BLOCNOTES No. 11 (1996) Extremes Beautés (Ocr)

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  • \ R T CONTEMPORAIN

    IUMERO 11 EXTREMES BEAUTS ~NV.-FIv. 96 40 ff

  • 111111111111111111111111

  • 111111 11 111111 121.3 700

    Directeur de la publication Frank Perrin

    Rdactrice en chef Armelle Leturcq

    Comit de rdaction Laura Cottingham, Armelle Leturcq, Frank Perrin,

    Terry R. Myers, Jean-Yves Barbichon

    Rdacteur5 Franoise Collin, Lise Guhenneux, Johanna Hofleitner, Raphale Jeune, Luk Lambrecht, Catherine Macchi , Stphanie Moisdon-

    Trembley, Jean-Franois Raffalli, Sergio Risaliti, Philippe Rgnier, Giorgio Verzotti, Pia Viewing

    Coordination de la rdaction Frdric Fournier

    Publicit Murielle Mucha

    Conception graphique daily museum

    Rall5ation graphique Eric Macbo)) Bonnet

    Imprimeur: Sintjori,;, Gand ISSN 1243-700 X Commis,;ion paritaire n' 74876

    Index par Artbibliographies (Oxford) EdiU avec le Concour,; du Centre National du Livre

    bime,;triel Tex< .. @ BLOC NOTES

    BlO CNOTES 53 rue Doudeauville 75018 Pari,;

    Tel (33-1) 42 64 96 23 Fax (33-1) 42 64 95 92

    James Lee Byars Larry Clark

    Robert Gober Douglas Gordon

    Dan Graham Eike Krystufek Ketty La Rocca

    Joep van Lieshout Philippe Meste

    Max Mohr Mario Perniola

    Bernhard Rudiger S a m Samore Beat S t reu li

    UfUISCHIA ND 14 DM . AUSIRIA 90 S BElG loUE lRo fR . CANADA S Il . SPANIA 900 PIS ITAIIA 11 000 1. NEDER1A No 16 ft SUISSE Il fS . USA S

  • DITO La beaut, celle-l que l'on croyait perdue dans les confins de l'acadmisme, nous revient sous des formes extrmes. Parce que notre relation au plaisir est devenue excitation (Perniola), des attitudes radicales (actionisme ou situationnisme) exhalent une soudaine beaut. Elle emergerait donc du champ de l'existence vcue dans ses limites. Cette beaut insolente certes, se refugie donc dans la vie, et n'apparait plus seulement dans les formes mais dans celles capables de donner des formes la vie. Ainsi de James Lee Byars cadrant sa qute de perfection sur les dimensions de sa vie. Car en fait qu'est-ce qui est beau, si ce n'est ce qui

    Rf ter wandering lost on the confines of academicism, beauty is coming back in ex treme forms. When our

    relation ta pleasure becomes exc itation fPemiola), radical attitudes like actionism or situationism breathe out a sudden beauty. If emerges from

    the field of existence pushed ta the limits: an insolent beauty, taking

    refuge in life. appearing only in forms that can give form ta life. James Lee

    Byars frames his Quest for perfection within the dimensions of his own life.

    Because what's beautiful in the end, if not that which anima tes, operates, generates? Contemporary forms of

    beauty ail involve movement. they 're found in the street, glimpsed at the

    c inema ... Such a mutation opens up these

    Questions: how art offers models for

    anime, met en uvre, ou gnre. Ces beauts contempo-raines appartiennent donc au mouvement, se receuillen t dans les rues, se contemplent au cinma ... Cette mutation nous ouvre l'enjeu suivant : comment l'art propose des modles la vie et inversement comment la vie gnre la cration. Mises en direct, il y aurait autant de beauts que de faits, d'intersections et d'vnements. Question de moteur qui ouvre le champ d'autant de grandeurs ordinaires, de luxes quotidiens .. . o un nouveau type de beaut se met en marche. Nos beauts contemporaines sont devenues nos principes d'activit, et nous demandent pour finir ce dont nous sommes capables. Ce num ro e s t d di Gilles Deleuze et Michel Journiac, d e ux auteurs, leur fa on d 'extr m e b eaut

    life and conversely, how life generates creation. R direct

    connection means as many different beauties as there are things,

    intersections and events. It's ail a matter of the driving force that cracks

    open the field of sa many ordinary

    grandeurs, everyday luxuries -

    where a new kind of beauty cames

    into play. Our contemporary

    forms of beauty have become principles of

    activity. They ask uswhat we can do.

    Robert Filliou. Ev e ryt hing Looks B e autif ul if You Put Your H e art in it,

    o C olle ction D r U lbricht. Paris

    Couverture: S am S a mare. {(A llegorie s o f B eauty", 1995 C Galerie Anne de VUlepoix

  • Michle Bernstein, Asger Jorn, inconnue, Guy Debord dans le film de Guy Debord : Sur le passage de quelques personnes travers une assez courte unit de temps)), 1959

    4 B l 0 eND j( S

  • Le beau extrme

    Si la beaut est traditionellement lie la notion de plaisir, elle prend aujourd'hui une forme diffrente, davantage de l'ordre de l'excitation impersonnelle. A cet gard,

    Schwarzkogler et Debord reprsentent deux attitudes spcifiques: si l'un s'identifie avec le cosmos et l'autre rejette radicalement la culture contemporaine; tous deux

    Mario Perniola

    relvent de cette extrme beaut contemporaine. Composition naturiste. 1952

    La notion d'excitation me semble plus apte dcrire la sensibilit ac tuelle que celle de plaisir. Ce dernier, qui a une longue tradition dans l' histoire de la rflexion esthtique, implique ncessairement "un sentir du dedans". Telle prmisse conditionne toute l'histoire du concept du plaisir, comme on le voit trs bien travers la pense de son premier thoricien, le philosophe grec antique Aristippe. A son avis, il existe une sorte de toucher interne qui constitue le seu l critre de jugement portant sur le vrai et le faux. Platon lui-mme, qui opre une profonde rforme de cette notion en la socia li sant, souligne le fait que le plaisir doit tre conscient de lui-mme. Quant Aristote, la

    . relation troite qu'il tablit entre le plaisir et l'acte, entendu comme ce qui a sa finalit en soi-mme, raffirme l' intriorit de cette exp-rience, en l'opposant ce qui est seu lement en puissance. La dernire

    Mario Perniofa, Le beau extrme BlOCNOlES.

  • Guy Oebord. Michle Bernstein, Asger Jorn Paris

    grande thorie antique du plaisir, celle d'Epicure, en considrant que seu ls les plaisi rs de l'me sont vrais, ne s' loigne pas de cette manire de penser. La rflexion moderne du plaisir raffirme son caractre intrieur. Pour Leibniz, qui peut tre considr comme le plus g rand penseur moderne du plaisir, chaque act ion gnre le plaisir parce qu'elle s'origine l'int-rieur de la substance: en

    effet, seu l existe au sens propre ce qui trouve son mouvement en so i-mme en vertu d'un principe interne. Le plaisir, qu'il dfinit comme un sentiment de perfection, est li non pas au mouvement extrieur, mais une rserve infini e et inpuisable de force de mouvement. Pour Kant, la relation entre le plaisir et le sujet transcendantal mne au concept de sentiment (essentielle-ment distinct de la sensat ion tant donn son fondement subjec tif) , au concept de beau (essentie ll ement distinct de l'agrab le et du bon), et au concept du got, dfini comme une facult de juger selon un plaisir ou un dplaisir priv d'intrt pour l'existence du sujet. Selon Fechner, le pre de la psychologie sc ientifique, le principe de plaisir est caractris par sa constance et son homognit: tout ce qui produit un e exc itat ion plus grande est ressenti comme dsagrable; l'expri e nce du plaisir drive du fait de maintenir la quantit d 'excitation au niveau le plus bas possible. C'est seu lement avec Freud que le plaisir prend le ca ract re de " l' inqui tan te tranget" en conflit avec les pulsions du moi: mais tout ce la n'est pas dpourvu d'ambigut, surtout parce que la simp le notion de plaisir se trans-forme en ce lle beaucoup p lus complexe de Lust (convo itise); en second lieu parce que dans la deuxime phase de la pense, Freud oppose au principe de plaisir le principe du irvana qui , indissociable de la pulsion de mort, tend rduire l'excitation au niveau zro, c'est--di re rduire l'tre vivant l' tat . . Inorgal1lque.

    6 BlOCNOUS

  • A mon av is, l'ex p ri e nce co nte mporaine va dans une direc ti o n to ut fait op pose au ca rac t re intr ie ur du pl aisir : ce ll e-c i me se mbl e spcifie pa r un sentir du de hors, q ui pe ut tre d fin i com me excitation, au sens Ol! le senti r est pouss vers l' ext ri e ur, exp uls du suj et et plac dans un contexte neu tre et impersonne l. C'es t ie tzsche q ui le pre mi er a oppos l' imperso n-nalit d u pe nser au subjectivisme ca rts ie n, q ui le pre mie r a oppos le on pense (es de nkt) au cogito : il s'agit mainte nant d 'opposer le on sent au je sens hdoniste .

    . Dans la pro bl mat iq ue du se n t ir im pe rso nn e l conve rgent dive rses exp-ri e nces e t des ori e nta ti ons de d iff re nte nature. Il y a ava nt tout certaines formes d'exp ri e nce re li gie use qui pl onge nt le urs rac in es dans l'hi stoi re la plu s lointaine: de l'a nimisme l' inve rsion gypti e nne e ntre les hom mes e t les choses, la transe (dans ses mani fes ta ti ons e n G rce anti q ue, da ns les ritue ls afri ca ins e t afro-am rica ins, dans l' Islam mys t iq ue ... ). Tout ce mat-ri au, dep u is longte m ps l'obj e t de l' int r t an th ropo logiq ue, m ri te d' tre reco nsid r non co mm e le vestige d ' un e me ntalit arch aq ue, mais com me l'a ntic ipation d ' un sentir du de hors qui pe ut e nfin aujo urd ' hui tre indi-vid u e t th o ri s dans sa spcific it. D e plu s, ra ppe lo ns l' imp ortance de l'exp ri e nce poti q ue, arti stique, mu sica le e t litt raire q ui a, de puis toujours, so ulign la di mension ne utre e t impe rsonne lle de la cration, l'autonomie de l'uv re oppose au process us c ra ti f, la sa uvage trange t de l' in spirat ion oppose la subj ec ti v it e n total co ntr le de so i-m me. L auss i, il fa ut manciper ces exp ri e nces du contexte souvent troit dans leque l e lles sont tudi es, e n le ur attribu ant un e signifi cati on plu s vas te e t gn rale. En troi-s i me li e u, o n ne pe ut pas oubli e r la r fl ex ion phil oso phi q ue au su je t du mode d 'tre de la chose, au suje t de la r ification e t de l' ali nation : e lle offre des structures conce ptue lles e t des paradigmes aptes explique r des ph no-m nes pre mi re vue paradoxa ux e t extravaga nts. Au de l de la re ligion, de l'a rt e t de la philosophie, il y a cepe ndant un q ua-tri me domaine d 'exp ri e nce bi e n plus ambigu q ue l'on pe ut q ualifi e r avec le mot anglais s lippe ry, qui signifie glissa nt (morale me nt dangere ux). Dans ces exp ri e nces, le se ntir du de hors es t ancr, sinon conditi onn , par des facte urs ph ys iq ues, chimi q ues, techn ologiqu es. Dans cette q ua tri me ca tgori e sont comp ri s l' usage des drogues e t l' in d ustrie culture lle (sc ie nce-fi ction, horre ur, publicit, musique rock ... ), ce q ue l'on pe ut nommer corps extr me (sport de co mp tition, sadomasochisme, activits para-sport ives no limits ), la ra li t virtue ll e e t toutes ces exp ri e nces- limites qui ont un sup-

