Bonnin 2004 Ouverture Maison Japonaise Contes Ok

Embed Size (px)

DESCRIPTION

-

Citation preview

  • RSUM. La maison rurale populairenest pas seulement une forme technique,pas seulement une distribution despacesplus ou moins fonctionnels, elle est aussi et peut-tre avant tout un rcit quenous portons en nous, qui nous fut apprisde longue date travers les mythes denotre culture, pour graver en notreconscience plus srement encore lescaractres fondamentaux de cette maison. Dans les contes europens, la demeure tientune place de choix, humble chaumire ouchteau. Pourtant, sur le modle de lapsychanalyse potique de Bachelard, en a-t-on entrepris ltude systmatique?La mme question pourrait tre porte lendroit de la maison et des contesjaponais. Nous lesquissons ici.Sous le vaste toit de chaume, en t, tout ou presque souvre, pour laisser passerune brise lgre, seule manire de serafrachir dans la touffeur de la mousson.On est alors frapp par la rcurrencediscrte dune impossible clture,quattestent les multiples pisodesdintrusion, cl de nombreux contes.

    CLTURE, CONTE, FERMETURE,JAPON, MAISON POPULAIRE,TOPOLOGIE

    ABSTRACT. Opening and closing theJapanese house in traditional folk tales.The traditional rural house is not just atechnical form or a layout of more or lessfunctional spaces. It is alsoand perhapsabove alla story that we carry with us,that we learned long ago from the myths ofour culture, embedding its fundamentalfeatures deep in our conscience. The house,whether a humble cottage or a castle,features prominently in European folk tales.But has there ever been a systematic studyof it, along the lines of Bachelards poeticpsychoanalysis? The same question can beasked of the house in Japanese folk tales.We embark on such a study here. Under the vast thatched roof, in summer,everythingor almost everythingisopened up, to let a gentle breeze through,which is the only way to stay cool in thesuffocating heat of the monsoon. The readeris struck by the discreet recurrence ofimpossible closure, attested by the multipleepisodes of intrusion central to many tales.

    CLOSURE, FOLK TALE, JAPAN,TOPOLOGY, TRADITIONAL HOUSE

    L a maison rurale populaire,celle qui a abrit durant desg n r ations la population de nosanctres, celle que dcri vaient etclassifiaient Demangeon et Def-fontaines, celle qua dcort i q u epar le menu Pe z e u - M a s s a bu a uc o n c e rnant le Japon, cettemaison nest pas seulement unagencement de vgtaux et deminraux, une forme technique,pas seulement une distri bu t i o ndespaces plus ou moins fonc-tionnels vous leau, au feu, ausommeil. Elle est aussi etpeut-tre avant tout un rcit.Un rcit fondateur qui donnesens ces espaces btis, rcit quenous prononons dans les ri t e sde fondation, dans le rite renou-vel de laccueil et de la visite.Rcit que nous portons plus fon-damentalement en nous, qui nousfut appris de longue date trave rsles mythes de notre culture, pour

    EG

    2004-2

    p. 353-362

    P h i l i p pe Bon n i nDR CNRS, UMR 7136 AUS, 78-80 rue Rbeval, 75019 Paris

    [email protected]

    My t h es et mmoire

    O uve r tu re et fe r m e tu re de la ma ison ja p o na ise da ns les co n tes t rad i t i o n n e ls

    @ EG2004-2

    353

    Bonnin XP 8/08/05 17:42 Page 353

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    - -

    90.

    55.5

    7.2

    - 08/

    11/2

    012

    20h4

    1.

    Bel

    in

    Docum

    ent tlcharg depuis www.cairn.info - - - 90.55.57.2 - 08/11/2012 20h41. Belin

  • gr aver en notre conscience plus srement encore les caractres fondamentaux decette maison.

    Il semble que dans les contes europens, la demeure tienne une place de choix.Humble chaumire ou chteau aux trois cent soixante-cinq pices, demeure imm-moriale ou btie en une nuit, elle est au cur de la fantasmagorie. Pourtant, sur lemodle de la psychanalyse potique de Bachelard, en a-t-on entrepris ltude syst-m at i q u e ? La mme question pourrait tre porte lendroit de la maison et descontes japonais. Nous lesquisserons ici.

    Le conte des trois petits cochons, si populaire chez nous, o la maison devient lethme on ne peut plus central, pourrait paratre inadapt la ralit japonaise tradition-nelle, qui ne connaissait justement que des maisons de paille, de bois et de papier, fra-giles devant les incendies, ou les tremblements de terre que provoque lnorme n a m a z u,p o i s s o n - c h at frtillant sous les les [Griollet, 1999]. Pourtant ce conte a t transposau Japon, sous le titre San-biki no kobuta, et les trois hros sy appelaient lan, ledeuxime, le cadet . Un feuilleton tlvis, dans les annes 1960, les a rebaptiss B,F, , atteignant une telle popularit quils sont ainsi gr avs dans les mmoires.Cest dire surtout que ce thme de la fragilit de la maison parle malgr tout uneculture qui avait fait de la conscience de limpermanence des choses, et de la maisonp a rticulirement, une ve rtu cardinale. Dans la faon de construire une maison, ilfaut surtout penser lt. En hiver on vit nimporte o , cri vait sans sourcillerUrabe Kenk au XIVe sicle [Kamo no Chmei, 1968]. Et puisque la vie est commelcume des flots, et quelle dure si peu de temps, quoi bon btir pour lternit ?

    Mais, il faut le reconnatre, ces idaux taient ceux de moines dtachs de tout,non ceux du petit peuple soumis aux alas du sort. Lui recherchait plutt la protec-tion dune maison sre, sa permanence, un abri autant physique que symbolique, unecoquille du corps qui sy loge mais aussi du moi fragile et inquiet qui sy rfugie. Riennest plus trivial et ru r a l : avec lcriture Kanji dori gine chinoise, le caractremaison se dessine pour lessentiel dune clef toit pose en couronne , laquellesurmonte un cochon, sans faons.

