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DÉTERMINISME ET CAUSALITÉ Jacques Bouveresse Presses Universitaires de France | Les Études philosophiques 2001/3 - n° 58 pages 335 à 348 ISSN 0014-2166 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-les-etudes-philosophiques-2001-3-page-335.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Bouveresse Jacques, « Déterminisme et causalité », Les Études philosophiques, 2001/3 n° 58, p. 335-348. DOI : 10.3917/leph.013.0335 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 1 - Sorbonne - - 193.55.96.119 - 21/12/2014 22h13. © Presses Universitaires de France Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 1 - Sorbonne - - 193.55.96.119 - 21/12/2014 22h13. © Presses Universitaires de France

Bouveresse_Déterminisme Et Causalité_sur Schlick Dans Naturphilosophie

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DÉTERMINISME ET CAUSALITÉ Jacques Bouveresse Presses Universitaires de France | Les Études philosophiques 2001/3 - n° 58pages 335 à 348

ISSN 0014-2166

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-les-etudes-philosophiques-2001-3-page-335.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Bouveresse Jacques, « Déterminisme et causalité »,

Les Études philosophiques, 2001/3 n° 58, p. 335-348. DOI : 10.3917/leph.013.0335

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Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France.

© Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière quece soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

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DÉTERMINISME ET CAUSALITÉ

1. Le principe de causalité et la loi d’entropie

Mon intention n’est pas de vous parler de la question de la causalité etdu déterminisme dans l’épistémologie et la philosophie de Schlick en géné-ral, mais seulement de la façon dont elle est traitée dans l’article « Naturphi-losophie », qui a été écrit en 1925 pour un recueil destiné à faire le point surl’état des questions et des connaissances dans les différents secteurs de laphilosophie1. La première chose à remarquer est que Schlick défend à cetteépoque-là tout à fait clairement une position qui correspond à ce qu’onappelle le réalisme scientifique : « Il n’y a, écrit-il, absolument aucun doutesur le fait que tous les éléments ultimes que la science doit assumer pourrendre intelligible la structure de la nature doivent être considérés commeréels exactement au même sens et au même degré que les objets perçus de lanature eux-mêmes. Il est évident que nous ne pouvons pas construire le réelà partir de particules irréelles ou de simples concepts. Si la physique se sentobligée de soutenir qu’un corps est constitué d’atomes, alors ces atomessont certainement exactement aussi réels que le corps lui-même. Les élec-trons existent aussi sûrement que la lune existe » (p. 427).

En ce qui concerne le principe de causalité, Schlick constate qu’il nousdit seulement qu’un effet doit avoir une cause, mais pas ce qu’est, danschaque cas, cette cause. Il faut donc qu’il y ait des règles qui indiquent quelleespèce de cause appartient à un effet déterminé, et inversement. Et cesrègles sont les lois de la nature. Comme l’avait déjà dit Helmholtz, lecontenu du principe causal consiste dans l’assertion que tous les événe-ments dans la nature ont lieu conformément à des lois. Helmholtz dit que laloi causale est « la régularité présupposée de la nature » (die vorausgesetzteGesetzmässigkeit der Natur) ou, plus exactement, le présupposé du fait que la

Les Études philosophiques, no 3/2001

1. Die Philosophie in ihren Einzelgebieten, Lehrbuch der Philosophie II, herausgegeben vonMax Dessoir, Berlin, Ullstein Verlag, 1925, p. 395-462.

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nature obéit à des lois1. Et Schlick, qui est d’accord avec lui sur ce point,conclut de cela que « causalité et régularité (Naturgesetzlichkeit) sont une seuleet même chose » (op. cit., p. 430). Si on le comprend à la façon de Helmholtz,on doit admettre que le principe de causalité ne possède pas nécessairementune validité universelle. Et c’est à la théorie de la connaissance, et non à laphilosophie de la nature, de décider si c’est ou non le cas : « La validité de lacausalité est (...) une présupposition, et non un objet, des sciences de lanature, et la philosophie de la nature doit par conséquent laisser le traite-ment de la question de la validité du principe à la théorie générale de laconnaissance (qui doit assurément rendre sa décision sur la base des résul-tats obtenus dans l’étude de la nature) » (ibid., p. 429).

La tâche de la philosophie de la nature n’est donc pas de se prononcersur la validité du principe de causalité, mais uniquement de clarifier sonsens. La réponse à cette question est donnée justement par la réduction de lanotion de causalité à celle de « nomicité » (Gesetzlichkeit). Schlick insiste sur lefait que, si l’idée de causalité inclut effectivement, comme on le pensed’ordinaire, celle de nécessité, celle-ci doit être dissociée de toute idéeanthropomorphique de contrainte exercée par la cause et ne consiste en riend’autre que la validité universelle. La nécessité signifie simplement la régularité,par opposition à ce qu’on appelle le « hasard » ou à l’absence de loi.« L’énoncé selon lequel “A suit nécessairement de B”, dit Schlick, est totale-ment identique quant au contenu à l’énoncé selon lequel “Dans tous les cas,si l’état B a lieu, l’état A suit” et ne contient absolument rien de plus » (ibid.,p. 435). Autrement dit, même s’il maintient que le concept de causalité et,par conséquent, celui de loi naturelle contiennent la notion de nécessité,Schlick défend une conception de la causalité que l’on ne peut appeler autre-ment que humienne : il n’y a véritablement rien de plus dans le concept decausalité que dans le concept de régularité ou de consécution constante. Onpeut, bien sûr, parler de nécessité, mais le vrai sens de ce qu’on appelle, enl’occurrence, la nécessité n’est rien d’autre que cela. Dans son commentairesur Helmholtz, Schlick constate, du reste, que ce n’est pas sur les pas deKant, mais sur ceux de Hume, que marche Helmholtz. Et, dit-il : « Il peutêtre permis d’ajouter qu’à nous aussi le point de vue de Hume semble être leseul qui puisse résister à toutes les attaques de la critique » (p. 181). Mais onpeut penser qu’il subsiste un problème dans la façon dont s’exprime Schlick,puisque le seul moyen pour la nécessité d’être conservée, tout en étantréduite à la notion d’universalité, serait qu’elle soit identifiée à la notiond’universalité non pas quelconque, mais, justement, nécessaire. En fait, au lieude continuer à parler de nécessité logique et de nécessité naturelle, Schlickpourrait aussi bien, comme il le fait dans un cours des années 1933-1934 (On

