Brasillach Robert, Lettre à Un Soldat de La Classe 60 (2012)

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  • Prface

    La Lettre un soldat de la classe 60 est un texte assez court crit par Robert Brasillach aprs quil se fut constitu prisonnier, au camp de Noisy-le-Sec o il fut transfr dabord, puis la prison de Fresnes.

    La Lettre un soldat de la classe 60 est date dans ses diffrentes parties. Elle a t commence au camp de Noisy-le-Sec dans les premiers jours de novembre 1944 et termine la prison de Fresnes le 31 dcembre. Rappelons dabord quelques dates qui figurent dans toutes les biographies de Robert Brasillach. Le jeune crivain tait cach dans une retraite quil a dcrite lui-mme dans le Journal dun homme occup. Il y apprit malheureusement larrestation de sa mre, prise comme otage. cette nouvelle, il dcida de quitter sa retraite, et, sans consulter personne, se rendit seul la Prfecture de police dans la journe du 14 septembre 1944. On larrta aprs quelque hsitation, on lcroua au Dpt, do il partit vers les premiers jours doctobre pour le camp de Noisy-le-Sec. Il resta peu de temps dans ce camp. Le Parquet dcida de hter linstruction de son affaire, le procureur gnral Andr Boissarie ayant spcifi que son dossier tait urgent et signal . On sait la signification de ces mots en octobre 1944 et leur consquence vraisemblable1. Il apparait donc que, par cette intervention, M. Andr Boissarie, catholique, membre du MRP2, magistrat improvis,

    1 Cest--dire un procs expditif, suivie dune condamnation trs lourde, souvent la peine de mort.

    2 Le Mouvement rpublicain populaire (MRP), fond en 1944, rassemblait les groupes dmocrates-chrtiens issus de la rsistance. Ce parti fut le grand vainqueur des

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  • porte une responsabilit importante dans lassassinat juridique de Robert Brasillach. Linculpation fut notifie ds le mois de novembre et Robert Brasillach fut aussitt transfr comme prvenu la prison de Fresnes.

    La Lettre un soldat de la classe 60 est une sorte de plaidoyer en rponse aux accusations qui remplissaient la presse nouvelle contre les ptainistes et les collaborateurs. ce titre, cest certainement une des premires rpliques cette campagne qui resta dabord sans rponse : car lorsque ce petit livre parut clandestinement, en juillet 1946, la Revue des questions actuelles3 de Ren Malliavin et le Combattant europen de Ren Binet4 nexistaient que depuis trs peu de temps5. Me suis-je tromp ? se demande lauteur ds les premires pages. Il rpond cette question qui faisait, cette date, le fond des objurgations adresses aux collaborateurs , desquels on exigeait premirement une auto-critique publique et solennelle. Et il y rpond en indiquant dj, dans cette esquisse dun testament politique, les principaux thmes qui seront dvelopps plus tard par les dfenseurs des positions mises en accusation.

    La premire partie indique les difficults que rencontra chez les Allemands eux-mmes la politique de collaboration, elle reconnait les fautes imputables aux Allemands, rejette sur la guerre elle-mme la responsabilit des atrocits commises des deux cts, et conclut sur les services rendus au pays par lacceptation de cette politique.

    lections de 1945 avec le Parti communiste avec lequel il constitua le gouvernement (en compagnie du Parti socialiste).

    3 Le mensuel Questions actuelles, fond en 1944, deviendra rapidement Les crits de Paris, sous-titr, revue des questions actuelles . Ren Malliavin fonda quelques annes plus tard Rivarol, lhebdomadaire de lopposition nationale et europenne .

    4 Militant venu du communisme et du trotzkysme, Ren Binet (1913-1957) rallia le national-socialisme et s'engagea dans la division de la Waffen SS franaise, la Division Charlemagne durant la guerre. Il poursuivit la lutte, aprs la dfaite de 1945, dans diffrentes structures (Parti rpublicain d'unit populaire, Forces franaises rvolutionnaires, Mouvement socialiste d'unit franaise, Mouvement social europen, avec Maurice Bardche, Jeune nation) et diffrents journaux (Le Combattant europen, reprenant lorgane dirig durant la guerre par Saint Loup, Le Nouveau Promthe).

    5 La Lettre Franois Mauriac qui porta la discussion devant une large fraction de lopinion publique ne fut publie quun an plus tard, en juin ou juillet 1947 [Note de Maurice Bardche].

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  • Ce sont les lments dune argumentation devenue classique. Les phases de lvolution de Brasillach indiques par lui-mme sont dune application moins gnrale : elles sont prcieuses pour fixer exactement les nuances de sa raction au national-socialisme. Au dbut, nous dit-il, il est seulement un curieux de lAllemagne davant-guerre. Cest lpoque o il dcrit le Congrs de Nuremberg dans un article de la Revue universelle : Cent heures chez Hitler , dont nous aurons parler dans la Notice qui prcde Notre avant-guerre : curiosit sympathique, si lon veut, mais non ferveur de militant. Curiosit de nationaliste qui pense au parti que son propre pays pourrait tirer dun rveil analogue. Puis vient lpoque de Montoire. Aprs le choc de la dfaite, Brasillach accepte la politique de collaboration mais il laccepte toujours dans la mme optique nationaliste, il laccepte comme une politique ncessaire, cest un collaborationnisme de raison . Mais lorsque lenjeu de la lutte sagrandit, quand lAllemagne apparait comme le dfenseur de toute lEurope contre la marche en avant du communisme, alors Brasillach dpasse le nationalisme qui avait dict ses prcdentes ractions, il comprend la gravit, limportance pour toutes les nations dEurope du sacrifice de la jeunesse allemande et, au-del du nationalisme, la rconciliation sincre de la France et de lAllemagne lui apparait comme la seule politique de lavenir. Enfin, je crois quon ne comprendrait pas compltement lattitude de Brasillach lgard de lAllemagne si je ne disais pas que les mois qui ont vu lcroulement de lAllemagne sont peut-tre ceux qui ont le plus compt dans lvolution de ce sentiment. On ne peut se tromper au ton de certaines phrases de la Lettre. Cest ladmiration pour lnergie dploye par lAllemagne devant la dfaite, lorsquelle est aux prises avec les deux normes fronts dinvasion qui se resserrent sur elle, cest sa dfaite wagnrienne, ses souffrances et son martyre qui, aux yeux de Brasillach, effacent les fautes et les dceptions de la Collaboration ; et cest la fois en nationaliste et aussi en admirateur de la tnacit et de lhrosme allemands quil conclut par un mot, cette date, prophtique : Il faut avoir avec soi ce peuple tonnant. Si nous ne le comprenons pas, Angleterre ou Russie le comprendront.

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  • La mise au point que fait Robert Brasillach sur le fascisme ne mrite pas moins de retenir lattention. Il comprend ce mot, bien entendu, dans le sens gnral que lui donne le vocabulaire politique franais, sans rfrence particulire au fascisme italien. Et, cette occasion, jugeant au passage le fascisme italien, il prend ses distances son gard par des phrases particulirement svres : Une uvre de vingt ans extraordinairement caduque... Notre fascisme, ce nest pas lItalie. Sur le national-socialisme, aucun jugement en ralit, omission assurment volontaire. On relve toutefois un vu remarquable qui contient secrtement une critique : celui dun fascisme tolrant, ouverture elle aussi intressante sur lavenir, puisque ce vu devait se rencontrer avec lvolution naturelle du no-fascisme daprs-guerre. Aucune rfrence aux atrocits allemandes, lacune dont on ne stonnera pas puisque ces pages sont dates du milieu de novembre 1944 et quelles sont, par consquent, antrieures lpoque o les journaux firent connatre la dcouverte des camps de concentration6.

