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Orhis Litterurum 1985, 40, 380 385 Svend Erik Larsen: SPmiologie litthire. Essais sur la schne textuelle. Traduit du danois par FranCoise Arndt. Odense University Press, Odense 1984. 560 pp. Cet ouvrage est, sauf pour le dernier chapitre, qui est nouveau, la traduction d’un travail paru en danois en 1975. La place dont je dispose ici ne me permettra pas d’entamer une discussion approfondie du livre (discussion qui a d’ailleurs eu lieu lors de la publication de I’tdition origi- nale), mais je voudrais signaler I’ouvrage a un public qui ne sait pas le danois en esquissant la problematique dont s’occupe SvEL ici et indiquer les grandes lignes de son raisonne- ment. Le sous-titre du travail original etait ccQudtre essais sur le probleme de la narration/du narra- teur (en allemand, $aurait ete ccErzahl(er)pro- blem))))), ce qui est aussi prkist dans la premie- re des deux prefaces ici, ou I’auteur poursuit ((Enajoutant aces domaines dont s’occupe une recherche tres diversifik, une reflexion &pist&- mologique, mon objectif est de contribuer a leur ouverture tout en conservant leurs notions essentielles, et grlce a une pratique de ces der- nieres, insister sur un nouveau domaine ... )) (9); dans la seconde prtface il est precise que ccce livre appartient a la (...) tendance qui s’interesse aux fondements et a I’bpisttmologie de la semiologie et qui insiste sur le fait qu’on peut de la - et donc pas ntcessairement d’un lieu situt hors de la s6miologie - donner a la recher- che semiologique une perspective de dtpasse- ments (13), et ce depassement s’est effectut, au Danemark, ((via I’hermkneutique allemande (Habermas), la post-phtnomelogie francaise (Derrida) et la psychanalyse (Freud, Lacan))) (12). Pour SvEL les textes de Derrida sont cer- tainement une source d’inspiration tres impor- tdnte. Le cinquieme chapitre, qui donc est nouveau et ecrit sans doute a quelques annCes de distan- ce de la redaction des chapitres prtckdents, commence par une sorte de resume ultra-bref de ceux-ci: ccLa skmiologie, fort justement, ne s’est pas uniquement occupti des signes, de leur contenu, de leurs relations rkciproques, mais aussi du processus de communication dans le- quel les signes deviennent une realit6 sociale. Cependant, il h i a &ti thkoriquement difficile de depasser une conception lindaire de la com- munication. Lors de mon analyse (... et ...) de mes reflexions (... des chapitres prkckdents ...), j’ai indique ce qu’il y avait de probltmatique dans I’insertion du processus ideal et complet de la communication comme garantie sous-en- tendue d’un mime ou d’une vdritd immanente dans le transport du sens. Le message et son code recoivent ainsi un statut de signifie trans- cendantab (457). On trouve, en effet, ici les principaux concepts sur lesquels porte la reflexion epistt- mologique de SvEL: le signe, la communica- tion, le message, le code, auxquels il faut ajou- rter le concept de I’enonciation, que ccest I’un des concepts les plus importants et les plus productifs que se soit appropriee la semiologie et qu’elle a developpk au point qu’il est en passe de devenir la charniere permettant a la stmiologie d’itre rattachk a d’autres sciences et de se mouvoir par rapport a elles,) (371). Les titres des cinq chapitres, ensuite, indiquent clairement quels sont les domaines prkis a I’in- ttrieur desquels sont discustes ces concepts: ccLes problemes du genre)), ctTexte et modele)), ccLa syntaxe narrative)), ccL‘enonciation)) (a la fois, en effet, concept et domaine) et ((Code et supplement: le th6itrev. Le probleme des genres est un probleme de systematisation, et non pas de delimitation d‘un ensemble d’objets a analyser (18); dans les recherches traditionnelles la delimitation est fondee sur le concept de cclitt8raritkn (19); le probltme est alors, avant tout, celui de dimon- trer que telle ou telle systematisation est ccnatu- rellen et non pas arbitraire (22). Le plus souvent, la solution de ce probleme est fondk sur, et justifiie par, une ccanalogie naturellen (le systeme des genres comme le sys- teme de Linnk, par exemple) et une ccanalogie methodologique)) (importatioh de modeles, de methodes d’autres sciences). I1 s’agit la de prk-