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1. Voir le commentaire de Schlick dans Hermann von Helmholtz, Epistemological Wri-tings, The Paul Hertz / Moritz Schlick Centenary Edition of 1921, with Notes and Commen-tary by the Editors, newly translated by Malcolm F. Lowe, Dordrecht, D. Reidel PublishingCo., 1977, p. 180-181.

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so-called necessity of thought), opposer simplement la nécessité logique et la régu-larité naturelle.

Quand on prend en considération le problème de l’évolution temporellede l’univers, on se trouve confronté, remarque-t-il, à des questions de philo-sophie de la nature qui sont tout à fait différentes de celles que pose laspatialité du cosmos (Naturphilosophie, p. 451). La raison de cela tient àl’existence d’une loi, appelée « la deuxième loi de la thermodynamique », quiest d’un type complètement nouveau par rapport à celles qui avaient étéconsidérées jusque-là et qui, pour cette raison, mérite un examen spécialdans la philosophie de la nature. La nouveauté consiste dans le fait qu’ils’agit d’une loi qui, justement, n’est pas universellement valide, mais possèdele statut d’une loi avec exceptions. « Depuis les recherches de LudwigBoltzmann, il y a, écrit Schlick, des raisons de penser – et c’est la conceptionqui prévaut parmi les scientifiques contemporains – que le principed’entropie n’est en aucune façon nécessaire, mais ne possède qu’une validitéprobable ; en d’autres termes, ce n’est pas dans tous les cas, mais seulement enmoyenne dans la très grande majorité des cas, que les événements se passentde la façon qui est énoncée par le principe d’entropie. Quand ce principeaffirme, par exemple, que “si deux corps de température différente sont encontact, la chaleur s’écoule du plus chaud vers le plus froid, et nonl’inverse”, cet énoncé est valide dans le même sens que, par exemple,l’assertion selon laquelle “personne, en utilisant un dé normal, n’obtiendra lesix un million de fois à la suite” » (ibid., p. 453). D’un côté, le deuxième prin-cipe de la thermodynamique semble être la seule loi de la nature susceptibled’imposer un sens déterminé à la fois aux processus qui ont lieu dans lanature et à l’évolution de l’univers dans son ensemble. Si le principed’entropie était une loi de la nature au sens tout à fait strict, une loi qui nesupporte pas d’exceptions, l’évolution de l’univers suivrait un cours irréver-sible en direction de l’état de repos complet qui correspond à ce qu’onappelle la « mort thermique ». Mais nous savons, d’un autre côté, que ledeuxième principe de la thermodynamique n’est pas universellement valide.La difficulté fondamentale que Boltzmann a eu à résoudre peut donc serésumer ainsi. Si l’on admet que : 1 / ce qu’on appelle le sens du temps estdéterminé par l’existence de processus irréversibles qui ont lieu dans lanature, et 2 / ce qui caractérise les processus irréversibles est le passaged’états moins probables à des états plus probables, on peut comprendrepourquoi le temps s’écoule dans un sens déterminé. Mais, en même temps,puisque le passage d’états plus probables à des états moins probables n’estpas impossible, mais seulement très improbable, et que tout événement quia une probabilité différente de zéro finira par arriver un jour, à conditiond’attendre suffisamment longtemps, il n’y a pas de processus irréversible quine puisse pas se dérouler aussi, à un moment où à un autre, en sens inverse,et pas non plus de nécessité pour que l’univers dans son ensemble ne puissepas, lui aussi, évoluer à partir d’un certain moment en sens inverse. Commele dit Schlick, « cela signifierait la ruine de toutes les spéculations cosmolo-

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giques qui reposent sur l’admission du principe d’entropie comme étant uneloi de la nature absolument valide » (ibid., p. 454).

Tout comme Boltzmann, Schlick considère que la « flèche du temps »thermodynamique constitue la seule base physique possible pour ce qu’onappelle l’anisotropie du temps. Et il admet également que « l’irréversibilitédes processus et l’unilatéralité du sens du temps sont au fond un seul etmême fait » (ibid.). Par conséquent, si jamais dans l’univers lui-même oudans une partie de l’univers les événements se déroulaient dans un sens con-traire à celui qui est exigé par le principe de l’accroissement de l’entropie, lepassé et le futur auraient échangé leur rôle, et on pourrait dire quel’écoulement du temps lui-même a inversé son sens. C’est ce que suggèrel’hypothèse cosmologique fameuse de Boltzmann, qui a été critiquée sévère-ment par Popper. Naturellement, si l’on considère que le sens du temps quiva du passé vers le futur est par définition identique à celui du passaged’états moins probables à des états plus probables, on peut se demanderpourquoi on éprouve le besoin de dire que le temps se déroulerait aussi ensens inverse, et non pas simplement que les processus naturels auraient lieuen sens inverse. Mais c’est un point sur lequel je ne veux pas m’attarder ici.