    De fait, dans les contes japonais, premire lecture, la maison semble beaucoupmoins prsente quelle ne lest dans ceux dEurope. Elle vient rarement comme unthme majeur, un lment central, quelques prcieux exemples prs. Plus souvent,elle est rapidement nomme comme le domicile des personnages, leur pauvre chez-soi, cabane dans la montagne do ils partent le matin pour couper du bois, ou bienvieille maison paysanne, dcrpite, o attend lpouse (voire le mari), parfois unefamille inquite. Ces minka, maisons populaires, souvent simples chaumires, ne sontgure riches ni confortables : accueillant pour la nuit un samoura en qute dhospita-lit, un paysan lui conseille : Il fait trs froid ce soir, vous devriez vous couvrir decette natte de paille pour dormir ! [YK98]1.

    La maison fait pourtant vite son entre sur la scne du conte qui y recourt, aprslexposition, ds lors que le hros, pauvre hre, perdu en fort o il est all ramasserdu bois mort, aperoit une petite lumire la nuit tombe. Parfois ce nest quunesimple cabane, voire un petit temple [YK70] qui sert dabri de fortune, ou bienencore, pour son malheur, la chaumire perdue et isole dans la fort effraya n t e ,demeure de Yamamba (ou Yama-uba), la vieille de la montagne.

    Si la maison apparat sur la scne du conte sous forme dprcie, ce nest pourt a n tpas quelle ny ait aucune va l e u r. Lun, sous son dguisement, menace de brler avant trois

    1. [YK98]. Yanagita Kunio98, le chiffre renvoie aunumro du conte dans lerecueil de lauteur indiqupar ses initiales, ou direc-tement la page de cerecueil, dans ldition dontles rfrences compltessont donnes en biblio-graphie finale.

    LEs pace gog r a ph i qu e 354

    Bonnin XP 8/08/05 17:42 Page 354

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    - -

    90.

    55.5

    7.2

    - 08/

    11/2

    012

    20h4

    1.

    Bel

    in

    Docum

    ent tlcharg depuis www.cairn.info - - - 90.55.57.2 - 08/11/2012 20h41. Belin

  • j o u rs la maison de qui ne veut pas lui accorder sa fille [YK42], et du coup il lobtient.Lautre fait brler la sienne pour signifier quil ne peut plus payer ses dettes, argument hor-rible et qui conva i n c! Cette pauvre chose de bois et de paille, on y tient donc.

    Bien sr, lide de la maison ne se rsume pas cette quation. Mais il nen estpas moins sr quelle est avant tout un toit, lequel prenait des proportions normesavec son paisseur fantastique de chaume, pos sur de frles piliers de bois, carrs, dedouze centimtres de ct, pas plus. Quelques murs de pis plutt fragiles bloquaientvers le nord, et quelques frles sparations de bois et de papier, amovibles, fermaientle reste. Les minka quon trouve encore aujourdhui dans les hameaux, au pied desmontagnes, nous montrent ce tableau : sous le vaste toit de chaume, en t, tout oupresque souvre, pour laisser passer une brise lgre, seule manire de se rafrachirdans la touffeur de la mousson. Durant les pluies de juin, cest labri sous lauventdu toit, assis sur les planches de la vranda, quon sabsorbe dans le spectacle dujardin, dans la contemplation de la nature et de ses uvres.

    Furuya no mori

    Rien ne dit mieux cette ide japonaise que la maison se rsume limmense abri du toit,l o rsque les pluies diluviennes sabattent en hallebardes, que le petit conte F u ru ya no mori :

    Mukashi mukashi toshi o totta ffu ga furui ie ni sundeimashita. Sekaij de ichiban osoroshii no wa furuya no mori da. Sdesune.Soto ni chgoku no tora ga futari o tabey to kiteimashita.Tora ga iimashita: Ore ga ichiban tsuyoi hazunanoni furuyanomori to iu motto tsuyoi yatsu ga iru to wa tai -

    henda. Nigey to itte, chgoku ni nigete kaerimashita.Dakara nihon ni tora ga inainodesu. Owari.

    (Recueil personnel). On en trouve une version plus longue chez Maurice Coyaud [MC262]2, sous le

    titre Furuya no muru, et dans le recueil de Yanagita Kunio, au numro 16, avec cetteprcision : Furuya no mori, (gouttires dans la vieille maison), pourrait tre pris pourun nom de famille suivi dun nom personnel . Plus prcisment, cest ce double sensentre gouttires dans le toit et un patronyme (MORI furuya : vieille maison de lafort), que le tigre ne comprend pas :

    Il tait une fois un couple de vieux qui habitaient une vieille maison : La chose la plus terrible au monde, cest les fuites dans le toit (furuyanomori) Cest vrai Au-dehors, un tigre venu de Chine attendait pour les manger tous les deux. Le tigre dit : Je pensais tre lanimal le plus terrifiant, mais il y en a un plus fort encore, qui

    sappelle furuyanomori ! Alors il senfuit en Chine.Cest pour a quil ny a pas de tigre au Japon.Jai fini.

    Lintrusion

    y regarder de plus prs, on est alors frapp par la rcurrence discrte dune impos-sible clture de ce grand volume sous le toit quest la maison japonaise, et quat t e s t e n tles multiples pisodes dintrusions, cls de nombreux contes. Ces allusions la prca-rit de la maison ont trait des pntrations illicites ou indsirables dtres extri e u rs ,le plus souvent malfiques, au sein du cocon fa m i l i a l3.

