Bordeaux et les Politiques d'Équipement Sportif Durant l'Occupation (1940–1944): Des Enjeux Idéologiques aux Contingences Locales

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Bordeaux et les Politiques d'Équipement Sportif Durantl'Occupation (1940–1944): Des Enjeux Idéologiques auxContingences LocalesLuc Robène , Dominique Bodin & Stéphane HéasPublished online: 19 Aug 2006.

To cite this article: Luc Robène , Dominique Bodin & Stéphane Héas (2005) Bordeaux et les Politiques d'Équipement SportifDurant l'Occupation (1940–1944): Des Enjeux Idéologiques aux Contingences Locales, Modern & Contemporary France, 13:2,175-192, DOI: 10.1080/09639480500119775

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Bordeaux et les Politiquesd’Equipement Sportif Durantl’Occupation (1940–1944): Des EnjeuxIdeologiques aux Contingences LocalesLuc Robene, Dominique Bodin & Stephane Heas

Physical and sports activities have made up a major component of the national recovery

project as devised by the Vichy government during the German occupation (1940–1944).So far, only a few surveys have addressed that topic and only in general perspectives.

Through problems specifically tied to nation-wide sports equipment, the following articleshows how those authoritative and normative policies could generate adherence and/or

resistance at the peripheral level. The case of the city of Bordeaux gives an insight intohow, on the spot, faraway from the central authority, the different operators couldappropriate, and sometimes misappropriate the central political and ideological message,

reshaping the requirements of such message by yardstick of their own concerns and localpriorities.

Introduction

Les municipalites ont joue en France un role essentiel dans la construction desequipements sportifs, c’est-a-dire ‘les constructions baties et les amenagements

fonciers qu’ils impliquent’ (Arnaud, 1992, p. 6). En inscrivant materiellement etdurablement la place des activites physiques et sportives dans l’espace et l’architecturedes villes (Choay, 1965, pp. 209–219), les collectivites locales ont assez largement

participe a la maturation et la reconnaissance d’un phenomene social, marqueur de lamodernite culturelle (Callede, 1990). Les choix des ediles en matiere de politique

sportive, les enjeux culturels, economiques, politiques et / ou sociaux que les projetsd’amenagement sous-tendent et les debats passionnes qu’ils suscitent, temoignent du

regard nouveau que la societe francaise a commence a porter sur ces pratiques durant

ISSN 0963-9489 (print)/ISSN 1469-9869 (online)/05/020175-18 q 2005 ASM & CF

DOI: 10.1080/09639480500119775

Correspondence to: Luc Robene, UFR APS, Universite Rennes 2, Campus La Harpe, Avenue Charles Tillon, 35044

Rennes cedex, France. Tel: 00 þ 33-299-14-2050; Email: [email protected]

Modern and Contemporary France

Vol. 13, No. 2, May 2005, pp. 175–192

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l’entre-deux-guerres. L’etude des decisions prises au plan local comme celle desdeterminants culturels, sociaux, economiques et politiques qui en inflechissent le

cours, revet donc un interet particulier pour la comprehension des mecanismes quimarquent le developpement et la diffusion des exercices physiques en France tout au

long du vingtieme siecle.Les dynamiques qui participent a l’emergence des premiers programmes

d’equipement sont aujourd’hui mieux connues. Des les annees 1920, les principalesvilles francaises, de sensibilites politiques souvent proches de la SFIO (Section Francaise

de l’Internationale Ouvriere), repondant a la visibilite croissante du phenomene sportifet aux formes de demandes sociales qui accompagnent ce mouvement, se dotentd’installations massives (stades, piscines) (Berjat et al., 1987, pp. 66–69), palliant ainsi

l’effritement des initiatives privees et l’absence d’impulsion nationale coherente. Cettephase de ‘municipalisation du sport’ (Callede, 1992, pp. 61–72) montre, a l’evidence, de

quelle maniere le developpement des politiques sportives en France tend a s’enracinerd’abord localement, avant de devenir, par la suite, egalement l’affaire de l’Etat, voire une

affaire d’Etat. L’avenement du Front Populaire, a travers la structuration et laformalisation d’une politique sociale du sport et des loisirs, a contribue a poser les

fondements d’une articulation entre programmes municipaux et propositionsgouvernementales (Aucler, 1987, p. 95). Mais c’est au lendemain de la defaite, a partirde 1940, pour des motifs ideologiques bien differents, que s’est affirme le role de l’Etat

dans la conception et l’orchestration d’une politique nationale d’equipementambitieuse. Une politique rigide et dirigiste destinee a soutenir l’essor de l’education

physique et des sports devenus, dans le contexte de la Revolution nationale, lesinstruments privilegies du redressement physique et moral de la nation (Commissariat

General a l’Education Generale et aux Sports, 1941a).Quelques travaux pionniers ont entrepris de mettre en evidence les aspects essentiels

du role assigne aux activites physiques dans la politique d’ordre et de renovationengagee par le gouvernement de Vichy durant l’Occupation (Gay-Lescot, 1994; Arnaud

et al., 2002). Peu d’etudes en revanche se sont preoccupees de chercher a comprendre dequelle maniere cette politique imprimait sa marque au plan local, recevant un accueilplus ou moins favorable selon ses lieux d’implantation et les equipes municipales

chargees de la mettre en œuvre, declinant son message en programmes remodeles etadaptes ca et la en fonction des cadres culturels, geographiques et politiques investis.

Notre projet sera donc ici d’aborder cette histoire a partir du terrain, en privilegiantl’analyse des actions menees a l’echelle d’une ville, Bordeaux. Notre observation portera

sur les conditions dans lesquelles la municipalite bordelaise a gere, plus ou moinsconformement aux injonctions du pouvoir central, l’amenagement de terrains de jeux

scolaires, entre 1940 et 1944. Cette etude, menee au plan local, s’appuyantprincipalement sur un corpus de documents d’archives encore inexploite, doitpermettre de depasser l’analyse globale de la mecanique de diffusion vichyssoise, d’en

interroger la linearite et les limites, en jetant un eclairage particulier sur les singulariteset les realites regionales du projet engage des 1940 par le Commissariat General a

l’Education Generale et aux Sports (CGEGS) dans le domaine de l’equipement sportif

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national. Il s’agit bien entendu de mettre en lumiere, autant que l’impact du messageideologique initial, la realite des filtres individuels et collectifs qui, a l’ecart des centres

nevralgiques de l’Etat francais, dans la sphere plus reduite, culturellement etpolitiquement situee de la ville, ainsi que dans l’espace micro-social de ses assises

decisionnelles, contribuent a en reinterpreter le contenu ou eventuellement a endetourner les principes originels.

