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Bienvenue dans la meute !. Comment répondre à 100

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cahiers libres

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DE LA MÊME AUTEUR

Dictionnaire de citations du monde entier, Le Robert, 1979 ; dernière réédition augmentée, 2000.

Dictionnaire de proverbes du monde, Le Robert, 1980. Dictionnaire actif de l'école, Nathan, 1984. Dictionnaire de citations, Nathan, 1985. Le XX Siècle des femmes, Nathan, 1989 ; dernière réédition

augmentée, 2000, avec une préface d'Élisabeth Badinter. C'est quoi, aimer ?, Nathan, 1991. Amours à vendre. Les dessous de la prostitution, Glénat, 1993. Aimer, Un siècle de liens amoureux, Le Chêne, 1997. Quand bien même je verrais, témoignage avec Sophie Massieu, Nil,

1998.

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Florence Montreynaud

Bienvenue dons la meute ! Comment répondre à 100 objections adressées à ces féministes, femmes et hommes, solidaires de femmes victimes d'insultes sexistes

Éditions La Découverte 9 bis, rue Abel-Hovelacque PARIS XIII

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Catalogage Électre-Bibliographie MONTREYNAUD, Florence Bienvenue dans la meute ! : comment répondre à 100 objections adressées à ces féministes, femmes et hommes, solidaires de femmes victimes d'insultes sexistes. — Paris : La Découverte, 2001. - (Cahiers libres) ISBN 2-7071-3396-5 Rameau : sexisme : lutte contre : France

sexisme dans le langage Dewey : 305.3 : Structure de la société. Sexes. Les femmes dans la société.

Féminisme Public concerné : Tout public

En application du Code de la propriété intellectuelle, il est interdit de reproduire intégra- lement ou partiellement, par photocopie ou tout autre moyen, le présent ouvrage sans auto- risation du Centre français d'exploitation du droit de copie (20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris).

Si vous désirez être tenu régulièrement au courant de nos parutions, il vous suffit d'envoyer vos nom et adresse aux Éditions La Découverte, 9 bis, rue Abel-Hovelacque, 75013 Paris. Vous recevrez gratuitement notre bulletin trimestriel À La Découverte.

© Éditions La Découverte & Syros, Paris, 2001.

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O l'auteur s'explique sur ses intentions

L 8 mars 1999, moi, Florence Montreynaud, écri- vaine de cinquante ans et féministe engagée depuis trente ans, j'ai décidé que j'en avais assez des insultes sexistes publiques subies par des femmes en France. J'ai eu l'idée d'un groupe féministe mixte qui dirait fermement aux machos : « NON ! ÇA SUFFIT ! » J'ai trouvé le nom Chiennes de garde et j'ai rédigé, en prenant conseil de plusieurs ami-es, le Manifeste des Chiennes de garde.

Nous voulions élever le débat public, où certains arguments volent bas, et faire le ménage dans les propos orduriers. Nous voulions qu'on entende la souffrance des femmes insultées, que la honte ne soit plus portée par elles, mais qu'elle retombe sur les machos qui nous pourrissent la vie avec leur violence. Nous voulions rassembler, au-delà de la France, des personnes de bonne volonté qui désirent construire ensemble un monde meilleur. Un monde sans machisme. Un monde de paix.

Au cours des six mois suivants, j'ai donné à chaque personne que je rencontrais le texte de ce Manifeste. Je me suis expliquée mille fois sur le nom Chiennes de garde, et sur ce projet féministe. Mes ami-es et moi avons collecté des signatures et je les ai enregistrées, une par une, six cents en six mois.

L 6 septembre 1999, a été lancée la première action du mouve- ment des Chiennes de garde : au nom des signataires du Manifeste, nous avons pris la défense de Laure Adler, directrice de France

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Culture, insultée de manière sexiste dans un tract de la section locale du syndicat Force ouvrière. Avec quelques proches, j'ai alors fondé l'association Chiennes de

garde, pour donner un cadre juridique à notre action et pour que nous puissions nous porter partie civile dans cinq ans (le délai légal) aux côtés de femmes insultées qui intenteraient un procès à leur agresseur. Les statuts ont été déposés le 30 septembre 1999. J'en étais présidente. Les médias ayant abondamment commenté notre existence et

surtout notre nom, nous avons reçu un afflux de demandes et aussi d'adhésions à l'association (cent par mois pendant les sept premiers mois). J'ai écouté et aidé de mon mieux de nombreuses femmes

insultées cherchant du réconfort et des conseils. Avec un petit groupe de bénévoles, nous avons répondu à près d'un millier de lettres et envoyé régulièrement aux adhérents des informations sur nos actions. Nous avons accompagné deux plaignantes, Nicole Abar d'une part, Agnès Kaspar d'autre part, à toutes les étapes de leur procès pour insultes sexistes publiques. J'ai organisé et animé de nombreuses réunions avec des

