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Le praticien en anesthésie-réanimation, 2004, 8, 5 401 qui se sont trouvés confrontés à ce problème. Une enquête effectuée auprès de 31 chirurgiens orthopédistes anglais a montré que 16 d’entre eux avaient été confrontés au pro- blème du décès d’un patient sur table ; dans 10 cas, il s’agissait d’un décès inopiné. Treize de ces chirurgiens ont effectué une autre intervention après le décès, dans la même journée ; tous, sauf un, ont déclaré que le décès de leur premier patient n’était pas dû à une baisse de leur compétence, mais 8 ont exprimé l’idée qu’une pause avant l’intervention suivante aurait été nécessaire. L’éditorial de Stuart White, qui reprend ce problème, insiste sur le traumatisme psychologique que constitue la survenue d’un décès sur table, notamment lorsque ce décès est inopiné. En Grande Bretagne, la prévalence de ce phénomène est estimée à 100 cas par an ce qui constituerait seulement 5 % des décès survenant dans les 24 heures suivant une intervention chirurgicale. Bien que 77 % des anesthésistes se déclarent capables de reprendre leurs activités dans de telles circonstances, de plus en plus de voix se font entendre pour recommander que les intervenants directs suspendent leurs activités pendant 24 heures. Ce délai, bien entendu arbi- traire, a pour but de préserver à la fois les intérêts des patients et celui des acteurs de soins. Il est en effet difficile de penser qu’un décès inopiné, surtout s’il s’agit d’un patient jeune, n’affecte pas chirurgiens et anesthésistes qui ont pris en charge ce patient et de ce fait n’altère pas leur capacité de jugement, leur attention et leur réflexion lors de la prise en charge d’autres patients dans les heures suivantes. La situation est probablement différente en traumatologie où sont parfois effectuées des interventions de « sauvetage » ou lorsque le décès est une éventualité très probable, comme dans le cas d’une intervention sur un patient de réanimation. Si une erreur médicale ou chirurgicale est en cause, un fort sentiment de culpabilité peut affecter les intervenants et on peut même retrouver ce sentiment quand aucune erreur n’est mise en évi- dence. Parmi les mesures recommandées, outre celles qui con- sistent à faire l’analyse factuelle à chaud puis différée de la survenue du décès, permettant de dégager les causes et de mettre en œuvre ultérieurement des mesures préventives, il faut souligner l’intérêt d’un débriefing rapide avec l’aide d’un intervenant extérieur faisant office de conseil. Ce dernier peut être amené à apporter un soutien essentiel lors des suites qui découlent de l’accident, comme par exemple lors de l’entre- tien avec les familles. Toute situation critique au bloc opéra- toire conduit spontanément chacun des intervenants à demander l’assistance d’un collègue au cours et au décours des événements adverses. Cette situation gagnerait probable- ment à être formalisée tant pour les anesthésistes que pour les chirurgiens, évitant ainsi des tensions supplémentaires et des conséquences professionnelles néfastes à long terme. Francis BONNET Bouffées délirantes postopératoires et fonctions cognitives à moyen terme Brief postoperative delirium in hip fracture patients affects functional outcome at three months. Zakriya K, Sieber FE, Christmas C, Wenz JF, Franckowiak S. Anesth Analg 2004;98:1798- 1802. Depuis quelques années, de nombreuses études ont porté sur l’impact de l’anesthé- sie, non pas sur les suites postopératoires immédiates mais sur le devenir à moyen terme des patients. Derrière ces travaux, on retrouve la préoccupation suivante : la période périopéra- toire peut-elle être le révélateur d’une pathologie mécon- nue jusque là ou accélérer un processus dégénératif ? Certaines études ont ainsi démontré les répercussions d’une nécrose myocardique se traduisant uniquement par une élévation postopératoire du taux de troponine sur le pronostic cardiaque après quelques mois. D’autres ont retrouvé une relation entre l’augmentation postopératoire de la créatininémie et la mise en dialyse quelques mois plus tard. Dans cette étude, c’est la survenue de dysfonction cognitive postopératoire, se manifestant par un syndrome délirant, qui a retenu l’attention de l’équipe anesthésique du John Hopkins Hospital à Baltimore. Quatre vingt seize patients opérés d’une fracture de hanche entre 1999 et 2003 ont été ainsi étudiés prospectivement. En postopé- ratoire, on a attribué à ces patients un score de confusion mental établi quotidiennement sur les critères suivants : notion d’épisodes de fluctuation de l’état mental, inatten- tion, expression de pensées incohérentes et désorganisées, altération du niveau de conscience. Pour être positif, ce score devait regrouper au mois 3 des items précédents. Ces patients ont ultérieurement été examinés à 6 semaines et à 3 mois après l’hospitalisation initiale, en vérifiant les points suivants : détermination de la force musculaire par mesure de la force d’agrippement à l’aide d’un dynamomètre, inten- sité de la douleur résiduelle, capacité de déambulation et test de confusion mentale établi selon les mêmes critères que précédemment. Parmi les 220 patients sélectionnés, 21 % avaient présenté un syndrome confusionnel avant l’intervention et ont par consé- quent été exclus de l’étude. On excluait ainsi les épisodes postopératoires attribuables à une maladie sous jacente, tout au moins d’une maladie ayant déjà une expression clinique. Parmi les patients qui restaient, 56 % ont consenti a partici- per à l’étude. On a noté un épisode confusionnel postopéra- toire chez 26 patients. L’incidence des autres complications