Une Ecole, Un Terrain de Jeux: Antienne Educative et Nouveaux Ideaux

Parmi les preoccupations du gouvernement de Vichy, la mise en coherence des espacesde la pratique physique avec l’implantation des etablissements scolaires constitue un

objectif prioritaire. L’education physique et sportive est au cœur du projet d’EducationGenerale et Sportive (EGS), promue par Vichy au rang d’instrument majeur de larenovation physique et morale de la jeunesse. Ceci engage l’Etat, et plus

particulierement la nouvelle structure chargee des affaires educatives et sportives, leCGEGS, placee sous l’autorite de Jean Borotra, a reflechir aux conditions necessaires a

la mise en œuvre et a la diffusion nationale de ces activites: ‘Pour atteindre ce but[precise alors le Commissariat], il faut, au point de vue materiel, creer immediatement

et partout ou la chose est possible des terrains d’EPS et de jeux, ainsi que des bassins denatation scolaires a proximite des ecoles dans toutes les communes de France’

(CGEGS, 1941b, pp. 48–49). Un tel souci n’est certes pas en soi une nouveaute et sansdoute faut-il rappeler brievement l’anciennete de cette demande et des attentes qu’elle

induit pour mieux percevoir les conditions nouvelles qui en faconnent l’urgencepolitique et ideologique en 1940.

Des 1888, par exemple, dans les statuts qu’elle adopte definitivement a Bordeaux le

29 decembre 1888, la Ligue Girondine de l’Education Physique du Docteur PhilippeTissie fixe comme un de ses buts ‘d’obtenir des communes l’affectation, a l’usage de la

population scolaire, de terrains destines aux jeux et exercices publics ainsi que lemateriel a ce necessaire’ (Thibault, 1968, p. 8). Ce theme recoupe egalement dans les

premieres decennies du vingtieme siecle les preoccupations des hygienistes, despedagogues et des hommes politiques. Mais, durant l’entre-deux-guerres, les actes ne

traduisent que fort peu ce que les textes officiels recommandent, et les realisationsrestent rares. Le Front Populaire a bien tente de donner a ces initiatives un caractereveritablement dynamique en placant ces amenagements au carrefour de l’experimen-

tation pedagogique, de l’hygiene sociale, des loisirs et du developpement sportif demasse, suscitant des lors un premier effort de mise en coherence des actions politiques

nationales et municipales. Toutefois, l’effort consenti pour developper les installationssportives et les terrains de jeux du pays reste insuffisant pour franchir les frontieres

toutes theoriques du projet politique. Des frontieres que le gouvernement de Vichy, enrevanche, semble devoir rapidement depasser renversant la logique d’offre sociale et de

jouissance culturelle qui prevalait alors pour faire des amenagements sportifs endevenir l’une des conditions incontournables du renouveau physique et moral de la

nation.

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Inscrivant son action dans le contexte particulier de la defaite, jouant sur le choc etle sentiment de culpabilite (Paxton, 1973, pp. 15, 31; Bloch, [1940] 1990) qu’elle

induit, plongeant presque immediatement dans le gouffre sans fond du ressentimentet de la quete des coupables ideals, le nouveau pouvoir politique definit sa ligne

d’action. Au plan educatif s’affirme ainsi tres vite le desir de rompre avec les principeset les ideaux de la IIIeme Republique1 et plus encore avec les projets du Front

Populaire (Paxton, 1973, p. 353), accuse de tous les maux: demission des elites et deschefs, intellectualisme excessif des etudes, primat de la jouissance sur l’effort,

decheance physique et morale de la jeunesse . . .2

En reprenant a son compte les preoccupations plus anciennes liees a l’amenagementdes terrains de jeux scolaires, en erigeant en slogan propagandiste le theme recurrent

‘Une ecole, un terrain de jeux’ (Gay-Lescot, 1994, p. 37), le nouveau regime introduiten realite une rupture ideologique fondamentale, servie par des structures et des

moyens inedits: ‘L’œuvre qu’il poursuit est une : collaborer a la renovation physique etmorale de la Jeunesse selon la volonte du Marechal’ (CGEGS, 1942, p. 1).

Compte tenu des objectifs a atteindre, l’interventionnisme et le dirigisme de l’Etatfixent des 1940 les contours generaux du nouveau cadre d’action. Dans cette

perspective, l’organisation au sein du CGEGS d’une Direction de l’Equipement,remarquablement structuree, constitue une innovation de premier plan servie par unfinancement d’une importance considerable (1,9 milliard de francs), en totale rupture

avec les choix des gouvernements precedents (50 millions en 1939).Derriere l’apparente filiation des positions et des discours de principe en faveur de

l’education physique et du developpement sportif de la nation, la nouvelle donnepolitique et ideologique redefinit le paradigme educatif des usages du corps. La defaite

a porte au pouvoir un groupe de decideurs qui, instrumentant la pratique physique etla dotant de moyens inedits, tracent desormais les perspectives d’une action

irremediablement determinee par le regard normatif et disciplinaire qui se construitau cœur de la Revolution nationale du Marechal Petain. L’ordre et le remodelage de

fond en comble de la France (Azema & Wieviorka, 1998, p. 20) constituent leshorizons ideologiques, politiques et sociaux d’un projet auquel les pratiques physiquesdonnent en quelque sorte un ‘corps’. La politique nationale d’equipement doit fournir

les amenagements materiels et les terrains sur lesquels ce ‘corps’ suera et sera dressedans le culte de l’effort et de l’amour de la patrie meurtrie.

Ce projet global qui s’adresse d’abord a la jeunesse en laquelle tous les espoirs semblentplaces, se concoit initialement comme naviguant entre volontarisme ideologique et

suivisme administratif. Du moins la mecanique politique et administrative vichyssoiselaisse-t-elle entrevoir ce type de fonctionnement (Paxton, 1973, p. 27). La realite, sans

echapper a ce modele des decisions et applications en cascade, du sommet vers le terrain,menage vraisemblablement des espaces de decisions moins restreints que ne les definit parprincipe tout systeme d’autorite. La confrontation entre projet politique central et espaces

de decisions peripheriques ne peut que permettre de rendre compte des interstices et desfiltres qui ponctuellement ou regulierement participent a la transformation du projet lui-

meme. Dans cette perspective, la planification d’un reseau d’installations collectives,


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materialisant l’elan ideologique que le pouvoir politique souhaite impulser et voir relayeau niveau local, constitue un bon analyseur de la force reelle et des faiblesses de cet elan,

confronte aux contingences qui vont en inflechir partiellement le cours. De quelle manierele nouveau discours est-il accueilli sur le terrain? Avec quelle fidelite ou quels ecarts les

municipalites s’inscrivent-elles dans la voie tracee par le CGEGS? En fonction de quelscriteres, de quelles contraintes, s’elaborent localement les programmes d’implantation des

nouveaux terrains de jeux?Parmi les villes qui semblent repondre rapidement aux attentes du CGEGS, le cas de

Bordeaux presente un interet certain. Cite dynamique, de tradition sportive marquee(Robene, 1998, pp. 369 et suiv.), la ville est administree depuis plusieurs annees parAdrien Marquet, personnage ambitieux dont la trajectoire politique ambigue recoupe,

sans pour autant s’y reduire, celle de plusieurs politiciens devenus membres eminentsdu nouveau regime.