Schlick admet qu’une succession d’événements qui se déroulerait ensens inverse de ce qui est exigé par le deuxième principe nous semblerait, sinous en étions témoins ou si nous y étions impliqués, excessivementétrange. Mais il se pourrait aussi, dit-il, que nous ne soyons pas du tout cons-cients de la bizarrerie et croyions être en train de vivre dans le monde ordi-naire. La raison de cela est que nous appelons « passés » les événementsdont nous avons des « souvenirs », et « futurs » ceux dont nous n’avons pasencore eu l’expérience. La mémoire est, fondamentalement, le seul critèredont nous disposons pour distinguer le passé et le futur, mais c’est un critèresubjectif. « Quel événement est le premier “objectivement” et “en réalité”,nous serions tout à fait incapables de le décider, et peut-être que celan’aurait pas de sens de demander si ce qui nous apparaît comme le “passé”est réellement “passé” ou en réalité est peut-être “à venir”, et nous est sim-plement présenté de façon trompeuse comme passé, en raison du cours per-verti de tous les processus (y compris nos propres processus mémoriels) »(ibid., p. 455).

Il reste cependant à expliquer pourquoi nous n’avons, en général,d’information précise que sur les événements passés, et non sur les événe-ments futurs. D’après le principe entropique, c’est plutôt la deuxième chosequi devrait être le cas, puisqu’il est plus facile, en l’utilisant, de calculer lefutur que de calculer le passé. Il est, en effet, plus facile de spécifier l’étatindifférencié vers lequel tend une distribution d’énergie non uniforme quede dire à partir de quels états plus différenciés un état moins différencié aévolué. La réponse à cela est, dit Schlick, que la structure du passé estinférée non pas à partir de la façon dont l’énergie est distribuée, mais à partirde la disposition spatiale des objets : « Le passé (...) peut être reconnu etreconstruit parce qu’il laisse des “traces” derrière lui. Je peux voir d’après

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l’état de la plage que quelqu’un a marché sur elle il y a peu de temps, mais jene peux pas voir d’après lui si quelqu’un marchera sur la plage dans un futurproche. Or la création de “traces”, au sens le plus large, se produit toujourspar le fait qu’une énergie de forme différenciée (dans notre cas, l’énergiecinétique des pas de l’homme) effectue un déplacement de particules physi-ques (les grains de sable sur la plage) et, ce faisant, imprime une forme déter-minée sur elles (l’impression d’un pied), qui reste préservée de façondurable, précisément parce que l’énergie impliquée passe, conformément àla loi d’entropie, à une forme dispersée (mouvement désordonné des molé-cules des grains de sable), et de ce fait ne cause aucun déplacement supplé-mentaire des grosses particules. Si l’énergie restait sous une forme ordonnée(comme énergie cinétique des grains de sable), les grains ne resteraient pasen repos après avoir reçu l’empreinte du pied, et aucune trace persistante neserait laissée. Puisque notre “souvenir” repose assurément aussi sur certai-nes traces qui sont restées dans le cerveau, l’explication donnée ici a unevalidité parfaitement générale, et rend plausible la raison pour laquelle notreremémoration, elle aussi, ne s’étend que dans le passé (défini à l’aide de la“Deuxième Loi”), et non dans le futur » (ibid., p. 455-456). Mais naturelle-ment, dans ces conditions, si on formule le principe en disant que l’entropies’accroît quand le temps s’écoule dans le sens positif, c’est-à-dire quand onva du passé vers le futur, cela n’est pas nécessairement vrai, si par « écoule-ment du temps » on entend l’expérience subjective que nous avons del’écoulement du temps, car, dans certaines conditions, ce qui nous apparaîtde façon trompeuse comme passé pourrait être objectivement futur, etinversement. Et cela risque d’être peu différent d’une simple tautologie, sipar « écoulement du temps » on entend l’écoulement objectif du temps, telqu’il est déterminé par le principe d’entropie.

2. Conditions initiales et lois : deux façons d’expliquer l’irréversibilité

Le principe d’entropie est une macro-loi. L’explication de cette loi, c’est-à-dire de la tendance de la nature à disperser l’énergie et à « préférer » desétats de plus grande égalité thermique, doit être cherchée dans des micro-lois de l’espèce appropriée. Mais les micro-lois que l’on connaît sont réversi-bles. Comment l’irréversibilité peut-elle, dans ces conditions, s’introduiredans la nature ? Il y a, dit Schlick, deux possibilités. La première serait queles micro-lois que l’on a découvertes jusqu’ici ne soient pas les lois ultimes.La deuxième serait que la raison de l’irréversibilité des processus naturels nedoive pas être cherchée au niveau des lois, mais dans les conditions initiales.C’est la solution qui avait été adoptée par Boltzmann, tout au moins avantqu’il ne suggère une autre explication possible, qui correspond à son hypo-thèse cosmologique controversée. Cette hypothèse ne fait pas de supposi-tion particulière sur les conditions initiales, puisque la courbe qui décrit lesvariations de la grandeur H (le négatif de l’entropie) a un comportement