Bouffées délirantes postopératoires et fonctions cognitives à moyen terme

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Page 1: Bouffées délirantes postopératoires et fonctions cognitives à moyen terme

Le praticien en anesthésie-réanimation, 2004, 8, 5 401qui se sont trouvés confrontés à ce problème. Une enquêteeffectuée auprès de 31 chirurgiens orthopédistes anglais amontré que 16 d’entre eux avaient été confrontés au pro-blème du décès d’un patient sur table ; dans 10 cas, il s’agissaitd’un décès inopiné. Treize de ces chirurgiens ont effectué uneautre intervention après le décès, dans la même journée ; tous,sauf un, ont déclaré que le décès de leur premier patientn’était pas dû à une baisse de leur compétence, mais 8 ontexprimé l’idée qu’une pause avant l’intervention suivanteaurait été nécessaire. L’éditorial de Stuart White, qui reprendce problème, insiste sur le traumatisme psychologique queconstitue la survenue d’un décès sur table, notamment lorsquece décès est inopiné. En Grande Bretagne, la prévalence de cephénomène est estimée à 100 cas par an ce qui constitueraitseulement 5 % des décès survenant dans les 24 heures suivantune intervention chirurgicale. Bien que 77 % des anesthésistesse déclarent capables de reprendre leurs activités dans detelles circonstances, de plus en plus de voix se font entendrepour recommander que les intervenants directs suspendentleurs activités pendant 24 heures. Ce délai, bien entendu arbi-traire, a pour but de préserver à la fois les intérêts des patientset celui des acteurs de soins. Il est en effet difficile de penserqu’un décès inopiné, surtout s’il s’agit d’un patient jeune,n’affecte pas chirurgiens et anesthésistes qui ont pris encharge ce patient et de ce fait n’altère pas leur capacité dejugement, leur attention et leur réflexion lors de la prise encharge d’autres patients dans les heures suivantes. La situationest probablement différente en traumatologie où sont parfoiseffectuées des interventions de « sauvetage » ou lorsque ledécès est une éventualité très probable, comme dans le casd’une intervention sur un patient de réanimation. Si une erreurmédicale ou chirurgicale est en cause, un fort sentiment deculpabilité peut affecter les intervenants et on peut mêmeretrouver ce sentiment quand aucune erreur n’est mise en évi-dence. Parmi les mesures recommandées, outre celles qui con-sistent à faire l’analyse factuelle à chaud puis différée de lasurvenue du décès, permettant de dégager les causes et demettre en œuvre ultérieurement des mesures préventives, ilfaut souligner l’intérêt d’un débriefing rapide avec l’aide d’unintervenant extérieur faisant office de conseil. Ce dernier peutêtre amené à apporter un soutien essentiel lors des suites quidécoulent de l’accident, comme par exemple lors de l’entre-tien avec les familles. Toute situation critique au bloc opéra-toire conduit spontanément chacun des intervenants àdemander l’assistance d’un collègue au cours et au décoursdes événements adverses. Cette situation gagnerait probable-ment à être formalisée tant pour les anesthésistes que pour leschirurgiens, évitant ainsi des tensions supplémentaires et desconséquences professionnelles néfastes à long terme. ■