    P h i l i p pe Bon n i n355

    2. [MC262] et une versionplus courte dans un autrede ses recueils (2002)[MC55].

    3. Mori Toshiko (p. 102) le note dune maniresimilaire : La crisesurvient donc toujours la frontire de ce mondede lintrieur quest lamaison et de celui dudehors. Entrer ou sortir de la maison, et entrer ou sortir de la famille sont synonymes. Encoreque cet auteur parle demaison plus au sens dedomus que de btimentmatriel, il fait dans lespages suivantes (171-172),appliquant en cela lamthode danalyse dePropp, des remarques quivont dans le sens de notrelecture.

    Bonnin XP 8/08/05 17:42 Page 355

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    - -

    90.

    55.5

    7.2

    - 08/

    11/2

    012

    20h4

    1.

    Bel

    in

    Docum

    ent tlcharg depuis www.cairn.info - - - 90.55.57.2 - 08/11/2012 20h41. Belin

  • La premire est videmment celle du voleur, personnage presque aussi craint etimaginaire que les diables de la mythologie : Mais par malchance pntra dans lamaison un voleur qui se mit fouiller partout [YK88] ; mais un soir pntra dans lamaison un voleur qui inspecta prcautionneusement lintrieur, en faisant le moins debruit possible [YK89]. Parce quil est qualifi demble comme voleur, point nestbesoin pour lui de ruse spcifique pour pntrer le sanctuaire fa m i l i a l : il fait sonoffice, remplit son rle, use de son talent attendu par le conte.

    Puis, la maison se trouve pisodiquement laisse la garde du plus faible de sesmembres, un enfant naf et sans malice, et cest alors que les esprits malfiques sen don-nent cur joie [YK48] : la jeune Urikohime (la princesse Melon) reste garder lamaison durant labsence des parents, avec la ferme recommandation de nouvrir per-sonne. Arri ve la m a n j a j u, un diable, qui lui demande: Sil te plat, ouvre la porte, juste untout petit peu. Mais quand Urikohime lui eut imprudemment ouve rt la porte, juste de lalongueur dun doigt, il y introduisit une patte effrayante voir et louvrit toute gr a n d e .

    Dans la version traduite par R. Sieffert [LdC, p. 9], Urihime voit quon lui ten-dait un magnifique rameau fleuri [] elle entrebilla la porte, et derechef assezpour que jy passe la main dit la voix, et de nouveau elle ouvrit un peu plus ; aus-sitt lautre repoussa la porte et entra . Et ds lors, tous les malheurs commencent.

    Je ne connais quun cas o le voleur (doccasion) est au contraire le hros du conte, qui lon a lanc le dfi de drober le trsor lintrieur de la maison pendant la nuit : L e sp o rtes sont bien closes, et cela tracasse Ta r . Il lui faudra alors user de ruse, et recevo i rlaide dune poupe magique, sintroduisant par un trou de souris (ou un trou dans le boisdes volets, selon les ve rsions), pour commettre son larcin avec succs et gagner son pari Par quoi est dmontr que la clture de la maison nest jamais hermtique, malgr lesapparences, ce qui nest pas fait pour nous rassurer [MC207, San nin Ky d a i] .

    Le thme du franchissement magique des murailles (mais cest vrai dire unconte ori ginaire de Chine, o celles-ci sont plus consistantes) est le ressort dun rcitdont le hros pauvre, amoureux malheureux, rencontre un saint homme qui lui fourn i tune petite tru e l l e : cest un objet magique qui me permet de percer les murs [] Lapetite truelle entrait dans la maonnerie comme dans du beurr e . videmment, il sens e rt pour rejoindre sa belle clotre, quil gagnera comme pouse [Brunel, p. 103].

    Et cest encore dans un autre conte dori gine chinoise que le sducteur trans-gresse les limites physiques et sociales pour construire son bonheur : Enfin il dcou-v rit un trou dans une haie de clture, il sy glissa et, aprs avoir trave rs plusieurscours, il se retrouva dans le gynce [Brunel, p. 141]. Il est significatif que ces fran-chissements positifs napparaissent pas ( notre connaissance) dans les contes propre-ment japonais.

    Si lon fragilise ou que lon attente lintgrit physique des parois de la maison,les intrusions se produisent ncessairement : Une nuit de nouvel an, le pauvre Gohetremblait de froid dans sa cabane. Il dcida darracher quelques lattes, pour allumerun feu. peine avait-il enlev trois planches que surgissait devant lui un petit vieillard,d busqu dans sa cachette: je suis le dieu des pauvres [] [ B runel, p. 1 5 7 ] .

    Kaguyahime (la princesse Kaguya)

    Cette impossibilit rdhibitoire de la clture parfaite saffirme encore, mais dans lesens de la sortie, dans le fameux Conte du coupeur de bambous [ S i e f f e rt, 1953]4. Lamaison ne peut tenir reclus un tre surnaturel qui se joue des cltures humaines.

    4. Cf. galement [YK47],sous le titre deUguisuhime (la princesseRossignol).

    LEs pace gog r a ph i qu e 356

    Bonnin XP 8/08/05 17:42 Page 356

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    - -

    90.

    55.5

    7.2

    - 08/

    11/2

    012

    20h4

    1.

    Bel

    in

    Docum

    ent tlcharg depuis www.cairn.info - - - 90.55.57.2 - 08/11/2012 20h41. Belin

  • Le vieillard, qui navait pas eu denfant, a trouv la petite fe en coupant les bam-bous : On llevait avec le plus grand soin : jamais elle ne sortait de sa chambre . Letraducteur fait l une note qui dit : Ch, je traduis chambre, faute de terme plusappropri. Ce caractre qui signifie tendre, suspendre dsigne ici un rideau que lonsuspendait devant lendroit o habitait une jeune fille, pour la cacher la vue des gensde lextri e u r 5. Elle se tenait habituellement sur une sorte de plat e - f o rme appelekich, son espace intime. Lorsque Kaguyahime tait seulement cache dans la maisonpar un rideau, les prtendants venaient de nuit, peraient des trous dans la palissade,et pouvaient ainsi lapercevoir.