    Mario Perniola, Le beau extrme B l 0 eN 0 If S 7

  • port extrieur. On pourrait dfinir ce quatrime monde par le terme de post-humain ou post-organique parce qu'il place le centre de la sensibi lit en dehors de l'homme. Il nat ainsi un Senti r Artificiel dont le caractre essen-tiel est d'tre exprimental. La premire tche qui nous attend est de sa isir la cont inuit entre les trois formes traditionnelles du sent ir du dehors (religion, art et philosophie) et la quatrime forme sli ppery : cela est possible co ndition d'abandonner les prsupposs spiritualistes et vitali stes dont la culture est reste, jusqu' pr-sent, prisonnire. C'est pour cette raison que l'excitation devient un mot-cl du se ntir actuel. Sous cet aspect, le mot anglais excitement semble plus app ropri parce qu ' il n'implique pas de jugement a priori: excited , en anglais veut dire soit rempli d'motion et d'enthousiasme, soit excit en un sens physique, mais ne comporte pas comme en franais le sens de inqu iet et ag it (expression qui se traduit par worked up ou restless ). En somme, l'a nglais libre
  • Rudolf Schvvarzkogler. 6 m e action. 1966

    ti ves, qu i co nduit non pas l'in se nsibilit, ni l'a pathie, mais un se nt ir re te nu e t dpourvu de sa ut, continu dans son coule me nt sans ruptu re . Tout ce la n'es t vid e mme nt pas d pourvu de dange r. Il y a toute une patho-logie de l'excitation dont les mod les conce ptue ls sont fournis par l' immu -nologie, c'es t--dire par cette branche de la bi ologie e t de la mdec in e q ui tudi e les rac ti ons immunitaires. Ce tte di sc iplin e a acco mpli d urant ces d e rni res a nn es d e g ra nd s prog rs, et on s'a tte nd ce q u 'e ll e pui sse ap porte r une contributi on essenti e lle la compr he nsion des d ispos itifs q ui ca usent le cance r, les maladies auto-immunitaires, le SIDA, les a ll e rgies e t les reje ts d 'organes artifi ciels . Le point central de la pe nse immunologiq ue es t e n effe t, propre me nt parler, l' tud e du rapport e ntre le so i e t le no n-soi. Com me nt l'o rga ni sme pe ut-il di stin gue r ce q ui lui es t propre e t ce q ui lui es t trange r ? Co mm e nt es t- il poss ibl e d ' largir le champ des l me nts propres l'organisme trave rs un e manipulati on exp rime ntale? Comm e nt l 'o rga ni s m e pe ut - il res ter ind e mne m a lg r la p n tra ti o n d 'age nt s

    Mario Perniola, Le beau extrme 8 l 0 eND lE S 9

  • Rudolf S chwa rzkogler. 3 rne action. Vienne. Autriche. 1966

    in fec ti e ux? Les q ues ti o ns qu e se pose l' immun olog ie prse nte nt un e t ro ite affi nit avec la p ro bl matiqu e o uve rte par le se ntir du de ho rs. Co mm en t la pe rce p t io n d e so n propre co rp s co mm e qu e lqu e c hose d't ra nger peu t- e ll e res te r ind e mn e d 'effe ts des tru cte urs? Co mm e nt se so ustra ire aux dange rs opposs d ' une excess ive ractivit ou d ' un manqu e de dfense e nvers l'ext ri e ur ? L' tude d u sys t me immunitaire es t du reste ce qui fe ra e ntre r la psychoso-mat iq ue da ns un hori zo n pi st mologiqu e plus fe rm e e t prc is. E n effe t, dans la th rapi e des malades psychiqu es on se nt auss i le besoin de passe r du contexte pure me nt me nta li ste de la psychanalyse ce lui de la so mati sa ti on e t de la manifes tati on ph ys ique . Ce passage es t s lippe ry, c 'es t--dire auss i d a nge reux que ce lui q ui no us m ne d ' un e es th tiqu e du pl a is ir un e thori e de l'excitati on : il semble e n e ffe t que l'a v nem e nt d ' une e mpiric it irrd uct ib le aux principes philosophiques comm e l'es prit ou la vie, doit tre acco mpagne d' un e pe rte de co h re nce m th odologiqu e. Mais pro babl e -ment tous ces scrupul es sOnt exagrs: je crois qu e le nouvea u monde es t rgi par un ordre co nce ptue l qui n 'es t pas moins ri goure ux qu e ce lui qui rgissa it le mond e pass.

    10 BlOCNOHS

  • Cette problmatique se retrouve galement dans l'art contemporain qui com-porte des aspects profondment psychopathologiques. Le lie n entre l'art et la maladie n'est pas une nouveaut: le romantisme et le dcadentisme ont sou-lign l'importance de ce lien. Mais, en gnral, ils ont vu la maladie comme une resssource d'o procde l'art qui sauve et gur it routes les misres et routes les douleurs parce qu'il se pose par dfinition sur un plan diffrent de la ralit empir iqu e. Bien diffrente est la situ at ion actuelle! A travers des chemins artistiques diffrents s'affirme une tendance dsubjectiver l'exp-rience, s' id entifier avec le rel, se faire un corps tranger, expu lser de soi ses propres organes sensorie ls, les loca li ser dans quelque chose d'extrieur. L'art perd ains i sa spiritualit et acquiert une consistance physique e t mat-rielle qu'i l n'avait jamais e ue auparavant: la musique est son, l'art figuratif se fait la fois visib le et tactile, le thtre est action. Ils ne sont plus l'imitation de la ralit, mais ralit rout court sa ns mdiation du sujet. L'aspect dramatique de ce processus consiste dans le fait que cerre ten-dance se perdre dans le monde extrieur, reprsente un des aspects essenti e ls de la psychose: je sui s fascin par l'extriorit. Je deviens ce que je vois, ce que je sens, ce que je rouche : la surface de mon corps s' identifie avec la surface du mond e ext ri eur. Cerre exprience s'accompagne d ' une excitation qui devient bientt ma seu le raison de vivre, mais dans cerre activ it de projection je trouve de grandes rsistances. Le psychanalyste franais Sam i Ali exp liqu e trs bien ce processus quand il dfinit l'allergie comme Ic ngatif de la psychose: le rel qui me donne l'asthme est celui avec lequel je n'arrive pas m'identifier, ce lui qui rsiste mes tentatives de le pntrer. Il semble donc que dans cerre structure la seu le alternative soit ent re la psychose et l'a ll ergie. Dans la cu lture contemporaine, il y a deux figures qui respectivement incar-nent les deux ples de ce dilemme. E ll es font partie intrinsque de ce que l'on pourrait nommer une hagiograp hi e secrte de la contemporan it . Le premier est l'artiste viennois Rud olf Schwa rzkogler (1940-1969) auq uel une exposition a t consacre au centre Georges Pompidou, Paris, en 1993. Il me sembl e l'exemple d'un ra li sme psychotique dans leq ue l le corps mme de l'artiste va s' id entifie r avec le cosmos. Le deuxime est Guy Debord, principal reprsenta nt du mouvement situat ionniste. lime semble l'exemple d'une ractivit exagre e nvers la cu lture con temporaine qui, e n refusant route comprom iss ion avec elle, trad uit un effet radical d'allergie envers le monde. Tous deux sont l'expression d'un beau extrme.

    Mario Perniola, Le beau extr8me BlOCNOlES 11

  • Nan Goldin, Joey at the Love Bali, NYC 1991 . 2 Jeff Wall, Mimic .. , 1982. 3 David Hammons, Blizzard Bali Sale, 1983, NY. 4 Douglas Huebler, Variable Piece n " 70 (dtail) 1971. 5 Shadovvs .. , J . Cassavetes, 1959. 6 Gillian Wearing. Homage To The Woman With The Bandaged Face Who 1 savv Yesterday Dovvn The Walvvorth Road .. , (detail) 1995.

    14 B l 0 C NOIE S

  • La Beaut, la rue

    Frdric Fournier

    Comment le rue est devenue le terrain de la modernit en mme temps que le territoire o la beaut concide

    avec son fait Entre cinma, actualit et rencontres, il s'agit de voir comment la beaut a aujourd'hui

    acquis des devenirs mobiles.

    L ie u de passage, de consommation , d 'change, la ru e es t une scne o se joue nt les modes, les m urs comme les mutations contempo-rain es . T e rritoire par exce ll e nce de to utes les form es de dp lace-me nts e t d 'activits, la rue est devenue aujourd 'hui le th tre global de nos cra tions, qu 'e lles soie nt trouves ou d libres. la rue, la modernit ... F lux co ns ta nt e t mi xages in sta n tans, e ll e produit les form es e t les va le urs sa ns cesse reco mp oses d' un e es t h t iqu e dfinitive ment urbaine e t mode rn e. D j Bau de laire dcouvre d ' un b loc, la ru e e t la mode rnit, e t le li e n indfec ti b le q ui les soud e nt ; Le f lneur accorde al/X brillalltes p laques d 'mail o SMlf crits les noms des socits, /0 valeur que le bourgeois accorde la peinture l'huile dans son sa/Ml '. De puis longtem ps, il se mbl e q ue la bea ut es t descendue dans la rue . . .

    Frdric Fournier, La beaut, la rue BlOC NOIfS .

  • Larry Clark. Kids. 1995

    la beaut exaltement ... Parce qu'elle incarne l'air du temps, qu'e ll e ne produit que de l'actua lit, parce qu'e ll e es t le prsent, le ralisme co ntemporain, le fait nu l'tat brut, la rue est devenue le thtre de la beaut exacte. Comme dans les photos vo les de passants, chez Beat Streuli, stricts segments urbains d'h istoires anonymes , anecdotiques, flottantes et fugi-tives , la beaut se ramasse dans la rue. 2 A rebours de la conception obsolte d'une beaut universelle et atemporelle, le fait urbain dans son effervescence, dgage sa beaut propre, particulire et circonstancielle. Et rejetant la notion classique d'une beaut absolue fige dans ses canons, elle produit une beaut mouvante, inattendue et lgre: sans diffr, en direct.

    16 B lOCH 0 If S

  • Larry Clark. Kids. 1995

    la beaut-cinma ... A la fois jeu, action, instant, vitesse et violence, la rue comme au cinma produit de la beaut dans son passage mme. Il faut ici se rappeler comment l'impressionisme a dcouvert le boulevard, comment la ouve lle vague a quitt le studio pour la ville, pour voir comment la beaut depuis son programme moderne a un devenir-urbain. Insre comme vritab le ready-made cinmatographique (voir A bout de souffle de Godard ou Shadows de Cassavetes), il ne s'agit plus de l'utiliser comme dcor, mais comme une ralit enfin part entire. La rue n'est plus seulement un espace filmer, mais possde un corps en tant que tel. Elle est la matire premire d'une beaut qui s'auto-gnre, sans pralable, manifeste d'une nouvelle relation: il n'y a plus d'esthtique de la rue, mais la rue est l'esthtique.

    Frdric Fournier, La beaut, la rue 8 LOC NO TE S 17

  • Beat Streuli, USA, 1995 Ph. couleur, Galerie Anne de Ville poix

    la beaut-vnement ... La rue est le territoire du rom anti sme moderne, sans effet aucun, tout entier dans son fait. Comme dans la rue, la beaut a cess d'tre une forme pour devenir vnement. Le hros contemporain est forc-ment urbain , il ne vit pas en ville, mais de la ville, travers e lle. La ville, la peau, la pellicule: U11 mOl1de sans piti, olt Hippo fl ne dans Paris sans autre vritable but que d'y vivre l'instant prsent, Shadows encore qui s'immerge dans les clubs de jazz underground au cur de ew-York, Kids enfin, olt Telly et Casper ont soif et vole nt un e bouteille, ont faim et volent l'ta lage, veulent se baigner et entrent en fraude dans une piscine ferme ... Lieu ouvert toutes les expriences, la rue autorise les trajectoires individu e lles clates, mobiles et surtout sans modle, e lle dcouvre dans l'instant l'exigence des impulsions fugitives.

