12
P.2 LES BRÈVES DE LA FRANÇAFRIQUE P.3 ÉDITO Du Valls dans un bas de soie P.4 MALI Continuité des hommes et des institutions Alors que l'intervention Serval a permis de renforcer la mise sous tutelle du Mali, la composition du nouveau gouvernement laissetelle présager une nouvelle relation ? P.5 NIGER Le coût de la sécurité ... et de l'uranium P.5 MALI Tour de chauffe à Bamako avant le sommet de Paris P.8 Y EMENDJIBOUTI Comment étouffer l’affaire Borrel ? Un témoin essentiel dans l’affaire de l’assassinat du juge Borrel a été incarcéré au Yémen à la demande de Djibouti, qui tente d'obtenir son extradition pour le faire disparaître. P. 9 CENTRAFRIQUE Retour sur une non intervention A l’heure où François Hollande tente de convaincre les Nations Unis d’intervenir massivement en Centrafrique, retour sur le rôle trouble que joue la France dans la crise qui ravage le pays. P. 1011 ENTRETIEN Les conflits en Afrique dans les médias français Entretien avec François Robinet, Maître de conférences en histoire, qui a travaillé sur la couverture, par les médias français, des conflits en Afrique P. 1112 LIRE Rwanda, racisme et génocide L’idéologie hamitique Lettre mensuelle éditée par Survie // N° 228 Octobre 2013 - 2,30 euros http://survie.org Billets d'Afrique... ...et d'ailleurs Informations et avis de recherche sur les avatars des relations franco-africaines En Côte d'Ivoire, moins d'un an après sa signature, le Contrat de désendettement et de développement est l'objet d'importantes tensions. Exit les pauvres, la société civile et même le directeur d'agence AFD ! Lire p.6-7 Ouattara-Moscovici La diplomatie du tiroir-caisse

Billetsd'Afrique - Survie · 2017-10-17 · Du Valls dans un bas de soie Selon notre gouvernement, la France de 2025 n'a rien à craindre de son parc de cinquante-huit réacteurs

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P.2 LES BRÈVES DE LA FRANÇAFRIQUEP.3 ÉDITO Du Valls dans un bas de soieP.4 MALI Continuité des hommes et des institutionsAlors que l'intervention Serval a permis de renforcer la misesous tutelle du Mali, la composition du nouveaugouvernement laisse­t­elle présager une nouvelle relation ?P.5 NIGER Le coût de la sécurité ... et de l'uraniumP.5 MALI Tour de chauffe à Bamako avant le sommetde ParisP.8 YEMEN­DJIBOUTI Comment étouffer l’affaireBorrel ?Un témoin essentiel dans l’affaire de l’assassinat du jugeBorrel a été incarcéré au Yémen à la demande de Djibouti,qui tente d'obtenir son extradition pour le faire disparaître.

P. 9 CENTRAFRIQUE Retour sur une non interventionA l’heure où François Hollande tente de convaincre lesNations Unis d’intervenir massivement en Centrafrique,retour sur le rôle trouble que joue la France dans la crise quiravage le pays.P. 10­11 ENTRETIEN Les conflits en Afrique dans lesmédias françaisEntretien avec François Robinet, Maître de conférences enhistoire, qui a travaillé sur la couverture, par les médiasfrançais, des conflits en AfriqueP. 11­12 LIRE Rwanda, racisme et génocide ­L’idéologie hamitique

Lettre mensuelle éditée par Survie // N° 228 Octobre 2013 - 2,30 euros http://survie.org

Billets d'Afrique......et d'ailleurs

Informations et avis de recherche sur les avatars des relations franco-africaines

En Côte d'Ivoire, moins d'un an après sa signature, le Contrat de désendettement et dedéveloppement est l'objet d'importantes tensions. Exit les pauvres, la société civile etmême le directeur d'agence AFD ! Lire p.6-7

Ouattara-Moscovici

La diplomatie dutiroir-caisse

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2 Billets d'Afrique et d'Ailleurs Octobre 2013 N°228

En bref

Incitation aumeurtre« À l'ONU, le 20 septembre, le Camerouna rejeté en bloc, à l'exception d'une seule,toutes les recommandations qui luiavaient été adressées au sujet des droitsde l'homme. Pour son ambassadeur auxNations unies à Genève, Anatole Nkou, lemilitant pour les droits des homosexuels,Éric Lembembe, torturé et assassiné le 15juillet dernier, ne serait qu'un crimineltué lors d'un "règlement de comptes". »(AFP 26/09) Une telle déclaration, de lapart d’un officiel camerounais dans uneenceinte internationale, constitue unevéritable absolution pour les assassinsd’Eric Lembembe, et partant, uneincitation aux meurtres de ceux quimilitent pour la reconnaissance des droitsdes LGBT, et plus généralement pour lerespect des droits humains au Cameroun.

C’est de la bombeDepuis 2010, au terme d’un long combat,une loi est censée reconnaître et permettrel’indemnisation des victimes des essaisnucléaires menés par la France dans leSahara et en Polynésie (voir le site del’Observatoire des armementswww.obsarm.org). Un rapport du sénateurDavid Assouline vient de faire un premierbilan d’étape. A ce jour, alors que laFrance a procédé à près de 210 essaisnucléaires, impliquant officiellementenviron 150 000 civils et militaires, et que700 dossiers ont été déposés, seuls 4 ontété jugés recevables…

Célébrationsfranco-maliennesSeul chef d’Etat non­africain présent àl’investiture du nouveau présidentmalien, le chef de l’Etat français sembles’être pris, le temps d’un discours, pour lemaître de cérémonie. « Nous avons gagnécette guerre, nous avons chassé lesterroristes, nous avons sécurisé leNord », a­t­il affirmé, ce qui n’est pas,concernant le dernier point au moins, toutà fait exact... Après le couplet « veni vidivici », il enchaînait même : « et enfin, cen'était pas le plus facile, nous avons ­vous avez ­, réussi à organiser desélections de façon incontestable et levainqueur est aujourd’hui Président duMali. » Ce qui semble à première vue unlapsus maladroit n’en est pas un,vérification faite à partir de la versionécrite du discours. Une simpleconfirmation décomplexée de qui tenaitjusqu’à présent les rênes de la viepolitique malienne…

Des corsaires pourla marineDans le golfe d’Aden, en plus dudispositif anti­piraterie européen Atalanteauquel contribue la France, la marinefrançaise met des soldats à disposition decertains navires privés, comme desthoniers par exemple. Mais « la marinenationale ne peut pas tout faire » a avertiLe Drian devant les parlementaires (12/9)et il s’est déclaré « favorable à lareconnaissance des sociétés militairesprivées dans le domaine du transportmaritime » mais pas « pour l'armée deterre, car cela s'apparenterait à dumercenariat ». Etrange logique... « Unprojet de loi sera bientôt déposé parFrédéric Cuvillier » annonce le ministre,ce qui doit réjouir les lobbys quis’activent depuis plusieurs années pourune législation plus favorable, à même depermettre à nos militaires de s’offrir uneretraite plus lucrative… Le député Pozzodi Borgo, qui interrogeait Le Drian sur cesujet, rappelle en effet que « les sociétésmilitaires privées représentent un marchéestimé entre 200 et 400 milliards dedollars » et qu’ « en la matière, notrepays a des atouts à faire valoir,notamment par rapport à la concurrenceanglo­saxonne ».

Un amourdésintéressé…« L'UMP aime l'Afrique. Cet été, alorsque le parti lançait une souscriptionnationale pour rembourser 11 millionsd'euros, suite à l'invalidation des comptesde campagne de Nicolas Sarkozy, sesdirigeants ont multiplié les déplacementssur le continent africain : Claude Guéanten Centrafrique ; Jean­François Copé, lavice­présidente du parti Rachida Dati, etd'autres élus UMP au Congo. Cettesemaine, au tour de Nadine Morano,trésorière de l'association des Amis deNicolas Sarkozy, de se rendre en Côte

d'Ivoire. Ces visites multiples conduisentà s'interroger sur la raison de leur venue.» (Marine Turchi, Médiapart, 26/9) Ilfaudrait vraiment avoir l’esprit mal placépour y voir un quelconque rapport avecl’approche des prochaines échéancesélectorales…

Ad vitam aeternamBlaise Compaoré continue de lancer desballons d’essai en vue de faire avaler sonmaintien au pouvoir au terme de sonmandat actuel. Selon La voix del’Amérique (22/09), le présidentburkinabé, au pouvoir depuis 1987, «affirme poursuivre aujourd’hui sondernier mandat, conformément à laConstitution » mais « n’a pas exclu de sereprésenter lors de la prochaine électionprésidentielle, même si l’échéance de2015 est, selon lui, lointaine, et qu’il nesouhaite pas participer à un pré­débatsur une future candidature (…) tout enrappelant qu’en fin de compte, le choixde se représenter – ou non – luiappartiendrait. "C’est à moi de choisir"a­t­il souligné. » Et surtout pas auxmouvements populaires qui se multiplientcontre un tel scénario…

Diamants,barbouzes et coupd’Etat ?Fin août, Le Monde (31/08) rapportaitcomment le diamentaire franco­israélienBeny Steinmetz avait, sous LansanaConté, acheté pour une bouchée de pain(165 millions de dollars), l’un des plusgrands gisements de fer du monde, àSimangou, avant d’en revendre peu aprèsla moitié au brésilien Vale pour… 2,5milliards de dollars. Alors que lemilliardaire fait aujourd’hui l’objet d’uneenquête du FBI pour corruption, LeCanard enchaîné (11/9) s’interroge surses réseaux français. Steinmetz est ainsisuffisamment proche de l’ancien présidentpour financer, tous frais payés, un séjourde Sarko en Israël. Il entretient aussi desrelations amicales avec Claude Goasguen,Valérie Hoeffenberg ou Jean­FrançoisCopé. Le palmipède rappelle aussi queBalkany est en affaire avec « le potentatPatokh Chodiev, associé de Steinmetz » etagace le président guinéen par un «activisme insistant » dans la région.Quinze jours plus tard, des documents dela CIA et de la DGSE fuitent dans leCanard, révélant l’existence d’un possibleplan de déstabilisation d’Alpha Condé,visant à faire agir des mercenaires françaiset sud­africains à la faveur des troublesliés aux prochaines élections.

