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5 2009/1 PROFESSION Du blanchiment d’avantages patrimoniaux illicites par le biais des honoraires des experts-comptables et des conseils fiscaux (bis ) Jan Van Droogbroeck 1 Juriste à l’OCSC 1. Le risque de poursuites pénales pour cause de blanchiment 1 a) L’infraction de blanchiment (article 505 du Code pénal) Le blanchiment, c’est l’exécution d’une succession de transactions avec le produit d’une autre infraction dans le but d’en dissimuler l’origine illicite et d’en permettre une utilisation légale. 2 1 L’auteur est juriste auprès de l’institution Organe central pour la saisie et la confiscation (OCSC) au sein du ministère public et ancien membre du service juridique de l’Institut des Experts-comptables et des Conseils fiscaux (IEC). Les positions défendues dans le présent article n’engagent nullement l’IEC ou l’OCSC. L’article 505, alinéas 1 er , 2°, 3° et 4°, du Code pénal (ci- après « C. pén. ») distingue trois infractions de blanchi- ment : le fait d’avoir acheté, reçu en échange ou à titre gratuit, possédé, gardé ou géré des avantages patrimoniaux illici- tes, bien qu’ils en connaissaient ou devaient en connaî- tre l’origine dès le début de ces opérations (le « recel élargi » ou la « première infraction de blanchiment ») ; – le fait d’avoir converti ou transféré des avantages patri- moniaux illicites dans le but de dissimuler ou de déguiser leur origine illicite, ou d’aider toute personne qui est im- pliquée dans la réalisation de l’infraction d’où provien- nent ces avantages patrimoniaux à échapper aux consé- quences juridiques de ses actes (la « deuxième infraction de blanchiment ») ; 2 Voyez J.-F. GODBILLE, « Les aspects répressifs : l’infraction de blanchiment dans le secteur financier », in Blanchiment : la situation des entreprises, des organismes et de leurs conseillers, Bruxelles, Kluwer, 2004, p. 68. L’auteur a publié, dans Accountancy & Tax n° 2/2007, un article consacré au même sujet. Il y examinait dans quelle mesure un expert-comptable externe ou un conseil fiscal externe risque des poursuites pénales comme « blanchisseur » (article 505 C. pén.) lorsqu’un client lui a payé ses honoraires au moyen de fonds retirés d’activités illicites et comment le professionnel peut se prémunir face à ce risque. Vu les récents développements de la législation, de la jurisprudence et de la doctrine, l’auteur a jugé bon d’actualiser son précédent article. Enfin, il recherche également dans quelle mesure le professionnel peut récupérer ses honoraires.

Blanchiment d'avantages patrimoniaux ... - iec-iab.be · fiscaux (IEC). Les positions défendues dans le présent article n’engagent ... 6 Cass., 28 novembre 2006, R.G. n° P.06.1129.N,

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Du blanchiment d’avantages patrimoniaux illicites par le biais des honoraires des experts-comptables et des conseils fiscaux (bis)Jan Van Droogbroeck1

Juriste à l’OCSC

1. Le risque de poursuites pénales pour cause de blanchiment1

a) L’infraction de blanchiment (article 505 du Code pénal)

Le blanchiment, c’est l’exécution d’une succession de transactions avec le produit d’une autre infraction dans le but d’en dissimuler l’origine illicite et d’en permettre une utilisation légale.2

1 L’auteur est juriste auprès de l’institution Organe central pour la saisie

et la confiscation (OCSC) au sein du ministère public et ancien membre

du service juridique de l’Institut des Experts-comptables et des Conseils

fiscaux (IEC). Les positions défendues dans le présent article n’engagent

nullement l’IEC ou l’OCSC.

L’article 505, alinéas 1er, 2°, 3° et 4°, du Code pénal (ci-après « C. pén. ») distingue trois infractions de blanchi-ment :– le fait d’avoir acheté, reçu en échange ou à titre gratuit,

possédé, gardé ou géré des avantages patrimoniaux illici-tes, bien qu’ils en connaissaient ou devaient en connaî-tre l’origine dès le début de ces opérations (le « recel élargi » ou la « première infraction de blanchiment ») ;

– le fait d’avoir converti ou transféré des avantages patri-moniaux illicites dans le but de dissimuler ou de déguiser leur origine illicite, ou d’aider toute personne qui est im-pliquée dans la réalisation de l’infraction d’où provien-nent ces avantages patrimoniaux à échapper aux consé-quences juridiques de ses actes (la « deuxième infraction de blanchiment ») ;

2 Voyez J.-F. GODBILLE, « Les aspects répressifs : l’infraction de

blanchiment dans le secteur financier », in Blanchiment : la situation des

entreprises, des organismes et de leurs conseillers, Bruxelles, Kluwer, 2004,

p. 68.

L’auteur a publié, dans Accountancy & Tax n° 2/2007, un article consacré au même sujet. Il y examinait dans quelle mesure un expert-comptable externe ou un conseil fiscal externe risque des poursuites pénales comme « blanchisseur » (article 505 C. pén.) lorsqu’un client lui a payé ses honoraires au moyen de fonds retirés d’activités illicites et comment le professionnel peut se prémunir face à ce risque. Vu les récents développements de la législation, de la jurisprudence et de la doctrine, l’auteur a jugé bon d’actualiser son précédent article. Enfin, il recherche également dans quelle mesure le professionnel peut récupérer ses honoraires.

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– le fait d’avoir dissimulé ou déguisé la nature, l’origine, l’emplacement, la disposition, le mouvement ou la pro-priété d’avantages patrimoniaux illicites, bien qu’ils en connaissaient ou devaient en connaître l’origine dès le début de ces opérations (la « troisième infraction de blan-chiment »).

La loi pénale requiert l’illicéité de la provenance ou de l’origine de l’avantage patrimonial. Sont illicites les avanta-ges patrimoniaux directement tirés d’une infraction (avan-tages patrimoniaux primaires ou directs), les biens et les valeurs qui s’y substituent ensuite (avantages patrimoniaux de substitution ou secondaires) ou les revenus qui provien-nent du placement de ces avantages (avantages patrimo-niaux tertiaires).3 Toutes les infractions peuvent en principe constituer des infractions sous-jacentes, génératrices d’avan-tages patrimoniaux à blanchir (infractions de base), à l’ex-ception de la « fraude fiscale ordinaire » (cf. infra).

Le Code pénal ne définit pas exactement la notion « d’avantage patrimonial ». Celle-ci est en tout cas très large. D’après la Cour de cassation, les avantages patrimoniaux directement tirés de l’infraction englobent tant les biens et valeurs que tout avantage économique provenant d’une in-fraction, même s’ils ne peuvent faire l’objet d’une identifi-cation dans le patrimoine.4 Cette définition correspond à la notion de « produit » dont se sert la Convention sur le blan-chiment du Conseil de l’Europe5, à savoir « tout avantage économique tiré d’infractions pénales ». Tant un accroisse-ment du patrimoine par l’apport de nouveaux actifs que des économies de coûts réalisées par la violation d’obligations punissables, comme la fraude fiscale, produisent un avan-tage patrimonial.

3 Application conjointe des articles 42, 3°, et 505 C. pén. Voyez aussi

Cass., 21 mars 2006, R.G. n° P.06.0034.N, www.juridat.be.4 Cass., 8 novembre 2005, R.G. n° P.05.0996.N, www.juridat.be.5 Convention du 8 novembre 1990 relative au blanchiment, au

dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime.

La partie poursuivante (le ministère public) doit prouver (1) l’existence d’un acte de blanchiment interdit par la loi pénale (le fait d’avoir acheté, reçu, possédé, etc.), (2) l’origine illicite ou délictueuse des avantages patrimoni-aux qui font l’objet de l’acte de blanchiment, (3) la connaissance qu’en a l’auteur, et (4) l’existence de cette connaissance au moment où est commis l’acte de blanchiment punissable.

La preuve de la provenance illicite ou délictueuse est rap-portée lorsque, sur la base d’éléments de fait, toute origine légale des avantages patrimoniaux peut être exclue avec cer-titude.6 La loi ne requiert pas l’identification du délit exact qui a généré les avantages patrimoniaux illicites.7 D’après une certaine doctrine, l’absence d’identification de l’infrac-tion de base par le parquet viole le droit du prévenu d’être informé des faits dont on l’accuse (article 6.3.a CEDH et ar-ticle 14.3.a CIPO).8

Quant à la connaissance de l’auteur, il faut au moins, mais il suffit, que le blanchisseur ait connu ou ait dû connaître l’origine délictueuse ou la provenance illicite des avantages patrimoniaux, sans qu’il ait dû toujours en connaître l’ori-gine ou la provenance exactes, à la condition qu’il aurait dû savoir, dans les circonstances de fait où il a effectué les opé-rations de blanchiment, que les avantages patrimoniaux blanchis ne pouvaient avoir d’autre origine qu’une origine délictueuse ou une provenance illicite.9 On ne peut toute-fois pas déduire des termes « devait connaître » qu’utilise le législateur que l’auteur peut commettre l’acte punissable par inadvertance. L’article 505 C. pén. requiert en effet un acte de blanchiment intentionnel. Les termes « devait connaître » ne portent pas sur le contenu de l’élément mo-ral de l’infraction (intention ou inadvertance), mais bien

6 Cass., 28 novembre 2006, R.G. n° P.06.1129.N, www.juridat.be.7 Cass., 21 juin 2000, R.G. n°s P.99.1285.F, P.00.0351.F et P.00.0856.F,

www.juridat.be (1re infraction de blanchiment) ; Cass., 9 mai 2006,

R.G. n° P.06.0242.N, www.juridat.be et Cass., 25 septembre 2001, R.G.

n° P.01.0725.N, www.juridat.be (2e et 3e infractions de blanchiment).8 R. VERSTRAETEN et D. DEWANDELEER, « Uitwassen van witwassen »,

in Strafrecht als roeping. Liber amicorum Lieven Dupont, vol. 1, Leuven,

Universitaire Pers Leuven, 2005, pp. 242-243 et B. SPRIET, « De

preventieve en repressieve witwaswetgeving, mede na de wet van

12 januari 2004 », dans Financiële wetgeving : de tussenstand 2004,

Kalmthout, Biblo, 2005, pp. 213-214 (n° 16). Contra : Cass., 9 mai 2006,

R.G. n° P.06.0242.N, www.juridat.be.9 Cass., 19 septembre 2006, R.G. n° P.06.0608.N, www.juridat.be.

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sur la preuve de son existence. La connaissance de l’origine ou de la provenance illicites peut aussi être déduite de cir-constances de fait objectives qui auraient dû susciter une certaine méfiance chez l’auteur de l’infraction de blanchi-ment.10 Prenons quelques exemples de « circonstances de fait » dont le blanchisseur doit déduire l’origine illicite des avantages patrimoniaux. La situation dans laquelle le client paraît vivre au-dessus de son rang, compte tenu des activités professionnelles qu’il exerce, est un indicateur d’une opéra-tion de blanchiment d’après la Cellule de traitement des informations financières (ci-après « CTIF »). Il en va de même si les moyens provenant de l’activité professionnelle ne sont pas en rapport avec le secteur dans lequel le client exerce son activité économique.11 L’utilisation de petites coupures lors de paiements peut indiquer qu’il s’agit de pro-duits d’un commerce de drogue.12 Ce moyen de preuve est admis par les conventions internationales de lutte contre le blanchiment que doit respecter la Belgique.13 La seconde in-fraction de blanchiment requiert en outre que le ministère public prouve le « dol spécial » de l’auteur. Il doit commet-tre l’acte de blanchiment dans l’intention de dissimuler la provenance illicite des avantages patrimoniaux ou d’aider l’auteur de l’infraction sous-jacente à se soustraire aux pour-suites pénales. Pour les autres infractions de blanchiment, il suffit que l’auteur commette l’acte de blanchiment inten-tionnellement (« dol général »). Ses motifs ne sont pas per-tinents en ce qui concerne l’existence de l’infraction ; ils le sont par contre en ce qui concerne la détermination de la peine, à titre de circonstance atténuante (absence de but de lucre, par exemple).