    Vers des uvres drivantes ... Pour Baudelaire le hros de la modernit est le fl neur 1/ va oisif comme lm homme qui a une persollllalit .. .I .. . il aspire av' dlice tous les gennes et tous les effluves de la v ie. La foule est SOl1 domaine. 3 La nou velle vague est aussi une nouvelle dambulation ... Le situatio ni sme retrouve le

    18 B l 0 C Nor E S

  • Beat Streuli, USA, 1995 Ph . couleur, Galerie Anne de Villepoix

    visage de la beaut dans la drive 4 .. ' La dambulation elle-mme est devenue une uvre part entire (de Stanley Brown, This wuy Brown, 1962 jusqu' And r Cadere, 1970 ) ... Face aux conventions et aux tentatives d'uniformisations en tous genres, conomiques et identitaires, l'espace urbain reste encore un terrain de rsis-tance sauvage, gnrateur d'une beaut libre et autOnome, dans le sens ou elle ne suit pas un axe unidirectionnel, mais s'appuie sur la multiplicit des formes et des prsences, Gnratr ice de modes, de logiques, d'attitudes et de comporteme nts nouveaux, la rue redessine notre esthtique contemporaine. Sans dtour, exactement sous son soleil, la beaut, la rue,

    1 Walter Benjamin, Charles Baudelaire, un pote J'apoge du capitalisme, (Petite Bibliothque Payot, 1982). 2 lan Wallace dj en 1973 dans La Mlancolie de la rue, prsente une srie de photographies d'un visage et le mouvement de son regard, pris dans la rue. " C'est un coup d'il itinrant, apparemment sans but, inutile dans la routine de la ville .. ./. .. L'inutilit mme du regard est ce qui se montre. Jeff Wall, La mlancolie de la rue: L'idylle et le monochrome dans le travail de lan Wallace 1967-82. 3 Charles Baudelaire, Curiosit esthtiques; L'Art romantique, Edition de H. Lemaitre, Classiques Garnier, 1987. 4 Guy Debord, Rapport sur la construction des situations et sur les conditions de J'organisation et de J'action de la tendance situationniste internationale, 1957.

    Frdric Fournier, La beaut, la rue B l 0 tH 0 1 f S 19

  • Collage 29. 7 x 21 cm.iI> Contem

  • Eike Krystufek, "une esthtique de la

    crudit" Entretien avec Armelle Leturcq

    Eike Krystufek filme et photographie son quotidien. Elle fait de ce face

    face une esthtique et de sa vie de tous les jours, un idal cinmatographique.

    Dans une relation toujours ambivalente aux apparences ...

    Aktion. V ienne 1990

    Armelle Leturcq : Votre travail est trs li votre exprience personnelle, votre vie, vous n'hsitez pas vous montrer dans des attitudes purement sexuelles dans vos collages ou vos vidos. E ike Krystufek : Tous ces travaux traitent des choses qui sont habi-tue llement caches . Je d teste le fait que des gens puissent cacher tant de choses, comme tous ce ux qui ne veu lent montre r que leu r facette professionnelle . Je montre presque to ut de ma personne, c'est plus facile de communiquer, une fois que vous connaissez tous ces l ments. J' a im e ra is ga lement que les gens montrent plus d'eux-m mes.

    Dans les annes 70, il Y avait par exemple des artistes comme Hannah Wilke qui montrait son corps quand elle tait trs belle mais aussi aprs son cancer, l'ge de c inquante ans. Aujourd'hui, nous n'avons pas autant d'artistes qui travaillent d'une faon s i directe . . .

    Eike Krystufek, entretien avec Armelle Leturcq BlOCIIOlES .

  • Performanceszene aus Jetztzeitn, Kunsthalle Wien. 1 994 @ photo : Uli Aigne,.

    La diffrence entre ces arti stes e t moi c'est qu'elles fabri-quent que lque chose, alors que je prends par exemp le un e camra dans des sit uations relles, a n'est pas ralis pour la camra, ce so nt des situations, lorsque je suis la maison, ou dans la sa lle de bain ou dans une conve rsat ion prive, il s'ag it presque de ready-made, parce que ce sont des situations qui existent dj.

    Ce sont des extraits de votre vie de tous les jours, par exemple la vido dans laquelle vous filmez en direct votre rupture avec le musicien Kim Fowley, Hollywood. Oui et quand vous transposez ce la dans un co ntex te artis-tiqu e, dans le monde de l'art, cela prend tout de su ite un aspect estht iqu e, une es th -

    tique propre, pour diffrentes raisons. Dans le cas de cette vid o avec Kim Fowley, elle montre deux personnes qui vivent une relation qui ta it e n fait un concept, une ide et qui ne pouvait pas fonctionner dans la vie de tous les jours. Surtout parce que la plupart du temps nous ne nous proccupions que de l'image que nous renvoyions au monde ext rieu r. ous vou li ons tre l'image d'Hollywood pendant la priode que nou s avons passe Los Ange les. Mais c'tait en fait in vivab le car no us av ions tous les deux des problmes physiques. J'tais tellement fascine par cette e nvie de corres-pondre cette illusion que je me fa isais d'Hollywood que j'ai fait durer cette relation avec Kim FO\.v ley bien au-de l de ce que j'aurais d, mme ap rs avoir compris que je n'tais pas heureuse, car c'tait comme un rve veill, qui tenait sur des vtements, du maquillage: une liaison idale entre l'a rt e t la musIque.

    22 B l 0 eND j[ S

  • Votre travail comprend une large part de violence, une violence trs physique. Est-ce que cette violence vous la ressentez aussi dans votre vie quotidienne '? O ui , la vio le nce dans la rue es t trs dure parfois. La fao n don t les gens me rega rdent, me pa rl e nt. Je ressens plu s de viole nce q uand je m' hab ille d'une faon trs f minine, les homm es me siffl e nt, s'ad resse nt mo i, je me sens vra iment offense, parce que m me si je m' habille ains i, cela ne veut pas d ire que je su is d isponible.

    Et vous ne voulez pas changer votre faon de vous habiller '? Parfois je change e t a pe ut donnc r un rs ultat t rs d iffrent, c'est d iffi cile de trouver une soluti on inte rmdiaire, si je change vraime nt d'accoutrement, je peux deve nir vraiment horribl e e t alors je ne pe ux plu s faire face aux gens qu i me con naisse nt so us un a utre aspec t. Pa r exemp le je po rte d es lun e ttes trs la id es, ce so nt des lun e ttes de la sc urit soc ia le e t l't je me fa is des chi g no ns e t je suis vra ime nt affr e use co mm e a. Ds lors les ge ns ne m 'adresse nt p lus la pa ro le, je me se ns e n q ue lq ue sorte invisible, personne ne s'occupe plus de moi.

    Est-ce que votre travail est aussi une raction contre toutes les agressions physiques que peuvent subir les femmes '? A propos de ce la, dans la vid o inti-tu le lVeil7illger, q ue j 'a i ra li se e n 1994, je li s un tex te d e Otto We inin ge r : ce so nt toute s ses projec ti ons sur ce qu e les femm es ve ul e nt , p e nsc nt , e tc . pa r exe m p le des cl ic hs co mm e

  • Baby, Is. I\rnericJ A:r e ':Pl>. t'r\~ ~. Or the enD l'. ... '\.e

    ccAnothe r American Dreamn. peinture. 1995.

    Suture.JI photo couleur, 1994

    24 B l 0 eN 0 If S

    q ue d' habit ud e q ua nd je so rs je n e m' hab ill e pas de la m me fao n q ue qu and je sui s la maiso n, c'est comme si j 'avais p lu sie urs pe rso nn a lits, j 'essa ie de pre ndre e n compte tou tes ces di ffrentes face ttes. Ce la fa it rire les ge ns ma is ce la mon tre tout le spectre d' une personnalit, to utes ses di ff re ntes ap pare nces, ses mod ifica tions poss ibles, cela me re nd plus l' a ise, je pe ux m 'a rra nge r po ur to ut mo ntre r, il n 'y a pas un e ve rsion uniqu e. D 'a utre part ,ce qui es t int ressa nt c'es t q u ' il ya un vrai dca lage e ntre le fa it de s'ha bill e r d ' un e fao n f minin e o u pas. Lorsque je suis la maison c'es t un pe u a-sexu e t je ra li se que lorsq ue je va is vo ir mes ami es ou ma m re je ne me so ucie pas de mon habill e me nt, je sa is qu ' il n 'y a pas de je u de ce c t-l .

    Vous venez juste de faire Berlin la galerie Contemporary Fine Arts, une exposition sur le modle Edie Sedgwick, qui tait la Factory avec Andy Warhol, qu'est-ce que vous pensez de son expr ience ? Au d pa rt j ' ta is u n pe u c ure pa r l'hi sto ire d e sa v ie (s ur to ut d e l 'a u to-des truction e t un e bea ut stoppe par un e mo rt p rcoce) e t l' ex pos iti o n p orta it d 'ava ntage sur le probl me que je re ncon-t ra is trava ill e r sur un th me q ue mo n ga ler is te ava it c ho is i. D ' un e ce rta in e faon, je me sui s se nti e ma nipul e mais j ' ta is auss i int resse me laisser mani-p ul er, je me sui s de mand e pourq uoi les ga le ri s tes ava ien t beso in d e mO I po ur exprimer le urs propres id es.

  • Je me souviens de votre pice: The religion school book, il s'ag is-sait d'un magazine qui conten-nait des photos de bondage en noir et blanc tires d'une revue porno: des femmes dans des positions trs masochistes. Que pensez-vous que cela provoque chez le spectateur, de voir ces photos dans le contexte de l'art? Po ur mo i, q ua nd je vo is ce gen re de magazin es ce la me fasc in e vra im e nt pa rce qu e c'es t l 'ex press ion la plu s direc te d ' un e c hose d e re ll e : la fao n do nt les fem mes so nt traites sex ue l-le me nt e nco re a uj o urd ' hui . Ma is je pe nse q ue s i vo us montrez ce genre de choses, ce la peu t vo us a id e r, c'es t te ll e me nt fo rt , ce rta in s homm es ne supporte nt pas, ce la montre des se ntim e nts ccAlways thought 1 was more like Marilyn Monroe,. 1995 q ui existe nt e ncore aujourd ' hui . Le texte, imprim sur les images, vient d'un livre d'co le re ligie use (ca th oli que), cela parle par exemple, de tout ce qu'on doi t fa ire quand on se mari e, q uand on aime vraiment q ue lq u'un, c'est auss i li au paradi s, c'es t trs ca th olique, c'es t trs str icte e t abs urde. Da ns ce cas, j 'a i r pondu des aggress ions q ue j 'avais vcues l'co le. D'u ne part parce q ue j 'a i t duqu e avec ce ge nre d e tex tes e t d'a utre part, pa rce que l'cole a t trs dure auss i ph ys ique me nt : les lves doivent reste r ass is sur une chaise 6 he ures d 'affili e e t e nsui te 4 ou 5 he ures la maison, et cela m 'a donn des pro bl mes de dos, ma colonne a p ri s une mauvaise position aprs to utes ces ann es. C'es t qu e lq ue c hose auqu e l les gens ne pensent ja ma is, bea uco up d 'e nfants ont ce ge nre d e prob l me, aprs 12 a n nes passes l'cole .

    EJk~ Kry5tufek, entretien avec Armelle Leturcq B l 0 eN 0 l( S 25

  • Le corps est trs important dans votre travail, sa reprsentation sociale et toutes les pressions qu'il subit . .. Effec ti vement, je ressens la viole nce ava nt tout dans mon co rps, il devie nt le refl e t de to utes les exp ri e nces que j 'a i vcues. Il me re nvoie ces exp-ri e nces e t j 'a i beso in a lo rs d e tro uve r des transfo rma ti o ns . Qu a nd je ressens bea uco up de press ion de la part des ge ns e t q u' il s ne ra li se nt pas q ue c'est trop pour moi, pa rfois c'es t trs d iffic il e de d ire q ue lq ue chose et je s ui s ob lige de tro uve r de nou ve ll es modalits dans mo n t rava il po ur transformer ce tte agress ion. Je ra li se que j 'a i vraime nt de la chance d ' tre arti ste, j 'a urais pu deve nir se ri aI kill e r ou drogue, si je n'ava is pas e u cette poss ib ilit de ne pas d tru ire les choses e t les ge ns. Je pe nse qu e mon art es t une th rap ie pour moi, m me si c'es t un clich qu e de dire a.

    (cJustine and m en. collage. 1993/94

    26 B l 0 rH 0 T ( S

    Est-ce que vous pouvez dire que vous avez une position fministe ou pas du tout '? Je ne pense pas tre vraime nt f mini ste, je ne pe nse m me pas au fait d ' tre une fe mm e, je pense moi comme un tre hum a in , je n 'a i pas cette co nsc ie nce-l . J' a i plu s l' impress ion d' tre arti ste . Si j'tais f ministe, je pe nse q ue je fe rais un e grande d iff re nce entre les hommes et moi ...

