BIJOUX TOUAREGS · 2021. 5. 4. · talismans et amulettes. Pour illustrer mon discours, je propose pour comprendre la fonction des bijoux trois exemples : Les bijoux talismans dans

1 Auteur : Ghislaine Diallo

BIJOUX TOUAREGS FORGER LA CULTURE


POURQUOI CE LIVRE BLANC ?

Pendant deux ans, j’ai accompagné en tant que présidente de Sahel’Nature et Culture des

Bergers, une association de promotion de la culture nomade, deux artisans touaregs, sur les

marchés franciliens. Etant moi-même issue d’une tribu d’origine nomade côtoyant les

touaregs j’ai saisi cette opportunité pour nouer un partenariat avec la coopérative d’artisanat

Aïr Bijoux au Niger. C’est de ce partenariat qu’est née la micro entreprise « Joyaux du

Sahara ».

Notre collaboration est basée sur deux critères :

- Soutenir et renforcer l’artisanat touareg

- Préserver et valoriser la culture et le savoir-faire local.

Comme vous allez le constater dans ce livre blanc, la bijouterie touarègue est éminemment

riche, elle constitue un patrimoine d’une grandeur fabuleuse pour tout humain, il me tenait à

cœur de la promouvoir.

Afin de me démarquer et de trouver une voie qui conviennent à mon objectif, j’ai choisi de

créer une collection qui met en avant l’aspect talismanique peu connu de certains bijoux.

L’esthétique du bijou servira à mettre en avant les pensées que peuvent receler ces bijoux

talismans et amulettes.

Pour illustrer mon discours, je propose pour comprendre la fonction des bijoux trois

exemples :

Les bijoux talismans dans l’antiquité

Les amulettes étaient omniprésentes dans la vie quotidienne, en Grèce comme à Rome.

Leur usage était aussi identitaire, car leur type et la manière de les porter varient selon le

statut social, libre ou non, le sexe et l’âge, telle la bulla des Romains, réservée aux garçons

de naissance libre et issus de l’élite, ou la lunule portée par les enfants des deux sexes.

Leur fonction religieuse est également importante : offertes en cadeau à certains moments,

puis dédiées à une divinité dans un sanctuaire, ou déposées dans la tombe, les amulettes

ont souvent servi à marquer les passages ritualisés de l’existence, et peuvent servir à les

identifier. Ces différentes fonctions se combinaient car la plupart des bijoux associent une

fonction défensive, thérapeutique, sociale et religieuse.

Les bijoux amulettes et tephilim, phylactères en grec

Le phylactère ou en grec ancien phulaktêrion, veut dire « amulette ». Sous ce terme se

cache un morceau de parchemin ou de papier que les juifs anciens portaient au bras ou au

front et sur lequel étaient inscrits des passages des Écritures. Ces amulettes ne sont pas

dissimulées dans les vêtements mais exhibées, manifestant ainsi la foi de celui qui les porte.

Celle du front symbolise l'élaboration de l'idée de Dieu dans le cerveau ; et celle du bras, la

réalisation des devoirs qu'Il commande.


Les bijoux talismans et le Coran

Talisman vient du mot arable talsem (pl talasem), qui signifie amulette, voile protecteur. Il

provient d’une racine grecque télesma qui rappelle le rituel religieux. Cette tradition remonte

à Abou Hasan Al-Bosri, savant ayant connaissance de la science talismanique chaldéenne.

Cette science fut transmise aussi à d’autres savants.

Al Gazali grand savant soufi, atteste que le coran parle de la magie, mais qu’elle la juge

condamnable, si elle est utilisée pour nuire socialement. Il distinguait entre sihr, qui veut dire

magie et tilasmat, qui est la science de la confection des talismans ou des voiles protecteurs.

Il s’agit là, bien entendu d’une science, axée sur le religieux.

De nos jours, les talismans et amulettes ont perdu de leur signification véritable c’est à dire

le lien avec le divin, et le lien avec l’identité. Toutefois les bijoux touaregs ont conservé un

peu de cet aspect dans leurs bijoux particulièrement l’aspect identitaire. Plus qu’un simple

ornement, le bijou touareg est le vecteur de normes identitaires, sociales et religieuses qui

ont jusqu’ici peu retenu l’attention.