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Orhis Litterurum 1985, 40, 380 385

Svend Erik Larsen: SPmiologie l i t t h i r e . Essais sur la schne textuelle. Traduit du danois par FranCoise Arndt. Odense University Press, Odense 1984. 560 pp.

Cet ouvrage est, sauf pour le dernier chapitre, qui est nouveau, la traduction d’un travail paru en danois en 1975. La place dont je dispose ici ne me permettra pas d’entamer une discussion approfondie du livre (discussion qui a d’ailleurs eu lieu lors de la publication de I’tdition origi- nale), mais je voudrais signaler I’ouvrage a un public qui ne sait pas le danois en esquissant la problematique dont s’occupe SvEL ici et indiquer les grandes lignes de son raisonne- ment.

Le sous-titre du travail original etait ccQudtre essais sur le probleme de la narration/du narra- teur (en allemand, $aurait ete ccErzahl(er)pro- blem))))), ce qui est aussi prkist dans la premie- re des deux prefaces ici, ou I’auteur poursuit ((En ajoutant aces domaines dont s’occupe une recherche tres diversifik, une reflexion &pist&- mologique, mon objectif est de contribuer a leur ouverture tout en conservant leurs notions essentielles, et grlce a une pratique de ces der- nieres, insister sur un nouveau domaine ... )) (9); dans la seconde prtface il est precise que ccce livre appartient a la (...) tendance qui s’interesse aux fondements et a I’bpisttmologie de la semiologie et qui insiste sur le fait qu’on peut de la - et donc pas ntcessairement d’un lieu situt hors de la s6miologie - donner a la recher- che semiologique une perspective de dtpasse- ments (13), et ce depassement s’est effectut, au Danemark, ((via I’hermkneutique allemande (Habermas), la post-phtnomelogie francaise (Derrida) et la psychanalyse (Freud, Lacan))) (12). Pour SvEL les textes de Derrida sont cer- tainement une source d’inspiration tres impor- tdnte.

Le cinquieme chapitre, qui donc est nouveau et ecrit sans doute a quelques annCes de distan- ce de la redaction des chapitres prtckdents, commence par une sorte de resume ultra-bref de ceux-ci: ccLa skmiologie, fort justement, ne

s’est pas uniquement occupti des signes, de leur contenu, de leurs relations rkciproques, mais aussi du processus de communication dans le- quel les signes deviennent une realit6 sociale. Cependant, il h i a &ti thkoriquement difficile de depasser une conception lindaire de la com- munication. Lors de mon analyse (... et ...) de mes reflexions (... des chapitres prkckdents ...), j’ai indique ce qu’il y avait de probltmatique dans I’insertion du processus ideal et complet de la communication comme garantie sous-en- tendue d’un mime ou d’une vdritd immanente dans le transport du sens. Le message et son code recoivent ainsi un statut de signifie trans- cendantab (457). On trouve, en effet, ici les principaux

concepts sur lesquels porte la reflexion epistt- mologique de SvEL: le signe, la communica- tion, le message, le code, auxquels il faut ajou- rter le concept de I’enonciation, que ccest I’un des concepts les plus importants et les plus productifs que se soit appropriee la semiologie et qu’elle a developpk au point qu’il est en passe de devenir la charniere permettant a la stmiologie d’itre rattachk a d’autres sciences et de se mouvoir par rapport a elles,) (371). Les titres des cinq chapitres, ensuite, indiquent clairement quels sont les domaines prkis a I’in- ttrieur desquels sont discustes ces concepts: ccLes problemes du genre)), ctTexte et modele)), ccLa syntaxe narrative)), ccL‘enonciation)) (a la fois, en effet, concept et domaine) et ((Code et supplement: le th6itrev.

