Bertrand, Être Prêtre en Égypte Grecque Et Romaine

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    A près des siècles d’abandon, d’occupation, dedestructions et de pillages, les templeségyptiens qu’on visite aujourd’hui ne sontplus que les squelettes de pierre de la vie qui y régnaitau temps de leur splendeur. Se représenter la vie quo-

    tidienne derrière ces hautes enceintes de terre cruen’est pas nécessairement facile. Les fouilles archéolo-giques, les représentations décorant les temples et lestombes ainsi que les sources textuelles nous y aidenttoutefois. Il faut surtout garder à l’esprit que letemple égyptien n’était pas seulement le lieu dusolennel rituel divin journalier mais c’était aussi unespace ouvert où chacun pouvait venir exprimer sa

    foi, un lieu administratif, économique et de justice,où se côtoyaient donc des populations très diverses.À la multitude des visiteurs quotidiens, il faut ajou-ter les boulangers, bouchers, cuisiniers, bateliers,administrateurs et autres artisans qui œuvraient

    chaque jour dans le temple et pour le temple. Danstoute cette diversité de champs disciplinaires, un per-sonnage apparaît quasi systématiquement : le prêtre.Effectivement, le clergé égyptien, élément indisso-ciable du temple, ne se cantonne pas uniquement àun rôle religieux : ses membres sont aussi des fonc-tionnaires comme les autres, pratiquant des activitéstrès diverses.

    ÊTRE PRÊTREEN ÉGYPTE GRECQUEET ROMAINE

    UNE VIE PRESQUE

    ORDINAIRE...

     fig. 1

     Tête d’un prêtre en greywacke.

    Anonyme. 200-100 av. J.-C.

    (artstor.org / The Walters Art Museum)

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    Assurément, il y a des différences de statut et demode de vie entre le responsable d’un grand sanc-tuaire, vivant dans une métropole de nome, et leprêtre d’un petit temple local, parfois propriétaire et

    unique desservant de son lieu de culte1

    . Mais cesreligieux ont en commun le rôle prépondérant d’ad-ministrateurs des domaines des temples, de gestion-naires des biens parfois considérables et par la même,ont la haute main sur leur économie et la justice quis’exécute aux portes des temples 2. Par les compé-tences et le savoir qu’ils possèdent dans desdomaines très divers, ils jouissent d’une influence etde privilèges donnant lieu à un confort matériel toutà fait enviable par rapport à la masse de la popula-tion 3. C’est donc sur cette figure emblématique duprêtre et plus précisément sur les activités auxquelles il

    s’adonne que portera notre étude. Par conséquent,nous n’allons pas discuter des activités religieuses etdu culte divin journalier des prêtres – cela a été ana-lysé et observé depuis des années 4 – mais mettre enlumière les pratiques profanes des prêtres égyp-tiens, c’est-à-dire leurs activités "extra-cultuelles"et j’espère que cette richesse sacerdotale réserveraquelques surprises.

     f ig. 2 (ci-contre) Terracotta provenant du Fayoum,

    Musée de Jérusalem, Israël (n° d’inv. IMJ 71.16.59)

     f ig. 3 (page de droite) Culte d’Isis, Herculanum, peinture murale

    du Ier siècle apr. J.-C. (Musée archéologique de Naples)

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    Les prêtres, serviteurs des dieux

    Pour commencer, il est bon de faire un point rapidesur ces religieux afin de mieux comprendre leur rôleau sein du temple. Les prêtres sont, au sens le plusdomestique du terme, les "serviteurs du dieu", cetteexpression étant au demeurant la traduction littéraledu titre hem-netjer , qui est rendu habituellement par"prophète". Cependant, comme nous venons de lesignaler, le prêtre effectue à côté de ses tâches sacrées,des activités totalement profanes, il serait donc plus juste de le définir comme un "homme attaché à untemple". Du reste, le terme "prêtre" que nousemployons, faute de mieux, recouvre en fait diverses

    fonctions. Hérodote (Histoires II, 37) observait déjàceci : "Il n’y a pas pour chacun des dieux un seulprêtre, mais de nombreux prêtres dont l’un est prêtreen chef". L’organisation du clergé est véritablementd’une grande complexité et diffère en outre selon lestemples.À grands temples, clergé nombreux, et à petitstemples, clergé réduit, parfois à sa plus simple expres-sion. Entre ces deux extrêmes s’étend toute la gammedes sanctuaires et des clergés. Très inégaux quant à laqualité du service, les temples possèdent entre un et

