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Blé sur la route Tome 1

Blé - storage.googleapis.com · Suisse : Transat — 23.42.77.40 Belgique : D.G. Diffusion — 05.61.00.09.99 Imprimé au Canada Participation de la SODEC. Nous reconnaissons l’aide

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  • Blésur la route

    Tome 1

  • Patrice CazeaultMiro Belzil Thierry Doucet

    Blésur la route

    Tome 1

  • Ce livre est une œuvre de fiction. Les noms, les personnages, les lieux et les incidents sont soit le produit de l’imagination des auteurs, soit utilisés de manière fictive, et toute ressemblance avec des personnes vivantes ou décédées, à des établissements d’affaires, à des événements ou à des lieux spécifiques n’est que pure coïncidence.

    Copyright © 2014 Patrice Cazeault, Miro Belzil et Thierry DoucetCopyright © 2014 Éditions AdA Inc.Tous droits réservés. Aucune partie de ce livre ne peut être reproduite sous quelque forme que ce soit sans la permission écrite de l’éditeur, sauf dans le cas d’une critique littéraire.

    Éditeur : François DoucetRévision linguistique : Féminin plurielCorrection d’épreuves : Nancy Coulombe, Catherine Vallée-DumasConception de la couverture : Matthieu FortinPhoto de la couverture : © Maxime ThibodeauMise en pages : Sébastien MichaudISBN papier 978-2-89733-631-8ISBN PDF numérique 978-2-89733-632-5ISBN ePub 978-2-89733-633-2Première impression : 2014Dépôt légal : 2014Bibliothèque et Archives nationales du QuébecBibliothèque Nationale du Canada

    Éditions AdA Inc.1385, boul. Lionel-BouletVarennes, Québec, Canada, J3X 1P7Téléphone : 450-929-0296Télécopieur : [email protected]

    DiffusionCanada : Éditions AdA Inc.France : D.G. Diffusion Z.I. des Bogues 31750 Escalquens — France Téléphone : 05.61.00.09.99Suisse : Transat — 23.42.77.40Belgique : D.G. Diffusion — 05.61.00.09.99

    Imprimé au Canada

    Participation de la SODEC.Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada (FLC) pour nos activités d’édition.Gouvernement du Québec — Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres — Gestion SODEC.

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Cazeault, Patrice, 1985-

    Blé sur la route Pour les jeunes de 13 ans et plus. ISBN 978-2-89733-631-8 (vol. 1) 1. Blé (Groupe musical) - Romans, nouvelles, etc. pour la jeunesse. I. Titre.

    PS8605.A985B53 2014 jC843’.6 C2014-940116-7 PS9605.A985B53 2014

  • Chapitre 1

    Fin

    Thierry et Miro dans un champ de bléC’est à la fois le point de départ et le fil d’ar-rivée de notre histoire. L’auteur n’a pas ménagé ses efforts pour faire plus simple, mais avec ces deux-là, on ne pouvait pas s’attendre à ce que ce soit compré-hensible du premier coup.

    Le soleil se couche à l’autre bout du champ, l’air plutôt indifférent. Il abandonne cette partie de l’hé-misphère et darde déjà le regard par-dessus l’ho-rizon. Il est tout rouge, peut-être essoufflé d’avoir couru toute la journée. De toute façon, Thierry et Miro s’en fichent. Ils n’auront pas trop de la nuit pour réfléchir.

    Les épis de blé, d’abord dorés, se teintent d’orange. La chaleur de cette fin du mois de juillet fuit dans le sol, à travers les interstices de la terre labourée. Le temps file. Les têtes fournies des céréales qui bruissent au vent violacent, mauvissent, se colorent

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    Cazeault / Belzil / Doucet

    de mauve à mesure que le ciel se vide des rayons mourants du soleil. Ni Thierry ni Miro n’ont échangé de mots ou de regards depuis un bon moment. Ils ont tous les deux le visage couvert de suie.