    Quest-ce donc, pour Robert Brasillach, que le fascisme ? Il ne rpond pas plus nettement cette question que dautres ne devaient le faire plus tard. Il est clair quil reste tranger, comme nous avons pu le constater maintes fois, toute notion dune internationale fasciste, et mme quil reste trs rserv devant lide dune politique commune aux fascistes des diffrents pays : il ne dpasse pas le sentiment dune fraternit des fascistes au-del des frontires, sentiment que son motion profonde lors de lassassinat de Codranu en Roumanie ou de Jos-Antonio en Espagne ne permet gure de nier. Mais il sarrte l, une lettre quil crivit Lucien Rebatet, au moment de la rupture Je suis partout, en tmoigne assez clairement.

    Le fascisme nest donc pas pour Brasillach une doctrine (rien ne lennuyait autant que les doctrinaires ou les prtendus penseurs politiques, je ne crois pas devoir le cacher), encore moins un principe capable de se substituer au nationalisme ou mme simplement de proposer un ordre nouveau applicable toutes les nations.

    6 Ce nest pas tout fait vrai puisque Robert Brasillach semble stre laiss prendre aux mensonges de la propagande de guerre des Allis et dIsral (notamment le passage du 6 novembre).

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  • Ce quil retient du fascisme, cest surtout une certaine coloration de lnergie nationale, une certaine manire moderne de la ressusciter, cest limage quil sen tait fait avant la guerre et qui trouve son expression la plus complte dans Les Sept Couleurs. Et cest ce roman quil renvoie manifestement quand il reprend les termes mmes dont il se servait cette date : Le fascisme, il y a bien longtemps que nous avons pens que ctait une posie, et la posie mme du XXe sicle (avec le communisme sans doute). Je me dis que cela ne peut pas mourir. Les petits enfants qui seront garons de vingt ans, plus tard, apprendront avec un sombre merveillement lexistence de cette exaltation de millions dhommes, les camps de jeunesse, la gloire du pass, les dfils, les cathdrales de lumire, les hros frapps au combat, lamiti entre jeunesses de toutes les nations rveilles, Jos-Antonio, le fascisme immense et rouge . Et il termine en reprenant le mot de Notre avant-guerre : Le fascisme, notre mal du sicle .

    Cette conception potique et motive du fascisme, Paul Srant na pas tort la dfinir comme un romantisme fasciste . Elle a t, jen suis convaincu, un enthousiasme de fraternit ressenti par beaucoup cette poque : un sang nouveau qui rveillait de trs anciennes croisades. Et javoue que je ne suis pas spcialement indign quon refuse parfois Brasillach le titre de penseur politique : il ne let assurment pas brigu. Cest la sensibilit et un certain instinct de la grandeur et de la force qui lont attir vers le fascisme. Cest la raison et le dsir de servir qui lui ont fait accepter la politique de collaboration. Ce sont deux dmarches trs diffrentes. Et, si lon tient absolument ramener une inspiration unique ces deux mouvements qui relvent lun de la sensibilit et lautre de lintelligence, je ne trouve pour les expliquer tous les deux que le dsir de voir son pays puissant dans la paix et pargn dans la dfaite. Cest ce quon comprendra peut-tre un jour, quand les esprits seront apaiss.

    Maurice Bardche

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  • Lettre un soldat de la classe 60

    Mon cher garon,

    Est-ce une lettre que jai commence ici, ou des notes sans grande suite ? Il me semble que cest une lettre, puisque chaque ligne que jcrivais je voyais le visage dun petit garon de quatre ans, qui est n lorsque les troupes allemandes dbarqurent en Norvge, prlude de la grande offensive de 1940. Jusqu prsent il na rien connu de la paix. Il a pass ses jours sous loccupation allemande tout dabord, puis sous loccupation amricaine. Il est descendu la cave pendant les alertes, il a su ce qutaient les bombardements, les paysages de gares bouleverses, le bruit des mitrailleuses davion. Il croyait encore il y a quelques mois que le drapeau franais ctait le drapeau blanc, parce quil lavait vu flotter sur les camions de ravitaillement qui espraient ainsi viter les bombes amricaines. Il connaissait les chansons des soldats allemands. Il ignore ce quest une banane, une orange, un clair au chocolat. Il a subi lexode de 1940, et il a quitt son logis en 1944. Il sait que sa maison a t prise. Quand on linvite aller jouer, bien quil soit trs gai, il trouve un prtexte ingnieux et grave sil nen a pas envie : Je nai pas le temps, mon papa est en prison . Car il a vu en prison son pre, ses oncles, sa grand-mre, son parrain. Tel est le petit garon auquel je pense.

    Il aura vingt ans en 1960. En argot de larme, cela sappelle la classe 60. Je ne puis esprer quil ne connatra pas le service militaire et toutes ses sottises. Et le monde est si fou quil connatra

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  • sans doute de surcrot dautres bouleversements, peut-tre plus vastes que les ntres. ce moment, ce que jcrivais Fresnes seize ans auparavant aura-t-il quelque intrt ? Le fascisme, la France et lAllemagne seront-ils encore des lments de lunivers mme hypothtique ? Je nen sais rien. Lexprience dailleurs ne sert pas grand-chose quand on la fait soi-mme, et rien quand les autres la font. Nimporte. Cest en pensant ce petit garon qui sera un jour un soldat de la classe 60 que jcris ces pages propos de la guerre, et au milieu dune prison.

    5 novembre 1944. Je nai, je crois bien, jamais tenu de journal de ma vie, except, par intermittence, aux environs de la quinzime ou dix-septime anne. Lorsque jtais en captivit en Allemagne je voyais des camarades, que rien visiblement ne prdisposait ce genre dexercice, noter pieusement, chaque jour, ce que la monotone vie du camp leur apportait, et jusquaux arrivages de la cantine. Je nai eu, ce moment-l, ni lintention ni le got de les imiter. Et pas davantage Noisy-le-Sec, le camp dinternement o jai pass un mois, du 15 septembre au 15 octobre, cette anne, et o jai retrouv quelques images assez proches de celles que mavait fournies ma captivit militaire. Mais ici, dans cette cellule o nous vivons trois, en attendant le jugement, les notes btons rompus, ou les pomes, sont sans doute le seul moyen de distraire du vide des journes, et de voir un peu clair.

    Je commence donc ces lignes, par un aprs-midi de novembre, bien clair et bien doux dans la cellule 344 de la Premire division, la prison de Fresnes. Comme je nai pas de porte-plume, jai enfonc une plume dans le tuyau de ma pipe. La fentre est grande ouverte, et, travers les barreaux, japerois la campagne rousse de lautomne, la ligne des collines, le lyce Lakanal au loin, et le parc de Sceaux. En me penchant, je sais que je puis distinguer la tour Eiffel travers la brume, et les bruits qui me parviennent sont ceux dun match de football au stade de La Croix-de-Berny. Il y a trois semaines que la voiture cellulaire ma amen ici.