Francis BONNET

Bouffées délirantes postopératoires et fonctions cognitives à moyen termeBrief postoperative delirium in hip fracturepatients affects functional outcome at threemonths.

Zakriya K, Sieber FE, Christmas C, Wenz JF,Franckowiak S. Anesth Analg 2004;98:1798-1802.Depuis quelques années, de nombreusesétudes ont porté sur l’impact de l’anesthé-sie, non pas sur les suites postopératoiresimmédiates mais sur le devenir à moyenterme des patients. Derrière ces travaux, on

retrouve la préoccupation suivante : la période périopéra-toire peut-elle être le révélateur d’une pathologie mécon-nue jusque là ou accélérer un processus dégénératif ?Certaines études ont ainsi démontré les répercussionsd’une nécrose myocardique se traduisant uniquement parune élévation postopératoire du taux de troponine sur lepronostic cardiaque après quelques mois. D’autres ontretrouvé une relation entre l’augmentation postopératoirede la créatininémie et la mise en dialyse quelques mois plustard. Dans cette étude, c’est la survenue de dysfonctioncognitive postopératoire, se manifestant par un syndromedélirant, qui a retenu l’attention de l’équipe anesthésiquedu John Hopkins Hospital à Baltimore. Quatre vingt seizepatients opérés d’une fracture de hanche entre 1999et 2003 ont été ainsi étudiés prospectivement. En postopé-ratoire, on a attribué à ces patients un score de confusionmental établi quotidiennement sur les critères suivants :notion d’épisodes de fluctuation de l’état mental, inatten-tion, expression de pensées incohérentes et désorganisées,altération du niveau de conscience. Pour être positif, cescore devait regrouper au mois 3 des items précédents. Cespatients ont ultérieurement été examinés à 6 semaines et à3 mois après l’hospitalisation initiale, en vérifiant les pointssuivants : détermination de la force musculaire par mesurede la force d’agrippement à l’aide d’un dynamomètre, inten-sité de la douleur résiduelle, capacité de déambulation ettest de confusion mentale établi selon les mêmes critèresque précédemment.Parmi les 220 patients sélectionnés, 21 % avaient présenté unsyndrome confusionnel avant l’intervention et ont par consé-quent été exclus de l’étude. On excluait ainsi les épisodespostopératoires attribuables à une maladie sous jacente, toutau moins d’une maladie ayant déjà une expression clinique.Parmi les patients qui restaient, 56 % ont consenti a partici-per à l’étude. On a noté un épisode confusionnel postopéra-toire chez 26 patients. L’incidence des autres complications

Page 2: Bouffées délirantes postopératoires et fonctions cognitives à moyen terme

