Biomorphisme Dans La Culture Artistique Moderne -Simon Diner @ Nancy

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    Texte crit en marge de lexposition

    Sculpture numrique et biomorphisme

    Nancy Octobre 2007

    http://www.intersculpt.org/sculptbio/sculptbio2007.html

    Le biomorphisme

    dans la culture artistique

    moderne

    Simon Diner

    Dans le dveloppement de la socit industrielle la part dvolue la

    nature dans la culture et la vision du monde a souvent vari. Notre rapport au

    vivant se modifie sans cesse et ceci nest pas sans consquences sur le rle jou

    par la reprsentation des formes vivantes dans les diffrentes manifestations de

    la culture artistique.

    A la fin du XIX sicle la pense intellectuelle et philosophique tait

    fortement sous linfluence de la Naturphilosophie, issue de lidalisme

    allemand, et se dployait dans une atmosphre vitaliste marque par de multiples

    courants sotriques. En la fin dun sicle dont une des productions

    intellectuelles majeures est dans le dveloppement de la pense darwiniste. On

    peut citer ple mle les philosophies biologiques de Henri Bergson, de Friedrich

    Nietszche, de Georg Simmel et dOswald Spengler, le monisme spirituel dErnst

    Haeckel, ce naturaliste merveilleux observateur des formes vivantes,

    lnergtisme de Wilhelm Ostwald dans son opposition latomisme encore

    incertain, le no vitalisme de Hans Driesch, le no lamarckisme oppos au

    darwinisme dans son accent sur la volont cratrice des tres vivants et le rle de

    lenvironnement. Toutes ces conceptions avaient en commun de donner un rle

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    primordial la vie et ses processus, et donnaient le sentiment que la biologie

    tait la science essentielle de lpoque. Malgr leur dveloppement les sciences

    chimiques et physiques sont dans lattente des grandes rvolutions conceptuelles

    qui vont les consacrer.

    Cest dans cette atmosphre que va exploser ce mouvement artistique

    tourn vers les formes de la nature que lon dsigne du terme traditionnel

    d Art Nouveau . Avec ses formes fluides et son inspiration naturiste il

    apparat comme un mouvement insolite, fortement motiv par son opposition

    la rigidit des matriaux de lre industrielle, lacier en particulier. Il se

    manifeste par un got particulier pour lornement en intgrant les formes de la

    nature dans les ralisations architecturales et dans les dcors intrieurs, les

    meubles et les bijoux. De nombreux artistes participent ce mouvement et

    certains lont marqu de leur inspiration exceptionnelle comme larchitecte

    Horta Bruxelles, Hector Guimard lauteur des clbres portails des bouches du

    mtro parisien, Ren Lalique le bijoutier qui rinvente la nature ou le grand

    peintre viennois Klimt. Une fivre darabesques saisit toute lEurope provoquant

    des excs que lessayiste Robert de la Sizeranne caricaturera en ces termes :

    Dune courge sort une bibliothque, dun chardon un bureau, dun nnuphar

    une salle de bal. Un bahut est une synthse, un gland de rideau une analyse, une

    pincette un symbole . Les artistes de lArt Nouveau cherchent reflter dans

    leurs uvres les nergies dynamiques de la nature exprimes dans les

    phnomnes de croissance.

    Entre 1880 et 1933 les arts plastiques subissent une influence constante

    de la recherche biologique, source majeure dinspiration. Des publications

    remarques servent de guide aux artistes. Art forms in nature de Ernst

    Haeckel ( 1899-1904) entirement dessin par lauteur qui tait fascin par la

    beaut des formes naturelles. Il les a dessines mticuleusement et tait

    particulirement fier d'avoir dcouvert le monde microscopique sous-marin, en

    particulier les tonnants tres monocellulaires que sont les radiolaires. Citons

    aussi World of forms derived from nature de Martin Gerlach ( 1904 ), Art

    forms in nature de Karl Blossfeldt ( 1928 ).

    Dans la premire moiti du XX sicle le devant de la scne est occup

    par des mouvements artistiques o la figuration sclipse au profit dune

    recherche des structures fondamentales de lunivers dans une atmosphre

    dabstraction et de rigueur gomtrique. Le cubisme ou lart abstrait nont gure

    de penses pour la nature biologique et seul le surralisme maintient en cho

    lArt Nouveau un intrt pour les formes de la vie largement transfigures par

    limaginaire. Les univers fantastiques de Salvador Dali ou de Max Ernst en sont

    les tmoins.

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    Biomorphisme

    Lart biomorphique est un art abstrait o les formes et les masses sont abstraites de prfrence des objets anims plutt que des objets gomtriques

    inertes . Les formes biomorphiques ou organiques sont relies aux processus

    naturels ; elles permettent lartiste dexplorer le monde naturel sans le

    reprsenter directement. Les uvres dart rsultantes sont caractrises par des

    formes organiques, des figures curvilinaires et des images abstraites rappelant

    les formes de vie sous marine et microscopique. Reprenant les questions

    fondamentales poses par les historiens et thoriciens de lart comme Alois

    Riegl ou Alfred Barr, le terme biomorphique caractrise un langage artistique

    formel particulier. Dans un texte crit pour lexposition de 1936 sur le

    Cubisme et lArt Abstrait Barr crit : Labstraction organique ou

    biomorphique relve de lintuition et de lmotion plutt que de

    lintellect . Elle est curviligne plutt que rectiligne, dcorative plutt que

    structurale et romantique plutt que classique dans son exaltation du mystique

    du spontan et de lirrationnel, la plaant dans la tradition non gomtrique de

    Gauguin et de lExpressionnisme. .