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symétrique par rapport au passé et au futur et passe la quasi-totalité de sontemps tout près de la valeur minimum, pour s’en éloigner seulement defaçon exceptionnelle et de façon d’autant plus exceptionnelle que la dévia-tion est plus importante. Mais Boltzmann n’a manifestement proposécette hypothèse que pour s’affranchir de l’obligation d’avoir à expliquer laréalisation des conditions initiales particulières dont dépend la validitédu deuxième principe, dans l’interprétation statistico-mécanique qu’il endonne. La suggestion qu’il fait est que, si on ne peut pas se passer d’uneexplication qui rende compte des conditions initiales elles-mêmes, on peuttoujours faire la supposition que, quand l’univers ou la partie de l’universconcernée se retrouvent dans un état très improbable, ils y sont arrivés danstous les cas à la suite d’une énorme fluctuation. Mais, en attendant, il restevrai que, quelle que puisse être la façon dont ils sont arrivés là, ils évoluerontvers des états qui deviennent toujours plus probables.

Il n’y a, cependant, rien d’illégitime, pour Boltzmann, dans le fait qu’uneexplication soit obligée de postuler des conditions initiales spécifiques, quine sont pas à leur tour expliquées et pourraient même être inexplicables. Sil’on part de la supposition que le monde s’est trouvé au départ dans un étattrès improbable (dans lequel la valeur de la grandeur H est très supérieure auminimum), on n’a pas besoin d’une loi de la nature particulière, mais seule-ment des lois mathématiques de la probabilité, pour expliquer que l’évo-lution s’effectue de façon unilatérale dans le sens du passage à des états deplus en plus probables. Le calcul des probabilités, qui relève des mathémati-ques pures et non de la physique, permet de comprendre pourquoi, commele dit Schlick, « l’énergie des processus ordonnés “tend”, lorsque l’occasionlui est offerte, à se changer en l’énergie de processus désordonnés » (ibid.,p. 457). Boltzmann insiste sur le fait que, comme n’importe quel autreénoncé mathématique, le principe d’entropie, considéré comme une loi deprobabilité, formule une assertion du type : « Si telles ou telles conditionssont réalisées, alors telles ou telles conséquences s’ensuivent nécessaire-ment. » Ce qui fait de lui une loi de la nature est l’adjonction de la supposi-tion que des conditions de l’espèce appropriées sont réalisées, par exemplequ’un système gazeux isolé de son environnement et abandonné à lui-mêmesatisfait les conditions en question.

Le principe d’entropie contient donc un élément qui n’apparaît pas dansles lois de la nature, en tant que telles. Les lois de la nature nous disent sim-plement quels événements ont lieu lorsqu’un certain état initial est réalisé.Mais elles ne nous disent pas quels états initiaux sont réalisés et à quelmoment. « ... La question de savoir quelle constellation les corps de lanature, qu’il s’agisse des planètes ou des molécules, occupent à un momentquelconque n’est pas décidée pour nous par une loi quelconque, mais estune question de hasard (tout comme c’est un hasard, et une chose qui nepeut pas être interprétée à son tour comme la conséquence d’une loi, quedes lois naturelles déterminées règnent simplement dans le monde) » (ibid.,p. 58). Le mot « hasard », bien entendu, indique ici uniquement que nous

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avons affaire à des états de choses qui doivent être considérés simplementcomme des faits, qui ne peuvent pas être expliqués par des lois, mais seule-ment, le cas échéant, par des lois en combinaison avec des conditions initia-les déterminées qui ont été réalisées antérieurement, des faits qui, en der-nière analyse, constituent la condition de possibilité de l’explication de quoique ce soit par des lois. Il n’y a pas de lois qui expliquent pourquoi certainesconditions initiales ont été réalisées au départ, tout comme il n’y a pas delois qui expliquent pourquoi l’univers obéit à des lois déterminées. C’est encela que l’on peut dire de ces deux choses qu’elles sont le fait du hasard. Ceque l’on peut conclure de cela est que les lois, en tout cas les lois au senstraditionnel, gouvernent les processus qui ont lieu dans le temps, maisn’expliquent pas pourquoi les choses se présentent à un moment donnésimultanément dans un arrangement déterminé. « Les lois, en d’autres ter-mes, dit Schlick, déterminent seulement les choses qui arrivent l’une aprèsl’autre dans le temps, et non ce qui est simultané (le concept de simultanéitédevant recevoir ici en plus une certaine signification élargie, en référenceà la théorie de la relativité). Si nous considérons l’image du monde quadri-dimensionnelle, nous pouvons dire que la causalité règne uniquement dansla direction du temps, et non dans les directions de l’espace. Là, nous avonsdes lois, mais ici, pour commencer, uniquement des faits » (ibid.).

