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« L'ATELIER INTÉRIEUR DU MUSICIEN », OU LA PASSE MUSICALE DE MAX GRAF Brigitte Lalvée ERES | Insistance 2011/2 - n° 6 pages 23 à 40 ISSN 1778-7807 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-insistance-2011-2-page-23.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Lalvée Brigitte, « « L'atelier intérieur du musicien », ou la passe musicale de Max Graf », Insistance, 2011/2 n° 6, p. 23-40. DOI : 10.3917/insi.006.0023 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour ERES. © ERES. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_paris7 - - 201.214.60.73 - 06/07/2012 18h52. © ERES Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_paris7 - - 201.214.60.73 - 06/07/2012 18h52. © ERES

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« L'ATELIER INTÉRIEUR DU MUSICIEN », OU LA PASSE MUSICALEDE MAX GRAF Brigitte Lalvée ERES | Insistance 2011/2 - n° 6pages 23 à 40

ISSN 1778-7807

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-insistance-2011-2-page-23.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Lalvée Brigitte, « « L'atelier intérieur du musicien », ou la passe musicale de Max Graf »,

Insistance, 2011/2 n° 6, p. 23-40. DOI : 10.3917/insi.006.0023

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Il n’y a guère de place pour la musique dans l’inconscient freudien ; Freud s’est voulu a-musikalisch, pour donner le primat au signifiant. L’art musical pourtant n’était pas à l’écart de l’investigation psychana-lytique à ses débuts. En témoigne ce laboratoire que furent, de 1902 à 1910, les réunions du mercredi, où se nouèrent des liens transférentiels actifs entre musique et psychanalyse.Parmi les participants de ce groupe pionnier qui mettait au travail, dans tous les domaines, les découvertes de la psychanalyse, se trouvait Max Graf, critique littéraire et musicologue viennois. Il n’était pas le seul à représenter la musique : David Bach, critique musical, ami de Schœnberg, initiateur des premiers concerts pour ouvriers à Vienne, participait également à ces réunions du mercredi, qui se tenaient sous l’égide de Freud et dont Otto Rank consigna le compte rendu à partir de 1906.Max Graf était déjà connu par ses publications 1 lorsqu’il fit la connaissance, en 1900, d’une analysante de Freud, Olga Hönig. Cette rencontre fut celle même de l’inconscient et du travail analy-tique : Max Graf discerna, dans la méthode dont Olga se faisait l’écho, un « dénouage artistique du tissu de l’inconscient 2 ». Il

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« L’ATELIER INTÉRIEUR DU MUSICIEN », OU LA PASSE MUSICALE DE MAX GRAFBrigitte Lalvée

Brigitte Lalvée, psychanalyste.1. La musique de la femme à la Renaissance (1896), La musique allemande au dix-neuvième siècle (1898), Problèmes Wagner (1900). Cités, et le dernier pour partie traduit, par F. Dachet (voir note 5).2. M. Graf, Réminiscences sur le professeur Freud (voir note 5).

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ne tarda pas à rencontrer Freud lui-même, dont il devint vite l’ami, le disciple et le compagnon. Il le resta jusqu’en 1911, date à laquelle il prit ses distances avec la Société des mercredis en train de devenir Association Internationale : la « sensibilité artistique » le cédait à la doctrine, la société virait à l’église, les injonctions de Freud relayées par Jung se faisaient pesantes. Entre temps Max Graf avait épousé Olga Hönig, dont il avait eu d’abord un fils, le « petit Hans », cas princeps de l’analyse d’enfants, puis une fille, Hanna – prénommée du même prénom qu’Anna Freud, à l’orthographe près 3. On sait désor-mais que le « petit Hans », en réalité Herbert, a recouvré son prénom en même temps que du nom de son père il faisait son propre nom, pour s’illustrer comme inventeur de la mise en scène d’opéra. Mais la communauté psychana-lytique, pourtant penchée sur l’exégèse de son cas, mit très longtemps à le savoir. Elle sembla ne le découvrir qu’à sa mort en 1973, en dépit de la brillante carrière qui lui avait valu une notoriété internationale 4. Elle ignora de même tout un réseau textuel et transférentiel qui continua à exercer ses effets bien au-delà de l’éloignement entre Freud et Max Graf, bien au-delà du happy end par lequel Freud ferma le dossier de l’analyse de cette phobie infantile en 1922, plus d’une dizaine d’années après avoir rédigé le cas – alors qu’il venait de recevoir la visite du « petit Hans » devenu un beau jeune homme en pleine santé, en lequel il ne reconnut rien de plus qu’une attestation vivante de la non-nocivité de la psychanalyse sur une âme d’enfant.