    plusieurs dizaines de desservants. Deux grandes caté-gories dominent le clergé. D’abord, les serviteurs dudieu : le "gratin", composé des prophètes ( Hm-nTr )et des prêtres-en-chef avec l’archiereus et le lesônis ((j)m(y).w-r(A) Sn). Ensuite, la base beaucoup plus nom-breuse, composée des prêtres-purs ou prêtres-ouâb( wab) que les grecs qualifient de hiereis . À cotéde ses deux catégories, il reste de la place pourd’autres types d’officiants, notamment des spécia-listes et des auxiliaires appartenant au Bas-clergé,comme les pastophores qui, lors des processions, por-tent les "reliquaires" ou "naos" abritant les statues

    divines [fig. 2]. En plus de cette activité, ces agentsdu culte doivent probablement assurer la garde dutemple dans l’enceinte duquel ils ont leurs loge-ments : les  pastophoria . Le clergé compte aussi "lespréposés à la toilette du dieu, qui pénètrent dans lesaint des saints pour orner les dieux de leurs étoffes",que les grecs nomment "stolistes" ( smA ) 5 ouencore des horologues ou prêtres-horaire , préposés

    aux calendriers des fêtes et des jours fastes etnéfastes. Dans l’enceinte du temple, on peut demême rencontrer des sacrificateurs, des éleveurs etfossoyeurs d’animaux sacrés [fig. 3]. En effet, depuisla Basse Époque, période de recrudescence du cultedes animaux sacrés, l’offrande à la divinité de l’une deses représentations sous forme momifiée est devenueun moyen populaire pour s’attirer la faveur divine.

    Ainsi, les temples égyptiens vont abriter des famillesde cynotaphes (fossoyeurs de canidés), de hiérakotaphes (fossoyeurs de faucons), d’ibiobosques  (éleveursd’ibis), de hiérakobosques (éleveurs de faucons) 6 ouencore de moschosphragistès  (littéralement "celui qui

    scelle les veaux"). Mais ce n’est pas tout, on pouvaitrencontrer également des menuisiers (hiérotektôn),des hiéroglyphoi , les graveurs des écritures sacrées surles murs des temples ou encore des luchnaptos , lesallumeurs des lampes. C’est somme toute une multitudede fonctions et de titres associant activités religieuseset activités civiles assez disparates qui se bousculent aulong des cours et des allées de l’enceinte sacrée [fig.5].

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    Cependant, une question se pose : comment est-il

    possible d’allier à la fois des tâches cultuelles et descharges civiles et administratives tout en respectantscrupuleusement les exigences de pureté qu’impliquela fonction de desservant dans un lieu sacré ? Pourrépondre à ce dilemme, les Égyptiens ont mis enplace un système de rotation. En effet, le corps sacer-dotal comporte à la fois des prêtres permanents etdes prêtres "à mi-temps" cumulant leur charge dans

    le temple et un autre emploi qu’ils occupent le restede l’année. Les prêtres qui sont en service au templesont répartis en quatre ou cinq "tribus" (sAw ), selon la

    règle en vigueur depuis la réforme en 238 av. J.-C. 7,que les Grecs appellent  phylai, chacune accomplis-sant son service à tour de rôle. Une fois leur serviceachevé, les prêtres retournent alors à la vie civile etretrouvent femmes et enfants 8.Les membres du clergé attachés à un temple peuventdonc résider à l’intérieur du temenos pour des périodeslimitées, néanmoins leurs allées et venues avec l’extérieur

    sont fréquentes. Il y a donc d’une part, l’espace clos du

    temple avec sa hiérarchie de serviteurs du dieu etd’autre part, le domaine profane auquel retournent cesprêtres après leur tâche. Le prêtre se retrouve ainsidans la position d’intermédiaire entre le sacré et leprofane. Cette barrière entre les deux mondes n’est passi étanche qu’il y paraît au prime abord. Même si lesarcanes des rites et de la théologie ne sont pas dévoi-lés au-dehors, ce va-et-vient incessant entre le domai-ne sacré et le monde profane a certainement dû pro- voquer quelques incidences et a pu entraîner descontestations et des convoitises.Ce à quoi l’État a répondu par la mise en place de