La distinction que Schlick a en tête est du même genre que celle que faitCournot entre la régularité de la loi et l’irrégularité du fait. « Par exemple, écritcelui-ci, la mécanique céleste nous donne la théorie des perturbations dusystème planétaire, et nous démontre la stabilité de ce système en assignantdes limites, dans un sens et dans l’autre, aux oscillations très lentes et trèspetites que subissent les éléments des orbites ; mais elle ne nous fait pointconnaître les causes qui ont établi entre les corps du système de tels rapportsde distances et de masses, que l’ordre, une fois établi, tendit de lui-même àse perpétuer. La raison physique et la cause immédiate de ce fait si singulier,l’une des marques les plus frappantes d’une intelligence ordonnatrice, setrouvent certainement dans la série des phases que le monde a traverséesavant d’arriver à cet ordre final et stable dont nous admirons la simplicitémajestueuse. »1 Nous pouvons expliquer par les lois de la mécanique célestepourquoi un système de corps caractérisé par les rapports de distances et demasses que nous constatons est stable. Mais tant que nous ne connaissonspas complètement l’histoire qui a conduit à la réalisation d’un arrangementde cette sorte, nous sommes obligés de traiter son existence simplementcomme un fait et comme relevant de ce que Schlick appelle un hasard. Par-tout, cependant, où l’on retrouve, dans le simultané lui-même, des régulari-tés caractéristiques, on quitte le domaine de la contingence pure pourretrouver celui de la nécessité et de la loi : « Une nébuleuse, que le télescoperésout dans un amas d’étoiles groupées irrégulièrement, est ainsi constituée

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1. A. A. Cournot, Essai sur les fondements de nos connaissances et sur les caractères de la critiquephilosophique, Paris, Hachette, 1922, p. 455.

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fortuitement, accidentellement, par un accident dont les proportions dépas-sent pour les dimensions et la durée, tout ce qu’il est possible à notre imagi-nation de saisir : au lieu que la constitution du soleil et des planètes en sphé-roïdes aplatis tient à une loi ou à une nécessité de nature. »1

Schlick constate que le principe d’entropie indique que, même dans leroyaume des faits, il y a des hypothèses générales, que, dans ce domaine-làaussi, il peut y avoir une connaissance générale. Et il est naturel, dit-il, « de sedemander si, dans ce domaine-là également, il y a des règles qui dans ce cas-là, il est vrai, ne seraient pas des lois causales (ne seraient pas “nomothéti-ques”), mais se référeraient aux collocations ( “ontologiques” ) qui apparais-sent dans la nature » (op. cit., p. 458-459). Le principe d’entropie inclut unélément qui n’est pas purement nomique, mais ontologique, parce qu’ilrepose sur une hypothèse d’existence. C’est, en effet, seulement la particula-rité de l’état initial qui explique que l’énergie ait tendance à se dissiper. Ceque dit l’hypothèse est qu’ « il y a une prépondérance très large dans lemonde des constellations qui conduisent à un accroissement de l’entropie »(ibid., p. 458). Les configurations qui conduiraient à une violation dudeuxième principe sont des configurations qui, comme le dit Boltzmann,devraient, d’une certaine façon, avoir été réalisées intentionnellement pourcela et que le hasard seul ne peut produire que de façon tout à fait excep-tionnelle. Mais si les conditions initiales sont d’un type exceptionnel,l’évolution du système pourra constituer aussi une exception par rapport àce qui est exigé par le principe entropique. Tout ce que l’on peut dire estque, si le hasard règne librement – et c’est ce qui est censé être garanti par cequ’on appelle l’ « hypothèse du désordre moléculaire » –, les configurationsspéciales qui conduiraient à une violation du deuxième principe n’appa-raîtront que de façon extrêmement rare. « La règle assumée par le principed’entropie, écrit Schlick, ou l’hypothèse du désordre moléculaire, a un carac-tère “statistique” ; elle a trait à la fréquence d’occurrence de certains états, etelle est du même type que par exemple l’assertion selon laquelle dans unegrande ville il se produit tant de suicides en moyenne chaque année. Larégularité statistique est par conséquent une espèce spéciale de régularitéontologique. Y en a-t-il encore d’autres espèces ? » (ibid., p. 459). Boltzmannlui-même compare explicitement les deux questions : combien de tempsfaudrait-il attendre pour que le nombre annuel des suicides qui ont lieu enmoyenne chaque année dans un pays se trouve tout à coup, par exemple,multiplié ou divisé par cent ? et : combien de temps faudrait-il attendre pourque les molécules qui sont contenues dans 1 cm3 d’un gaz donné se retrou-vent exactement dans la même configuration que celle qui était réalisée audépart ? Mais ce que constate Schlick est que le principe d’entropie lui-même inclut une hypothèse statistique déterminée sur la fréquence relativedes états initiaux « favorables », c’est-à-dire susceptibles de permettre le

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1. A. A. Cournot, Considérations sur la marche des idées et des événements dans les temps modernes,Paris, Vrin, 1973, p. 10.

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genre de prédiction qu’il autorise. Le principe ne s’applique que parce que laproportion des états initiaux qui conduiraient à une évolution anti-thermodynamique peut être considérée comme ridiculement faible.