    Mais quand vous dtes que vous sentez cette violence l'gard des femmes ... Dans ce cas je sui s f mini ste m ais je ne m ' int resse pas aux expositi ons fmini stes ou aux mouve me nts f mini stes, je pe nse q ue c'es t important e t je s ui s co nte nte qu e d 'autres fe mmes soient impli-

  • ques dan s ce ge nre de combat mais je ne pense pas tre une arti ste fmi-niste.

    Vous ne voulez pas parler au nom des autres femmes, a n'est pas votre position ... Non, de la mme faon que da ns la vie prive je fais de l'art, je pense que les artistes sont au-dessu s de ces proccupa-tions , il doit y avoir une grande libert d 'ac tion , il ne devrait plus y avoir de dcal age entre les hommes et les femmes dans le monde de l'art.

    Ce qui est intressant c'est que vous tes trs fminine, 1 am a formalist ... Photo couleur 1993 du moins en apparence, dans votre faon de vous habiller, et ce la semble un jeu pour vous. Cela me fait penser Pipilotti Rist qui elle aussi joue avec les clichs de la fminit. Parfois, le ct fminin d'un travai l est pris en compte comme quelque chose de ngatif. Une des raisons pour lesquelles j'aime votre travail, c'est que l'on voit tout de suite qu'il est fait par une femme, mais cela n'apparait pas comme un problme, c'est clair, a ne rejette pas le fminin, mais pourtant on n'y pense mme pas ... Pour la dernire exposition que j 'a i faite, j 'a i cousu des peintures ensemble et je me suis dit: c'est trop fminin, la couture, puis j 'ai pens tous les hommes couturiers. Mais parfois j'ai peur que mon travail ai l'air fminin. Parce que je pense que tous ces clichs existent encore, et q uc ces archtypes fm inins ne sont pas encore accepts dans l'art. J'essaie surtout d 'o ublier les archtypes , d 'e n faire abstraction pour pouvoir trava iller plus librement, mai s ils sont toujours prsents en fait.

    Eike Kry5tufek. entretien avec Armelle Leturcq B l 0 C N 0 J[ S 27

  • 28 B l 0 eND Tf S

  • Sam Samore, Allegorie,; of beauty, 1995 8 l 0 C N 0 [( S 29

  • Aller: HISTOIRES DE BEAUT, MOUVEMENTS D'IMMANENCE l'esthtisation du rl

    1 L'UNIVERSELlE BEAUT la fosse kantienne n rappel ct un constat s'imposent: la fo ndation de la beaut modcrn e tabli e par Kant,

    comme dsintresse (fina lit sans fin), libre, sans concept et universe lle, se trouve ell e-mme scinde dans la Critiqlle rie /0 foclI/t rie juger 1 entre esthtique et tlologique, c'est--dire entre champ artistique et nature orga niquc. Il est dc cc point important de so ul igner que c'est su r cette unit prcaire que les uvres ul trieurcs construiront leur entreprise. Tant du ct de l'idalisme allcmand (Fichte, Sche lli ng, Hegel) qui se dveloppera sur le projet de rconcilier art et rationa lit phnomnale, et plus globalement praxis et raison dans l'difice des systmcs. Tant du cot du romantisme all emand ( ovalis, Schlegel, Schlciermachcr) vou lant runir beaut esthtique et vie immdiate dans l'exercice de l'intuition. 1\ cst intressant de constater d'abord comment

    30 B l 0 eND If S

  • l' instaura ti on moderne de la beaut s' install e dans sa fondati on mme sur une sparation avec la vie, et que l'difi ce contemporain pourrait se comprendre la lumire de la conqute rconciliatrice de l'art et de l'existence. 2 LA BEAUT MOBILE l'aration baudelairienne Cette sparation, Baudelaire la pansera paradoxalement en ouvrant dans la beaut, la brche du prsent. Avec lui , le devenir, le passager, ou encore l'envers de l'ancienne beaut (perennit nous sauva nt du pri ssa bl e) intgre le programme de l' approche contemporaine de la beaut. T'otlfes les beauts Wlltiell1lellt, cOll/me tous les phl/omlles possibles, quelqlle chose d'temel e/ quelque chose de tr(tIlsi/oire.2. Expul se dans la totali t des phnomnes possibles, la beaut s'est mise en mou vement, a chang de visage dans cette conqute du prcaire, cette ava nce dans le prsent. Il s'agit alors de la reconnatre sous des formes jusque-l indites : quittant l'harmonie et l'adquation, elle s'engo uffre dans le mouvement des rcentes mtropoles, se glisse dans les bouleva rd s, embote le pas du promeneur. Depuis L 'homme des foules d'Edgar Poe 3 , ou Le pei1ltre de la vie modeme 4 , la beaut abandonne son universa lit intemporelle pour s' insinuer dans le passage. Le fl neur Baudelairien annonce les passages de \-Valter Benjamin 5 , les dambula/iolls surralistes 6 , comme les drives situationnistes. La beaut dsormais pouse les flux. Le sicle va entrer dans le cinma. Et c'est ietzsche qu 'il incombera de fermer la marche d'une pri ode extnue, avec une uvre qui claironne tel l'insens que l'art cre des perspectives la vie 7 , autant que la vie s'apprhende par le filtre arti stique. Moteur. 3 LA BEAUT RENCONTRE l'ordinaire contemporain C'est dans cette ouverture une beaut reconnue non plus dans le peu qui perdure mais dans le to ut ce qui arri ve, que le "ready-made" devient concevable, les "objets trouvs" apparaissent, et la grande transfi guration du banal entreprend son ouvrage. Ce n'est pas seul ement le statut de l'a rt qui a chang mais to ut le rega rd sur le re l qui a mut. Dsormais la beaut se rencontre et se dniche dans les formes les plus paradoxa les du passage. La beaut devient par essence, in adve rtante, reco nnatre null e part et a rencontrer pa rto ut. .. '/'essell dll bea/ille rside prcismeJIt pas e1l qll 'il pose puremellt et simplement fa la rali/ pOlir S] opposer II/ais cOllsis/e biell plutt ell ce que la beaut aussi i1lat-/e11dlle que soit sa rencontre est pareille /III gage qui 1I001S gar{l1ltimi/ que malgr tout le dsordre du rel, II/algr tOl//es ses i1l7petfec/io1/s (. . .) que le vrai Ile se /ro/lve pas da1/s /111 loin/ain inacces-sible mais qu'il est ce qu '01/ rem"01l/re. C'est la fom/ioll d/l bea/{ que de combler le foss qui spare l'idal du rel.B. Les catgories du quotidien, de l'ordinaire et du quelconque replacent ce'lI e de l' hi sto rique. And y Warh ol co mm e derni er peintre de co ur, fait les de rni ers portraits des rois de la socit du spec tac le, e t le passa nt anonyme, les renco ntres fortui tes, les individus quelconques et les rencontres ordinaires commencent repeupler le paysage d'un monde et d'un art fatigu de ses antiques c lbrits. Comme da ns la

    Frank Perrin, La vie parfaite B l 0 eN 0 lE S 31

  • Ra phal, L 'cole d 'Athnes (d tail: D io gne c o uch)

    Inny Rotten. Londres. 1977

    publicit pour les collants Dim des annes 70, s'accomplit le processus sculaire d'mancipation de la figure humaine hors de ses fondements tholo-giques, et le corps s'claire d'une nouvelle aura quelconque 9 . En cho au hasard promut par dada, et dans cette condition o le mot/de le plus beau est, pour ail/si dire, lm amas d'ordures rpandues ail hasard nonce dj par Hraclite 10, la beaut a fin i par rejoindre le fa it, s'est entire, rpandue nos pieds, est devenue horizontale, dbusque dans ses ambitions ordinaires. Les cours et dtOurs de la beaut tracent une vas te histoire d ' immanence. Reste enco re percevoir que cette conqute progressive n'est ell e-mme possible que pa r cette affin it secrte entre l'art et la vie, expose et conue dans une relation autant rcurrente que diversifie travers l'histOire de cette vocation faire de la vie un art, cette uvre d'a rt, enfin raliser. Si l'a rt a fini pa r rejoindre la vie c'est d'abord par cette propension natu relle de la vie devenir un art ...

    Retour: HISTOIRES DE VIES, BEAUT FORMATRICE la stylisation de l'existence

    1 DU (,(NIQUE, la vie en uvre Et apparut le premier "pe/to17ner" . Si Socrate n'crivit pas, pour cepen-dant dialoguer l'excs, Diogne, lui, phi losopha avec/dans ses actes 11. Cette adquation de la vie et de la pense ne peut elle-mme se comprendre sans voir en arrire-p lan cet "art de vivre" propre au Grec. La vie est un art dans la mesure o la sagesse nous donne les outi ls pour en tre l'auteur. Le sage est cet artiste de la vie, celui qui dtermine ses propres conditions par l'empire qu 'il exerce sur lui-mme: cette autO-nomie et ce souci de soi que Foucault 1 2 introduira dans son histOire de la sexualit pour construire sa gnalogie du sujet. Cependant, il reste que l'esthtique reste fondamenta lement une thique. 2 DU DANDY, La vie comme uvre d'art, dans son Image. C'est certai nement au Dand y, et cela port son paroxysme, de rin-troduire la vie, leve au rang d'uvre d'art. Ainsi Barbey d'Aurevi ll y d'affirmer au sujet de Brummell: 11 tait lm grand artiste sa mallire; seu/emel/t SOli ml 1/ 'tait pas sprial, ne s 'exercait pas en 1111 temps dOll11. C'tait sa vie mme. 13. Pure esthtique de l'existence, le Dand y

    Hugo B ali, Zurich, 1916 affiche du mpris pour la morale et cou rt-circuite les valeurs sur l'lot de sa temporalit personnelle,

  • phie que viagre: le temps est le temps de ma vie." 14. Dans une impercepti-bilit de rigueur, l' idal dandy cache en fait un idal d'invisibilit, Ol! ce ll e-ci se consomme de so i so i mme dans la co ntemplation. La perfection pour but l'effacement. 3 DADA, la vie comme uvre d'art, dans son flux 11 res te encore qu e le Dandy es t dada, ce que l'enluminure es t l'atome .. . C'est encore une apprhension de la beaut en terme d'image et d'apparence, Ol! la vie se reoit dans le miroir, sage comme une image, prise dans le fil et glac de l'espace rtinien. Le dalldy ( .. .) doit vivre et dOl7llirdcv(Jllt It1lllliroit ), 15. La vie lue, promue, se trouve en fait dvita-li se dans son fantas me. C'est avec dada que la vie est apprhende pour la premire fois comme nergie; la vie sans images, sans style, sans prsuppos, en direct, gommant toute descendance et fili ation. La vie commence en fait vraiment, te ll e qu 'elle es t dans sa profusion, sans modle pralable et dans la diversification. Le Cabaret Voltaire bauche cette exprience limite de la vie articule pendant la guerre mondiale, au moment de la dcouverte de la relati vit .... La beaut se fait ex plo-sive 16 pour devenir enfin convulsive avec Breton. 4 FlUXUS, la vie largie: les manifestes Il es t clair que l' impac t de dada ouvre la vo ie Fluxus co mm e au situationnisme, au happening comme la construction de situations. On peut ava ncer que Fluxus redcouvre dada plus sa ritualisation et sa gnrali sa tion mani fes te. Dans ce contex te
  • secrte autant que profonde 19, to ut en affinit. Les mises en direct du happening, des situations, possdent en plus d'une quantit de parall les, des impacts sourds. 6 FOUCAULT -DELEUZE l'esthtisatlon de la vie C'est une certaine pense contemporaine qu ' il revient d'avoir dgag ces gographies o l'art et la vie s'mulent et contaminent leurs potentiels crateurs. Chez Foucault, dans son investigation sur la construction de soi, le projet moderne apparait au jour d'un programme ind it: il s'agit enfi n de devel/rcol/temporaII, c'est--dire prSCIlt IlOus-mllles 20. Le projet de la pense, par l'autonomie qu'elle engage, est un devenir-actuel. Dans leurs croi sements mutuels consti tuent l'd ifice d' une rvalution contemporaine du champ de la vie 21. Chez Deleuze l'acte de penser s'avre crateur de concepts, comme les autres champs rgionaux crateurs d'objets spcifiques (des formes pour la peinture, des blocs espace-temps pour le cinma ... ). La cration s' impose comme le terme gnrique pour cerner l'ensemble de notre praxis. L'art tend son modle sur l'ensemble de la vie; la vie et l'art se croisent sur des intersections qui ne sont plus seulement des formes mais des vnements 22, c'est--dire gnrateurs de devenir. La beaut est devenue active, contemporaine et transversale. Sans monopole ni distinction, elle permet ni plus ni moins la vie de trouver ses circulations.