Bordeaux: Une Ville, un Maire

Adrien Marquet (1884–1955) accede a la scene politique locale des 1912, lorsqu’il estelu a la proportionnelle conseiller municipal sur la liste de Calixte Camelle, alors leader

de la SFIO en Gironde. En 1924, les elections portent au pouvoir le Cartel des Gauches.Beneficiant de cet elan, Marquet est elu depute, puis maire de Bordeaux en 1925. Il le

reste jusqu’en 1944, epoque a laquelle il est arrete et interne pour etre defere devant laHaute Cour de Justice, principalement en raison des responsabilites ministerielles qu’il

a acceptees au sein du gouvernement de Vichy. Son jugement intervient apres quaranteet un mois d’incarceration, le condamnant a dix annees d’indignite nationale(Dufourg, 1948). A l’issue de ce purgatoire politique et moral, Marquet reapparaıt de

nouveau dans le paysage politique bordelais, ‘dont seule une mort subite l’ecarte enavril 1955’ (Guillaume, 1990, p. 355).

L’ambiguıte du personnage ne tient pas tant a son parcours politique, du socialismevers les theses de l’extreme droite, qu’a l’attitude qu’il a adoptee durant la periode de

l’Occupation. Marquet, qui a ‘incontestablement aide Pierre Laval a liquider laTroisieme Republique’ (Guillaume, 1990, p. 355), a su jouer simultanement plusieurs

partitions, combinant avec un certain succes les registres de l’autoritarisme, del’opportunisme et du populisme, prenant la defense des interets populaires tout ensoutenant la conception rigide, autoritaire et nationaliste du pouvoir de l’Etat francais.

Son role comme maire de la capitale girondine apres son depart du gouvernement enseptembre 1940 confirme ce jeu en demi-teintes. Le ‘prudent Marquet’ (Ory, 1980,

p. 112) se consacre a l’administration de Bordeaux, jouant habilement, comme l’a misen lumiere son proces, la carte des interets de la ville, et peut-etre, dans une certaine

mesure, celle de la protection de la cite face a l’occupant, sans pour autant qu’il soitpossible de definir clairement l’origine de son pouvoir de negociation avec l’ennemi

(Sarrazin, 1999, pp. 67–70).D’un point de vue purement municipal, l’œuvre d’administration de Marquet est

remarquable et la ville de Bordeaux lui doit beaucoup (Laroche, 1998, p. 83). Des 1935,


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Marquet fait publier une petite brochure en forme de bilan sur fond de discourselectoral (Marquet, 1935). L’opuscule fortement teinte par le discours social donne un

apercu des constructions realisees ou en cours d’achevement, notamment dans ledomaine du sport et du plein air: Parc des sports, piscines municipales, Maison

communale d’education physique, stade Adrien Marquet (rive droite), sanatorium duMoulleau, colonie de Gradignan, Cite universitaire et terrains de tennis, etc.

‘Aujourd’hui [ecrit Marquet], vous vous trouvez en presence de ces realisations. Nosengagements ont ete tenus. Notre administration fut probe et agissante’ (Marquet,

1935, p. 4). L’image que souhaite donner le nouveau maire, des les debuts de sonmandat, est celle du batisseur: l’homme des grandes realisations. Marquet s’est associedans cette entreprise avec l’architecte Jacques D’Welles (1883–1970). Ce dernier

engage des 1919 par F. Philippart, precedent maire, a conserve ses habitudes lorsque lamunicipalite a change de couleur. Jacques D’Welles lit l’Action francaise. Il affirme son

gout pour une esthetique a la francaise et admire l’architecture mussolinienne. Parmiles realisations les plus marquantes auxquelles il contribue, la Cite universitaire de la

rue de Budos, alliant la brique et la pierre blanche, se veut d’une conceptionessentiellement nationale, tandis que le Centre municipal d’athletisme peut se

comparer a l’Academie fasciste d’Education physique construite a Rome par DellDubio (Sarrazin, 1999, p. 25).

Le tandem bordelais Marquet / D’Welles, a l’image d’autres associations maire /

architecte dans les grandes villes de France, notamment celle d’Edouard Herriot et deTony Garnier a Lyon, qui sert de reference nationale (Berjat et al., 1987, p. 69),

constitue l’un des principaux moteurs du changement. En particulier dans la prise encompte avant-gardiste du phenomene sportif et dans la traduction de cette demande

sociale en realisations modernes de grande envergure. Le temps de l’occupation vacependant venir inflechir ces premiers efforts en imposant une conception

sensiblement differente de l’apprehension des espaces du sport et de la pratiquephysique basee sur le developpement des installations de proximite.

1940: Equiper dans l’Urgence

Indeniablement, le discours de Vichy trouve a Bordeaux un accueil sinon favorable,tout au moins sensible aux initiatives gouvernementales. Alors que jusqu’en 1940 leschoix municipaux restent circonscrits a la realisation et l’entretien d’architectures

sportives emblematiques (stades, piscines . . .), a partir du mois de fevrier 1941 lescolonnes des proces verbaux des seances du Conseil Municipal (CM) se parent

subitement de preoccupations nouvelles en faveur de l’education physique de lajeunesse. Toutes concernent l’amenagement de terrains et d’installations collectives

soudainement devenues indispensables aux ecoles de la ville.A l’origine de ces nouvelles orientations s’entrecroisent plusieurs logiques et il n’est

pas inutile de revenir sur quelques lignes ecrites de la main des ediles bordelais pourmieux comprendre le decalage qui d’emblee s’opere entre ce que devrait etre le projet

de Vichy et ce qu’il deviendra a Bordeaux au moment ou les evenements


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commandent d’agir dans l’urgence. Tout d’abord, on mesure mieux la faiblesse del’interet porte jusqu’alors par la municipalite bordelaise a l’education physique

scolaire, en principe obligatoire depuis 1880, a travers les remarques de certains elusconfondant dans un meme elan obligation scolaire et autoritarisme vichyssois: ‘La

pratique de l’education physique etant devenue obligatoire dans les ecoles primaires,le CGEGS a demande aux municipalites d’amenager, dans la mesure du possible, des

terrains de jeux a proximite des ecoles’.3 Par ailleurs, il est indeniable que cetteentreprise se soit inscrite dans une prise en compte tardive des besoins des scolaires

en matiere d’equipements sportifs. Un vide important reste alors a combler:‘L’administration municipale s’est preoccupee de completer l’equipement sportif de laVille par l’amenagement de terrains de jeux destines plus specialement aux enfants

des ecoles’.4

Mais derriere cette presentation reprise tout au long de l’annee 1941 par les proces