UN MANIFESTE SUR LA CRÉATION MUSICALE, OU LE REJETON D’UN RÉSEAU TRANSFÉRENTIEL

C’est dans ce contexte transférentiel surdéter-miné que vient s’inscrire un essai de Max Graf sur la création musicale dans ses rapports avec l’inconscient, « L’atelier intérieur du musicien », Die Innere Werkstatt des Musikers 5, qu’il fait paraître en 1910, l’année même où il se détache de Freud et de la Société des mercredis. Dans sa nouveauté encore actuelle, si l’on considère que, de l’aveu même de Lévi-Strauss, la musi-que reste « le dernier mystère des sciences de l’homme », celui sur lequel elles « achoppent », ce texte se signale à la fois comme manifeste sur la création musicale, et comme témoignage, véritable rejeton d’écriture d’un nouage originel entre musique et psychanalyse. Un transfert psychanalytique sur la musique s’y fait enten-dre, adressé à un Freud qui ne serait pas tota-lement a-musikalisch. Il pourrait se lire comme une passe avant la lettre, la passe musicale de Max Graf, passe qui ne trouva pas son passeur et dont jamais Freud ne prit acte.À vrai dire, ce contexte transférentiel fortement intriqué est traversé de nombreux silences, d’échos différés, de relances non entendues. Ainsi de la démarche de Hans-Herbert qui vient rendre visite à Freud à l’âge de 19 ans, à l’orée de sa carrière, et reprend le geste bien des années plus tard, en 1970 – il a près de 70 ans, il est internationalement reconnu – auprès d’Anna Freud, homonyme de sa sœur et héritière du « Professeur Freud ». Sans plus de suites. Qu’a-

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t-il à faire entendre que ni Freud ni Anna ne surent entendre, qui l’amena peut-être à se prêter au jeu des questions-réponses qu’il avait connu enfant, qui était devenu « pratique standard de la psychiatrie d’enfants 6 », en une ultime interview ? Faut-il interpréter ce silence de Freud comme un retour de sa propre phobie musicale, que l’amitié avec Graf et l’enjeu musical décisif dans la cure du petit Hans avaient pu entamer ? Le père en effet transcrivait en notes sténographiques la lalangue musicale de son fils, lalangue qui n’est pas sans informer la lettre du cas rédigé par Freud ; d’autre part le refoulement permis par cette phobie dirigée y présida à une sublimation musicale décisive elle aussi dans la vocation de Herbert 7. Quant au silence par lequel la communauté analytique emboîta le pas à Freud, ne manifesterait-il pas une sorte d’incapacité à envisager, au-delà du cas, le sujet ? Une facilité excessive à s’accommoder de l’amnésie infantile qui avait emporté la majorité – mais non la totalité – des souvenirs du « petit Hans 8 » ?D’autres silences trament ce réseau transférentiel. L’un, pour le moins perlaboratif, s’étend sur près de quarante ans. Il sépare la remise par Freud à Max Graf du manuscrit de Personnages psychopathiques sur la scène de sa publication par son destinataire. Graf se voit confier le manuscrit début 1906. Il le publie en 1943, aux États-Unis où il s’est exilé, en traduction anglaise. Il l’accompagne d’un court texte autobiographique, Réminiscences sur le Professeur Freud. Freud est mort depuis quatre ans. Dans ce texte, qu’il n’a jamais publié, Freud aligne la catharsis aristotélicienne sur le paradigme du Mot d’esprit, publié peu auparavant. Il marque les concordances et les divergences entre la scène analytique, héritière du théâtre privé de l’hystérique, et la scène théâtrale, où se nouent le voir et l’entendre, où le spectateur se fait aussi auditeur, incarnation de la Dritte person, où l’identification spéculaire au héros ouvre sur l’authentification symbolique du drame. C’est un texte fondateur dans lequel Freud définit le cadre analytique. Il en fait transmission à Graf. Cette publication si longtemps différée, posthume, a valeur d’acte de réception du cadre analytique. Elle vaut pour reconnaissance de dette symbolique envers Freud théoricien de ces deux scènes, inventeur du cadre de la scène psychanalytique, à la faveur d’une relecture de celui de la scène théâtrale : reconnaissance faite pour le fils, depuis la place du fils metteur en scène, comme si