Pour la Cour de cassation, avons-nous dit, la preuve de l’origine illicite des avantages patrimoniaux et de la connais-

10 A. DE NAUW, Inleiding tot het bijzonder strafrecht, Malines,

Kluwer, 2005, p. 321 ; G. STESSENS, « De Belgische strafrechtelijke

witwaswetgeving », dans Tien jaar witwasbestrijding in België en in

de wereld, Bruxelles, Bruylant, 2003, p. 55 ; J. SPREUTELS et Ph. DE

MUELENAERE (dir.), La Cellule de traitement des informations financières

et la prévention du blanchiment de capitaux en Belgique, Bruxelles,

Bruylant, 2003, p. 32.11 CTIF, Les indicateurs d’opérations de blanchiment, Bruxelles, 2007,

www.ctif-cfi.be.12 Corr. Bruxelles, 16 septembre 1999, inéd., cité par J. SPREUTELS et

Ph. DE MUELENAERE (dir.), La Cellule de traitement des informations

financières et la prévention du blanchiment de capitaux en Belgique,

Bruxelles, Bruylant, 2003, p. 275.13 Voyez la note n° 20.

sance qu’en avait l’auteur ne requiert pas l’identification de l’infraction qui a généré les avantages patrimoniaux illici-tes. On peut toutefois s’interroger sur la valeur qu’a encore la jurisprudence de la Cour après l’entrée en vigueur de la loi du 10 mai 2007 portant diverses mesures en matière de recèlement et de saisie. Avant, toute infraction pouvait en principe être retenue comme infraction de base d’une opé-ration de blanchiment. Aux termes de la loi précitée, toute-fois, le blanchiment d’avantages patrimoniaux retirés d’une « fraude fiscale ordinaire » n’est plus punissable, sous certai-nes conditions (cf. infra). Si des poursuites sont intentées pour des faits de blanchiment consécutifs à une infraction de base de fraude fiscale, le juge répressif devra vérifier in concreto s’il s’agit d’une « fraude ordinaire » ou d’une « frau-de grave et organisée », ce qui l’oblige de facto à identifier les faits sous-jacents.14

La règle d’après laquelle la connaissance de la provenance illicite des avantages patrimoniaux doit préexister au mo-ment où débutent les actes de blanchiment ou tout au moins coïncider avec lui ne s’applique qu’à la première et à la troisième infractions de blanchiment. Cette règle découle de l’adage mala fides superveniens non nocet (« la mauvaise foi qui survient – par la suite – ne nuit pas »). En pratique, elle n’aura d’importance que si l’acte de blanchiment a intrinsè-quement un caractère continu : par exemple, le fait de « posséder », « gérer » ou encore « garder ». Tel n’est pas le cas pour « l’achat » ou « l’échange », qui présentent plutôt un caractère instantané. La première infraction de blanchi-ment, elle, est « mixte », tandis que la troisième infraction de blanchiment (« dissimuler » et « déguiser ») présente un caractère clairement continu.15 La deuxième infraction de blanchiment (« convertir » ou « transférer ») est à qualifier

14 F. DESTERBECK et Th. LOqUET, « Witwassen… de wetgever zit niet

stil. De wet van 10 mei 2007 », R.W., 2007-2008, pp. 1487 (n° 18) et

1489 (n° 26). Voyez aussi CTIF, 14e Rapport d’activités – 2007, Bruxelles,

2008, p. 12. Voyez aussi R. VERSTRAETEN et D. DEWANDELEER,

« Repressieve en preventieve witwaswetgeving na de Wetten van

27 april 2007 en 10 mei 2007 », N.C., 2008, pp. 19-20 (n° 41).15 F. DERUyCK, « Witwassen : recente ontwikkelingen », in Recente

ontwikkelingen van het strafrecht, Bruxelles, Larcier, 2008, p. 360 (n° 32).

Voyez aussi A. DE NAUW, Initiation au droit pénal spécial, Waterloo,

Kluwer, 2008, n° 823.

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d’infraction discontinue (infraction instantanée).16 Il ressort des travaux préparatoires de la loi du 10 mai 2007, plus pré-cisément de la justification de l’amendement n° 5 approuvé, déposé par Monsieur Mahoux17, qui définit la première et la troisième infractions de blanchiment, que l’intention du législateur a été de ne faire une infraction continue que de certains actes de blanchiment visés par la première infrac-tion de blanchiment (gérer, posséder et garder). L’introduc-tion de la règle de la connaissance préexistante ou simulta-née de la provenance illégale des avantages patrimoniaux blanchis apparaissait nécessaire au législateur pour deux motifs. D’une part, il voulait éviter le « caractère dispropor-tionné » d’une infraction continue. Il songeait, ce faisant, à l’hypothèse du tiers qui est de bonne foi au moment où il a pris possession des avantages patrimoniaux et n’en a décou-vert la provenance illicite que durant sa détention, sa pos-session ou sa gestion. À la suite de cette découverte, ce tiers se rendrait coupable d’une infraction de blanchiment et ne pourrait se défaire de ces avantages patrimoniaux sans com-mettre une nouvelle infraction de blanchiment. La loi ne garantit toutefois l’impunité à l’intéressé qui a connaissance a posteriori de l’origine illicite des biens que s’il s’est conten-té de les détenir, sans poser de nouveaux actes de blanchi-ment. L’impunité n’est toutefois garantie par la loi que si l’intéressé qui prend connaissance a posteriori de l’origine illicite des biens, se contente de les détenir, sans poser de nouveaux actes de blanchiment.18 Il n’est toutefois pas exclu que l’intéressé, même s’il ne pose pas de nouveaux actes de blanchiment, puisse dissimuler ou déguiser l’origine des biens (commettant alors la troisième infraction de blanchiment).19 D’autre part, le législateur a voulu égale-ment mettre cette disposition pénale en conformité avec la 3e directive européenne antiblanchiment, qui situe l’élé-ment de la connaissance dans les cas « d’acquisition », de « détention » ou « d’utilisation » des avantages patrimo-

16 D. LIBOTTE et H. VAN BAVEL, « Het wel en wee van het

witwasmisdrijf », T. Strafr., 2007, p. 350 (n° 14).17 Projet de loi modifiant l’article 505 du Code pénal et l’article 35 du

Code d’instruction criminelle à propos de la confiscation applicable en

cas de recèlement, Doc. parl., Sén., sess. ord. 2006-2007, n° 3-1610/6,

p. 2.18 CTIF, 14e Rapport d’activités – 2007, Bruxelles, 2008, p. 14.19 A. DE NAUW, Initiation au droit pénal spécial, Waterloo, Kluwer,

2008, n° 823 ; R. VERSTRAETEN et D. DEWANDELEER, « Repressieve

en preventieve witwaswetgeving na de wetten van 27 april 2007 en

10 mei 2007 », N.C., 2008, pp. 4-5 (n° 8).

niaux au moment de leur réception.20 Durant les travaux parlementaires de la loi du 10 mai 2007, le gouvernement a déclaré qu’il voulait préciser le caractère continu de la deuxième infraction de blanchiment.21 Lorsque les travaux parlementaires et le texte même de la loi se contredisent, le principe d’interprétation qui prévaut est le suivant : on ne peut alléguer les travaux parlementaires préparatoires d’une loi à l’encontre du texte clair et net de celle-ci.22

Il est juridiquement possible de cumuler la qualité d’auteur de l’infraction de base et celle d’auteur de l’infraction de blanchiment. Pour la première infraction de blanchiment, cependant, uniquement dans la mesure où l’infraction de base a été commise à l’étranger et où il n’est pas possible de la poursuivre en Belgique.

b) L’immunité du blanchiment consécutif à une « fraude fiscale ordinaire » (infraction de base)

Avant la modification législative du 10 mai 2007, la loi pénale n’excluait aucune infraction de base : toutes les in-fractions du Code pénal ou des lois pénales particulières qui généraient des avantages patrimoniaux à blanchir entraient en ligne de compte. La loi du 10 mai 2007 portant diverses mesures en matière de recèlement et de saisie a limité le champ d’application de l’article 505 C. pén., pour ce qui concerne les infractions fiscales de base, à la « fraude fiscale grave et organisée qui met en œuvre des mécanismes com-plexes ou qui use de procédés à dimension internationale ». La conséquence, c’est que le blanchiment des avantages pa-trimoniaux provenant de la « fraude fiscale ordinaire » a cessé d’être punissable.

Pour pouvoir invoquer cette immunité, l’expert-comptable ou le conseil fiscal doit remplir les conditions suivantes :

20 Voyez l’article 1 de la directive 2005/60/C.E. du Parlement européen

et du Conseil du 26 octobre 2005 relative à la prévention de l’utilisation

du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du

financement du terrorisme. Voyez aussi l’article 6 de la Convention

du 15 novembre 2000 sur la criminalité transnationale organisée

(ONU) et l’article 6 de la Convention du 8 novembre 1990 relative au

blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits

du crime (Conseil de l’Europe).21 Projet de loi portant diverses mesures en matière de recèlement et de

saisie, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2006-2007, n° 1603/6, p. 3.22 Cass., 22 décembre 1994, Arr. Cass., 1994, II, p. 1149 et R.W., 1995-

1996, p. 394.

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1° L’immunité ne vaut que pour la première et la troisième infractions de blanchiment, pas pour la deuxième, qui re-quiert un dol spécial (cf. supra).

2° L’auteur du délit de blanchiment n’est pas impliqué comme auteur, coauteur ou complice de l’infraction fiscale de base (fraude fiscale ordinaire).