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N°228 Octobre 2013 Billets d'Afrique et d'Ailleurs 3

Le beurre, sansl’argent dubeurre…On ne peut pas toujours tout avoir. Selonle blog RP Defense (12/9) « Une partiedu contrat de soutien des casques bleusde la MINUSMA n'a finalement pas étéattribué à un groupe d'entreprisesfrançaises mais à Supreme Group,entreprise déjà présente au Mali (…) Ladécision onusienne met un terme auprojet de LoA française. Cette "letter ofassist" aurait permis à des entreprisesfrançaises, via l'Etat français qui lesaurait rétribuées avant de se fairerembourser par l'Onu, de fournir desprestations logistiques au profit de laMINUSMA ». En cause, selon P.Chapleau, « une bonne connaissance desarcanes des opérations onusiennes demaintien de la paix » de la part desentreprises américaines présentes enAfrique, et un retard à l’allumage desentreprises françaises. « Il nous restequelques miettes : Losberger a fourni uncamp de toile pour loger une centaine decasques bleus (une commande deSupreme Group, toutefois) et des sociétésfrançaises interviendront dans le domainedu transport et de la fourniture decarburant, par exemple. » Les tempssont durs… Heureusement FrançoisHollande l’a rappelé dans son discours àBamako, les entreprises françaisesrestent « mobilisées pour lareconstruction » du Mali.

Révélationsmalgaches ?Mécontent de voir sa candidaturefinalement retoquée par la Courélectorale spéciale malgache, décisionderrière laquelle il voit le résultat despressions françaises, l’ancien hommefort – et protégé de Paris ­ DidierRatsiraka, se lâche à la télévisionmalgache. « La France m’ a demandéd'aider Andry Rajoelina à évincer MarcRavalomanana », affirme­t­il au sujetdes événements de 2009. « "J'airépondu, je ne suis pas en faveur descoups d’État" (….), a­t­il ajouté, avantd'expliquer qu'il avait finalement acceptéaprès qu'on lui ait montré qu'il nes'agissait pas d'un coup d'État. "On s'estmis d'accord que Marc Ravalomananaquitterait le pouvoir sans bain de sang. Etaprès son éviction, on devrait instaurerune transition concertée. (…) AndryRajoelina a été d'accord (...)", a­t­ilpoursuivi. » (Jeuneafrique.com, 13/09)

Du Valls dans un basde soie

Selon notre gouvernement, la France de 2025 n'a rien à craindre de

son parc de cinquante-huit réacteurs nucléaires, parc vieillissant

dont le plus ancien est situé sur une faille sismique ; du chômage

massif et de la paupérisation croissante de sa société ; de la faillite de

l'ensemble de ses services publics ; de l'explosion des dépenses

budgétaires nées des guerres sans fin menées par ses armées. Non, la

France de 2025 n'est menacée que par deux choses : l'Islam et « la

démographie très importante » de l'Afrique, dixit notre ministre de

l'intérieur - il faut sans doute comprendre « croissance démographique »

-, sans que ces propos aient suscité la moindre opposition de ses

collègues roses ou verts.

Notre ministre national et socialiste ne fait là que resservir, sous une

forme qui se voudrait celle du constat objectif, les propos ouvertement

racialistes qui firent sa gloire et selon lesquels les marchés de sa ville

d'Évry manquaient de « White, de blancs, de blancos » - la vulgarité de la

pensée tentant de se dissimuler sous l'emploi de l'anglais n'est pas sans

rappeler Finkielkraut, dont le fameux « black black black » a donné une

forme impérissable à l'obsession négrophobe. La nécessité évoquée de

revoir la politique migratoire n'est qu'un prétexte pour entretenir dans la

psyché collective l'image d'un déferlement de masses africaines. Le

procédé n'est pas nouveau : il s'agit de protéger les classes dirigeantes

de la colère populaire en la détournant vers les habituels boucs

émissaires. La restriction annoncée des conditions du regroupement

familial exprime également la volonté de préserver l'ethnie blanche,

quitte à violer un droit fondamental.

En réalité, l'Afrique, avec 33 habitants au km2, est un continent

dépeuplé par la traite et les massacres coloniaux, et son rythme actuel

de croissance démographique n'est qu'un rattrapage de l'Europe, 60

habitants au km2, et de l'Asie, 96 habitants au km2. Ce dépeuplement a

fait d'elle la proie d'une Europe à la recherche de nouvelles ressources

pour nourrir un développement exponentiel. La mise en coupe réglée de

l'Afrique au bénéfice de l'Occident se poursuit aujourd'hui. La

perpétuation du mode de vie occidental serait impossible sans

l'exploitation des richesses africaines. Les ressources abondantes de ce

continent sous-peuplé suffiraient à assurer un niveau de vie suffisant à

ses enfants, si elles n'étaient pas exploitées au bénéfice presque exclusif

des firmes occidentales. C'est ce pillage qui est mis en danger par

l'explosion démographique africaine, et rien d'autre.

On s'étonne quand même de la négrophobie gouvernementale, à un

moment où l'État français renforce les liens militaires et économiques

qui constituent la Françafrique – occupation militaire du Mali, installation

de Ouattara à la tête de la Côte-d'Ivoire, renforcement de Déby au Tchad,

caution des élections truquées au Cameroun, au Togo, au Gabon, etc. Si

l'évolution démographique de l'Afrique inquiétait vraiment Manuel White,

il devrait militer en faveur d'une véritable souveraineté des peuples

d'Afrique francophone, seule à même de leur permettre de jouir de leurs

propres richesses. En réalité, M. White ne fait que répandre l'idéologie de

ceux qui favorisent sa carrière. On sait en effet que la « gestion

démographique de la planète » est une obsession dans certains milieux

dirigeants que White se flatte de fréquenter.

Tant il est vrai qu'aucun fanatisme ne menace davantage la sécurité

des peuples que celui de l'arrivisme.

Odile Tobner

Édito

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4 Billets d'Afrique et d'Ailleurs Octobre 2013 N°228

Salves

Mali : continuité des hommes et desinstitutionsAlors que l'intervention Serval a permis de renforcer la mise sous tutelle du Mali, lacomposition du nouveau gouvernement laisse-t-elle présager une nouvelle relation ? Les« liens privilégiés hérités de l'histoire » vont-ils pouvoir se desserrer ?

Le 4 septembre 2013, le président éluprête serment, le 6 il nomme lePremier ministre, le 8 il nomme un

gouvernement composé de 34 ministres etdéclare : « Le Mali est debout et en ordrede marche ». Il est malheureusement àcraindre que les relations entre ce nouveaugouvernement malien et les autoritésfrançaises s'inscrivent dans la continuité.

La continuité des hommesLe Président Ibrahim Boubacar Keïta(IBK) connaît très bien la France. Autotal, il y aura vécu plus de 20 ans. Etudessupérieures à Paris, Maîtrise d’histoire etDEA. Il est ensuite chargé de recherche auCNRS et enseigne à Paris Tolbiac. Laquarantaine venue, il rentre au Mali,devient conseiller du Fonds Européen deDéveloppement (FED), puis directeur del’ONG Terre des Hommes France, pour leMali, le Burkina­Faso et le Niger.C'est donc un homme qui, de sa formationà son activité professionnelle, auratoujours travaillé dans le cadred'organismes français et européens avantd'en arriver aux responsabilités politiques.En 1993, il est promu ministre desAffaires étrangères d'Alpha OumarKonare et, en 1994, Premier ministre,poste qu'il occupera pendant 6 ans. Il aalors comme interlocuteur CharlesJosselin, Ministre français de laCoopération à partir de 97. Or la politiqueafricaine de la France est aujourd'huipilotée par d'anciens membres du cabinetou conseillers de Josselin : Anne Paugam,actuelle directrice générale de l'AgenceFrançaise de Développement (AFD),Hélène Le Gal, aujourd'hui conseillèreAfrique de Hollande et FrançoisCroquette, actuel directeur de cabinet dePascal Canfin (Lettre du Continent,18/09).Peut­on imaginer une continuité pluspoussée du personnel politique ? Lesresponsables français vont donc travailleravec un Président malien qu'ilsconnaissent bien.En 1999, à l'occasion du congrès del'Internationale Socialiste (IS) à Paris,ouvert par François Hollande alorssecrétaire général du PS, IBK devientvice­président de l'IS.