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  • Jaurais pu et jy ai quelquefois song mettre en ordre des penses de caractre gnral, sous la forme de rflexions politiques ou morales sur les annes que nous venons de vivre. Mais tant dordre et tant dabstractions ne conviennent pas tout fait mes habitudes. Les ides ne naissent pour moi que dans le contact avec les ralits encore terrestres, toutes proches de ce que jai senti et vcu. Les personnes qui rentrent le soir coucher dans leur lit, et non sur cette paillasse pose mme le plancher, sous la fentre, ont lhabitude de dire que des asiles comme celui o je vis en ce moment sont des lieux de retraite, o il est bon de mditer. Je nai pas mditer, me semble-t-il, je nai rien apprendre de ces retraites : mais elles sont un fait, que je nai pas la possibilit de rejeter. Autant, ds lors, en profiter. Je prfre seulement le faire en dsordre, sous cette forme de notes, ou de lettre crite en plusieurs jours, et non sous la forme de quelque trait, dont je ne me sentirais franchement pas capable. Peut-tre un jour pourra-t-on publier les pomes que jai crits en prison. Mais ces pages, il faudrait pour les publier une libert dexpression que je ne vois point natre de sitt. Elles devront attendre leur destinataire vritable, le soldat de la classe 60.

    Pour ma part, je pense donc comparatre dans peu de jours devant des juges dont il me faut avouer que la qualit morale ne me frappe pas. Les jurs sont choisis parmi des partisans, ce qui na jamais t une forme de lgalit bien rgulire, de pauvres bougres convaincus que jai fait torturer les leurs, massacrer leurs frres, brler leurs maisons. Je les mprise beaucoup moins que lavocat gnral, le prsident, magistrats qui ont prt serment, comme fonctionnaires, au gouvernement du marchal Ptain, qui taient prts requrir contre les communistes sils en avaient reu lordre. Cest le cas, je crois, de certains juges daujourdhui. Pauvres sires tremblants pour leur avancement, et prts sacrifier avec allgresse la vie dun jeune homme de vingt-deux ans cela vient de se voir au risque de ne pas gagner, par une promotion au choix, mille francs de plus par mensualit. Mais toutes ces lchets et toutes ces incomprhensions runies, cela fait la Socit, la Socit avec un grand S, celle quinjurient les anarchistes au seuil de lchafaud.

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  • Cest la premire fois, en somme, que je rencontre la Socit, avec tout son attirail de Moyen Age, ses huissiers, ses chanes, ses gardes, ses hermines, ses toques et ses robes. Le moment vaut la peine quon sy arrte. Et puis, la Justice, cest un beau mot, la Justice, cest six mille ans derreurs judiciaires. Cest la Justice aprs tout qui a condamn Socrate et le Christ, et Andr Chnier, et on se surprend des assimilations bien peu modestes quand on y songe : mais il faut avouer quil ny a aucune institution humaine avoir accumul daussi imposantes erreurs, car la Guerre, elle, au moins, est inconsciente dans ses meurtres. Cela ne rend pas peu fier de sapprocher de cette Justice qui soudain va nous consacrer du seul sacrement quelle puisse accorder, celui de lImbcillit. Mais elle est l, quoi quon en pense, avec sa certitude au front et sa frousse au cur, et cest bientt que je vais sauter le pas.

    On va donc requrir sans doute contre moi la peine de mort pour intelligences avec lennemi et pour trahison. Je devrais avoir quelques remords, ou tout le moins de linquitude, me demander si je ne me suis pas tromp, je parle de la seule erreur qui compte, lerreur de direction, car on a toujours droit aux erreurs de dtail sur les hommes ou sur les faits. Je suis bien oblig de mavouer moi-mme, comme tous autres, que je nprouve pas de remords, mme pas dinquitude. Je me sens le cur pur, mme si jai err en quelques matires. Mme en me forant, je narrive point me donner lapparence de la moindre attrition. Je nai pas souvenance, en cette heure quil me faut bien, sans littrature qualifier de totale sincrit, davoir jamais trahi mon pays, ni tent en quelque manire de le faire. Mais je ncris pas ces pages pour me dfendre, je les cris pour dire ce que je pense en ce moment, ce qui nest pas la mme chose. Moi qui me suis toujours pench sur mon pass avec une infinie condescendance, jessaie ici de regarder le prsent, et peut-tre mme lavenir, sinon pour moi, du moins pour ceux qui me liront, pour toi qui pourras me lire, si ces pages te parviennent, dans seize ans.

    6 novembre. Il ne me semble pas quil sagisse de moi dans cette aventure. Tu peux trouver dans ce sentiment de la navet et un optimisme plein dillusions. Jimagine que le voleur ou lassassin ne se reconnaissent pas, non plus, dans labstraction du Vol,

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  • labstraction de lAssassinat, que leur prsente le code. Moi qui ne me reconnais pas dans labstraction du Tratre que lon me tend, je ne puis qutre indiffrent toute cette comdie. Cest par raisonnement quil me faut me convaincre que je joue ma tte, selon lexpression consacre. Et jaime la vie autant que quiconque, jaime le souvenir de ma jeunesse qui nest pas si lointaine, mes amis, les miens, les plaisirs innombrables de la vie. Tout cela, si je devais le quitter, jen aurais un regret immense. Je ne vois pas dans ce regret, toutefois, une raison pour mattrister davance, pour me faire quelque souci. Je suis assez fataliste pour accepter ce qui vient.

    Le sentiment de la mort devrait mtre plus prsent dans les moments que je vis quil ne la jamais t. Je sais bien que ne suis encore pas dans lattente du jugement. Mais cette mort si menaante, dont vraisemblablement je devrais minquiter ou ces formes de mort plus lente que sont dautres condamnations, je puis dire sans forfanterie aucune que je ne men trouble pas, et que je nen perds pas le sommeil. Je suis inquiet des inquitudes quelle donne des tres qui me sont plus chers que tout, et si jai de lamertume et du chagrin, du chagrin au bord des larmes, cest en pensant surtout aux petits qui sont dans ma maison, ces petits enfants de ma sur qui me rappellent ce que nous fmes, ma sur et moi, dans notre enfance, parce que je me dis quils moublieront, et que mon visage dj doit sestomper pour eux. Mais ensuite, je me dis quil ny faut plus penser, et quant aux tres chers qui ne sont pas des enfants, je sais bien que rien, mme pas la mort, ne pourra me sparer deux dans mon cur. Alors, je vis avec tranquillit de cette vie provisoire qui est la mienne, et je mtonne mme de contempler parfois des visages dfaits par la peur.

    Me voici donc en tout cas inculp de trahison pour avoir voulu, en temps de guerre, une entente avec lAllemagne qui occupait mon pays. Je sais toute labsurdit de ce procs, son injustice. Je nai pas envie de rpter ici pour moi les pauvres arguments lgaux, si justes pourtant, que nous dirons tous au tribunal. Que larmistice du 25 juin 1940 ait t salu par la quasi-unanimit des Franais avec un soulagement indicible et parfois par les manifestations dune joie inconvenante, que le gouvernement du marchal Ptain ait t accept par tous,

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  • reconnu par toutes les puissances trangres, y compris le Vatican, les Soviets et les tats-Unis, proclam par lAssemble constituante, que ce gouvernement ait annonc lui-mme quil se dcidait entrer dans la voie de la collaboration ce sont aujourdhui des choses qui ne comptent point. Je me suis cependant toujours senti assez lgaliste, jai tenu la guerre pour relle quand elle avait lieu, avec toutes ses obligations, je lai juge termine quand on la proclame termine. Et je me suis mis regarder lAllemagne. Ctait un spectacle passionnant.