3. Selon la graphie juive, le prénom s’écrit Hannah. Hanna est le féminin de Hans. À moins que, à s’en référer à Lacan, Hans ne se soit fait le féminin de Hanna ? (Cf. J. Lacan, Le Séminaire, Livre IV, La relation d’objet (1956-57), Paris, Le Seuil, 1994, 434 p., p. 411-419 not.)4. Les premiers travaux datent de 1980 : G. Bouquerel, « Insight at the opera » ou « Un souvenir d’enfance du petit Hans », dans La psychologie clinique à Villetaneuse, Ed. Univers., Paris XIII, Villetaneuse, 1980. J. Bergeret, Le « petit Hans » et la réalité, ou Freud face à son passé, Paris, Payot, 1987. Puis les travaux et publications de F. Dachet, qui ont largement ouvert la question : « De la “sensibilité artistique” du professeur Freud », L’artifice psychanalytique, L’unebévue n° 3, Paris, EPEL, 1993 ; S. Freud, Personnages psychopathiques sur la scène, supplément au n° 3 de L’Unebévue réservé aux abonnés ; M. Graf, Réminiscences sur le professeur Freud, supplément au n° 3 de L’Unebévue réservé aux abonnés ; M. Graf, Le cas Nietzsche-Wagner, traduit de l’allemand par François Dachet et Marc Dorner, présenté par François Dachet, Cahiers de L’Unebévue, éditions EPEL, 1999 ; M. Graf, L’atelier intérieur du musicien, traduit de l’allemand par François Dachet et Max Dorner,

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c’était pour ce fils que le père écrivait (s’expri-mait sur Freud) et publiait (ce texte de Freud depuis si longtemps transmis). Mais elle vaut aussi pour authentification de la vocation réali-sée de Herbert Graf, inventeur ou réinventeur de la mise en scène opératique. Herbert n’est plus seulement « le petit Hans », l’enfant de la phobie, mais il est cet inventeur ou réinventeur de la scène opératique, héritière de la scène analytique elle-même héritière de la scène hysté-rique, qu’il aura su lui aussi renouveler pour la porter au public, en nouant les sortilèges de la voix et les mirages du visuel à leur point d’ombilic. En 1943, Herbert Graf exerçait son activité de metteur en scène aux États-Unis et notamment au Metropolitan Opera. Cette voca-tion en acte actualisait la lettre de ce texte de Freud – la publication en retour authentifiait la vocation du fils, lui donnait implicitement ses lettres de noblesse psychanalytique, sa filiation post- wagnérienne, par-delà Bayreuth. Près de trente ans plus tard, les Mémoires d’un homme invisible viennent faire écho aux Réminiscences paternelles, et cette fois c’est Herbert Graf qui parle en son nom, mais toujours en répon-dant à des questions… La publication de Personnages psychopathiques, chapeautée par les Réminiscences, faisait implicitement de Hans le fils de deux pères – correctif anticipé à cette définition du petit Hans par Lacan comme « fille de deux mères 9 ». Évoquant Freud, ainsi que son père dont il trace un portrait idéal, alors qu’il reste réticent au sujet de sa mère, Herbert Graf dans ces Mémoires accepte la filiation, confirme lui aussi implicitement être cet enfant de deux pères, c’est-à-dire celui d’une phobie