Quant aux relations plus personnelles, ilest permis de supposer qu'elles sontfortes. Le site Maliweb écrivait parexemple le 22/11/10 : « Convié par sonami, le député maire socialiste d’Evry,Manuel Valls, Ibrahim Boubacar Keita,député de Bamako, a participé, enOctobre 2010 à un colloque à Paris : lanouvelle Afrique, bilan après 50 ansd’indépendance. »Tout cela ne signifie pas que le présidentKeita sera un homme soumis aux diktatsdes autorités françaises, son sens del'honneur est célèbre, ce n'est pas unhomme soumis. Mais, la collaboration surdes années, les dossiers montés ensemble,les réunions, et même les désaccords nepeuvent pas ne pas créer d'habitudes quifacilitent la relation, qui donnentspontanément la priorité aux amis delongue date. « Quand vient la saison despluies, l'eau du marigot retrouve toujoursle même chemin ».Le gouvernement nommé par IBKprésente un dosage entre deux profils :d'un côté bon nombre de ministres issusde la vieille garde des politiciens, bienconnus des Maliens (comme la Ministredes Finances), de l'autre de jeunesprésentés comme « neufs », n'ayant pastrempé dans les combines, destechnocrates particulièrement compétents.Si le président IBK est un familier deshommes de pouvoir français, le PremierMinistre et le Ministre du Budget ­ eux quisont des nouveaux venus en politique ­pourront­ils garder leurs distances et setenir loin de toute connivence avecl'ancien colonisateur ?

L'ombre de la BCEAOSelon RFI (5/09), « Outre [ses] qualitéstechniques, le nouveau Premier ministren'a pas été choisi par hasard. Un hommen’ayant jamais assumé des responsabilitésministérielles au Mali, un homme dont lanomination peut paraître comme unevolonté du changement, voilà des critèresqui ont pesé dans le choix d’Oumar TatamLy au poste de Premier ministre. » Commetant de médias, la radio française insistesur la « volonté de changement » et oubliede préciser que le Premier ministre ­comme le ministre du budget ­ ont

effectué l'essentiel de leur carrière à laBCEAO, la Banque Centrale des Etats del'Afrique de l'Ouest.Or derrière la façade de ce prestigieuxbâtiment qui domine la capitale se cacheune institution majeure de la Françafrique.La banque régionale qui gère le francCFA, une monnaie encore aujourd'huisous le contrôle de la Banque de France,exerce des responsabilités très étendues :la politique monétaire de 8 Etats, le bonfonctionnement des systèmes depaiement, la politique de change, lagestion des réserves.Les hommes peuvent changer au fil dutemps, mais l'institution entretient sesrègles et sa discipline, perpétuant unevéritable situation de curatelle, statutdonné à une personne quand elle « esthors d'état d'agir elle­même ».Le Premier Ministre, O.T. Ly est entré à laBCEAO en 1994, il y a occupé différentspostes de responsabilité, dont celui deDirecteur National pour le Mali en 2009.En 2012 il devient le Conseiller Spécialdu Gouverneur, au siège central de laBCEAO, à Dakar. Au total O.T. Ly aurapassé plus de 18 ans au service de cettebanque, instrument central de la tutellefrançaise.Quant au Ministre du Budget, MadaniTouré, il présente un parcours très prochede celui du Premier Ministre. Comme lui,il entre à la BCEAO en 1994, et y retourneaprès une parenthèse de 2000 à 2009 où ilest membre du cabinet du Premierministre. Ce qui lui fait une expérience de9 années à la BCEAO. Ainsi, le premierministre comme le ministre du Budget ontappris à travailler sous la surveillance defonctionnaires français, qui ont un siège,de droit, dans les instances dirigeantes laBCEAO (Comité de politique monétaire,Conseil d'administration, Commissionbancaire). Et ils ont intégré la règle quiveut que le Mali, comme les autres paysde la Zone Franc, n'est pas maître de sapolitique monétaire.Depuis leurs nouveaux fauteuilsministériels, ils risquent de ne pasbatailler contre la France pour fairechanger les règles qui perpétuent latutelle.

Gérard Moreau

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N°228 Octobre 2013 Billets d'Afrique et d'Ailleurs 5

Selon Reuters (20/9), OmarHamidou Tchiana, ministre desmines au Niger a annoncé un audit

des gisements d’uranium exploités parAreva, dont les contrats arrivent à terme.Il s’agit « d’obtenir un partenariatéquilibré » pour « faire en sorte que leNiger aussi tire parti de l'exploitation del'uranium ». Après 40 ans, louablepréoccupation ! Sauf que les prétentionsdu gouvernement nigérien paraissent ànouveau assez limitées : par exemple ilne remet nullement en cause sa positiond’actionnaire minoritaire (36,4% de laSomaïr, 31% de la Cominak, 33% dufutur gisement d’Imouraren) mais affirmevouloir « faire en sorte que les coûts deproduction de l'uranium baissent, pourque le Niger puisse tirer parti, nonseulement en termes de taxes mais entermes de dividende en tantqu'actionnaire ». Une logique dont seulsles salariés et les populations localesrisquent de faire les frais et qui ne devraitpas poser trop de problème à Areva…sauf si le coût de la présence des forcesspéciales françaises vient plomber larentabilité des mines ! Début 2013 eneffet, le ministre français de la Défensedonnait son accord pour que les hommesdu Commandement des OpérationsSpéciales (COS) viennent renforcer ledispositif sécuritaire protégeant les minesd’Areva au Niger, constitué d’une sociétéde sécurité privée française (EPEE) et detroupes nigériennes. En principe, « lesforces spéciales françaisesn'interviendront pas gratuitement, et

Areva se verra présenter une facture,sans doute assez salée. » (Le Point.fr,23/01)En revanche, les autorités nigériennesentendent maintenir la pression quant à ladate de mise en chantier d’Imouraren,sans cesse repoussée par Areva en raisonde la chute des cours du minerai. « Pournous, 2015 est une date qui n'est pasnégociable », affirme le ministre nigériendes mines : « Le président de laRépublique a été élu sur la base d'unprogramme dont une partie dufinancement devrait être généré en partiepar les impôts, taxes et d'autres revenusgénérés par Imouraren. » Et siMahamadou Issoufou veut être réélu, ilfaudrait qu’une partie de ce programmesoit mis en application… Or à ce jour,dans un contexte de déstabilisationrégionale grandissante, c’est surtout lebudget de la défense qui siphonne lesrevenus de l’État. Doublées en 2012,encore augmentées en 2013 au détrimentdes budgets de l’éducation et de la santé,les dépenses de sécurité absorberaient10% du budget national, le montant exactrestant classé « secret­défense »(Jeuneafrique.com, 24/04). C’estpourquoi, avec le démarraged’Imouraren, le gouvernement nigérienvoudrait voir les recettes de l’uraniumcontribuer à 20% du budget, contre 5%actuellement. Mais même s’il y parvenait,la lutte contre le terrorisme sous tutelleétrangère risque d’être un puits sansfonds…

Raphaël Granvaud

Niger : le coût de lasécurité…et del’uranium

Le renforcement des dépenses militaires du Niger est fortement encouragé par lesforces étrangères qui y ont élu domicile au nom de la guerre contre le terrorisme.Forces françaises, bien sûr, mais également américaines. Parallèlement audéclenchement de l’opération française Serval au Mali, les Etats Unis signaient enjanvier 2013 un accord de coopération militaire avec les autorités nigériennes,autorisant l’installation d’une base et le transit des forces américaines dans le pays.Initialement, il s’agissait officiellement d’installer une base de drones (en principenon armés) et de 300 hommes des forces spéciales et conventionnelles, pour desmissions de formation et de surveillance dans le Nord du pays, aux frontières avecle Mali, la Libye et l’Algérie. Selon La Lettre du Continent (18/9), le nombre demilitaires US aurait en fait « franchi le cap du millier » et les bases américaines« jouissent d’un statut d’extraterritorialité. Quant aux appareils de l’US AirForce, ils bénéficient d’un droit d’atterrissage et de décollage sur toute l’étenduedu territoire, sans possibilité pour les autorités nigériennes de procéder à unquelconque contrôle. »

Tour de chauffe àBamako avant lesommet de ParisLa cérémonie d’investiture du présidentmalien IBK qui s'est tenue le 19septembre à Bamako a rassemblé unevingtaine de chefs d’État, dont lePrésident François Hollande, désormaiscoutumier des cérémonies où il est leseul chef d’État européen à s'afficheraux côtés des Déby, Bongo, FaureGnassingbé, Sassou, Compaoré, Obiangcomme il l'avait déjà fait à l'occasiondu sommet de l'UA en mai dernier ou àl'occasion de la remise du prixHouphouët Boigny à l'UNESCO. Onpeut aisément voir dans le balletdiplomatique de Bamako, où la Francea occupé une place centrale, un avantgoût du sommet sur la Sécuritéconvoqué par les autorités française àParis les 6 et 7 décembre prochain, lepremier « Sommet France Afrique » del'ère Hollande.Parmi les faits politiques qui ontmarqué cette cérémonie, on noteral'absence du chef d'Etat mauritanien, surfond de contentieux sur la sécurisationde la frontière malino­mauritanienne, laprésence remarquée du Roi du Maroc(supposée marquer la volonté marocainede diminuer l'influence de l'Algériedans cette région) et l'attention touteparticulière dont a bénéficié le présidentdu Tchad, chaleureusement remercié parle président malien, acclamé par lepublic et salué par François Hollande àl'occasion d'une conférence de presseréunissant les trois chefs d’État.La relégitimation du régime Déby etd'autres dictateurs africains « amis de laFrance », conséquence importante de laguerre menée par la France au Mali,connaît là une nouvelle étape. LePrésident IBK, en rendant une visiteremarquée N'Djamena le 26 août(premier déplacement à l'étranger, avantmême son investiture), puis à d'autreschefs d’État voisins (dont le burkinabéCompaoré et le togolais FaureGnassingbé) avait apporté sa« contribution ». Ce processus serenforce avec l'aggravation de lasituation en Centrafrique et la recherchepar la France de forces supplétives etde médiateurs sous régionaux. D'aprèsJeune Afrique, un « mini­sommetimprovisé », aurait réuni, en marge dela cérémonie de Bamako, Hollande,Déby, Bongo et Sassou sur le cascentrafricain.C'est bien connu, si tu veux la paix,recrute des chefs de guerre...