    Quand les habitants de la Lune doivent venir rechercher Kaguyahime, alors quelempereur a fait placer deux mille soldats sur le qui-vive, que ses parents adoptifs lar e s s e rrent plus srement encore dans le n u ri go m e (magasin k u ra aux pais murs deterre arme toute preuve6), on leur dit : En fermant toutes les issues, vous penseztre prts la dfense, mais contre les gens de ce pays-l, vous ne pouvez combattre.Vous ne pourrez pas mme dcocher vos flches. Vous avez beau fermer de la sorte,lorsque viendront les gens de ce pays-l, pour eux, tout sera ouvert ! Eussiez-vous ledsir de livrer bataille, lorsque viendront les gens de ce pays-l, vous nen aurez pluslnergie ! . Les envoys du roi de la Lune arrivent et la rclament. Eh bien ! Demoi-selle Kaguya, pourquoi restez-vous si longtemps dans ce sale endroit? La porte de lachambre si bien close souvrit delle-mme toute grande. Les cloisons scartrent demme sans que personne y toucht [] ; et Kaguya part, videmment. Aucune cl-ture ne rsiste aux tres surnaturels, quand bien mme la resserre kura apparat auxhumains et donc de manire illusoire comme le seul endroit vraiment fermantde la maison pour protger leurs richesses. Ce ntait pas tout fait le cas.

    Shinzabur

    Sil nest pas de barrire physique pour protger la maison des esprits gyrovagues, aumoins dispose-t-on de ftiches srs, pour peu quon sy tienne (ce qui narri vepresque jamais). Dans sa traduction du Roman de la lanterne pivoine, L. Hearn [1980,p. 109] nous rapporte lhistoire de ce jeune Samoura, Shinzabu r o, que le sort aspar de celle quil aime. Elle en est morte. Il voue un culte sa mmoire, plaantune ihai, tablette son nom, sur lautel domestique. loccasion dO-bon, la fte desmorts, il suspendit au-dehors des lanternes qui servent guider les esprits lorsqueceux-ci reviennent rendre visite aux vivants, et sur le shrydana ou planche desmes, il prpara des mets destins aux fantmes7 . Or il arriva que sa bien-aime luirendit visite. Tout troubl et bouleve rs, il revcut son fol amour. Un serviteur quisinquite et lespionne le convainc quil est possd, et le fait secourir par un puissantmoine. Il doit, entre autres dfenses, se ceindre le corps notre ultime forteresse du cordon dune amulette, et obturer toutes les ouvertures de la maison, si petitesquelles soient avec des ofuda, feuillets inscrits de textes sacrs8. Le soir suivant, lefantme ne peut donc pntrer, son grand dsespoir. Il ne le pourra quaprs avoirsoudoy le serviteur, lequel aura libr une petite lucarne de ses protections magiques.videmment, la mort est au bout du conte.

    La maison est donc poreuse, et toutes les ouve rtures doivent faire lobjet dat t e n-tion, au premier chef le seuil9, lorsque les mes dfuntes reviennent visiter le foye r. DansK o t t ( p. 134), L. H e a rn nous explique encore : Le terme k a ga ri - b i1 0 se traduit souve n tpar feu de joie ; ici cependant il sagit des petits bchers que lon allume certains jours

    P h i l i p pe Bon n i n357

    5. On retrouve undispositif semblable dansdautres contes, parexemple Une danseuse,[HL, 1983].

    6. Un vaste kura, magasinde trente pieds sur dix-huit [YK83] lcart dela maison, bti en terrepour protger desincendies et des voleursles biens quon y resserre.

    7. Il faut en faitcomprendre : destins auxmes des dfunts et desanctres de la famille, quinont rien voir avec lesfantmes et monstres descontes, bakemono, kappa,hitotsume koz,yamamba, hitodama,mononoke, oni, akuma,umibozu, tengu, yukionna,tsuchigumo, etc.

    8. Mais toutefois diffrentsdes sutras.

    9. Je me permets de renvoyer ici audveloppement de cette question dansBonnin, 2000.

    10. Ou kibigara, selondautres sources,morceaux de mlle vgtale qui se consument en quelques minutes.

    Bonnin XP 8/08/05 17:42 Page 357

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    - -

    90.

    55.5

    7.2

    - 08/

    11/2

    012

    20h4

    1.

    Bel

    in

    Docum

    ent tlcharg depuis www.cairn.info - - - 90.55.57.2 - 08/11/2012 20h41. Belin

  • de fte devant tous les seuils de la rue principale des bourgs ou villages. Pendant la ftedu O-bon (fte des morts), ces petits feux sont allums en dive rs endroits pour souhaiterla bienvenue aux esprits au moment de leur retour, pour les guider ve rs leur maison,ve rs le seuil o lon aura prpar quelques mets leur intention, afin dapaiser les mese rrantes et affames non rincarnes (ce qui les rend malveillantes), et quelles nentrentpas dans la maison.

    Yuki onna

    Limpossible fermeture, lentre comme la sortie, de labri prcaire comme de lamaison bien tablie, nous est affirme dans le trs fameux conte Yuki onna (la femmedes neiges). La porte de labri souvre au dsir comme la mort, malgr les hommes,tandis que la maison laissera chapper lme de la fe lorsque le hros ouvre par trople secret de son cur, oubliant linterdit.