verbaux du CM, se lisent d’autres preoccupations, d’autres motivations et ambitions.A commencer, peut-etre par celles qui permettent a une grande ville de s’equiper a bon

compte par le jeu des subventions proposees par le gouvernement.5 Il semble parailleurs seduisant de supposer que l’encadrement et le redressement de la jeunesse

recherches par Vichy, la renovation physique et morale dont la promotion desexercices physiques constitue un support privilegie, se soient trouves precisement enadequation avec les preceptes ideologiques de l’ordre nouveau prone au meme

moment par le maire de Bordeaux, Adrien Marquet, au sein de son parti politique etde son administration municipale.6 Reste donc a comprendre de quelle maniere

subtile et complexe s’exprime cet attachement a l’ordre, en particulier dansl’organisation d’un quadrillage serre de Bordeaux. Un quadrillage d’installations

collectives destine a la fois a devenir le vecteur d’une regeneration ordonnee des forcesvives de la ville, a satisfaire aux injonctions du CGEGS, a mobiliser sur les chantiers un

nombre important de chomeurs tout en realisant, a bon compte, un certain nombred’operations immobilieres susceptibles d’augmenter son prestige de maire batisseur.

On entrevoit donc deja comment, des ses debuts, la politique nationale duCommissaire a l’EGS, J. Borotra, trouve un terrain favorable a Bordeaux, tout en sevoyant immediatement reconfiguree et adaptee aux contingences locales sous

l’eclairage des interets administratifs municipaux et des ambitions politiquespersonnelles du maire A. Marquet.

Pour autant, sur les plans materiel et pratique, l’amenagement des terrains de jeuxscolaires, qui n’a guere ete anticipe par la ville, pose probleme. Ou trouver des terrains

facilement amenageables? A quels prix? Problemes dont l’importance augmente au furet a mesure que l’on se rapproche du centre ville puisque les sites choisis ne peuvent

l’etre qu’en fonction de la proximite des ecoles.Face a ces difficultes et pressee d’agir, malgre de nombreuses incertitudes, la

municipalite opte pour un plan d’amenagement dans l’urgence dont la densite des

rapports au sein des proces verbaux du CM traduit l’importance.7 Dans un premiertemps, huit projets sont ainsi proposes en l’espace de quelques semaines. Plusieurs

strategies sont alors envisagees.


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1. Creer des terrains sur les espaces libres existant dans la ville en prevoyant desequipements destines a la pratique des sports collectifs, des installations orientees

vers la pratique de l’athletisme, des plateaux et parcours hebertistes, des vestiaires etdouches (projets Carle-Vernet, Benauge-Pincon, cours de Luze, Bouguereau,

Malleret).2. Amenager a titre provisoire des espaces deja occupes mais dont la disposition

geographique et la configuration particuliere permettraient, a moindre frais, demettre en oeuvre de maniere coherente un enseignement de l’education physique

scolaire. Cette solution que materialise par exemple l’amenagement de la cour duBureau de Bienfaisance, rue Paul-Louis-Lande, semble avoir retenu l’attention del’administration municipale ‘en raison des difficultes rencontrees pour trouver dans

le centre de Bordeaux un vaste espace libre susceptible d’etre amenage commeterrain de jeux’.8

3. Louer a des societes sportives des terrains deja voues a la pratique des exercicesphysiques, tout en adaptant ces espaces aux exigences de l’education physique qui

sera donnee aux eleves des ecoles de la ville: terrain du Bordeaux Athletic Club, rueAchard, installations sportives de la Maison de famille du soldat, cours de

l’Argonne, etc.4. Proceder a la creation d’espaces libres notamment en s’appuyant sur la loi votee par

le gouvernement de Vichy le 11 octobre 1940 et tendant a simplifier les procedures

d’expropriation pour l’execution d’urgence de travaux destines a lutter contre lechomage.

5. Envisager l’exploitation d’equipements collectifs conjointement avec les societessportives qui en sont les proprietaires et les premieres utilisatrices, ces dernieres

pouvant trouver dans cette association matiere a obtenir une ameliorationsubstantielle de leurs installations par le truchement des subventions du CGEGS. La

Societe Nautique Bordelaise par exemple propose des 1941 la construction ‘(. . .)d’un batiment pour salles d’education physique, de trinquet et amenagements

divers’9 utilisable par les scolaires. Ces derniers seraient accueillis par une entreesoigneusement distinguee de celle des sportifs et du public.10

6. Poursuivre des travaux engages avant-guerre: amenagement des annexes prevues

sur les stades de la rive droite, et du Parc des sports (salle d’education physique,installations orientees vers la pratique de l’athletisme et des sports collectifs).

Cette apparente organisation masque difficilement les problemes qui, dans un

premier temps, viennent entraver la bonne marche des operations. Les difficultesrencontrees sont de plusieurs ordres. Il faut tout d’abord souligner la conceptionrelativement floue des elus municipaux et du personnel administratif qui sont en

charge de ces dossiers, quant a la politique menee par le CGEGS et aux definitionsmeme de l’education physique qui devra etre donnee aux scolaires dans le cadre

des nouveaux terrains de jeux. Par ailleurs, les exigences nationales en termesde capacite (rapport entre surface utilisable et nombre d’eleves concernes)11

ne semblent pas avoir recu localement les eclairages necessaires et certaines


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informations n’ont pas suivi la voie hierarchique. Cette deperdition conduit aabandonner nombre de projets qui semblaient initialement prometteurs. Confronte

des le mois d’aout 1941 a la censure du CGEGS, D’Welles, architecte en Chef de laville, ne manque pas de marquer son etonnement: ‘Quel est le nombre d’eleves a

envisager? Faut-il maintenir le football? Faut-il maintenir la piste? (. . .) Faut-il aucontraire prevoir un terrain A2? Qu’est-ce que c’est que A2? Faut-il un terrain A3?

Qu’est-ce que c’est que A3?’12

On percoit donc ici de quelle maniere le filtre administratif joue un role

determinant dans la faible avancee des projets impulses par la politique nationale deVichy. Mais d’autres distorsions sont a observer, qui sont le fait, ici encore, desdefaillances ou de la lourdeur du systeme encadrant l’elaboration de ces

amenagements. Il existe en effet plusieurs types de projets, provisoires, definitifs, etchaque proposition suit une serie d’etapes marquee d’abord par la logique municipale:

choix d’un site, premiere etude des amenagements et installations a realiser, devisestimatif et avant projet soumis a l’approbation du Conseil d’Administration (CA),

retour du CA avec acceptation ou modifications, utilisation des plans et devis en vuede la constitution d’un dossier de demande de subvention aupres de l’Etat. Apres

plusieurs mois et des transmissions incessantes de dossiers de service a service au seindu systeme municipal, commence alors une seconde phase: celle du dialogue entre lelocal et le national, phase qui donne lieu egalement a de nombreux allers-retours de

dossiers par l’intermediaire de la prefecture chargee de controler localement les etapesde cet amenagement, en particulier pour ce qui concerne les delais a respecter et les

fourchettes de prix a l’interieur desquelles la ville de Bordeaux peut espererfonctionner pour tel ou tel type d’equipement.