    Le courant principal de lart moderne tant non figuratif et ne prtant que

    peu dattention la nature, les historiens dart considrent en un sens comme

    une anomalie linspiration organique de certains artistes davant garde comme

    les sculpteurs Hans Arp, Constantin Brancusi, Max Ernst ou les peintres Paul

    Klee, Pavel Filonov, Arthur Dove, Georgia OKeeffe , comme une rsurgence

    du romantisme ou une influence de lsotrisme. Il nen est pas moins que

    lentre deux guerres verra se dvelopper une production biomorphique sous

    linfluence du surralisme et avec des artistes comme Andr Masson ou Joan

    Miro. Cette mouvance a t tudie par Guitemie Maldonado dans un ouvrage

    rcent : Le cercle et lamibe. Le biomorphisme dans lart des annes 1930

    CTHS-INHA , Paris, 2006. Le biomorphisme et sa diffusion, tous les champs

    de la cration (peinture, sculpture, photographie, design et architecture), pendant

    lentre-deux-guerres est une tendance transcourants reprable par des formes

    irrgulires aux contours souples et porteuses dassociations physiques autant

    que psychiques. Sur cette base, des regroupements soprent quinterdisent les

    catgories usuelles et la polarisation du dbat dalors entre abstraction et

    surralisme. Le biomorphisme y dessine une voie alternative qui, tout en tant

    contemporaine de la lecture formaliste de lart moderne - en particulier par

    Alfred Barr -, contrebalance sa rigidit sur le mode de lentre-deux et de

    loscillation entre recherche formelle et analogie cratrice, entre autonomie de

    lart et rfrence au rel. Une telle position savre des plus riches la lumire

    des propositions des artistes, en particulier amricains, des annes 1940, comme

    Jackson Pollock ; elle permet galement de jeter un autre clairage sur les

    annes 1930 et de donner toute son ampleur cette priode communment dite

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    de transition. Expositions et publications tmoignent de ce biomorphisme en

    particulier vivant dans larchitecture : Guenter Feuerstein Biomorphic

    architecture : human and animal forms in architecture Axel Meyers 2002. Le

    clbre architecte Frank Lloyd Wright (1868-1959 ) a invent le terme

    darchitecture organique. Cest une philosophie de larchitecture qui met en

    avant lharmonie entre lhabitation humaine et le monde de la nature par des

    ralisations en tel accord avec le site que btiments, mobilier et environnement

    font partie dune composition unifie. Des architectes comme Gustav Stickley,

    Antoni Gaudi, Frank Lloyd Wright, Louis Sullivan, Bruce Goff, Rudolf Steiner,

    Bruno Zevi, Hundertwasser, Imre Makovecz et plus rcemment Anton Alberts

    and Laurie Baker sont tous clbres pour leurs ralisations darchitecture

    organique

    Biocentrisme

    A la croise de nombreux mouvements intellectuels dont le no-vitalisme,

    lorganicisme et le bergsonisme, se dgage dans lart en Allemagne et en Europe

    centrale au dbut du XX sicle une tendance au biocentrisme, dsignant par l

    un romantisme de la nature revu la lumire de la biologie de la fin du XIX

    sicle. Mettant laccent sur la nature et les processus vitaux comme principes

    fondamentaux de lart et de la culture, le biocentrisme maintient une conception

    holistique du monde o il existe une unit de toutes les formes et une identit du

    tout par del la somme des parties. Le mouvement est une caractristique

    essentielle de la nature, contribuant runir les opposs et surmonter le

    dualisme fondamental entre la matire et lesprit. Cette approche organique est

    anti-anthropocentrique car elle met la nature au centre du monde et non pas

    lhomme, un homme qui ne cherche pas contrler la nature et vit en harmonie

    avec elle. Ces concepts organiques dans lart visent promouvoir une nouvelle

    perception du monde, par del la pense logique et rationnelle, dans la sphre de

    linconscient, en recourant lempathie, lintuition, la mditation et lexprience

    mystique.

    Le biocentrisme exprime les acquis de la biologie, en particulier la thorie

    de lvolution et la biologie cellulaire, et les pratiques nouvelles comme la

    microbiologie ou lobservation laide des rayons X et la photographie

    scientifique. La thorie de lvolution exerce une influence considrable sur le

    monde artistique qui sinspire de lvolution des formes organiques. La biologie

    cellulaire offre de nombreux modles aux urbanistes ou aux sociologues.

    Il faut en particulier mentionner une tendance lesthtisation de la

    photographie scientifique par les artistes de lavant garde comme Laszlo

    Moholy-Nagy. Un biologiste et crivain populaire comme Raoul Heinrich

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    Franc, et sa conception de la Biotechnik, prcurseur de la bionique et de la

    biotechnologie, ainsi que luvre de Ernst Haeckel ont eu une influence

    considrable.

    Biomorphisme et biocentrisme

    Le biomorphisme et le biocentrisme sexpriment curieusement dans les

    uvres de nombreux artistes de lAvant-Garde, mais ne constitue pas un

    mouvement artistique, avec chef de file et manifeste, dans cette poque sature

    de noms de mouvements tels que naturalisme, impressionnisme, pointillisme,

    post-impressionnisme, expressionnisme, fauvisme, cubisme, constructivisme,

    super-ralisme.

    Cette inspiration est trs marque chez Hans Arp, pote, peintre et

    sculpteur, successivement dadaste et surraliste.

    L'art est un fruit qui pousse dans l'homme, comme un fruit sur une

    plante ou l'enfant dans le sein de sa mre. Mais tandis que le fruit de la plante

    prend des formes autonomes et ne ressemble jamais a un arostat ou a un

    prsident en habit, le fruit artificiel de l'homme fait preuve la plupart du temps

    d'une ressemblance ridicule avec l'aspect d'autre chose. La raison suggre a

    l'homme qu'il est au dessus de la nature, qu'il est la mesure de toutes choses.

    Ainsi l'homme pense pouvoir engendrer contre les lois de la nature tandis qu'il

    cre des monstres. (...) J'aime la nature, mais non ses succdans. L'art

    illusionniste est un succdan de la nature. (ARP, Hans, A propos de l'art

    abstrait, Cahiers d'Art, Paris, 1931, n7-8 p.358.)

    Arp cherchait exprimer travers son uvre lessence de la nature, et la

    faon dont lordre et le hasard dans lart refltaient la vie et la structure de

    lunivers.

    Ceci sexprime nettement dans ses peintures dnommes Mtamorphoses.