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6 Billets d'Afrique et d'Ailleurs Octobre 2013 N°228

Salves

Le premier décembre 2012, lesministres Pierre Moscovici(Économie et Finances) et Pascal

Canfin (Développement) signaient unpremier Contrat de désendettement et dedéveloppement (C2D) avec le premierministre ivoirien, Daniel Kablan Duncan.Il s'agissait pour la France de tenir sesengagements en matière de réduction desdettes insoutenables, la Côte d'Ivoireayant atteint six mois plus tôt le « pointd'achèvement » de l'initiative pour lesPays pauvres très endettés (PPTE). Maisau lendemain d'une rencontre entreAlassane Ouattara et François Hollande,en marge de la cérémonie d'ouverture desJeux de la Francophonie à Nice (07/09),un communiqué de la présidenceivoirienne affirme qu'Alassane Ouattara asollicité auprès de son homologuel'abandon de la dette extérieureivoirienne. Pourtant l'Agence Françaisede Développement (AFD) explique que« la démarche C2D est une procédured'annulation des créances d'AidePublique au Développement pour lespays pauvres très endettés ». Alorspourquoi cette insolence du présidentivoirien ?

Ni désendettement, nidéveloppementSans doute parce­que, contrairement à ceque prétend la propagande AFD, les C2Dne sont pas des annulations de dette ! Ledispositif prévoit en effet que lesIvoiriens remboursent 2,9 Mds € de dettesur une quinzaine d'années, mais qu'aprèschaque échéance, le montant rembourséfasse le trajet en sens inverse, sous formede « don », pour financer des projets co­décidés par la France et la Côte d'Ivoire.Projets sur lesquels l'AFD dispose d'undroit de veto. Pour justifier qu'en guised'annulation de dette, la France exerceune telle pression, l'AFD assure que« l’objectif est de s’assurer que lesmarges financières dégagées par lesannulations de dette sont fléchées vers lessecteurs prioritaires de la stratégie delutte contre la pauvreté du pays. »Sauf qu'en confondant objectifs decroissance économique et lutte contre lapauvreté, le C2D franco­ivoirien s'écarte

de la doctrine affichée en toutehypocrisie. Signe avant­coureur de cettedérive, le Document de Stratégie deRéduction de la Pauvreté (DSRP) a étéremplacé par un Programme National deDéveloppement (PND). Le débutd'exécution du DSRP, établi en 2009lorsque Laurent Gbagbo était au pouvoir,et la tenue de l'élection présidentielleétaient deux conditions imposées par lacommunauté internationale pourprétendre aux annulations de dette. Enréalité, ce n'est qu'après avoir installéAlassane Ouattara à la tête du pays que laFrance a pesé pour que la Côte d'Ivoireatteigne le point d'achèvement del'initiative PPTE (auquel ce pays étaitéligible depuis 1998). Mais entre temps,le gouvernement ivoirien a remplacé leDSRP par un Programme National deDéveloppement, axé sur la croissanceéconomique et la recherched'investissements. Exit les pauvres !

Société civile sabotéeLes autorités ivoiriennes n'hésitentd'ailleurs pas à s'en prendre à ceux quis'intéressent de trop près au sort despopulations. Qu'ils soient journalistes,comme « Lamine » (Billets n°219,décembre 2012). Ou qu'ils représentent laConvention de la Société CivileIvoirienne (CSCI), la plus grandecoalition ivoirienne de syndicats, d’ONG,d’organisations professionnelles,confessionnelles, de défense des droitshumains. Un communiqué de laPlateforme Française Dette etDéveloppement (dont Survie est membre)dénonçait au mois de mai la confiscationdes locaux de la CSCI par des hommes enarmes et le gel de ses comptes en banque,sans explication. Malgré ses démarchesauprès des autorités policières, juridiqueset politiques, le sabotage que subit laConvention n'a pas cessé. Ces entraves nesont certainement pas étrangères à sontravail d'observation des élections, duprocessus de réconciliation politique et,plus récemment, de suivi du C2D. Malgrél'atelier de travail qu'elle a organisé sur leC2D, malgré sa participation à uneprécédente réunion officielle dans le cadredu C2D, la CSCI n'est pas invitée au

premier Comité d'Orientation et de Suivi(COS­C2D), fixé au 1er octobre. Sansdoute parce­qu'elle risquerait d'exiger unC2D tourné vers son objectif premier,celui d'une réduction de la pauvreté.

Budget : arbitragesMême si dans la communication del'AFD (cf. la plaquette « L'AFD et la Côted'Ivoire »), la Santé et l'Éducationtiennent le haut du pavé, ces deuxsecteurs ne comptent que pour le quart dupremier C2D (d'un montant total de 630M€ sur la période 2012­2015). Leministère ivoirien des InfrastructuresÉconomiques rafle la plus grosse part,avec 222 M€ (35% du contrat). Lesprojets en matière d'habitat, de protectionde l'environnement et de justicepermettent de constater le grand écartentre le discours côté français et la réalitédes objectifs de l'État ivoirien.L'AFD projetait 51 M€ sur laréhabilitation et le désenclavement desquartiers précaires. On sait que ce type deprojet ménage rarement les populationsles plus démunies et se traduitgénéralement par des opérations dedéguerpissement musclées, comme dansle cas du C2D Cameroun (Billet n°179,avril 2009). En l'occurrence, le ministèredes Infrastructures économiques a raviune quinzaine de millions d'euros sur ceprojet, au titre de la mobilité urbaine.Autre bisbille entre l'AFD et sesinterlocuteurs ivoiriens, le premier C2Dprévoit une réserve de 24 M€ qui seraattribuée après le rapport de mi­parcours(prévu en 2014). L'État ivoirien voudraitvoir ce montant subventionner unprogramme de « logements sociaux »neufs, dont les véritables destinatairesappartiendront évidemment à labourgeoisie ivoirienne. Les tensions sur leC2D ivoirien ont fait une victime :« Gérald Collange, le patron de l'antenneivoirienne de l'AFD, dont[l'ambassadeur] Georges Serre a obtenula tête » (La Lettre du Continent, 03/04).Au chapitre de la conservation desressources naturelles, les cibles sontclairement identifiées : « la surveillancede 90 forêts classées est renforcée. A lafin du projet, au moins 80% de nouvelles

Ouattara-Moscovici : la diplomatiedu tiroir-caisseMoins d'un an après sa signature, le Contrat de désendettement et de développement dela Côte d'Ivoire est l'objet d'importantes tensions. Exit les pauvres, la société civile etmême le directeur d'agence de l'Agence française du développement !

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N°228 Octobre 2013 Billets d'Afrique et d'Ailleurs 7

cultures des 90 forêts classées sontdétruites ». On prévoit donc la destructiondes cultures "illégales" des populations.En revanche, rien sur les pratiquesillégales des exportateurs forestiers !