Les parures constituent des marqueurs dont il s’agit d’identifier les codes. Afin de faire

mettre en évidence de manière originale la dimension identitaire et religieuse de ces parures,

ce livre blanc promeut une démarche vous expliquant tous les éléments qui constituent cet

art. Son objectif est de permettre de mieux saisir les codes culturels que véhiculent les

bijoux, dans le monde touareg selon le genre, la classe sociale et le cycle de la vie.


INTRODUCTION

De nos jours le bijou est une parure qui permet de rendre le corps plus beau, plus riche, plus

séduisant. Pour certains, les bijoux sont en lien avec le besoin d’être aimé, d’être différent.

Pour d’autres, le bijou est aspiration à une réflexion plus haute de la réalité et du lien à soi-

même. Les bijoux représentent aussi l’évolution personnelle. La personnalité humaine étant

multiple, le bijou exprime ses différentes facettes. D’une valeur symbolique et affective très

forte, le bijou est un marqueur existentiel d’une histoire personnelle.

Il est important de savoir que les bijoux sont aussi des objets chargés de symboles. Ils

attestent que la société qui les a produits utilise des symboles. Les bijoux constituent

souvent les seuls marqueurs de l'existence d'une pensée symbolique au sein d'une société

ancienne. Or la pensée et la communication par symboles sont le propre des hommes

pratiquant une culture élaborée. Tout aussi ancien est l'usage des bijoux pour favoriser la

santé et le bien-être.

Les bijoux touaregs parlent des origines, de l’histoire, des grands axes d’influences

culturelles, de mobilité. Ils parlent d’économie, de classe sociale. Ils parlent encore de

religion et magie par les amulettes d’argent ou de cuivre qui contiennent des chiffres, des

lettres favorables au bon accord familial, au déploiement de l’intelligence, aux bénédictions,

aux protections contre le mauvais œil. Ils parlent aussi de la prudence.

En fait ils parlent surtout de l’accord homme terre et ciel. Ils appartiennent à la joie de vivre ;

ils sont de toutes les fêtes, ils évoquent le prestige, la beauté, la tendresse, l’amour, la vie de

chaque jour.

QUI SONT LES TOUAREGS ?

Les touaregs se nomment eux même Imuhagh (Imouhar, sing. Amâhar) ou Imazighen. Ils

ont deux langues : le Tamahaght et le Tamachakht qui dérivent de la même racine qui veut

dire libre, indépendant et franc.

Les Touaregs dominèrent pendant plusieurs siècles le Sahara central. Ils s’étaient

remarquablement adaptés à ce milieu très difficile et avaient construit une société originale,

bien connectée avec l’extérieur.

Les populations touarègues ou Imazighen du Niger

Au Niger, Aïr1 en tamashek veut dire « carrefour, lieu de rencontre », il s’agit d’un massif

montagneux. Cette région a été appelée ainsi depuis que les Imazighen ou touaregs ont

commencé à la peupler, venant du nord, de l’est et de l’ouest. Avant leur arrivée, d’autres

1 Le massif de l'Aïr (en touareg Ayăr, est un massif montagneux situé au Niger, au Sahara).


populations originaires du Yémen, de

l’Ethiopie et de l’ancienne Egypte et Nubie

l’avaient occupée.

Les descendants de ces anciennes

populations se retrouvent parmi les

Inadane, forgerons et artisans touaregs.

Les Imazighen sont venus plus tard et se

sont mélangés aux populations sur place

dans ces montagnes du Nord du Niger.

Par la suite, le brassage de leurs

descendants s’est répandu dans les

régions alentours grâce à leur mode de

vie nomade.

Les Inadane (de nos jours, gardien des

savoirs traditionnels à travers les bijoux)

sont très conscients de ce double héritage

traditionnel et le protègent. Les liens qui

se sont tissés à partir de cette union sont

très puissants. C'est comme si un pacte

solide attribuait des rôles et des devoirs

séparés mais complémentaires de gestion

et de contrôle social et politique aux deux

composantes de cet accord, Imazighen et Inadane.