Le praticien en anesthésie-réanimation, 2004, 8, 5402postopératoires était comparable, que les patients aient ounon développé un épisode confusionnel, mais plus du dou-ble des patients ayant présenté un épisode confusionnel avaitséjourné en unité de soins intensifs (46 % contre 20 %) et ladurée d’hospitalisation était comparativement plus longuedans ce dernier groupe. Parmi les 81 patients dont le suivi apu être établi, la force d’agrippement et la douleur résiduelleétaient identiques qu’ils aient ou non appartenu au groupequi avait présenté un syndrome confusionnel postopératoire.Un plus grand nombre des patients du groupe ayant souffertd’un syndrome confusionnel vivait en dehors de leur cadrefamilial mois après l’hospitalisation initiale (27 % contre 8 %).Cette étude montre donc qu’un épisode confusionnel post-opératoire, même bref, a un impact négatif sur la duréed’hospitalisation. De plus, même si l’évaluation des patientsn’est pas assez poussée pour en préciser la raison, la surve-nue d’un syndrome confusionnel postopératoire se traduitpar un plus grand risque, pour chaque patient, de ne pasregagner son cadre familial après 3 mois d’évolution. Lesraisons de cet état de fait restent spéculatives : soit la pro-longation de l’hospitalisation a pour conséquence un retourplus tardif au domicile, soit l’épisode initial est suivi par unedégradation de l’état mental qui empêche cette réintégra-tion. Cette deuxième hypothèse semble écartée par le faitque les patients des deux groupes avaient un test de confu-sion mentale comparable à 3 mois mais il est possible quesoient survenus des changements des fonctions supérieuresplus subtils que ceux qui pouvaient être détectés par untest simple et que ces changements aient contribué à uneperte d’autonomie des patients. Ainsi, non seulement unsyndrome confusionnel à l’admission et un syndromeconfusionnel postopératoire persistant sont des facteurs demauvais pronostic, comme l’ont montré d’autres travaux,mais un épisode confusionnel transitoire peut aussi avoir unimpact négatif sur le devenir des patients.

Francis BONNET

Les roux et l’anesthésieAnesthetic Requirement Is Increased in Red-heads.

Liem EB, Lin CM, Suleman MI, Doufas AG, GreggRG, Veauthier JM, Loyd G, Sessler DI. Anesthesio-logy 2004;101:279-83.Les roux ont mauvaise réputation chez lesanesthésistes : on leur prête notammentdes besoins en agents anesthésiques aug-mentés et des réactions allergiques plus fré-quentes. S’agit-il d’un fantasme de plus

concernant les roux ou ces impressions cliniques ont-elles

un fondement ? C’est ce qu’ont tenté d’établir Liem et coll.en évaluant les besoins en desflurane de deux groupes defemmes volontaires saines : un groupe de 10 brunes compa-rées à un groupe de 10 rousses. Dans chaque groupe, aprèsune induction au sévoflurane, l’anesthésie était entretenueau desflurane et ajustée en fonction de la réponse à une sti-mulation nociceptive standardisée consistant en une stimu-lation électrique transcutanée de 70 mA et 100 Hz (en casde mouvement lors de la stimulation, la concentration expi-rée de desflurane était augmentée par paliers de 0,5 %jusqu’à ce que les sujets atteignent un état d’équilibre oùles mouvements étaient observés une fois sur deux. Dansces conditions, la concentration de desflurane administréeétait de 6,2 % vol. (IC à 95 % CI, 5,9-6,5)) chez les rousseset de 5,2 % vol. [4,9-5,5] chez les brunes ; p = 0,0004).Cette différence correspondait à une augmentation de19 % des besoins anesthésiques. Par ailleurs, 9 des10 volontaires rousses avaient une mutation pour le gènedu récepteur mélanocortine-1 (MC1R). Le variant MC1RV60L, R142H, R151C, R160W, D294H produit des récep-teurs à la mélanocortine-1 qui stimulent moins efficacementla production d’AMP cyclique que le gène sauvage. Cesrécepteurs cutanés ont également été identifiés dans l’hypo-physe et dans la substance réticulée du tronc cérébral etpourraient jouer un rôle dans le contrôle des stimulationsnociceptives. Toutefois, les phénomènes sont complexes etla mutation du gène concerné, responsable de la couleur dela peau et des cheveux, pourrait n’être qu’un marqueurd’un phénomène reposant sur d’autres mécanismes. ■

Francis BONNET

Figure 1. Concentrations expirées de desflurane permettant d’abo-lir une réponse sur deux à la stimulation électrique dans les deuxgroupes de volontaires.

7

6

5

4

[Desflurane] (%)

Dark Hair Red Hair