    Je sais bien les erreurs quon peut lui reprocher, les fautes quelle a commises. Les unes sont dordre politique, et seule lhistoire pourra les numrer avec vrit. Nos adversaires ne croiraient mme pas certaines dentre elles, se refuseraient par exemple penser que la Lgion franaise contre le bolchevisme ait t combattue par certains Allemands, comme donnant trop de place la France dans lhypothse dune victoire germanique. Ce nest en tout cas un secret pour personne quil y a toujours eu lutte en Allemagne, et cest assez normal, entre ceux qui voulaient une rconciliation europenne et un ordre nouveau, et ceux qui dsiraient assurer la puissance de leur pays par une guerre imprialiste de style classique, divisaient pour rgner, se refusaient donner des assurances sur lavenir des peuples occups, et faisaient ainsi natre cette grandissante hostilit lgard de loccupant qui tait devenue universelle en Europe. Les autres fautes sont de caractre plus frappant pour le public, et on ne saurait sen expliquer ouvertement avec quelque chance dtre cout. La dernire anne de lOccupation dans un pays soulev par la propagande allie, la longueur de la guerre et cette malheureuse rquisition des hommes qui a t, mon avis, la faute majeure de lAllemagne, cette anne a t lanne des reprsailles les plus dures, dont les villages brls de Dordogne et de Corrze, et les tragdies dAscq et dOradour sont les plus clbres exemples. Jai toujours eu horreur de la politique dotages, horreur de toute responsabilit collective, notion que je trouve barbare et mme juive. Mais je suis bien oblig de convenir que si inexcusables que soient les actes accomplis par certains chefs militaires (celui dAscq, qui massacra tous les hommes du village, fut, dit-on, fusill),

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  • ils se sont produits dans des pays soulevs, o lon assassinait chaque jour et les soldats allemands et des Franais parfois sans nuance politique dfinie. Des innocents ont cruellement pay, dune manire abominable, pour des crimes dont on ne parle pas aujourdhui, mais qui furent trs rels. Et il faut convenir encore que les tragdies de la dernire anne ne sont lapanage daucun peuple : les Anglais dans la guerre des Boers, il y a quarante ans, ont invent les camps de concentration pour les femmes et les enfants et brl les villages, et les Franais, en 1925, ont procd la rpression des troubles dIndochine aprs la rvolte dYen-Bay avec un luxe de brutalits et mme de tortures sur lequel les crivains communistes nous ont laiss des rapports dont il est impossible de douter. Je lisais justement au mois de septembre, en mme temps que dhorrifiques dtails, dans la nouvelle presse, sur les crimes allemands , un livre dAndre Viollis, prfac par Malraux, qui racontait les procds de la police de Sagon. Les deux rcits avaient lair calqus lun sur lautre, et ne mont pas inspir grand amour pour les polices, quelles quelles soient. Quand les Amricains sont entrs en Alsace, eux aussi ont pris des otages quand ils ont eu subir des attentats. La guerre est un mal abominable, parce quelle donne, ici et l, des pouvoirs absolus des individus soudain dchans. La cohabitation des Franais et des Allemands sest termine ainsi par une suite de tragdies, assassinats de partisans, reprsailles atroces, qui donnent cette guerre son aspect de guerre du XVIe sicle. Cela na pas aid les peuples se comprendre. Et il faut y joindre, coup sr, lampleur des mesures antijuives. Je suis antismite, je sais par lhistoire lhorreur de la dictature juive, mais quon ait si souvent spar les familles, jet dehors les enfants, organis des dportations qui nauraient pu tre lgitimes que si elles navaient pas eu pour but, nous cach, la mort pure et simple, me parat et ma toujours paru, inadmissible. Ce nest pas ainsi quon rglera le problme juif. Jajoute que si ces mthodes ont ajout au discrdit passionnel de lAllemagne en France, lantismitisme restera nanmoins dsormais ancr dans le peuple franais, et que le retour des Juifs ne sera srement pas vu dun bon il. Ce nest l, dans le dsaccord franco-allemand, quune affaire qui ne nous regarde pas directement. Et les vrits de lantismitisme ne seffaceront point.

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  • Voil, bien honntement exposs, bien que grosso modo, quelques-uns des griefs quun nationaliste peut avoir contre lAllemagne. Au moment de lOccupation, nous ne les avons pas dailleurs tous connus, et ensuite on a brod sur cette occupation des dtails imaginaires, avec un mpris total de la vrit. Les petits enfants des coles apprendront plus tard, je my rsigne, que pendant quatre ans sans discontinuer les Allemands fusillaient les Franais au coin des rues, alors que beaucoup de Franais ne se sont mme pas aperus, pour ainsi dire, de lOccupation, et quun certain nombre de ceux qui lui taient le plus hostiles en paroles se sont largement enrichis son contact. On crira peut-tre cependant un jour la vrit sur ces annes si curieuses, et jespre que la passion ne les dformera pas trop. Loccupation est toujours pnible un orgueil national, et elle entrane toujours des fautes : mais il faudra bien rendre cette justice lAllemagne que pendant trois ans au moins, cest--dire avant le dveloppement de la guerre civile, et dans la plupart des lieux, cette occupation fut au minimum correcte dans ses formes, dans ses rapports avec la population, mme si certaines mesures dordre gnral ntaient pas adroites.

    En tout cas, ce qui me proccupe aujourdhui, ce nest pas lexpos historique de ce qua t rellement loccupation, cest ce que lavenir pensera des problmes de coexistence quelle a poss. Or, quelles quaient t les fautes de lAllemagne (et je nai pas parl ici des fautes de la France), elle demeure un grand pays au centre de lEurope, dont les qualits minentes nous ont t dfinitivement rvles, au milieu de ses dfauts. Je nai pas t toute ma vie un ami de lAllemagne. Maurrassien, donc traditionnellement lev dans la dfiance lgard de ce peuple, ignorant de sa langue et presque de sa littrature, connaissant mal son histoire et ses arts, pour ainsi dire pas son sol, et de surcrot non-musicien, elle navait rien en principe pour mattirer. Mes gots me portent beaucoup plus vers les pays du soleil, vers lEspagne ou vers lItalie, et jai pour la littrature anglaise ladmiration la plus totale et la plus mue. Jai t dabord un simple curieux de lAllemagne davant-guerre, de sa renaissance, de ses mythes, de la posie national-socialiste avec ses ftes gantes et son romantisme wagnrien. Jai t ensuite un collaborationniste de raison, me disant que cette querelle devait enfin cesser,