    prescriptions, les lois "sacro-saintes" du temple quisont attentivement surveillées par divers organismesgouvernementaux. Lorsque le prêtre séjourne dans letemple, il doit répondre à des règles de pureté phy-sique et morale très strictes : la première étant de sepurifier plusieurs fois par jour dans le lac sacré voisindu temple afin de laver le corps de toute souillure.Hérodote nous dit : "deux fois le jour ils se lavent àl’eau froide et deux fois la nuit" ; du reste, le termemême qui désigne la catégorie la plus courante desprêtres, celle des purifiés, les prêtres-ouâb, n’est pas

    sans rappeler ces ablutions initiales. Deuxième obli-gation implacable de la vie sacerdotale : dépouillerson corps de tout poil et de tout cheveu. "Les prêtresse rasent le corps entier tous les deux jours", nous ditHérodote, "pour que ni pou ni vermine impure ne lessouille dans l’exercice de leur culte" : les statues etbas-reliefs nous ont en effet habitués à ces hommesau crâne parfaitement lisse [fig. 1]. Il faut savoir quel’amende, s’ils laissent pousser leurs cheveux, est dequatre cent drachmes 9 ! Les prêtres doivent porterdu lin fin et s’abstenir de tout rapport sexuel. Ils doiventmanger légèrement et respecter des tabous alimen-

    taires. Enfin, ils sont les seuls de toute la populationnon juive à être circoncis 10 [fig. 4].La profession du prêtre durant son mois de totaledévotion aux dieux n’est donc pas chose aisée maisréclame une hygiène de vie très méticuleuse et strictequi semble à l’opposé même de sa vie "extra-cultuelle"qui, comme nous allons le voir, réclame quant à elleun grand sens des affaires.

     fig. 4 

    Scène de

    circoncision

    provenant

    de la tombe

    d’Ankhmahor,e dyn., Saqqâra.

    (N. Kanawati,

    A. Hassan, The 

    Teti Pyramid at 

    aqqara , Vol. III,

    The Tomb of  

    Ankhmahor, The 

    ustralian Centre of Egyptology 9,

     Warminster,

    Wiltshire, 1997,

    p. 49-50,

    pl. 19-55.)

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    Les mille et une activités des prêtres

    Par chance, l’Égypte a conservé de nombreux papy-rus grecs qui vont pouvoir nous renseigner sur cette vie économique, administrative, judiciaire destemples et par extension sur les activités de ses des-servants. La première chose que l’on peut observer,c’est que les activités les plus ingrates sont générale-ment réalisées par le Bas-clergé alors que l’on attri-bue les tâches les plus importantes, notamment lestâches administratives, au Haut-clergé. On peut dèslors différencier deux catégories correspondant àdeux types de compétences : les prêtres attachés auservice d’une divinité particulière et ceux qui ne sont

    pas voués au culte d’un dieu particulier mais qui sontdes administrateurs du sacré, davantage engagés dansl’action et par conséquent ayant des relations étroitesavec l’État. L’administration des biens du templereprésente une des plus importantes activités duclergé. Du reste, on sait que sous l’Ancien Empire,presque toutes les personnes d’un certain rang exer-çaient une ou plusieurs charges sacerdotales, parallè-lement à celles qu’elles occupaient dans l’administrationcivile. Le plus haut dignitaire de l’administration dutemple pouvait ainsi porter différents titres selon la

    spécificité administrative qu’il servait.Dans les petits sanctuaires, les prêtres gèrent eux-mêmes les biens du temple mais dès que celui-ci estimportant, le cumul des fonctions sacerdotales et admi-nistratives devient difficile et il faut mettre en place unpersonnel administratif, ce dernier pouvant être laïcmais toujours sous la tutelle du clergé. En effet, gérer lesbiens temporels du temple, administrer le personnel laïcet religieux, avoir un œil sur les chantiers de construc-tion lancés par le roi, superviser les ateliers des artisteset artisans travaillant pour le temple et enfin rendre leculte à la divinité, tout cela est une mission impossible

    pour une seule personne ! On compte ainsi desadministrateurs-en-chef qui surveillent tous les templesde l’Égypte (archiereus et lesônis ) et des intendants, petitsgestionnaires locaux (épimélètes , épistates et néocores destemples) qui s’occupent de toutes les affaires demoindre importance. Ainsi, l’archiereus  ou grand-prêtre peut gérer des dépenses qui s’étendent de l’entre-tien du clergé aux impôts à reverser à la Couronne.