Tiroir-caisse et caseprisonC'est en matière d'aide à la justice que ladiplomatie du tiroir­caisse atteint seslimites. Bien que 23 M€ du premier C2Dsoit prévus pour le secteur « Justice etÉtat de Droit », aucun élément précisn'est connu. « Projet en coursd’identification » lâche le premier rapportsemestriel du C2D. Il faut dire que c'estplutôt en matière d'injustice que legouvernement ivoirien investit. Pendantque le Quai d'Orsay ferme les yeux,Amnesty International enchaîne lesrapports sur les violations des droitshumains en Côte d'Ivoire. Pendant quel'AFD se bouche les oreilles, le porte­parole du gouvernement ivoirienannonçait (Apanews, 20/09) une grâceprésidentielle pour 3000 détenus de droitcommun, précisant face aux journalistesque « cette mesure ne concerne pas lesprisonniers politiques » (sic). Par cesmots, le gouvernement ivoirien reconnaîtet assume donc l'existence des prisonnierspolitiques.La diplomatie du tiroir­caisse est bien sûraussi celle de l'influence. Le rapportd'activité de la composante Enseignementsupérieur et recherche scientifique dupremier rapport semestriel du C2D jetteun regard cru sur les méthodes françaisespour imposer quelques institutions chèresau Quai d'Orsay. Ainsi, suite à unemission de l'AFD en juin 2013, la partieivoirienne « note qu’au regard dumonopole et de l’expertise avérée dansles missions de coopération scientifique,l’AFD a fait de la signature d’un marchédu type gré à gré avec l’AgenceUniversitaire de la Francophonie (AUF)une condition suspensive. » Avec uneentreprise, ça s'appellerait de « l'aideliée » ; et avec une institution du« rayonnement » de la France ?Après une autre mission de l'AFD le moissuivant, la partie ivoirienne retient que« pour une plus grande célérité, l’AFD afait cas de la nécessité de conclure desconventions de partenariat avec certainesstructures notamment Ecole deManagement de Lyon (EM­Lyon), leconsortium Association Internationalepour la Recherche et de Développement(AIRD) et Campus France. » Dans undiscours à l'école Polytechnique, le 25juin, Laurent Fabius avait expliquél'intérêt d'un maillage universitaire à

l'étranger : « Ces implantations toutautour du globe permettent d’assurer laprésence française en nouant despartenariats. L’influence, c’est aussi lapromotion de l’enseignement supérieurfrançais et l’accueil des étudiantsétrangers (...). Accueillir des étudiantsétrangers en France, c’est former pourdemain des milliers d’ambassadeursinformels de notre pays ». Et cet accueilpasse désormais automatiquement parl'agence Campus France. Un article duMonde (16/11/2012) avait révélé lechantage au visa que la diplomatiefrançaise exerce pour faire tourner laboutique, dont les tarifs sont prohibitifs !

Vendre le bien public auxintérêts privésS'il est un sujet sur lequel l'AFD et laprésidence ivoirienne marchent deconcert, c'est celui des Partenariats PublicPrivé (PPP). Après l'ère des privatisations,puis celle des délégations de servicespublics, nous sommes entrés depuisquelques années dans celle des PPP : Ils'agit de déléguer à un groupe privé laconstruction et la gestion d’unéquipement public sur une durée pendantlaquelle la collectivité versera un loyer,avant de récupérer l'équipement en fin decontrat. Les grosses entreprises sontgénéralement les seules à pouvoir obtenirle financement, construire puis entretenirun tel équipement sur la durée. En France,l'association ATTAC dénonce depuislongtemps ces montages. Un de sesmilitants, Rémi Daviau, expliquait en2008 qu'il s'agit pour les pouvoirs publicsd'un « tour de passe­passe budgétaire : lacollectivité commanditaire n’investit pluspuisque c’est un groupe privé qui s’encharge ! Du coup, les comptes publicssemblent s’en porter beaucoup mieux ;c’est une dépense de moins dans lacomptabilité […]. Bonus, donc, pourl’équipe en place qui fait pousser commepar miracle des structures sanscompromettre l’équilibre apparent descomptes. Par contre, dommage pour lagénération suivante, qui aura à honorerles versements pendant des années (de dixà quarante, suivant les cas). C’est unpoint, au passage, qui a été gentimentqualifié de « myopie budgétaire » par laCour des comptes [française] en 2007... »Le contournement des règles en matièrede limitation de l'endettement est aussi unécueil du mécanisme C2D. La detteretraitée sous forme C2D, qui représentetout de même 40% du service de la dettedans le budget ivoirien, a un statutcurieux dans les documents du FMI.Quand il s'agit d'évaluer la soutenabilité

de la dette ivoirienne, le FMI considèrequ'il s'agit d'une annulation pure etsimple. D'un point de vue comptable, çapeut se comprendre si les montantsremboursés sont aussitôt restitués sousforme de financement de projets. Mais letemps nécessaire à l'élaboration desprojets et le contrôle étroit exercé parl'AFD risque de différer lesdécaissements. Dès le contrat du premierC2D signé, il a été question de sortir dece cadre rigide pour accélérer le circuit.La rapidité des décaissements semble êtreun enjeu partagé par le Trésor français,l'ambassade de France et l'État ivoirien.Les conclusions du séminaire consacré auC2D, que le gouvernement ivoirien à tenuau mois de juin, enjoignaient à l'AFD demettre en place « des mesures diligentespour réduire considérablement les délaisd’instruction des projets et de délivrancedes Avis de Non Objection. »

Marchands de gros tapisSi la demande d'annulation sèche faite parOuattara a peu de chance d'aboutir, sonbut principal est probablement de mettrel'AFD sur la touche en passant de l'aideprojet du C2D à de l'aide budgétaireciblée. À chaque échéance, le montantremboursé serait reversé au budgetivoirien pour alimenter certaines lignesbudgétaires spécifiques. Le contrat C2Davait commencé, dès décembre 2012, parune aide budgétaire de 25 M€. Selon laLettre du Continent (18/09) « PierreMoscovici, a décidé d'accorder d'ici finseptembre un appui budgétaire de 23 M€aux autorités ivoiriennes » sur fondsC2D. Difficile de ne pas y voir un gestede bonne volonté en guise de premièreréponse à la demande ivoirienned'annulation pure et simple de la dette...Éloignons­nous de ces manœuvres definanciers ! Le dispositif C2D estindéfendable. La dette est illégitimelorsqu'elle est contractée par desgouvernements corrompus et eux­mêmesillégitimes. Le dispositif C2D conjuguéaux PPP est dangereux car il fait courir unrisque de réendettement que lesindicateurs économiques ignorent. Etl'AFD se retrouve à jouer un rôledémesuré dans les choix économiques dela Côte d'Ivoire.« Je partage avec vous la conviction quela France a une voix forte et originale »écrivait Canfin à la Plateforme Dette etDéveloppement. On aimerait plutôt que laFrance se fasse plus discrète en Côted'Ivoire. Ni dette, ni aide !

David Mauger

Salves

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8 Billets d'Afrique et d'Ailleurs Octobre 2013 N°228

En 1995, le corps du juge françaisBernard Borrel, alors en missionde coopération à Djibouti, était

retrouvé calciné au pied d'un escarpementrocheux. Après avoir multiplié pendantdes années les pressions directes etindirectes sur sa veuve Elisabeth Borrel,les autorités françaises ont fini parreconnaître qu'il ne s'agissait pas d'unsuicide, contrairement aux premièresconclusions judiciaires. Il est désormaispubliquement établi qu'il s'agit d'unassassinat, et le témoignage de MohamedAlhoumekani, ancien garde présidentiel,met en cause l'actuel chef d'Etatdjiboutien comme commanditairepotentiel. L'instruction judiciaire esttoujours en cours en France : un casse­tête pour les relations diplomatiques avecla dictature djiboutienne, grande alliée deParis.

Faux motif, vraiearrestationCe témoin­clé bénéficie d'un statut deréfugié politique en Belgique depuisquelques années. Mais, en se rendant auYémen pour y voir des membres de safamille, Mohamed Alhoumekani a étéarrêté samedi 24 août à son arrivée àl’aéroport de Sanaa, à la demande deDjibouti. Un mandat d’arrêt d’Interpol aété évoqué sans qu’aucune confirmationne puisse être obtenue par son avocat.Dès le lendemain, le chef d’état­majordes armées de Djibouti, le général FathiAhmed Houssein, s’est déplacé à Sanaapour tenter d'obtenir l’extraditiond’Alhoumekani en toute discrétion. Lechef des services secrets djiboutiens(SDS), Hassan Saïd, est arrivé le lundipour renforcer la pression sur les autoritésyéménitesAussitôt cette arrestation connue,l’Association pour le Respect des Droitsde l'Homme à Djibouti (ARDHD,association française) et Survie se sontmobilisées aux côtés d’Elisabeth Borrelpour alerter médias et opinion publique.Les nombreux articles parus dans lapresse écrite et radio, notamment belge etfrançaise, ont sans doute contribué àdissuader le gouvernement du Yémend'accéder immédiatement aux demandesdjiboutiennes. Des procédures judiciairesont donc été engagées pour statuer sur

l'extradabilité de ce témoin, sur la based'un éventuel mandat d'Interpol ou detoute autre démarche légale. Mais, libérélors d’un premier jugement, Alhoumekania été à nouveau arrêté à la sortie del’audience et incarcéré à la prison deSanaa. Après plusieurs joursd’incertitude, il apprenait qu’on luireprochait une falsification de documentsà Djibouti en 2004, soit 4 ans après sademande d’asile en Belgique, et desviolences physiques sur subordonnés en1993. Le procureur de Sanaa l’a entenduil y a mi­septembre mais ne s’est pasprononcé … Le délai de la garde à vueétant achevé, Alhoumékani aurait dû êtrerelâché ou être inculpé pour justifier sonincarcération à titre préventif. Or c'est unetroisième voie qui a été choisie par lesautorités judiciaires et policières duYémen : celle du maintien en détention.