L'histoire du peuple touareg amazigh d'Afrique du Nord et du Sahara a été dominée par la

présence de reines comme la Kahina en Algérie et Tin Hinan au Maroc. Certains modes de

vie ont précédé l'islam et l'arrivée des arabes sur le continent africain de plusieurs siècles, ils

ont laissé des marques importantes dans les sociétés des Imazighen, qui restent encore

aujourd'hui distinctes de leurs voisins.

Tin Hinan l’ancêtre fondatrice des pasteurs nomades

Dans la mémoire des Touaregs, la reine Tin Hinan a inauguré l'ère qui a duré jusqu'à nos

jours. Elle est l'ancêtre de certains Imazighen notamment ceux de l'ouest de l'Ahaggar et de

l'Adrar. La légende de Tin Hinan est celle d'une ancêtre commune propre à certains groupes

aristocrates, elle est venue de la région du Tafilalet au Maroc. Son nom signifie « celle qui

habitait sous la tente » ou « celle qui voyageait » ou encore « celle qui se déplaçait », tous

ces termes désignant essentiellement le mode de vie des pasteurs nomades.


La Kahina reine guerrière des pasteurs nomades

Quant à la Kahina, elle est connu comme la protectrice de l'Afrique du Nord contre les

envahisseurs arabes au VIIe siècle, contemporaine de Koseila, elle est issue peut être d'une

tribu juive des monts Aurès, les Jeroua (Ibn Khaldoun). Elle a dirigé la résistance des

populations nord-africaines contre l'envahisseur arabe pendant plusieurs années jusqu'à sa

capture finale. Sa légende a fusionné avec celle de Koseila l'autre défenseur légendaire de

l’Afrique du Nord et vainqueur final des forces d’invasion arabes commandées par Oqba.

Le mythe de la reine Koseila

Koseila était le roi amazigh qui a vaincu et tué le conquérant arabe Oqba lors de son

invasion de l'Afrique du Nord au septième siècle après JC. Koseila créa son royaume dans

les régions de l'Adrar et du Tamadkat et ses descendants sont les Iwillimiden.

Il convient de noter que Koseila, à l'origine un dirigeant masculin, a parfois été transformé en

ancêtre féminin dans le mémoire collectif, car ces groupes font de lui une figure féminine qui

devient également leur ascendance féminine. L'ancêtre commune de cette région est donc

parfois une reine mythique Koseila.

Entre Tin Hinan et Koseila, deux figures majeures de l'histoire ancienne, environ trois siècles

se sont écoulés.

Des ancêtres femmes et homme plutôt héroïques

Ainsi, au fil du temps, les héros et héroïnes centraux des légendes d’Afrique du Nord sont

devenus les ancêtres vénérés des lignées touarègues.

Jusqu'au XVIIe siècle, les Kel Ahaggar (Tin Hinan) et les Iwillimiden (Koseila) étaient rivaux

dans cette région. La terre gouvernée par les descendants de Tin Hinan et de La Kahina

s'appelait Idnane, et les occupants des territoires hérités de Koseila sont les Tamadkat. Un

territoire intermédiaire s'est établi entre ces deux groupes opposés, celui des Ifoghas nés

d'un mariage entre une femme d’origine Idnane (descendante de La Kahina) et un homme

Kounta (descendant du conquérant arabe Oqba ou de l’un de ses compagnons).

Cette histoire des origines s'oppose à celle des groupes religieux islamiques, arrivés par la

suite dans la région et n'appartenant pas à la même lignée.

DESTRUCTURATION DE LA SOCIETE TOUARÈGUE

La structure de la société touarègue a subi de graves dommages au cours des dernières

décennies, d'abord sous l'impact de la colonisation française et par la suite pendant l'ère

postcoloniale. Le vaste territoire où les Touaregs se déplaçaient auparavant librement a été

divisé en divers États-nations dans lesquels leur style de vie, le pastoralisme nomade en

faisait des citoyens de seconde zone indésirables.


Le tissu même de leur existence a été soumis à un stress sévère alors qu'ils luttaient pour

survivre. Après avoir été défaits militairement par l'armée française entre 1904 et 1926, les

politiques de l'administration coloniale française visait à la destruction systématique de leur

système politique et infligea des dommages incalculables aux stratégies sociales,

économiques et politiques millénaires de ces peuples sahariens.