3° L’expert-comptable externe et/ou le conseil fiscal ex-terne s’est conformé, vis-à-vis des « faits visés », à son obli-gation légale de communication des opérations susceptibles d’être liées au blanchiment « d’avantages patrimoniaux pro-venant d’une fraude fiscale grave et organisée », en ce inclus les indicateurs de blanchiment établis par arrêté royal.23

Que sont ces « faits visés » dont parle le législateur ? Cela n’apparaît pas clairement. Veut-il dire par là que le parquet peut poursuivre un professionnel au pénal pour des opéra-tions de blanchiment liées à une fraude ordinaire du fait qu’il n’aurait pas rempli son obligation légale d’information de la CTIF, qui n’a toutefois trait qu’à une « fraude fiscale grave et organisée » ? Interprété dans ce sens, F. Desterbeck aurait alors raison quand il considère cette condition com-me une « coquille vide ».24

Il n’est pas purement imaginaire que le quatrième alinéa de l’article 505 C. pén. reflète le compromis politique con-clu entre les parties du gouvernement Verhofstadt II de l’époque, dans lequel l’instauration d’une immunité pour le blanchiment d’avantages patrimoniaux, lorsque l’infraction de base est une fraude fiscale ordinaire, a été « compensée » par l’instauration d’une obligation d’information « renfor-cée » pour les opérations de blanchiment liées à une fraude grave et organisée. Les professionnels du chiffre ont été « responsabilisés » dans la lutte contre la fraude fiscale par la menace de poursuites pénales, quand l’infraction de base dont découle le blanchiment est une fraude fiscale ordinai-

23 Article 14quinquies de la loi du 11 janvier 1993 relative à la prévention

de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux

et du financement du terrorisme et l’arrêté royal du 3 juin 2007 portant

exécution de l’article 14quinquies de la loi du 11 janvier 1993 relative à la

prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment

de capitaux et du financement du terrorisme (« arrêté royal sur les

indicateurs »).

re, s’ils ne respectent pas scrupuleusement leur obligation d’information du blanchiment d’avantages patrimoniaux provenant de la fraude fiscale grave et organisée. La mesure instaurée par le législateur ne contribuera toutefois pas à « responsabiliser » tous les professionnels du chiffre dans le cadre de la lutte contre la « fraude fiscale grave et orga-nisée ». Outre les conseils fiscaux externes, membres de l’Institut des Experts-comptables et des Conseils fiscaux (IEC), d’autres personnes sont aussi fondées à exercer les ac-tivités professionnelles d’un conseil fiscal. Il s’agit, d’une part, des conseils fiscaux membres de l’IEC mais qui exer-cent la profession dans des entreprises privées dans le cadre d’un contrat de travail (« conseils fiscaux internes ») et, d’autre part, des professionnels indépendants de la fiscalité qui ne sont membres d’aucun institut professionnel. Le lé-gislateur n’a en effet protégé pénalement que le titre de conseil fiscal au bénéfice des membres de l’IEC, mais n’a pas jugé opportun de monopoliser ses activités professionnel-les. Ces deux catégories n’ont pas d’obligation d’information vis-à-vis de la CTIF. Les personnes qui, en vertu d’un contrat de travail, exercent une profession comptable dans une en-treprise, n’ont pas non plus d’obligation d’information vis-à-vis de la CTIF, même si elles sont membres de l’IEC (« experts-comptables internes »).24

Une autre question se pose : comment un expert- comptable externe ou un conseil fiscal externe poursuivi au pénal pour des opérations de blanchiment, durant un pro-cès pénal public et donc en présence de tiers, alors que l’in-fraction de base est une « fraude fiscale ordinaire », peut-il prouver qu’il a bien respecté son obligation d’information, sans contrevenir ce faisant à l’interdiction de communiquer à des tiers (tipping off) les déclarations qu’il a faites à la CTIF ?

24 F. DESTERBECK, « Aanwezigheid van fraude-indicator moet steeds

aan CFI gemeld worden », Fiscale Actualiteit, 2007, n° 37, p. 3 et

F. DESTERBECK, « De nieuwe regeling inzake witwassen en fiscale

fraude », note sous Corr. Hasselt, 4 avril 2007, T.F.R., 2007, p. 856.

Voyez aussi CTIF, 14e Rapport d’activités – 2007, Bruxelles, 2008, p. 11.

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F. Desterbeck relève en outre que la loi antiblanchiment sanctionne déjà le non-respect de l’obligation d’informa-tion, plus précisément par une amende administrative qui peut aller jusqu’à 1 250 000 euros. Une sanction administra-tive qui a, d’après la Cour constitutionnelle, un « caractère répressif prédominant ».25

Le professionnel qui ne remplit pas son obligation d’infor-mation risque donc d’encourir une double sanction : d’une part, une amende administrative à caractère répressif appli-quée par ses autorités disciplinaires en raison de son non-respect de ladite obligation d’information et, d’autre part, une sanction pénale appliquée par le juge répressif dans le cadre de la poursuite du blanchiment d’avantages patrimo-niaux provenant d’une « fraude fiscale ordinaire ». Cette double condamnation ne viole-t-elle pas le principe général de droit du non bis in idem (« pas deux fois pour la même chose ») ? Il y a violation de ce principe quand une même personne, après avoir déjà été condamnée en raison d’un comportement, est à nouveau poursuivie, en raison du même comportement, pour des infractions dont les élé-ments essentiels sont identiques.26 Il n’est pas sûr que le principe non bis in idem soit ici violé. Il n’y a pas de viola-tion, car les éléments essentiels des deux infractions ne sont pas identiques. L’amende administrative sanctionne une in-fraction à l’obligation d’information et la sanction pénale sanctionne une opération de blanchiment, pour laquelle l’infraction de base est une fraude fiscale ordinaire.

4° L’opération de blanchiment se rapporte à des avantages patrimoniaux qui ne proviennent pas d’une « fraude fiscale grave et organisée ».

La loi même ne définit pas cette notion de « fraude fiscale grave et organisée ». Le législateur l’explicite par contre dans les travaux parlementaires préparatoires de la loi du 7 avril 1995 modifiant la loi du 11 janvier 1993 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux.27 La gravité de la fraude transpa-

25 C. const., 10 juillet 2008, n° 102/2008, M.B., 6 août 2008

(considérant B.6).26 C. const., 18 juin 2008, n° 91/2008, www.courconstitutionnelle.be.

(considérants B.9 et B.10).27 R. VERSTRAETEN et D. DEWANDELEER, « Uitwassen van witwassen »,

dans Strafrecht als roeping. Liber amicorum Lieven Dupont, vol. 1, Leuven,

Universitaire Pers Leuven, 2005, p. 247.

raît dans l’établissement et dans l’utilisation de faux docu-ments, dans la corruption de fonctionnaires publics et dans l’ampleur du préjudice causé au Trésor et à l’ordre socioéco-nomique. La fraude est « organisée » si le fraudeur utilise des techniques telles que des sociétés-écrans, des hommes de paille, des constructions juridiques complexes et de multi-ples comptes bancaires pour des transferts d’argent interna-tionaux (« comptes de passage »). Le législateur et la doctri-ne citent souvent le carrousel TVA comme exemple d’une fraude grave et organisée. Le législateur explicite à nouveau cette notion de « fraude fiscale grave et organisée » dans les travaux parlementaires préparatoires de la loi-programme du 27 avril 2007, qui instaure l’obligation d’information des opérations de blanchiment liées à de telles formes de fraude fiscale.28 Pour le législateur, la « fraude fiscale grave et orga-nisée » est « celle qui consiste en un évitement ou un rem-boursement illicite d’impôts, réalisé à l’appui d’un faux en écriture, commise en exécution d’un montage initié à cette fin, comportant une succession de transactions et/ou l’in-tervention d’un ou plusieurs intermédiaires, ainsi que le re-cours, au plan national ou international, à des mécanismes de simulation ou de dissimulation, notamment des structu-res sociétaires ou des constructions juridiques ». Le caractère grave de la fraude transparaît de « la confection et/ou l’usa-ge de faux documents, du montant élevé de la transaction et du caractère anormal de ce montant, eu égard aux activi-tés ou à l’état de fortune du client ». Le caractère organisé de la fraude transparaît de « l’utilisation d’un montage qui pré-voit des transactions successives et/ou l’intervention d’un ou plusieurs intermédiaires, dans lequel sont utilisés soit des mécanismes complexes, soit des procédés à dimension in-ternationale (même s’ils sont utilisés au niveau national). Les mécanismes complexes se traduisent par l’usage de mé-canismes de simulation ou de dissimulation faisant appel notamment à des structures sociétaires ou des constructions juridiques ».

En l’absence d’une définition légale du phénomène de la « fraude grave et organisée », il ne sera pas toujours facile,

28 Projet de loi-programme, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2006-2007,

n° 3058/1, pp. 51 et 52.

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dans la pratique, de la distinguer de la « fraude fiscale ordi-naire ». De ce fait, on peut se demander si cette vague noti-on de « fraude grave et organisée » n’est pas contraire au principe de la lex certa. D’après ce principe, le législateur pénal doit formuler une infraction en des termes suffisam-ment précis, clairs et offrant la sécurité juridique dans le texte de la disposition pénale, pour que chacun sache d’avance si ses comportements sont conformes ou non à la loi pénale. En outre, cette formulation ne doit pas laisser au juge pénal un trop grand pouvoir d’appréciation dans l’interprétation de la loi pénale. Si une loi pénale ne remplit pas ces conditions de précision, clarté et prévisibilité, la Cour constitutionnelle29 jugera qu’elle viole les articles 12 et 14 de la Constitution (principe de légalité)30, à la suite de quoi il ne sera plus possible de poursuivre les infractions à la disposition pénale inconstitutionnelle. Le Plan d’action 2008-2009, qu’a établi le Collège pour la lutte con-tre la fraude fiscale et sociale créé par le gouvernement fédé-ral, veut insérer une définition de la fraude fiscale grave et organisée dans la loi pénale. Le secrétaire d’État à la Coordi-nation de la lutte contre la fraude a récemment encore con-firmé cette intention durant la discussion parlementaire du budget fédéral pour l’année 2009.31

c) Application de l’article 505 C. pén. au blanchiment d’avantages patrimoniaux illicites par le biais des honoraires du professionnel

La doctrine32 et le législateur33 reconnaissent qu’il existe un risque de voir le paiement et la réception d’honoraires de

29 C. constit., 30 octobre 2008, n° 143/2008, www.courconstitutionnelle.

be.30 Art. 12 Const. : « Nul ne peut être poursuivi que dans les cas prévus

par la loi, et dans la forme qu’elle prescrit ». Art. 14 Const. : « Nulle

peine ne peut être établie ni appliquée qu’en vertu de la loi ».31 Projet de loi contenant le budget des voies et moyens et projet

de loi contenant le budget général des dépenses pour l’année

budgétaire 2009, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2008-2009, n° 1527/8,

pp. 164 et 166.32 Concernant les honoraires d’un avocat, voyez J.-F. GODBILLE,

« Les aspects répressifs : l’infraction de blanchiment dans le secteur

financier », dans Blanchiment : la situation des entreprises, des

organismes et de leurs conseillers, Bruxelles, Kluwer, 2004, p. 69 ;

D. VANDERMEERSCH et M.L. CESONI, « Le recel et le blanchiment »,

dans Les infractions contre les biens, Bruxelles, Larcier, 2008, pp. 515-

516 ; A. Risopoulos et O. Klees, « Le professionnel du conseil face au

titulaires de professions libérales au moyen d’argent du cri-me qualifiés de « blanchiment », surtout dans l’exercice de la profession d’avocat pénaliste. Une question se pose dès lors, à savoir dans quelle mesure un expert-comptable ou un conseil fiscal risque une condamnation pénale, pour une infraction de blanchiment, si un client fait appel à ses servi-ces professionnels (légaux) et veut rétribuer les prestations ainsi fournies avec de l’argent qu’il a gagné en commettant des infractions.33

La loi pénale est, sur ce point, formulée de façon si large que l’acceptation sans la moindre réserve d’argent prove-nant d’activités illicites en paiement d’honoraires rentre en principe aussi dans le champ d’application de la première infraction de blanchiment, pourvu que le professionnel ait connaissance de la provenance délictueuse de cet argent. On parle en l’occurrence d’« infraction de blanchiment croisée » dans la mesure où le professionnel et le client se rendent tous deux coupables d’une infraction de blanchi-ment. Le professionnel ne bénéficie pas d’une « immunité » pénale si les honoraires qu’il perçoit rétribuent des services comptables et fiscaux légaux qu’il a réellement prestés. Il n’est donc pas requis qu’il soit impliqué dans les activités criminelles de son client, par exemple en établissant de faux comptes annuels, en déposant de fausses déclarations fisca-les, en tenant des comptabilités occultes ou en organisant des carrousels TVA. Le montant des honoraires ne joue en principe pas non plus de rôle déterminant. Seule la prove-nance licite ou illicite des capitaux est déterminante. Le fait que les honoraires de la prestation fournie correspondent

blanchiment : approches préventive et répressive », dans Droit pénal

financier. Dirigeants d’entreprise, responsables publics et professionnels

du conseil face à la fraude, Louvain-la-Neuve, Anthemis, 2008, p. 51 ;

J. Stevens, « Over klikken en witwassen », Ad Rem, 2004, n° 1, pp. 36-

37 ; J. Stevens, Regels en gebruiken van de advocatuur te Antwerpen,

Malines, Kluwer, 1997, pp. 735-738 et Th. Afschrift, « L’avocat et le

blanchiment », dans Blanchiment : la situation des entreprises, des

organismes et de leurs conseillers, Bruxelles, Kluwer, 2004, pp. 303-304.

