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La Colonie Bakakaï présente SENTIMENT D’UNE MONTAGNE LE À partir des textes Caisses et Le signe = de Christophe Tarkos Création collective dirigée par Chloé Bégou Théâtre / Musique / Arts Numériques avec Antoine Arnera, Chloé Bégou, Guillaume Bertrand, Julien Belon, Amaryllis Billet, Léonore Grollemund, Quentin Lugnier, Fred Auzias, Fred Moreau Saison 2015/2016 Caisses © P.O.L Editeur, 1998 - Le Signe = © P.O.L Editeur, 1999

bilan colonie Bakakai 19-05 · être même inspirée par l’arte povera, la Colonie Bakakaï reste fidèle à son goût ... La scénographie se meut en direct, tour à tour nuage,

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La Colonie Bakakaï présente

SENTIMENTD’UNE

MONTAGNE

LE

À partir des textes Caisses et Le signe =

de Christophe Tarkos

Création collective dirigée par Chloé Bégou

Théâtre / Musique / Arts Numériques

avec Antoine Arnera, Chloé Bégou, Guillaume Bertrand, Julien Belon, Amaryllis Billet, Léonore Grollemund, Quentin Lugnier, Fred Auzias, Fred Moreau

Saison 2015/2016

Caisses © P.O.L Editeur, 1998 - Le Signe = © P.O.L Editeur, 1999

Lundi 25 janvier 2016

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LE SENTIMENT D’UNE MONTAGNE, LA COLONIE BAKAKAÏ / CHRISTOPHE TARKOS

« Ma langue est poétique et musicale. Ma langue est imagée et musicale, ma langue est souple, étincelante et merveilleuse […] Elle fait le bruit de tous les sons des instruments de musique, elle fait le bruit de tous les sons des animaux et des phé-nomènes naturels. Ma langue est musicale. Ma langue est poétique. » Christophe Tarkos, décédé en 2004, fait partie de ces poètes mystérieusement singuliers, im-manquablement touchants qui laissent cette image profonde et délicate du person-nage touché par la grâce ébouriffée des génies ingénus. Après Bakakaï de Witold Gombrowicz, où récit et musique faisaient de ce voyage une formidable aventure sensible, il n’est pas étonnant de retrouver la colonie éponyme en compagnie de cet auteur hors-norme. Mais là où leurs précédentes créations commençaient avec un texte, Chloé Bégou et son équipe se sont ici rejoints autour d’une langue.Big-bang, tout commence. Les vannes sont ouvertes et l’on plonge instantanément dans un flot de parole et de son qui donne le ton de cet univers naissant. La poésie de Tarkos est faite d’évidences joviales, d’énoncés descriptifs abondant de postu-lats, d’assertions et de jeux de mots découverts avec l’étonnement heureux, immé-diat de celui qui parle du plaisir de parler. Chloé Bégou, récitante, sait assurément communiquer cette fascination élémentaire pour la langue et l’on devine rapide-ment toute la sensibilité nécessaire pour manier cette matière verbale avec autant d’emphase joyeusement débridée. Le flux continue, intense, se faisant parfois gron-dant, minuscule, vertigineux et aérien, ne laissant jamais pressentir ses ruades et ses apaisements. 9

Publié le 18/01/2016

Alors que l’écriture de Tarkos se trouve être assez rudimentaire, voire peut-être même inspirée par l’arte povera, la Colonie Bakakaï reste fidèle à son goût pour le rapport entre spectacle vivant et numérique en déployant ici toute une tech-nologie permettant de créer ces états sonores et visuels éthérés où tout est confon-du. La scénographie se meut en direct, tour à tour nuage, méduse ou montagne, par un astucieux jeu d’origami tétraédrique, manipulée sous nos yeux par un jeu de cordes et de poulies, et sur lequel est projeté un mapping vidéo. Le son est traité en direct en multi-diffusion tout autour du public, relayant parfois la voix et semant le trouble des perceptions en déplaçant les sources dans l’espace. Les trois musi-ciens-compositeurs – quelle musique ! – trouvent quant à eux un point de rencontre et d’écoute avec la comédienne qui fait de ce groupe un ensemble intimement, vis-céralement uni. Tous ces matériaux choisis, combinés, font bien de ce spectacle une affaire d’ambitieux et le savoir faire (savoir-sentir) de la belle équipe comme la quantité de travail accompli relèvent aisément ce défi d’ampleur.