    Aller simple: LA BEAUT COMME PRINCIPE D'ACTIVIT 1 DCOLLAGE: cctechno manifesto Dans la ligne de la fte dada, de la dambulation surraliste, de la dri ve situationiste et de la provoca tion punk, l'ex tme beaut se rencontre peut-tre aujourd ' hui dans la constellation de la culture techno. C'est l que s'y dclent ses clats les plus rcents. Peut-tre est-ce la plas ti cit techno qui rpond le mi eux la laideur punk, par la mme subversion dploye, mais prsent dans un excs inverse pour atteindre une fin tout aussi dvastatrice. Aujourd'h ui, l' inorga ni que lance des fatalits indi tes 23. Aux grimaces punks correspondent les sourires cyborgs 24, des bricolages domestiques dans une culture qui, se rappropriant le monde, n'entend plus que des spcialistes 25 le fassent sa place. La fluidit, l'informel, le spontan redi stribuent entirement les cartes, des cartes o sont mises en pices les notions de droit, de propre, d'auteur, ainsi que tout leurs corollaires com me l' harmon ie, la parole, les messages et finalement, le visage. Une culture globale sans paternit ouvre un champ o la beaut se branche en direct, partout, n'importe quand, par n' importe qui, beaut ambiante, mobile, sans origine ni point d'ancrage, o la vie, touee crue, s'lance. Etat ambiant comme ceux de Richard Kongrosian, beaut extraterrestre, celle de David Vi ncent, la beaut happe par le 3'"" type, n'a d'a utre rfrent que ce tout puissant appel du grand ailleu rs. Ainsi peuvent surgir des sculptures s'laborant comme des ensembles multiples et spontans. Si les barricades, les raves, peuvent se lire en tant que vritables scu lptures sociales, fo rmes sans cesse indites, c'est sans contes te Act p aujou rd'hui qui ractive de fao n optimale la signification de la performance, (mieux qu'ont pu le faire les successeurs du body art).

    34 BlOCN01ES

  • LE TEMPS

    CH EL COLLECTION MATELA FA. RIQuEt EN "VISt..t

    U'T[ OE5 aOUTIOVU, CHAMIL '1.ICA1 I.Q~ "'''''''., Uq O __ MANO, AV III 42 Il 21L8:3

  • netian Blind costume sign p a r G n ra l Idea). fo rma nce. Albe rta . 1977

    le G ay-Lussac. P a ris. 1 1 m a i 196 8

    ace de la Concorde . 'aris . Manife sta tion

    d 'Act Up, 1993

    NOUVEAUX ENSEMBLES DE BEAUT - Pour de nouvelles mises en ade Des parcelles de beaut, de cette beaut mise e n direct sans mdiation ni diff r se propulsent par de simples ges tes, des actions nettes, q ui sont autant de fo rm es q ui se donne nt la vie: se mouvoir (Matthew Barney), hab ite r (J oep va n Lies hout), passe r l' offe nsive (Philippe , M este), dtermine r ses propres dime nsions (A bsalon), articule r un verbe affol (] im mie Durham), montrer l' insoutenable (C laude Lvque) ainsi que la fragme ntati on des ensembles (Nie k van de Steeg), Du Djettller sur l'herbe, Foucault d isa it q ue le tablea u, s'adressa it e nfin la pe intllre dans un principe de ralit, q ui vacuait pararadoxa leme nt le suj et. C'est dans le face face que le rega rd d ri ve e t se pe rd , la confrontati on tant par natllre imposs ibl e so ute n ir. C'est la fro ntalit m me qui c re les obliq ues: ainsi des racti va ti ons de Bernard Baz il e (boite de me rd e, enseignes, Mel Ramas), des appropriations de Sturtevant, du systme de l'a rt dans la co ll ecti on Deva uto ur ; ce sont des process us qui mIs e n uvre, jamais des effets locaux, NO MORE PLAY-BACK Q ue le d irec t se g n re dans le monde de l'a rt OLI pa rto ut ai ll e urs, Manzoni e t ses mod les viva nts pe uvent fournir ic i l' un des prototypes hi sto riqu es de ce tt e mi se e n ac ti v it. D es ces e ngage m e nts qui g n re nt, ac ti ve nt e t non de ceux qui simule nt sur le mod le du je u de rle e t de l'i mi ta ti on (Parreno), ceux qui , ne cessent de courir aprs le re l e n annonca nt le mod liser dans des bga ie me nts des tin s un mili e u sans recul pr-conditionn pour les recevoir. Cette imita ti on laisse l'a rti ste da ns sa rle de di ve rti sse me nt, c'est dire la pl ace exacte que la politiq ue ve ut bie n lui laisser, cell e d ' une drle ri e, q ui dans ses truc ul e nces ne to uc he nt ri e n: il y a fo rt pa ri e r q ue la parod ie d u changeme nt n'a it jamais les moyens de changer q uoi que ce soi. Au lie u de singe r le social, comme la place de ces uvres do it yo urse lf to uj o urs pr tes l'e mp loi , v rita b le Bo lin o avec le ur sempite rn e l go t d 'ea u ti de, au li e u des gadgets e n tO uS genres, pe ut- tre la co nfro ntati on n 'a jamais t autant a tte ndu e. Car e n ra lit la bea ut n'es t ja m a is d a ns la co mmuni cat io n , m a is da ns les re ncontres, non da ns le trafi c, l'change fl ou, mais da ns le devenir. Au lie u des c hanges so uvent fa ud ul e ux, on p rfra les princ ipes d ' act ivit, et l'age nce m atrim o ni a le d'u ne c riti q ue e n m a l d e resso urces, les fronta li ts e n pri se direc te . Une uvre n 'es t pas un ca rrefo ur mais une bi furcat ion, loin des me lting pot transacti ons

    36 BlOCNO I ES

  • va nees, Si la beaut se conjugue au prsent, c'es t dans un face face dans lequel notre rega rd en ressort d tourn, C'est de ce choc frontal que se dgage une qualit d'mancipation, C'est toujours la fronta lit qui cre les ob li q ues, DMAR(HES DlREaES, BEAUTS OFfENSIVESC'est aujourd 'hui avec les moyens spcifiques du cinma, que Kids de Larry C lark, russit cette rencontre frontale qui diffracte (digne de Manet), et qui a de quoi faire plir les artistes qui jouent faire du cinma, et simulent son mouvement dans un amoncellement de redites laborieuses, autant que la prtention un art de ralisateur. L 'art entre dans une phase de profonde transformation26, dans les conditi ons g lobales d ' une exprience charge de nouvea ux affects, Ce principe d'activit s'ajoute la bea ut baude lairienne comme une exigence contempora ine supplmentaire: donner des formes la vie (et non pas, l' impuissance styl istique de donner vie aux formes), Dans cette inversion, la beaut cesse d 'tre une e ntit formelle, mais devient une dimension formatrice, Quand ce qui nous est propos n'est que la mort ou les choses arrtes de la consommation, un divertissement prfabriqu pour un contexte, un bgaiement communicationnel, constamment dans le diffr, il faut oser les circuit directs, ressorts de toute chappe, Loin de n'tre que relationnelle, fun ou branche, il y a des chances pour que la beaut soit offensive, Ou e ncore, est-ce parce que l'art, redevenu offensif nous semble maintenant soudainement beau ?

    N OTES ' Diogne Laerce, Vie et sentences des philosophes illustres IChapitre sur Diogne de Sinope), 1 E, Kant, Crftique de la la cuit de juger, IParis, 1982, Vrin), 2 Charles Baudelaire, Curiosits esthtiques, Salon de /846, XVI II. De l'hrosme de la vie moderne, 3 Edgar Poe, l'homme des lou/es, lin, Nouvelle Histoires Extraordinaires), 4 Charles Baudelaire, Curiosits esthtiques, Le peintre de la vie moderne, Chap,llI, L'a~iste , homme du monde, homme des foules et enfant 5 Walter Benjamin, Paris, Capitale du XIX' s. Le livre des passages 11989, Cerf). 6 Louis Aragon, Le paysan de Paris, Andr Breton, Nadja 11928). 7 Friedrich Nietzsche, de L'origine de la tragdie jusqu'au Fragments posthumes. 8 Hans-Georg Gadamer, L'actualit du beau ITrad. Alina, 1992). 9 Giorgio Agamben, La communaut qui vient, Thorie de la singularit quelconque ISeuil, 1990). 10 Heraclite, fragment 120, Itrad. M. Solovine, ed. F. Alcan). 11 Diogne Laerce, Vie et sentences des philosophes illustres. 12 Michel Foucault , le souci de soi IHistoire de la sexualit, T.II, Gallimard, 1984). 13 Jules Barbey d'Aurevilly, Du dandysme et de George 8rummellll845, ed. Gallimard 1966). 14 Roland Ba~hes, R.B. par Roland Barthes ISeuil, 1975, p. 110). 15 Charles Baudelaire, in, Mon cur mis nu. 16 Cette plonge de dada dans la vie en fait en mme temps l'un des mouvements stylistiquement le plus difficile identifier, Ic'est peut-tre au situationisme qu'il reviendra de reprendre ce trait). En fait la rencontre avec la vie n'aplanit pas, mais au contraire dfie toute reconnaissance. Dada comme le situationisme ont tiss des ensembles complexes dont le but n'est pas la reconnaissance posthume ou premire mais la transformation en profondeur : ce qui nous tait comprendre comment aujourd'hui avec une si faible base visuelle il continue d'tre agissant et opratoire. 1 7 Robe~ Filliou, Correspondance. 18 Greil Marcus, Lipstick Traces, a secret history 01 the XXth century, IHalVard university Press, Cambridge, Massachussets, 1990). 19 A noter au chapitre du secret qu'une uvre comme celle de James Lee Byars unissant vie et perfection reste aussi minement occulte, passant sous les figures imposes de l'exposition, trouvant un cours priphrique et mineur. Il est encore intressant de noter combien la rserve de Nauman est adquate son exploration de la vie prise souvent dans son fait, la violence. Le ucrill de Nauman prend sens de sa rserve et relvent aussi de cette circulation sous-terraine. 2 0 Michel Foucault, Qu'est-ce que les Lumires ?ICours au Collge de France, 1984). 21 Sur cette rvalution contemporaine du champ de la vie : voir pour Michel Foucault, "La vie des hommes infmes ICahiers du chemin, janvier 1977), Cf. aussi la co llection "Les vies parallles chez Gallimard avec Herculine Barbin dite Alexina B 11978), ou encore Moi, Pierre Rivire .. . IJulliard, 1973). Concernant Deleuze, son travaille d'historien de la philosophie Iles Stoiciens, Spinoza, Leibniz, Hume, Nietzsche) est prendre comme une galerie de figures individues constituant autant de rcits avec paysages conceptuels. Voir aussi l'entretien, "La vie comme uvre d'a~, 1 Nouvel DbselVateur, 28 aot 1986). 2 2 Gilles Deleuze, confrence donne la Femis. 23 Dona Haraway, Simians, Cyborg and Women IRoutiedge, 1992). 24 Mario Perniola, Le sex appeal de l'inorganiqueIEinaudi, 1994). 25 Michel Comte, "Comment la techno survit la mo~ de l'a~'' IBlocnotes n' 9, t 1995). 2 6 Richard Shusterman, L'art a l'tat villEditions de minuit, 1993)

    Frank Perrin, La vie parfaite B LOC Il 0 If S 37

  • Joep van Lie5hout, Le Bai5-0-Dr8mt:, 1995 BLOCNDIES 39

  • Beauts contamines, modles corrigs Armelle Leturcq

    Il s'agit d'inventer de nouvelles relation la beaut et aux modles, des relations d'une singularit extrme ...