    Miro a déposé sa guitare devant lui. De temps en temps, il gratte sa tignasse de la main gauche, puis se ronge un ongle, les yeux perdus sur les cordes usées de son instrument. Thierry, assis juste à côté, se masse les tempes. Il a replié les manches de sa che-mise à carreaux et guette l’horizon.

    — Miro ?…— Hum ? répond-il, la lèvre inférieure pincée

    entre son pouce et son index.Thierry fronce les sourcils. L’idée qu’il veut

    exprimer se forme derrière son front plissé. — Je pense que je suis amoureux.— Ta gueule avec ça… Les bras de Miro s’ouvrent tandis qu’il se lève.

    Dans un grand arc, il fouette les tiges autour de lui.

    — C’est la dernière chose dont j’ai envie que tu me parles, en ce moment.

    — Non, non, attends ! Tu ne comprends pas. Je suis amoureux, vrai de vrai !

    — Si tu me dis que t’es tombé amoureux de moi, j’te sloggue.

    Thierry se couvre le visage des mains et retient un gémissement pendant de longues secondes, mais

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    Blé sur la route

    quand aucun poing ne s’abat sur lui, il ose ouvrir un œil.

    — C’est pas ça, lui dit-il en se levant à son tour.En se penchant, il ramasse la guitare de son ami.— J’crois que je suis amoureux de ce qu’on va

    faire.Il lui tend l’instrument et lui offre le sourire qu’il

    réserve habituellement à ce qu’il y a de plus beau dans la vie (pour Thierry, ça signifie : un chocolat chaud après une tempête de neige, un câlin après un orage violent ou la découverte de photos osées sur le compte Instagram d’une nouvelle flamme).

    Son pote contemple la vieille guitare acoustique couverte d’égratignures et fait la moue. Sous les étoiles qui percent déjà le ciel, les deux amis restent immobiles. La brise chatouille les longues tiges de blé. Le champ ondule, en proie à des frissons. De peur, de joie ? De folie ?

    Miro attrape le manche de sa guitare sèche et décroche un sourire lui aussi.

    — Ouais. Je pense que je sens la même chose que toi. Blé, ça va être de la bombe !

  • Chapitre 2

    La voisine d’en haut *se mord les doigts*

    Thierry et Miro vivent ensemble. Ils habitent un trois et demie à peine plus luxueux qu’une cage à hamster (une cage à hamster avec suffisamment de place sur les murs pour y accrocher des posters de pitounes, quand même), mais ça ne les ennuie pas outre mesure. Ils sont amis depuis la tendre enfance et gardent juste ce qu’il faut de pudeur pour ne pas utiliser la salle de bain en même temps. Sinon, tout le reste passe. Ils peuvent manger dans la même assiette, boire dans le même verre, ronfler dans la même pièce. La rumeur court qu’ils se sont connus en prison dans une vie anté-rieure. Ils ont déjà pensé recourir à l’hypnose pour confirmer cette théorie, mais ont eu peur de décou-vrir l’étendue de ce qu’ils partageaient en cellule…

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    Cazeault / Belzil / Doucet

    Leur vie commune connaît rarement de remous. Thierry et Miro se distribuent les tâches ménagères selon ce principe fort simple : ils nettoient l’apparte-ment de fond en comble, chacun de son côté, tous les matins du premier du mois, quelques minutes avant que le propriétaire ne vienne encaisser le loyer.

    Ce matin, en se fiant à la petite pile de vaisselle naissante sur le comptoir, on peut déterminer que notre histoire commence le 3 ou le 4 juin (quoique cette méthode de datation puisse se révéler trom-peuse, car il leur arrive souvent de manger directe-ment au-dessus de l’évier pour éviter de salir les assiettes). Nos héros sont propres, fraîchement rasés et tout à fait prêts à prendre d’assaut la journée qui démarre.

    — J’m’emmerde déjà, Miro…, se plaint Thierry en faisant cliqueter sa fourchette dans ses œufs froids.

    — Tu vas déprimer encore plus quand tes cours de pop-corn vont recommencer, je te connais.