De nos jours avec le processus de mondialisation, les Touaregs assistent à la ruine de leur

système économique, social et

politique traditionnel. Plusieurs

changements se conjuguent

pour provoquer ce déclin.

Avec l’affirmation de la

domination européenne et

l’essor du transport maritime,

la place du commerce

caravanier transsaharien a

considérablement diminué.

La réduction continue de la

mobilité, et la dégradation du

milieu naturel compromettent définitivement les ressources et le mode de vie touaregs.

Leur ancienne vie nomade a cédé plus récemment la place à de nouveaux modes de vie, de

nouveaux modes de subsistance et de nouvelles catégories sociales. Il est essentiel

d'examiner brièvement ces structures, traditionnelles et modernes, et l'évolution actuelle de

ces structures, pour comprendre le rôle des artisans ou Inadane au sein de la société

touareg, ces métallurgistes qui façonnent les bijoux en argent admirés dans le monde entier.

LA CULTURE TOUARÈGUE

La culture touarègue trouve ses origines dans les temps lointains, dans son lien au désert, le

sens de la communauté, le rapport au sacré, et l’hospitalité. La bijouterie est l’un des modes

d’expression de cette culture traditionnelle.

LES IMAZIGHEN

Dans le passé, le groupe social était comme un corps vivant, dont toutes les parties étaient

intégrées et fonctionnaient en harmonie. Tous les membres qui respectaient les valeurs

essentielles du groupe étaient des Imazighen.

Etait considéré comme Amazigh celui qui savait se comporter avec honneur, respect de soi,

générosité, bravoure, honnêteté et sens du devoir envers le groupe (asshak, code de

conduite).


Un amazigh peut devenir sujet à la censure et au rejet du groupe pour avoir échoué à

adhérer à des normes élevées de bravoure et de dévotion, mais celui qui a vécu comme un

homme noble est resté un amazigh. L'idéal auquel tous aspirent, contient tous les attributs

de la liberté, dont l'un est la noblesse. Imazighen et asshak sont inextricablement liés au

concept d'identité sociale amazigh.

LES INISLIMANE

Au sein de ce corps, les aspects religieux de la vie est sous la responsabilité des Inislimane

dont le singulier est aneslam, sorte de classe sacerdotale qui désigne le lettré, le marabout,

l’homme appartenant à une tribu maraboutique. Les gens de ce groupe sont pour la plupart

des descendants d'Arabes (Fatimides) qui sont arrivés dans cette partie de l'Afrique au IXe

siècle. Ils sont chargés de l’éducation religieuse.

L’ineslemam ne constitue pas de confrérie. La fonction spirituelle est héréditaire et

l’expérience mystique reste une expérience individuelle, souvent tenue secrète ou vécue à

l’écart de la communauté.

Les religieux endossent non seulement une fonction de médiateurs entre le monde visible et

le monde invisible, mais également, grâce à leur statut de pacifistes, entre groupes et

individus considérés comme des pairs, engagés dans des relations d’honneur.

À ce titre, ils assurent des fonctions d’arbitrage et jouent souvent aussi une fonction

importante sur le plan politique, incarnant un contre-pouvoir spirituel qui les autorise, en

certaines occasions, à prendre le relais des Imazighen afin de mettre en œuvre des

décisions arrêtées au sein des assemblées consultatives.

LA BIJOUTERIE TOUARÈGUE

LES INADANE

Le bijou est un objet social à plusieurs titres. En tant qu’indicateur social, il affirme un lien

entre des personnes d’un même groupe : au travers d’une égalité ou d’une hiérarchie, d’une


discrimination, d’une distinction par exemple. Ce lien peut aussi être d’ordre politique ou

économique entre autres.

Les artisans occupent une

position particulière. On leur

reconnaît une affinité de

naissance, héritée de leurs

ancêtres forgerons,

transformateurs de la

matière. Par leur

ascendance, les Inadane

ont ainsi gardé, une culture

qui s’exprime par exemple à

travers leur art géométrique.

Les Inadane sont ceux qui

conservent les savoirs notamment le savoir scientifique et techniques et les savoirs axés sur

les préoccupations pratiques. C’est eux qui imposent la censure morale en général, le

système d'arbitrage avec le pouvoir de sanctions qui existe toujours.