Concernant les honoraires d’un expert-comptable et d’un conseil fiscal,

voyez G. Delvaux, « Coresponsabilité et secret professionnel », dans Face

à la criminalité organisée en matière fiscale, Bruxelles, 2001, p. 116.33 Projet de loi modifiant les articles 42, 43 et 505 du Code pénal et

insérant un article 43bis dans le même Code, Rapport fait au nom de

la commission de la Justice par M. ERDMAN, Doc. parl., Sén., sess.

ord. 1989-1990, n° 890-2, p. 25 (honoraires d’un avocat pénaliste).

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ou non aux barèmes en usage parmi les titulaires des profes-sions comptables et fiscales est donc sans pertinence. Des honoraires non proportionnels à la prestation fournie peu-vent éventuellement constituer un indice d’une opération de blanchiment. Dans une lettre du 18 décembre 1993 au doyen de l’époque de l’Ordre national des avocats, le Procu-reur général Demanet déclarait, au nom du Collège des pro-cureurs généraux, que la perception d’honoraires « nor-maux » ou de provisions « normales » ne serait en principe pas poursuivie.34 Le fait que le client soit disposé à payer des honoraires substantiellement plus élevés que les honoraires usuels pour une « transaction inhabituelle » dans la relation entre le client et le professionnel peut constituer un indice d’une opération de blanchiment et justifier une déclaration à la Cellule de traitement des informations financières.35

La Cour de cassation a traité, en 2005, une affaire où un avocat avait été poursuivi pour blanchiment, car il avait perçu, en contrepartie de la défense de son client, de l’ar-gent que ce dernier avait retiré d’une infraction.36 Cette ju-risprudence peut s’appliquer mutatis mutandis aux experts-comptables et aux conseils fiscaux qui défendent ou assistent

34 Cité dans J. STEVENS, Regels en gebruiken van de advocatuur te

Antwerpen, Malines, Kluwer, 1997, n° 929.9 et Th. AFSCHRIFT, « L’avocat

et le blanchiment », in Blanchiment : la situation des entreprises, des

organismes et de leurs conseillers, Bruxelles, Kluwer, 2004, n° 19. Voyez

aussi A. RISOPOULOS et O. KLEES, « Le professionnel du conseil face

au blanchiment : approches préventive et répressive », dans Droit pénal

financier. Dirigeants d’entreprise, responsables publics et professionnels du

conseil face à la fraude, Louvain-la-Neuve, Anthemis, 2008, p. 51.

un contribuable poursuivi par le fisc ou la justice pour frau-de fiscale. Dans la phase administrative du contentieux fiscal, le professionnel fournira des conseils sur les aspects de droit comptable et fiscal du dossier, et pourra établir une réclamation ou représenter son client devant l’Administra-tion fiscale. Dans la phase judiciaire du litige fiscal, l’expert-comptable pourra en outre fournir au juge fiscal des explica-tions verbales ou écrites sur des éléments qui ont trait uniquement à des faits ou des questions juridiques relatifs à l’application du droit comptable. Peut remplir cette derniè-re mission l’expert-comptable qui est chargé habituellement de la comptabilité du contribuable, qui a collaboré à l’élabo-ration de la déclaration d’impôt litigieuse ou qui a assisté le contribuable durant la procédure administrative de récla-mation.37

d) Sanctions d’une infraction à l’article 505 C. pén.

Le professionnel qui a commis une infraction à l’arti-cle 505 C. pén. risque d’être condamné à des sanctions pé-nales, administratives et disciplinaires.

Sanctions pénales

L’article 505 C. pén. prévoit les sanctions pénales suivan-tes pour l’auteur reconnu coupable de l’infraction de blan-chiment :

1° Une amende de 26 euros à 100 000 euros et/ou un em-prisonnement de 15 jours à 5 ans. La tentative de la première infraction de blanchiment est punie d’un emprisonnement de 8 jours à 3 ans et/ou d’une amende de 26 à 50 000 euros. Les amendes sont majorées des décimes additionnels légaux (montant de base x 5,5). Le juge pénal peut aussi prononcer une peine alternative : il peut condamner le prévenu à une peine de travail (article 37ter C. pén.), uniquement cepen-dant si ce dernier y consent.

35 P. MAyAERT, « Verplichtingen voor een bedrijfsrevisor inzake

witwassen na de wet van 12 januari 2004 », dans De strijd tegen het

witwassen en de financiering van terrorisme, Bruges, die Keure, 2005,

p. 124.36 Cass., 18 janvier 2005, R.G. n° P.04.1225.N, www.cass.be (honoraires

d’un avocat).37 Article 728, § 2bis, Code judiciaire.

Le fait que le client soit disposé à payer des honoraires substantielle-ment plus élevés, peut constituer un indice d’une opération de blanchiment et justifier une déclaration à la CTIF

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2° La déchéance des droits civils et politiques du condamné, que le juge pénal peut aussi prononcer, à titre de peine com-plémentaire.

Outre cette déchéance, l’arrêté royal n° 22 du 24 octo-bre 193438 prévoit aussi, à titre toujours de peine complé-mentaire, une interdiction temporaire et facultative de par-ticiper à l’administration d’une société. Cette interdiction s’étend aux sociétés commerciales, mais aussi aux sociétés civiles ayant adopté la forme d’une société commerciale39, telles que les sociétés professionnelles d’experts-comptables et de conseils fiscaux.40 Cette interdiction est à interpréter très largement. Elle vise, outre les mandats de gérant et d’ad-ministrateur, cités par la loi, « toute fonction quelconque conférant le pouvoir d’engager la société », comme le man-dataire spécial et les membres du comité de direction (arti-cle 524bis C. soc.). Elle implique aussi que le condamné ne pourra pas exercer la fonction de commissaire. Cette sanc-tion a peu d’impact sur l’exercice de la profession d’expert-comptable ou de conseil fiscal, car une société ne peut nom-mer comme commissaires que des réviseurs d’entreprises (article 130 C. soc.). Elle ne touche que les experts- comptables qui ont aussi la qualité de réviseur d’entreprises.

38 Arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934 relatif à l’interdiction judiciaire

faite à certains condamnés et aux faillis d’exercer certaines fonctions,

professions ou activités.39 Gand, 4 mars 1982, R.W., 1982-1983, p. 2143, cité par B. SPRIET, « Het

vennootschaps-beroepsverbod uit het K.B. nr. 22 van 24 oktober 1934

na de wijziging door de wet van 2 juni 1998 », in Ondernemingsstrafrecht,

Bruges, die Keure, 1999, p. 195 et J.-F. GOFFIN, Responsabilités des

dirigeants de sociétés, Bruxelles, Larcier, 2004, n° 231.

3° La confiscation des avantages patrimoniaux blanchis qui font l’objet de l’infraction de blanchiment.

La confiscation de l’avantage patrimonial blanchi n’est pas une peine facultative, mais bien obligatoire. Ce carac-tère obligatoire implique que le juge doit la prononcer d’of-fice dès qu’il a constaté que les conditions légales sont rem-plies, même si les avantages patrimoniaux ne sont pas la propriété du condamné ou que le parquet ne requiert pas cette peine. Le juge pénal peut toutefois y renoncer, si la confiscation porte préjudice aux droits de tiers de bonne foi sur les biens confiscables (cf. infra).

Outre la confiscation, ainsi imposée par la loi, des avanta-ges patrimoniaux blanchis, objet de l’infraction de blanchi-ment, le juge pénal peut également ordonner la confisca-tion des avantages patrimoniaux que l’expert-comptable ou le conseil fiscal a retirés de l’infraction de blanchiment qu’il a commise (lecture conjointe des articles 42, 3°, et 43bis C. pén.). Ici aussi, la confiscation est purement facultative et suppose que le ministère public la requière.

La distinction entre ces deux confiscations transparaît bien de l’exemple suivant. Supposez que le professionnel et son client mettent sur pied un montage de blanchiment par lequel le client veut blanchir des avantages patrimoniaux illicites en payant des honoraires pour rétribuer des presta-tions comptables et fiscales fictives. En échange de sa colla-boration à l’opération de blanchiment, l’expert-comptable ou le conseil fiscal de mauvaise foi perçoit une « rétribution spéciale » secrète. Les honoraires seront alors obligatoire-ment confisqués conformément aux articles 42, 1°, et 505 C. pén. La « rétribution spéciale » pourra être facultative-ment confisquée, conformément à l’article 43bis C. pén.

Lorsqu’une société professionnelle d’experts-comptables et/ou de conseils fiscaux a commis l’infraction, le juge peut sanctionner la société par une amende. Celle-ci n’est pas

40 Voyez l’article 20, 1°, de la loi du 22 avril 1999 relative aux professions

comptables et fiscales et l’article 6 de l’arrêté royal du 4 mai 1999 relatif

à l’Institut des Experts-comptables et des Conseils fiscaux.

Les amendes et confiscations pénales auxquelles l’auteur de l’infraction de blanchiment est condamné ne sont pas des frais professionnels déductibles

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calculée d’après le minimum et le maximum prévu par l’article 505 C. pén., mais d’après les règles de conversion de l’article 41bis C. pén. Les montants sont là aussi majorés des décimes additionnels lors du calcul de l’amende. Le juge peut aussi prononcer la dissolution de la personne morale. Il ne le peut toutefois que si cette dernière a été intentionnel-lement créée afin d’exercer les activités punissables pour lesquelles elle est condamnée ou si son objet social a été intentionnellement détourné afin d’exercer de telles activi-tés (article 35 C. pén.).

Les amendes et confiscations pénales auxquelles l’auteur de l’infraction de blanchiment est condamné ne sont pas des frais professionnels déductibles (article 53, 6°, CIR 1992).

Sanctions administratives

Aux termes de l’article 22 de la loi du 22 avril 1999 relative aux professions comptables et fiscales, le Conseil de l’Insti-tut des Experts-comptables et des Conseils fiscaux (IEC) re-tire la qualité d’expert-comptable et/ou de conseil fiscal au membre concerné, si celui-ci ne remplit plus la condition de moralité prescrite par l’article 19, 2°, de cette loi. D’après cet article 19, 2°, une condamnation pour l’une des infractions de la liste reprise à l’article 1er de l’arrêté royal n° 22 du 24 octobre 193441 fait obstacle à un agrément comme expert-comptable ou conseil fiscal (personnes physiques). Le blanchiment apparaît aussi dans cette énumération d’in-fractions, à la rubrique F, à savoir comme infraction relevant de la catégorie « recel et toute autre opération relative à des choses tirées d’une infraction » (articles 505 et 506 C. pén.).