Chiennes de garde, adhérents à l'association ou signataires du Manifeste, dont beaucoup participaient pour la première fois à un mouvement féministe. Nous avons débattu de nos actions et de nos projets. J'ai expliqué pourquoi j'avais choisi un nom aussi provocant, ou pourquoi nous manifestions devant le Fouquet's dont deux femmes s'étaient vu refuser l'entrée sous prétexte qu'elles étaient « seules ». De nombreux problèmes se sont posés : comment structurer ce

mouvement qui prenait rapidement une ampleur jamais vue dans l'histoire des femmes ? Fallait-il répondre à toutes les demandes d'aide ou limiter nos actions à quelques cas de femmes connues ? Peu à peu, je me suis trouvée en désaccord avec quatre des ami-es

qui constituaient avec moi le bureau de l'association sur la façon d'organiser le travail. Notre désaccord portait aussi sur ce qu'elles appelaient la « terminologie canine », c'est-à-dire le jeu avec les images et les mots dérivés de l'expression « Chiennes de garde ». Certains adhérents m'avaient surnommée « chef de meute », et je répondais par des « ouah ouah » cordiaux. Pour manifester dans la rue, nous choisissions un masque de chienne à notre fantaisie (pour moi : une caniche blanche) et nous disions « Grrrrrr... » aux machos. Des groupes de travail avaient choisi de se désigner

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comme des « bergères allemandes », des « lévrières afghanes » ou, pour la commission contre les publicités sexistes, des « pitpubs ».

Ces facéties n'étaient pas du goût de certaines membres du bureau, avec lesquelles les désaccords s'amplifiaient. Constatant que nous n'avions pas le même sens de l'humour et que nos diver- gences sur l'organisation et les stratégies de l'association étaient profondes, j'ai tiré les conséquences de ma position minoritaire au sein du bureau, et j'ai démissionné le 3 mai 2000 de la présidence de l'association. Isabelle Alonso m'a succédé. J'ai fondé un nouveau mouvement, la Meute, pour lutter contre la publicité sexiste. Les Chiennes de garde et la Meute sont deux entités distinctes, même si elles ont certains membres en commun ; aucune des deux ne peut engager l'autre par ses actions.

Quoi ! Des féministes qui se disputent ? Une grande et noble cause perdue de vue à cause de querelles de personnes ? Vous trouvez cela surprenant, décevant, désolant ? Eh ! oui, nous ne sommes même pas originales : décidément, les féministes sont des hommes comme les autres ! Tant d'associations achoppent ainsi sur des divergences qui semblent dérisoires, alors que les motiva- tions profondes sont les mêmes.

Ce livre n'engage donc pas l'association Chiennes de garde. J'y fais état d'actions menées depuis le 8 mars 1999, date de lance- ment du Manifeste des Chiennes de garde. C'est ma propre opinion sur le sens et la portée de ces actions que j'exprime. Elle est partagée par de très nombreuses personnes, signataires du Manifeste ou adhérentes de l'association, avec lesquelles je suis toujours en contact amical ; celles-ci constituent le « nous » que j'emploie dans ce livre. Par ailleurs, si ce texte est rédigé au présent, c'est pour conserver au texte le ton vivant d'un dialogue avec mes contradicteurs.

Pendant les quatorze mois où j'ai travaillé intensément à consti- tuer le grrrrrand mouvement féministe, mixte et indépendant des Chiennes de garde, j'ai noté en archiviste scrupuleuse les objec- tions à notre nom et à nos actions, faites par des gens de bonne foi. (La vie est trop courte pour que je prête attention aux autres.) J'ai écouté, répondu, écouté sans me lasser. Je n'ai pas lâché le morceau avant que les personnes qui étaient mes partenaires de ce ping- pong verbal soient :

- ou définitivement convaincues du bien-fondé de notre cause, et désireuses de rejoindre les milliers de signataires du Manifeste des Chiennes de garde contre la violence machiste ;

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— ou, à défaut d'adhérer à notre nom, « un peu agressif », et à notre style « provoc' », s'affirmant en accord avec tout le reste, marchant avec nous et nous soutenant ;

— ou totalement imperméables à notre sens de l'humour, comme au sérieux de notre argumentation, et donc résolument réfractaires (mais restant courtoises) ;

— ou décidément indifférentes à un sujet qui, selon elles, « ne les concerne en rien », car elles ne voient pas « où est le problème » ; — ou se posant définitivement comme irréductibles adversaires

ou éructants ennemis, c'est-à-dire appartenant à l'espèce macho archaïcus, certes condamnée par l'Histoire et aussi parla raison, mais encore terriblement malfaisante.

M aintenant, c'est à vous que je m'adresse, pour vous persuader, VOUS. « On peut convaincre les autres par ses propres raisons, mais on ne les persuade que par les leurs », a écrit Joubert.