    Miro se penche vers le plat de son ami et attrape une tranche de bacon qui trempe dans le jaune d’œuf. De petites miettes sèches tombent sur la table quand il en croque la moitié.

    — Arrête de surnommer mes cours de cinéma mes « cours de pop-corn » ! Est-ce que j’appelle tes études « Maracas avancées » ?

    — Hahaha ! Elle est bonne. Maracas…Il abandonne le morceau de bacon, se lève et

    contourne la table. Son regard passe sur les

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    Blé sur la route

    instruments accrochés au mur du salon. Un violon, trois guitares, une trompette…

    — Maracas…Les traits de Miro se tendent. Ses joues s’em-

    pourprent. Ses mâchoires se serrent.— Miro… Capote pas. Je disais pas ça pour être

    méch…— Non ! l’interrompt le multi-instrumentiste

    aguerri. Non, c’est super drôle. Des maracas, man. C’est débile.

    Dans un mouvement violent, il s’empare de la poivrière sur la table. Miro la secoue quelques fois, les yeux grands ouverts et un peu déments.

    — Regarde comme j’ai du talent ! Un virtuose des maracas. Tchick tchick tchick !

    Sans crier gare, il braque son bras pour lancer l’ustensile sur Thierry. Comme il s’élance…

    Toc-toc-toc ! On frappe à la porte !La poivrière éclate un peu plus loin sur la gauche,

    manquant la tête de Thierry de quelques centimètres à peine. Des grains non moulus rebondissent sur le sol dans un concert à faire éternuer n’importe quel grand chef d’orchestre.

    — Euh…, fait une voix derrière la porte. Je peux revenir plus tard, si vous voulez.

    — C’est Cass ! s’exclame Thierry en faisant de son mieux pour chuchoter.

    Tout de suite, ses yeux s’illuminent. Son visage s’éclaire d’un sourire et il oublie aussitôt que Miro a

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    Cazeault / Belzil / Doucet

    tenté de l’assommer. La lueur d’intelligence dans son regard est rapidement éclipsée par deux puissants projecteurs en forme de cœur sous ses sourcils (bon, peut-être que l’auteur exagère un tout petit peu, mais vous comprenez l’idée).

    Thierry bondit de sa chaise et bouscule Miro au passage. Il traverse le salon de six mètres carrés comme un troupeau de bisons apeurés qui fuit sur la plaine sèche du Midwest. Devant la porte, il prend quelques secondes pour peigner sa chevelure en désordre, puis se colle contre l’œil magique.

    — Ah…, soupire-t-il. Cass…Il l’admire encore un moment (nous attendrons

    avant de la décrire, parce que là, elle est un peu déformée par la lentille du judas). De l’autre côté, une minuscule Cassandra incline une tête démesurée.

    — Thierry ? Les gars, ça va ?— Mais ouvre-lui, crétin ! l’encourage Miro avec

    délicatesse.La porte s’ouvre. Cassandra détaille Thierry de

    ses grands yeux gris.— Je vous dérange ?— Non ! Pas du tout. Absolument pas. Jamais de

    la vie. Pas toi, Cass.Elle glisse le regard à travers la pièce, aperçoit le

    déversement de poivre dans un coin (mais ne commente pas, elle a l’habitude), puis trouve Miro, près de la table. Ses paupières clignent deux fois très

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    Blé sur la route

    rapidement et l’angle de son visage change pour lui donner un air vaguement détaché.

    — Oh, salut Miro…Miro lui répond en plissant la joue gauche et en

    laissant échapper un « tssk » sonore accompagné d’un clin d’œil appréciatif, qui signifie, dans un registre infiniment plus cool, « salut ».

    — Qu’est-ce qui t’amène, Cassy ? Aimerais-tu t’asseoir ? As-tu chaud ? As-tu soif ? Je peux te pré-parer un drink si tu veux !