Le Conseil ne peut appliquer cette sanction que si la peine dépasse le seuil (de 3 mois d’emprisonnement) fixé par la loi, tant pour les peines effectives que pour les peines d’em-prisonnement assorties d’un sursis.42 Une condamnation à une peine principale d’emprisonnement moindre ou à une amende ne suffit donc pas. Mais il est vrai que le Conseil de

41 Arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934 relatif à l’interdiction judiciaire

faite à certains condamnés et aux faillis d’exercer certaines fonctions,

professions ou activités.42 Le législateur utilise à l’article 19, 2°, le terme, vieilli, de « condamnation

conditionnelle » au lieu de « sursis à l’exécution de la peine » (article 1

de la loi sur la probation).

l’IEC peut, dans ces cas, poursuivre le professionnel devant les instances disciplinaires de l’Institut. Comme la condi-tion de moralité ne s’applique qu’aux personnes physiques, le Conseil de l’IEC ne peut pas directement appliquer cette sanction aux sociétés professionnelles d’experts-comptables et/ou de conseils fiscaux. Si un professionnel est condamné pour blanchiment, le Conseil peut seulement renvoyer la société devant les instances disciplinaires, qui pourront éventuellement la radier du tableau des membres.43

Le retrait entraîne de plein droit l’omission du profession-nel du tableau des membres de l’Institut. Une réinscription n’est possible qu’après que le membre remplit à nouveau la condition de moralité de l’article 19, 2°, de la loi du 22 avril 1999. C’est le cas si la Cour d’appel a accordé à l’in-téressé une réhabilitation pénale pour la condamnation pé-nale qu’il a encourue. Une réhabilitation fait en effet cesser pour l’avenir, dans la personne du condamné, tous les effets (négatifs) de la condamnation (article 634 C.I. cr.). La réha-bilitation veut stimuler le reclassement social du condamné, notamment en faisant en sorte que ses antécédents pénaux n’entravent plus son retour à la profession d’expert- comptable ou de conseil fiscal.

Sanctions disciplinaires

Le Conseil peut, en sa qualité d’autorité disciplinaire, ren-voyer, devant la Commission de discipline, un expert- comptable ou un conseil fiscal que la justice pénale a estimé coupable de la première infraction de blanchiment. Une in-fraction à l’article 505, alinéa 1er, 2°, C. pén. constitue en effet une violation des principes déontologiques de dignité, de probité et de délicatesse.44 Le Conseil n’intentera pas d’action disciplinaire devant les instances disciplinaires si l’expert-comptable ou le conseil fiscal (personnes physi-ques) a été condamné à une peine d’emprisonnement d’au moins 3 mois, même avec sursis. Dans ce cas, le Conseil doit, en guise de sanction, retirer la qualité d’expert- comptable ou de conseil fiscal. La formulation de l’article 22 de la loi du 22 avril 1999 est impérative et ne laisse dès lors pas de liberté de choix au Conseil.

43 Projet de loi relative aux professions comptables et fiscales, Doc. parl.,

Ch. repr., sess. ord. 1998-1999, n° 40-1923/1, p. 12.44 Article 4, 2°, de la loi du 22 avril 1999 relative à la discipline

professionnelle des experts-comptables et des conseils fiscaux.

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En cas de concours entre des poursuites disciplinaires et pénales à charge d’un professionnel pour des infractions de blanchiment, le juge disciplinaire est légalement tenu d’at-tendre la décision définitive, au fond, du juge pénal avant de pouvoir se prononcer sur le bien-fondé de l’action disci-plinaire. Conformément à l’article 6 de la Convention euro-péenne des droits de l’homme (CEDH) et au principe géné-ral de droit de la présomption d’innocence, quiconque est poursuivi pour un fait punissable est tenu pour innocent jusqu’à ce que sa faute ait été prouvée conformément à la loi. La présomption d’innocence s’applique aussi dans les procédures disciplinaires quand la procédure qui est menée concrètement donne lieu ou peut donner lieu à la radiation du professionnel. Le juge disciplinaire viole la présomption d’innocence lorsqu’une décision juridictionnelle admet qu’une personne s’est rendue coupable d’un fait punissable, alors que sa culpabilité n’est pas ou n’est pas encore établie conformément aux règles légales et que cela constitue le fondement de cette décision.45

Autres sanctions

Une condamnation à une peine d’emprisonnement pour une infraction à l’article 505 C. pén. empêche en principe toute désignation d’un expert-comptable ou d’un conseil fiscal comme liquidateur de société, sauf si le juge homolo-gue la décision de l’assemblée générale (article 184, § 1er, C. soc.). Si cette condamnation pénale a été réhabilitée, le juge ne doit pas procéder à cette homologation. La réhabili-tation et l’effacement font en effet cesser pour l’avenir, dans la personne du condamné, tous les effets (préjudiciables) de la condamnation (article 634 C.I. cr.).

2. Le remède : la déclaration à la Cellule de traitement des informations financières ?

L’expert-comptable externe ou le conseil fiscal externe qui a commis une infraction de blanchiment en acceptant, sans émettre la moindre réserve, des capitaux dont il connaît la provenance délictueuse, en paiement d’honoraires, peut-il se prémunir de poursuites pénales en communiquant cette infraction de blanchiment à la CTIF ? L’obligation de décla-ration à la CTIF est réglée par la loi du 11 janvier 1993 rela-tive à la prévention de l’utilisation du système financier aux

45 Cass., 29 juin 2007, R.G. n° D.06.0012.N, www.juridat.be.

fins du blanchiment de capitaux et du financement du ter-rorisme (dénommée ci-après « la loi antiblanchiment »).

a) La situation antérieure à la transposition de la 3e directive européenne antiblanchiment46 en droit interne belge

L’expert-comptable externe ou le conseil fiscal externe qui constate, dans l’exercice de sa profession, des faits dont il sait ou soupçonne qu’ils sont liés au blanchiment de capi-taux est tenu d’en informer immédiatement la Cellule de traitement des informations financières (CTIF) (articles 14bis et 14quinquies loi antiblanchiment). Cette obligation in-combe tant aux personnes physiques qu’aux personnes mo-rales inscrites au tableau des membres externes de l’Institut. Elle ne pèse pas sur les stagiaires ou les membres internes. Un non-respect de cette obligation de déclaration est sanc-tionné par une amende administrative, infligée par l’auto-rité disciplinaire (article 22 loi antiblanchiment).

La CTIF est une autorité administrative indépendante, do-tée de la personnalité juridique, qui analysera la transaction suspecte qui lui a été déclarée. Elle peut demander au décla-rant de lui communiquer des renseignements complémen-taires concernant la transaction déclarée. Si son examen fait ressortir l’existence d’indices graves d’un lien entre les faits déclarés et une opération de blanchiment, la CTIF en infor-mera le procureur du Roi ou le procureur fédéral. Elle le fera si l’opération de blanchiment a un lien avec un phénomène criminel apparaissant dans la liste limitative d’infractions de base établie par la loi (principe de spécialité). Ainsi, elle ne doit informer d’opérations de blanchiment liées à une fraude fiscale que si cette dernière est une « fraude grave et organisée » (cf. supra). Sur la base du rapport de la CTIF, le ministère public peut décider d’ouvrir une enquête pénale (information sous la conduite d’un magistrat du parquet ou instruction judiciaire sous la conduite d’un juge d’instruc-tion) ou de classer les faits sans suite.

Le professionnel ne peut avertir son client ou des tiers de sa déclaration à la CTIF (interdiction de divulgation ou tip-ping off – article 19 loi antiblanchiment). L’interdiction

46 Directive 2005/60/C.E. du Parlement européen et du Conseil du

26 octobre 2005 relative à la prévention de l’utilisation du système

financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du

terrorisme.

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s’étend aussi à la révélation des renseignements que lui a demandés la CTIF après sa déclaration et à celle du fait qu’une information est en cours pour des faits de blanchi-ment. Il est remarquable que le législateur n’utilise que le terme « information » et pas les termes, plus larges, « en-quête pénale », qui incluent tant l’information menée sous la conduite d’un magistrat du parquet (article 28bis C.I. cr.) que l’instruction judiciaire menée sous la conduite d’un juge d’instruction (article 55 C.I. cr.). Les directives euro-péennes relatives à la prévention du blanchiment utilisent quant à elles le terme « enquête ». Cette interdiction de di-vulgation vise à ne pas nuire à l’efficacité de l’enquête et à la poursuite des blanchisseurs. La Commission de discipline de l’Institut des Experts-comptables et des Conseils fiscaux sanctionne les infractions à l’obligation d’information et à l’interdiction de divulgation par une amende administrati-ve de 250 à 1 250 000 euros.

Le professionnel ne peut pas non plus contacter l’avocat de son client.47 Le déclarant peut par contre en discuter avec les collègues de son bureau avec lesquels il a traité le dossier du client concerné.48 D’après la jurisprudence, la communi-cation à la police du dossier transmis à la CTIF ne viole pas l’interdiction de divulgation.49 D’après la note technique de l’Institut des Réviseurs d’entreprises (IRE) du 4 mai 2007 sur les obligations du réviseur d’entreprises en matière de blan-chiment de capitaux et de financement du terrorisme50, le réviseur d’entreprises peut aussi consulter ses conseillers ju-ridiques internes et externes, et est aussi autorisé à se concer-ter, dans le cas d’un audit de groupe, avec les réviseurs du groupe. La 3e directive européenne antiblanchiment51 ad-

47 Ph. DE KOSTER, « La déclaration de soupçons à la Cellule de traitement

des informations financières : pratique et développements », dans De

strijd tegen het witwassen en de financiering van het terrorisme, Bruges,

die Keure, 2005, p. 235.48 M. DE SAMBLANx, « Analyse van het wettelijk kader aangaande het

witwassen van geld en de economische beroepen », dans Accountancy

in beweging. Liber amicorum Hilda Theunisse, Leuven-Apeldoorn, Garant,

2001, pp. 43-44.49 Cass., 17 avril 2007, R.G. n° P.07.0063.N, www.juridat.be.50 Le Conseil de l’IRE a décidé, le 7 décembre 2007, d’abroger cette

note technique et de l’intégrer dans les normes générales de contrôle

de l’IRE.51 Directive 2005/60/C.E. du Parlement européen et du Conseil du

26 octobre 2005 relative à la prévention de l’utilisation du système

financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du

terrorisme.

met aussi l’absence de violation de l’interdiction de divulga-tion en cas d’échanges d’informations entre des personnes soumises à l’obligation de déclaration qui exécutent une mission pour le même client, à la condition (1) qu’elles soient établies dans un État membre ou dans un pays tiers qui impose des obligations équivalentes à celles fixées dans la 3e directive, (2) qu’elles relèvent de la même catégorie professionnelle, (3) qu’elles soient soumises à des obliga-tions équivalentes en matière de secret professionnel et de protection des données à caractère personnel et (4) que les informations échangées soient utilisées exclusivement à des fins de prévention du blanchiment de capitaux. Il peut y avoir aussi des échanges d’informations entre des personnes soumises à l’obligation de déclaration qui exercent leur pro-fession dans la même personne morale ou dans le même « réseau »52, tels que les bureaux des Big Four. La 3e directive antiblanchiment permet aussi au professionnel de tenter de dissuader son client de participer à une activité illicite.