Le probleme des genres est un probleme de systematisation, et non pas de delimitation d‘un ensemble d’objets a analyser (18); dans les recherches traditionnelles la delimitation est fondee sur le concept de cclitt8raritkn (19); le probltme est alors, avant tout, celui de dimon- trer que telle ou telle systematisation est ccnatu- rellen et non pas arbitraire (22).

Le plus souvent, la solution de ce probleme est fondk sur, et justifiie par, une ccanalogie naturellen (le systeme des genres comme le sys- teme de Linnk, par exemple) et une ccanalogie methodologique)) (importatioh de modeles, de methodes d’autres sciences). I1 s’agit la de prk-

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suppositions (axiomes ou postulats), et SvEL montre qu’il y a rarement, derriere celles-ci, une reflexion epistemologique serieuse, et que ces conceptions (Brunetiere, Vietor, les forma- listes russes, la glossematique et d’autres) n’of- frent pas de solutions qui puissent expliquer, de facon valable, le rapport entre le genre et I’oeuvre, dtm&ler les relations complexes entre les points de vue synchronique, diachronique et achronique, ou &tre en mesure de tenir comp- te du rapport entre objet litteraire et rialite sociale. L‘auteur conclut qu’il faut etablir un rapport (centre le genre et I’oeuvre, et entre le champ litterdire et le champ non-litteraire, au- Ire que la relation d’analogie, (ou) I’ont tient compte du niveau epistemologique qui pose la difference qui produit le concept de genre et du contexte institutionnel qui produit le genre specifique comme institution)) (53).

SvEL propose alors d’utiliser la doctrine, les travaux de Brnndal sur la signification des mots pour la construction d’une theorie des genres. Cette introduction et cette utilisation des id& de Brandal (auquel I’auteur revient dans le cha- pitre sur la syntaxe narrative) constitue sans doute un des principaux inter& de I’ouvrage. 11 est souligne que c’est ala totalite tpisttmolo- yique et mkthodologique representee par Bran- dal ... qui doit &tre transferee et non une analo- gie partiellen (64). Le resultat de ce transfert est illustrt dans deux tables (aux pages 64-66) qu’il serait difficile de reproduire ici; j’y releve- rai donc seulement quelques points importants: I’insistance sur la necessite d’une analyse epis- termologique de la tradition des recherches, analyse qui en precise les limites. indique la possibilite de la depasser, et contribue a deter- miner les traits distinctifs du genre. Les genres sont consideres comme possibilitts logiques des types qui sont, eux, definis comme relations entre les traits distinctifs (ce qui correspond a la distinction chez Brandal entre types d’emploi (genre) et definitions de mots (type)). Comme chez Brandal, il y a ensuite une distinction entre genres fixes qui utilisent les possibilites autoristes et genres libres qui utilisent les possi- bilites non-interdites. Au dernier niveau (ou premier, suivant qu’il s’agit d’une deduction ou

d’une reduction) se situe enfin I’oeuvre dans ses relations extra-litteraires. Le reste du chapitre traite surtout de la distinction entre genre fixe et genre libre: y est Ctabli un type des genres a narrateur (7677) et sont analyses ensuite deux nouvelles (de Vercors et de Robbe-Grillet), comme exemples d’un genre fixe, et le ((roman d’environnement)) (ou plutdt sa thtorie), com- me exemple (pas tout a fait reussi) d’un genre libre. 11 ressort des raisonnements prtsentts ainsi que le genre fixe peut (ou doit) aussi ttre considere comme I’articulation des limites epistemologiques de la tradition (ou du savoir (etabli)), tandis que le genre libre est le symptd- me de la realite d’autres domaines (ou du non- savoir sans lequel ne peut s’etablir le savoir - et inversement).