    Richard Prince. Sa ns titre.1983

    Qu'en est-il aujourd'hui des re lations e ntre l'a rt et les mod les de vie environ-nants ? Si le Pop Art a abolit la distinction entre l'art et la cu ltu re de masse, en l'absorbant, et e n faisant fi de l' illu sion qu' il pou va it y avo ir crer des distinctions, la relation entre ces deux ples est la fois modulab le et tnue. Aujourd'hui, les passages entre les d iffrents domaines, dpassant la simp le question de la transversalit, apparaissent de plus en plus emb lmatiques de la position des artistes contemporains qui ne croient plus e n un rejet comp let des cultures ambiantes, mais qui portent leur regard su r le cinma, le rock, la mode .. . tab li ssant une multiplicit de re lations souvent li es une exp-rience trs personnelle de ces cu ltures communes. Les attitudes l'gard de la beaut diffuse grande chell e, Ont chang. Si Andy Warhol jouait encore sur la clbrit, les appa rences, les icnes ... et si les situationnistes Ont cav ia rd les placards publicita ires, les ont dtourns,

    BlDCNDI[S

  • dans un rejet comp let et dans cette croyance en une prise de conscience gn-ralise, on ne peut plus prendre la beaut pour argent comptant. Peut-tre avons -nous dfinitivement compris que ce dfer-lement de beaut fige, ni ne peut vraiment disparatre, ni ne peut complte-ment nous happer, qu'il ne s'agit que d ' images et que leu r force s'est dj mousse, que leur existence n'est que le dernier sursaut d'une poque rvolue. Les beauts sOnt aujourd'hui composites, des corrections sont opres, c'es t comme si les modles taient biffs par du spcifique. Dans une prise en main active de tous les modles, il est encore possible d'instaurer de nouvelles relati ons a ux arc htypes, plus personnelles, plus singu li res . .. l'a rt contaminant les beauts fixes d'avance pour mettre en place de nouveaux changes.

    modles Spcifiques ... De quelle manire les a rchtypes de beaut contemporains, interv iennent aujou rd ' hui dans l'art? Qu'est-ce qui est revoir par les ye ux de l'a rt dans la mode ou dans les modles qu'elle dcline? Il s'agit tout d'abord d 'extraire les modles auto ritaires, de les dtourner de leur fonc-tion initi a le , en montrant tout s imple-ment, quc l'on ne croit plus e n eux depuis longtemps. Les beauts universelles sont rvalues sur des rgions loca les: C huck Nanney dessine des barbes et des mous-taches sur les top-models des magazines, il r invest it le mannequin de ses propres

    Beaut!> contamine!>. modle!> corr ig!>. Arme"e Leturcq

    Mel Ramas. Peek-a-boo. Platinumu, 1964 CC 1994 Mel Ramos

    Chuck Nanney. Femme barbe. 1994 Galerie Jousse-Seguin

    B l 0 eN OIE S 41

  • ds irs, le replaant dans une dimension plus personne lle. Philippe Mes te c la bo usse d e so n s pe rm e le v isage d es ma nn e quin s extraits des magazines, dsacralisant ce cli ch de fe mm e ds irabl e, parce q ue ds ire par tous e t au m me mome nt. Dans une te ntative de re pre ndre soi ce qui a fonction de mod le pour tous. Ca r co mm e nt faire face une te ll e di ss min ati on de bea ut, sin on en la rendant plus humaine, en la re nversant, e n la souillant e t puisqu 'e ll e appartie nt tout le mond e, e n la faisant sie nne? Comme s' il s'agissa it de faire jaillir du re l s ur du papi e r g lac, s ur cette bea ut qui in staure des barri res, qui pl ace les fe mm es d 'e mbl e hors du

    Inez van Lamsvveerde, publicit dans Vogue monde, distance . ..

    .. . extraire des singularits E Ike Krys ru fe k porte une larme sur la joue d 'Eddy Sedgwick, sans nostalgie l'ga rd d u manneq uin-ac trice, venu e de la Factory de Warh ol, noye par le pige de la clbrit e t qui incarne cette "vie-clich", e n laque lle pe rsonne ne croit plus. E Ike dess ine auss i sur son propre corps, nue devant l'objectif. Et q uand e ll e retourne la cam ra sur e lle, E Ike Krys rufek abolit toute distance avec le spectate ur, se montre avec crudit, dans une nudit rareme nt exp ri -me nte, mais sans exhibition aucune, seule me nt pour tre plus directe et pour prod uire de la prox imit. Matthew Barney, cr des beauts extra-terres tre, e ntre la monstruos it e t la sri alit, Ma nu e l Ismora, lui , dcline dans ses photos noir & blanc, les appari-ti ons man neq uin s dans les poses les plus fi ges, re prenant un e esth tiqu e dsue tte e t seve nties dont nous sommes malgr tout nos talgiques, d plaant son regard au grs des change me nts de vteme nts, d'accessoires, d pouss i-ram l'acad misme auss i bien dans l'a rt que dans la photo de mode. Sam Samore photographie des mannequins au t l-obj ectif, e n gros pl ans dans les co ulisses des dfil s: un e bea ut pri se sur le vif, pure, sa ns interm-

    42 B l DeN D lE S

  • diaires. "All gories de la beaut", infiltrations illicites nourries d 'une cu rios it sans e ntrave et directe, beaut sans strass, dans les pr paratifs d ' un spectacle atte ndu.

    des relations la modes Cette bea ut diffuse grande che lle est aujourd 'hui plus q ue jamais intrin-squ e me nt lie la mode e t la publi cit . A ce titre , le trava il d ' Inez va n L amswee rd e est la fois op ratoire dans les journ aux de mode e t dans le contexte de l'a rt. Ses photographies de corps li sss e t re touchs l'ord inate ur, dans une pe rfec ti on extr me qui te toute as p rit, emprunte cette es th-tique des magazines branchs e t des publicits, reprise pour tre exacerbe dans le contexte de l'art. D ans une sorte de sc ience-fict ion pr monitoire e t no-futur iste, e lle nous met e n ale rte devant les ava nces e n mati re gn-tique : un cri d 'a larme te inte de croyance re nouvelle e n l'arti ste visionnaire. Ses photos fonctionnent donc la fo is dans un sens critique e t dans le contexte des magaz in es de modes qui e ux, cauti onn e nt ces va le urs de bea ut li sse e t parfaite. L'arti ste hollandaise efface donc au lie u de rajouter, dans une position

    M atthevv Barney . C remaster 1 . 1995 ph . M . J . O 'Brien

    Beaut" contamine". modle" corrig". Armelle Leturcq B l 0 C N 0 ]( S 4 3

  • Manuel Isrnora, 60 % polyamide, 35 % polyester. 5 % lasthane. ph. noir & blanc. 1991 c oll. Yoon Ja & Paul

    D e v a uto ur

    confuse qui au li e u d 'extra ire des singularits, s'enlise dans la ca ri cature. Reg in a Mll e r, e ll e, ne se s itu e pas d a ns la pa rodi e, m me si e ll e c r so n propre magaz in e de mod e " regin a" qui porte so n pr nom . On la vo it e n couverture e t l'int-rieur du magazine quand e lle tait mann equin, petite fille . E lle porte un regard compl -tement singulie r sur les maga-zines fminin s, les re prend e lle , plut t que d e le s dn o nce r, bre f, m e ttant en fait dans la balance, ce qu 'e lle es t auss i ca pable . de faire e t de construire, plutt que de dconstruire .... Comme Klaa r va n de r Lippe ou Wi e bke S ie m d ans un regis tre diff -

    re nt, crent le urs pro pres vteme nts, leur propre mes ure e t se lon le ur propre ds ir. A l' in ve rse de Sylvie Fl e ury dont l'attitude e nvers la mode, se pl aque (aprs la bote ci e Brill o) sur Warh ol avec des botes de Slim Fas t, dclin ant son pe rsonnage de je une fe mme ri che et superficie lle, dans une attitude qui apparat non seul e me nt d place mais obscne.

    Ainsi o n ne pe ut plus croire auj ourd ' hui , des mod les simpl e ment pl aqu s dans le contex te de l'a rt. Dans un princ ipe d 'acti vit, il reste la poss ibilit cie pre ndre les c hoses en ma in , d ' une fa on so mm e toute res pon sa bl e e t co nstru c ti ve, sa ns pos it ion fausse ment di s tancie . Po ur co ntamin e r ce tte bea ut uni verse ll e, tabl ir un e re lation singuli re avec e ll e, la rendre vivante e n fait. Il ne s'agit pas de l'entrave r, mais de la r-ori e nte r, la bousc uler, la rapp roche r, in ve nte r de nouve lles re lati ons aux mod les "a utorita ires", des re lations transformatrices e t to ute pe rsonne ll es. .. loin auss i des myth ologies indi vid ue ll es, les e nj e ux d passa nt large me nt la simp le in ves ti ga tion d ' un uni ve rs subjectif.

    44 B l 0 CN 0 l ES

  • Lu,. t '9 Tlm'~,g

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    bI" lJif nl"I'l"'!

    Fu"Off .. -ft. EU4Inl el- 8,

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  • (c Fliesn, 1995
  • Douglas Gordon, "AHraction-rpulsion"

    entretien avec Stphanie Moisdon-Trembley

    Douglas Gordon tire, ralentie l'image cinmatographique et tlvisuelle, la transforme,

    afin de mieux jouer avec les pulsions sado-masochiste du spectateur. Ralenti sur une beaut

    aux squences indiscernables ... Remote V ievving 13.05.94 , 1 995

    CC) U sson G a lle ry

    Stphanie Moisdon-Trembley: Si on tente d'tablir un lien entre vos diffrentes pices, un lien narratif qu i articu lerait ensemble les premiers et les derniers travaux, je dirai rapidement que votre recherche a plus voir avec des ques-tions de perception que de reprsentation, sont plus du ct de l'inscription (presque rtinienne) que de la lecture, de l'interprtation. Douglas Gordon: J'aime bien cette id e, mes pices sont plus de l'ordre d'une in sc ripti o n q ue d'une inte rprtatio n, d' a utant plus que cela ren voie directeme nt aux pices que je faisa is ava nt d'uti liser le film et la vido. Je ra li sais surtout des insta ll at ions de g rande c he ll e et des performances; mais ds que je suis arriv Londres entre 88 e t 89, il Y avait un v ritab le prob l me d'espace de trava il. Alors ce qui m'a int -ress, c' ta it de "manipuler" l'espace en utili sa nt se ul e me nt du texte (cette vo lution ta it donc lie au d part des ra isons pragmatiques). Mais surtout je sentais que je voulais m'loigner d ' une faon de travailler " in-situ", je voulais d 'avantage m'engager dans l'ambigut d ' un "espace psychologique", A la mme poque je suis revenu vivre G lasgow et j 'a i

    Oouglae; Gordon, entretien avec Stphanie Moie;don -T rembley BlOnDIES .