Pour protéger le déclarant, l’article 20 de la loi antiblan-chiment prévoit qu’aucune action civile, disciplinaire ou pénale ne pourra lui être intentée. La loi requiert toutefois qu’il ait agi de bonne foi. Une notion qu’elle ne définit pas. La bonne foi implique, entre autres, que le professionnel ne fasse pas intentionnellement une déclaration incomplète ou ne communique pas des informations inexactes à la CTIF.53 Il ne jouit pas de l’immunité s’il a fait sa déclaration à l’encontre d’une personne à dessein de lui nuire (déclara-tions malveillantes) ou pour se soustraire à d’autres infrac-tions.54 L’immunité implique l’impossibilité pour son client

52 Un réseau, c’est la structure plus large à laquelle la personne

appartient et qui partage une propriété, une gestion et un contrôle

du respect des obligations communs (article 28.4, in fine, 3e directive

antiblanchiment).53 P. TRAEST, « Advocaten weldra onderworpen aan de meldingsplicht

inzake witwassen : spanning tussen overheidsbeleid en een

onafhankelijke advocatuur », dans Liber amicorum Jean-Pierre De Bandt,

Bruxelles, Bruylant, 2003, p. 228 et G. STESSENS, « Meldingsplicht

inzake witwassen », dans Comm. Straf., Malines, Kluwer, ouvrage à

feuillets mobiles, p. 30.54 J. SPREUTELS, « Le volet préventif : le rôle de la CTIF, les obligations

du secteur financier et les autres professions concernées », dans

Blanchiment : la situation des entreprises, des organismes et de leurs

conseillers, Bruxelles, Kluwer, 2004, p. 50 ; J. SPREUTELS et C. SCOHIER,

« La place des professions comptables, fiscales et révisorales dans le

dispositif préventif de lutte contre le blanchiment de capitaux : un

premier état de lieux », C. & F.P., 2000, p. 13 et www.ctif-cfi.be.

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de le poursuivre eu égard aux renseignements qu’il a com-muniqués à la CTIF. Pas de poursuites possibles, donc, pour violation du secret professionnel ou du devoir de discrétion professionnelle. Indépendamment de l’existence de cette immunité, il n’est en tout cas pas possible de le poursuivre pour une déclaration qu’il a faite à la CTIF. Tant l’article 458 C. pén. (secret professionnel) que l’arrêté royal de déontolo-gie (devoir de discrétion)55 le délivrent en effet de son devoir de réserve dans les cas où la loi l’oblige à communiquer cer-taines informations. En outre, le professionnel qui est lui-même l’auteur d’une infraction de blanchiment ne peut plus invoquer son secret professionnel. D’après la doctrine56 et la jurisprudence57, la règle, dans ce cas, c’est que « l’in-fraction professionnelle exclut le secret professionnel ».

F. Deruyck58 estime que l’immunité de l’article 20 de la loi antiblanchiment s’étend au-delà des actions liées aux décla-rations à la CTIF. En dépit du manque de clarté du texte lé-gal, elle couvre aussi des infractions à l’article 505 C. pén. D’après cette large interprétation, il ne serait plus possible de poursuivre le déclarant, après sa déclaration à la CTIF, comme auteur de l’infraction de blanchiment. Il se réfère, à l’appui de sa thèse, aux travaux parlementaires de la loi an-tiblanchiment et au Rapport d’activités 1993-1994 de la CTIF.

55 Article 32 de l’arrêté royal du 1er mars 1998 fixant le règlement de

déontologie des experts-comptables.56 L. HUyBRECHTS, « Beroepsgeheim in de sfeer van de onderneming »,

T. Strafr., 2004, p. 105.57 Cass., 24 mai 2005, R.G. n° P.05.0431.N, www.cass.be et Cass.,

22 décembre 1992, Arr. Cass., 1991-1992, p. 1462 ; R.W., 1993-1994,

pp. 464-465 et R.D.P.C., 1993, p. 650.58 F. DERUyCK, « Meester ! Meester ! Over de meldingsplicht van

advocaten ter voorkoming van het witwassen van geld », T. Strafr.,

2004, p. 216.

Durant les travaux parlementaires, le ministre des Finances avait qualifié l’article 20 de cause de justification, empê-chant de poursuivre le déclarant sur la base d’une infraction à l’article 505 du Code pénal. Cette large interprétation de l’article 20 est couplée à l’article 13 de la loi antiblanchi-ment. Cet article 13 instaure un système de blanchiment contrôlé (controlled money laundering) pour les personnes soumises à l’obligation de déclaration, énumérées à l’arti-cle 2 de la loi antiblanchiment, comme les banques. Ce principe permet au déclarant d’exécuter d’abord l’opération de blanchiment et de ne procéder qu’ensuite à une déclara-tion à la CTIF. Une telle déclaration a posteriori est admise si la nature de l’opération ne permet pas de la reporter ou si un report entravait la poursuite des bénéficiaires de l’opéra-tion de blanchiment. La CTIF a déduit de l’article 20 de la loi antiblanchiment que personne ne peut intenter une ac-tion à l’encontre d’une entreprise financière qui a exécuté une opération de bonne foi, laquelle s’avère être par la suite une opération de blanchiment.

D’après G. Stessens59, c’est non l’article 20 (immunité du déclarant), mais bien l’article 13 de la loi antiblanchiment qui constitue la base juridique de l’impunité du déclarant qui est l’auteur de l’infraction de blanchiment. L’immunité le protège seulement des actions liées à sa déclaration à la CTIF. D’après cet auteur, c’est l’article 13 qui vaut cause de justification et exonère de ce fait le déclarant de sa responsa-bilité pénale pour l’infraction de blanchiment même. Cet article s’apparente à une « prescription légale », qui autorise à commettre l’infraction de blanchiment et même la justifie.

Les experts-comptables et les conseils fiscaux ne peuvent toutefois pas, dans l’état actuel de la législation antiblanchi-ment, invoquer cet article 13. Seuls les organismes et per-sonnes énumérés à l’article 2 de la loi antiblanchiment, tels que les banques, peuvent appliquer le système du blanchi-ment contrôlé. La loi antiblanchiment en vigueur interdit

59 G. STESSENS, De nationale en internationale bestrijding van het

witwassen, Anvers, Intersentia, 1997, pp. 211-212 et G. STESSENS,

« Georganiseerde fiscale fraude : de rol van witwaswetgeving », dans

Fiscale fraude, Diegem, Ced. Samsom, 1999, pp. 221-222.

Pour protéger le déclarant, l’article 20 de la loi antiblanchiment prévoit qu’aucune action civile, disciplinaire ou pénale ne pourra lui être intentée

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au déclarant d’exécuter l’opération de blanchiment (présu-mée) avant d’avoir fait sa déclaration à la CTIF (devoir d’abstention). Le professionnel ne peut par conséquent se soustraire à sa propre responsabilité pénale pour la (premi-ère) infraction de blanchiment qu’en refusant, sans la moindre réserve, de percevoir des honoraires. Le profession-nel qui fournit ses services professionnels légaux et constate durant l’exécution de sa mission que son client exerce des activités illicites sait que ce client pourrait payer ses hono-raires au moyen d’avantages patrimoniaux illicites. S’il n’est pas certain de la provenance légale des fonds qui lui sont présentés, il doit refuser de percevoir de l’argent liquide ou doit charger, le cas échéant, sa banque de ne pas créditer son compte bancaire de fonds provenant du client concer-né. En procédant à cette « interception », le professionnel évite que son client puisse transférer les avantages patrimo-niaux criminels dans son patrimoine. Après avoir refusé de recevoir physiquement l’argent ou après que la banque du professionnel a refusé le virement des honoraires à sa de-mande, ce dernier doit déclarer la tentative d’infraction de blanchiment à la CTIF. Il ne commet alors, dans ces condi-tions, aucune infraction de blanchiment.

b) Situation postérieure à la transposition de la 3e directive européenne antiblanchiment en droit belge

L’article 24 de la 3e directive européenne antiblanchi-ment60 élargit le système du blanchiment contrôlé à toutes les personnes qui rentrent dans le champ d’application de la directive, en ce inclus les experts-comptables et les conseils fiscaux externes.

Cette directive européenne devait être transposée en droit belge pour le 15 décembre 2007 au plus tard. Lors de la mise sous presse du présent article, aucun projet de loi en ce sens n’avait encore été déposé au Parlement. Le gouvernement fédéral Leterme Ier n’a approuvé que le 14 novembre 2008 un avant-projet modifiant la loi antiblanchiment et le Code des sociétés, qui transpose intégralement la 3e directive anti-blanchiment en droit belge. Durant les travaux parlemen-taires du projet de loi budgétaire, en décembre 2008, le se-crétaire d’État à la Coordination de la lutte contre la fraude

60 Directive 2005/60/C.E. du Parlement européen et du Conseil du

26 octobre 2005 relative à la prévention de l’utilisation du système

financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du

terrorisme.

a déclaré au Parlement que le ministre des Finances créerait un groupe de travail composé d’experts qui examinerait la proposition d’adoption du projet de loi modifiant la loi an-tiblanchiment.61 Le gouvernement veut en effet abaisser à 10 000 euros le plafond de l’interdiction de payer des tran-sactions en argent liquide. Actuellement, il est interdit de régler en espèces le prix de la vente, par un commerçant, d’un bien d’une valeur de 15 000 euros ou plus (article 10ter loi antiblanchiment). La Commission européenne a annon-cé, dans un communiqué de presse du 16 octobre 2008, qu’elle citera la Belgique devant la Cour de justice euro-péenne pour avoir omis de transposer complètement (et en temps voulu) la 3e directive antiblanchiment dans son droit interne.

Même si le législateur belge étend le blanchiment contrôlé aux experts-comptables et aux conseils fiscaux, la protec-tion vis-à-vis de poursuites pénales pour blanchiment ne sera pas concluante. Le blanchiment contrôlé ne couvre en effet pas toute infraction sous-jacente d’une opération de blanchiment. Ce problème résulte du champ d’application différent du volet préventif (loi antiblanchiment du 11 jan-vier 1993) et du volet répressif (article 505 C. pén.) concer-nant l’infraction sous-jacente (infraction de base). La loi du 11 janvier 1993 oblige le professionnel à communiquer les opérations de blanchiment liées à des « phénomènes crimi-nels » expressément et limitativement énumérés à l’arti-cle 3, § 2, de la loi antiblanchiment. Le champ d’application de l’article 505 C. pén. est par contre bien plus large et cou-vre toutes les infractions, à l’exception de la « fraude fiscale ordinaire ». La liste des infractions de base sous-jacentes sera toutefois, lors de la transposition de la 3e directive antiblan-chiment, substantiellement étendue à tous les faits punissa-bles d’une peine minimale d’emprisonnement de plus de 6 mois. Comme les divers codes fiscaux prévoient, en cas de fraude fiscale, une peine minimum qui reste sous le seuil fixé par la directive, toute opération de blanchiment liée à de la « fraude fiscale ordinaire » restera toujours exonérée de l’obligation de déclaration même après la transposition de la 3e directive antiblanchiment en droit belge.62

61 Projet de loi contenant le budget des voies et moyens et projet de

loi contenant le budget général des dépenses pour l’année budgétaire

2009, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2008-2009, n° 1527/8, p. 168.62 Pro : J.-C. DELEPIèRE et C. SCOHIER, « La notion de fraude fiscale dans

le contexte actuel de la loi du 11 janvier 1993 : aspects préventifs »,

dans La lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme,

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3. La récupération des honoraires par le professionnel

Si les autorités judiciaires ou les services de police saisis-sent, au cours de l’enquête pénale, les capitaux destinés au paiement des honoraires, comme étant l’objet de l’infrac-tion ou de la tentative d’infraction de blanchiment, dans quelle mesure le professionnel peut-il encore revendiquer ces capitaux ou d’autres capitaux du patrimoine de son client blanchisseur ? Si le juge pénal prend connaissance de l’infraction de blanchiment, la loi l’oblige en principe à confisquer l’avantage patrimonial blanchi. La réponse à cette question varie selon que le professionnel a agi de bon-ne ou de mauvaise foi.

a) Le professionnel est de mauvaise foi

Un expert-comptable ou un conseil fiscal qui est informé de la provenance illicite des capitaux dont son client veut se servir pour lui payer ses honoraires est de mauvaise foi. Il suffit qu’il sache ou aurait dû savoir que les capitaux qu’il accepte, sans la moindre réserve, en paiement de ses hono-raires ont une provenance illicite pour se rendre coupable de blanchiment. On parle en l’occurrence d’« infraction de blanchiment croisée » dans la mesure où le client et le pro-fessionnel se rendent tous deux coupables d’une infraction de blanchiment, le premier en effectuant un paiement au moyen de revenus d’origine illicite, le second en acceptant ce paiement.