    Il dirige, entre autres, les dépenses pour l’entretien dumobilier et des offrandes (voir notamment le papyrusSB VI, 9016 = P. Fouad . inv. 211) mais aussi toutes lestaxes qui incombent au monde sacerdotal, commecelles sur les autels ou les bovins 11, s’assure des livraisonsde tissus pour l’enterrement des Apis 12 ou encore de lanourriture à fournir aux animaux sacrés.En ce qui concerne le simple prêtre (hiereus ) officiantdans un temple de proportion modeste, les textes nemanquent pas de nous révéler une vie assez riche,passant du culte divin au compte des sacs de blé ! Eneffet, le religieux doit d’une part, vérifier les rentrées

    régulières des produits des champs, qui fournissent latable du dieu et celle des desservants, et d’autre part,gérer des transactions financières en tout genre faisantintervenir des personnages appartenant aux milieuxsacerdotal et laïc, ayant des relations d’affaires avec lesprêtres. Ainsi nous possédons une quantité innom-brable de reçus de paiements mettant en scène unprêtre et un paysan ou un individu appartenant auxhautes instances. Nous assistons alors à des ventes deterrains appartenant aux prêtres ou encore à la vente oula location d’une maison. Les prêtres ont en effet un

    statut enviable, privilégié par rapport à l’ensemble de lapopulation et, en ce qui concerne les degrés supérieurs,une relative aisance. Ils ont des disponibilités finan-cières qui leur permettent de faire des prêts à d’autrespersonnes (SB I, 5245, P. Lips II, 135, P. Lond . II, 308,P. Lond. III, 1164g, etc.) mais aussi des acquisitions debiens-fonds comme une maison : le BGU  XIII, 2243,entre autres, nous dévoile une transaction s’élevant à1400 drachmes ! Ils peuvent également s’offrir desterrains 13, des moulins à huile ou encore du bétail dontils peuvent tirer d’importants bénéfices. Par exemple,dans le P. Sakaon. 84, le prêtre Panèous revend de

    grosses quantités de paille cultivée dans ses champs ;dans le P. Mich. XVIII, 788, nous avons affaire à lalocation d’un parc à chameau pour une durée de troisans faite par le prêtre Thônis à un affranchi de la citéd’Oxyrhynchos. Enfin, pour rester dans le domaine descamélidés, le BGU I, 87 = M. Chrest . 260 nous permetd’assister à la vente de deux chamelles appartenant à laprêtresse du village de Soknopaiou Nèsos, Taouètis.

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    Cette dernière vend son bétail à un autre prêtre,

    Satabous, qui lui verse 500 drachmes d’argent pourles acquérir. On constate que les prêtres ne jouent pasavec de petites sommes d’argent !Cependant, il existe aussi des prêtres bien loin de cesconditions avantageuses et qu’on peut davantage rap-procher des paysans de la Chôra car ils mènent une vie plutôt simple et artisanale. Il s’agit du personnelen charge des animaux sacrés. En plus de nourrir les

    animaux, ils doivent s’occuper de leurs enclos, s’assu-

    rer de la livraison de blé destiné à l’alimentation desibis sacrés (P. Rein. I, 40) et par conséquent, dès qu’il y a un problème dans les fournitures, un retard ou unoubli (P. Tebt . I, 57), ils font appel aux hauts respon-sables. La procédure est la même pour les livraisonsde lin voué aux enterrements des taureaux Apis etMnévis (P. Lund . IV, 9 = SB VI, 9346 ; P. Gen. I2, 36= W. Chrest . 85 ; P. Tebt . II, 313 = W. Chrest . 86).

     fig. 5 Détail de la mosaïque nilotique de Préneste au musée de Palestrine (http://commons.wikimedia.org)

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    Pour terminer, nous avons vu que le prêtre doit s’ac-quitter de plusieurs règles de pureté afin de pénétrerdans le temple mais il faut savoir qu’il doit aussi res-pecter des règles morales très rigoureuses 14, comme "nerien révéler des rites secrets qui se déroulent à l’inté-rieur du temple", "ne pas boire ou s’enivrer", "ne pascommettre de péché ni avoir menti avant d’entrerdans le temple"; pour les deux premières recomman-dations, nous ne possédons pas de papyrus illustrantdes prêtres dans ces situations d’interdits cependantpour la troisième, nous disposons peut-être d’un

    document dévoilant la transgression de l’interdictiond’avoir des relations sexuelles pendant une périodede pureté (P. Medin. Madi  2). En revanche pour lesprescriptions suivantes : "ne pas détourner lesoffrandes ou les biens du dieu", "ne pas préleverindûment des impôts aux gens humbles", "ne pas tri-cher en pesant et en évaluant des produits", nousconnaissons un certain nombre de "prêtres-lascars"ayant commis des démarches frauduleuses ! Leurconception de la vie de prêtre est alors plutôt ancréedans un solide matérialisme : puiser dans la caisse du