    Lun des mcanismes les plus usuels dans luvre de Jean Arp

    consistait prendre la nature comme modle et travailler paralllement la

    mtamorphose mme du monde naturel. Parlant de Kandinsky, Arp prcise sa

    conception de la mtamorphose en citant un passage dHraclite : Cest

    toujours la mme substance qui se trouve dans toutes les choses : la vie et la

    mort, le sommeil et la veille, la jeunesse et la vieillesse. Parce que, en se

    transformant, ceci devient cela et cela, en se transformant, devient nouveau

    ceci . Il faut ajouter que le thme cl de ses mtamorphoses est le cycle de la

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    vie dans ses phases ininterrompues de germination, dpanouissement, de

    maturit et de dcadence ou, en dautres termes, les mtamorphoses infinies qui

    se produisent dans lunivers et continueront se produire dans le futur. Il est

    ais de se rendre compte, ds le premier regard, quune oeuvre dtermine a

    comme point de dpart une tte, un embryon ou une amibe, des formes travers

    lesquelles elle symbolise en fait lnergie originelle, le noyau dynamique du

    passage dune forme une autre. Mais le processus saccentue en outre de mille

    faons. Par exemple, en donnant, dans les annes trente, le titre explicite de

    Mtamorphose aux splendides torses qui invitent au toucher ou encore en

    appelant Mtamorphoses un cycle entier dans lequel il aborde sa propre

    explication du monde et de la vie. Il parvient mme marquer les diffrentes

    phases du processus de transformation dune sculpture en en dcrivant dans le

    dtail toutes les phases. Le terme concrtion - du latin concretio qui,

    littralement, signifie crotre ensemble - dsigne galement chez Arp une

    mtamorphose et, si lon pense lembryon vgtal dcrit, fait rfrence au

    processus de solidification, de coagulation. Je lai interprt et jai donn le

    nom damphore une certaine concrtion laquelle jai travaill tant et plus. Le

    noyau de cette concrtion est un objet familier qui ressemble une poupe

    dbonnaire, aux formes arrondies et agrablement rondelettes. Cette forme se

    prolonge dans des membres malfaisants, des serpents assassins, corrosifs, avides

    dtrangler. Je me laisse porter par mon travail sans rflchir

    Tout en participant lart abstrait de lpoque il nabandonne jamais son

    inspiration biocentrique.

    Labstraction est lune des revendications du groupe de Zurich auquel

    appartenait Arp. Ils en viennent mme proposer Francis Picabia de faire une

    exposition dart abstrait, lui qui, rcemment arriv de New York, ne

    sintresse quau monde de la machine.

    Ds ce moment, lovale sera la forme par excellence - ct dautres volumes

    tels que des organismes primordiaux (amibe, spermatozode, grain ou oeuf) -

    laquelle Arp aura recours avec insistance jusqu la fin de ses jours. Cette forme

    lui permet de suggrer un monde en gestation qui, au fil des ans, se

    transformera pour devenir une espce de flux, de pure nergie dynamique, sans

    toutefois cesser dexprimer le commencement, lorigine de la vie.

    Jean Arp, qui a dcouvert la forme dans ses premires tentatives qui remontent

    1915, est prsent dans toutes les expositions du groupe, gnralement avec

    une oeuvre concrte . Si ses abstractions ont un aspect gomtrique, il se

    libre rapidement de toute rigidit gomtrique et cre, par contre, des formes

    irrgulires, de prfrence en bois, qui, superposes, voquent le monde naturel

    diffrents niveaux de reprsentation, des formes qui surgissent spontanment,

    sans avoir besoin dune bauche pralable.

    La qute de lessentiel lui fera rapidement abandonner la symtrie orthogonale

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    quil proposait dans ses premires xylographies et broderies et lamnera

    dessiner - lencre de Chine et au pinceau - des branches, des racines et des

    pierres dposes par le lac sur la rive, dcouvrant ainsi le biomorphisme. En

    sinspirant des lments naturels recueillis au hasard, il trouvera ce quil appelle

    des Formes terrestres, comme celles que Picabia reproduira, en 1919, dans sa

    revue 391 . Dans les annes vingt, il situera son oeuvre mi-chemin entre le

    noplasticisme et le biomorphisme, mais, la fin de la dcennie, suivant un

    processus de dpuration de la forme, il ralise des formes lmentaires dans un

    cadre neutre. Il revient au modelage en pltre et il part la recherche dun plus

    grand purement en sinspirant uniquement de ce que forge son esprit, cest--

    dire sa vision intrieure

    Au cours des annes trente, il se complat dans la recherche de lquilibre

    parfait et de lharmonie et ralise des Constellations dun blanc monochrome,

    en se servant souvent de pltre de Paris pour se limiter, finalement et

    exclusivement, au blanc qui, ses yeux, contient toutes les couleurs.

    Il se dlecte des formes arrondies qui rappellent vaguement les cellules

    dun organisme vues travers un microscope et fait nouveau appel au hasard

    comme lindique le titre explicite dune longue srie duvres commence en

    1931, objets disposs selon la loi du hasard.

    Dans les annes quarante, dans Configurations, il dispose des formes

    organiques de manire concentrique autour dun noyau central, comme pour

    feindre un processus dexpansion et de croissance. Sa relation militante avec les

    rares groupes et revues qui, pendant laprs-guerre, sopposant toute sorte de

    ralisme en vogue, dfendent labstraction, prend alors tout son sens. Lorsquen

    1947, aprs le silence qui suit la mort de Sophie, il reprendra son oeuvre de

    sculpteur avec un nouvel lan, il se basera sur les concrtions labores partir

    de la forme abstraite. Jai appel Formes cosmiques les formes ralises entre

    1927 et 1948 parce quil sagissait de grandes formes qui englobaient une

    multitude dautres formes, comme loeuf, lorbite des plantes... Je les ai

    groupes dans Constellations, selon les lois du hasard.

    Son expression artistique est toujours concrte car les formes qu'il invente

    s'inspirent de la nature. Il rend vivante les matires qu'il travaille. Le bois, la

    pierre et le plomb s'adoucissent alors et semblent prendre vie.