Le principe général de droit fraus omnia corrumpit (« la fraude corrompt tout ») s’oppose à ce que l’auteur d’une infraction intentionnelle puisse se servir de son dol ou de sa malhonnêteté pour causer un préjudice à des tiers ou en ti-rer bénéfice.63

D’après la Cour de cassation, l’article 505 C. pén. tend à combattre les agissements du délinquant qui organise sa propre insolvabilité au profit ou avec l’aide de tiers, dans le but d’empêcher la confiscation des avantages patrimoniaux qu’il a retirés des infractions qu’il a commises.64 Lorsque

Bruges, die Keure, 2005, p. 206 (n° 451). Contra : R. VERSTRAETEN et

D. DEWANDELEER, « Repressieve en preventieve witwaswetgeving na

de Wetten van 27 april 2007 en 10 mei 2007 », N.C., 2008, pp. 43-44

(n° 104).63 Cass., 6 novembre 2007, R.G. n° P.07.0627.N, www.juridat.be.64 Cass., 21 octobre 2003, R.G. n° P03.0757.N, www.cass.be.

l’infraction de blanchiment constitue un délit collectif avec l’infraction d’escroquerie, laquelle porte préjudice au pro-priétaire des capitaux blanchis, le blanchisseur commet le fait punissable dans l’intention de tenir les capitaux hors de la portée du propriétaire des capitaux blanchis. Ce faisant, le blanchisseur commet une infraction dans l’intention de porter préjudice à des tiers. Le blanchisseur commet ce fait punissable en vue de tenir les avantages patrimoniaux qu’il a retirés d’infractions qu’il a commises hors de portée de la victime. Ce faisant, il commet une infraction dans l’inten-tion de porter préjudice à des tiers.65

L’interdiction de retirer tout avantage financier d’une in-fraction n’est rien de plus que la confirmation du principe que « le crime ne peut pas payer ». L’auteur ne peut pas ac-croître son patrimoine par le produit de ses activités illéga-les (enrichissement positif). Il ne peut pas non plus garantir son patrimoine d’un appauvrissement en finançant des dé-penses avec le produit d’infractions (enrichissement néga-tif). L’interdiction de retirer tout gain ou tout avantage de son dol ou de sa malhonnêteté implique évidemment que le voleur ou l’escroc, qui est un client d’un expert-comptable ou d’un conseil fiscal, ne peut pas affecter des avoirs illicites au paiement des honoraires de ce dernier. Le fait que ces honoraires rétribuent des services professionnels légaux est sans pertinence.

Dès lors, l’expert-comptable ou le conseil fiscal de mau-vaise foi ne peut pas récupérer les sommes qui lui sont dues et qui font l’objet d’une infraction de blanchiment par la voie judiciaire. Personne ne peut agir en justice s’il n’a un intérêt légitime à faire valoir. Celui qui ne poursuit que le maintien d’une situation contraire à l’ordre public (la loi pénale) ou d’un avantage illicite n’a pas d’intérêt légitime.66 Cela veut dire, concrètement, que le professionnel de mau-vaise foi ne peut pas intervenir volontairement dans un procès pénal pour s’opposer à la confiscation de l’avantage patrimonial illicite ou à la restitution de celui-ci à la victime par le juge pénal, en vue de le récupérer. Il ne pourra pas non plus exiger la mainlevée de la saisie des capitaux prati-quée dans le cadre de l’action pénale, ni davantage réclamer leur paiement devant le juge civil à titre « d’arriérés d’hono-raires ».

65 Cass., 6 novembre 2007, R.G. n° P.07.0627.N, www.cass.be.66 Cass., 2 mars 2006, R.G. n° C.05.0061.N, www.juridat.be et Cass.,

25 octobre 2006, R.G. n° P.06.1082.F, www.juridat.be.

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b) Le professionnel est de bonne foi

Le professionnel est de bonne foi s’il n’a pas connaissance de la provenance illégale des capitaux que son client lui pré-sente en paiement de ses honoraires. Le juge pénal peut tou-tefois déduire de « circonstances de fait objectives » que le professionnel devait connaître la provenance illicite de ces capitaux (cf. supra).

L’expert-comptable ou le conseil fiscal qui sait ou soup-çonne que les capitaux qui lui sont présentés en paiement ont une provenance illicite peut toutefois encore agir com-me un « professionnel de bonne foi » en respectant scrupu-leusement toutes les obligations de la loi du 11 janvier 1993 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme. Il doit, pour ce faire, concourir pleinement à l’application de cette loi, par l’identification de tous les ac-tes de blanchiment de capitaux (article 3, § 3, loi antiblan-chiment). Concrètement, il déclarera l’opération de blan-chiment ou la tentative d’opération de blanchiment à la CTIF et remplira les devoirs liés à son obligation de déclara-tion (articles 14bis et 14quinquies loi antiblanchiment), tels que répondre aux demandes d’informations de la CTIF (ar-ticle 15 loi antiblanchiment) et respecter l’interdiction de divulgation (article 19 loi antiblanchiment). Une déclara-tion faite de bonne foi justifiera l’infraction de blanchiment, conformément à l’article 20 (immunité du déclarant) et à l’article 13 (blanchiment contrôlé) (cf. supra). Le respect du devoir d’abstention suivi de la déclaration à la CTIF lui assu-rera également l’impunité (cf. supra).

La bonne foi doit aussi transparaître du fait que les hono-raires rétribuent des missions professionnelles légalement prestées. Le professionnel ne peut toutefois pas fournir ces services professionnels légaux à une organisation criminel-le. L’expert-comptable ou le conseil fiscal qui participe à la préparation ou à l’exécution d’une quelconque activité illi-cite d’une organisation criminelle, alors qu’il sait que sa par-ticipation contribue à la réalisation des objectifs de cette organisation, commet une infraction à l’article 324 C. pén. Un comptable qui, sans fraude aucune, tient la comptabilité d’un restaurant qui sert de couverture commet cette infrac-tion.67 Le professionnel ne peut pas non plus participer

67 A. DE NAUW, Inleiding tot het bijzonder strafrecht, Malines, Kluwer,

2005, p. 93.

(comme coauteur ou complice) aux activités illicites de son client, qui constituent l’infraction de base de l’opération de blanchiment, comme l’établissement de faux comptes an-nuels, le dépôt de fausses déclarations fiscales, la tenue de comptabilités occultes ou l’organisation de carrousels TVA.

Les avantages patrimoniaux illicites présentés en paie-ment d’honoraires, soit en pratique de l’argent, seront en général saisis par les services de police et les autorités judi-ciaires, soit auprès du professionnel (en cas de blanchiment contrôlé), soit ailleurs (si le professionnel s’est conformé à son devoir d’abstention). Le professionnel peut choisir de recouvrer ses arriérés d’honoraires et d’exécuter une éven-tuelle condamnation sur des avoirs légaux (!) de son (an-cien) client. Dans quelle mesure peut-il faire valoir ses droits sur les avantages patrimoniaux saisis ou confisqués dans le cadre de l’action pénale ? Un examen approfondi de la pro-tection des droits des tiers de bonne foi en cas de saisie et de confiscation pénales sortirait du cadre du présent article.68 Les possibilités d’action du professionnel, dans le cadre de la procédure pénale, en tant que créancier chirographaire de bonne foi d’arriérés d’honoraires, sont plutôt limitées :

1° Un référé pénal : adresser une demande de mainlevée (partielle) de la saisie pénale à l’autorité judiciaire saisissante (le juge d’instruction ou le procureur du Roi) durant l’en-quête pénale ou au juge pénal pendant le traitement de l’af-faire au fond (articles 28sexies et 61quater C.I. cr.). Cette de-mande peut se voir rejeter, entre autres, pour préserver les droits de tiers ou de parties, telles des victimes qui se sont portées parties civiles, ou quand la loi prévoit la restitution ou la confiscation des biens saisis.

2° Faire opposition auprès du greffier, qui assure la conserva-tion des biens saisis déposés au greffe, à la restitution des biens saisis au saisi en cas de mainlevée de la saisie ; cette restitution est alors suspendue jusqu’à la décision définitive du juge (civil) compétent sur les revendications du profes-sionnel à l’égard des biens saisis, moyennant la preuve d’une action introduite pour faire valoir ses droits, telle que par exemple une copie d’une citation en justice (arrêté royal n° 260 du 24 mars 1936 sur la détention au greffe et la procé-dure en restitution des choses saisies en matière répressive).

68 Pour une analyse approfondie, voyez C. DESMET, « Derdenbe-

scherming bij strafrechtelijke inbeslagname en verbeurdverklaring »,

T. Strafr., 2008, pp. 245-264.

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Le professionnel tire de l’arrêté royal n° 260 le droit de faire opposition à la restitution en cas de mainlevée de la saisie, mais pas celui de s’opposer à une restitution ordon-née par le juge pénal sur la base de l’article 44 C. pén.69 Cet-te disposition légale permet au juge pénal d’ordonner la restitution à la victime des avantages patrimoniaux blan-chis qui ont été saisis, si ces avantages patrimoniaux lui ap-partiennent et dans la mesure où la justice belge les détient toujours dans leur état initial. Si ces avantages patrimoni-aux consistent en une chose de genre, fongible, comme l’argent, ils sont toujours présents en nature.70 C’est par exemple possible pour des capitaux retirés d’un vol ou d’une escroquerie. La restitution rétablit la victime du voleur ou de l’escroc dans son droit de propriété.

L’argent liquide saisi n’est pas conservé au greffe, mais im-médiatement versé sur le compte bancaire de l’Organe cen-tral pour la saisie et la confiscation (OCSC), créé par la loi du 26 mars 200371 au sein du ministère public, qui assurera sa gestion. Si les capitaux à blanchir ou blanchis sont bloqués sur un compte bancaire, le solde créditeur sera transféré à l’OCSC, qui en poursuivra la gestion jusqu’à ce que leur des-tination (mainlevée de la saisie, confiscation ou restitution) ait été fixée. En pratique, l’OCSC appliquera les dispositions de l’arrêté royal n° 260 de façon analogue, mutatis mutandis. L’OCSC est ici assimilé à un greffe.

Le professionnel a tout intérêt à faire « opposition à la res-titution » si la saisie est levée pendant l’enquête pénale par-ce que les capitaux n’ont pas trait à des opérations de blan-chiment. Le professionnel peut faire pratiquer une saisie conservatoire dans l’attente de la condamnation du client au paiement des honoraires arriérés par le juge civil.

69 C. DESMET, « Derdenbescherming bij strafrechtelijke inbeslagname

en verbeurdverklaring », T. Strafr. 2008, 253 (n° 17).70 A. VANDEPLAS, « Teruggave », dans Comm. Straf., Malines, Kluwer,

publication à feuillets mobiles, n° 15.71 Loi du 26 mars 2003 portant création d’un organe central pour la

saisie et la confiscation et portant des dispositions sur la gestion à valeur

constante des biens saisis et sur l’exécution de certaines sanctions

patrimoniales.

