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1 La francophonie représente l’une des voix d’une polypho- nie linguistique aux tonalités multiples. TDC n° 912 Littératures francophones 15/03/2006 Bilinguisme, trilinguisme, plurilinguisme… PAR TANIA MANCA, CHERCHEUSE, DOCTEUR ÈS LETTRES EN LITTÉRATURES FRANÇAISE ET COMPARÉE À LUNIVERSITÉ DE PARIS-IV-SORBONNE Les notions de « francophonie », « Francophonie » et « espace francophone », parfois synonymes mais souvent complémentaires, recouvrent des réalités diffé- rentes. Selon L’Année francophone internationale (AFI), le mot « francophonie », avec un f minuscule, « désigne l’ensemble des locuteurs, des groupes de locu- teurs et des peuples qui utilisent le français à des degrés divers : le français est, selon le cas, langue maternelle, langue seconde, langue de communication ou de culture ». D’après la même source, la « Francophonie », avec un F majuscule, indique « le regroupement sur une base politique des États et gouvernements qui, réunis en sommet tous les deux ans, définissent les orientations et les programmations de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF, constituée sous ce nom en 1997), dirigée par le secrétaire général de la Francophonie. Le nom officiel des sommets est Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage. Inaugurés en 1986, ils regroupent quatre types de pays adhérents : les membres de plein droit, les États associés, les États observateurs et les « invités spéciaux ». Ce titre est attribué aux collectivités territoriales issues d’États n’appartenant pas à l’OIF mais participant à ses sommets et à une partie de ses programmes. Lors du dernier sommet, l’OIF compte en 2010 soixante quinze États et gouvernements membres, quatre associés et dix observateurs. Les membres de la Francophonie ne sont pas tous officiellement francophones. Le XIII e sommet s’est tenu en octobre 2010 à Montreux. Toujours selon L’Année francophone internationale 2005, « l’espace francophone, représentant une réalité non exclusivement géographique, ni même linguistique, mais aussi culturelle, réunit tous ceux qui, de près ou de loin, éprouvent ou ex- priment une certaine appartenance à la langue française ou aux cultures franco- phones ». Bilinguisme et trilinguisme officiels. Cette expression renvoie à l’ensemble des lois et règlements qui assurent un sta- tut officiel à deux voire à trois langues différentes. Les institutions francopho- nes comptent aujourd’hui dans le monde dix pays où le bilinguisme est officiel. Il s’agit du Burundi (kirundi, français), du Cameroun (anglais, français), du Canada (anglais, français), de la Centrafrique (français, sängö), des Comores (français, arabe), du Congo-Kinshasa (français, anglais), de Djibouti (arabe, français), de la Guinée équatoriale (espagnol, français), de Haïti (créole haïtien, français) et du Tchad (arabe, français). Six pays francophones sont officiellement trilingues : la Belgique (néerlandais, français et allemand), le Luxembourg (français, alle- mand et luxembourgeois), le Rwanda (kinyarwanda, langue nationale, français et anglais, auxquels s’ajoute le swahili, cas de plurilinguisme factuel), les Seychelles (créole, anglais et français), la Suisse (italien, français et allemand, plus une lan- gue nationale, le romanche, cas de plurilinguisme factuel), le Vanuatu (bichlamar,

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La francophonie représente l’une des voix d’une polypho-nie linguistique aux tonalités multiples.

TDC n° 912 Littératures francophones15/03/2006

Bilinguisme, trilinguisme, plurilinguisme…par tania manca, chercheuse, docteur ès lettres en littératures française et comparée à l’université de paris-iv-sorbonne

Les notions de « francophonie », « Francophonie » et « espace francophone », parfois synonymes mais souvent complémentaires, recouvrent des réalités diffé-rentes. Selon L’Année francophone internationale (AFI), le mot « francophonie », avec un f minuscule, « désigne l’ensemble des locuteurs, des groupes de locu-teurs et des peuples qui utilisent le français à des degrés divers : le français est, selon le cas, langue maternelle, langue seconde, langue de communication ou de culture ». D’après la même source, la « Francophonie », avec un F majuscule, indique « le regroupement sur une base politique des États et gouvernements qui, réunis en sommet tous les deux ans, définissent les orientations et les programmations de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF, constituée sous ce nom en 1997), dirigée par le secrétaire général de la Francophonie. Le nom officiel des sommets est Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage. Inaugurés en 1986, ils regroupent quatre types de pays adhérents : les membres de plein droit, les États associés, les États observateurs et les « invités spéciaux ». Ce titre est attribué aux collectivités territoriales issues d’États n’appartenant pas à l’OIF mais participant à ses sommets et à une partie de ses programmes. Lors du dernier sommet, l’OIF compte en 2010 soixante quinze États et gouvernements membres, quatre associés et dix observateurs. Les membres de la Francophonie ne sont pas tous officiellement francophones. Le XIIIe sommet s’est tenu en octobre 2010 à Montreux. Toujours selon L’Année francophone internationale 2005, « l’espace francophone, représentant une réalité non exclusivement géographique, ni même linguistique, mais aussi culturelle, réunit tous ceux qui, de près ou de loin, éprouvent ou ex-priment une certaine appartenance à la langue française ou aux cultures franco-phones ».