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  • qui depuis tant de sicles envoyait la mort tant de jeunes gens. Et petit petit, je suis sans doute all plus loin. Je sais bien quil est maladroit de le dire, puisque cette volution se produisait au moment prcis o loccupation devenait plus dure, mais je ncris pas ces pages pour tre adroit. mesure que le mythe de la Collaboration devenait plus indistinct, que la rconciliation devenait plus difficile, que les fautes saccumulaient de part et dautre, je contemplais avec une nostalgie de plus en plus grande ce qui mavait paru ncessaire, et je me disais quil faudrait bien un jour, vaille que vaille, reprendre la tche. Des journalistes mont reproch avec horreur davoir crit un jour dans un article que, pendant ces quatre ans, les plus lucides dentre nous ont tous plus ou moins couch avec lAllemagne, et que le souvenir leur en restera doux. Jaurais pu leur rpondre, si jen avais eu la libert, que cest l prcisment une phrase de rupture amoureuse, et ce que lon crit quand tout est fini, et quil reste le regret et la courtoisie. Mais cette rupture entre la France et lAllemagne, qui tait un fait indniable au printemps de 1944, je ne voulais pourtant pas la considrer comme dfinitive. Dautres reprendront, peut-tre sous dautres formes, cette rconciliation qui a t le songe de tant desprits dissemblables, et je me dis que mme le gnral de Gaulle crivait en 1934, donc aprs Hitler, quon se prenait rver aux grandes choses que les deux peuples pourraient faire ensemble . Dans ces annes o elle a t dure pour les autres, lAllemagne a montr quelle acceptait pour elle, avec la mme duret, les coups quon lui portait. Elle aura prouv, et surabondamment, sa vitalit, son gnie dadaptation, son courage, son hrosme. travers ses villes brles par le phosphore, tout un peuple sest raidi et dans les pays conquis dont le dlogeait la puissance amricaine ou russe le combattant allemand a lutt, assig, avec cette nergie du rprouv que quelques-uns ont reconnue quand ils avaient lme loyale, et que Thierry Maulnier a salue dans un article qui lui fait honneur, quelques jours aprs la chute de Paris. Toutes ces vertus, il est impossible quelles soient perdues jamais. Elles font partie du trsor commun de notre civilisation. Comme lcrivait Alfred Fabre-Luce dans le livre tonnant qui lui a valu la prison allemande avant de lui valoir la prison de la Rsistance :

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  • Ils seront vaincus par le nombre et par largent, mais nous ne devrons pas oublier ces annes de tte--tte .

    Jcris ces lignes parce que jen suis convaincu encore aujourdhui. Parce que je pense que la tche manque par la gnration de 1918, puis par celle de 1940, il faudra bien la reprendre un jour, et que cette tche demeure celle de la rconciliation franco-allemande, cest--dire la tche de la paix. Parce que je pense toujours avec amiti ceux des Allemands que jai connus, et qui en sont convaincus, et singulirement mon ami Karl Heinz Bremer7, tomb en mai 1942 sur le front de lEst. Parce que je crois que cela peut se faire sans reniement de nous-mmes, ni de nos morts, ni du mal injuste que nous nous sommes fait mutuellement. Et il faudra bien en arriver l. Est-ce vrai, cher garon de la classe 1960 ?

    10 novembre. Puisquil se trouve que ces notes constituent dabord, peut-tre un peu par hasard, un examen politique, je les continue en recherchant ce quil peut rester dans lavenir de ce que nous avons nomm le fascisme. Je laisse ce mot en moi-mme lensemble dides et plus encore de mythes que nous avons nomm ainsi, et qui na pas toujours beaucoup de rapport avec le fascisme italien. Le fascisme italien, cest une uvre de vingt ans, extraordinairement caduque. Un homme de gnie, malgr ses erreurs, Mussolini, a essay de ptrir le peuple italien selon une image romaine ; il a assaini des marais, trac des routes, redonn une dignit apparente des gens qui en manquaient parfois, bris le dsordre rvolutionnaire naissant. Mais il a eu le tort de vouloir faire la guerre un peuple qui ne voulait pas de cette guerre (et qui sentait, en outre, combien la guerre contre la France tait injuste),7 Karl Heinz Bremer (1911-1942) tait un jeune et brillant historien allemand. lissue

    de ses tudes, il enseigna notamment La Sorbonne et lcole Normale Suprieure. son retour en Allemagne, il sengagea au sein du parti national-socialiste.

    Il revint en France lors de lOccupation, co-dirigea lInstitut allemand de Paris et travailla pour lambassade dAllemagne Paris. Une grande amiti naquit entre lui et Robert Brasillach. En combattant national-socialiste, Karl Heinz Bremer rejoignit le front de lEst ; il tomba au combat le 2 mai 1942. Henry de Montherlant, dont il traduisait les uvres, lui rendit hommage dans le journal de lInstitut allemand (Deutschland-Frankreich. Vierteljahrsschrift des Deutschen Instituts Paris), Souvenirs sur Karl Heinz Bremer .

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  • et il a eu le tort, je crois, de dvelopper lexcs lappareil policier et bureaucratique. Tout sest croul en quelques semaines. Il en restera un souvenir prestigieux, mais je ne crois mme pas que pour lItalien futur le souvenir de Mussolini sera exaltant, dynamique, engendrant de nouvelles nergies. Ou pas plus que celui dun Mdicis, par exemple. Il naura pas, me semble-t-il, les possibilits de renaissance dun Napolon ou dun Hitler. Cela, parce quil aura voulu aller trop loin pour son peuple, ce peuple italien charmant et dlicat dans ses classes artisanales et paysannes, le plus souvent insupportable dans sa bourgeoisie. Notre fascisme, ce nest pas lItalie.

    Le fascisme, il y a bien longtemps que nous avons pens que ctait une posie, et la posie mme du XXe sicle (avec le communisme, sans doute). Je me dis que cela ne peut pas mourir. Les petits enfants qui seront des garons de vingt ans, plus tard, apprendront avec un sombre merveillement lexistence de cette exaltation de millions dhommes, les camps de jeunesse, la gloire du pass, les dfils, les cathdrales de lumire, les hros frapps au combat, lamiti entre jeunesses de toutes les nations rveilles, Jos Antonio, le fascisme immense et rouge. Et je sais bien que le communisme a lui aussi sa grandeur, pareillement exaltante. Peut-tre mme dans mille ans confondra-t-on les deux Rvolutions du XXe sicle; je ne sais pas. Dans la Rvolution fasciste, on maccordera que la nation a eu sa place plus violente, plus marque, et cest aussi une posie que la nation. Tout cela peut tre vaincu par le libralisme apparent, le capitalisme anglo-saxon, cela ne mourra pas plus que la Rvolution de 89 nest morte au XIXe sicle malgr le retour des rois. Et moi qui ces derniers mois me suis si fortement mfi de tant derreurs du fascisme italien, du nationalisme allemand, du phalangisme espagnol, je ne puis dire que je pourrai jamais oublier le rayonnement merveilleux du fascisme universel de ma jeunesse, le fascisme, notre mal du sicle.