Enjeux multiplesLa justice yéménite s’est déjà opposée,dans le passé, à l’extradition d’opposantspolitiques vers Djibouti. En dépitd’informations diffusées par la presse surune garantie de non­extradition qui auraitété donnée par le Président du Yémen auconsul de Belgique, on ne peut savoir sile premier ministre va respecter cetteposition ou céder aux pressions desautorités djiboutiennes. Il semble en effetque celles­ci aient su s'attirer les faveursde puissants soutiens au sein même dugouvernement yéménite, au­delà desobjectifs plus stratégiques de restaurationdes relations entre les deux pays,Pour Djibouti, l'enjeu est multiple. D'unepart, il s'agit d'étouffer directementl’affaire Borrel en « récupérant » lepremier témoin direct et pourquoi pas enl’accusant ensuite de l’assassinat …avantde le faire disparaître. D'autre part, il y a

un enjeu de politique intérieure pour ladictature, qui fait face depuis des mois àune fronde de sa population (Billetsd'Afrique n°223, avril 2013). Comme lesouligne le spécialiste de Djibouti DimitriVerdonck (RFI, 01/09), la dictatureenverrait grâce à cette extradition unsignal de fermeté très fort à l'opposition :« Il faut savoir qu’Alhoumekani se rendrégulièrement au Yémen, explique DimitriVerdonck. Il est Yéménite, il a de lafamille sur place donc ce n’est pas lapremière fois qu’il se trouve dans larégion. (...) Le problème, c’est que, larue, depuis maintenant six mois avraiment le courage de dire non à desannées de violences, de tortures,d’injustices. La situation interne àDjibouti fait que le président n’est plusen mesure d’assurer la sécurité.Evidemment s’il parvient à faire extraderAlhoumekani, il parvient par la mêmeoccasion à montrer à la population deDjibouti qu’il est encore très fort, qu’ilpeut encore compter sur des soutiensparticulièrement puissants. »

Fabius a perdu son« intime conviction »Du coté des autorités françaises, malgréles appels de madame Borrel et desassociations, c'est le silence radio hélasbien traditionnel en Françafrique... etl’absence de protection d’un témoin­cléd'une instruction française sur l’assassinatd’un magistrat mort en service. Le patrondu Quai d'Orsay connaît pourtant ledossier, puisqu'en 2006 il avait fait partiedes 170 personnalités ayant signé l'appel« pour la vérité » initié par l'ARDHD,Survie et le Syndicat de la Magistrature.Il s'était même fendu d'un commentaireparticulièrement pertinent : « Je souhaiteque la vérité soit connue sur lescirconstances exactes de la disparition[du juge Borrel]. A ce stade mon intimeconviction est que cette vérité n'estabsolument pas celle que certainsvoudraient accréditer. Sur cette tristeaffaire comme pour d'autres, aucuneraison d'État ne doit être plus forte que lavérité ». Si la raison d'État ne doit pasprimer, qu'attend la diplomatie françaisepour dénoncer publiquement lesmanœuvres djiboutiennes ?

Laurence Dawidowicz

Comment étouffer l’affaire Borrel ?Un témoin essentiel dans l’instruction judiciaire de l’assassinat du juge Bernard Borrel aété incarcéré au Yémen à la demande de Djibouti, qui tente d'obtenir son extradition pourle faire disparaître.

Salves

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N°228 Octobre 2013 Billets d'Afrique et d'Ailleurs 9

Salves

Le 20 août 2012 se constituait enRépublique Centrafricaine unecoalition hétéroclite de

mouvements armés1, la Séléka(« coalition » en langue sango), visant àrenverser le pouvoir du président FrançoisBozizé. Quatre mois plus tard, la Séléka valancer une offensive fulgurante depuis lenord du pays, qui va la mener aux portes deBangui, la capitale, à la veille de Noël. Uncessez­le­feu est décrété, qui permetl’ouverture à Libreville,au Gabon d’unephase de négociations entre Bozizé et lesleaders de la Séléka, sous l’égide de DenisSassou Nguesso. Il faut dire que ledictateur congolais s'y connaît, en matièrede prise de pouvoir par les armes ! Cesdiscussions débouchent sur un accord, ditde Libreville, qui prévoit la constitutiond’un gouvernement d’union nationalelaissant une large place à l’opposition(avec Nicolas Tiangaye comme premierministre) et réduisant sensiblement lespouvoirs du président en place. La trêveest de courte durée : le 20 mars 2013, laSéléka décide de reprendre les hostilités,arguant du non respect des accords,notamment concernant la libération desprisonniers politiques. Quatre jours plustard, le régime de François Bozizé tombe,lui­même s’enfuyant au Cameroun enhélicoptère. La Séléka porte alors MichelDjotodia à la présidence, mais ne contrôlepas ses « troupes ». Le pays sombre dans lechaos.

Revoilà les affreuxCeci n’empêche pas quelques Françaisbien connu du monde françafricain, devenir fouiner dans ce pays en crise, àl’affût de toute opportunité de prédation.Claude Guéant a ainsi rencontré en juinMichel Djotodia, sur fond de négociationpétrolière, l’ancien ministre de l’intérieurayant voyagé en jet privé avec LaurentFoucher, un collaborateur du groupepétrolier français Maurel et Prom (JeuneAfrique ­ JA, 5/07). Autre figureemblématique, Jean­ChristopheMitterrand, condamné dans l’affaire del’Angolagate, venu le 17 juillet pourproposer ses services en matière desécurité (JA, 25/07). Une vingtaine demercenaires français l'ont précédé,

emmenés par Jérôme Gomboc, un anciendu 3e régiment de parachutistesd'infanterie de marine (3e RPIMa)assureront désormais la sécurité duprésident Djotodia (JA, 17/07). Unclassique en Centrafrique : Bozizé étaitdéjà conseillé sur les questions militairespar la société EHC2, enregistrée dans unparadis fiscal, le Delaware (Etats­Unis), etdirigée par le général français Jean­PierrePerez (qui avait déjà servi au mêmeposte… pour le compte du Ministère desAffaires Etrangères). A Bangui, lesopérations du groupe étaient sous laconduite de Francis Fauchard, un anciencommando­marine, connu pour avoir étéle patron de l'unité de protectionrapprochée du Président Omar Bongo à laGarde Républicaine gabonaise3. Unchangement de régime ne change pas leshabitudes.

Intervention à retardementFace à l’offensive de la Séléka, la Francereste passive, se contentant de protégerl’aéroport et ce, aussi bien lors de lapremière que de la deuxième offensive.Lors de celle­ci l’armée française,déployée dans le cadre de l’opérationBOALI visant à soutenir les troupes de laForce Multinationale d’Afrique Centrale(Fomac), s’est principalement illustrée enouvrant le feu sur des véhicules tentantd’accéder à l’aéroport, tuant deux Indiens,en blessant cinq autres ainsi que quatrepoliciers tchadiens de… la Fomac ! Cette« inaction » est une sorte d’adoubement dela rébellion. Trop occupée par sa guerre auMali, la France néglige pour un temps lasituation centrafricaine. Pour un tempsseulement, car il est impensable que laFrance relâche sa mainmise sur cet Etatd’Afrique centrale dans lequel elle fait lapluie et le beau temps depuis son« indépendance ». Au cœur de l’été, ladiplomatie française se mobilise sur laquestion, notamment suite à l’appel de LucRavel, l’évêque aux armées françaises, quia alerté l’exécutif d’un « risquedjihadiste » dans le nord du pays (JA,9/08). C’est sur ce levier, ainsi que sur lasurinterprétation des tensions religieusesentre chrétiens et musulmans, que laFrance compte s’appuyer pour obtenir une

résolution des Nations Unis avalisant undéploiement plus massif de son armée, ensoutien à une force africaine de maintiende la paix.

L’ombre du TchadSi la diplomatie française estincontournable en Centrafrique, la maindu Tchad, le puissant voisin du nord, l’esttout autant. Selon Mgr Nestor DésiréNongo Aziagbia, évêque du diocèse deBossangoa (nord­ouest), la rébellion estcomposée à « 70% de Tchadiens, à 20%de Soudanais et à 10% deCentrafricains » (RFI, 25/09). Bien que leTchad ne soit pas officiellement impliqué,son influence en sous main fait peu dedoutes. Ainsi, le leader de la Conventiondes Patriotes pour la Justice et la Paix(CPJP), Noureddine Adam, qui estdésormais à la tête du Comitéextraordinaire de la défense des acquisdémocratiques (Cedad, une sorte deservice de renseignements), après avoir étéministre de la Sécurité (JA, 23/08), est unproche du président tchadien Idriss Déby.Il l’a notamment défendu en 2008 contrela coalition rebelle de l’Union des forcesde résistance (UFR) de Timan Erdimi quitentait de le renverser (JA, 04/04). Un jeutrouble mais pas d'implication directe, quipermet au Tchad d'apparaître comme unallié majeur de la France si celle­ci réussità convaincre le Conseil de Sécurité desNations Unis de constituer une force demaintien de la paix en Centrafrique.N’ayant pas obtenu la direction de lamission de l’ONU au Mali, le Tchadespère bien cette fois­ci obtenir le poste.