    — Hum… à 9 h le matin ? Non merci.Cassandra fait un pas dans la pièce tandis que

    Thierry se retient de ne pas humer son parfum. Par contre, il ne se gêne pas pour la dévorer des yeux, dans ses moindres détails. Ce matin, ses cheveux blonds lui caressent la nuque. On voit sa repousse à travers ses mèches, mais c’est fait exprès. Ça fait rebelle. Avec son nez délicat, tout fin et à peine retroussé, on dirait que son profil a été sculpté par Michel-Ange (s’il avait travaillé sur des sculptures d’anges à l’air un peu bum). Elle porte un t-shirt blanc strié de bandes grises, comme une tornade sur sa poitrine, des skinny jeans bleu ardoise et une vieille paire de Converse usée. Dans ses longs doigts d’ar-tiste, elle tient… une tasse à mesurer.

    Ah… la fameuse tasse de sucre.Depuis qu’ils habitent dans le même immeuble,

    Cassandra doit leur avoir emprunté au moins trois tonnes de sucre. Elle tient sans doute une pâtisserie

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    Cazeault / Belzil / Doucet

    clandestine dans son appartement, à l’étage au-dessus.

    — Oh, Miro, en passant, est-ce un nouveau mor-ceau que tu pratiquais hier soir ? C’est la première fois que je l’entendais.

    — Hum hum, répond-il, les bras croisés. C’est une nouvelle compo. Désolé de t’avoir dérangée. Je ne jouerai plus si tard.

    — Non ! Elle freine son élan avant de reprendre, un peu

    plus blasée.— Non, je trouve ça cool. J’ado… J’aime beaucoup

    t’entendre jouer en sourdine, le soir. Ça me détend.Parce que nous en avons le pouvoir… ZOOM sur

    son cœur ! Avec une facilité déconcertante, nous traversons

    son chandail, son soutien-gorge (crème avec des pois noirs), nous fermons les yeux le temps de passer sous sa poitrine (quand même !). Pour ceux qui ont la digestion délicate, vous pouvez garder les paupières closes encore un moment. Notre caméra déchire les premières couches de son épiderme, se vrille un pas-sage dans sa cage thoracique, transperce une enve-loppe gluante, effleure un poumon tout rose et… Le temps que nous essuyions la lentille, vous pouvez déjà entendre le battement effréné du puissant organe. On se croirait dans les entrailles d’une galère romaine lancée à plein régime, sur le point

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    Blé sur la route

    d’éperonner la trirème royale de la flotte rebelle de… Oh, le voilà, le cœur de Cassandra.

    Il est grand. Il se gorge de sang, puis l’expulse avec une grâce naturelle, ancestrale. On le devine courageux, généreux, vaillant. Il bat à toute allure, mais se maîtrise. Il paraît pouvoir tenir ce rythme pour l’éternité. Toutefois, alors que notre objectif dérive lentement autour de ce muscle boosté à l’en-dorphine, on repère une petite lésion sur la paroi du ventricule droit, une minuscule tache noire, une vilaine cicatrice qui ne semble pas tout à fait guérie.

    Quand on quitte l’intimité de Cassandra, elle fouille dans l’armoire à la recherche du sac de sucre.

    — C’est quand la dernière fois que vous avez fait l’épicerie ? Il n’y a plus que… 13 boîtes de Kraft Dinner.

    — Ouais, je sais, lui répond Miro. On s’en allait justement faire le plein.

    — Attends ! rugit Thierry. En deux sauts athlétiques, il se plante devant

    Miro.— On n’est pas obligés de manger ça chaque soir,

    non plus. — Tu sais rien cuisiner d’autre.Miro a juré qu’il ne préparerait plus jamais de

    repas pour Thierry lorsqu’il l’a surpris en train de rajouter du ketchup sur son triple soufflé à la sauce portugaise.

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    Cazeault / Belzil / Doucet

    — Mais on pourrait… on pourrait… sortir ! Au resto, tous les trois. Je vous invite, tiens !

    Son coloc hausse les épaules et place ses mains derrière la tête.