Musique, lumière, voix, compositions acousmatiques, spatialisation sonore, mapping minutieux, scénographie mirifo-morphique, tout concourt ainsi, sans ou-trance aucune, à une immersion complète du spectateur. On est transportés dans des limbes aurifères où il n’est d’autre matière que poésie, aspirés dans une pépi-nière de langue où deux mots collés, trois sons mêlés et quelques triangles assem-blés forment un tout synesthésique. On part loin, très loin dans les méandres du sensible, saisi par la rencontre d’un univers ami, presque personnifié. « Beaucoup plus qu’un moyen, le langage est quelque chose comme un être », disait Merleau-Ponty.Vu au Théâtre de la Renaissance. D’après « Caisses » et « Le signe = » de Chris-tophe Tarkos. Création collective dirigée par Chloé Bégou. Mise en scène, comé-dienne Chloé Bégou. Scénographie Quentin Lugnier. Composition, clavier, sampler Antoine Arnera. Composition, violon Amaryllis Billet. Composition, violoncelle Léo-nore Grollemund. Spatialisation, retraitement, composition Julien Belon. Création vidéo Guillaume Bertrand. Sonorisation, régie générale Frédéric Auzias. Création lumière Fred Moreau. Création costume Maelig Souchet. Photo Patrick Roy.

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lundi 18 janvier 2016

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Samedi 16 janvier

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14 janvier 2016

Le Sentiment d’une montagne : le théâtre-concert ou l’oppression faite art

©Émile Zeizig

La Colonie Bakakaï s’est assemblée en 2011, suite à la création de Bakakaï, tiré d’un ouvrage éponyme de Witold Gombrowicz. Cette compagnie se caractérise par son désir d’allier le théâtre à une musique qui revêt une importance aussi grande que les mots. La description des sensations se trouve au cœur de la question théâ-trale pour ces artistes ; la scénographie devient également une composante es-sentielle. Ces artistes présentent Le Sentiment d’une montagne, création collec-tive dirigée et mise en scène par Chloé Bégou et inspirée de Christophe Tarkos, au Théâtre de la Renaissance et au Théâtre de la Croix-Rousse du 13 au 16 janvier.

©Émile Zeizig

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Une tentative de description des sensationsSur scène, on retrouve trois musiciens et une comédienne. Il y a une violoncelliste (Léonore Grollemund), une violoniste (Amaryllis Billet), et un pianiste (Antoine Arne-ra), et il est curieux de les voir se transformer, tantôt musiciens, tantôt comédiens, mais on a l’impression qu’ils ne sont jamais les deux. La quatrième actrice, Chloé Bégou, est également responsable de la mise en scène, et c’est elle qui se pose en porte-parole du texte.La mise en scène est intéressante ; le décor est composé de deux espèces d’origa-mis, l’un petit, qui bouge comme une marionnette grâce à des fils qui le relient au plafond ; l’autre, beaucoup plus grand, représente une montagne, qui au fil de la pièce grandit, s’impose de plus en plus au regard, et il se dégage de cette inflexible ascension, de cette importance de plus en plus grande, une sensation d’oppression qui paralyse de plus en plus le spectateur.La parole ne suffit pas ; on a affaire à une véritable interrogation sur la fonction de la parole dans le monde, à la parole qui ne dit pas tout, et qui est parfois impuis-sante ; à une parole régie par des règles grammaticales, à une parole qui effraie, et qui n’est plus toute-puissante. Cette thèse apportée par le texte, et mise en scène par le recours à la musique, et est d’autant plus intéressante qu’elle va à l’encontre de beaucoup de partis pris du théâtre moderne, où l’expression verbale est souvent considérée comme la base de la création, et où le texte revêt une importance rare-ment contestée.La comédienne principale décrit les choses, les composantes du monde actuel ; mais elle se fait également méduse, et tente de rentrer dans ce corps « composé à 98% d’eau », elle ne peut plus penser, elle ne peut qu’exprimer le vide.

