'avait fait natre, et lorsque, entireent rtabli, fix chez le prince de Chimay, il aurait d reprendre ses travaux trop longtemps interrompus, ce ne fut que pour cder aux vives instances de ses htes qu'ilse dcida crire une messe. Il produisit alors et presque contre-cur sa fameuse me solennelle trois voix, l'un des chefs-d'uvre du genre.

    Revenu Paris, plein de sant et de confiance dans la force et la verdeur de son gnie, il crivit Pimmalione pour le Thtre-Italien, le Crescendo pour l'Opra-Comique, etles Abencrages pour l'Opra. Je ne connais rien des deux premiers ouvrages, mais nous avons entendu au Conservatoire divers fragments du troisime qui donnent une grande ide de son mrite. L'air surtout, si souvent chant par Ponchard: Suspendez cesmurs mes armes, ma bannire, est videmment une des plus belles choses dont la musique dramatique ait eu s'enorgueillir depuis Gluck. Rien de plus vrai, de plus profondment senti, de plus noble et de plus touchant la fois. On ne sait ce qu'on doit admirer le plus du rcitatif si plein d'accablement, de la mlodie si dsole et si endre de l'andante ou de l'allegro final, o la douleur se ravivant arrache des cris d'angoisse au malheureux amant de Zorade.

    Cherubini, en socit avec trois autres compositeurs, improvisa, pour ainsi dire, deux opras de circonstance, l'Oriflamme et Bayard