Si le pouvoir politique central est entre les mains des Imazighen, ce sont les Inadane qui

définissent l'idéal amazigh, ils sont présents à tous les niveaux de la structure politique,

sociale et culturelle du groupe, et ils sont en effet les vrais gardiens des savoirs traditionnels.

L’une des raisons qui font du forgeron Inadane un personnage craint au sein de la société

touarègue, est sa capacité à contenir et à maitriser le feu et son caractère ésotérique. Les

forgerons sont craints, ils sont détenteurs d’une partie de la nature du divin.

C’est au feu et plus particulièrement à son prolongement à travers la chaleur que les

forgerons attribuent à la matière la vie, le feu de la forge donne vie à la matière.

Le feu est toujours pensé comme le principe essentiel responsable de la dynamique de

l’univers et il renvoie à la conception philosophique du principe d’origine, et au chaos

organisateur lors des premiers instants du monde. Le feu rythme également le cycle des

saisons (la saison sèche et la saison des pluies) conçu sur le mode d’une alternance entre

chaud et frais, sec et humide.

Si l’on apprécie le feu qui cuit et qui réchauffe, à l’inverse on craint celui qui dévaste. En

quelque sorte, « le feu devient ce que les hommes en font s’ils le manipulent ». Dans le

meilleur des cas il est envisageable de le contenir; un exploit que seul le forgeron peut

accomplir, en donnant vie à la matière par le feu.

Dans la société traditionnelle, la maitrise du travail du fer attribue un caractère magique aux

forgerons. Car ils sont les manipulateurs des forces invisibles et chaque instrument forgé

revêt d’un caractère magique.


À la différence des lignages touaregs qui composent la majorité de la société traditionnelle,

l’Inadane n’est pas soumis au code de l’honneur et il est placé en dehors de la compétition

pour l’honneur qui régit les rapports égalitaires entre les lignages Imazighen. De ce fait il

bénéficie d’une liberté de parole. Le forgeron de par son extranéité aux lignages, est un

acteur essentiel de la régulation sociale, notamment celui de médiateur.

On déléguait le forgeron afin de concilier soit deux parties, deux lignages, voir même deux

villages. Et le rôle du forgeron est de contribuer à ramener un climat de confiance entre les

parties en conflit et d’essayer autant que possible de rapprocher les positions divergentes en

obtenant des uns et des autres des concessions mutuelles.

Aujourd'hui, après des années de colonisation, de déstabilisation, de sécheresse, de famine

et d'exil, les membres de la société touareg ne fonctionnent plus sur le même mode que par

le passé. La distinction de classe est devenue floue et les rôles et les fonctions ont changé.

Le rôle des artisans, s’est transformé. Les artisans deviennent à la fois des dépositaires

culturels et des ambassadeurs, et des contributeurs essentiels à la survie économique du

groupe. Des coopératives d'artisans, se réunissent pour produire des objets en argent qui

suscitent la curiosité et l'admiration en Afrique et ailleurs.

La joaillerie des touaregs

Le développement de la joaillerie est surtout dû à l’utilisation de l'argent comme matière

première. La fabrication de bijoux se fait essentiellement, en pièces de monnaie d'argent

fondu. En Afrique au milieu du XVIIIe siècle on retrouve de l’argent de haute qualité sous la

forme des thalers de la reine Marie Thérèse d’Autriche. Les pièces sont fondues par les

artisans pour être utilisées dans les bijoux.

Aujourd'hui, l’argent utilisé par les touaregs consiste soit en un alliage de nickel de qualité

inférieure, soit en argent massif. Les bijoux modernes se fabriquent en argent massif et

quelquefois en alliage. L'argent massif est composé de 92,5% d'argent pur et de 7,5% de

cuivre ce qui combine une grande pureté avec une dureté suffisante pour obtenir des bijoux

de qualité. L'argent pur à 99, 9% est trop mou pour façonner des produits durables.

L'alphabet tifinagh des touaregs occupe une place centrale dans la fabrication des bijoux

touaregs et de leurs motifs. Toutes les représentations

géométriques utilisées pour décorer l’artisanat amazigh et

les bijoux sont symboliquement reliées au tifinagh.