Ce livre vous présente cent objections, arguments et réticences. Vous y trouverez sûrement les vôtres. Je cite mes contradicteurs, puis je discute et je raisonne, sauf si l'opposition ne relève pas de la raison, mais d'un irrationnel personnel ; je ne peux alors que constater notre désaccord et, de même, si l'objection relève d'une conception fondamentalement différente. Je cite aussi des passages, parfois violents, d'articles ou de lettres

reçues. Nous défendons des femmes insultées et c'est nous qu'on attaque. C'est normal : seules les personnes qui ne font rien ne sont pas critiquées, et encore ! Dans le cas des femmes, des mères et à plus forte raison des féministes, pour certains, quoi qu'elles fassent, y compris rien, elles ont tort ! Au besoin, on leur prête ce qu'elles n'ont pas fait, sans reculer devant la contradiction : dans ce livre, vous verrez qu'on nous reproche tout et son contraire.

Vous qui êtes de bonne volonté, comment pourriez-vous vous opposer à cette demande de respect de la dignité des femmes ? Vous ne pouvez pas être solidaires de ces machos qui déshonorent leur sexe ! Vous ne pouvez que vous rendre à nos raisons et vous joindre à notre action pour venir à bout des violences machistes. Si chacun-e y met du sien, ou de sa chienne, nous progresserons tous ensemble vers le respect mutuel.

Comment ! Vous résisteriez à l'efficacité de notre argumenta- tion, amplement démontrée au cours de joutes télévisuelles,

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radiophoniques ou de vive voix : affrontés à de valeureuses cham- pionnes de la cause, machos de tout poil ont finalement mordu... la poussière ! J'ai écrit « championnes ». Pourtant, des hommes aussi sont Chiennes de garde. C'est ainsi : dans ce livre, le féminin pluriel embrasse les hommes.

Parviendrai-je à vous persuader avec ce livre en forme de dialogue avec d'autres ? Angoisse de la coureuse de marathon avant le départ... Je m'élance, en dédiant ma course et ce livre à ma sœur Ariel, qui résiste encore.

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1 « Chiennes de garde » : quel nom ! [

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1 " Quand même, vous auriez pu trouver un autre nom !"

À ma sœur Ariel qui m'a dit tout de suite, très gentiment et pour mon bien : « Florence, tu es folle ! Quel nom ! Arrête, tu ne te rends pas compte ! Trouve un autre nom... » À Sylviane Agacinski, philosophe : « Je ne peux pas me désigner comme "chienne". Je suis pour la démarche [de ce mouvement], mais contre le nom. » (TFl, 20 octobre 1999.)

U autre nom. Ah oui ! Lequel ? Depuis le 8 mars 1999, date à laquelle j'ai lancé le Manifeste des Chiennes de garde, voici des propositions de personnes bien intentionnées, désolées que ma « si bonne idée » soit desservie par un nom « im-po-ssible » :

Les anges de garde Les louves de garde Les lionnes Les amies des Chiennes de garde Les vigilantes Les vigies Les sentinelles Les gardiennes Les anges gardiennes Merci à toutes pour leurs suggestions ! Merci surtout d'avoir

dépassé l'étape de la critique — « la critique est aisée, mais l'art est difficile » — pour faire des propositions !

Une idée ! Que pensez-vous du C.V.F.C.V.M.D.V.P. (Comité de vigilance féministe contre la violence machiste dans la vie publique) ? « Comité de vigilance... » : voilà qui rend bien compte, n'est-ce pas, de la mission de notre meute féministe ? Oui, mais... si j'avais choisi un sigle pareil, ou alors un nom bien poli,

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auriez-vous entendu parler de notre soutien à des femmes insultées publiquement ? Je revendique le nom Chiennes de garde, avec toutes ses impli-

cations. J'en ai eu l'idée, et je l'assume. Imaginez que le Manifeste des Chiennes de garde ait été publié sous le titre « Halte à la violence machiste ! » ou « Ça suffit ! La coupe est pleine ». En auriez-vous eu connaissance ? Le même texte, avec un autre titre, aurait pourtant été tout aussi juste ! De l'intérêt d'avoir choisi un nom surprenant et approprié... Tout bien considéré, je persiste et signe et, avec moi, toutes

celles qui se reconnaîtront dans ce livre. Vous avez dit « provoca- tion » : et alors ? Cette provocation ne fait de mal à personne — tout au plus peut-elle égratigner l'amour-propre des machos ! — et elle peut être utile si elle fait avancer le débat. Malgré l'immense travail des associations féministes contre les

violences faites aux femmes, qui se souciait des insultes machistes il y a... quelques mois ? Qui avait conscience que la situation en France, pays de la galanterie, était si grave ? Oui, la souffrance des femmes est un sujet grave.

Qui aurait imaginé qu'un petit groupe de personnes résolues pourrait tenir des machos en respect ?