    Source : Jean Arp - Linvention de la forme

    Palais des Beaux-Arts de Bruxelles et Fonds

    Mercator [catalogue de lexposition]

    Belgique 2004

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    Jean Arp est avec Joan Miro le meilleur reprsentant de ce que lon

    considre comme le biomorphisme surraliste, un courant qui influera plus tard

    sur lexpressionisme abstrait amricain.

    Ainsi Arshile Gorky labore dans son uvre un vocabulaire de formes

    hybrides , selon lexpression dAndr Breton, abstraites mais voquant avec

    force des lments vgtaux, organiques ou sexuels, caractristiques de la

    priode dite biomorphique de lexpressionnisme abstrait. Comparables

    certaines figures surralistes, ces formes suggrent un espace fluide et mouvant

    qui constitue la fois un paysage, une nature morte (organise autour de la

    table que le titre invite discerner) et un portrait, celui de linconscient du

    peintre.

    La premire phase de lexpressionnisme abstrait est qualifie de

    biomorphisme. Cest la plus proche du surralisme europen ; le terme qui la

    dsigne renvoie dailleurs originellement aux formes bulbeuses, tires de la

    nature, du peintre et du sculpteur franais Jean Arp (1887-1966), affili au

    surralisme. Cette phase, qui se dveloppe pendant les annes quarante, se

    caractrise par des formes ni totalement abstraites, ni totalement figuratives, qui

    donnent le sentiment dune vie animale, vgtale et organique. Limagerie

    mystrieuse de William Baziotes (1912-1963), les premires peintures de la

    maturit de Jackson Pollock, celles de Mark Rothko (1903-1970) et de Clyfford

    Still (1904-1980) ou de Robert Motherwell sont caractristiques de ce courant

    dont le principal reprsentant est Arshile Gorky.

    Arshile Gorky (1905-1948) est considr par Andr Breton comme la meilleure

    recrue amricaine de son mouvement.

    Dorigine armnienne, il chappe au gnocide de son peuple et sinstalle aux

    Etats-Unis en 1920. Aprs de premires recherches partir des uvres de

    Czanne, de Braque et de Picasso, sa rencontre avec Andr Breton, Roberto

    Matta et Andr Masson pendant la guerre est une tape dcisive pour

    lvolution de sa peinture. Il parvient alors synthtiser les formes oniriques et

    organiques de Masson, Miro et Arp avec lautomatisme de Matta, qui, selon

    lenseignement surraliste, laisse libre cours une dicte de la pense, comme

    le dit Breton en labsence de tout contrle exerc par la raison, en dehors de

    toute proccupation esthtique et morale . Cela produit des tableaux lespace

    peu profond, peupls de formes hybrides , selon Breton, contournes dune

    ligne mince et tranche dont les dtails renvoient lanatomie humaine,

    animale ou encore au registre vgtal et paysager (Fianailles II, 1947).

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    Le biomorphisme surraliste se manifeste aussi dans les uvres dAndr

    Masson, de Max Ernst, de Joan Miro, de Salvador Dali ou dYves Tanguy.

    Cest un biomorphisme que nous considrerons comme romantique dans

    la mesure o il fait la part belle limaginaire, au mystrieux, linconscient, et

    privilgie le hasard et le dsordre dans la nature. Une vision nergtique de la

    nature centre sur sa vitalit cratrice. A partir de la seconde guerre mondiale la

    vision de la nature prend une autre tournure o vont dominer les notions de

    systme et de structure ce qui donne au biomorphisme des caractristiques

    nouvelles.

    A cot du biomorphisme surraliste il faut mentionner un biomorphisme

    gomtrique rsultant du choc du cubisme, et de son intrt pour les arts

    africains. Des sculpteurs comme Henri Laurens, Raymond Duchamp-Villon ou

    Jacques Lipshitz, sans parler de Pablo Picasso vont illustrer cette influence.

    Mais un biomorphisme gomtrique non directement issu du cubisme se

    dveloppe dans les oeuvres de deux grands sculpteurs Constantin Brancusi et

    Alberto Giacometti.

    Brancusi pratique une sculpture qui fait bloc et o les formes ne se

    dgagent que par un jeu de pleins et de creux, de plis ou de torsades. Il illustre

    parfaitement une certaine pratique de la forme globale, o seule la totalit

    compte et o les lments de dtail nont pas de valeur, en utilisant souvent la

    rptition dun module lmentaire sans vritable forme signifiante. Brancusi

    inaugure et porte la perfection le rapport de la sculpture lespace qui

    lentoure travers linteraction avec la lumire. Il pousse trs loin la technique

    du polissage du bronze. Ainsi lovale en suspens du Commencement du

    monde (1924) devient le miroir courbe de ce qui lentoure et il ne sagit plus

    dun uf mais dune configuration dclats de lumire, la surface interne de

    lespace, et la sculpture vritable lespace entier qui sy reflte.

    Brancusi est le meilleur reprsentant de ce que lon a pu appeler la

    sculpture organique entre 1910 et 1960. Une sculpture qui sinspire de la Nature

    sans pour autant la reproduire et dont les lments sont indpendamment en

    germe chez le sculpteur animalier Franois Pompon ( 1855-1933 ). Parmi les

    caractristique de cette sculpture qui interagit souvent avec le cubisme et lart

    abstrait contemporains, il y a un intrt pour les diffrentes formes plastiques de

    lart non classique, art primitif en particulier, un abandon de la figure humaine

    qui permet de considrer la sculpture comme un objet abstrait, une esthtique

    formelle lisse, des formes sans bout pour reprendre lexpression de Pompon.

    Un des apports les plus extraordinaires du point de vue formel de la

    sculpture organique provient du bouleversement quelle opre dans le rapport de

    lobjet plastique avec lintrieur de sa surface et avec lespace qui lentoure. Une

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    conception du rapport intrieur-extrieur qui fait toute la modernit de Lours

    blanc de Pompon. Chez tous ces sculpteurs comme Arp, Brancusi, Hajdu,

    Moore, Barbara Hepworth il y a une intense sensation de vitalit qui semble

    sourdre de lintrieur de leur forme vers lextrieur. Cest chez Henry Moore et

    Barbara Hepworth que ces effets dnergie interne sont le plus profondment

    exploits dans leurs crits comme dans leurs uvres.