hystérisée dont il continue de s’ignorer : l’enfant qu’il fut est bien le père de ce qu’il est devenu. L’écho conjugué de ces Réminiscences et de ces Mémoires n’est pas sans donner à entendre qu’a pu se rejouer et se remanier la métaphore peu orthodoxe, pas très catholique ou trop catholi-que, que le « petit Hans » avait pu s’aménager, selon Lacan, aux moyens de deux mères, à la manière de Léonard de Vinci 10.En 1962, paraît le texte original de Personnages psychopathiques à la scène, chez Fischer Verlag, non dans les œuvres complètes de Freud, mais dans une revue de critique littéraire, Die Neue Rundschau, sans que l’on sache, et on l’ignore encore à ce jour, à qui est due cette publication – à Herbert Graf lui-même, a-t-on pu supposer. Le texte est désinséré de son réseau transféren-tiel, désancré de son contexte psychanalytique. Comme détourné au profit d’une annexion purement littéraire : exact retour du silence des analystes face à la vocation réalisée d’Herbert Graf.Un autre silence enfin, non le moindre, est celui de Freud concernant l’essai de Graf, L’Atelier intérieur du musicien. Jamais Freud ne fit quel-que commentaire de ce texte, dont il ignorera l’existence.Pourtant cet essai ne peut s’extraire du réseau textuel lié à ce réseau transférentiel. Les dates elles-mêmes sont parlantes : c’est fin 1905-début 1906 que Freud remet à Max Graf le manuscrit des Personnages psychopathiques 11. Au même moment, en janvier 1906, Max Graf commence à noter ses observations concernant la sexua-lité de son fils, et les communique à Freud. Personnages psychopathiques coïncide donc avec

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« L’ATELIER INTÉRIEUR DU MUSICIEN »

l’ouverture du cas Hans. En janvier 1909, Freud publie L’analyse de la phobie d’un garçon de cinq ans, dans le n° 1 du Jahrbuch, publication qui clôt temporairement le dossier. En 1910, soit un an après, Max Graf publie, en franc-tireur, L’atelier intérieur du musicien. À sa façon, ce texte lui aussi vient ponctuer l’analyse du petit Hans, ou la relancer, comme pour relever quelque chose qui n’aurait pas été soutenu dans ce réseau de transfert et d’écriture, qui serait l’enjeu musical.Mais c’est aussi tout le contexte précédent l’analyse de Hans qui mérite d’être rappelé. Dès 1902, date de son entrée à la Société du mercredi, à 1906, Max Graf avait donné aux réunions du mercredi des exposés sur le processus de création chez Beethoven et Wagner.En décembre 1907 il prononce, chez l’éditeur Heller, une conférence, Sur la méthodologie de la psychologie des écrivains, dans laquelle il dénonce les « bousilleurs d’âme », les faiseurs de pathographies qui confondent pathologie du symptôme et processus créatif 12. Cette conférence vient faire écho à celle prononcée par Freud une semaine auparavant, toujours chez Heller, Le Dichter et le fantasmer : un texte-manifeste de Graf sur le processus de la création musicale fait suite à un texte-mani-feste de Freud sur la création littéraire. S’il ignore la parution de L’Atelier intérieur en 1910, Freud en revanche fait publier en 1911, à Vienne, chez Deutike cette fois, au sein même de ses Textes de psychologie appli-quée, un texte de Max Graf sur Richard Wagner dans le Hollandais volant (rappelons que le livret de cet opéra tient au mythe du Juif errant, qui intéresse particulièrement Freud), où sont abordées les questions de la création dramatique déjà soulevées dans Personnages psychopathiques à la scène. Ceci s’éclaire de cela : la seule musique acceptable pour Freud, et qui comporte un enjeu pour la psychanalyse, est celle qui supporte ou que supporte un texte.À l’opposé, c’est sans aucun parrainage de Freud que paraît, en 1910, L’atelier intérieur du musicien, à Stuttgart chez Enke. Comme rejeté du creuset créatif des réunions du mercredi et des conférences et publi-cations chez Heller. Non authentifié par Freud, qui ne reconnaît pas cet enfant comme étant celui d’un transfert, comme le troisième temps d’un circuit invoquant : Freud récepteur et entendeur des notes sténo-graphiques, du musical de la lalangue, qui informe la lettre du cas ; Max Graf, récepteur du cadre analytique freudien à la fois aligné sur celui