Q avait défendu efficacement les femmes publiques humiliées impunément depuis... 1974, date à laquelle la ministre Simone Veil défendit au Parlement la loi sur l'avortement en subissant des attaques verbales d'une violence inouïe ? Jusqu'à 1974, les très rares femmes politiques n'avaient jamais été agressées publique- ment avec une telle brutalité. Qui étaient-elles ? Excepté les trois sous-secrétaires d'État invitées en 1936 par Léon Blum à parti- ciper au gouvernement du Front populaire, le féminin de l'espèce « homme politique français » n'est apparu qu'en 1945, lors des premières élections auxquelles les femmes ont pu voter et être élues. Elles en avaient obtenu le droit le 21 avril 1944 seulement, par l'ordonnance du gouvernement provisoire d'Alger. Les premières femmes politiques étaient presque toutes issues de la Résistance, ce qui a contribué à les faire respecter. La magistrate Simone Veil fut nommée ministre de la Santé par le

président Giscard d'Estaing, avec pour mission de faire voter la loi sur l'interruption volontaire de grossesse. Le droit d'avorter étant

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la clef de la liberté des femmes, les tenants de l'ordre machiste atta- quèrent de manière ignoble cette femme courageuse et déter- minée : ainsi, ils osèrent traiter de « nazie » une juive rescapée des camps de concentration. Après Yvette Roudy, qui avait déclenché la haine des publici-

taires avec son projet de loi antisexiste en 1983, les machos s'étaient acharnés sur Édith Cresson en 1991, sur Nicole Notat en 1995, sur Dominique Voynet en 1999, bien d'autres encore. La liste allait- elle s'allonger indéfiniment ? Des détails ? Édith Cresson, première Française Première

ministre, représentée par des « humoristes » à la télévision, soir après soir, sous les traits d'Amabotte, panthère sensuelle et sotte feulant devant son maître Mitterrand. Nicole Notat, dirigeante du syndicat CFDT, injuriée par des manifestants : « Notat au plumard », « Salope ! Tondez-la ! », tandis que Marc Blondel, son homologue de Force ouvrière, contrarié par une négociation qu'elle avait entreprise, ajoutait un commentaire salace : « Moi, je ne couche pas avec les Premiers ministres ! » Dominique Voynet, ministre de l'Environnement, insultée par des agriculteurs et par des chasseurs, représentée enculée par un sanglier sur un panneau lors d'une manifestation, apostrophée le 4 mars 1999, au Salon de l'agriculture à Paris, avec des « Ordure ! », « Pute ! » ou « Enlève ton slip, salope ! » Innombrables ont été les femmes publiques, connues ou non, à

être ainsi attaquées, de manière indigne, sans que leurs « amis » ou alliés les soutiennent efficacement. Leur « faute » : être des femmes. Leur « crime » : s'être engagées publiquement pour changer les choses. Quand des machos ont voulu le leur faire payer, les réduire au silence en les violant symboliquement, qui s'est dressé en lançant : « Non ! Ça suffit ! » ? Ne rien dire, c'était consentir. Jusqu'en 1999, les machos

tenaient le haut du pavé, dans la rigolade, la résignation ou l'indif- férence générales. Quel Premier ministre s'était porté au secours de l'une de ses

ministres ainsi injuriée ? Rappelez-vous, en 1981, cette pancarte de manifestant à l'adresse d'Edith Cresson, ministre de l'Agricul- ture : « Édith, on t'espère meilleure au lit qu'au ministère ! » N'était-ce pas un « trouble à l'ordre public » ? Mais de quel ordre s'agit-il ? Certes, depuis 1997, Lionel Jospin a soutenu politique- ment Dominique Voynet, ministre Verte de son gouvernement,

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mais elle était AUSSI attaquée en tant que femme et de cela le Premier ministre n'a pas soufflé mot.

De même, quel président de l'Assemblée nationale avait demandé aux députés de châtier leur langage obscène ? Si une députée montant à la tribune pouvait entendre : « Elle a pas de slip » ou « C'est le concert des vagins » (témoignage de Roselyne Bachelot), d'autres l'entendaient aussi. Où en est la trace dans le compte rendu de séance ? Et celle de la réprimande dont la néces- sité s'imposait ?

L'ordre machiste, avec ses violences, allait-il durer éternellement ?

Qu'attendait-on ? Sans doute que quelques féministes deman- dent « TOTAL RESPECT POUR LES FEMMES ». CLAIRE- MENT. À HAUTE VOIX. AVEC UN NOM CHOC. POUR QU'ON LES ENTENDE. ENFIN ! Eh bien, nous voici ! Grrrrrr... !

A qu'en pensez-vous : un peu de provoc' n'a-t-il pas aidé à faire passer dans les médias et dans l'opinion publique la pilule, amère pour certains, du féminisme, c'est-à-dire de ce mouvement mixte, dangereux, extrémiste même, qui demande, sans se lasser, depuis deux siècles, ce privilège exorbitant : que les femmes et les hommes soient égaux en dignité et en droits ? En quelques mois, l'expression « Chiennes de garde » s'est large-

ment diffusée, en France et à l'étranger. Elle est devenue usuelle dans les médias français, elle a aussi été adoptée en Suisse, en Belgique, au Québec, en Afrique francophone. Elle a été traduite : Guard-Bitches (anglais), She-Watch (américain), Wachhündinnen (allemand), Perras de guardia (espagnol), etc. Partout, le nom a été jugé fort, d'un humour revigorant, un peu choquant, certes, mais finalement approprié. Alors, si vous êtes d'accord sur le fond, sans être vous-même une