    Un soir dhiver, deux bcherons sont surp ris par une tempte de neige et se rfu-gient dans une hutte. Alors que le vieux sest endormi, la neige envahit la cabane par lap o rte qui sest ouve rte, et entre une femme toute blanche, trs belle. Elle se penche surle vieux, et de son souffle le congle. Puis elle se penche sur le jeune apprenti, ve i l l mais abasourdi. Elle fait finalement grce sa beaut et sa jeunesse, condition quiltaise jamais ce quil a vu, sous peine de mort. L h i ver suivant, il rencontre une trsbelle jeune fille, et ils se marient. Elle se prnomme O-yuki (n e i ge, videmment). Ils ontdix beaux enfants la peau bien blanche, et nagent dans le bonheur. Mais un soir, entendre confiance, il se laisse aller la confidence, et lui raconte lpisode de la mort deson compagnon. Furieuse, elle dvoile son identit. Par gard pour leurs enfants elle nele tue pas, mais se transforme en brume blanche qui slve dans les poutres et disparatpar le k e m u ri d a s h i, trou pour la fume dans le toit, avec le sifflement du ve n t1 1.

    Protger lintime

    Parce que cette frle maison japonaise ne semble donc pas pouvoir se clore physique-ment, quil se trouve toujours un dfaut cette cuirasse de papier et de bois, ou bienque lintrus use de magie, voire quil est lui-mme un tre ferique, elle apparat alorsplus comme une construction mentale, une convention sociale, comme un pacte quiinstitue lordonnancement despaces, leurs usages, leur accs. plusieurs reprises onvoit merger dans les contes le thme de linterdit qui, non respect par le hros oupar le voisin cupide voulant imiter le succs du hros, conduit au malheur12.

    Cest le cas dans Les Yeux prcieux du serp e n t [ Y K 5 9 ] : le lieu interdit au regard estune resserre close o la jeune femme accouche. Elle ne doit pas tre aperue, car eller e t r o u ve alors sa nature de serpent. On se souvient quau Japon, laccouchement sedroulait nagure dans un btiment part, s a n goya ou u bu ya1 3, en raison de limpuretde lvnement au sens du Shint. Il faut galement se souvenir que dans le rcit cos-m o l o gique du K o j i k i, le dieu I z a n a gi no mikoto s u rprend son pouse dpouille, aur oyaume des tnbres, dans lhorreur de sa chair nu. Il devra se purifier de cettec o n t a m i n ation mortelle (par le simple fait du regard) au moyen dablutions oculaires etc o rp o r e l l e s. Limpuret est au cur de la culture japonaise, aussi nest-il pas surp r e-nant quelle ponctue les contes : une des punitions de fin est un norme tas de bousede vache qui ensevelissait peu peu sa maison [YK62]. Ou bien: sentassrent dansla maison toutes les ordures possibles et imagi n a b l e s [YK71]. Cest ce type de puni-tion qui peut nous aider comprendre de quel pacte et de quel interdit il est question.

    11. Cest, rsum ici, lundes plus beaux contes, etdes plus clbres, dontlon trouve de multiplesversions (par exemple :Ceccaty et Nakamura,1999, p. 49.) et qui a ttranspos en film daprsle recueil de L. Hearn(1988, p. 85) parKobayashi Masaki en1965, sous le mme titreKwadan.

    12. La maison des contesnest pas toujours seule,mais bel et bien prisedans son hameau : lethme rcurrent du voisin quoique le plus prochede la maison, il en estextrieur, et soppose aubonheur paisible quellerecherche jaloux etcupide met en uvre lenvi les oppositionsmanichennes, et vientredoubler en ngatif lesactes du hros humble,simple, pieux et gnreux,rcompens par un trsor,quand son mchant voisinqui veut limiter ne reoitque justes chtiments.

    13. Et quelques autresdnominations. Cf. Pezeu-Massabuau, 1981, p. 396.

    LEs pace gog r a ph i qu e 358

    Bonnin XP 8/08/05 17:42 Page 358

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    - -

    90.

    55.5

    7.2

    - 08/

    11/2

    012

    20h4

    1.

    Bel

    in

    Docum

    ent tlcharg depuis www.cairn.info - - - 90.55.57.2 - 08/11/2012 20h41. Belin

  • Car si la maison protge si peu le corps qui sy abrite, cest dun second espace,enchss dans le premier, plus intime encore, quils veulent nous parler.

    Cest encore le cas dans Le Sou du rossignol [Brunel, p. 124], lorsque la fe dit auhros : Je dois mabsenter quelque temps. Tu sais quil y a derrire la maison troisr s e rve s. Je te demande expressment de ne jamais pntrer, ni mme regarder lintrieur de la troisime. Il obtemprera, et sera rcompens par la fortune, tandisque le mauvais voisin, voulant limiter, y pntre nanmoins, sr dy dcouvrir unt r s o r : A l o rs il vit, dans une chambre vide, une branche de prunier en fleur surlaquelle un rossignol chantait. La maison disparut linstant, et le voisin cupide ser e t r o u va assis sur un tas de broussailles, seul dans la montagne. Pour le moins,lintrusion dans le lieu interdit produit une sortie : sortie du conte, sortie de lhistoirem e rveilleuse autant que sortie de lintrieur mme de la maison o il se droulait.C r oyant accder au plus profond de la maison, au plus intime et au plus cach, lintrieur de lintrieur, on se retrouve projet lextrieur, en pleine fort, chass dumonde merveilleux, par un retournement catgorique.