Yanis Thomas1 ­ La Convention des patriotes pour la justiceet la paix (CPJP) de Noureddine Adam, l’Uniondes forces démocratiques pour lerassemblement (UFDR) de Michel AmNondroko Djotodia, le Front démocratique dupeuple centrafricain (FDPC) d’AbdoulayeMiskine, la Convention patriotique du salut dukodro (CPSK, kodro signifiant pays, en sango)de Mohamed­Moussa Dhaffane, et l’Alliancepour la renaissance et la refondation (A2R).(RFI, 29/12/2012)2 ­ enregistrée au Delaware… comme RousselG­Sécurité, la société de Jérôme Gomboc.3 ­ Blog « lignes de défense » de PhilippeChapleau, 31/08/12

Centrafrique : retour sur une noninterventionA l’heure où François Hollande tente de convaincre les Nations Unis d’intervenirmassivement en Centrafrique, il est primordial de revenir sur le rôle trouble que joue laFrance dans la crise qui ravage le pays.

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10 Billets d'Afrique et d'Ailleurs Octobre 2013 N°228

Billets d'Afrique : Vous faites partir cetteétude de 1994. Pourquoi le choix de cettedate ?A l'issue de la couverture médiatique dugénocide des Tutsis du Rwanda en 1994, ily a eu de nombreuses polémiques autourdu rôle de la France, mais aussi autour de lamanière dont l'événement a été couvert parles journalistes. Parmi les accusations, il yavait l'idée que ce génocide n'avait d'abordpas été rendu visible par les journalistesfrançais, puis qu'on avait renduextrêmement visible un autre dramehumanitaire – mais qui n'est pas de lamême nature – à savoir la situationcatastrophique des réfugiés dans les campsau Zaïre. La détresse de ces réfugiésrwandais au Zaïre aurait, pour certains,contribué à occulter la détresse desvictimes du génocide elles­mêmes.C'est une critique à laquelle je n'adhère pasforcément totalement, mais qui me posaitun point de départ, un questionnement :qu'en est­il de cet événement et de sesimplications sur les futurs conflits ? AuZaïre deux ans plus tard, en Côte d'Ivoireen 2002­2004, y­a­t'il eu une prise deconscience, une modification, uneadaptation des pratiques des journalistes?Mon travail sur la période porte sur lesproductions médiatiques, mais aussi surles interférences qu'il peut y avoir avecd'autres acteurs qui sont des sources pourles journalistes, ou auxquels lesjournalistes sont confrontésquotidiennement (les belligérants, leshumanitaires, les diplomates français…),et sur les jeux d'influence qui peuvents'opérer autour de la fabrique de cesproductions.Billets : Vous parlez d' « une informationen coproduction ? ». Qu'entendez­vouspar là?

Il y a deux choses à rappeler en préambule.D’abord, qu'elle soit produite en France ouà l'étranger, dans les rédactions françaises,l’information est a priori libre. Ensuite,celle­ci est aussi plurielle puisqu'il existede nombreuses rédactions qui ont despositions différentes, et qu'au sein mêmede chaque rédaction, les journalistespeuvent aussi avoir des positionscontrastées.Ceci­dit, ce que j'ai observé dans lacouverture médiatique des conflitsafricains, notamment lorsque la France y ades intérêts, c'est qu'il existe des jeuxd'influence qui s'opèrent, avec un certainnombre d'acteurs qui cherchent à donnerune vision du conflit favorable à leurspropres intérêts. Côté français, ces acteurspeuvent être des humanitaires, desresponsables politiques ou encore desmilitaires... Les journalistes sont àl'interface entre le public et ces différentessources, qui leur sont précieuses car ellesleur donnent parfois une information dignede crédibilité et d'intérêt.Quand ces acteurs livrent une information,c’est aussi souvent dans un but précis.C'est ce que j'ai essayé de déceler. D'oùl'idée de « coproduction ». Cela ne veut pasdire que le Quai d'Orsay ou l'Etat Majordes Armées sont aussi influents que lerédacteur en chef ou le journaliste quiproduit son papier, mais le journaliste estsitué à la croisée de différentesinformations qui proviennent d'acteurs quipeuvent avoir des intérêts – et des discours­ convergents. C'est vrai pour toutes lespériodes que j'ai étudiées, et notammentlorsque la France est directementimpliquée.A plusieurs moments se met en place unecommunication de crise, notammentlorsque la France est mise en cause. C’estpar exemple le cas lors de l'opérationTurquoise, des évacuations de Français àAbidjan en janvier 2002 ou desévénements devant l'hôtel Ivoire ennovembre 2004. Deux attitudess’observent alors de la part des autoritésciviles et militaires françaises : unetendance au repli ou une volonté decommunication très marquée. Dans le

premier cas, on cherche à cadenasser leterrain, à divulguer le moinsd'informations possible voire à rendre leterrain difficilement accessible auxjournalistes ; c'est ce qui a pu se passer àAbidjan pendant quelques jours ennovembre 2004 ou encore à N'Djamena enfévrier 2008 où on a tout fait pour retarderl'arrivée de journalistes sur place. Dans lesecond cas, tout est fait au contraire pourfaciliter la tâche des journalistes, pouraccompagner ces fameux « journalistesembedded » – pour ceux qui veulent biense laisser accompagner, car il y en ad'autres qui tiennent à tout prix à leurautonomie par rapport à l'armée française.C’est une pratique attestée à plusieursreprises pour l’armée française dans lesannées 1990­2000 même si celle­ci estloin d’être nouvelle (on se souvient parexemple que pendant la Seconde Guerremondiale ou au Viêt Nam, des journalistesétaient déjà aux côtés des troupes).Au moment de Turquoise par exemple, il ya la volonté de la part de l'armée françaised'accompagner les journalistes sur leterrain, de leur faciliter la tâche et de leurmontrer des situations confortant l’idéeselon laquelle l'opération Turquoise seraitune mission exclusivement humanitaire.On met donc en valeur des scènes et desimages qui montrent le soldat françaisdans son rôle humanitaire. On oriente alorsle regard du journaliste dans le sens dudiscours officiel que l'on souhaiteconstruire et qui se trouve nourritégalement par les nombreux points pressequotidiens ou les déclarations desMinistres en charge du dossier à l’époque.Quand on parle de « coproduction », il fautrester prudent : cela ne veut bien sûr pasdire que l'armée ou le Quai d'Orsayproduisent directement l'information qu'onlit, mais qu'ils sont capables d'orienter leregard des journalistes, ou de livrer lesinformations qu'ils souhaitent voirdiffusées en fonction des intérêts supposésde la France. Il y a toujours cette pluralitéde voix que je rappelais au début, mais,dans les moments de crise, lacommunication officielle se met en actionpour orienter le regard des journalistes.

Entretien

Les conflits en Afrique dans lesmédias françaisEntretien avec François Robinet, Maître de conférences en histoire, qui a travaillé sur lacouverture, par les médias français, des conflits en Afrique. À partir de l'étude d'articlesde presse, de sujets de télévision et de photos entre 1994 et 2008, ainsi que d'entretiensavec des journalistes, il a mis en valeur la récurrence d'une certaine représentation de cesconflits et de leurs acteurs, notamment lorsque que l'armée française y est engagée.

François Robinet est Maître deconférence en Histoire à l’Université deVersailles Saint­Quentin en Yvelines. Il asoutenu en 2012 sa thèse intitulée Lesconflits africains au regard des médiasfrançais (1994­2008) Construction, miseen scène et effets des narrationsmédiatiques

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N°228 Octobre 2013 Billets d'Afrique et d'Ailleurs 11

RWANDA, RACISME ET GÉNOCIDE

L’idéologie hamitiqueJean-Pierre Chrétien et Marcel Kabanda, Éditions Belin, septembre 2013,

380 pages, 22€

Cependant, celle­ci n'est pas forcémenthomogène. Entre le Quai d'Orsay et l'EtatMajor des Armées on peut observer desdissonances. Cela s'est vu au moment deTurquoise, avec des officiers qui prennentla parole pour dire, en gros, « le FPR on valeur régler leur affaire » ce qui dissonenettement avec le discours officiel quel'exécutif souhaite tenir sur la vocationhumanitaire de Turquoise. Sur la Côted'Ivoire, De Villepin et Alliot­Marie nesont pas toujours en cohérence dans leursinterventions. Il ne s'agit pas d'êtremanichéen, il y a une vraie complexité. Ilest intéressant aussi d'identifier le type descènes ou d'images que cherche à valoriserla communication officielle pouraccompagner son intervention sur leterrain.Billets : Quelle représentation dominantese dégage de votre étude de ces images?En général, on trouve des récurrences d'unconflit à l'autre : on retombe notammenttrès souvent sur l'image du soldat­sauveur.Ce n'est plus une mission civilisatrice maisune mission salvatrice qu'on met en avant,avec le soldat français qui patrouille dansla ville pour la sécuriser (Kigali ouAbidjan par exemple), qui a dans ses brasun jeune enfant orphelin ou qui distribuedes biscuits aux réfugiés... Ces scènes sontréelles, mais ce qui est intéressant, c’estleur récurrence et leur systématicité quis’expliquent par les choix desphotographes qui cherchent des scènesimmédiatement lisibles par le public maisaussi par la volonté de l'armée de rendre cetype de clichés aisément réalisables. Il estégalement intéressant de souligner queleur présence dominante dans la mise enimages de l’événement a pu contribuer àune légitimation de la présence française,que ce soit au moment de Turquoise ou desévénements en Côte d'Ivoire.Ces images et discours dominants autourdu soldat français sauveur et d'unediplomatie française très active ­ alorsmême que l'ONU et nos partenaires sontprésentés comme plutôt inefficaces – sontsusceptibles d’une certaine efficacité dufait de leur inscription dans une profondeurhistorique et dans un imaginaire partagé.En effet, l’imaginaire collectif nationalveut, depuis la période coloniale, que laFrance, lorsqu’elle est présente en Afrique,agisse en faveur des Droits de l'Homme etdu bien­être des populations locales(éducation, santé, infrastructures…). Toutle monde ne partage bien évidemment pascette vision là qui est même régulièrementdéconstruite par certains chercheurs,hommes politiques et certainesassociations. Cette vision de la Francedans le monde correspond cependant à unesorte de sens commun encore assez