« Chienne de garde » attitrée, vous pouvez vous montrer solidaire, à votre manière, des femmes que nous défendons. N.B. Vocabulaire de la chasse. « Chiennes attitrées » : se dit de chiennes placées dans un relais, c'est-à-dire postées sur le parcours d'une chasse, pour remplacer les chiennes fatiguées. Etes-vous toujours réfractaire à ce nom ? Qu'est-ce qui vous

arrête encore ? Le nom « Chiennes de garde » vous semble trop

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animal ? Vulgaire ? Agressif ? «Sexe»? Insupportable ? Impossible ?

Voyons...

2 " Je n'aime pas le nom "Chiennes de garde" : c'est animal"

À Elisabeth Badinter, philosophe : « Je ne peux pas supporter l'identification à quelque animal que ce soit. Je veux encore moins me voir associée au mot Chienne. » (Interview, Elle, 25 octobre 1999.) « Je ne supporte pas que des femmes soient réduites à l'animalité ; c'est une régression. Les femmes ont si souvent été niées dans leur dimension humaine. » (Conversation, février 2000.)

C Élisabeth, Vous ne pouvez envisager de vous désigner par un nom

d'animal, vous repoussez l'idée de vous ravaler volontairement, vous, être humain, vous, femme, au rang d'une femelle. Cela vous est insupportable.

Que pourrais-je opposer à votre répugnance ? Aucun argu- ment, puisqu'il n'y a rien qui se raisonne dans ce que votre refus a aussi d'intellectuel. Si nous différons sur ce point, alors que nous sommes si proches — par notre conception du féminisme, par nos engagements pour la dignité et pour les droits des femmes —, c'est affaire de subjectivité, d'histoire personnelle, d'images archaïques enfouies dans l'inconscient et qui font irruption quand un mot déclenche une association d'idées. La question « êtes-vous Chienne de garde ? » suscite en vous un « non ! » catégorique, horrifié ; d'autres personnes répondent par un « oui » ferme, ou un « ouah ouah ! » amusé.

Votre résistance s'explique sans doute par le fait que nous concevons différemment les animaux.

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La pensée occidentale les perçoit et les définit de deux façons principales. Celle qui est dominante, par exemple avec les « animaux-machines » de Descartes : les animaux sont des êtres animés inférieurs aux humains. Les hommes, forts du droit que leur donne leur cerveau plus complexe, s'autorisent à les traiter comme des « bêtes », des êtres dépourvus d'intelligence, d'esprit, d'âme, et même comme des choses, sans égard pour leur sensibilité, comme des marchandises, des produits, ou de la viande sur pattes. Ils les utilisent, les domestiquent, les font souffrir, les torturent, les tuent, les mangent. Certains animaux sont étiquetés « nuisibles » (à l'homme) — sauterelles dévastant les récoltes, serpents veni- meux —, d'autres sont aimés et cajolés dans leur prison-maison — chats, chiens, oiseaux — ou exhibés dans des zoos, d'autres encore sont admirés pour leur beauté, d'autant qu'ils ne sont pas comestibles (par l'homme) — paons ou papillons. Une autre tendance, minoritaire, définit les animaux comme des

êtres vivants, représentant, au même titre que les humains, diffé- rents aspects de la vie. Elle insiste sur le fait qu'ils ne le cèdent en rien à l'homme en complexité (voyez la ruche ou la termitière), en force d'amour (l'instinct parental) ou de solidarité (les fourmis). François d'Assise s'adressait ainsi aux animaux : « mon frère le

loup, ma sœur la vipère ». Pour moi, les animaux sont des êtres vivants qui ressentent des plaisirs et des peines, tout comme nous. Nous, les humains, qui partageons la planète avec eux, nous aurions des leçons à recevoir d'eux en matière de solidarité de l'espèce ou de prévoyance pour la gestion des ressources. Je préfère me comparer à un animal qu'à certains humains. Je me

sens plus proche d'une chienne fidèle et vigilante que de certaines femmes. Il y a de l'animalité en l'être humain, mais la culture nous ayant

appris à privilégier les productions de notre cerveau (créations, décisions) et à mépriser celles de notre corps, bien des hommes et des femmes sont dégoûtés par les sécrétions du corps et par les manifestations des instincts, notamment dans la sexualité. Si l'être humain est aussi un animal, il se veut le contraire d'une

« bête » et encore davantage quand il grandit le mot par une majus- cule. La « Bête », c'est le Mal lui-même, par exemple dans la superbe image de Bertolt Brecht à propos du nazisme : « Il est encore fécond, le ventre d'où est sortie la Bête immonde. » Pour- tant, ce monstre est humain. L'on parle aussi de « la bête tapie en

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nous », pour qualifier notre violence, nos désirs meurtriers, humains, si humains pourtant !