La conclusion du second chapitre est la sui- vante: ccDans cet expose sur la relation existant entre le texte et le modele, je me suis d’abord occupe dans la premiere partie du concept de modtle dans ses elaborations classiques. J’ai pu y constater une reduction pragmatique et 6pistCmologique de la manifestation de l’objet donne dans son originalitt, sa materialite, a un symptdme. Cela s’est traduit par une concep- tion relationnelle de I’objet comme systeme de traits pertinents et redondants et, par suite, une insistance sur les traits pertinents ainsi qu’une elimination, en tant que superflus, des traits redondants (...) Dans la derniere partie, par contre, j’ai etudik plus particulierement, en re- lation avec Pour une thiorie de la producrion IittPraire de Pierre Macherey, le concept de tex- te, ou I’aspect epistemologique de la problems- tique du modele (...) pour arriver aux condi- tions necessaires ri une methodologie adequate (...) d’une production de modtles)) (247-8).

Supposant que tout objet d’une production de modele est une hkterogeneite irrkductible, le probleme ici est de maintenir (tpistemologiquement/pragmatiquement) cel- le-ci dans ses determinations reeks (248).

C‘est surtout de ne pas faire cela que I’auteur reproche aux conceptions classiques (Greimas, Levi-Straws, Kristeva, Brandt et d’autres), au depart parce qu’une metaphysique de la presen- ce les emp&che d’insister sur I’irreductibilitt des

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trois instances de la triade ‘monde vs oeuvre vs mktalangage’ (1 18-9), ce qui, d’une fagon ou d’une autre, les conduit ensuite (prksup)poser I’homogentitt de l’objet littkraire. A Macherey, l’auteur reproche plutBt de ne pas aller jusqu- ’au bout dans sa rkflexion thtorique ni, surtout, dans sa pratique analytique; cela n’empkhe pas pourtant qu’on puisse a partir des travaux de Macherey entrevoir les possibilitts de dtpas- sement, et c’est en prolongeant les raisonne- ments de Macherey que I’auteur arrive a for- muler un ((cadre methodologique gtntrab de la production des modeles, od sont mises en place 1) une lecture immanente ou descendante des contrariktks (les silences sacrk et moral) et 2) une lecture contextuelle ou descendante des contradictions (le silence idtologique) (203, 196-99 et 188).

Dans ce prolongement on trouve aussi une analyse d‘une fable d‘Hans Christian Ander- sen: ccUne creve-coeur)) (217-47).

I1 s’agit, comme dit SvEL, d’un rk i t bref et complexe, et j’ajouterais, qui, a premiere vue ne peut que dtrouter le lecteur, ce qui est sans doute la raison pour laquelle ce k i t n’a pas retenu l’attention de la critique traditionnelle, de Brandes a Rubow (le dernier en tire quel- ques phrases comme exemples de style ironique ou paradoxal, et le premier dit seulement que c’est cane anecdote qui resemble a un sourire a travers les lames)), caracteristique qui ne peut, aujourd’hui, que sembler une peu superfi- cielle). Au dkbut des anntes soixante-dix pa- raissent quelques analyses plus approfondies, qui pourtant ne sont pas mentionnkes ici (mais le sont dans l’tdition danoise, d’une fawn un peu ambigue, il est vrai); cela m’ttonne surtout pour celle de Peer E. Ssrensen (H. C. Andersen og herskabet, Grenh 1973) qui ne peut pas ne pas avoir inspirk l’analyse de SvEL.

Ceci dit, l’analyse faite ici de la fable d’An- dersen, fort dktaillke et perspicace et impossible a rksumer ici, justifie pleinement, surtout si on la compare aux resultats d’une critique tradi- tionnelle, les efforts de clarification thkorique dtployks par SvEL.