présenté par F. Dachet, Paris, Buchet-Chastel/Epel, 1999 ; H. Graf, Mémoires d’un homme invisible, supplément librairie au n° 3 de L’Une-bévue ; F. Dachet, L’innocence violée ? L’unebévue éditeur, Paris, 2008. J.-M. Vivès, Le « petit Hans » et l’invention de la mise en scène d’opéra, dans A. Didier-Weill (sous la direction de), Freud et Vienne, Freud aurait-il inventé la psychanalyse s’il n’avait pas été viennois ?, Toulouse, érès, 2004, p. 55-65. S. Bédère, « En passant par Hans, la trajectoire de Herbert : panorama sur la phobie », Figures de la psychanalyse n° 18, L’objet en psychanalyse, Toulouse, érès, 2009, p. 133-153.5. Voir note précédente.6. Mémoires d’un homme invisible, op. cit., p. 23.7. Je renvoie à la contribution de J.M. Vivès dans ce même numéro, ainsi qu’à son article cité plus haut (note 5).8. Le petit Hans en effet, qui dit avoir « tout oublié », se souvient quand même de « Gmunden », comme le note Freud dans l’Épilogue de 1922.9. La mère et la grand-mère maternelle, les allers et retours chez cette dernière en compagnie du père valant pour séparation d’avec la mère. J. Lacan, Le Séminaire, Livre IV, op. cit., p. 417.10. Ibid., p. 411-434.11. F. Dachet, « Une chronologie », dans L’artifice

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de la scène théâtrale et différencié d’elle, puis émetteur à son tour de la dimension musicale de l’inconscient, de l’Autre scène. Voué à la musique pure et à son processus de création soutenus comme objet s’offrant à l’investigation psychanalytique, non intégré à la constellation des publications freudiennes, ce texte, sorte d’hapax produit par ce contexte transférentiel, en reste exclu.

UN CONTREPOINT : LE FILIGRANE DES TEXTES FREUDIENS ET SON CONTRE-SUJET, LA THÈSE D’UN INCONSCIENT MUSICAL

De cet essai sur le processus de la création musi-cale on peut dire qu’il s’écrit musicalement tout contre Freud, en contrepoint, frayant sa voix propre en écho aux frayages freudiens, dans une écriture fuguée. Il y soutient ce que Freud non récuse, mais ignore, c’est-à-dire l’existence d’un inconscient musical, où les sons déjà se lient aux affects, ou sont des traces d’affects. Rappelons que pour Freud l’entendu dans le rêve doit toujours renvoyer à un entendu de la veille – règle à laquelle son auteur déroge souvent lui-même souvent, comme Édith Lecourt l’a montré 13. Cet entendu se ramène le plus souvent à des paroles, et ces choses que sont les mots dans l’inconscient sont choses visuelles plus encore que sonores. Si le sonore du mot sonne, c’est dans la scène freudienne pour faire trait signifiant, mot d’esprit où la note musicale s’abolit, où se franchit le pas-de-sens

pour se cristalliser dans la lettre. Dans la scène analytique du voir et de l’entendre, d’un enten-dre surtout dédié aux mots, dans la ronde des représentations, le son musical, l’objet musical n’a pas de place. Max Graf la lui donne dans cet essai, à commencer par les nombreux extraits de partitions qui y figurent, destinés à suppléer aux exemples qu’il faisait entendre au piano dans ses conférences : l’objet musical y est présent, ou plutôt y figure dans sa virtualité auditive, dans la mesure où ces extraits ne représentent, selon l’auteur lui-même, « qu’un très pauvre substitut de ces illustrations au piano, car il n’est pas donné à quiconque de transformer les notes imprimées en sonorité perceptible par les sens ». Était-ce là vouloir conjurer, ou anticiper la non-réception de cet essai par Freud ?Freud cependant aurait pu y discerner un nouage nouveau, un dire où résonnent le son musical et l’inouï qu’il fait entendre.