    dieu ne les effraie pas mais surtout l’idée d’avoir àrendre des comptes après leur mort ne semble pas lesimpressionner outre mesure !Cependant, mener une vie de malfrat apporte son lotde conséquences, comme le montre le nombre de péti-tions et de procès-verbaux conservés sur nos papyrus.Malgré tout, il arrive aussi que les plaignants usent deprocédés beaucoup plus directs et radicaux pour réglerleurs affaires. Ainsi, nous connaissons un prêtre dugrand dieu Soknopaïos, Panéphremmis, qui a souffert

    d’une cruelle mésaventure : en effet, ce dernier, s’estfait piller son champ de cucurbitacées par un villageoisqui l’a ensuite battu puis dépouillé de ses habits ainsique de sa bêche et de sa hache (P. Louvre I, 1) ! Nousignorons les raisons de cette agression mais générale-ment on ne s’amuse pas à battre les individus sansmotif et, aux vues de la violence de l’outrage, le villa-geois devait avoir une très bonne raison ! Or il ne fautpas croire que ce pauvre Panéphremmis ait été victimed’un fait rarissime, au contraire ce genre de procédure"musclée" est plutôt monnaie courante à l’époque.

    Quand on sait que les prêtres se sont adonnés plusd’une fois à des fraudes fiscales, utilisation malhonnêtede parcelle de terres, vol d’huile, etc., on comprend quedes attaques au temple, des agressions lors du culte,des pillages du mobilier sacré et des disputes en toutgenre aient eu lieu 15 : ces actes malveillants sont sansdoute le fruit de convoitises mais surtout la consé-quence de vengeances personnelles.Les aspects de la vie quotidienne que nous avonschoisi de présenter ici ne rendent compte que d’unepartie de l’intense activité que devait fournir le prêtre

    de l’Égypte grecque puis romaine. Il y aurait encorebeaucoup à dire, sur leur formation par exemple, leuractivité judiciaire, notariale, sur l’activité des menui-siers ou les artisans des ateliers de sculpture, sur lestravaux de jardinage, etc. Comme on l’aura compris,la vie quotidienne des prêtres égyptiens dans lestemples est d’une telle richesse et fait intervenir tantd’acteurs divers qu’essayer de la représenter, c’est unpeu comme essayer de se représenter la vie quoti-dienne dans une petite ville.

    NOTES1 En effet, on imagine aisément que dans un petit village du nome d’Arsinoé, le simple trio de prêtres qui dessert le dieu croco-dile n’a pas la même importance et surtout le même budget que le clergé de quatre-vingts personnes de Tebtynis ou encore les

    cent quatre prêtres de Karanis. Je vous renvoie notamment à une ordonnance de Ptolémée Evergète II (M.-Th. LENGER , Corpus 

    des Ordonnances des Ptolémées , n°47 ) datée de 140/139 av. J.-C. qui nous donne un bon aperçu de la diversité des revenus dont

    pouvaient bénéficier un sanctuaire et ses desservants.2 Cf. J. Q   UAGUEBEUR , "La Justice à la porte de temples d’Égypte et le toponyme Premit", dans C. CANNUYER , J.

    –M. K RUTCHEN (éd.), Individu, Société et Spiritualité dans l’Égypte pharaonique et copte. Mélanges égyptologiques offerts au professeur 

     A. Théodoridès , Athènes-Bruxelles-Mons, 1993, p. 201-220.

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    3 Cette caste, fermée, est privilégiée. Hérodote (Histoires II, 37) avait observé avec raison que les prêtres "jouissent d’avantages

    qui ne sont pas peu de choses". Ces avantages consistent d’abord dans les revenus qui rémunèrent certaines charges. À l’époque

    romaine, certains prêtres bénéficient d ’une subvention de l’État appelée syntaxis .4 Sur ce point je vous renvoie à l’étude de S. SAUNERON, Les prêtres de l’ancienne Égypte , Paris, 1957.5 Pour une correspondance des titres sacerdotaux égyptiens et grecs, voir entre autres, les décrets synodaux trilingues de Canope,

    Rosette et Philae.6 W. Otto écrit qu’ils existaient déjà à l’époque lagide, appartenant au Bas-clergé en tant que spécialistes de l’embaumement et

    que parmi eux, nombreux tiraient leur nom distinctif des animaux dont ils s’occupaient : W. O TTO, Priester und Tempel , I, p. 94

    et suivantes. Sur les embaumeurs d’animaux sacrés, voir ibid ., p. 109. Pour une liste de ce personnel, voir le volume III des

    Prosopographia Ptolemaica de W. Peremans et E. Van’t Dack ainsi que l’ouvrage de P. K RETSCHMER , E. LOCKER , Rücklaüfiges 

    Wörterbuch der griechischen Sprache , Gottingen, 1944.