    Moore affirme : Une sculpture doit avoir sa vie propre.Elle devrait

    toujours donner le sentiment, quelle soit taille ou modele, davoir pouss

    organiquement cre par une pression de lintrieur . Si parfois il perce la masse

    par un trou cest pour rendre plus tangible cette force qui repousse le volume

    jusqu sa surface.

    Barbara Hepworth qui a sculpt souvent des formes ovodes vides en

    leur centre, exprime joliment ce dsir : Le percement des masses, en

    permettant la lumire de pntrer la forme, donne au spectateur une impression

    stroscopique de ses surfaces intrieures. Je cherche donner la sensation que

    lon est contenu dans la forme autant quon la contient .

    Arcimboldo au XX me sicle : le biomorphisme

    analytique de Pavel Filonov.

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    Pavel Filonov

    Lhomme dans le monde. 1925

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    Giuseppe Arcimboldo ( 1526-1593) est clbre pour ses visages faits de

    compositions htroclites dlments vgtaux ou animaux. Clbre en son

    temps, puis considr comme une simple curiosit, il a t remis lhonneur par

    les artistes surralistes et dadastes. Il apparat comme linventeur dune double

    pratique, leffet Arcimboldo , qui consiste casser le tabou du respect du

    visage humain en le faisant merger dune extravagante composition dlments

    trangers sa reprsentation. Arcimboldo illustre parfaitement en les exploitant

    les effets non linaires associs la perception visuelle, donnant une image

    globale un aspect que les lments de la composition ne laissent en rien prvoir,

    introduisant par l un caractre priori paradoxal. Une remise en cause des

    rgles et des conventions de la peinture qui remet en cause la conception mme

    de lindividu. Il a fallu les bouleversements sociaux , intellectuels et artistiques

    du dbut du XX me sicle pour que des peintres portent nouveau atteinte

    lintgrit du corps humain. Pratique mise en uvre par Picasso ds 1910 dans

    son portrait de Daniel Henry Kahnweiler ou exemplifie de manire provocante

    par Dali en 1935 par son Visage de Mae West , ou Magritte en 1932 par Le

    viol .

    Ce qui a t une pratique occasionnelle chez de nombreux peintres sous

    linfluence du surralisme, sest trouv au cur de luvre dun plus grands

    peintres du XXme sicle, le maitre de lavant garde russe avec Lev Malvich

    et Wassily Kandinsky : Pavel Filonov (1883-1941). Peintre au destin tragique,

    interdit dexposition partir de 1930 et mort dpuisement par sous

    alimentation lors du sige de Lningrad par les allemands durant la guerre.

    Toute son uvre a t miraculeusement conserve et se trouve dans sa totalit

    au Muse Russe de Saint Ptersbourg.

    Ses tableaux se prsentent comme un fourmillement minutieux

    dlments cellulaires disparates, comme un patchwork atomis aux mille

    couleurs, laissant comme monter du fond de la toile des formes humaines

    recomposes. Un art de lmergence des formes. Un art en profonde rsonance

    avec lpoque rvolutionnaire dont il est le tmoin, et quil insre dans un cadre

    idologique, tout comme le suprmatisme de Malvich, lart analytique.

    Filonov en a expos les principes plusieurs reprises dfinissant lidologie de

    lart analytique et le principe daccomplissement. Le travail du peintre sur sa

    toile est un tout, un processus de dvoilement dans les dtails les plus infimes

    de toutes les manifestations du monde- la fois dans leur tat actuel, leur

    gense, leur entremlement. Lart analytique est aussi une floraison du monde.

    Filonov sattachait la perfection professionnelle en prenant comme

    rfrence lart religieux de lancienne Russie. Il ne croyait pas aux succs des

    cubistes franais ou des futuristes italiens, considrant ces mouvements comme

    superficiels dans la mesure o ils abolissaient la perfection au profit deffets

    faciles et de tape lil. Il critiquait les fondements mcaniques et

  • 13

    gomtriques du cubisme, et traitait le rformisme de Picasso de scholastique

    formelle dnue de toute valeur rvolutionnaire.

    La mthode analytique suppose une dmarche qui va du particulier au

    gnral, selon le chemin de la croissance organique de luvre. En observant

    les tendances au dveloppement, prsentes dans tout vnement, lartiste

    participe leur expression, en guidant cette volution dune manire secrte. De

    l le concept de forme volutive pure . La forme pure, selon Filonov, est tout

    objet qui exprime sa liaison avec les processus dvolution qui y sont luvre.

    La mthode analytique tend non pas la perfection seule, mais la

    perfection de la croissance biologique. Le tableau de Filonov crot comme un

    organisme vivant. Il est constitu de toutes ces particules lmentaires, de tous

    ces atomes, de toutes ces cellules qui concourent la formation de lorganisme.

    La structure atomistique de la composition est partout apparente. Souvent dans

    ses tableaux se manifeste une ouverture non figurative faite de formes

    lmentaires avant que napparaisse enfin une figure.

    Filonov insistait sur le fait quun tableau accompli une fois cr peut

    se dvelopper organiquement sans la participation de lartiste, comme un

    vgtal, produisant ses propres formes et fonctionnant comme un organisme

    indpendant. Il ne considrait pas ses tableaux comme des uvres dart,

    termines et encadres, mais comme des maillons dune chane quil ne fallait

    pas interrompre. Cest pourquoi il se refusait vendre ses toiles, et les

    retravaillait pendant plusieurs annes.

    Filonov rejetait catgoriquement toute appartenance aux avants

    garde europennes ou russes, comme un refus de toute improvisation et de

    toute mise en uvre dlments alatoires caractristiques du dadasme ou du

    cubo-futurisme. Il refusait avec une recherche fanatique du professionnalisme

    ce moment destructeur de la tradition qui sige au cur de toute avant garde.