Nous, Chiennes de garde, nous aboyons, mais nous ne mordons pas (vigilance ET respect de l'intégrité des mollets). Nous grognons, MAIS nous ne « gueulons » pas.

3 " Je n'aime pas le nom "Chiennes de garde" : c'est vulgaire "

« ulgaire »... vraiment ? Une attitude, un compor- tement, un geste peuvent être vulgaires, c'est-à-dire grossiers, lourds, choquants. Mais un nom ? Quelle projection faites-vous là ? CHIENNES DE GARDE : quinze lettres assemblées. Elles ne

« gueulent » pas, elles ne mordent pas, et pourtant leur apparition a déclenché une agressivité insensée chez certains machos français, hommes et femmes. Qu'ont-elles de vulgaire ? En quoi le sens que recouvrent ces trois mots est-il « vulgaire » ? Le nom « Chiennes de garde » choque certains, qui le ressentent comme agressif, trop chargé d'un sens sexuel ou encore injurieux (voir les chapitres suivants). Ces reproches se comprennent facilement, car ils ont à voir avec une conception personnelle de l'agressivité, de la sexua- lité ou de la dignité ; mais vulgaire ? Vous avez dit « vulgaire » : quelle autorité vous permet d'en

juger ainsi ? Qui décide que tel nom est de bon ou de mauvais goût ? Car la vulgarité est affaire de goût, un mot envoyé comme une porte claquée au nez des autres, qui forment une foule (vulgaire vient du latin vulgus, foule), une masse indistincte de gens « pas distingués ». Ces autres ne sont pas admis dans le groupe qui fait la loi ou dont ils n'ont pas adopté le système de valeurs. Les dénonciateurs de la vulgarité, qui se piquent de raffinement,

d'élégance et de délicatesse, se permettent, sur des critères

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extérieurs (prononciation, style, tenue), d'opérer une distinction entre l'« élite » (leur petit groupe) et les autres.

Repousser le nom « Chiennes de garde » comme vulgaire, c'est nous renvoyer vers le bas, l'ordinaire, le terre-à-terre. C'est rappeler les codes sociaux, les bienséances, les conventions hypo- crites brandis par tous ceux qui s'accommodent fort bien de la merde, pourvu qu'elle soit « dans un bas de soie ». Oui, j'ai écrit « merde ». Un « gros » mot : et alors ? Vous ne le dites jamais ?

4 " Je n'aime pas le nom "Chiennes de garde" : c'est agressif"

À Sophie Fontanel, journaliste affrontant Isabelle Alonso dans un débat télévisé et déclarant son opposition au nom « Chiennes de garde » : « Je veux tuer la violence en moi, je ne me retrouve pas dans un nom aussi agressif. » (Canal +, 1 1 mars 2000.)

C étonnant que vous vous sentiez agressée par notre nom ! Étrange que vous ne vous identifiiez pas à tout ce qui dans notre société est fragile, menacé, attaqué, et qui doit être protégé ! Vous auriez aussi bien pu vous imaginer placée non pas devant, mais derrière ce chien de garde, défendue par ses aboie- ments, et non menacée par ses crocs ! Et si des réactions comme la vôtre contribuaient à protéger... l'ordre machiste ? [➙ 21 ]

« Agressif », notre nom ? Vraiment ? Plutôt : rude, marquant, provocant !

Une « déclaration de guerre », pensez-vous ? Pourtant, « Grrr... aux machos » ne signifie pas « guerre aux machos » ! Quant à la légendaire « guerre des sexes », n'est-ce pas plutôt les machos qui l'ont déclenchée et qui la mènent depuis des siècles de par le monde ? Qui bat, viole, tue, insulte et meurtrit le corps des

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femmes, la dignité des femmes, sinon les machos et leurs complices ? [➙ 49 Cela n'a que trop duré. Il est temps que cela cesse. Nous avons prévenu. Nous l'avons dit et répété, en nous liant

par nos paroles : nous aboyons, mais nous ne mordons pas. Nous montrons les crocs aux machos-insulteurs publics en disant ferme- ment : « Non ! Ça suffit ! » Ces trois mots vous semblent-ils consti- tuer une agression si insupportable ? Notre objectif est simple, modeste et féministe : que les femmes

et les hommes soient égaux en dignité et en droits. Si vous nous jugez agressives, nous répondons avec l'écrivaine Benoîte Groult, l'une des premières Chiennes de garde et des plus fidèles : « Le féminisme est un beau mouvement pacifique, qui n'a jamais tué personne, alors que le machisme tue tous les jours. » Comme son nom l'indique, un chien ou une chienne de garde

a pour fonction de... garder. Nous, signataires du Manifeste des Chiennes de garde, nous gardons une valeur précieuse : la dignité des femmes. Nous montrons les crocs à ceux qui attaquent publi- quement une femme, nous donnons l'alerte à pleine voix et nous témoignons notre solidarité à des femmes insultées. Agressives, nous ? Nous avons la pêche, nous sommes libres de