©Émile Zeizig

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Une analyse anxiogène du monde qui nous entoureLa recherche musicale est essentielle, et la musique est harmonique, belle, re-cherchée, quand elle ne vire pas à la cacophonie, terrible et anxiogène, due à la superposition des instruments qui crachent des sons qui ne semblent plus avoir de sens, qui nous oppressent, qui nous tiraillent. La musique, dans ces moments-là, recouvre la parole, et son intensité paraît écrasante. La musique devient son, comme la parole qui n’est que mots. Un schéma se dégage de cette utilisation de la musique : d’abord le silence, puis le texte, puis la musique s’installe et finit par tout accabler. Puis, de nouveau, le silence.À un moment, la communication elle-même s’arrête, et le théâtre perd sa fonction expressive. Les comédiens, assis tous les quatre face à nous, comme dans un hall de gare, parlent, mais ne communiquent pas. Chacun est pris dans ce qu’il dit, et n’écoute pas ce que les autres racontent. Névrosés, les personnages étalent leur anxiété au monde, délivrant des réflexions absurdes sur le maoïsme, sur la peur de passer à travers la passoire, la nécessité d’avoir une voiture, ou encore la descrip-tion d’un homme se préparant une tasse de thé. S’agit-il d’une critique de la parole qui ne sert pas l’échange ? En tous cas, les mots se superposent, et cette interac-tion qui paraissait tout d’abord comiquement absurde, finit par effrayer.Le problème que pose Le Sentiment d’une montagne pour les spectateurs, c’est que la trame de cette pièce est basée sur une réflexion très théorique, peut-être trop intellectuelle. La pièce vacille entre le questionnement philosophique et la litté-rarité. Elle n’est donc pas indiquée pour tous les publics. Et ce d’autant plus que certains passages, mal compris, pourraient choquer un spectateur qui n’aurait pas intégré que la spéculation sur le langage est une des composantes essentielles de ce spectacle. En effet, la digression assez longue sur la beauté de l’appareil génital féminin, et la description de ses caractéristiques, peut, pour tout du moins, étonner. En outre, la conclusion de cette pièce, qui est que «la merde est consubstantielle à nous », et que c’est la dernière chose « intime et belle » qui existe, bouscule notre perception du monde, et heurte notre sensibilité.

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le Mardi 12 janvier 2016

À la Renaissance, Chloé Bégou déplace des montagnes

Le Sentiment d’une montagne Au Théâtre de la Renaissance du mercredi 13 au sa-medi 16 janvierSi quotidienne soit-elle, la langue de Tarkos n’est pas lumineuse et touchante pour tout le monde. Mais quand bien même elle vous serait – comme à nous – assez hermétique, le spectacle qu’a conçu Chloé Bégou autour d’un montage de textes du poète décédé il y a dix ans est une délicatesse. Il faut dire que la comédienne-met-teur en scène de la «colonie» Bakakaï a l’art de mêler musique, loufoquerie et in-ventivité.Pour elle, le théâtre est un espace d’amusement, de défrichage et d’expérimen-tation, mais en gardant toujours à l’esprit que tout cela doit être partagé, comme elle nous le fit sentir pour Bakakaï, qui a donc donné son nom à sa compagnie, placée sous le signe de Gombrowicz. Ici, elle est à nouveau accompagnée de mu-siciens (violoncelle, violon, clavier). Et la voix, travaillée, chuchotée, amplifiée par micro, donne un rythme très sinusoïdal à ce mouvement textuel en immersion.

par Nadja PobelPetit Bulletin n°823

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Samedi 9 janvier 2016

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Le 4 janvier 2016

© La Colonie Bakakai

Création – Théâtre musical.Christophe Tarkos / La Colonie Bakakaï « Pourquoi monter les textes de Christophe Tarkos? » « Parce qu’ils nous émeuvent et nous font rire. » répond la jeune équipe de La Colonie Bakakaï*. En voilà une drôle de réponse !Le poète aimait triturer la langue pour en faire ce qu’il appelait la « pâte-mot », une matière à dire autant qu’à lire. « Je vis parce qu’il est agréable de vivre. Je sais pour-quoi je vis. Je vis parce que cela me fait plaisir. J’ai bien vu que c’est agréable d’être vivant, qu’il y a des plaisirs. Si je suis en vie, c’est que je trouve qu’il est agréable de vivre, ainsi j’ai décidé de vivre » écrivait Tarkos, mort à 40 ans, il y a dix ans.