Quand on dit que les régularités statistiques ne sont pas causales, on neveut donc pas dire uniquement qu’elles n’autorisent que des inférences quisont seulement statistiques, et non pas causales. On veut dire aussi qu’ellessont ontologiques, et non pas nomiques. C’est ce qui amène Schlick à sedemander s’il n’y a pas d’autres exemples de lois qui sont aussi ontologiques.On retrouve ici le problème que j’évoquais il y a un instant à propos deCournot. Ne pourrait-on pas supposer que, même dans l’ordre de la coexis-tence, la contingence et le désordre ne sont qu’apparents, que la régularitérègne partout, même si nous ne la percevons pas, que finalement tout setient et tout s’explique par des lois ? « Il semble à première vue, écrit Schlick,que les faits purs, les états initiaux, ne soient pas eux-mêmes dépourvus detoute espèce de régularité ; dans l’espace également, nous trouvons desrépétitions de la même chose au même moment : les mêmes éléments chi-miques sont présents dans les régions les plus diverses de l’univers, et nousavons des raisons de supposer que les électrons, les constituants ultimes dela matière, sont identiques entre eux, partout où ils peuvent se trouver. Celanous fait entrevoir des problèmes particuliers. Ce qui est certain est que cesfragments de régularité ontologique dont nous avons connaissance ne sontpas, et de loin, suffisants pour déterminer complètement un aspect quel-conque de la nature. Si je sais quelle sorte d’état règne dans une partie dumonde, je ne peux pas dériver de cela les états qui existent au mêmemoment dans d’autres parties. Mais nous ne pouvons écarter entièrementl’idée que la recherche ultérieure découvrira un jour des chemins jusqu’àprésent inconnus qui pourraient permettre d’éclairer également ce domaine-là, qui semble se situer entièrement dans le demi-jour de la contingence, àl’aide du concept de loi » (ibid., p. 459). On peut remarquer que Maxwelltirait justement de l’existence d’une quantité innombrable d’exemplairesrigoureusement identiques de molécules appartenant à un nombre déter-miné d’espèces un argument décisif en faveur de l’idée de création. À sesyeux, une situation de ce genre ne pourrait pas être le résultat d’une évolu-tion spontanée quelconque, dont le résultat serait toujours immanquable-ment d’introduire des différences de plus en plus importantes, et non deréaliser une identité de plus en plus parfaite.

3. Le hasard est-il seulement dans les faits ou également dans les lois ?

Le principe de causalité signifie qu’il y a des séquences d’événements quise répètent de façon invariable dans le temps. Si un événement du type Aa lieu à un moment donné, toutes choses égales d’ailleurs, un événement dutype B s’ensuivra dans tous les cas. S’il y avait des lois ontologiques, il yaurait aussi des coexistences qui se répètent invariablement dans l’espace.

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Dans tous les cas où l’on trouve un objet A à un endroit donné, on pourraitconclure à la présence d’un objet B à un autre endroit. On pourrait mêmepeut-être, dans le cas le plus favorable, conclure de ce qui se passe à unendroit donné du monde à ce qui se passe à n’importe quel autre endroit.Mais, comme le dit Schlick, de façon générale, les éléments de régularitéontologique que nous connaissons sont très insuffisants pour nous per-mettre d’inférer de ce qui existe à un endroit donné du monde à ce qui existeà un autre endroit.

Le maximum de régularité ontologique serait atteint s’il était possible,comme dans l’univers leibnizien, d’extraire de la connaissance complèted’un individu particulier une connaissance complète du monde auquel ilappartient, à la fois dans l’ordre de la coexistence spatiale et dans celui de lasuccession temporelle. « La limite extrême, à laquelle la pénétration de lanature à l’aide du concept de loi pourrait être étendue, serait, dit Schlick,atteinte s’il nous était possible en principe de calculer, à partir de l’état d’unepartie donnée de la nature, aussi petite soit-elle, pendant un temps donné,aussi bref soit-il, l’état total de l’univers à tous les moments. Cela reviendraità réaliser, d’une façon merveilleuse, une idée de Leibniz, qui pensait voirdans toute “monade” un reflet complet de l’univers entier : dans tout élé-ment de volume, aussi petit soit-il, du monde quadri-dimensionnel, tous lesévénements de la nature seraient contenus en germe de façon complète.Quant à savoir si nous réussirons à trouver un jour une telle régularité omni-présente, c’est impossible à dire. Dans l’état présent de notre connaissance,il n’y a pas grand-chose qui suggère qu’elle existe simplement » (ibid.).

On est obligé aujourd’hui de prendre sérieusement en considération lapossibilité que le règne des lois causales ne s’étende pas aussi loin qu’on lesuppose généralement et qu’il soit même tout à fait limité. Une fois qu’on aintroduit l’approche statistique en physique, la question se pose naturelle-ment de savoir si la régularité ultime de la nature ne serait pas elle-même denature statistique ; autrement dit, si les micro-lois elles-mêmes ne seraientpas, en fin de compte, des lois de probabilité. Admettre cela représenterait,remarque Schlick, une nouveauté complète, pour la raison suivante : « Unegrande audace de pensée s’attache à cette conception, car à ce pointl’introduction du principe de probabilité aurait une signification complète-ment différente de celle qui est impliquée dans le macro-comportement dela nature. Dans le deuxième cas, comme nous l’avons vu, tout était unequestion de régularité causale stricte, et la probabilité n’avait trait qu’à la fré-quence contingente des états initiaux – mais si l’on croit que les micro-loisultimes ont, pour leur propre part, un caractère probabiliste, les événementseux-mêmes deviennent alors une affaire contingente ; ils seraient soustraitsà la causalité et ils cesseraient d’être connaissables de façon exhaustive.D’après les résultats de la “théorie quantique” auxquels nous allons nousréférer, les processus par lesquels les atomes individuels émettent et absor-bent de la radiation électromagnétique obéissent à certaines règles de proba-bilité, et plus on a réussi à suivre ces processus à l’intérieur de l’atome, plus

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on doit, semble-t-il, compter avec le fait que ce comportement ne peut plusêtre compris davantage, par exemple de la façon ontologique. La premièredes possibilités mentionnées plus haut (p. 456) relativement au principed’entropie serait ainsi choisie ; le hasard ferait son entrée dans le micro-comportement, et le principe entropique lui-même pourrait être élevé, pourles processus de radiation, au rang d’une micro-loi » (ibid., p. 460).