    — Ouais, pourquoi pas. T’en dis quoi, Cass ?Une tempête de sable passe sur son visage. Elle

    devient toute rouge et paraît avoir très chaud, tout à coup. Cass se mord une lèvre, puis retrousse son petit nez.

    — Rah… J’aurais adoré y aller avec vous, mais je ne peux pas. J’ai ces muffins à préparer pour ce soir, dit-elle en agitant sa tasse à mesurer.

    — Ce n’est pas grave. On prendra le dessert chez toi. J’apporterai mon kit à cupcakes et on décorera tes muffins ensemble !

    Thierry cherche du soutien auprès de son ami. Toutefois, celui-ci scrute Cassandra d’un œil suspicieux.

    — Je te jure que ça me ferait plaisir, Thierry, mais pas ce soir. Est-ce qu’on peut remettre ça ?

    Cass le contemple, accoudée sur le comptoir der-rière elle, la mine désolée. Le soleil, qui pénètre dans la cuisine par l’unique fenêtre de l’appartement, lui fait plisser les yeux.

    — Bien sûr…, soupire Thierry. Je comprends. Est-ce que la semaine proch…

    — C’est pour qui, les muffins ? le coupe Miro.Il semble observer un moment les particules en

    suspension dans l’air, puis jette ses yeux de détective

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    Blé sur la route

    privé, deux puissantes lampes de bureau braquées sur son suspect numéro un.

    — C’est vrai. Pourquoi c’est si pressant, pourquoi ça t’occupe pendant toute une soirée, pourquoi ça t’empêche d’aller au resto avec Thierry et moi ?

    Cass ouvre la bouche, la referme, tire sur son chandail et fait cliqueter ses ongles sur la tasse à mesurer.

    — J’ai vraiment envie de te dire que ce ne sont pas de tes oignons…

    — Ouais ! renchérit aussitôt Thierry en gonflant le torse. Cassy a des muffins à faire, that’s it. Arrête de la harceler avec ça !

    Une lueur de meurtre passe dans les yeux de Miro. Sous son crâne, un vent se lève. Des tambours entonnent un hymne guerrier. Un cri retentit sur la plaine et Miro trace deux lignes écarlates sur ses joues. Il empoigne le manche d’une hache enterrée sous un arbre centenaire, puis…

    — Bah, ça va…, assure Cassandra, sans savoir qu’elle vient de désamorcer encore une autre explosion. Les muffins, c’est pour le spectacle de ma cousine. Elle va réciter de la poésie pour son numéro et je lui ai promis de l’aider à préparer la soirée.

    Cassandra lève les yeux au ciel.— Elle ferait n’importe quoi pour des points sup-

    plémentaires sur son bulletin. En plus des muffins qu’elle m’a commandés, elle va concocter des tisanes,

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    Cazeault / Belzil / Doucet

    chanter a cappella pendant l’entracte et offrir un ser-vice de massage pour les professeurs juste avant la représentation. Si elle n’a pas une note parfaite, elle va flipper…

    — Eh bien, s’enthousiasme Thierry. Une soirée muffin-poésie, c’est en plein mon genre de programme !

    C’est Miro qui flippe le premier.— T’es pas sérieux ? Tu ne veux pas vraiment

    passer ta soirée à écouter des poèmes de gamines de deuxième secondaire, hein ?

    Puis c’est au tour de Cassandra. À la voir s’animer ainsi, il n’est pas du tout nécessaire de s’intro- duire sous sa cage thoracique pour deviner que son cœur s’emballe (l’idée est tentante, mais nous avons un budget limité pour ce genre d’effets spéciaux).

    — Non ! Non, non, non, non ! Vous allez vous ennuyer. Vraiment. Ses poèmes sont super nuls. Méga emmerdant.

    Elle se retourne, renverse la pyramide de boîtes de Kraft Dinner dans le garde-manger, puis trouve le sucre. Cassandra en verse une tonne dans sa tasse, puis file vers la porte.

    — Tu sais que là, t’es super louche ? commente Miro en s’accrochant à la table du salon pour ne pas être emporté par l’ouragan. Qu’est-ce que tu ne nous dis pas ?