Les dossiers constitues et transmis en vue d’une demande de subvention sont enoutre soumis a un engagement prealable de la municipalite qui devra assurer une

part des frais (gardiennage et entretien, partie non subventionnee des amenage-ments) et mettre les equipements ‘a la disposition de toutes les societes agreees de la

localite lorsque ces installations ne seront pas utilisees par les enfants des ecoles’.13

La lecture des archives montre en definitive de quelle maniere le cadre impose par leCGEGS est extremement rigide, en particulier pour ce qui concerne l’aspect financier.

De nombreux projets seduisants (Malleret, Bouguereau) doivent etre ainsi revus a labaisse. Plusieurs mois sont alors necessaires pour fournir de nouveaux devis

conformes aux attentes du CGEGS et reajuster le financement de l’ensemble.Le sentiment general qui domine a l’issue de cette premiere periode, dont la

caracteristique principale est de n’avoir rien produit de concret, reste celui d’uneaction menee au jour le jour, dans l’urgence, de maniere souvent peu efficiente et au

nom d’interets sensiblement divergents. De fait, les difficultes se sont accumulees: auprobleme des sites a trouver dans Bordeaux, s’est ajoute celui de la lenteuradministrative, de la complexite et de la rigidite des dossiers a constituer pour

esperer beneficier des subventions de l’Etat. Mais ceci ne represente en realite qu’unaspect particulier des problemes rencontres par la municipalite bordelaise. D’autres

ecueils vont progressivement se faire jour.


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1941–1942: Discipline et Recadrages

En effet, en juin 1941, vont paraıtre les textes officiels souhaites par Vichy et destines arecadrer l’enseignement de l’education physique. Or, il ne fait nul doute que cette

publication, tardive, ait constitue a cette epoque un temps fort de la politique vichyssoiseen matiere d’education physique. Ceci se traduira sur le terrain par un certain nombre de

mises en ordre et rajustements, precisement dans le domaine de l’equipement sportif.Les premiers coups de semonce sont portes par Glasser lui-meme, a l’occasion des

premiers retours de dossiers. Le 28 juillet 1941, le Directeur de l’Equipement s’adresse a

Adrien Marquet par l’intermediaire d’un courrier transmis au Prefet de la Gironde, pourcommenter le dossier du projet Carle-Vernet, au sud de Bordeaux: ‘Certains

renseignements essentiels manquent au dossier en particulier la situation du terrain parrapport aux ecoles a desservir et l’effectif de ces ecoles.’ Suivent de nombreuses remarques

concernant les dispositions des amenagements prevus ainsi que les previsions definancement jugees excessives.

A la fin du mois d’aout 1941, la critique se fait plus pressante, et se generalise aussi.Glasser s’exprime alors au nom de Borotra dont les representants en tournee dans la

region bordelaise ont ramene des informations insatisfaisantes. Selon le Directeur del’Equipement, la ville de Bordeaux a un effectif scolaire d’environ 30 000 eleves et elle doitdonc trouver aussi rapidement que possible les emplacements indispensables a

l’education physique de ces enfants. Les terrains qui ont ete proposes sont pour l’heuretrop eloignes des ecoles: ‘A l’occasion du plan general d’urbanisme de Bordeaux [conclut

Glasser], c’est tout l’equipement de la ville en terrains de sports scolaires qu’il convientd’examiner sans retard.’14

Dans les propositions qui sont faites pour tenter de repondre aux exigences duquadrillage souhaite par Vichy et encourage par A. Marquet, semble percer un soupcon

d’affolement que traduisent a la fois l’aspect peu convaincant des choix et, disons-le,parfois, leur dimension surrealiste, comme l’amenagement de terrains de jeux sur les bascotes de la venerable place des Quinconces, avec vestiaires en sous-sol! . . .

Pour autant la situation de Bordeaux reste celle d’une grande ville aux prises avecdes problemes materiels et de gestion qui semblent etre consideres comme naturels en

ces temps de changement, percus par certains comme l’aube d’un nouvel ordre. Icisans doute se fait sentir plus qu’ailleurs l’influence du role joue par Adrien Marquet. Le

maire en effet n’ignore rien des difficultes rencontrees par ses services. Aussicondamnables qu’aient pu etre les rapports qu’il entretient alors avec les responsables

du regime de Vichy et, dans une certaine mesure, avec les forces allemandes, son rolede negociateur ne semble faire aucun doute. Il est celui qui, par-dela les courriers

officiels, prend directement contact avec les responsables du CGEGS pour assouplir lesexigences, obtenir des delais, soumettre de nouveaux projets en coupant court auxtraditionnels circuits de la voie hierarchique.15 Ceci permet a Bordeaux, pour un

temps, de faire bonne figure au sein des statistiques departementales.Debut janvier 1942, en effet, le Directeur Regional de l’EGS felicite les maires du

departement de la Gironde:


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109 projets d’amenagements de terrains scolaires provisoires d’education physique etsportive m’ont ete adresses avant la date limite du 15 septembre et subventionnes.Devant un aussi encourageant resultat (. . .) M. Borotra, Commissaire General al’Education Generale et aux sports, a decide de se rendre en Gironde, en fevrier (. . .)afin de se rendre compte sur place des travaux entrepris ou projetes et de consacrer demaniere officielle l’effort et la reussite des municipalites de notre departement pourles citer en exemple.16

Bordeaux doit imperativement figurer en bonne place. La teneur du courrier que

Marquet fait parvenir au Directeur Regional de l’EGS, fin janvier, nous permet decomprendre l’ampleur des ambitions du maire:

En reponse a votre lettre du 9 de ce mois, j’ai le plaisir de vous faire connaıtre que laville de Bordeaux vient de remporter le challenge de la ville la plus sportive de Francepour ses realisations municipales et la place qu’elle accorde au developpement del’education physique et des sports.17

En avril 1942, le remaniement ministeriel qui place Pascot a la tete du CGEGS a pour

effet d’evincer Borotra. De fait, lors du voyage d’inspection que le Commissaire avaitprevu a Bordeaux le CGEGS est represente par G. Glasser encore en poste a cetteepoque.18 De cette visite de controle a laquelle sont associes les douze maires de

l’agglomeration bordelaise nous retiendrons cette remarque laconique de D’Welles:

Au cours de la seance, MM. les maires de l’Agglomeration bordelaise ont presenteune foule de projets de terrains de sport. Une commune de 20 000 habitants amontre que les plans de la municipalite et ceux du Commissariat, envisageaient desinstallations sportives sur une quarantaine d’hectares!!! Ainsi, la ville de Bordeaux,pour 30 000 enfants ne trouve pas 4 hectares dans le sud de son enceinte et, sur leterritoire de cette commune, on trouve 40 hectares environ pour moins de 3000enfants.19

Il est vrai que Bordeaux peine a impulser une reelle dynamique dans les amenagements

prevus initialement, lesquels peuvent etre classes, courant avril 1942, en troiscategories:

1. Travaux des trois terrains provisoires subventionnes (Bouguereau, Malleret, Paul-Louis-Lande): en cours d’execution, mais des difficultes materielles se font jour.