  • parti c ip un e expos iti on de gro upe" Se lf-conscious state" au T hird Eye Cente r e t il m'a se mbl important de fa ire qu e lque chose de diff re nt d ' un trava il li spc ifiqu e me nt au li e u , d 'a utant plu s qu ' l' poque o n voya it parto ut ce ge nre d ' inte rve nti o ns. Je co nn aissa is trop bi e n Gl asgow, je ne po uva is pas se ul e me nt e ffl e ure r la s urface d es c hoses, fa ire qu e lques co mm e ntaires pui s all e r dans un autre e ndroit e t rejoue r le m me sys t me. C'es t le fait d 'en savoir trop qui m'a int ress e t j 'a i tent d 'utili ser ce la dans la pice Lis! of Iw mes. Cette pice te ntait d 'examine r le fon ctionne me nt de la connaissa nce e t de la m moire lie l' ide de Barth es, qu and il parl e de la photographi e e t du puncrum. Alors j 'a i dcid d ' tablir la liste de to utes les pe rsonn es que j 'ava is re ncontres e t dont je me souvenais e t de les di sposer dans l'espace. Il y ava it 1440 noms, je voul ais tre le plus honn te poss ibl e, refl te r les mcanismes de la m moire, il y avait de pe ti tes e rre urs, des amis que j 'avais oublis e tc., des dysfon ctionne me nts. Effectivement, vos uvres, surtout les dern ires se rapportent aux phnomnes neuro-psychologiques lis la mmoire, la temporalit ou ses dysfonctionnements. Je pe nse qu 'a u d part j ' ta is int ress par l'effondre me nt de ce sys t me surtout parce que c'es t un as pect de la vie que la plupart des gens ne ve ule nt pas reco nn atre et q ui les e ffr a ie . J' a i fait ce tte s ri e de 3 dess in s au mur, chac un se rapportant 3 tats diff re nts d 'a mn s ie . Il s di sa ie nt : j 'a i to ut o ubli (I have forgo tte n eve rythin g), je ne pe ux pas tout me ra ppe le r (I ca nn ot re me mbe r anything), e t le troisi me: je ne me so uvie ns de ri e n (I re me mbe r nothin g). To us ces mots tai e nt parpill s au mur, r p ts des ta ill es diff re ntes . D ' un e faon logiqu e, ce la n 'ava it aucun sens mais e n fait

    10 ms 1,1994

    48 BlDCND](S

    tout le monde pouva it comprendre ce qu e ce la s ig nifi a it, c' ta it co mm e s i c' ta it imposs ibl e d e savoir par q ue l moye n o n co mpre na it le se ns de ces c ri -tures, co mm e s i " o n ta it l'esc lave de ces mca ni smes de li sibilit, de ces constructions de mots e t de se ns. Alors pour moi le sys t me impl osa it e t ce tte co nfu sion me pl aisa it. Trava ill e r avec ce genre d ' ides me poussa

  • jouer beaucoup plus avec les poss ibilits de construction e t de dys foncti onn e me nt da ns un es pace psychologiqu e . J'a i d'autre part accentu ce t as pect ludique ca r so uve nt les oeuvres sont un pe u co mme un e ni gme q ui doit tre rsolue par le spectateur. Mo n int r t pour les film s, la vido e t su rto ut le c in ma, es t li de pr t

    (cZaaloverzichtn, 1995 Cl V a n Abbe museum. Eindhove n

    ce tte procc up ati on pour la m moire. L es ph nom nes ne uro-psyc holo-giq ues int ressent tO ut le monde car stati stique me nt da ns chaque fa mill e il ya ou il y aura un cas de dysfonctionne me nt du co mporte me nt. Nous vivons avec a, a nous fascine e t nous te rrifi e e n m me te mps. Pour moi, la pe ur, la fasc ination e t la r pulsion SO nt des l me nts prsents dans la psychologie e t dans le cin ma. On pe ut tre attir par un film to ut e n rega rd ant q ue lq ue chose d ' in supportabl e . C'es t cl air q uand vo us regardez les archi ves md i-cales que j 'a i utili ses dans JOms- J ou Hysterical ou dans l' install ation au Van Abbe M use um. Il ya un v ritable probl me: com me nt doit-on regarde r ces images? D 'abord , on ne sa it pas comme nt les loca liser e n te rm e de contexte . Ce la peut tre la fois Holl ywood et la ralit . Le md ium est le fi lm et la vido mais on n 'es t pas au cin ma, a n 'es t pas prsent comm e une projec-t ion deva nt laquelle on doit s'asseo ir e t regarde r. Peut- tre y a-t- il une narra-ti v it ma is pe ut- tre pas . Ca n 'es t pas no n plu s se ul e me nt un e im age fabriqu e pa r l 'a rti s te, a lo rs qu 'es t- ce qu 'e ll es font l e t po urqu o i les rega rd e-t-on ? Ce qui passe l'cran es t assez v io le nt , ph ys iqu e me nt e t psychologiqu e me nt, mais c'es t sdui sa nt. Que fa ire dans ce cas? Partir ou faire face ce tte poss ibilit q u' un mca nisme sadi q ue se me tte e n place? Je pe nse q u'en se ra ppropri ant ces im ages e t e n fa isant s'effondrer le sys t me auq ue l e lles sont assoc ies, la confu sion pe ut tre int ressa nte .

    Douglas Gordon, entretien avec Stphanie Moisdon-T rembley Bl OCNOUS 49

  • A l'image des corps malades du dbut du sicle et de la thtralisation de cette iconographie, peut-on parler en ce qui vous concerne d'une esthtique du spasme et de l'pilepsie? Pour tre honnte, je ne connais ces images que depuis peu de temps. L'anne dernire, je suis all un sminai re Julich en Allemagne, c'tait un forum entre artistes et scientifiques et Rosemarie Trocke l ava it un li vre su r les photos de Charcot. C'ta it la premire fo is que je les voyais et je les ai tout de suite assoc ies au cinma muet, aux comdies pl utt qu ' leur origin e scientifique . Cela dev ient in tressant, dans cette optique, de comparer ces portraits avec ceux produits l'poque par Hollywood travers les fi lms de C haplin , Max Sennet etc. Les femmes y sont reprsentes d'une manire simpliste, e lles so nt jolies et c'est tout. Il faut attendre les films de Howard Hawke pour qu'elles deviennent plus complexes, pour faire un para ll le avec l'ava nce scientifique de l'poq ue. C'est intressant de voir comment une pratique peut se nourrir d'une autre afin de fabriquer des strotypes et c'est la mme chose e n ce qui concerne la manire dont on reprsente la sexualit. En ce qui concerne le terme spasme pour dcrire le contenu estht ique, je pense que vous pouvez sans aucun doute l'employer. Je veux dire par-l que que si vo us vous tes trouv dans une situation o que lq u' un a une attaque ou une cri se, alors vous savez ce que je veux dire. C'est nouveau cette ques-tion de peur et d'attirance, la plupart des gens ne savent pas comment ragir dans ces cas-l et il s se retrouvent rega rder sans ragir. Alors cela devient un spectacle: une su ite d'images laque ll e on rpond d'une faon psycholo-g ique et non physique. A Beaubourg, on peut voir comment je tente de

    50 BlOCN01(S

    Startrek. 1993-95 Lisson Gallery

    recrer a avec le s images doubles de la mouche. L'chelle est telle que l'insecte ne peut plus tre insignifiant et toutes les convulsions de son corps se mesu-rent au dplacement des yeux du spectateur sur l'cran. C'est entre le film scient ifique et la s ri e B. C'est sdui sa nt esthtiquement C trave rs la beaut ou la rpul-sion) mais on ne peut qu'tre pass if physiquement et actif psychologiq uement.

  • Dans 24 h. Psycho, Impredictable Incident, Hysterical, etc., qu'il s'agisse de temps vcus, de fragments de textes, de films, d'arch ives, votre travail procde presque toujours d'une sorte de rapt, de prise en otage (la victime tant plus ou moins consentante). Qu 'est-ce qui dans ce geste de possession, d'appropriation, vous semble juste ou important? C'es t un e ide trange, je n'a i jamais pe ns l'appropriation comme e nl ve-me nt mais l' ide que la victime d ' un e nl veme nt es t plu s ou moins conse n-tante, es t int ressa nte e t dangere use la fois. Ce la me fait pe nser to utes les controverses autour de Patry H earst, q uand j' tais trs jeu ne, j 'a i lu beau -co up d 'a rticles sur e ll e. J' ai toujours pe ns q ue sa co urte vie de braque use de banque tait bi e n plus excitante qu ' une ex iste nce monotone de gosse de ri che, alors de mon point de vue, il semblait logiqu e q u'e ll e ait t co mplice de ses rav isse urs. A propos des im ages q ue j 'a i ut ili ses, il ya des simili-tud es avec la re la ti o n qui es t e n je u e ntre un otage e t ses rav isse urs, ca r chacun dev ie nt d pe ndant l'un de l'a utre, po ur to utes so rtes de raisons, il s ont beso in l'un de l' autre, m me te mporaire me nt.

    Et propos des fi lms que vous utilisez en relation avec cette question? Si vo us rega rd ez 24 H our Psycho ou Unpredictable Incident, la mtapho re de l'o tage fonctionne assez bie n. L es de ux fi lms se servent d' icnes mdiatiq ues trs populaires de faon soutire r une autre fonction ces images. Je pense q ue c'es t important de dire qu ' il ne s'agit pas d 'a ppropriation, ce sont plus des actes d 'a ffi liation. Quand j 'a i vo ulu utili se r Psycho d ' Hi tchcock, ce n' tait pas un e n lve me nt . L e film o rigin al es t un chef-d 'uv re q ue j 'a i toujo urs aim regarder, j 'a i voulu mainte nir la signature d' Hitchcock pour que le public pense d 'avantage lu i e n rega rd ant la pi ce e t si poss ibl e, ne pense pas du to ut moi. Comme dans Unpredictable Indmts, j ' imagin e q ue le spectate ur pense son pro pre souveni r de la s ri e Star Trek e t la fao n dont il regarde la t lv is io n . Ce la co rres po nd vot re ana log ie de l' otage e t d u rav isse ur. L'art iste, comm e le rav isse ur, pe ut se conte nter de res te r l'arri re, et si tout se drou le comme prvu, il pe ut joue r son rle de fao n anonyme.

    Qu'est-ce qui dtermine le choix de ces images prises dans un corpus souvent assez large? Vous avez dit dans un interview que le choix n'tait pas important pour vous. Je crois q u' il s'agit de l'entre tie n avec C hristine van Assche, ma is je n 'a i pas dit que le choix n' tait pas important. E lle m'a de mand com me nt un arti stes do it justifi e r ses choix e t j 'a i r pondu q ue l'on ava it pas besoin de jus ti fie r

    Dougla5 Gordon. entretien avec Stphanie Moi5don-Trembley B l 0 C N 0 If S 51

  • q uoiq ue ce so it. S i un arti ste se pe rd dans des justifi ca ti ons, le trava il es t re lgu au rang d ' illustration. A propos de ce qui d te rmine mes choix, je ne pense pas avoir dire plus, si les gens veule nt comprendre un pe u mon trava il , il s do ive nt fa ire un e ffort e t sui vre le urs propres inte rrogati ons. Si l'o n se de mande pourquoi j 'a i utili s te lle image, je pe nse que la r ponse n'est pas si loin. Les gens n 'ont pas besoin de moi pour le ur rpondre . J'ai fini cette inte r-view e n di sant que le choix tait tout pour moi.

    Quelles sont pour vous les limites de votre intervention, jusqu'o pouvez-vous dplacer ou transformer ces images, les faire plier? Je ne ve ux pas trop inte rve nir sur les film s. To ut ce qu e je fais dans 24H Psycho, c'es t de rale ntir le film , c'est une manipulation des conventions cin -matographiques, mais c'es t auss i une ques tion de choix. Il n'y a pas de mani-pul ati on de l' im age ori ginale mais je choisis de les montre r d ' un e certain e fao n e t dans certaines conditions.

    Quel le est votre relation l'h istoire du cinma? Ma re lation au cin ma es t une re lation innocente lie au ds ir, j ' utili se ce ds ir comme base partir de laq ue lle je trava ille sur les choses qui m'int ressent. Je trava ille dans ce tte sph re du cin ma que je connais dj. To us les suj e ts que j 'a i choisis de pre ndre en otage sont comme des victimes. La pice que je prsente la Bie nn ale de Lyo n es t une proposition pour un proje t publi c d 'aprs le film de John Ford The Searchers. C'est un trs beau wes tern e t c'est le pre mi e r film dont je me souvie ns. J'essaye de reconstituer la narration e n temps re l. Le texte q ue j 'a i crit pour le ca tal ogue explique cela trs bie n. Les film s qu e je chois is s'a ppuie nt sur mon exp ri e nce pe rsonn e ll e . Je ne veux pas utili se r les film s de Jean-Luc Godard qui par exempl e ont dj un statut acad miq ue e t q ue j 'a i vus dans un contexte scolaire. J'aime beaucoup Godard mais j 'adore Hitchcock.

    La beaut est-elle un lment centra l de vos recherches '? Il ne m 'es t pas poss ibl e de dire qu e je ve ux faire qu e lq ue chose de bea u. Pourtant, je ne sa is pas pourq uoi mais j 'adm e ts qu e je su is accroch ce tte ide de bea ut pure. Je pe nse que c'es t li ce que je disais tout l'he ure au suje t du choix. J'a i une re lati on inn oce nte de ds ir avec les film s. S i vo us mixez le ds ir e t la reche rche, vous obte nez que lque chose d 'quilibr. Le pur ds ir, la pure beaut ne m' intressent pas, e n tant q ue te ls, a ne me plat pas

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  • 24 h. Psycho, 1993 Tramvvay. Glasgovv

    de voir des travaux qui sont unique-ment beaux ni non plus qui sont sa ns aucune sduction. Mais je veux faire un art sduisant, qui vous fait rflchir deux foi s, vous observez, vous reculez, vo us tes sduit , vous re ga rdez et vous tes sduit nouvea u. L'esthtique es t c ru c ia le mais ne doit pas tre dominante .