    Dans une confrence que jai faite en janvier dernier des tudiants protestants qui mavaient demand de leur parler (je me souviens que ctait le dernier jour du mois, le jour de la mort de Giraudoux, dont je leur ai lu des pages) jai essay de leur expliquer

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  • que le rgime idal serait celui qui concilierait les ides de grandeur, de socialisme national, dexaltation de la jeunesse, dautorit de ltat qui me paraissent incluses dans le fascisme, avec ce respect de la libert individuelle qui est lapanage incontest de la Constitution anglaise (libert qui est souvent bafoue aux tats-Unis par exemple). Car il est vident que, sans croire aux romans-feuilletons que lon nous racontait sur lopinion en Allemagne et en Italie, la libert individuelle y tait chaque instant restreinte. Et la guerre nous aura appris avec quelle ampleur ces restrictions peuvent tre conduites. Arrestations arbitraires, prolonges des mois parfois sans lombre dune raison, non-jugement, internements, etc., se sont succds au point que nous pensions avec mlancolie cet adage de la Grande Charte, si je me souviens bien, qui veut que nul ne soit arrt plus de vingt-quatre heures sans tre soumis son juge. Ce ntait pas lapanage de lAllemagne. La Rpublique franaise avait parfois pratiqu ce mpris de la libert, surtout en temps de guerre, et le rgime de la Libration en 1944 aura commenc par remplir les prisons et les camps de 300 000 Franais. Il nen reste pas moins que le fascisme aura eu son passif une dictature policire souvent lourde. Cinq ans aprs la guerre dEspagne, les camps dinternement sont encore pleins chez Franco, et cela a eu beau tre excus ou expliqu par les menaces constantes de renouveau de la guerre, un tel tat de choses nen est pas moins incompatible avec un apaisement.

    Je veux donc tre franc avec le fascisme, dire ce que nous ne savions peut-tre pas avant la guerre, parler de cette nostalgie de la libert que le tte--tte avec lui nous a donne. Mais il nen reste pas moins que sa posie extraordinaire est proche de nous, et quil demeure la vrit la plus exaltante du XXe sicle, celle qui lui aura donn sa couleur. Ce que nous lui reprochons par souci de la vrit vient tantt dinsuffisances nationales, tantt derreurs passagres, tantt de conditions de vie difficiles, tantt de la guerre elle-mme (et dans ce cas les dmocraties ont commis les mmes erreurs, si erreurs il y a). Mais sa chaleur, sa grandeur, son feu merveilleux, cest ce qui lui appartient. Un camp de jeunesse dans la nuit, limpression de faire corps avec sa nation tout entire, linscription la suite des hros et des saints du pass, une fte totalitaire,

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  • ce sont l des lments de la posie fasciste, cest ce qui aura fait la folie et la sagesse de notre ge, cest, jen suis sr, ce que la jeunesse, dans vingt ans, oublieuse des tares et des erreurs, regardera avec une sombre envie et une nostalgie ingurissable.

    12 novembre. Jimagine parfois que dans la vie dun peuple tout est utile, et surtout tous les hommes peuvent tre utiles. Cest un optimisme un peu excessif, et tout au fond apparent celui du Leibniz de ma classe de philosophie et sa parabole du meilleur des mondes possibles. Lhistoire dit que Clemenceau a pu tre accus dtre un agent de lAngleterre, et un destructeur de toutes les forces nationales, avant dincarner pendant quelques mois la rsistance mme de la patrie menace (et il est vrai quil prsida ensuite une paix de la plus rare stupidit). Jimagine que dans la mesure trs relative o lhistoire est impartiale, elle reconnatra plus tard, sans aucun doute, le rle minent quont jou les hommes de la Collaboration . Je ne parle mme pas de ceux qui ont jou double jeu, je parle essentiellement de ceux qui ont jou franc jeu. Sans leur existence, sans le mince rideau de collaborationnistes dress entre loccupant et un pays vite sourdement rvolt, il ny aurait pas eu de vie possible non seulement pour lensemble de la France, mais mme pour cette France antigermanique qui prit le pouvoir dans lt de 1944. Un pays, ce nest pas pour moi une ide, cest une ralit de chair, ce sont ses hommes, ses femmes, ses enfants, et ses terres. Sans larmistice, on sait bien quil y aurait eu cinq millions de prisonniers au lieu de deux millions dont la moiti tait rentre au bout de deux ans. Sans la collaboration affiche, il y aurait sans doute eu beaucoup plus vite les rvoltes, le terrorisme, les francs-tireurs, donc des rpressions de plus en plus dures, et un pillage mthodique des richesses. Nos adversaires pourront ricaner, produire des listes de morts, parler de la mainmise conomique. Admettons mme tous leurs dires : qui ne voit que le mal et t dcupl sans le collaborationnisme ? Et je ne veux pas dire par l quil a t seulement la politique du moindre mal . Il a protg la vitalit de la France, et labri de son ombre la Rsistance elle-mme a pu vivre, prosprer, sans, bien entendu, que nous layons voulu. Nous ne lavons voulu que dans la mesure o nous avons dsir protger le sang et le sol franais, mme ennemis de nos personnes et de nos ides.

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  • Il me parat difficile de faire accepter ces ides bien banales par un public passionn, et je ne lessaierai certes pas. Mais cela me parat la vrit.

    14 novembre. Hier, 13 novembre, tait un jour que je ne vois jamais approcher sans apprhension. Cest le jour anniversaire de la naissance de ma mre, mais cest aussi le jour de la mort de mon pre, le 13 novembre 1914, il y a tout juste trente ans, dans la plaine dEl Herri, prs de Khnifra. Il y avait de quoi songer, hier, dans cette prison de Fresnes et sous une pareille accusation. Chaque anne, le retour du 13 novembre, et dailleurs de ce triste mois tout entier, me parat rempli de menaces, je ne suis libre que lorsquil est pass. Je naurais pas aim, par superstition, comparatre au tribunal ce jour-l. Cependant, jai pass la journe, dont jignore encore quels dangers elle recelait, dans une trange paix. Jai pens mes morts, jai crit maman quil me semblait quils me protgeaient, mon pre, qui tait brave, ma grand-mre, que jai peu connue mais dont je me rappelle toujours avec fidlit laffection et le sourire. Ils sont auprs de moi, et je crois aux morts, et aux invisibles. La journe, qui tait froide et grise au-dehors comme lintrieur de la cellule, ma paru moins pnible que je ne le pensais, et mme feutre dune bizarre douceur.

    Je pense quelquefois cet an 1944, trentime anniversaire de la premire des grandes guerres du sicle. Si dans ce mois de novembre 1914, il y a trente ans, on avait dit maman que je serais un jour accus dtre un agent de lAllemagne, et quelle-mme, trente ans plus tard, passerait trois semaines en prison, avec les voleurs et les putains, pour ce mme motif... Pourrai-je jamais pardonner la folie de mon temps cette ignoble chose ? Je la savais doucement philosophe, par bonheur, encline lironie, et capable, si cela ne durait pas trop, de nous amuser plus tard par le rcit de ses malheurs, car je ne remercierai jamais assez le ciel de nous avoir donn une mre gaie. Mais quimporte ! Et le rapprochement avec les jours dil y a trente ans, et mon pre tu dans cette plaine rocailleuse et lugubre que jai vue vingt-trois ans plus tard, tait assez obsdant pour moi.