3° Une intervention volontaire dans la procédure pénale au fond ? Si le juge pénal constate que les avantages patrimo-niaux illégaux ont fait l’objet d’une infraction de blanchi-ment, la loi l’oblige, en principe, à ordonner leur confisca-tion, même s’ils ne sont pas la propriété du condamné, sans porter préjudice toutefois aux droits des tiers sur les biens susceptibles de confiscation. La confiscation ne porte pas préjudice aux droits légitimes des tiers si le propriétaire des biens ou des valeurs est l’auteur de l’infraction de base ou une personne qui a reçu les avantages illicites d’une des fa-çons prévues à l’article 505 C. pén.72 La référence aux droits des tiers dans l’article 505 a seulement pour but de protéger les droits que des tiers peuvent faire valoir sur la chose en vertu de leur possession légitime.73 De ce fait, des tiers peu-vent intervenir dans la procédure pénale pour se défendre vis-à-vis d’une éventuelle confiscation des biens sur lesquels ils veulent faire valoir des droits.74 Cette peine est pronon-cée au bénéfice de l’État. Si la victime s’est portée partie ci-vile devant le juge pénal pour obtenir réparation du préju-dice qu’elle a subi, le juge pénal peut aussi ordonner une confiscation avec restitution ou attribution à cette partie au procès des biens qui, à la suite de l’opération de blanchi-ment, se sont substitués à l’avantage patrimonial initial.75 C’est par exemple possible pour les biens acquis à l’aide des capitaux dérobés par le voleur ou obtenus de la victime par l’escroc. La licéité juridique d’une telle confiscation est tou-tefois contestée par la doctrine.76 Quant à savoir si c’est juri-diquement correct dans l’état actuel de la législation, la doc-trine le conteste. L’autorité judiciaire informera de la date de l’audience à laquelle le juge pénal statuera sur le fond de l’affaire le tiers de bonne foi qui, d’après les indices recueillis au cours de la procédure pénale, peut faire valoir des droits

72 Projet de loi modifiant les articles 42, 43 et 505 du Code pénal et

insérant un article 43bis dans le même Code, Exposé des motifs, Doc.

parl., Ch. repr., sess. ord. 1989-1990, n° 987/1, p. 7.73 Cass., 14 janvier 2004, R.G. n° P.03.1185.F, www.juridat.be.74 Cass., 31 janvier 2006, R.G. n° P.05.1501.N, www.juridat.be et Cass.,

31 juillet 1995, R.W., 1995-1996, p. 1370, note A. DE NAUW.75 Cass., 11 janvier 2005, R.G. n° P.04.1087.N, www.juridat.be. Voir

également G. STESSENS, « De verbeurdverklaring », dans XXXIIe Post-

universitaire cyclus Willy Delva 2005-06 Strafrecht en Strafprocesrecht,

Malines, Kluwer, 2006, 373 (n° 37).76 Pro : voyez entre autres A. DE NAUW, Initiation au droit pénal spécial,

Waterloo, Kluwer, 2008, n° 831, et la référence à l’arrêt de cassation

cité. Contra : voyez entre autres D. VANDERMEERSCH et M.L. CESONI,

« Le recel et le blanchiment », dans Les infractions contre les biens,

Bruxelles, Larcier, 2008, p. 539.

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sur les avantages patrimoniaux blanchis en vertu de sa pos-session légitime.77, 78 Grâce à cette notification, le tiers de bonne foi pourra défendre à temps ses intérêts comme par-tie intervenante devant la juridiction pénale. Le tiers de bonne foi pourra participer, comme partie intervenante, à la procédure pénale pour se défendre à l’égard d’une confisca-tion, en vue de récupérer ultérieurement les avantages patri-moniaux qui n’ont pas été confisqués ou restitués (article 44 C. pén.) conformément au droit (de la procédure) civil(e).

En pratique, le professionnel ne pourra généralement pas introduire d’action en intervention volontaire devant les juridictions pénales, à défaut de pouvoir invoquer une « possession légitime ». Conformément à la loi antiblanchi-ment actuelle, il doit s’abstenir d’accepter des capitaux en paiement de ses honoraires et déclarer immédiatement l’opération de blanchiment ou la tentative d’opération de blanchiment à la CTIF. Il ne peut accepter et conserver les capitaux que dans l’hypothèse d’un blanchiment contrôlé. Dans les deux cas, le procureur du Roi auquel la CTIF a transmis son rapport ordonnera la saisie judiciaire des capi-taux. Le professionnel de bonne foi ne conserve les capitaux qu’il a reçus de son client de mauvaise foi qu’en attendant leur saisie. Cette détention temporaire ne constitue toute-fois pas une « possession légitime » au sens juridique. Le professionnel ne peut en effet pas se comporter en proprié-taire (animus domini), alors que c’est précisément le but poursuivi par le possesseur de bonne foi. La philosophie de l’approche de la criminalité axée sur les produits qu’elle gé-nère (« le crime ne peut pas payer ») s’oppose à ce que le professionnel conserve les capitaux qu’il a perçus. Sinon, le client pourrait économiser des coûts en finançant les servi-ces comptables et fiscaux légalement prestés au moyen d’avantages patrimoniaux illicites. Il devrait au contraire li-bérer pour cela les moyens financiers de son patrimoine lé-gal. Le professionnel de bonne foi ne pourrait sinon plus

77 Article 5ter titre préliminaire du C. proc. pén.78 O. KLEES, « quelques réflexions à propos du régime de la confiscation

applicable à l’infraction de blanchiment », dans Saisie et confiscation des

profits du crime, Anvers, Maklu, 2004, pp. 249-251.

invoquer la cause de justification du blanchiment contrôlé et, à défaut de justification de l’infraction de blanchiment qu’il a commise par le biais du blanchiment contrôlé, il ris-querait des poursuites pénales.

4° Appliquer l’arrêté royal du 9 août 1991 réglant le délai et les modalités du recours des tiers prétendant détenir un droit sur une chose confisquée ? Cet arrêté royal permet aux tiers de bonne foi, qui ne sont pas intervenus dans la procédure pé-nale, de faire valoir leurs droits sur le bien confisqué dans un délai de 90 jours après la condamnation judiciaire défi-nitive. Le tiers fournit au greffier la preuve du fait qu’il a porté sa revendication devant le juge (civil) compétent. L’État ne peut alors pas exécuter la condamnation de confis-cation jusqu’à la décision définitive du juge sur la revendi-cation de ce tiers.

Même s’il est admis que cet arrêté royal s’applique à la confiscation en matière de blanchiment79, le professionnel de bonne foi ne peut pas faire valoir cette voie de recours à l’égard de la décision judiciaire qui a confisqué les capitaux, car comme créancier d’honoraires, il ne rentre pas dans le champ d’application de cet arrêté royal. En cas de confisca-tion d’une somme préalablement saisie, qui est individuali-sée et non mêlée à d’autres sommes, comme par exemple le solde créditeur d’un compte bancaire bloqué, l’État dispose d’une créance sur la banque et peut se faire payer immédia-tement ce solde.80 À défaut d’une saisie préalable, la pro-priété des capitaux confisqués ne passe pas immédiatement à l’État. Celui-ci n’acquiert qu’une créance sur le condamné, à concurrence de la somme confisquée, à exécuter sur son patrimoine.81 La confiscation soustrait les capitaux du patri-moine du condamné et les fait passer dans le patrimoine de l’État. Le professionnel, créancier ordinaire, ne peut en prin-cipe exercer sa créance que sur le patrimoine actuel du condamné et non plus sur la somme confisquée (articles 7 et

79 Pro : E. FRANCIS, « De verbeurdverklaring van andermans goed :

forum shopping ? », note sous Corr. Anvers, 28 avril 2006, T. Strafr.,

2007, p. 128. Contra : J. ROzIE, « Over de beperkte actieradius van het

KB van 9 augustus 1991 », note sous Anvers, 20 juillet 2004, T. Strafr.,

2005, p. 62.80 Cass., 11 janvier 1990, Arr. Cass., 1989-1990, p. 625. Voyez aussi

Cass., 28 juin 2007, R.G. n° C.02.0173.F, www.juridat.be.81 Cass., 16 octobre 2007, N.C., 2007, pp. 435-436.

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8 loi hypothécaire).82 Un créancier privilégié est légalement fondé à exercer sa créance sur la chose confisquée, en quel-que main que celle-ci se trouve (droit de suite) : un créancier hypothécaire pourra ainsi affecter la chose confisquée à l’apurement de sa créance

4. Conclusion

L’expert-comptable externe ou le conseil fiscal externe ris-que une condamnation pénale pour blanchiment (arti-cle 505 C. pén.) s’il accepte des honoraires sans la moindre réserve, même en paiement de services comptables et fis-caux parfaitement légaux, lorsqu’il sait ou aurait dû savoir que les capitaux qui lui sont remis ont une provenance illicite. Les experts-comptables et les conseils fiscaux qui, comme « conseillers techniques », assistent des entreprises poursuivies pour fraude fiscale doivent s’y montrer particu-lièrement vigilants.

Le professionnel peut se prémunir d’éventuelles poursui-tes pénales par le biais de la cause de justification du « blan-chiment contrôlé ». Il accepte le paiement et le déclare im-médiatement à la CTIF, bénéficiant en tout cas d’une immunité de poursuites pénales pour des infractions de blanchiment liées à une infraction de base énumérée à l’ar-ticle 3 de la loi antiblanchiment du 11 janvier 1993. S’il cesse toute collaboration professionnelle avec le client concerné après sa déclaration à la CTIF, il ne pourra en aucun cas se référer à la déclaration qu’il a faite (interdiction de divulgation).

La procédure du blanchiment contrôlé renforce aussi l’ap-proche de la criminalité axée sur les produits qu’elle génère. Il est plus facile pour les services de police et les autorités judiciaires de saisir des avantages patrimoniaux illicites auprès d’un tiers de bonne foi, tel que l’expert-comptable

82 Voyez F. DESTERBECK, De inbeslagenming en verbeurdverklaring

in strafzaken in België, Malines, Kluwer, 2007, p. 68 et C. DESMET,

« Derdenbescherming bij strafrechtelijke inbeslagname en

verbeurdverklaring », T. Strafr., 2008, pp. 260-262 (n°s 29-30).

externe ou le conseil fiscal externe, qu’auprès de son client criminel. Le devoir d’abstention comporte en effet le risque de voir le client se méfier et transférer sans retard ses avan-tages patrimoniaux illicites vers une destination inconnue à l’étranger. A fortiori si le professionnel tente de faire renon-cer son client à une activité illicite. La facilitation de la saisie rendra bien sûr aussi plus effective la confiscation des avoirs criminels.

La disposition de la 3e directive européenne antiblanchi-ment qui instaure le blanchiment contrôlé n’avait, hélas, toujours pas été transposée en droit belge lors de la mise sous presse de cet article, et cela bien que le délai de trans-position soit venu à échéance. En attendant cette transposi-tion, le professionnel doit refuser d’accepter l’argent en paiement de ses honoraires et informer immédiatement la CTIF de l’infraction de blanchiment ou de la tentative d’in-fraction de blanchiment.

Les possibilités juridiques dont dispose le professionnel de bonne foi pour récupérer les honoraires afférents à des ser-vices légalement prestés par un prélèvement sur les fonds saisis et éventuellement confisqués par le juge pénal, sont relativement limitées. Pour le professionnel de mauvaise foi, ces possibilités sont carrément nulles. Dans la pratique, le professionnel de bonne foi devra récupérer ses honoraires par un prélèvement sur le patrimoine légal de son client.

La rédaction du présent article a été clôturée le 9 février 2009. •

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