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« La société africaine concernéen’est pas une pâte à modeler,qui serait inerte entre les mains

d’un démiurge européen », écrit Jean­Pierre Chrétien. Pourtant, dans ce livremajeur sur l’histoire de l’idéologie desauteurs du génocide des Tutsi, il montreque des Européens ont inventé une race,les Hamites, qu’ils ont opposés aux

autres Noirs pour asseoir leurdomination dans l’Afrique de l’Est. Laredécouverte de la civilisationégyptienne au XIXe siècle interrogea lespenseurs européens, qui croyaientqu’aucune civilisation n’avait pu naîtreen Afrique. Jusqu’alors, les Noirsd’Afrique étaient considérés commedescendants de Cham, le fils ...

largement partagé dans les années 1990­2000 et qui puise ses racines dans unimaginaire largement dominant à la fin duXIXe siècle, puis dans les années trente(pensons ici notamment aux imagesvéhiculées lors de l'exposition coloniale de1931).J'ai pris l'exemple du soldat, mais lequestionnement est le même avec unhomme politique, qui se rend sur le terrain.J'ai essayé de décliner les différentesfigures – et les scènes filmées ouphotographiées qui y sont associées – celledu militaire, du responsable politique, duressortissant français pour dégager lesprincipales scènes dominantes et d’autresplus singulières, ainsi que les effetsqu’elles sont susceptibles de générer.Billets : Vous parlez d'une « scénarisation »de l'information, où chacun à un rôle.Qu'en est­il de la place des Africains danscette scénarisation?Dans les moments où l'actualité africaine,conflictuelle, fait la « une » ou est biencouverte, on construit une histoire autourdes faits afin de rendre l’événementvendable auprès du public (il estrelativement rare qu'il y ait des inventionsde faits), en mettant l'accent sur certainspersonnages auxquels on attribue desqualités et des défauts.Bien que différents d'un conflit à l'autre,certaines récurrences s’observent dans lesrécits médiatiques construits notammentdans les rôles qui sont attribués aux acteursfrançais et africains. Comparez les figuresde Kagamé, de Gbagbo et d'Idriss Déby etvous allez retrouver un certain nombre depoints communs sur les soi­disant défautsdes chefs d'état africains, qui seraientcolériques, corrompus, tortueux,malhonnêtes... A l’inverse, les rôles desacteurs français sont généralementconnotés positivement.

Il est aussi intéressant de voir que lesacteurs africains, en dehors des chefs d'étatet des belligérants, sont absents dutraitement. Les populations africaines sontvisibles à l'image mais jamais en tant quesujet. Ces populations sont généralementprésentées, soit comme une masse quisouffre et qui a besoin d'être aidée, soitcomme une masse susceptible d'êtreviolente (je pense ici notamment auximages des manifestations en Côte d'Ivoireen 2003 et 2004).Il est très rare de voir l'expression d'unesubjectivité africaine. Il est très rare de voirprésenté à l'écran l'homme de la rue àAbidjan ou à Nairobi. Il est très rare de voirà l’image des témoins africains – identifiéset présentés ­ interrogés sur ce qu'ilspensent des événements en livrant uneanalyse rationnelle de la situation avec unecertaine distance critique. Quand l'hommede la rue est interrogé, on ne connaîtgénéralement ni son nom, ni son histoire,ni sa situation, et il est présenté avecd’autres personnes criant derrière lui etrendant sa parole relativement inaudible.Il y a l'idée que, « nous français », sommesdes sujets, agissants, susceptibles d'avoirune action bénéfique sur le conflit ou toutdu moins de l’analyser rationnellement.Quant aux acteurs africains, il s’agit soit dechefs d'état considérés comme peu dignesde confiance, soit des belligérants, soit dela population civile réduite à savulnérabilité (les réfugiés) ou à sa violence(les foules de manifestants hostiles). Dansde nombreuses rédactions, les récitsmédiatiques dominants s'articulent autourde ces quelques archétypes livrant ainsi unregard très réducteur sur la complexité deces situations de guerre.

Propos recueillis par Mathieu LopesLa deuxième partie de cet entretien sera

publiée le mois prochain

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12 Billets d'Afrique et d'Ailleurs Octobre 2013 N°228

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Billets d’Afrique et d’ailleursÉdité par Survie, 107 Bd de Magenta - 75010 Paris. Tél. : 01 44 61 03 2511 numéros par an pour tout savoir sur la face cachée de lapolitique de la France sur le continent africain et les jeux troubles dela « Françafrique ». Au long de ses 12 pages, Billets d’Afriquedécortique ainsi les principaux faits de l’actualité franco-africainepour en proposer une analyse critique originale.

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... maudit par son père Noé, etconstituaient une race vouée àl’esclavage. C’est De Gobineau quiinventa cette race des Chamites ouHamites, formée de descendants deCham qui s’étaient mélangés avec desNoirs, mais avaient gardé quelque chosede leurs ancêtres blancs. Cette « couléeblanche » serait à l’origine de tout traitde civilisation en Afrique. Les premiersexplorateurs comme Speke et Stanleyreconnurent dans ces royaumes bienorganisés de la région des Grands Lacs,dirigés par des hommes très grands aunez fin, ces Hamites de race« caucasienne » venus d’Egypte oud’Ethiopie avec leurs troupeaux. À leursuite, les colonisateurs européenss’appuyèrent sur ces Hamites, les Tutsi,pour dominer le reste de la populationqualifié de bantou.Ce terme de bantou désignait un groupede langues, et les Tutsi, parlant la mêmelangue que les Hutu et les Twa, étaienttout autant bantous. Mais, comme leterme aryen, bantou prit unesignification raciale. La distinctionraciale Aryen­Sémite mena au génocidedes Juifs par les Nazis. De mêmeorigine, la distinction Bantou­Hamiteeut une évolution semblable. Chrétienmontre combien son concept de nazismetropical (Libération, 26 avril 1994) étaitapproprié. Comme Raul Hilberg pour ladestruction des Juifs d’Europe, il décritle processus d’intériorisation de la hainedes Tutsi. Le génocide n’est pas tombédu ciel, comme certains voudraient lefaire croire.

Les auteurs montrent comment cettevision raciale Bantou­Hamite a étéplaquée sur la relation Hutu­Tutsi avecdes livres d’histoire du Rwanda rédigéspar des missionnaires français, lefichage des identités représentéesd’abord par l’origine des individus puispar leur race, enfin avec des étudespseudo­scientifiques, en anthropologiephysique par exemple, qui ne firent queconfirmer le préjugé initial. Celui­ci futpartagé pleinement par l’élite rwandaisequand l’historien Alexis Kagametranscrivit les poèmes dynastiques de lacour royale en attribuant sa fondation àl’invasion des Tutsi venus d’Egypte eten reprenant la vulgate raciale.À l’orée des indépendances, le mythed’une colonisation « hamitique »imposée à un « peuple bantou »l’emporta sur le désir d’émancipation dela tutelle belge. Le rôle de ces derniersdans le renversement de la royauté parun mouvement raciste antitutsi estmontré du doigt ainsi que celui desmissionnaires, dont la conduite n’a pasété éclairée par les leçons de la Shoah.Le débat entre thèse intentionaliste (uneextermination programmée depuis desannées) et thèse fonctionaliste (unrecours à la violence extrême inspiré parune conjoncture politique et militaire)est éclairé par l’analyse des médiasextrémistes qui « attestent d’un projetbien réel de réglement “définitif” de la“question tutsi” ».Les auteurs constatent qu’aujourd’hui ceracisme antitutsi perdure. Il sévitparticulièrement au Congo­RDC avec

Yérodia quiappelait àéradiquer lavermine,avec laréapparitiond’uncomplotaméricano­tutsi et d’unprétenduplan Hima­Tutsi pourassujettirl’Afriqueoù ceux­ci sont assimilés aux Juifs. Legénocide a­t­il été préparé et exécutépar des Rwandais sans interventionextérieure ? Le gouvernement « dessauveurs » a­t­il été formé par le colonelBagosora lui seul ? Le rôle de la Francen’est pas abordé dans ce livre consacré àl’idéologie du génocide.L’historien Jean­Pierre Chrétien, quiavait dénoncé dès juin 1991 les thèsesracistes des dix commandements duHutu (Politique africaine n°42) et quiattribuait déjà, le 26 avril 1994,l’assassinat du président à des militaireshutu, nous livre là le résultat d’unepassionnante enquête. Il montre que leprocessus qui a mené au génocide desTutsi est par beaucoup de pointsanalogue à celui des Juifs. Il est leproduit d’idéologies raciales qui nousrenvoient à notre propre histoire.

Jacques Morel

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