    Trois effets sont omniprsents dans vos travaux: rptition, suspension, arrt. Ces effets ont t interdits dans l'histo ire du cinma appel narratif. Pensez-vous que vous travaillez sur un concept interdit et vous trouvez-vous

    dans une position de fascination et de transgression ? Suspension-rptition-stop. Plus les images bougent au cinma plu s e ll es sont censes tre cinmatographiques. Et si vous commencez pertu rber le mouvement ou le stopper, cela devient transgressif. Mais pour tre honnte, je ne pense pas travailler sur ce concept d'interdit. Ce la se rait plutt bien pour moi de dire cela mais en fa it c'est beaucoup plu s simp le que a, c'est vraiment li l'a ttitude de notre g nration l'ga rd de la technologie et du cinma. Le cinma est jeune, il n'a que 100 ans mais pour nous, il est dj mort. Nous avons grandi avec l'accs au magntoscope, c'est peut-tre aussi simple que a. Nous avons vcu un autre rapport au cinma, trave rs ces moyens techniques. Je sais que les ralisateurs et les critiques de cinm a des gnrations prcdentes ont utilis des projecte urs analyt iqu es pour regarder des films mais pour notre gnration, tous ces procds ne sont pas lis l'analyse du cinma. Au contraire, c'est naturel de ralentir et de faire une pause sur une image, le ralenti c'est vraiment le dsir de voir ce qui est cach. C'es t vraiment sexuel, a n'est pas acadmique. Travailler s ur Psychose, cela provoque un clash entre un procd d'analyse du cinma et le fa it que bea ucoup de gens renvoient cela un dvoilement rotique d'images. C'est la mme chose avec les squences de Star Trek et de The Sean'hers un ce rtain degr . Cela vous fa it passe r de la chambre d'un adolescent l'acadmie du cinma et autre part.

    Douglas Gordon, entretien avec Stphanie Moisdon-T rembley B l 0 [ N 0 ]( S 53

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    Le mie parole e tu ?n 1971/72 @ Galerie Emi Fontana. Mila n

  • Kelly La Rocca, "c'est elle qui souligne"

    Giorgio Verzotti

    Trs critique envers les productions visuelles de la socit de consommation, Ketty La Rocca a invent son propre

    langage, la fois corporel et visuel, ni univoque, ni auto-ritaire et jamais fixe. Retour sur les annotations d'une

    beaut sans cesse rcrite ... Ketry La Rocca est ne La Spezia et a vcu Florence jusqu 'en 1976, date de sa mort l'ge de 36 ans. Elle commena travailler comme pote visue lle ds le moment o e lle s'est sentie proche du mouve-ment Poesia Visira. Ds le dbut, son intert se d irige vers le langage et la com munication. L'acte de parole, aprs Heidegger, constitue pour e ll e la seu le ra lit, l'tre humain se fondant uniquement sur son partage. O n peut compa rer cette pense avec ce lle de I-Iannah Arendt, lorsq ue la ph ilosophe d it q ue la politique (oppose la sphre prive) est la sp hre de la vie authe n t ique, lieu unique et privilg i o l'homme peut vivre ple inement son existence. Ketry La Rocca considre le langage com me une structure changeante, conue comme un "possib le" e n action, ou rien n'est donn de faon dfin itive (il n'y a pas de vritab le sens, pas de relation entre le signi-fia nt e t le signifi), bien que le langage soit galement structur par un pouvoir poli t ique qu i tente de le rendre univoque, fix pour l'ternit, la merc i des exigences idologiques.

    Giorgio Verzotti, Ketty La Rocca BlOCNOIfS CD

  • Au db ur de sa carri re, Ke rry La Rocca a donc utili s le langage comme une structure qu ' il fallait d livre r d ' une ide ntit fi xe e t rvler comme culture e n mouvement. E lle se lie au Gruppo 70, un groupe de potes visuels dont firent partie E ugenio M iccini ou Lambe rto Pignotti pour cite r les plus connu s. Il s s'opposaient une littrature d'avant-garde base sur l' utili sation du non-sens e n posie. Ils adoptrent le langage rationne l de la technologie et de la soci t de consommation. Ketry La Rocca se servit de cette langue qui ava it la capacit de re ndre compte de la socit contemporaine, e t d 'anticiper le futur, l'oppos de la posie du non-sens qu'elle considrait comme litiste. E lle ralise alors des collages, ds irant reprsenter de faon critique une certaine contemporan it. L'exploitation du corps de la femme comme les questions poli-tiques y sont des thmes rcurrents. Judith Russi Kirshner voit en e ux des rf-rences au Dadasme allemand : Cet ensemble de collages du milieu des annes 1960 est comparable ceux de Hannah Hoch, en plus succincts, plus bruts: des combin aisons de mots e t d ' images, des comme ntaires politiques, pol miques, mais pr moni to ires . Par exemple une pin-up nue crase un groupe d 'enfants ori e ntaux qui dje unent, le titre dit e n italie n bon comme le pain quotidie n (Buona come il pane quotidiallo ... ) D ans un plus grand co llage de 1964-65 : un e be ll e baigne use, un e sculpture d 'H enry Moore, un poulet dplum, la tte d'E li sabeth Taylor et de C lpatre ( l'envers ... ) e t une carte du Pakistan sont associs une carte touristique d 'Ankor Wat, d montant les mcanismes oppressifs du sexisme, des gue rres e t du colo-nialisme". (Artforum mars 1993) On pe ut me ntionner d 'a utres travaux comme Bianco Napalm (1 966) qui repr-sente un pr tre so uri ant, une je un e fill e ori e ntale portant un e nfant sur ses paul es e t un so ld at pr t lance r un e bombe, r f re nce la g ue rre du Vie tn am ; o u Come si vende.P ( Co mbi e n a co te ?) : un homm e so uri ant regarde un squelette; ou Chi Cosa Dove-sono, pensano, van1lO .P (Qui sont-il s, que pe nsent-il s, o vont-il s ?, crit dans de ux typographies diff re ntes) alors que l'on pe roit le wagon d' un train de d ports (le regard d ' un homme de rri re les fil s barbe ls). La relation entre les images (toujours tires de journaux e t de magazines) e t les mots n'es t jamais fi xe chez Ketty La Rocca. Son uvre, toujours ouverte aux poss ibilits infi nies de sens, perme t de mu ltipl es inte rpr tations e t porte sur l'ambigut du langage. La structure lingui stiq ue univoqu e es t pour e ll e, du point de vue arti stique, une structure patri arca le q ui ne produit pas d 'change avec le regarde ur.

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  • Par la suite, afin de travailler plus prcisment sur l'ambigut lingu istique, La Rocca se concentre sur les mots et leu r lment de base: la lettre. Autour de 1967, e ll e commence travailler sur les slogans urbains et sur les graffitis . Toujours isols de leu r contexte, ses mots sont comme des textes ouverts, qui dclenchent un vritab le dialogue (Di carattere ; Di consenti; Ul1 initiativo; l'un des plus connu Ver!Ju!7l, paro/a, mot, words de 1967). E ll e rejette les va leurs sma ntiqu es, au profit du visuel et de l 'aspect graphique. La Rocca construit des lettres gantes, monogrammes lgants en plastique noir en trois dimensions, models en forme de "1" et de "l" (premires lettres pour moi et je) : le langage comme affirmation de soi, comme expression de l' id entit intim e . La Rocca tait la recherche d'une langue capable d'exprimer les volutions et la constante reconstruction de l'identit. C'est la principale raison qui la pousse ensuite porter attention au langage gestue l. Le corps est pour e ll e la premire source de communication motion-nelle, bien que refoule par la c ivi lisation et ses tabous. Le geste s'oppose la vue, qui est co nsidre comme supr ie ure, en occident et dans la tradition philosophique c lass iqu e. E ll e rvalue les autres sens, comme exp ress io n d'une prsence du corps . (La Rocca s'est galement implique dans des programmes T.v. d'enseignement du langage des sourds-muets). Cette rvaluation du corps est, bien entendu, lie aux proccupations fmi-nistes des a nn es 70. Ketty La Rocca tait consciente du fait que la domina-tion de l'esprit sur le corps dcoulait d'une suprma ti e de la c ulture mle base sur des va leurs de spiritua lit, d'immatrialit. Les mots tant le vhi-cule ida l de ces va leurs. En 1971, La Rocca dite un li v re d'images et de mots n'ayant entre eux qu'une re latio n lointaine. Le li vre a t pu bl i en deux versions en 1971 et en 1975. Il contenait des photographies de mains en gros plan dans diffrentes pOSitions.

    Giorgio VerzoHi. Ketty La Rocca

    Sana come il pane quotidiano, 1965

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  • i .. - ~ ... ~j

    Via col Venton, 1975

    S ur une page pa r exempl e, e lle pl ace sa main la base de sa nuque, sur un e au tre, ses m ains sont cro ises sur sa poitrine, (tO ujours d 'aprs Russ i Kirshne r) une autre sq ue nce montre tro is images de mains ouvertes qui semble nt voulo ir exprimer des sentime nts contraires comme le re nonceme nt e t la vio le nce. Les mains se tOuche nt, da ns un beso in de communication. Les sous-titres o nt pe u de rapport avec les images, mais il ne s'agit pas ic i d e non-sens, de cette iro nie s ubtil e que l'on tro uve chez d 'a utres arti stes, lie au hasa rd , a m e ne pa r ce rta ines assoc iati o ns d ' ide mais qui n 'en d e m e ure pas moi ns prtenti e use. Les phrases sont crites en itali e n dans la marge du haut de tOutes les pages, a lors q ue sur cell e du bas, le ur traduction angla ise est te lle me nt litt rale q u 'e ll e les re nd incompr he nsibles. L e passage du vi sue l l'crit e t la trad uction o nt fa it s'efface r le sens. Pour L a Rocca, les mots r duisent au li e u d 'acc rotre les poss ibilits d e communica tion , m ais les im ages sont auss i un moyen de fa ire du co rps un o bj e t e t d 'a li ne r sa v ita lit e t no us so mm es submergs pa r les signes de la consommation de masse qui apparaissent pan out, n ' importe que ls mome nts de la vie de tOus les jours e t qui incarne nt le m oyen de d iffusion ida l de l' idologie consum riste. El le se se rt des lga ntes photos d' uv res d 'a rt d 'Alin a ri , les co ns id rant comme des icnes q ui ont pe rdu le ur sens orig ine l, au m me titre que n ' importe q ue lle prod uc tion visue lle issue d es mass-me dia (les corps de m annequins ou paysages tO uri stiques utiliss dans les collages du d but ou m me les poste rs de films com me Mogam bo ou G one with the wind ). Ke tty La Rocca s'attaque aux stroty pes e n le ur opposant son propre langage corpore l. E lle u t il ise e nsuite des photOs noir e t blanc, traant le ur contour avec des mots ma n uscrits, p ui s substituant son c riture des lignes ou segme nts de diff re ntes longueur : fantmes de l'criture o ri ginale . Ces trava ux sont prsents e n tro is, q uatre ou p lus d'tapes. A travers ces sque nces, de ux sys t mes lingui stiques se fo nt face e t se ne utralisent l' un-I'autre : l'crit d truit l'image, la re nd illi sible, e t l' icne re nd l'c ri tu re ga le m e nt ind chiffra bl e e t v id e d e sa stru c ture. A no uveau, l'ossa ture tradi t ionne lle du langage, comm e vhicule patria rca l aux rgles a li nantes, est reje te.

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  • Dans la plupart des cas, les mots utili ss par La Rocca pour soul igner les images, sont dpourvus de sens mais respectent les rgles syntaxiques les plus subti les. La Rocca disait: Je ne raconte pas d'histoire, je dessine, j 'entoure, je so uli gne, je trace les co ntours avec