    Ses crits gardent la trace de cette recherche obsessionnelle de la perfection

    dans laccomplissement de chaque forme, de chaque ligne, de chaque couleur.

    Un maniaque du traitement de chaque atome de la toile et de la composition

    cellulaire.

    Le biomorphisme cyberntique et structuraliste.

    Aprs la deuxime guerre mondiale la vision de lhomme et du vivant a chang, en particulier dans le cadre dune doctrine scientifique nouvelle la

    cyberntique.

    La cyberntique apparat en effet dans le monde en modification

    profonde dans limmdiate aprs guerre. On y assiste ltiolement de

  • 14

    lidologie individualiste qui dominait loccident depuis la fin du Moyen Age et

    la naissance de ce que lon nommera plus tard la condition post moderne

    ou le post humanisme . Ceci provient de ce que le sentiment que lHomme a

    de son rapport au Corps Social volue lentement, influenant profondment

    limage quil se fait de lui mme et de la nature.

    La cyberntique est ne de la rvolution du contrle engendre par les

    besoins du dveloppement industriel, conomique et social. Ses thmatiques

    sont issues de la thmatique centrale de la communication homme-machine :

    systmes ouverts, information, feedback, rgulation. Ses matres mots sont la

    relation et linteractivit.

    Le caractre de la cyberntique transparat bien dans un de ses projets

    phares de construction dune machine intelligente, dune machine penser dont

    lordinateur serait une prfiguration. On voit bien que cette ambition impose ds

    lorigine la rduction de lhomme un modle comportemental.

    La cyberntique a donn corps et statut une dmarche pistmologique

    gnrale dont les manifestations ont bien souvent prcd la formulation

    cyberntique. Il sagit dune dmarche de modlisation du rel qui privilgie les

    relations entre les objets au dpens de leurs proprits intrinsques, les

    proprits au dpens des attributs, les qualits secondaires au dpens des qualits

    premires, les causes formelles au dpens des causes efficientes. Cest l le sens

    profond de toute description par entres-sorties dune bote noire, qui met lobjet

    ontologiquement entre parenthses, le dpouille de toutes ses qualits et lhabille

    de ses relations avec le monde qui lentoure.

    Dans cette perspective structuraliste lhomme ou le vivant est rduit son

    rseau de relations, et ne se manifeste plus par sa forme mais par la forme de ses

    relations. Luvre dart cyberntique prsente alors un type particulier de

    biomorphisme que lon peut dnommer biomorphisme structuraliste.

    Les artistes rpondent spontanment ce nouveau bain idologique en

    explorant les aspects interactifs de luvre dart et en cherchant solliciter la

    participation du spectateur. Luvre dart acquiert un aspect performatif et ne

    prend de signification quen fonction dun contexte. Luvre se rduit aux

    signaux quelles change, avec la possibilit dexprimer son codage universel

    sous des formes varies, empruntant divers mdias. Luvre devient un modle

    universel abstrait des relations de lhomme son environnement, et se prte

    tous les simulacres. Un art bhavioriste. Toutes ces dmarches font partie de

    lair du temps et sont en rsonance profonde avec lesprit de la cyberntique,

    que lartiste sen rclame explicitement ou non.

    Chez les artistes, comme dans le public en gnral, le terme de

    cyberntique est utilis avec beaucoup de confusion. La cyberntique est

    considre tort comme une thorie physique des systmes complexes ouverts

    et son caractre de stratgie de modlisation abstraite est ignor. Mais la

    cyberntique nest pas lart de construire des machines ou des robots, elle est

    lart de fournir un modle gnral du fonctionnement dun systme dynamique

  • 15

    complexe. Passer du modle la ralisation concrte nest plus laffaire des

    cybernticiens mais de lingnieur. Le travail de lartiste cybernticien, sil en

    est, est non pas de construire des dispositifs interactifs astucieux, mais de

    produire des modles traduisant de faon particulirement expressive les

    modalits de fonctionnement de tels dispositifs. Le but de lartiste nest pas ici

    nouveau daccder un ralisme mimtique, mais dexprimer par la caricature.

    En forant le trait pour ainsi dire. Cest lart du simulacre. Peu dartistes lon

    compris.

    On se tromperait pourtant lourdement si lon pensait quun artiste comme

    Nicolas Schffer cherchait raliser des robots. Ce nest pas en crant des

    dispositifs en mouvement, si perfectionns soient ils, quil cre des uvres dart,

    mais en mettant en scne dune manire habile une gesticulation qui traduit des

    principes de mouvement. Le mrite de Nicolas Schffer nest pas de rivaliser

    avec un fabricant dhorloges ou de dispositifs de rgulation automatique, mais

    dincarner dans un montage schmatique les principes essentiels du

    fonctionnement des machines relles. Ceci saute aux yeux lorsque lon examine

    une sculpture dynamique comme CYSP I (1956) confronte des danseurs de

    Maurice Bjart. Le robot de Schffer na pas la prtention de rivaliser avec les

    danseurs mais exprime de manire schmatique et contraste le caractre du

    mouvement des danseurs en interaction avec le public. Un simulacre de danse.

    Un modle cyberntique de la danse. Lart nest pas ici dans limitation de la

    danse mais dans sa caricature. Ce qui fait la valeur artistique des uvres de

    Nicolas Schffer, ce nest pas la complexit des mcanismes, mais lexpressivit

    de ce qui se donne voir. Une expressivit amplifie par lemploi de formes

    gomtriques et de contrastes colors. Une recherche maximale du spectacle

    total o le spectateur se trouve entran. Un spectacle sans autre fonction que

    rituelle et dont le simulacre est lessence mme.

    Comme le dit Jean Baudrillard :

    Il ne sagit plus dimitation, ni de redoublement, ni mme de parodie. Il

    sagit dune substitution au rel des signes du rel, cest dire dune

    opration de dissuasion de tout processus rel par son double opratoire,

    machine signaltique mtastable, programmatique impeccable, qui offre

    tous les signes du rel et en court-circuite les pripties.