nos mots et de nos mouvements. Agressives ? Après tout, pour- quoi pas ? Les femmes sont restées si longtemps sur la défensive : il est temps d'assumer l'agressivité que nous refoulons et de l'exprimer, mais non dans un sens destructeur. Nous nous affirmons, mais sans avoir besoin de nier l'autre. Nous nous construisons dans le respect de nous-mêmes et de l'autre. Nous disons NON à la violence machiste. Nous existons par nous- mêmes, avec notre propre violence, canalisée, alors que les machos n'ont pas encore appris à maîtriser la leur. Pourquoi donc faudrait-il « tuer » la violence en nous ? Elle se

trouve en chaque être humain. Nous avons tous des désirs, des instincts, des révoltes : autant de violences possibles, que nous exprimons, que nous contrôlons ou que nous refoulons plus ou moins. Nous, Chiennes de garde, nous montrons les crocs pour impres-

sionner les machos, pour nous faire respecter, pour défendre des femmes insultées. ATTENTION ! Grrrrrrrrrrr... ! Nous pourrions faire mal si

nous étions très en colère, si nous ne nous contrôlions plus. Imaginez qu'il existe des Chiennes enragées, très dangereuses.

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Imaginez qu'elles soient dirigées par une terrrrible chef de meute qui décide de s'attaquer aux machos criminels, ceux qui battent, qui violent, qui tuent des femmes, des faibles. Imaginez qu'elle lance son horrrrible cri de guerre : « Sus aux machos ! Lâchez les Chiennes ! Ksssss kssss ! Mordez-les ! Pas de quartier ! »

STOP ! C'était un cauchemar. Revenons aux Chiennes de garde, si pacifiques ! Ouf! Nous ne sommes pas des Chiennes méchantes, mais nous ne sommes pas non plus de braves chiennes bien gentilles qu'on fait rentrer à la niche avec un susucre. Nous disons : «J'aboie, donc je suis... féministe et solidaire. »

Et attention, les machos ! Nous avons lancé un appel au boycott du Fouquet's et nous

avons fait plier ce célèbre établissement des Champs-Elysées [ ➙ Nous avons obtenu des excuses bafouillées par le très puissant

monsieur Louis Nicollin [➙ 83. Rêvons : il pourrait même, radouci, métamorphosé par notre rencontre, signer notre Mani- feste, puis s'incliner galamment devant les Chiennes de garde, enfin venir défendre avec nous les femmes insultées, en membre à part entière de notre meute, en frère dans l'action. Frère Louis (j'anticipe) se revendique comme « méridional » : à Montpellier, dans la région d'origine de l'amour courtois, honneur aux dames !

Quant aux autres machos, ils n'ont qu'à bien se tenir. Leur tour viendra.

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5 " Je n'aime pas le nom "Chiennes de garde" : ça a un côté "sexe" "

À des dames horrifiées : « Chienne, ce féminin, pouah ! C'est dégoûtant ! Ça fait penser à "chienne en chaleur", "bête lubrique", "folle de son corps", "pense qu'à ça", "allumée du croupion". Quelle honte ! Cette connotation cul-sado-maso, ça me répugne ! »

O allez-vous chercher tout ça ? Le mot « chienne » vous fait penser au sexe. Et le mot « chien » ? Moins ? Comme c'est étrange ! Pourquoi donc lier chienne, féminin de chien, au sexe, ou plutôt au cul dans ce qu'il a de plus répugnant (pour vous) ? Pourquoi associer le mot « chienne » à une sexualité « dégoûtante » ? J'y suis. Vous devez aussi critiquer l'expression que nous avons

employée pour désigner les personnes insultées que nous défendons : « femme publique ». Pour nous, toute femme insultée en public devient une femme publique [➙ 53 Femme publique est le féminin de homme public. Pas pour vous ? Ah ! oui : vous entendez un deuxième sens...

Vous avez raison. Beaucoup de mots féminins ont en effet un deuxième sens péjoratif, lié à la sexualité et donc à la prostitution. Le « donc » s'explique par une particularité de notre culture. Le machisme [➙ 49 ne peut admettre ni l'indépendance de la sexua- lité féminine ni l'autonomie des femmes grâce à un travail rému- néré. La langue de la pensée dominante dévalorise les femmes et le féminin ; elle salit la sexualité féminine — désir et plaisir — en la détachant de l'amour et en l'associant à l'argent ; elle salit le travail et l'argent des femmes en les reliant à la prostitution.

Ainsi, un homme public est un personnage important, tandis qu'une femme publique est une... pute. Un professionnel est un homme qui fait bien son travail, une professionnelle est une... pute. Un expert estime les dégâts de la voiture, une experte s'y

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connaît en [bip] (mot censuré) ; un masseur est un kiné, une masseuse est une... pute. Un entraîneur, ou un coureur, court dehors au grand jour, une entraîneuse ou une coureuse sont des traînées qui se collent aux hommes, à moitié nues dans une boîte sombre. Un gars est un jeune homme, une garce est une sale vache. Un salaud, c'est quelqu'un de pas bien, mais une salope, c'est mille fois pire.