    Le fait est encore plus vident dans un autre conte : La Chambre interdite [YK65].Ayant sauv un arbre habit par une fe, un vieil homme est invit dans sa maison dedlices, o il pntre aprs stre lav les pieds. Elle lui prsente la maison: Ici, cestla chambre de la premire lune, lui dit-elle, et dans la chambre quelle lui montrait setrouvait, comme il se doit, la dcoration de papier et de paille, le bambou et le pin[qui demeurent verts durant la morte saison]. Puis il y eut la chambre de la deuximelune, avec les branches de prunier [les premires floraisons de lan], de pcher et decerisier, la chambre de la troisime lune o se trouvaient les poupes [pour Hina mat -suri, la fte des poupes, le 3e jour du 3e mois], et ainsi de suite jusqu la chambre dela douzime lune.14 La fe doit sabsenter pour aller en ville, et confie lhomme laclef avec dfense expresse de regarder la chambre de la deuxime lune. Lui ne ds-obira pas, et connatra une fin heureuse. Cest son voisin cupide (son double ngatif)qui enfreint linterdit et ouvre la porte : mais il eut juste le temps dapercevoir un ros-signol qui senvolait en chantant : hhokekiyo !, avant de se retrouver tout seul au pieddu grand arbre. Malgr sa ressemblance trompeuse avec linterdit de Barbe-Bleue,on comprend aisment ici que le rossignol nest quun autre avatar de la fe, comme laccoutume, et que la seconde pice de la maison si la premire est celle dumatre est son espace intime, lespace de son secret.

    On retrouve enfin cette abolition-sortie du pays magique de la fable dans le conteH a n at a r - K o z [YK22, p. 43], lorsque dune manire gnrale le lien de sympathie ou les e rment pass avec ltre merveilleux est rompu et qualors il disparat : et il ne restabientt plus sur les lieux que la maison dcrpite dautrefois . Le respect de la parole oudu secret constitue un code daccs aux lieux magiques du conte et de lenchantement[ Y K 6 7 ] : le trou de rocher qui donne la fortune se referme une fois le secret divulgu.

    Au-del du secret

    Po u rtant, on pourrait encore noter deux thmatiques qui portent plus loin la question.Lune apparat dans plusieurs va riantes de contes la structure semblable, tels queLa G rue cendre [ B runel, 2000, p. 40]. Un jeune paysan pauvre mais au cur purrecueille une grue blesse dune flche, la soigne et la sauve. Elle senvole. peu detemps de l se prsente sa porte une jeune femme dune grande beaut qui lui demandede la prendre pour pouse, ce quil fait en dfinitive puisquelle remdie magiquement

    P h i l i p pe Bon n i n359

    14. Sur le thme de la maison-calendrier,voir aussi le conte n 93 de MC (2002).

    Bonnin XP 8/08/05 17:42 Page 359

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    - -

    90.

    55.5

    7.2

    - 08/

    11/2

    012

    20h4

    1.

    Bel

    in

    Docum

    ent tlcharg depuis www.cairn.info - - - 90.55.57.2 - 08/11/2012 20h41. Belin

  • sa pauvret. Mais elle est conduite devoir senfermer longuement dans un local de lamaison pour tisser une toffe merveilleuse qui assurera leur richesse, la conditionexpresse que personne ne viendra lpier, et malgr lpreuve physique quon lit sur sest r a i t s. la seconde fois, la curiosit est trop grande et sa vraie nature est dcouve rt e : elletait cette grue, et sarrachait ses propres plumes pour composer ltoffe extraordinaire.Lune des ve rsions insiste sur le sang et les plaies provoques par ce sacrifice de soi, et quiont t vus. Alors la grue doit disparatre ou senvoler, et avec elle le bonheur et lesri c h e s s e s.

    La maison renferme un bonheur fragile, dont on ne sait sil est rel ou rv : cesttrop beau pour tre vrai, comme dans un conte de fes. Il ne faut pas tenter de dis-cerner, de confirmer, ni mme de poser la question de cette ralit haute voix, souspeine de dsenchantement.

    Comme celui de laccouchement du serpent, ces contes nous loigneraient-ils denotre propos sur la maison? Que non. On la dit, il nous faut les entendre comme sonp r o l o n g e m e n t : ils nous emmnent dans un intrieur de lintrieur, au plus profond de lamaison. Souvenons-nous que la matresse de maison est appele O k u s a n, cest--direcelle du fond, au sens du plus profond, du plus priv. Cet intrieur protge un espacedu fminin, marqu de sang, qui doit rester secret lhomme, sous peine de rompre lec h a rme. Nest-ce pas cette acm de lintimit que la maison se devait de protger, etquun pacte ordonnateur doit faire respecter, sous peine de grands malheurs, de chaos?

    Une seconde thmatique, mais dont je ne connais quune occurrence, renverse laquestion dun franchissement intempestif de lenveloppe de la maison, non plus parune fe mais par des forces du mal, non plus ve rs lintrieur mais ve rs lextri e u r.Peut-tre ce conte nous ave rtit-il prcisment du risque explosif quil y a laisserentrer ou rsider les dmons, le mal, lintrieur de la maison. Ce pourquoi chaqueanne, lors de Setsubun (ou Risshun, son lendemain, qui correspondent en ralit aurituel du changement danne de lancien calendrier chinois), pour la purifier, on jetteaux quatre coins de la maison des fves de soja en criant : oni wa soto, fuku wa uchi ! (les diables dehors, le bonheur dedans !)15. Anshi, jeune et gentille bru, est humilie etmaltraite par sa belle-mre comme on la rarement t. Elle supporte longtemps lescruauts, mais un beau jour, nen pouvant plus, elle retira du feu un morceau de boisenflamm et le lana violemment par la fentre ; il tomba par hasard sur un moutonqui passait, et mit le feu sa toison. Le mouton affol courut droit devant lui et se jetasur une meule de paille, qui senflamma. Parce que ce jour-l le vent tait trs fort, lefeu gagna les tables et les curies. Des bovins et des chevaux sauvages schapprent,et dans la bousculade dtruisirent la maison dun voisin. Celui-ci, un homme vindi-catif, chercha querelle au propritaire des chevaux, et ainsi, de proche en proche, devillage en village, de province en province, la guerre stendit, comme un feu debroussailles, et ravagea tout le pays [Brunel, 2000, p. 128].