PRESENTATION DES BIJOUX IMAZIGHEN

L'homme touareg ou l’amazigh porte deux types de

pendentifs, soit un ou plusieurs tenghelet en argent que

l’on désigne souvent par le terme de « croix » avec sa

symbolique propre à une région, à un groupe ou à la

section d'une confédération, soit une amulette accrochée à


un cordon de cuir ou à un cordon de perles qui le protégera des

influences néfastes. Ce type d'amulette est appelé tchirot.

Il s'agit d'un pendentif en argent, d'un dessin particulier,

généralement carré, parfois rectangulaire. Le tchirot est

considéré comme un motif touareg préislamique représentant

une étoile, mais pour d’autres c’est le motif du livre qui est

favorisé car ils y voient le Coran, qui a été transmis aux peuples

du Sahara dès le septième siècle après JC. Dans ce cas, le

tchirot contient des versets du Coran susceptibles d'avoir un

effet bénéfique contre les esprits des endroits isolés du désert,

le Kel Essuf.

Les différentes incisions gravées dans cette pièce par le joaillier comportent parfois des

marques identifiant sa profession: les ciseaux représentés par un X, sont indicatifs de

l’emblème du métallurgiste. Les pièces sont signées au dos par le bijoutier, en lettres

tifinagh, comprenant souvent un bref message ou une bénédiction également en tifinagh.

Les plus élaborés comprennent la gravure de roses du désert ainsi que des inscriptions en

tifinagh. Entre les deux facettes du bijou en argent, quelques grains de désert de sable sont

placés et dans certains cas des mots du Coran.

On trouve dans la région d'Ingall, un motif récurrent de sandale dans les bijoux en argent, ce

qui est particulièrement intéressant pour l'égyptologue: une grande attention a été accordée

par la noblesse égyptienne à leurs sandales, et ce motif apparaît avec les premières

dynasties. Les sandales des dirigeants étaient portées avec respect par un porteur de

sandales. Chez les touaregs, les sandales revêtent

également une grande importance et symbolisent la

protection, le prestige, la richesse et le rang social.

Contrairement au tchirot, qui est un bijou porté aussi

bien par les hommes que par les femmes, le karkaro

est une parure strictement masculine et fait partie du

vêtement traditionnel touareg. Dans le passé, il était

apposé sur le côté de la tête, sur l'oreille ou le turban

porté par les hommes.

De nos jours, comme les bijoux ont davantage une

fonction décorative plutôt que protectrice, ils sont

souvent utilisés sous la forme d'un pendentif en argent

avec une pierre semi-précieux. C’est une petite boîte

cylindrique en argent finement gravée À l’intérieur du

corps du boîtier cylindrique en métal, le bijoutier insère

un poème, un dicton écrit magique, des vers du Coran ou encore des grains de sable du

désert.


Deux boucles de chaque côté du bijou permettent de le fixer et sécuriser la mise en place du

bijou sur le côté de la tête. Aujourd'hui, ce bijou se porte également autour du cou, comme

bijou décoratif. Lorsqu'il est porté comme un pendentif, le karkaro perd une grande partie de

la fonction protectrice et du message qu'il portait comme un talisman traditionnel et devient

davantage un ornement.

Il est de coutume chez les touaregs de porter de très grandes bagues, sur les doigts et

comme parures de cheveux ou comme pendentifs, et d'échanger des bagues en signe

d'affection ou d'amitié (tisek).

Les bagues touarègues sont un reflet miniature de l'univers des symboles touaregs. Ils sont

fabriqués avec une variété de formes et de designs particuliers. Traditionnellement, les

artisans produisaient une variété d'anneaux dont le symbolisme est protecteur (chiffres et

caractères tifinagh dans un motif en damier) ainsi que les marques tribales.

Les bagues traditionnelles pour femmes comprennent une bague très volumineuse (tiseguin)

qui ressemblait à une petite boîte où la femme touarègue peut stocker du parfum ou du khol

pour ses yeux. Le couvercle de la boîte en forme d'anneau était maintenu par une petite

chaîne. D'autres bagues populaires pour femmes sont réglables avec un motif tribal gravé

aux deux extrémités d'une boucle qui s'enroule autour du doigt.