Bilinguisme et trilinguisme officiels.Cette expression renvoie à l’ensemble des lois et règlements qui assurent un sta-tut officiel à deux voire à trois langues différentes. Les institutions francopho-nes comptent aujourd’hui dans le monde dix pays où le bilinguisme est officiel. Il s’agit du Burundi (kirundi, français), du Cameroun (anglais, français), du Canada (anglais, français), de la Centrafrique (français, sängö), des Comores (français, arabe), du Congo-Kinshasa (français, anglais), de Djibouti (arabe, français), de la Guinée équatoriale (espagnol, français), de Haïti (créole haïtien, français) et du Tchad (arabe, français). Six pays francophones sont officiellement trilingues : la Belgique (néerlandais, français et allemand), le Luxembourg (français, alle-mand et luxembourgeois), le Rwanda (kinyarwanda, langue nationale, français et anglais, auxquels s’ajoute le swahili, cas de plurilinguisme factuel), les Seychelles (créole, anglais et français), la Suisse (italien, français et allemand, plus une lan-gue nationale, le romanche, cas de plurilinguisme factuel), le Vanuatu (bichlamar,

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pidgin anglais parlé avec une centaine de langues mélanésiennes, anglais et français).Le syntagme « bilinguisme (ou trilinguisme) officiel » indique que les deux (ou trois) langues officielle-ment utilisées dans les institutions ne sont pas pour autant parlées par la totalité de la population. Quel-quefois, la majorité parle seulement la ou les langues nationales et une minorité utilise la deuxième (ou troisième) langue officielle. Les enseignements publics sont généralement dispensés dans les langues officielles, et l’une des deux (ou trois) langues nationales est parfois plus utilisée que les autres. C’est le cas du Canada ou de Haïti, où une majorité de la population, outre la langue nationale, apprend et utilise aussi le français. Dans la République du Burundi, les langues officielles sont le kirundi et le français ; une troisième langue, le swahili, y est utilisée comme langue véhiculaire. Les productions littéraires de ces pays se font dans plusieurs langues. Le trilinguisme présente des situations différentes. La Suisse, avec la division en cantons – francopho-nes, germanophones et italophones –, se caractérise par l’émergence de l’une des trois langues dans la vie quotidienne et dans l’enseignement mais aussi d’une minorité de langue romanche. En Belgique, qui rassemble trois communautés culturelles – flamande, française et allemande –, le néerlandais s’est superposé à des dialectes flamands, le français à des dialectes wallons.

Bilinguisme et plurilinguisme factuels.Dans d’autres pays se pratique un bilinguisme de fait, sans que le français ne représente l’une des lan-gues officielles. C’est le cas du Maghreb – Algérie, Maroc, Tunisie – dont la langue officielle est l’arabe et où le français est parlé et appris par la majorité de la population, de Madagascar (malgache et français), ou encore du Rwanda (kinyarwanda, langue nationale, français et anglais). En Mauritanie, l’arabe est langue officielle, le français est répandu mais trois autres langues nationales sont parlées (wolof, poular, soninké). La République de Maurice présente un panorama linguistique singulier : la langue officielle est l’anglais, 60 % des locuteurs sont francophones, 30 % de la population parle le bhojpouri, 5,8 % l’ourdou, 2,4 % l’anglais et 2 % le tamoul. Parfois, seule une partie de la population parle le français et l’utilise dans la vie politique et/ou culturelle ou dans la production littéraire : c’est le cas du Vietnam et du Cambodge. Les pays de l’espace francophone comptent une grande diversité linguistique. En République du Cameroun, les langues officielles sont l’anglais et le français, mais environ deux cents langues cohabitent. Au Québec, on compte 80 % de francophones, 9 % d’anglophones, 8 % parlant plusieurs autres langues et 0,4 % les langues amérindiennes.