    On verrait encore se dcliner cette thmatique dans dautres contes, qui placentdans un extrieur tout proche, le jardin, la source durable dun mal qui pntre cons-tamment la demeure. Cest le cas lorsque lesprit dun arbre qui y fut malencontreu-sement abattu se rvolte et se venge sur une personne de la maison, dont ilcompromet la sant1 6. Cest aussi celui du conte des neuf moines [Novak, Cern a ,1970, p. 129], noirs, blancs et jaunes (couleurs des points cardinaux), fantmes pri-sonniers du jardin dun vieux palais abandonn, que vient habiter un jeune couple. Lanuit, ils viennent hanter les lieux, pntrant le palais travers les murs . Comme la

    15. Crmonie nomme-harai : grandepurification, ou Oni-harai,purification des dmons,ou mamemaki : jet desharicots.

    16. Tel le conte auxnombreuses variantes dukusunoki (camphrier),abattu lors de laconstruction dun hanarezashiki (salon spar),dont la souffranceprovoque lanmie de lajeune fille du matre duvillage. Elle ne seradlivre que par la rusedun jeune homme bon,averti du fait par le kikimimi zukin (bonnet quifait entendre) que lui avaitdonn la renarde enremerciement dusauvetage de ses petits.

    LEs pace gog r a ph i qu e 360

    Bonnin XP 8/08/05 17:42 Page 360

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    - -

    90.

    55.5

    7.2

    - 08/

    11/2

    012

    20h4

    1.

    Bel

    in

    Docum

    ent tlcharg depuis www.cairn.info - - - 90.55.57.2 - 08/11/2012 20h41. Belin

  • jeune femme rsiste jour aprs jour leffroi, ils sont dlivrs de leur sortilge, et larcompensent avec les trsors cachs par leur prince, dcd lors dune bat a i l l eancienne. On retrouve cette structure dans le conte des Cinq fantmes [Novak, Cerna,1970, p. 169], o le jeune samoura Yochinari sabrite pour la nuit dans un templehant lcart dun village. Lobscurit venue, la lune se leva et claira lintrieur dutemple par le trou du toit et les fissures des murs , marquant la grande fragilit de saf e rmeture. Successivement, quatre fantmes effrayants se prsentent aux quat r eorients. Le hros courageux en triomphera, et trouvera leurs traces matrielles dans lejardin, aux quatre points cardinaux, dlivrant ainsi le village de ses frayeurs.

    Protger de la souillure

    La souillure, limpur, est la racine du culte Shint et des croyances japonaises. Laf o rme en est aussi bien physique que morale ou symbolique : tout ce qui attente lordre du monde est craint et doit tre impitoyablement chass de la maison. Il nestpas jusqu la vieillesse des choses [YK33] : voil ce qui arri ve quand on oublie de jeterles vieilles choses! , comme celle des gens, qui ne doit tre efface [MC41]1 7. On nepntre dans le sanctuaire domestique que dment purifi, quittant ses socques. On nereste pas au contact de la mort : C o n f o rmment nos coutumes, aucun de nous nepeut demeurer la nuit dans une maison o a eu lieu un dcs [LH, p. 2 1 7 ]1 8.

    Le conte Une danseuse, recueilli ve rs 1900 par Lafcadio Hearn (1983), nous montrele hros, en voyage, perdu, qui arri ve la porte dune maison. Il frappe pour demanderl h o s p i t a l i t : La porte souvri t ; une femme apparut qui, le visage dans lombre, proje-tait sur celui de ltranger la vive clart de sa lanterne de papier. Lexamen, sans doute,fut sat i s faisant, car elle rentra aussitt pour rapporter le bassin plein deau et la serv i e t t equelle dposa sur le seuil de la porte. Il quitta ses sandales, baigna ses pieds pour ene n l e ver la poussire du voyage et pntra dans une jolie chambre propre qui semblaitoccuper tout lintrieur lexception dun petit espace fait de planches et servant de cui-sine. Il trouva pour lui un brasier tout prpar et un z a bu t o n de coton pour sy age-n o u i l l e r. [] La chambre tant unique, elle tendit terre le matelas, apporta loreillerde bois, suspendit la moustiquaire et, devant le lit, dploya un grand paravent pour lesparer du bu t s u d a n [lautel des dfunts] ; puis elle lui souhaita le bonsoir.

    Dans ces simples gestes et par des gestes seulement nonobstant la suite durcit, est construit lespace de la maison, sa puret inviolable autrement que par mal-h e u r. Plus que toute paroi mat rielle, ce sont la convention, le rite, la rgle et sonrespect, la relation confiante entre soi et autrui qui assurent seuls, en dfinitive, laprennit de labri.

    Cest sans doute cette fragilit de labri japonais, jamais hermtiquement clos surun moi fbrile, tel que nous lenseignent les contes, qui nous permet aussi de com-prendre le genre de publicit que diffuse la tlvision nippone notre poque, pourinciter lachat dinterphones avec vido camra de surveillance de la porte dentre.Une petite fille dcroche linterphone et sapprte ouvri r. Lcran dabord noirmontre ensuite un homme souriant. Il sapprte entrer et se transforme subitementen grand mchant loup de dessin anim. Il laurait dvore si, avertie par lappareil,elle navait enclench le loquet de scurit avant douvri r. Nos dmons, o n i, noushabitent toujours, mme si le Shki sama cette statuette dun fabuleux guerrier tru-cideur de dmons qui protge encore de trs nombreuses portes du Kansai etdailleurs19 cde aujourdhui le pas des dispositifs lectroniques.