    Ce qui caractrise le simulacre cest lcart dfinitif avec le rel, la

    prtention de sy substituer. Cest une construction artificielle qui ne prtend pas

    renvoyer un lment du rel, ce nest pas un miroir de la ralit. Cest une

    ralit artificielle qui fonctionne comme telle, sans renvoyer une prtendue

    ralit. Une image qui ne reprsente rien et se donne comme telle.

    Comme le dit D. Perniola :

  • 16

    Le simulacre se dfinit donc comme une image sans identit. Il ne

    renvoie aucun modle extrieur et na pas doriginalit intrinsque. Sa

    validit est sans valeur, sa tromperie vidente, et son conflit indolore. Il

    marque le moment o la fiction cesse dtre mensonge sans devenir

    vrit

    Lambigut du simulacre est constitutive, est nest pas prsente dans la

    simulation. Ambigut ontologique quentretient lillusion du comportement. La

    simulation mime la ralit en le proclamant, le simulacre se comporte comme si

    ctait une ralit.

    Distinction essentielle entre comme et comme si. Ce comme si qui rgne dans

    les productions du discours et de la pense, o tout se passe comme si les objets

    taient vritablement rels, sans quil soit possible de sen assurer tout au moins

    par lobservation. Le mrite de la cyberntique a t de mettre en relief le rle

    du simulacre. Lemploi conscient du simulacre comme le fait Nicolas Schffer

    renvoie donc naturellement la pense cyberntique de son temps dont il tait

    un connaisseur averti.

    Le zoomorphisme architectural contemporain. Vers un

    organicisme renouvel.

    LArt Nouveau avait largement puis son inspiration dans les formes vgtales et animales, et diffus dans la cration architecturale. Avec les

    ordinateurs et les nouveaux matriaux les architectes dessinent et ralisent des

    projets plus librement, et peuvent largement sinspirer de la nature. Ils peuvent

    engendrer des formes autrefois considres comme irralisables. En 2004 une

    exposition au Victoria and Albert Museum de Londres : Zoomorphic , portait

    sur cette nouvelle tendance en architecture- des constructions qui ressemblent

    des animaux. Larchitecte peut vouloir utiliser lanimal comme symbole, mais

    peut pour des raisons fonctionnelles introduire des formes animales dans son

    projet. Cest le cas du village olympique de Barcelone ou du Muse

    Guggenheim de Bilbao, des constructions de Frank Gehry en forme de poisson

    ou de structures recouvertes dcailles mtalliques, le Milkwaukee Art Museum

    de Santiago Calavatra qui dploie ses ailes comme un oiseau, du Centre Darwin,

    Muse dHistoire naturelle en forme de cocon.

    Il ny a l que la manifestation du renouveau dune des plus anciennes

    sources dinspiration de larchitecture dans les formes et les caractristiques du

    vivant. Une affirmation renouvele dans une nouvelle atmosphre scientifique et

    technologique de lorganicisme qui prne un transfert au profit de lart des

    concepts et des proprits biologiques. Une tape historique o un ouvrage

    majeur comme Growth and form de dArcy Thompson joue un rle

    charnire entre un organicisme du XIX sicle thoris par Ruskin et les

  • 17

    dveloppements actuels de la morphogense biologique dans le cadre nouveau

    de la thorie des systmes dynamiques non linaires.

    Lorganicisme ne date pas dhier, mais relve en architecture dune

    tradition qui remonte Vitruve, et consiste utiliser des proportions du corps

    humain pour raliser une harmonie dans la construction. Cest l dailleurs la

    forme la plus courante et concrte de lesthtique des proportions lpoque

    mdivale ou la Renaissance, formule en particulier par larchitecte Alberti.

    Cest lide dune unit organique traduite par lharmonie des parties qui

    remonte Platon et Aristote, et devient une des constantes de la conception de la

    forme, mainte fois raffirme par les philosophes, tel Kant, et les artistes jusqu

    aujourdhui. Lemploi de proportions modulaires en architecture et lvocation

    dune unit organique dans la composition sont des aspects de cette idologie du

    tout et de lunit caractristique du vivant.

    Au XIX sicle, sous linfluence du romantisme, les qualits organiques

    taient spcifiquement mise en valeur dans lart en opposition au mcanique.

    Cest ainsi que Coleridge oppose la forme mcanique la forme organique dans

    son analyse des pices de Shakespeare quil considrait comme dcoulant dune

    vision unifie de la nature humaine, en combinant les deux tendances opposes

    que sont la tension et la rconciliation. Une ide que lon retrouvera en

    architecture plus tard sous le nom de tensengrit chez Buckminster Fuller qui

    associe tension et compression.

    Un auteur comme Caroline van Eck distingue trois versions de

    lorganicisme au XIX sicle. Un organicisme tectonique qui considre la

    nature comme un modle pour les procds de construction et dornementation.

    Un organicisme religieux qui considre la nature comme lart de Dieu, et voit

    dans larchitecture gothique un moyen tout fait propre la communication de

    lexprience religieuse (Ruskin). Un organicisme scientifique, bas sur les

    dveloppements de lanatomie compare, qui utilise des concepts biologiques

    comme ceux de type et de condition d existence pour comprendre et

    ordonner lhistoire de larchitecture.

    Des architectes du XIX sicle comme Viollet le Duc, Ruskin, Semper,

    Btticher, Root et Sullivan, pensaient reprsenter une histoire naturelle dans la

    pierre. Viollet le Duc choisissait lunit comme laspect de la nature que

    larchitecture devait imiter. Pour lui larchitecture nest pas un art dimitation,

    mais un systme logique quivalent aux principes mis en uvre dans la nature et

    non pas une reproduction des apparences de la nature.