Le cas des DOM-TOM.La carte du Poster ne montre pas les départements français d’outre-mer, puisqu’il ne s’agit pas de pays et que la seule langue officielle y est le français. En Guadeloupe et en Martinique, la langue créole, usuel-le, occupe une place prépondérante et se manifeste dans la longue tradition de la littérature orale mais aussi dans une importante production de littérature écrite. Parmi les témoignages de sa reconnaissance en France, on peut mentionner la création du Capes de créole. La Guyane française, où le français est langue officielle, possède aussi une seconde langue, le créole guyanais. À l’île de la Réunion, si le fran-çais est compris de tous, le créole réunionnais reste la langue usuelle. En Polynésie française, collectivité d’outre-mer devenue depuis 2004 le premier POM (pays d’outre-mer), plusieurs langues locales coexis-tent à côté du français. En Nouvelle-Calédonie (ou Kanaky), la langue nationale est le français, mais on y parle vingt-huit langues locales dont cinq ont le statut de langues régionales : l’ajië, le drehu, le nengone, le paicî et le xârâcùù.

Les origines.Le bilinguisme ou le plurilinguisme de certaines nations est le fait d’événements historiques. On parle de diglossie lorsqu’une ou plusieurs langues parlées dans un pays ont un statut politique ou social inférieur. Ces situations amènent à des changements structurels dans l’une ou les deux langues à la suite de leurs contacts réciproques. Un locuteur de deux ou plusieurs langues peut appartenir à plusieurs communau-tés linguistiques. Les États bilingues sont confrontés à une politique d’aménagement des langues verna-culaires par rapport à leur utilisation, à leur éventuel enseignement et aux décisions à adopter concer-nant la reconnaissance officielle de certaines d’entre elles afin d’en fixer les fonctions institutionnelles. En Europe, bilinguisme, trilinguisme et plurilinguisme s’enracinent dans l’histoire des influences politiques, culturelles, économiques. Les frontières variant au gré des conflits et des fluctuations territoriales et nationales ont contribué à la définition du statut officiel des langues au sein des pays (Suisse, Belgique, Luxembourg). Hors d’Europe, le français s’est diffusé à partir du XVIIe siècle, au fur et à mesure en Amé-rique du Nord (Canada, Louisiane, Saint-Pierre-et-Miquelon), en Amérique du Sud (Guyane), aux Caraï-

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bes (Guadeloupe, Martinique, Haïti), sur le continent indien (Pondichéry, Chandernagor, Yanaon, Mahé, Karikal), dans le Pacifique (Tahiti, îles Marquises, Nouvelle-Calédonie), dans l’océan Indien (La Réunion, Madagascar, île Maurice). Dans de nombreux pays d’Afrique, l’élément colonial constitue une des raisons principales du bilinguisme, surtout depuis le XIXe siècle. À l’origine de la francophonie, la Belgique et la France ont construit des relations variées avec certains pays avec lesquels elles sont entrées en contact en créant comptoirs, colonies, protectorats, etc. On citera, pour la Belgique, la République démocratique du Congo, le Burundi, le Rwanda, et, pour la France, le Mali, la Guinée, le Gabon, la Côte-d’Ivoire, etc. Le Tchad, par exemple, après avoir été territoire militaire et protectorat français, devient colonie en 1920. Après la Seconde Guerre mondiale, la lutte en faveur de l’indépendance s’y organise de façon structurée jusqu’à la promulgation de la république en 1960. Mais le fait colonial avait impliqué l’instauration des institutions françaises dans le pays, ce qui signifie que la structure de la colonie et son fonctionnement s’inspiraient du système français, que la langue officielle et enseignée à l’école était la langue française. La reconnaissance du français et de l’arabe comme langues nationales résulte d’un aménagement lin-guistique entre ces deux idiomes parlés par la plupart de la population et prépondérants dans la vie po-litique et les relations internationales. Dans d’autres cas, l’une des langues parlées est une langue qui est née suite à la colonisation dans des circonstances d’apports linguistiques divers. C’est le cas des créoles et des pidgins, langues devenues non seulement véhiculaires mais aussi codifiées et transcrites, et dans lesquelles les différents peuples expriment leur littérature et leurs documents institutionnels. Chaque pays présente en réalité ses propres caractéristiques et ses propres motivations du bilinguisme officiel ou factuel, comme le Québec, la Suisse, la Belgique, l’Acadie.Une analyse du panorama linguistique francophone et de son parcours amène au constat d’une évolu-tion de la langue même qui se traduit par une intéressante diversification idiomatique d’un pays à l’autre, par un processus en plein développement et par un enrichissement fécond.

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Cartographie « Les langues officielles de la Francophonie »

Les langues officielles de la FrancophonieCartographie : Illustratek