Vous voulez d'autres exemples ?

Un homme à femmes, c'est un séducteur. Une femme à hommes, c'est une pute. Un professionnel, c'est un sportif de haut niveau. Une profes-

sionnelle, c'est une pute. Un coureur, c'est un homme qui est bonjoggeur. Une coureuse,

c'est une pute. Un turfer, c'est un homme qui prend les paris. Une turfeuse,

c'est une pute. Un courtisan, c'est un homme qui est proche du roi. Une cour-

tisane, c'est une pute. Un péripatéticien, c'est un homme partisan de la doctrine

d'Aristote. Une péripatéticienne, c'est une pute. Un homme facile, c'est un homme agréable à vivre. Une femme

facile, c'est une pute. Un homme sans moralité, c'est un politicien. Une femme sans

moralité, c'est une pute... Quant aux animaux, le féminin a souvent un sens sexuel, tendre

dans « ma biche » ou « ma poulette », ordurier dans « chienne ». Le masculin, lui, est toujours fier de l'être, tel le taureau puissant ou le coq vaniteux, tandis que la « grosse vache » est une mocheté et la « poule » une... pute. Sans oublier la chatte, femelle du chat et aussi... ce que l'écri-

vain Claude Simon appelle « cette bouche herbue cette chose au nom de bête » (La Route des Flandres). Si les poètes jouent avec les mots pour notre plaisir, la langue courante, expression de la culture machiste, charrie bien des ordures. Alors que « vulve », « vagin », « clitoris » sont des mots propres, précis, pratiques, leur traduction argotique est toujours dévalorisante pour les femmes. ÇA SUFFIT !

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Pour changer cela, pour faire cesser cette entreprise de dévalori- sation du féminin, dans la langue comme dans la vie, deux solutions :

1. À long terme : débarrasser la sexualité humaine, celle des femmes comme celle des hommes, de son association avec la saleté et avec la honte. Pour cela, il faut nettoyer des couches très anciennes d'hypocrisie, de haine du corps, de mépris pour le désir, de méfiance envers le plaisir. Au travail !

2. Tout de suite : utiliser ces mots féminins comme l'équivalent féminin d'un masculin qui, lui, reste propre et convenable.

Chienne est le féminin de chien. Un chien de garde, une Chienne de garde. Quant à la sexualité, elle fait partie de la vie. Elle peut procurer des plaisirs parmi les plus magnifiques qu'un être humain puisse découvrir.

« Chienne en chaleur » ? J'assume. Être en chaleur, c'est mieux que d'être en froid ! Être chaude, c'est être vivante. Tant qu'il y a vie, il y a chaleur et désir.

P.S. A l'heure où je termine ce chapitre, arrive au courrier une lettre adressée à « LES CHIENNES lubriques ». Elle renferme un papillon portant la croix gammée et les mots « Hitler avait raison ! », ainsi qu'un journal raciste américain sur le combat de « l'homme blanc » contre « le crime noir ».

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Florence Montreynaud BIENVENUE DANS LA MEUTE « Pute ! », « Salope ! » En France, pays de la galanterie, c'est avec ces mots que, dans la rue comme à l'Assemblée nationale, des hommes s'adressent encore publiquement à des femmes, célèbres ou non. Le 8 mars 1999, Florence Montreynaud, écrivaine, féministe et intellectuelle parisienne de plus de cinquante ans, en a eu assez des insultes sexistes subies par les femmes en France. Elle s'est dit : « Ça suffit ! » et montrant les crocs, a lancé avec des ami-es le Manifeste des Chiennes de garde qui a rapidement recueilli des centaines de signatures. L'outil privilégié des Chiennes de garde : le communiqué de presse envoyé aux médias, pour soutenir une femme insultée en public. Afin de faire le ménage dans les propos orduriers. Afin qu'on entende la souffrance des femmes. Afin que la honte ne soit plus portée par elles, mais qu'elle retombe sur les machos eux-mêmes. Afin d'élever le débat public, où les insultes sexistes passent encore trop souvent pour une forme d'humour. Dès les premières actions, les critiques ont fusé de toutes parts : « Quand même, vous auriez pu trouver un autre nom ! », « Vous êtes des Parisiennes intellos », « Vous ne vous intéressez qu'aux gens célèbres », etc. Florence Montreynaud a soigneusement consigné les objections adressées aux actions provocatrices des Chiennes de garde. Aujourd'hui, dans ce livre drôle et incisif, elle répond systématiquement à ces détracteurs. Ce qui lui fournit l'occasion de dresser un réquisitoire contre le machisme ordinaire de la société française. Oui, affirme Florence Montreynaud, les mots peuvent faire mal. Oui, les insultes blessent Oui, il faut d'autres mots pour tisser de nouveaux liens, empreints de respect entre hommes et femmes. Dire NON aux insultes sexistes, c'est dire OUI à la dignité des femmes... et des hommes.

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