2. Projets en instance d’approbation et de subventions: rue Carle Vernet; StadeBordeaux-Benauge-Bastide (rive droite); projet d’amenagement des terrains du

Bordeaux Athletic Club, au nord, dans le quartier de Bacalan.3. Projets a l’etude: abandon d’une halle couverte rue Mazarin (le site devient une

fabrique d’ammoniaque); abandon du projet d’amenagement des bas cotes de la

place des Quinconces, abandon d’une installation de terrains couverts sous la halledu marche en gros des viandes (desaffecte).

D’une maniere generale, ‘le probleme est donc de trouver ou de creer des espaceslibres.’20 A ces soucis purement urbanistiques vont venir s’ajouter courant 1942 desproblemes d’ordre materiel et des difficultes liees au cantonnement des troupes

allemandes dans la ville.


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1942–1944: Une Planification a Long Terme

A partir de 1942, un certain nombre d’elements conduisent la municipalite a reviserles projets d’amenagement des terrains de jeux scolaires. D’une part, les effets des

penuries en materiaux de constructions et en hommes vont apparaıtre preponderants,d’autre part, la cohabitation avec les troupes allemandes va devenir un obstacle au

developpement des sites prevus comme terrains de jeux. Enfin, le 14 novembre 1943,les Allemands vont interdire tous les travaux de construction sauf autorisationexceptionnelle. Des lors, le Commissariat aura a sa disposition de fonds tres

importants initialement destines a ces constructions. Des fonds que deja, au planlocal, on songe a recuperer, a capitaliser, par le jeu des prospections et des

subventions.21

Il semble donc qu’un virage soit pris, a partir de 1942, par la municipalite bordelaise

qui globalement passe d’une gestion dans l’urgence d’amenagements precaires, a uneplanification a plus long terme de constructions dont on entrevoit d’ores et deja la

portee hors contexte d’occupation. Mais ces affirmations demandent a etre etayees.Les effets des penuries en materiaux de construction apparaissent evidents des le

debut de l’annee 1942. Les ciment, beton, metaux, verre, bois, le remblais meme, fontrapidement defaut. Au mois de septembre 1942, apres de nombreuses tractations,D’Welles peut ecrire:

Des le 29 mai 1942, j’ai remis a la division de l’Economie Generale le tableau desquantites de materiaux necessaires pour realiser les constructions provisoires destrois terrains de sport dont la ville de Bordeaux avait decide la realisation(Bouguereau, Paul-Louis-Lande, Malleret). La Division de l’Economie Generale atransmis ce tableau a l’Office de Repartition pour etablissement des bons demonnaie-matiere. J’ai demande a cette Division d’insister pour obtenir ces bons sanslesquels les entreprises ne peuvent commencer les travaux.22

Cependant, a une epoque qui voit s’edifier le Mur de l’Atlantique, et ou l’organisation

Todt acheve la base sous-marine de Bordeaux en beton arme, on imagine sans peineque les matieres premieres aient echappe aux services de la municipalite bordelaise.

Du reste, cette penurie et ses consequences marquent les differents acteurs du mondescolaire et sportif. Ainsi, la direction de l’Union Regionale des Patronages du Sud-

Ouest s’inquiete, debut 1943, ‘de ne pas avoir eu de reponse au sujet du plateau et despoteaux de basket que l’on devait installer dans [la] cour [rue Paul-Louis-Lande].

Nous avions engage des rencontres de basket et, dans l’espoir de pouvoir nous servirdu terrain amenage par vos soins, nous avions retarde ces rencontres.’23 Deja, enseptembre 1941, J.-M. Cadroy, Delegue departemental au Secretariat General de la

Jeunesse, s’etonnait de l’arret des travaux du terrain de la rue Bouguereau: ‘il suffiraitabsolument pour tout mettre en etat d’usage d’une couche de sable ou de graviere (. . .)

il suffirait par ailleurs de demander au colonel de la gendarmerie de mettre une salle ala disposition des jeunes comme vestiaire’.24

Mais, ca et la d’autres difficultes surgissent. La plupart des chantiers se trouventbloques du fait de l’occupation des sols par les troupes allemandes. J. D’Welles,


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repondant a l’adjoint au maire delegue pour l’Instruction publique au sujet del’avancee des travaux ecrit, le 30 avril 1942: ‘deux de ces terrains sont occupes par les

troupes allemandes [Terrain du Bordeaux Athletic Club et Terrain rive droite,Boulevard Jules Simon], les travaux ne sont donc pas imminents, et il n’est pas possible

a la Ville de trouver dans ces quartiers des espaces libres d’une superficie equivalente’.25

Finalement, l’accumulation des difficultes conduit la municipalite de Bordeaux a

examiner la situation sous un jour nouveau. Examen rendu d’autant plus necessaireque le pouvoir a change de main au sein du CGEGS. Des lors, ce qui etait valable hier

ne l’est plus aujourd’hui:

Le plan de terrains que la ville de Bordeaux a presente en 1942 au Commissariat dessports pour une realisation partielle qui paraissait alors possible, est devenu caduc. Iletait d’ailleurs critiquable en principe: un grand nombre de terrains s’y trouvent tropeloignes des ecoles (. . .) un certain nombre sont trop exigus pour l’effectif qu’ilsdoivent recevoir.

D’Welles, auteur de ce constat ajoute, donnant la tonalite des orientations a venir:

Aujourd’hui, puisqu’il ne peut pas s’agir de realisation immediate mais seulement deprojet, une repartition plus pratique de ces terrains dans le territoire de la Cite peutetre envisagee d’ensemble. D’autre part, la Ville doit profiter des subventions del’Etat pour acquerir des a present ces terrains avec un debours de 50% de leurvaleur.26

S’impose ainsi, en quelques mois, l’idee d’une planification a long terme des

amenagements que la ville pourra consacrer aux terrains de jeux scolaires. Et il n’estpas inutile de souligner que cet avenir, en juin 1943, est d’ores et deja percu comme

pouvant s’inscrire dans une conjoncture bien meilleure que celle du moment. Sansparler de liberation, Jacques D’Welles semble faire preuve d’une reelle confiance dansles jours futurs lorsqu’il ecrit:

Si la ville prenait des maintenant des dispositions pour s’assurer de ces dix terrains[nouvelles propositions faites], la question aurait fait un grand pas, et, des la reprised’une vie normale, d’une part ces realisations pourraient etre operees, d’autre part,le restant des ecoles reparties sur la surface de la ville pourrait etre desservi par desterrains que j’envisage des a present de prendre.27

J. Couteaud ayant succede a G. Glasser a la Direction de l’Equipement, en avril 1942,c’est a partir des rapports qui lui sont adresses qu’il devient possible d’analyser les

dernieres etapes de ce processus. La visite faite a Bordeaux par Couteaud le 19 juillet1943, permet d’obtenir quelques precisions quant aux projets qui restent en lice. Si

l’idee d’une planification a long terme ne fait plus aucun doute, c’est bien sur le frontdes financements a capitaliser pour leur realisation future que se joue desormais la

bataille des amenagements:

Lors de ma visite a Bordeaux, M. le maire m’a expose son desir de mettre sur pied unprogramme d’ensemble d’equipement scolaire auquel j’ai donne mon accord deprincipe. Ce programme doit comprendre l’acquisition de terrains pour 20 000000de francs, l’execution sur ces terrains de travaux pour un montant de 15 millions


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environ. Une partie du programme figure deja sur la liste de premiere urgence pourune depense d’environ dix millions.28

Ajoutons qu’une fois encore, le role du maire, Adrien Marquet, doit se lire dans lescontacts plus ou moins officieux, plus ou moins secrets, qu’il entretient avec les

responsables du CGEGS. Contacts qui permettent d’appuyer efficacement, semble-t-il,la position de la ville sur l’echiquier national. En octobre 1943, Couteaud, transgressant

le secret des deliberations, ecrit a Marquet:

Je m’empresse de vous ecrire un petit mot a titre personnel pour vous confirmer quej’ai reussi a faire approuver par la Commission Centrale Consultative del’Equipement sportif le programme d’equipement sportif de la ville de Bordeauxsur lequel nous nous etions mis d’accord. (. . .) j’ai tenu a vous en faire partimmediatement parce que je pense que cette nouvelle vous sera agreable.29

Finalement, malgre les efforts accomplis les terrains qui sont alors au centre des

discussions ne seront pas immediatement amenages et seule la fin de la guerre et leretour a la ‘vie normale’, tel que l’anticipait J. D’Welles, permettront d’achever desrealisations initialement prevues sous Vichy. Certains sites comme le terrain de la rue

Bouguereau, apres avoir longtemps servi de terrain vague deviendront le lieud’implantation de cites H.L.M. de la ville de Bordeaux. D’autres disparaıtront

purement et simplement des plans d’urbanisme. Il est remarquable cependant deconstater que beaucoup de sites dont la municipalite avait entrevu l’utilisation

potentielle durant les annees ‘sombres’ (Malleret, Benauge, etc.) vont conserver leurvocation sportive apres la Liberation.

Conclusion

L’amenagement des terrains de jeux scolaires a Bordeaux durant les annees 1940–1944constitue une etape essentielle dans la genese de l’action municipale bordelaise. Placee

au carrefour des ideaux vichyssois et de la logique d’amenagement d’une grande villesoucieuse de s’organiser en beneficiant de la manne gouvernementale, cette

dynamique d’equipement integre un lent processus qui ne prendra sens, en definitive,qu’avec l’avenement de constructions bien reelles, au moment ou les temps de penurie

et de restriction prendront fin. Il reste qu’indeniablement la politique du CGEGS,proposant des sa creation des moyens financiers importants, imposant des normes deconstruction, controlant les realisations, donne un elan inedit que les difficultes

inherentes a la periode meme contribueront a moderer temporairement.L’etude du cas bordelais montre que c’est bien a partir des annees 1940–1941 que le

probleme de la mise en adequation des besoins des populations scolaires avec lesespaces dedies a la pratique physique est pose de maniere pratique et autoritaire,

faisant l’objet de programmes coherents d’amenagement. Certes, l’ideologie douteusequi, bien en amont, preside a cette organisation, ne nous permet pas de louer les vertus

d’un programme pense par un regime liberticide et collaborationniste. Mais ici encore,le regard porte sur l’action municipale bordelaise nous montre que les motivations

premieres qui marquent l’adhesion de la Ville au programme d’Equipement National


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s’inscrivent moins dans la soumission au pouvoir central que dans un argumentairequi denature les ambitions ideologiques premieres pour adapter les ressources

nouvelles aux contingences locales. La position du maire de Bordeaux n’est certes pasneutre. Adrien Marquet, fervent adepte de l’ordre nouveau, n’a vraisemblablement pas

ete insensible au message ideologique vehicule par la mise en oeuvre d’une educationphysique destinee a rassembler une jeunesse desemparee sous la banniere de l’ordre et

de la discipline. Il parait cependant difficile de reduire les demarches entreprises par lemaire et son equipe pour voir aboutir les projets engages au simple aveuglement

ideologique. Le prestige meme que Marquet aurait pu retirer des realisationsescomptees, son engagement en faveur du developpement de Bordeaux et une bonnedose d’opportunisme, c’est-a-dire les ambitions personnelles et electorales du maire,

fournissent autant de facteurs a prendre en compte dans l’adhesion nuancee de lamunicipalite au programme d’amenagement impulse nationalement par le CGEGS.

Les positions mesurees des elus et des acteurs principaux, au premier rang desquelsfigure l’Architecte en Chef, Jacques D’Welles, veritable cheville ouvriere des

amenagements bordelais, nous invitent a considerer avec objectivite et recull’engagement de la municipalite en faveur d’une action dont les retombees sociales

semblent avoir majoritairement guide les plans.L’ensemble souligne pour le moins la complexite et la richesse des facteurs qui

participent insensiblement, par accumulations successives, a creer les conditions d’une

lecture peripherique singuliere des problemes auxquels le message ideologique initialetait cense repondre: facteurs relatifs aux acteurs locaux, a leurs trajectoires et a leurs

pouvoirs respectifs aux differents niveaux du systeme, a leurs ancrages plus ou moinsprononces dans une politique de proximite par la ville pour la ville, a leurs marges de

liberte, voire d’erreurs, dans l’interpretation et la mise en œuvre des textes officiels. Il ya la de toute evidence un certain nombre de conclusions a tirer quant aux difficultes

que rencontre alors le CGEGS, donc le gouvernement de Vichy, dans la gestion trescentralisee et tres bureaucratisee d’un projet politique national certes ambitieux, mais

inexorablement freine par le poids meme des energies qu’il aura fallu deployer auxdifferents echelons decisionnaires, et particulierement au plan local, pour en envisagerla plus stricte application. D’une certaine maniere, la culture elitiste administrative de

l’Etat francais se heurte a d’autres modeles culturels. Elle butte non seulement sur lesdifficultes materielles plus generalement liees a la situation de guerre mais, surtout, elle

fait les frais d’une apprehension differente des problemes souleves par cesamenagements sportifs. Car la grille de lecture envisagee par les responsables du