Le troisitme chapitre est un ccreglement de comptesn avec la conception traditionnelle qui

fonde la syntaxe narrative ((sur la relation logi- que comme ascension quantitative analogisan- te, des ((petites)) unites de la linguistique aux ccgrandesn unitts de la narratologie)) (368). Ce que l’auteur reproche a cette conception, c’est de rendre impossible de poser le probleme de la production du sens: d e probleme de la phrase (unite fondamentale, bien que non definie, aus- si bien en linguistique qu’en narratologie) ne peut donc se poser - ou plutBt se prk-poser - sans Etre domink par le concept de signe, et partant, par une conception de la communica- tion fondk sur le signe (centrte sur le messa- ge))) (252-53). ce qui klimine la perspective ccde l’bnonciation comme moment de la production du sensn (252).

La syntaxe narrative classique repose alors sur deux hypothbses fondamentales: la premie- re est celle de l’homogknkitk de l’objet, ((homo- gtneitk assurk par une grammaire hierarchi- sante qui parle d’un reste (suppltment, ‘plus’) comme trait distinctif du texte par rapport a la phrase, trait qui fait du texte un tout synthkti- sant, alors que ce reste n’est pas [pourtant] pose c o m e instance marquant la difference qui fe- rait du texte une complexitk hbtkrogtne)) (257); la seconde ((hypothese de base dtpend de la premibre et du concept qui donne l’opkration- nalitk semantico-syntaxique, la phrase canoni- que ou proposition logique: A esr B, et mEme s’inscrit dans cette opkrationnalitk du fait qu’el- le est la production analogique ulttrieure qui prksuppose la proposition logique comme cadre de dkfinition des concepts syntaxiquesn (259).

Bien qu’il critique la notion d’ctbnonck de transfert)) tlabork par Greimas, SvEL pense qu’elle offre des possibilitks de dkpassement, et il se propose donc de montrer ((comment il est possible d’effectuer une analyse avec les tnoncks de transfert (...) afin que l’analyse sou- ligne la production de sens dans l’knonciation et ce, en insistant sur le reste (...) que la logique du transfert ne peut inttgrer. L‘analyse de 1’6- nonciation ne peut partir de l’knonck positif de l’analyse syntaxico-dmantique, mais de son insuffisance de principe)) (281). Suit alors une analyse d‘une vieille balade danoise, Les runes

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du chevalier, telle que I’aurait fait Greimas, et serieusement, c.-a-d. en utilisant, loyalement, toutes les possibilites qu’offre ce systeme conceptuel; le resultat n’est pas, a mon avis, si mal, mbme si SvEL le considere comme insuffi- sant parce que ccmCme si la structure infratex- tuelle est analysee a partir d’enonces de trans- fert bases sur la communication, on ne peut - comme le fait Greimas - analyser la structure extratextuelle de la mbme facon (le texte en tant qu’objet de communication en relation avec le narrateur et le lecteur). II s’ensuit que la chaine analogique du niveau micro-syntaxique au ni- veau macro-syntaxique est rendue impossible et que d’autres strategies d’analyse doivent in- tervenir)) (325).

Ces autres strategies d’analyse, I’auteur en donne une esquisse en se fondant sur les theo- ries de Brerndal sur les categories grammatica- les fondamentales: D(escriptum), R(elatum), d(escriptor) et r(e1ator) et sur les relations qui rattachent les termes appartenant a ces catego- ries les uns aux autres (la symetrie, la transiti- vitt, la connexion etc.).

Avec ces concepts, il est possible d’esquisser une analyse alternative (36M5) dont le resul- tat est une formalisation (366) decrivant le texte comme une chaine relationnelle ou ce sont ctles relations negatives qui, avec la relation neutre comme facteur d’enchissement, produisent le texte comme complexe d’enonciation du fait que la relation neutre est un element non-in- tegre au domaine d’investissement des rela- tions)) et (tau contraire les relations positives qui font de ce dernier un champ semantique, une isotopie si I’on veutn (365).

Ainsi on aura une analyse, et une epistemo- logie, ou la fonction cognitive n’est pas fondee sur le signe, ni la fonction referentielle sur la communication (359-60) - et c’etaient la les concepts les plus insuffisants de la syntaxe nar- rative traditionnelle.