    P h i l i p pe Bon n i n361

    17. Le Mont des vieuxabandonns ; La Balladede Narayama.

    18. Le Mangeur decadavres.

    19. Quon me permette de renvoyer ici encore larticle consacr aux seuils de la maisonjaponaise cit plus haut(Bonnin, 2000).

    Bonnin XP 8/08/05 17:42 Page 361

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    - -

    90.

    55.5

    7.2

    - 08/

    11/2

    012

    20h4

    1.

    Bel

    in

    Docum

    ent tlcharg depuis www.cairn.info - - - 90.55.57.2 - 08/11/2012 20h41. Belin

  • BAYARD-SAKAI Anne (trad.) (1993). Rakugo. Arles : Picquier, 133 p.BELMONT Nicole (1999). Potique du conte : essai sur le conte de tradition orale. Paris : Gallimard.BERTHIER Franois (1984). Les Temps avant lhistoire. Paris : POF, coll. Arts du Japon, 139 p.BE TT E L H E I M B r uno (1976). Psychanalyse des contes de fes (The Uses of Enchantment). Pa r is :

    Robert Laffont.BONNIN Philippe (2000). Dispositifs et rituels du seuil : une topologie sociale. Dtour japonais .

    Communications, n 7, p. 65-92.BRUNEL Henri (2000). Les plus beaux contes zen ; la grue cendre. Paris : Calman-Lvy, 150 p.CAILLET Laurence (1981). Ftes et rites des 4 saisons au Japon. Paris : POF, 613 p.CAILLET Laurence (1991). La Maison Yamazaki. Paris : Plon, coll. Terre humaine, 641 p.CECCATY Ren de, RYOJI Nakamura (1999). La Princesse qui aimait les chenilles ; contes et lgendes

    dAsie. Paris : Philippe Picquier, 157 p.CHALLAYE Flicien (1933). Contes et lgendes du Japon. Paris : Nathan.COYAUD Maurice (1975). 180 contes populaires du Japon. Paris : Maisonneuve et Larose, 194 p.COYAUD Maurice (1984). Contes, devinettes et proverbes du Japon. Paris : PAF, 118 p.COYAUD Maurice (1993). Posies et contes du Japon. Paris : PAF, 184 p.COYAUD Maurice, SANAE Tsuji (2002). Ogresses et moinillons. Paris : PAF, 188 p.ELIADE Mirca (1963). Aspects du mythe. Paris : Gallimard.FRANK Bernard (trad.) (1968). Histoires qui sont maintenant du pass (Konjaku Monogatari sh).

    Paris : Unesco/Gallimard, 336 p.FRDRIC Louis (1996). Le Japon, dictionnaire et civilisation. Paris : Robert Laffont, 1 419 p.GRIOLLET Pascal (1999). Histoires de poissons-chats ; les images du grand sisme de 1855 Edo .

    in Ebisu n 21, Le Japon des sismes , p. 17-33.HEARN Lafcadio (1980). Le Mangeur de rves. Paris : Union gnrale ddition, 409 p.HEARN Lafcadio (1983). Regards sur le Japon inconnu. Matsu : Hokosha Printing, 55 p.HEARN Lafcadio (1988). Kwadan. Paris : Minerve, 164 p.IH A R A S a ka ku (19 85). Contes des provinces, su i vi de Vingt parangons dimpit filiale de notre

    pays (trad. R. Sieffert). Paris : POF, 238 p.KAMO NO CHOMEI (1968). Notes de ma cabane de moine ; prcd de URABE KENK, Les Heures

    oisives. Paris : NRF-Gallimard/Unesco.L V I-ST R AU SS Cl. (1979). La Voie des masques. Pa r is : Plon-Ago ra; 1re d. Genve : A. S ki ra, 2 vol.

    (1975), 215 p.MORI Toshiko (1987). Folklore et thtre au Japon. Kinoshita Junji et les contes populaires. Paris :

    POF, 209 p.NOVAK Miroslav, CERNA Zlata (1970). Contes japonais. Prague : Artia (et 1985, Paris : Grnd, pour la

    traduction franaise), 199 p.PEZEU-MASSABUAU Jacques (1981). La Maison japonaise. Paris : POF, 694 p.PROPP Vladimir (1983). Les Racines historiques du conte merveilleux. Paris : Gallimard.RENONDEAU G. (trad.) (1969). Contes dIse (Ise monogatari). Paris : Gallimard/Unesco, 181 p.SIEFFERT R. (trad.) (1953). Le Conte du coupeur de bambous. Tky : Bulletin de la Maison franco-

    japonaise, Nouvelle srie, T. II, p. 138-199.SIEFFERT R. (trad.) (1986). Contes dUj (Uji shi monogatari). Paris : POF, 341 p.SIEFFERT R. (1993). Le Livre des contes. Paris : POF, 95 p.TAKEBAYASHI Fumiko (1933). Contes japonais. Paris : Fasquelle.YANAGITA Kunio (1941). Mame no ha to taiy (le soleil et une feuille de haricot), rdit dans ses

    uvres compltes Zen sh (1963), tome 2. Tky : Chikuma-shob.YANAGITA Kunio (1983). Contes du Japon dautrefois. Paris : POF, 199 p.YA N A G I TA Kunio (1999). Les Yeux prcieux du serpent ( co n tes) (si m ple rdition du prcdent).

    Paris : Serpent plumes, 195 p.

    LEs pace gog r a ph i qu e 362

    R f re n c e s

    Bonnin XP 8/08/05 17:42 Page 362

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    - -

    90.

    55.5

    7.2

    - 08/

    11/2

    012

    20h4

    1.

    Bel

    in

    Docum

    ent tlcharg depuis www.cairn.info - - - 90.55.57.2 - 08/11/2012 20h41. Belin