CGEGS ne fonctionne pas ou fonctionne mal lorsqu’elle est appliquee aux contoursmouvants des projets locaux, lesquels demeurent indexes sur les contingences

economiques, politiques et culturelles du terrain. Si culture centrale et culturesperipheriques peinent a se superposer, d’autres recherches30 montreront sans doute lagrande variete des problemes auxquels furent confrontes, ville apres ville, village apres

village, les responsables du CGEGS dans la gestion de ces amenagements. Une gestionfinalement relativement peu productive au plan national, compte tenu des ambitions

initiales.31


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D’autres perspectives de recherches meritent enfin d’etre esquissees ici. Car si lesconstructions bordelaises envisagees sur le papier ne furent que peu concretisees

durant les annees 1940–1944, la plupart des plans rediges a cette epoque ont fourni lesbases des amenagements d’apres-guerre servis par les financements engranges par le

CGEGS et partiellement capitalises par la municipalite bordelaise avant la Liberation:definissant pour plusieurs decennies les principales lignes d’implantation des

installations collectives. La geographie des espaces sportifs bordelais et surtout lesdisparites aujourd’hui observables sur le terrain de la commune ne semblent ainsi

guere echapper a cette histoire. Restent a comprendre les raisons pour lesquelles lamunicipalite bordelaise, au-dela du mandat Audeguil (1944–1947), emmenee parJacques Chaban-Delmas, que tout oppose a Adrien Marquet, a poursuivi cette

politique de construction, enterinant des inegalites de distribution patentes. C’estvraisemblablement vers la transformation des rapports, a l’echelon local, entre le

sport, phenomene culturel et social en pleine ascension, et le monde politique, qu’ilfaudra orienter l’analyse. D’enjeu ideologique, en effet, le sport accede a la legitimite

politique dans le cadre d’une action municipale qui des lors envisagera la constructiond’equipements communaux (piste cycliste, renovation du stade velodrome, par

exemple) dans un processus de democratisation du sport mais aussi comme supportsdu sport professionnel et du sport spectacle, devenus les indispensables vitrines dudynamisme et des succes de la municipalite bordelaise.

Notes

[1] Dans son discours du 20 juin 1940, Petain stigmatise un regime pour lequel ‘l’esprit dejouissance l’a emporte sur l’esprit de sacrifice.’ Repris dans ‘L’education nationale’, Revue desDeux-Mondes, 15 aout 1940.

[2] Voir en particulier dans le champ de l’education physique les Instructions officielles du 1er juin1941 qui, dans leur preambule, reprennent cette argumentation de rupture (CGEGS, 1941c).

[3] Proces verbaux des deliberations du Conseil Municipal de la Ville de Bordeaux (PVCMBx)

conserves aux Archives municipales de Bordeaux (AMBx), seance du 29 aout 1941, p. 153.[4] PVCMBx, seance du 4 fevrier 1941, p. 7.[5] PVCMBx, seances des 4 et 22 fevrier, 29 aout, 11 octobre, 25 octobre et 6 decembre 1941.

[6] ‘Je compte sur votre adhesion a l’Ordre nouveau qui doit supprimer les inegalites, les injusticeset les miseres (. . .) ceux qui se refuseraient a cet effort, deviendraient indignes d’etre au servicedu bien commun, et ne sauraient etre a notre place dans notre administration’. Circulairemunicipale du 5 novembre 1940 adressee aux employees de la mairie de Bordeaux par Marquet.AMBx, 9800-M 5.

[7] PVCMBx, annee 1941.[8] PVCMBx, seance du 29 aout 1941, p. 175.

[9] Lettre de A. Meilhan-Bordes, president de la Societe Nautique Bordelaise, 29 mars 1941, AMBx,9800-M 5.

[10] Lettre de J. D’Welles, 17 avril 1941, AMBx, 9800-M 5.[11] Les instructions du CGEGS concernant la capacite des terrains type sont les suivantes:480

enfants (12 classes de 40 eleves) pour un terrain du type A1 (35 m. £ 60 m.) 960 enfants(24 classes de 40 eleves) pour un terrain du type A2 (50 m. £ 85 m.) 1440 enfants (36 classesde 40 eleves) pour un terrain du type A2 bis (55 m.30 £ 110 m.) 1920 enfants (48 classes de 40eleves) pour un terrain du type A3 (70 m. £ 130 m.)


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[12] Lettre de J. D’Welles, 20 aout 1941, AMBx, 9800-M 5.

[13] PVCMBx, seance du 4 fevrier 1941, p. 7.

[14] Lettre du CGEGS, 29 aout 1941, signee Glasser, adressee au Prefet de la Gironde, AMBx, 9800-M 5.

[15] Marquet reussit par exemple a faire accepter le report de credits de subventions d’un

amenagement sur l’autre. Il pourra reporter en particulier sur les travaux de la rue Bouguereau,les sommes qui ne seront pas investies dans les travaux des rues Malleret et Paul-Louis-Lande.AMBx, 9800 M-6, lettre du 6 mars 1942 adressee a Marquet par la prefecture regionale et signeeBoucoiran.

[16] Lettre du Directeur Regional de l’EGS, 9 janvier 1942, AMBx, 9800-M 6.

[17] Lettre du 24 janvier 1942, A. Marquet / Adjoint au maire a Directeur Regional de l’EGS, 9800-M 6.

[18] AMBx, 9800-M 5, Compte rendu a M. le Maire de Bordeaux, par J. D’Welles, avril 1942, p. 1.



[21] Communique 326 Centre, 9 juin 1943, AMBx, 9800-M 5.

[22] Communique 685 Centre, Architecte en Chef a Adjoint au maire delegue pour l’Instruction

Publique, 3 septembre 1942, AMBx, 9800-M 5.

[23] Lettre du 22 fevrier 1943, AMBx, 9800-M 6.

[24] Lettre du 10 septembre 1941, AMBx, 9800-M 6.

[25] Lettre du 30 avril 1942, AMBx, 9800-M 5.



[28] Lettre du CGEGS / Direction de l’Equipement au Directeur Regional pour l’Academie de

Bordeaux, 7 juin 1943, (signee Hermite) AMBx, 9800-M 5.

[29] Lettre de J. Couteaud a A. Marquet, 28 octobre 1943, AMBx, 9800-M 6.

[30] Nous dirigeons actuellement a Rennes, dans le cadre du laboratoire DETAPS, JE 2068, une

equipe de recherche dont la vocation est de travailler dans des perspectives comparatistes surces problemes d’amenagements et de politiques sportives durant l’Occupation dans le GrandOuest de la France.

[31] Archives nationales, F17 14 461–14 465.

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Bordeaux et les Politiques d'Équipement Sportif Durant l'Occupation (1940–1944): Des Enjeux Idéologiques aux Contingences Locales