Le quatrieme chapitre, sur I’bnonciation, etait a l’origine le dernier chapitre de I’ouvrage, et est apparu alors comme une sorte d’aboutis- sement, si I’on peut employer ce terme ici (ou le principe epistemologique fondamental est le ccdepassement continu))), en ce sens que c’est

ici qu’on arrive a I’epanouissement de ce qui, des le debut, a 6te au centre du raisonnement de SvEL. Le debut du chapitre a t t t cite plus haut, et apres la presentation du concept d’e- nonciation, I’auteur poursuit: ccje me concentre- rai ici sur deux elements au niveau thborique: 1) une prkision de la problematique gtnerale de I’bnonciation qui en fait le probleme de la constitution du sujet B tous les niveaux, ainsi que de la relation de celle-ci au langage; 2) 1’6laboration d’une analyse de I’bnonciation comme point de rencontre des analyses linguis- tique et litttraire, c.-a-d. I’tlaboration d‘un mo- dele de I’analyse de I’bnonciationn (371-72).

Suit une analyse de diverses contributions theoriques (Benveniste, Jakobson, Austin/ Searle, Genette et plus tard Derrida et Kriste- va, dont il est dit que son ccmodtle dialogiquen a bien y regarder ccappartient a la logique aris- totelelicienne)) (!) (431).) plus une riflexion sur ce qui a lieu dans le dialogue entre deux person- nes, reflexion qui conduit a l’affirmation que ccce n’est donc pas la parole qui constitue le je locuteur comme je - une autonomie du dis- cows - mais la complexitt hettrogene de silen- ce et de parole qui peut 6tre appelt, a I’aide d’un concept derridien, kriture ou suppl8- mentn (397-98), et qu’ccainsi I’enonciation se trouve ecartee de la metaphysique du signe, et elle dtpasse et comprend dans sa dichotomie strattgique enonciation vs enon&, les dichoto- mies discours vs rk i t et procts de communica- tion vs message)) (399).

Le reste du chapitre (399-455) est une analy- se du petit roman Azorno d’Inger Christensen (dans sa traduction allemande), analyse qui s’oppose qux interpretations traditionnelles, dont l’auteur donne ainsi un bref resume: ccDe telles lectures (traditionnelles) sont assurement solidaires de I’esprit du livre et ne sont pas contesttes pratiquement (fautes de lecture for- tuites, etc.), mais theoriquement (fautes de lec- ture fondamentales), c.-a-d. en employant com- me alternative les principes de la lecture symp- tamale qui mettent en evidence le caractere hetkrogene du texte, sa textualitt. Ce qui se fera ici principalement au moyen d’une etude du texte comme enonciation)) (402).

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Bien que court, il s’agit d’un roman assez complexe, tres subtile, et I’analyse faite ici, en plus d’itre un developpement du concept mime de I’enonciation, contribue egalement a mettre bien en lumikre cette complexitt particuliere, de sorte qu’elle produit une comprehension de ce texte particulier qui peut itre utile aussi pour une lecture qui choisira de ne pas I’etudier en tint qu’enonciation.

Jusqu’ici il n’a a aucun moment ttt question du theitre, ni ctsymboliquementn ni concrete- ment. L‘auteur I’a sans doute cctrouvt sur son cheminn dans I’intervalle qui separe la redac- tion de I’edition originale (analyse fondte ou exemplifiee, en premier lieu, sur les problemes du narrateur) et celle du dernier chapitre (ou la perspective semble Itgirement deplacke par rapport a ce qui prkede vers un interit majeur pour la relation en general entre enonciation et communication (ou code et message)).