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  • Par contre, je pense aussi que lorsque javais dix-sept ans, dans la classe de Louis-le-Grand, o nous prparions lcole8, si lon nous avait dit, Maurice9 et moi, alors que nous commencions, notre profonde amiti fraternelle, soleil de mon adolescence, que quelque vingt ans plus tard, mme pas, nous serions tous deux en prison ou en internement, en aurions-nous t tonns ? A dix-sept ans, on est prt toutes les aventures, bonnes ou mauvaises, au bagne comme au pouvoir, aux dessins les plus fous sur le canevas banal, et aucune prdiction de sorcire ne peut sembler infrieure aux promesses du destin. Oui, en vrit, les accusations de trahison, le dsordre du pays, la guerre, la rvolution, et nous-mmes jusquau cou l-dedans, nous aurions trouv cela fort vraisemblable, et peut-tre mme, en un certain sens, souhaitable. Je ne le juge plus souhaitable aujourdhui, ce dsordre, je me dis, comme Maurice me la crit, que nous demandions en somme peu de chose la vie, un petit bonheur amical et fraternel, un petit feu bien protg, et que cest triste de voir soudain tout scrouler. Nanmoins, cest lesprit de nos dix-sept ans quil faut invoquer, les garons en blouse noire que nous tions javais sur ma veste, brode, la chouette dAthna, insigne de la sagesse et de la classe cest lesprit de nos dix-sept ans et son acceptation naturelle des variations de lexistence qui me vient en aide constamment, dans les jours que je vis.

    Henri P..., qui est bien loign de toute pratique religieuse, mcrivait dans une lettre qui ma t bien prcieuse par tant daffection : Tu te souviens ? Nous parlions de Dieu, et javais limpression que chacun de nous tait heureux de savoir que lautre aimait la Vierge et les saintes. Je nai pas la foi et sans doute refuserai-je le prtre ils nous ont dgot de leur religion mais chaque soir je prie la Vierge pour vous, mes prisonniers, et pour ceux quune rpression ignoble et impie fait abattre dans notre pauvre patrie . Il me dit aussi : Quand reviendront des jours paisibles, je ne me battrai plus que pour deux choses : le drapeau noir et les copains. Il faudra plus que jamais se souvenir de lignominie des corps sociaux .

    8 Lcole normale suprieure, laquelle Brasillach sera admis.9 Maurice Bardche, beau-frre de Robert Brasillach, et pre du jeune garon auquel est

    adresse cette lettre.

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  • Pour cette dernire phrase, la recommandation est inutile. Mais je garde lautre, le drapeau noir et les copains, comme une de mes devises sacres.

    21 novembre. Je ne note pas ici les hauts et les bas de la politique, ou plutt les chos assourdis que nous en percevons dans nos cellules par les conversations des avocats, les visites familiales, les rares journaux sur lesquels nous jetons un coup dil la drobe, et dont la mdiocrit intellectuelle, sauf de bien rares exceptions, me confond autant que lignominie. Cela se rsume en peu de choses : on parle dun apaisement, et soudain on ne croit pas lapaisement. La ralit me parat pourtant simple : des gens, au fond deux-mmes, et sans oser le dire, aspirent cet apaisement, cette rconciliation nationale dont je ne crois pas quelle puisse se faire avant la fin de la guerre mais le gouvernement, qui y songe parfois, na pas la force ni le courage de le faire. Les communistes mnent tout, refusent les lections parce quelles laisseraient tout le moins une importante minorit non communiste (sinon une majorit) se dgager. Et en Belgique une crise a clat que les Amricains ont rsolue provisoirement en demandant imprativement aux bandes de rendre les armes. Mais on continue arrter, mais le Dpt est plein, raison de huit prisonniers par cellule faite pour un seul, mais les camps de Drancy, de Noisy, de Saint-Denis ne dsemplissent pas, et les commissions qui prononcent la libration de tel ou tel arrt sans motif narrivent pas faire excuter leurs dcisions. Mais on a pris dassaut la prison dAnnecy et excut plusieurs captifs. Mais on apprend chaque jour des atrocits varies, qui nont mme plus lexcuse des premiers jours de fivre. Et lon tue parfois, en prison, les prisonniers gracis. Lapaisement ne viendra jamais si les communistes mnent toujours le jeu, et nos pires prvisions de ces derniresannes seront ralises. Les bourgeois bien-pensants et les Anglo-Saxons seront rouls une fois encore. Je ny verrais aucun inconvnient, si tout notre bonheur ntait dans le coup , et cela ne me consolera pas dtre enterr ou mme au bagne, quelques mtres de Mauriac. (Je dis Mauriac parce quil a beaucoup travaill tout cela, et que maintenant il a un peu compris les dangers,

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  • et mme quil a dsir venir mon aide avec un courage certain, et un oubli cordial de nos querelles.) Cest pourtant ce qui, dans une suite logique des choses, risque darriver.

    Parfois aussi, je me reprends au vieux dmon de la politique quotidienne, au dsir de connatre ce qui se passe, de deviner lavenir. Et pourtant, comme tout cela devrait raisonnablement tre loign de moi. vrai dire, je serais plus tranquille, et mme tout fait tranquille, si je savais les miens en parfaite scurit. Mais tout dispers, appartement occup, amis au loin, prisonniers tout autour de moi, ma sur isole, que tout cela, parfois, est dur. La nuit, dans ma captivit en Allemagne, mtait amicale et douce : jy ranimais les vieilles images de ma jeunesse. Ici, elle mest pnible, elle est longue, car on teint la lumire vers 8 heures du soir et il ne fait certainement pas jour avant 8 heures du matin (nous navons pas de montre), et dans lombre o je mveille, peut-tre vers trois ou quatre heures, je ne sais pas, ce sont toutes les raisons dtre triste qui viennent autour de moi. Je ne vois pas de raison pour que Maurice sorte du camp de Drancy o il est entr sans motif, pas de raison pour quune vie plus normale sinstalle pour les miens Sens ou Paris, pas de raison pour que lavenir de mon pays ne soit pas sinistre. Qui sait ce que penseront de moi, ce quon forcera penser de moi, plus tard, les petits enfants que jaime ? Qui sait comment ils seront levs, dans quelles coles ? Aprs tout il y a des Russes qui, il y a trente ans, ne croyaient pas au bouleversement de leur patrie et de leur bonheur, et qui ont tout vu bris autour deux, et qui attendent encore vaguement.

    Jai reu une lettre de Jacques N..., que jai connu dabord prparant Saint-Cyr, puis rejet dans la vie civile aprs novembre 1942, tudiant, membre des quipes nationales, dblayeur de dcombres C... avec beaucoup de courage, et mme, je crois, milicien. Un garon plein de droiture et de cur. Il sest maintenant engag dans larme, non par conviction politique, mais parce quil tait n pour tre soldat. Il la fait, me dit-il, dans la plus absolue absence despoir. Un autre entrerait sans doute au couvent, dans le mme esprit. Je me dis quun pays qui a ainsi dcourag sa jeunesse, depuis cinq ans, a commis un pch qui ne se pardonne pas.