DES BIJOUX AUX MULTIPLES INFLUENCES

Certains bijoux renforcent le lien entre les traditions berbères et touaregs. On a vu que les

touaregs revendiquaient une descendance de Tin Hinan originaire du Maroc. Bien que le

livre blanc porte spécifiquement sur les types de bijoux amazighs de la production artistique

de la région de l'Air au nord du Niger, il faut garder à l'esprit que l'amour des Imazighen pour

les bijoux et la fierté des dessins ornés en argent ne se limitent pas au territoire des

touaregs. Il y a une similitude importante de traditions et des significations symboliques de

l'oasis de Siwa en Egypte à la Libye, la Tunisie, l'Algérie et le Maroc et à travers le Sahara

au Mali, au Niger et au Burkina Faso.


Les touaregs du Nord-Niger, cependant, sont restés les artisans les plus spécialisés et les

plus qualifiés aujourd'hui, ils commercialisent non seulement leurs créations à la mode sur

divers marchés africains, mais s'adressent également aux clients d'un marché mondial,

européen à l'origine mais qui s'étend aujourd'hui au-delà de l'Europe, et est devenu une

importante source de revenus pour la région.

Les modes et les styles changent, bien qu’aussi élégant et raffiné que les styles plus

anciens. Ces bijoux touristiques, ne rentrent plus dans la catégorie des bijoux ethniques

mais peuvent contribuer facilement à créer des collections tendance. Parce que de telles

transitions et changements de style déterminent d'importants facteurs économiques et

sociaux affectant la vie quotidienne des touaregs, il était important de comprendre à la fois la

genèse et l'évolution de cet art.

LE ROLE DE LA FEMME

La femme est la gardienne de l'âme, de l'identité et de la culture touarègue amazighe. Les

femmes ont maintenu la cohésion de leurs familles, tribus et peuples à travers les âges, et

les ont conservés de génération en génération en enseignant à leurs enfants les symboles

traditionnels incarnés dans les histoires orales et l'alphabet tifinagh.

Elles continuent d'entretenir le dialogue entre le monde visible et invisible qui a toujours été

leur prérogative. Quelques-unes de ces femmes sont même appelées à devenir devins,

interprètes de rêves ou guérisseurs. Elles exercent une forme ancienne de divination tracée

dans le sable ou à l'aide du miroir.

Pendant des siècles, les femmes touarègues ont été les gardiennes et les dépositaires de la

tradition. Aujourd'hui, dans des circonstances nouvelles, caractérisées par une urbanisation

et une sédentarisation en cours, les rôles des hommes et des femmes sont

considérablement remis en question. La position économique et sociale des femmes

s’appauvrit considérablement et les oblige à vendre leurs biens, leur bétail et leurs bijoux, et

elles se retrouvent souvent dans des conditions de précarité sans précédent.

Les fonctions d'éducatrice, de conseillère et de guide, essentielles au maintien d'une culture

et d'une identité touarègues viables, sont désormais menacées. La richesse et le prestige

d'une famille touarègue se mesurent à la quantité et à la qualité de ses bijoux. Une femme

touarègue chérit ses bijoux d'argent. Une jeune fille reçoit quelques bijoux de sa famille alors

qu'elle commence à devenir une femme. Elle reçoit des cadeaux en argent à sa naissance, à

son mariage et à la naissance de ses enfants.


CONCLUSION

La bijouterie touarègue est une tradition bien gardée et savamment entretenue. Le mérite

revient aux Inadanes. La société touarègue voue un culte à l’artisanat et aux métiers nobles,

dont la bijouterie. La symbolique des bijoux tire son essence de la quête perpétuelle des

touaregs dans la maîtrise des éléments naturels. Pendentifs, bagues, pectoraux, boucles

d’oreilles, chevillières, autant de signes de fidélité à une période qui semble désormais

révolue. Les peuples touaregs sont confrontés à l’austérité du désert, ils se plient à ses

règles et adaptent leur vie de tous les jours à ce monde qui ramène tout à l’essentiel. Mais

l’aridité de leur environnement ne les empêche pas de se parer de bijoux dont ils font un art

original et magique, un art vivant et porteur de sens.

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BIJOUX TOUAREGS · 2021. 5. 4. · talismans et amulettes. Pour illustrer mon discours, je propose pour comprendre la fonction des bijoux trois exemples : Les bijoux talismans dans