La premiere partie du chapitre est une dis- cussion de la notion de code, dont la concep- tion traditionnelle peut itre resumbe ainsi: ccun code est une accumulation de rtgles - un pro- gramme, si I’on veut - permettant la selection et la combinaison d’entiris du sens dija donnies. Lessentiel est ici que I’on ne tient par principe pas compte de la production du sens mais seule- ment du transport du senm (460); a travers une reflexion sur les modeles d’Eco (qui remplace la notion de transport par celle de transformation (465)) et de Greimas (qui finit par proposer la notion de transcodage (470)) surtout, I’auteur arrive a une conception du code, comme un (des) transcodage(s) dedouble(s), qui puisse rendre (ou tenir) compte de sa productivitt en la fondant sur la notion de difference, ou de suppleance, notion qui se trouve tlaboree chez Derrida (480-81).

Ensuite c’est Derrida, qui ccsuggere que le theitre est un domaine exceptionnellement in- ttressant pour cette problkmatique: ccLe dange- reux supplement rompt avec la nature. Toute la description de cet tloignement de la nature a un theitre)). Toute rupture avec une derniere instance consideree comme nature ou comme signifit transcendantal possede des traits distin- tifs theltraux. Cela signifie que la communica-

tion thtltrale, malgri sa caracteristique hic-et- nunc, n’a jamais de message qui identifie la scene et la sallev (495).

Apres avoir utilise la theorie de Freud sur le mot d’esprit et les observations de Manoni sur cd’illusion comiques afin de pricker, de raffiner cette conception du theitre, SvEL applique pratiquement celle-ci dans une analyse de La dame aux camPIias - le roman et le drame - qui a pour but de montrer comment le code, ou transcodage theltral influe sur le genre et sur la structure thematique: ccla transformation du genre (du roman au drame) agit comme supplement pour le transcodage thematique, et inversement)) (496).

Ces pages (496-528) contiennent de nom- breuses observations, et idees judicieuses @eut- itre plus en ce qui concerne (le rapport entre le roman et) le thtltre que pour ce qui regarde les deux textes analyses) et qui rejoignent des id& formulees dans d’autres theories donnant ainsi a celles-ci un fondement epistemologique plus solide, ou du moins plus large.

Pour conclure, je dirai que cet ouvrage est un livre important, mais pas facile a lire. Cela tient en partie a la matiere mBme, en partie a la traduction.

II a sans aucun doute BtB extrimement diffici- le de traduire ces essais - du moins les quatre premiers dont je connais I’original; cela est dC en premier lieu a une difference de langue (ou de grammaire) entre le danois et le francais: en danois, il est possible (comme en allemand) de construire des phrases ou se distinguent nette- ment des noms composes, des constructions avec le genitif et differents syntagmes preposi- tionnels. L‘original fait un large usage des ces possibilites (un style cchkgelien)), si I’on veut), et lorsque ces differentes parties de la phrase deviennent toutes, en franCais, des construc- tions avec de, on se (re)trouve souvent dans un labyrinthe oli I’on risque vite de se perdre (personnellement, il y a certains passages que je n’aurais pas compris, je crois, mime apres des relectures, si je n’avais pu les comparer a I’original). Cela vaut moins pour le cinquieme chapitre, et l’on peut donc supposer que I’au- teur a aussi change de style depuis I’edition

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danoise. Ceci fait qu’il n’est peut-itre pas inuti- le de commencer la lecture de I’ouvrage par ce dernier chapitre.

La difficult6 de lecture tient aussi i la matie- re. en ce sens que le raisonnement - ou le reglement de comptes - de SvEL est caractkrise par une grande subtilite: il discute et met en question jusqu’aux moindres details: distinc- tions, oppositions, relations, du fondement de la critique littkraire qui normalement (nous)

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semblent un acquis eltmentaire. Mais cela est kvidemment nkessaire et trks profitable - pour des lecteurs aussi qui n’ont pas la mime conception du texte, ou de I’oeuvre litteraire et du rapport, etroit, fondamental, irreductible, selon SvEL, entre celle-ci et I’auteur qui I’a ecrit/la situation qui l’a produit.

Steen Jansen UniversitP de Copenhague