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  • Benoist-Mchin, que je rencontre parfois ici, au hasard dune recherche de colis, dans le hall de la prison, me citait lautre jour un mot du colonel Fonck, laviateur de lautre guerre, arrt lui aussi comme tratre (on aura dcouvert que ctait un mauvais Franais). Fonck lui disait : LAmrique a tort de sobstiner. Car si lAllemagne est vaincue [et la partie, disait-il, nest pas joue], elle scroulera en donnant au monde limage dune rsistance ternellement sublime . Je trouve le mot trs frappant, et pour ma part jy souscris entirement. LAllemagne peut nous avoir fait beaucoup de mal dans sa dfense de cette dernire anne, elle peut nous en faire davantage encore, et je crains beaucoup les armes nouvelles quelle prpare, mais il est certain que son durcissement peut-tre fou a quelque chose dhroque et de surhumain devant quoi lhistoire, quoi quil arrive, sera oblige de sincliner. Je lcris ici dans ma prison avec la pleine conscience de ce que je dis. On devrait raisonnablement penser quencercle de toute part, accule, ayant devant elle linpuisable arsenal amricain et la puissance russe, lAllemagne ne peut que reculer linstant de sa dfaite : et devant tant de tnacit on se prend rver au renversement de lordre des destins, quil suffisait pour raliser dune fissure dans le camp des allis et dun retournement diplomatique. Car, devant un seul ennemi, lAllemagne serait assez forte pour participer la paix en nation non vaincue. Mais pour faire un renversement dalliances il faut tre deux, pour se marier il faut tre deux, et je ne suis pas sr que la diplomatie allemande soit au niveau de son gnie chimique et de son prodigieux courage viril et militaire. En tout cas, plus que jamais, il me semble que lavenir donnera raison ceux qui pensent quil faut avoir avec soi ce peuple tonnant. Si nous ne le comprenons pas, Angleterre ou Russie le comprendront.

    3 dcembre. De temps en temps, je me rappelle un mot dun camarade dinternement Noisy-le-Sec. Un homme arrt sans grand motif, comme beaucoup. Il avait fait lautre guerre comme officier de rserve, t prisonnier celle-ci. Mari, avec des enfants, ancien Croix-de-feu bien entendu, le type parfait du Franais de classe moyenne, honnte et travailleur. Il nen revenait visiblement pas de ce qui lui arrivait et de son arrestation. Et il me dit un jour

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  • avec une profonde amertume : Jai toujours servi mon pays comme je lai pu. Je ne pourrai jamais lui pardonner ce quil ma fait . Comme le non-espoir du petit Jacques N..., je crois quun tel dcouragement est aussi inscrire au trs lourd dbit dune nation.

    Cest dans des moments comme ceux-l, garon qui aura vingt ans en 1960, que je me demande ce que tu penseras plus tard, toi qui commenceras surgir la lumire, quand tout aura beaucoup chang autour de nous. Je ne sais si tu seras communiste ou libral, ou si le vieux rve nationaliste aura brusquement resurgi dans une Europe en fivre. Je ne sais si tu penseras moi, nous tous, avec piti, avec mpris ou avec ennui, et si ce qui a t la substance mme de notre vie ne sera pour toi que vieilles lunes. Mais je me dis que le conseil impie de Renan au jeune et bouillant Droulde, la fin de lautre sicle (le conseil dont, quoi que tu penses, je sais bien davance que tu ne voudras pas), il reste dune amre et profonde vrit : Jeune homme, la France se meurt : ne troublez pas son agonie .

    31 dcembre. Voici le dernier jour de lanne. Faut-il finir sur cette phrase, toi qui me liras ? Je ne sais si je pourrai texpliquer, alors, les alles et venues de nos ides, de nos esprances et de nos craintes. Et je ne sais si tu les comprendras. Tantt, je lavoue, je demande pour le Franais futur le sommeil, loubli de toute excitation guerrire ou politique, et tantt le vieux rve de grandeur des hommes assembls dresse devant moi ses mythes. Je ne me charge pas dordonner ces contradictions. Elles ne me gnent pas. Mais ces derniers jours de lanne tragique entre toutes ont t sombres. Je ne crois pas que jai eu tort, il y a un mois, de parler de la vitalit allemande, puisque, voici peu, une offensive dhiver semait au cur des rcents librs une panique tonnante, et faisait imprimer la presse, ds les premires heures, des commentaires dun ton rassurant propres voquer ceux de mai 1940. Quoi quil advienne dvnements militaires qui ne sont pas entre nos mains, il est dsormais prouv ceux qui veulent rflchir que lAllemagne compte et comptera ternellement. Pour le reste, les vrits sont plus obscures, et quand je relis ces pages, garon de la classe 60, je vois que seule lexistence allemande ny est pas mise en doute,

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  • tandis que le visage de ma France ny apparat qu travers des nues, moins paisses toutefois que les brumes ignobles qui montent aujourdhui de la boue et du sang. Des crivains dshonors, qui se fussent assembls, il y a dix ans, pour nimporte quel repris de justice international, laissent condamner mort sans protester des hommes qui ntaient mme pas des amis de lAllemagne, et une presse dhystriques prtend reprsenter une opinion de plus en plus terrifie. Je viens dapprendre hier soir que Maurice avait rejoint, je ne sais o, les prisons de Fresnes, quitt son camp provisoire de Drancy, et tant dacharnement dans le mauvais sort me laisse dsempar. Dans quinze jours, je vais me prsenter devant un de ces tribunaux auxquels je dnie tout droit de me juger, et pourtant il y faudra jouer son rle dans la comdie, puisque lessentiel est de bien se tenir, jusquau bout, et que le dernier mot de la morale reste lallure. La vanit de cette tche ne men apparat pas moins comme incontestable.

    Dans notre pays dchir, provisoirement, ceux qui paraissent avoir raison sont ceux qui ont fui, puisque aux autres on na tenu aucun compte de leur refus dmigrer. Faut-il regretter pourtant ce refus ? Au moment dy rflchir, je me dis que jaurais le regretter, certes, si je ne lavais prononc que pour un pays assez ingrat et assez dment. Mais je naime pas tre spar des hommes de ma race, et puisque je ne pouvais tre uni avec eux dans leur folle et mchante, ou sotte, joie, il fallait bien que je fusse uni ceux qui souffraient de cette joie. Comment supporter la paix relative, la Nol, le plaisir, dans les terres lointaines, alors que ceux qui ont cru ce que je croyais aussi sont dans les prisons ou devant les poteaux ? On ne quitte pas les camarades mme si on ne pense plus toujours ce quils pensent.

    Dans cette prison, jai lu les pages politiques de Chnier, o le vrai visage de la Rvolution de 1793 est si magnifiquement apparent, loin des dformations de la lgende. Peut-tre plus tard les regarderas-tu ton tour, je te le demande, comme une cl prophtique des vnements de 1944. Tu pourras y mditer sur les dernires lignes publies par Chnier dans un journal encore presque libre, o il dplorait lavilissement dune grande nation rduite par ses fautes choisir entre Coblentz et les Jacobins .

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  • Nous avons aussi Coblentz, de nos jours, et nous avons nos Jacobins. Il ne faut que deux noms changer pour rendre la phrase actuelle, mais lavilissement reste valable dans les deux poques.

    Aux questions que pose cette lettre, lavenir seul pourra rpondre. Toi qui la liras, et qui seras peut-tre vivant dans un monde o lhonntet intellectuelle aura reparu (tous les miracles sont possibles), tu auras sans doute fait ton choix, et tu regarderas nos troubles, qui auront entour ton enfance, avec le regard historique que nous avons, nous, pour la premire des grandes guerres du sicle. Je te demande de ne pas mpriser les vrits que nous avons cherches, les accords que nous avons voulus au-del de tous les dsaccords, et de conserver les deux seules vertus auxquelles je crois, la hauteur et lesprance.

    Fresnes.

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  • PrfaceLettre un soldat de la classe 60