    Viollet le Duc est fortement influenc par la pense scientifique de

    Georges Cuvier. Pour celui ci tout tre organis forme une totalit, unique et

    ferme, o toutes les parties se correspondent mutuellement et contribuent la

    mme action par actions rciproques. La grand innovation de Cuvier est de

    dplacer laccent de la description des membres identifiables dun organisme et

    de la classification par cette description, une classification par la fonction. Ce

    nest plus la ressemblance qui sert de critre mais lanalogie de fonction. A la

  • 18

    structure visible succde la structure organique. Les clbres dbats entre Cuvier

    et Geoffroy Saint Hilaire, que Goethe suivait avec grand intrt, opposaient une

    anatomie compare fonde sur la cohrence fonctionnelle une morphologie

    idalise, et ceci malgr le fait que Cuvier tait un fixiste, oppos lvolution

    et au transformisme.

    Larchitecte allemand Gottfried Semper tait impressionn par la russite

    de la mise en place par Cuvier de la grande collection despces naturelles au

    Jardin des Plantes. Cest sous cette influence quil tenta la formulation dune

    typologie des formes architecturales. Pour lui larchitecture se distingue des

    autres arts parce quelle imite non pas les formes visibles et tactiles de la nature

    mais plutt ses lois.

    Il publie Der Stil en 1860. Pour Semper, l'art est d'abord une technique

    applique un matriau pour l'accomplissement d'une fonction. Il est par

    ailleurs le premier tudier l'art primitif en tant que tel, notamment en se

    penchant sur le cas d'un village Maori et d'une hutte crmonielle Carib. Cette

    hutte est faite de quatre lments irrductibles : la terre fondation morale de

    ltablissement, les murs, la terrasse et le toit. Ces quatre lments

    correspondent quatre mode dexcution : le modelage pour la terre, le tissage

    et le tressage pour les murs, le charpentage et lassemblage pour la terrasse et le

    toit en y joignant la maonnerie. Matriaux et techniques sont sources de

    signification et de symbolique. Le transfert de motifs dun matriau (ou dune

    culture) un autre est un lments central de la pense de Semper

    C'est une perspective volutionniste qu'il dveloppe par le biais d'une

    histoire compare des styles, sans pour autant se rduire une recherche des

    origines de la reprsentation artistique. Selon lui, chaque style n'est pas le

    tmoin d'une volution culturelle ( on ne trouve pas d'enfance dans les

    styles ), mais synthtise plutt des techniques soumises l'volution et

    certaines formes mentales que toute reprsentation suppose. Semper veut

    associer les aspects techniques et constructifs l'aspect artistique, tentant de

    rendre l'art et la technique indissociables. Il considre en outre la parure ou

    l'habillage comme ncessaire car la forme doit se manifester comme un symbole

    signifiant et comme une cration humaine autonome. Il souligne ainsi deux

    aspects de la forme architecturale que sont la forme constructive et la forme

    symbolique, lesquelles sont pour lui indissociables et doivent s'exprimer

    travers la faade.

    Caroline Van Eck dcrit la transformation de lorganicisme au XIX

    sicle dun systme de pense philosophique et religieux, fonds sur la

    conception aristotlicienne de lunit finalise, en une vision scientifique du

    rapport entre larchitecture et la nature vivante, en mettant en valeur la

    fonctionnalit comme similarit la plus importante. Les conditions dexistence

    et les contraintes du matriau qui dterminent lintgrit fonctionnelle dun

    difice sont analogues celles dun organisme vivant.

  • 19

    Au XX sicle larchitecte Frank Lloyd Wright a brandi la bannire de

    lorganicisme. Par architecture organique, jentend une architecture qui se

    dveloppe de lintrieur vers lextrieur en harmonie avec les conditions de son

    existence, ce qui la distingue dune architecture applique de lextrieur

    (1914) . Il peroit les pices d'un btiment comme des organes autonomes qui

    constituent un corps cohrent. Il pousse l'analogie avec le monde vivant jusqu'

    prtendre que la construction doit reprsenter la croissance d'un tre vivant. Cela

    explique la haine quil nourrissait vis--vis des grandes villes, notamment

    Chicago. Cette haine le poussa ne construire que de trs rares (mais notables)

    btiments dans des grandes agglomrations.

    Il cherche dfinir un style inspir pour une part de celui de son matre

    Sullivan, qu'il qualifie d'organique, et qu'il estime pouvoir devenir un fondement

    neuf de la culture amricaine. Dans cet idal, qui ne cherche pas spcialement

    imiter la nature, la forme des parties la maison doit dcouler de leur(s)

    fonction(s), mais en mme temps forme et fonction ne doivent faire qu'un.

    Perspectives contemporaines Le XIX sicle et la premire moiti du XX sicle ont t marqus par les problmes de lvolution biologique et la discussion sur les rapports entre

    forme et fonction. Notre poque subit lempreinte de la gntique et de la

    biologie molculaire disposs au cur dune socit de linformation et de

    linformatique. Des avances considrables de la thermodynamique et de la

    thorie des systmes dynamiques permettent dapprocher de plus prs une

    dfinition des systmes vivants, au point de commencer parler de vie

    artificielle. Ceci nest pas sans effet sur limaginaire artistique dans son contact

    avec la nature. Toutes sortes de rveries morphogntiques deviennent

    possibles, et peuvent se concrtiser grce aux techniques numriques.

    Limagerie numrique tout comme lcologie changent notre rapport cognitif et

    artistique la nature.

    Sources

    Cet article tire sous information de plusieurs sources quil exploite souvent en

    les paraphrasant ou en en extrayant des passages.

  • 20

    Isabelle Wnsche. Biological metaphors in 20 th century art and design. YLEM

    Journal. Artists using scienec and technology. Number 8 volume 23 July-

    August 2003.

    Guitemie Maldonado Le cercle et lamibe. Le biomorphisme dans lart des

    annes 1930 CTHS-INHA , Paris, 2006

    Sophie Lvy. Pompon entre nature et abstraction. La sculpture organique de

    1910 1960. Dossier de lart n 19, Juin-Juillet 1994.

    Caroline van Eck. Organicism in nineteenth century architecture. An enquiry

    into its theoretical and philosophical background. Architectura & Natura Press.

    1993.

    Christian Hubert. Organicism.

    christianhubert.com/writings/organicism.html