Le changement qui est en train de se produire est donc le suivant. Dansla mécanique statistique classique, on s’efforçait de prédire le cours des évé-nements à partir d’une hypothèse de type probabiliste concernant la naturedes conditions initiales et de lois causales strictes. Le principe entropiquen’était pas une micro-loi, mais une loi macroscopique qui résulte del’application du calcul des probabilités à des populations constituées d’unnombre très grand de molécules ayant des comportements indépendants,mais qui restent gouvernés en principe de façon déterministe par des lois deforme rigoureusement causale. À présent, ce ne sont plus seulement lesconditions initiales, mais les lois elles-mêmes, qui sont concernées parl’intervention du concept de probabilité. Et l’irréversibilité, qui était jusque-là une propriété macroscopique qui appartient à des systèmes constituésd’éléments dont les mouvements individuels obéissent à des lois réversibles,se trouve ainsi transformée en une caractéristique interne des micro-processus eux-mêmes.

4. Les conséquences de la révolution quantique

Schlick constate que ce changement implique une renonciation fon-damentale à la connaissabilité exhaustive de la nature, puisque dans les pro-cessus élémentaires une coordination univoque de nos concepts avec lesévénements ne serait plus possible. Or, dans l’Allgemeine Erkenntnislehre,dont la deuxième édition paraît la même année, Schlick avait expliqué quel’existence d’une coordination de cette sorte est essentielle à la science :« C’est manifestement le présupposé de la compréhensibilité du mondequ’il y ait un système de définitions implicites qui corresponde exactementaux jugements d’expérience, et les choses iraient au mieux pour notreconnaissance de la réalité, si nous savions avec une certitude absolue qu’ilexiste toujours des concepts qui garantissent une désignation univoque dumonde du fait. »1

La définition implicite nous fournit le moyen d’obtenir une détermina-tion complète des concepts et, du même coup, une exactitude rigoureuse dela pensée (ibid., p. 16). Mais nous n’avons pas de certitude a priori que lesconcepts ainsi obtenus pourront toujours être mis en relation univoque avecles faits. On peut toujours se donner les moyens de penser de façon exacte,

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1. Allgemeine Erkenntnislehre, 2e éd., 1925, Suhrkamp Taschenbuch Verlag, 1979, p. 91.

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mais rien ne prouve que la réalité soit telle qu’elle puisse toujours êtrepensée de façon exacte. Le problème qui se pose aujourd’hui est que nonseulement nous n’avons pas de garantie qu’il sera toujours possible de trou-ver un système de concepts qui puissent être coordonnés de façon univoqueaux événements réels, mais il se pourrait déjà que le seul système deconcepts que nous sommes en mesure d’utiliser pour décrire et expliquer lesévénements ne permette pas de désigner à chaque fois univoquement desévénements déterminés du monde réel. On peut, dit Schlick, décrirel’évolution du système solaire à l’aide d’une quantité innombrable d’énoncéshistoriques qui caractérisent les positions des planètes à différents moments.Mais on peut aussi désigner les planètes à l’aide du concept d’un quelquechose qui se meut selon certaines équations (ce qui revient à adopter unedéfinition implicite) et obtenir ainsi d’un coup déductivement, à partir deséquations, tous les énoncés désirés sur les positions passées et futures descorps célestes du système solaire. L’univocité signifie ici qu’une fois qu’unedescription mathématique déterminée a été assignée comme désignation àun état donné, considéré comme une condition initiale, une désignation dumême genre se trouve également assignée de façon univoque à n’importequel autre état, passé ou futur, du système. Or il se peut que nous soyonsobligés dorénavant d’adopter un système de désignations qui ne permet plusde calculer des événements précis, mais seulement des probabilités ou desfréquences d’occurrence pour des événements. Dans ce cas, le genre deconnaissance que nous pouvons espérer obtenir conserve quelque chosed’irréductiblement historique. La connaissance théorique ne peut pas rem-placer complètement le simple récit des événements, tels qu’ils se sont pro-duits ou se produiront. L’avantage principal que nous attendons d’un sys-tème de concepts mathématiques introduits par des définitions implicites etappliqués ensuite à la réalité, qui est de nous permettre de formuler desénoncés à propos de faits réels dont nous n’avons encore aucune expé-rience, est intrinsèquement remis en question, puisque nous ne pouvonsplus ni anticiper de façon univoque l’histoire future des événements, nireconstituer de façon univoque leur histoire passée.

Si l’on est contraint d’accorder un caractère statistique aux micro-loisultimes, le principe de raison suffisante ne peut plus être maintenu et celuide la compréhensibilité fondamentale et de la connaissabilité exhaustive dela nature ne le peut pas davantage : « Nous ne pourrions jamais, en principe,donner une raison suffisante pour ce qui arrive. Nous serions seulementcapables de dire, par exemple, que dans des circonstances particulières, dansune période particulière, un atome donné émet tant ou tant de fois enmoyenne un “quantum” d’énergie de radiation ; mais si nous devions nousdemander quelle est la cause qui fait qu’il rayonne précisément à un momentdéterminé, et non à d’autres, alors il n’y aurait aucune réponse à cela,l’événement individuel serait absolument sans cause. Le futur ne pourraitpas être déterminé exactement à l’avance, il ne serait justement pas déter-miné ; dans des limites plus larges, les événements seraient totalement contin-