Performeur lui-même, il introduisait de l’humour dans la rythmique des mots, jouait avec les sons, pratiquait avec délice la mastication et la rumination du contenu. Sa poésie passe par le bouche-à-bouche, le souffle… Pas étonnant qu’elle intéresse cette équipe, une comédienne metteure en scène, un pianiste, une violoniste, un électroa-cousticien et une violoncelliste. Pour ce Sentiment d’une montagne, ils utilisent la vidéo, les effets numériques, la spatialisation du son pour faire leur le projet de Tarkos : une vague joyeuse qui submerge et parvient au cœur avant même que soit entendu le sens.

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Les voyages sensoriels de la Colonie Bakakaï

Chloé Bégou, comédienne et metteuse en scène, est l’une des joyeuses activistes de la Colonie Bakakaï qui explore, depuis 2011, la question de(des) l’expérience(s) sensible(s) dans les écritures contemporaines. Le sensible, la sensation, les choses impalpables sont d’ailleurs des mots récurrents qui obsèdent et illustrent la quête esthétique de cette jeune équipe de création qui navigue à vue entre théâtre et mu-sique. La compagnie protéiforme (musiciens, scénographe, vidéaste, électro-acous-ticien et bien sûr comédienne) se présente comme « une simple communauté de singularités quelconques » qui œuvre à créer un langage sensible commun où chaque artiste peut décliner sa discipline pour aller à la rencontre des autres arts. Bakakaï, leur première création, était une épopée onirique et musicale autour d’une nouvelle du polonais Gombrovicz (L’Aventure). Cette fois-ci, c’est au poète contemporain Christophe Tarkos que la Colonie Bakakaï se collète avec Le Senti-ment d’une montagne qui s’annonce à la fois « comme un big bang sonore et un big bang de mots » : un théâtre musical immersif utilisant la technique (vidéo, effets numériques et spatialisation inédite du son) au service du sensible, mais surtout un voyage sensoriel avec, pour fil, la poésie de Tarkos « aussi concrète qu’un sac de sable, fragile et surprenante. »Conversations avec Chloé Bégou entre deux résidences et répétitions.

-Un théâtre à voir et à entendre ? Complètement! A entendre puisqu’il y a une proposition musicale extrême-ment dense qui est en continu tout au long du spectacle, en plus des mots.

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A voir car on est sur une proposition scénique qui se déploie au fil de la pièce et qui sert de surface de projection à la lumière et la vidéo. C’est un théâtre des sens, intrinsèque à notre travail de création. Chaque discipline est une part essentielle du mécanisme et les uns n’iraient pas sans les autres. On aime amener le spectateur vers une « expérience sensible multiple ».

-Est-on chez vous plus proche de la performance que du théâtre ? Si on doit le rapprocher d’une forme particulière, s’il n’y avait pas la mise en scène et la scénographie, ce serait celle d’un concert ou, en musique classique, d’un oratorio.

-La part de l’improvisation dans vos mises en scène. On travaille tous sur quelque chose d’assez mouvant. Dans la musique, il y a des parties écrites et non-écrites, et certaines peuvent être différentes d’un soir à l’autre, car elles vont dépendre de notre écoute et de l’énergie en présence lors de la représentation. Rien n’est figé. L’improvisation est importante dans sa possibilité de respiration. On définit des lignes de forces et d’énergies, des matières visuelles et sonores, puis on laisse le spectre du présent agir.

-Y-a-t-il chez les Bakakaï l’envie de bousculer les bonnes manières du théâtre ? Ce n’est pas une question de bonnes manières, mais on souhaite déplacer l’écoute du spectateur, déplacer l’endroit habituel des paroles en faisant entendre un texte dit de façon plus musical pour le mettre à l’endroit du sensible, des sen-sations. La parole est plus onirique. Cela crée plusieurs niveaux d’écoute : soit en privilégiant celle du texte, soit en se laissant porter par d’autres sens.

-Qu’est-ce qui vous a motivée dans le choix de Christophe Tarkos ?Le texte est le point de départ de chaque création de la Colonie Bakakaï. Tarkos, c’est une langue extrêmement rythmique, sonore et physique. Tout peut être sujet, ce n’est qu’une question de regard, d’une passoire à manche pour passer les pâtes au sentiment d’une montagne proche. Tarkos, c’est aussi le choix de la poésie. La poésie est une forme d’art qui laisse, à mon sens, le plus de place pour l’Autre, donc pour d’autres sensibles.

Création au Théâtre de la Renaissance, du 13 au 16 janvierDôme Théâtre, le 21 janvierLe Caméléon à Pont du Château (63), le 28 janvierPropos recueillis par Anne Huguet

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