    7 Réforme de Ptolémée III Évergète I ; voir le Décret de Canope (CGC 22186) : A. K AMAL, Stèles ptolémaïques et romaines , LeCaire, 1905, p. 182-83 ; K. R. LEPSIUS, Das bilingue Dekret von Kanopus , 1866 ; K. SETHE, Urkunden II, Leipzig, 1916, p. 121-

    156 ; Fr. DAUMAS, Les moyens d’expression du grec et de l’égyptien comparés dans les décrets de Canope et de Memphis , SASAE 16, Le

    Caire, 1952 ; W. SPIEGELBERG, Der demotische Text des Priesterdekrete von Kanopus und Memphis (Rosettana), Heidelberg, 1922 ;

    R.S. SIMPSON, Demotic Grammar in the ptolemaic sacerdotal de crees, Oxford, 1996.8 La passation de pouvoirs entre les quatre phylai s’opère dans les règles avec un scribe pour témoin. Tout est enregistré par écrit,

    dans le journal du temple.9 Cf. le papyrus BGU V, 1210, le Gnomon de l’idiologue §71 : "Il est défendu aux prêtres […] de paraître en robe de laine ou de

    porter les cheveux longs, même quand ils ont été écartés des processions sacrées" et § 76 : "Un prêtre qui portait un vêtement de

    laine et qui avait laissé pousser ses cheveux, sera condamné à une amende de 400 drachmes". W. SCHUBART, Aegyptische Urkunden

    aus den Königlichen Museen zu Berlin, Griechische Urkunden V, Der Gnomon des Idios Logos , n° 1210, t. 1, Berlin, 1919 ; pour le

    commentaire, voir W. GREF VON U XKULL-GYLLENBAND, Aegyptische Urkunden aus den Königlichen Museen zu Berlin, Griechische Urkunden V, Der Gnomon des Idios Logos , n° 1210, t. 2, Berlin, 1934 ; P.R. S WARNEY , “The Ptolemaic and Roman Idios Logos”,

     American Studies in Papyrology 8, Toronto, 1970.10 Les procédures pour obtenir l’autorisation de circoncision sont assez nombreuses et perdurent jusqu’au IV e siècle : de 149 apr.

     J.-C. (W. Chrest . 77) à 320 (PSI V, 454).11 Comme par exemple, un papyrus provenant du nome Arsinoïte datant du II e ou IIIe siècle apr. J.-C. (BGU  I, 292) : "30

    Phamenôth. De la part de l’archiereus , au titre de l’impôt sur les autels dû pour l’an 3, 500 drachmes, 4% (= 20 drachmes), 2,25

    % (= 11 drachmes, 3 oboles) et, au titre de [...], l’impôt sur le petit bétail, 100 drachmes. L’an 3. J’ai signé. 600 drachmes".12 Cf. P. Gen. I2, 36.13 Le P. Köln I, 50, nous révèle ainsi un accord de vente pour l’achat de quatre parcelles de terres arables d’élevant à 2 talents !14 Voir notamment les "Recommandations aux prêtres" gravées sur un modèle commun dans les temples ptolémaïques de

    Dendera, Edfou et Kom Ombo. Par exemple :  Edfou III, 360-362 (M. ALLIOT, Le culte d’Horus à Edfou au temps des Ptolémées 

     I , BiEtud 20, Le Caire, 1944, p. 184-186).15 Cf. le recueil des Enteuxis ou plaintes adressées au roi de O. Guéraud, (ENTEUXEIS : Requêtes et plaintes adressées au Roi d’É-

     gypte au III e  siècle avant J.-C ., n° 1-113, Le Caire, 1931-1932 = Publ. Soc. Fouad I er) mais aussi le P. Tebt . III, 857 (vol d’olyre),P. Amh. II, 77 (détournement de fonds), P. Louvre I, 3 (vol de la provision de blé), etc.