  • 15

    Blé sur la route

    Déjà, Cass disparaît par l’embrasure, ses cheveux formant une crinière blonde derrière sa tête. Thierry la poursuit et dérape sur le carrelage du corridor.

    — Attends ! J’adore les gamines et la poésie !— Ah, oui, se moque Miro en refermant la porte.

    Tes deux passions enfin réunies…Il suit le bruit des pas de Thierry et la piste de

    sucre que laisse Cass en fuyant vers la cage d’escalier.

    — Je peux aider pour les massages ! entend-il alors qu’il pose le pied sur la première marche.

    Miro soupire et secoue la tête. Quand il passe devant l’appartement de la vieille madame Crawford, qui, on s’en doute, écornifle dans le couloir, il offre un clin d’œil à la porte. Il ne sait jamais vraiment quelle émotion il déclenche chez elle quand la vieille s’empourpre et mord ses lèvres sous sa moustache poilue, mais ça l’amuse toujours autant.

    — Je vais crémer les cupcakes, dessiner des cœurs dessus, n’importe quoi !

    Appuyée contre le mur, Cassandra paraît étudier la possibilité d’assommer Thierry avec sa tasse à mesurer. Elle ressemble à une musaraigne acculée dans un coin, coincée par… un fou furieux en che-mise ouverte et aux yeux déments.

    — Bon, crache le morceau, Cassy, s’en mêle Miro en approchant tranquillement. Qu’est-ce que tu nous caches ?

  • 16

    Cazeault / Belzil / Doucet

    Cassandra jette les yeux vers la droite, à l’autre bout du corridor, puis se gratte la nuque.

    — Je vais accompagner Josianne, ma cousine, au piano pendant la lecture de ses poèmes…

    — Mais c’est génial ! explose Thierry.— Je ne voulais pas que vous sachiez ! C’est

    vraiment nul. Ça n’accote pas du tout les mor- ceaux que vous mettez sur YouTube. Ce n’est rien d’extraordinaire.

    Son regard oscille entre les deux garçons, guet-tant une nouvelle réaction.

    Un sourire naît sur les lèvres de Miro, s’étire, croît. Il grandit jusqu’à éclipser toute autre chose dans le champ de vision de Cassandra, dont la tem-pérature corporelle approche le point de fusion.

    — Bah, maintenant qu’on sait ça, dit Miro en glissant les mains derrière sa tête, c’est sûr qu’on va assister à ce spectacle.

  • 275

    Averia

    Le cours d’arts martiaux tirait à sa fin. Agenouillée, en position de prière, je tâchai d’étirer mes membres et de délier mes muscles. Le maître compta jus- qu’à 15, puis je m’allongeai dans l’autre sens, ressen-tant une intense sensation de brûlure dans mes cuisses. Après un autre décompte, je changeai une nouvelle fois de position, m’assoyant directement contre le tapis de plastique usé qui recouvrait le sol de ce dojo improvisé. J’agrippai aisément mes orteils et, pliée en deux, je respirai profondément.

    Une zone de la grosseur d’un poing pulsait d’une douleur lancinante sur ma joue gauche. À coup sûr, une vilaine ecchymose allait colorer mon visage, ce qui ne manquerait pas d’agacer mon père et d’attiser les moqueries de mes collègues, ce soir. Alors que je tâchais de me concentrer sur ma respiration, le res-ponsable de cette contusion ne cessait de me chu-choter ses excuses.

    — Hé, Seki, vraiment, je suis désolé, répéta-t-il pour une énième fois.

    — Ça va, le chassai-je. C’était un accident.Notre maître ne nous apprenait que rarement des

    techniques de combat à proprement parler. Il préfé-rait nous soumettre à d’exténuants exercices d’endu-rance et exiger de nous des efforts surhumains, sans doute pour éviter ce genre de maladresses.

    — Je m’excuse, reprit Braï.

  • Poursuivez l’aventure sur la route et retrouvez Blé avec leur tout premier album

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