Bernanos (Armel Guerne)

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  • BERNANOS

    Suivi de

    Monsieur Ouine

    ARMEL GUERNE

    LES CAHIERS DU MOULIN

    Tous droits rservs 2005

  • Bernanos (Georges) 1888-1948 De mme quon ne peut rien comprendre notre poque si lon ne sait pas ce que cest que le diable, comment agit sa prsence dilue dans notre temps et son pouvoir norme de distraction, de mme ne percevrait-on point de quelle nature est le gnie du seul auteur contemporain qui nait gure parl que du dmon, si lon ne constatait pas dabord que sa carrire sest tablie en quelque sorte lenvers : un succs norme et immdiat assurant au romancier dabord, ds la parution de Sous le Soleil de Satan (1928) et au polmiste ensuite avec La Grande Peur des Bien-Pensants, la formidable audience chaleureuse et attentive que lhomme allait nourrir toute sa vie et quil allait mesure honorer de chefs-duvre quon ne pourra plus sparer de lide de la France, quil sagisse des Grands Cimetires sous la lune et des violents ouvrages publis avant et aprs la guerre pour ce qui est de la polmique, ou quil sagisse de Monsieur Ouine qui est peut-tre le chef duvre absolu du roman , du surprenant Dialogue des Carmlites dont la prose possde une force dvocation vraiment magique, ou des minces cinquante pages mystrieuses de grce et de tendresse, de passion et de puret qui nous conduisent droit au cur ( Lenfance est ce cur ) de Jeanne relapse et sainte. La France tait dans ses annes folles quand apparut Sous le Soleil de Satan, ce roman grave et profondment religieux, sans concession lintrigue romanesque, au pittoresque superficiel, la littrature la mode , crit par un homme qui avait attendu la quarantaine avant de sy mettre et qui sculptait ses personnages sur une paisseur dombre surnaturelle qui leur donnait toute leur dimension, voquant immdiatement chez les critiques une comparaison avec Dostoevski. Contrairement ce quon a dit, le succs fut si instantan quil prcda le retentissant article de Lon Daudet, dans lAction Franaise, pourtant crit quand lencre du volume tait peine sche, le 7 avril 1926. Instantan et inexplicable du ct des lecteurs et de llite mondaine tout occups dautre chose. De mme quand parut La Grande Peur des Bien-Pensants (octobre 1930) la rputation du polmiste fut acquise demble, bien que louvrage portt sur Drumont dont tout le monde savait quil tait antismite et quil nintressait peu prs personne,

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  • hormis certains cercles politiques. Mais quelle justification lorsque furent crits, retentissants et prophtiques Les Grands Cimetires sous la lune (mai 1938) propos de la guerre dEspagne et des lchets catholiques ! Il y avait eu LImposture, La Joie, Le Journal dun cur de campagne ; il y avait eu aussi laccident de moto qui avait, en lui laissant un pied bless, attach sa table cet homme entier, ardent, cet homme immensment vivant, humain, ce croyant puissant, ce chevalier de lhonneur et de lesprit, ce guerrier toujours au combat, cet crivain qui mprisait juste titre les gens de Lettres et la littrature, son univers prudent et frelat, qui aimait trop la vie pour supporter la vue dune page blanche et qui, sans ce malheur providentiel net peut-tre pas continu crire, qui net certainement pas russi le miracle de faire clater la littrature, de lintrieur de la littrature, pour demeurer comme il lest avant tout, un tre de vie, un homme dans toute lhumilit grandiose de ce titre oubli, et non pas le personnage que sont, un par un, les auteurs dont le sicle shonore. Rien de ce qua crit Bernanos nest indiffrent, non pas parce quil est, par la force de laccent et la chaleur de lme, le grand crivain du sicle, mais parce quil est indispensable qui veut se faire une ide de ce quest la France dans ce quelle a de meilleur et de pire, comme il est indispensable qui veut se faire une ide actuelle et exacte, avec ce courage de lesprit qui permet daffronter tous les dsespoirs, de ce que sont notre prsent et son calamiteux avenir, inacceptables hors de lesprance chrtienne. Noublions pas que Monsieur Ouine, auquel il travaillait en 1933 et qui resta vingt ans dans ses malles de Franais en exil par amour de la France, portait un titre terrible : La Paroisse morte, devant lequel flanchrent les diteurs (1955). Scandale de la Vrit (1938) ; Nous autres Franais (1939) ; la Lettre aux Anglais (1940) ; Le Chemin de la Croix des Ames et La France contre les Robots (1942-1944) crits Palma ou au Brsil, La Libert, pour quoi faire ? (1946) aprs le retour en France, Le Dialogue des Carmlites, crit en Tunisie, sont des lectures qui ont permis des millions dhommes du monde contemporain si affreux dans sa substance et dans ses manifestations cruelles, de respirer et de reprendre souffle parfois, quand ils nen pouvaient plus. Sans doute est-on loin de la littrature, avec cette uvre accusatrice et rconfortante comme il en est peu. La dernire qui ait fait place lme et la noblesse dtre La Correspondance, du mme accent que luvre, qui est elle-mme indistincte de la vie, est en cours de publication.

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  • Monsieur Ouine

    Le roman, quand il est gnial, est une uvre visionnaire qui prend ses matriaux derrire elle, non pas devant. Il nest donc pas une prophtie, mais la clbration de funrailles. Le roman psychologique de Dostoevski a enterr par avance la Sainte Russie. La Comdie Humaine de Balzac procde linhumation dune certaine France insparable dune tradition royaliste et catholique. Georges Bernanos, romancier catholique, a clbr avec Monsieur Ouine le service funbre de la Chrtient tout entire. Dans langoisse, au milieu des malheurs, il a t occup pendant plus de dix ans par cette uvre majeure qui fut assurment pour lui sa plus dure bataille : la terrible descente dans lenfer tide du non-amour, laffrontement horrible de sa contagion dont le monde moderne est indlbilement marqu. Et ce roman, au service duquel le romancier a su mettre toutes ses ressources et la richesse de son univers spirituel sans la moindre complaisance dauteur, uniquement pour rpondre aux exigences intrieures ; ce roman o il ny a pas une ligne, rien, pas un mot qui ne soit strictement ncessaire son architecture interne et son cheminement propre, est incontestablement un chef-duvre, si dpouill, si fort, si inquitant et remuant une telle masse de grises vidences que lme respire, si lil ne les voit pas, il use dune technique si nouvelle quil na toujours pas t rejoint par la critique dconcerte et par le nombre suffisant de lecteurs quil concerne tous directement, personnellement, aujourdhui et demain. Ecrit partir de 1930, publi au Brsil en 1942 dans une version btarde et incomplte, puis en 1946 Paris, malheureusement dans le mme texte, il nest apparu dans sa vraie version quen 1955 ; et si les temps qui ont pass depuis en ont tout confirm, il reste cependant devant nous, lire, et non pas derrire.

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