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gents. Et cela serait vrai également pour les macro-événements, car ceux-ci,après tout, sont composés de micro-processus, et peuvent en fin de compteprendre un aspect tout à fait différent du fait de petits changements interve-nus dans les seconds. Qui plus est, d’une façon qui est exactement la même,comme on peut s’en rendre compte immédiatement, le passé ne serait pluscomplètement calculable à partir du présent. Le monde, en dernier ressort,serait livré au hasard. En conséquence, non seulement l’existence de lanature, dans sa configuration spécifique et avec ses lois particulières, devraitêtre considérée comme tout simplement sans raison et contingente, maisson évolution également serait un produit du hasard. En d’autres termes, nonseulement l’ontologique, mais également le nomothétique, non seulementl’être, mais également le devenir, cesseraient d’être strictement déterminés ;le vieux rêve d’une “formule du monde”, à l’aide de laquelle un Laplacepouvait espérer calculer tout état passé et futur du monde, pour peu qu’unseul état lui soit donné..., ce rêve serait définitivement mort » (Naturphilo-sophie, p. 460-461).

Dans bien des cas, nous ne pouvons pas indiquer de raison suffisantepour une détermination qui est de nature ontologique, pour ce qui est sim-plement, par opposition à ce qui arrive à ce qui est. Mais une fois que nousavons choisi un système de désignations scientifiques appropriées pourcaractériser les choses qui existent à un moment donné, nous avons deschances de réussir à savoir, au moins dans une certaine mesure, ce qui leurest arrivé jusqu’ici et ce qui va leur arriver, et de comprendre pourquoi. Orc’est justement cette distinction qui est en train de devenir inapplicable. Leprincipe de raison suffisante ne peut plus être appliqué même à ce qui arriveet à l’évolution qui en résulte pour les objets du monde réel.

Mais Schlick s’empresse d’ajouter, conformément à la position qu’il atoujours défendue avec la plus grande fermeté sur ce point, qu’il n’y auraitlà aucune raison de se réjouir pour ce qu’il appelle « les champions d’une“liberté de la volonté” métaphysique ». Car un effondrement complet dupoint de vue déterministe serait sûrement fatal à la liberté, puisqu’un événe-ment absolument contingent ne pourrait avoir pour cause aucune « volonté »et qu’une décision non déterminée, c’est-à-dire absolument contingente, dela volonté, signifierait l’abolition de toute responsabilité morale (ibid.,p. 461).Un degré plus élevé de fortuité ne pourrait signifier qu’un degré plus élevéd’irresponsabilité.

Au total, Schlick constate que ni l’axiome causal ni l’exigence d’unecompréhensibilité complète de la nature ne peuvent être considérés commedes présuppositions nécessaires et intangibles. Nous pourrions avoir debonnes raisons de consentir, à un moment donné, à les abandonner. Mais leprix à payer pour cela serait très élevé, et il faudrait, par conséquent, pourque nous le fassions, que la pression des faits devienne suffisante pour nenous laisser aucun autre choix. On peut remarquer qu’il y a, de façon géné-rale, sur ce genre de question, une similitude assez remarquable entrel’attitude de Schlick et celle d’Einstein.

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Page 16: Bouveresse_Déterminisme Et Causalité_sur Schlick Dans Naturphilosophie

Schlick caractérise la nouveauté principale qui a été apportée par lamécanique quantique comme ayant consisté à introduire la discontinuitédans les événements eux-mêmes. La discontinuité avait été introduitedepuis longtemps au niveau de la structure ontologique du monde par lebiais de l’atomisme. Mais on pensait jusque-là que les événements corres-pondent à des processus continus, d’une façon qui va de pair avec la conti-nuité qui est attribuée à l’espace et au temps. Or on peut dire que la révolu-tion quantique oblige à accepter l’idée d’une sorte d’atomisme desévénements eux-mêmes. On peut d’ailleurs considérer cela comme la vic-toire finale complète de Boltzmann, qui avait déjà utilisé en 1872 une procé-dure de quantification de l’énergie et avait en outre exprimé sa convictionque non seulement l’énergie, mais également le temps lui-même, pourraienttrès bien être structurés de façon atomique.

Pour le moment, cependant, on peut seulement constater qu’il y a unconflit fondamental, qui n’est pas seulement celui du continu et du discret,mais qui est beaucoup plus profond que cela : « La théorie quantique, d’uncôté, et la théorie “classique”, de l’autre, représentent manifestement deuxaspects différents de ce qui arrive dans la nature, et le font toutes les deux,jusqu’à un certain point, avec une perfection et une exactitude considéra-bles ; mais pour ce qui est de la question de savoir comment les deux aspectssont connectés l’un à l’autre, nous sommes encore, pour le moment, dansune obscurité profonde. Introduire la lumière dans cette obscurité est sansaucun doute la tâche première de la physique actuelle, et le problème nepeut être résolu que par la recherche empirique ; sans son aide, même le phi-losophe de la nature ne peut pas regarder au-delà. Il est possible que lathéorie quantique puisse supporter d’être incorporée à une théorie appro-fondie de la continuité ; mais c’est peut-être aussi la conception disconti-nuiste de la nature qui l’emportera. Il semble pour le moment, cependant,que des instruments de pensée tout à fait nouveaux soient nécessaires poursurmonter la difficulté ; ainsi, une modification encore plus radicale desconcepts d’espace et de temps pourrait fournir la solution » (ibid., p. 462).

Jacques BOUVERESSE,Professeur au Collège de France.

348 Jacques Bouveresse

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