DE LA CHAMBRE DE L’ENFANT À LA CHAMBRE DES PARENTS, DU « DICHTER ET LE FANTASMER » À « L’ANALYSE DE LA PHOBIE D’UN GARÇON DE 5 ANS »

« Où va-t-il chercher tout cela ? », c’est la ques-tion familière, un rien narquoise, que reprend à son compte Freud concernant le Dichter, le créa-teur de fictions, et à laquelle il répond : dans son jeu d’enfant, relayé à l’adolescence par la rêverie diurne, le fantasme. Pour Max Graf aussi

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la source de toute création musicale se trouve déjà dans la chambre d’enfant, prélude à l’atelier intérieur.« Plaisir d’entendre très fort » dès le plus jeune âge, « joie enfantine à jouer avec les sons et les harmonies » (p. 126), « pulsion à jouer » (p. 63) : c’est là que s’enracinent les données initiales de toute compo-sition future, les « conditions essentielles de la création musicale ». Facteur constitutionnel, donc. Tous les auteurs de biographies de musiciens sur lesquels Max Graf s’appuie, autre pilier de l’ouvrage, volet complémentaire des partitions 14, soulignent cette prédisposition, cette exclusivité auditive chez les musiciens, qui fait que le jeu, le plaisir à imaginer, se traduit en sons plutôt qu’en images, formes, couleurs, ou mots. D’une telle prédilection, affirme Max Graf, la science ne peut rien dire. « De même que le peintre est intérieurement tout figures, le musi-cien est intérieurement tout sonorités, accords, harmonies. L’ensemble de ses pensées et sensations prend le chemin de l’oreille. » Subsiste là le mystère irréductible d’une pulsion prédominante, plus forte que toute autre, à laquelle Freud ne fait pas place parmi les pulsions partielles de ses Trois essais sur la théorie sexuelle.On peut mentionner aussi le facteur environnemental, non évoqué ici bien qu’il dût être prégnant pour le fils de l’auteur. Mais surtout le facteur accidentel, historique. Ici convoqué par réticence et euphé-misme. Graf, en effet, après avoir largement fait place à la prépon-dérance de la pulsion à entendre et à jouer avec les sons, Hörspiel, Spielstrieb (on reconnaîtra ici les échos de Personnages psychopathiques), comme « condition fondamentale de la création musicale », note « une légère excitabilité de la sphère auditive que l’on peut constater dès la prime enfance » (p. 57). « Légère excitabilité sonore », voilà qui est peu en regard de la forte et irrépressible prédilection précédemment décrite. Que peut couvrir cette réticence, sinon le bruit émis par le « charivari » de Hans, l’intrusion traumatique du sonore sexuel, que l’enfant tente de conjurer par son mime ? Préhistoire chaotique, traumatique, que le père ici passe sous silence, pour mettre l’accent sur le seul plaisir sensuel et sensoriel, le caractère agréable et ludique de la séduction par et avec le sonore. En un mot, sur tout ce que permet le refoulement. Graf omet de dire ici ce qu’il avait communiqué à Freud, ce qui avait ponctué cette préhistoire, que Freud formule ainsi, liant la sublimation

psychanalytique, op. cit., p. 137-141.12. Les premiers psychanalystes, Minutes de la société psychanalytique de Vienne, I, 1906-1908, Paris, Gallimard, 1976, 428 p., p. 275-285.13. É. Lecourt, Freud et le sonore, Le tic-tac du désir, Paris, L’Harmattan, 1992, 231 p., p. 99-115.14. M. Graf dans cet ouvrage s’attache aux musiciens baroques, classiques et romantiques, de Bach et Mozart à Wolf, Wagner ou Richard Strauss. Il n’interroge pas la « nouvelle musique », alors même qu’il connaissait et fréquentait Schönberg, qu’il a soutenu, ainsi que Berg. Mahler, qui lui était proche – parrain de son fils, auquel sont dédiés les Problèmes Wagner, n’est pas non plus évoqué.

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au refoulement : « Chez lui, comme l’a même observé le père, intervient en même temps que ce refoulement une part de sublimation. Depuis le début de l’anxiété, il montre un intérêt accru pour la musique et développe ses dons musi-caux héréditaires 15. »Ce qui est là censuré, un traumatisme sexuel sonore qui pourrait être à l’origine de la voca-tion du petit Hans 16, resurgit un peu plus loin. Le jeu de l’enfant n’est pas pure idylle sonore, les sons s’y lient avec un autre matériau moins innocent. Les pulsions érotiques, agressives, s’en mêlent. Max Graf cite un médecin, s’efface peut-être derrière lui 17 : « Dans la quatrième année, aussi importante que la puberté », « les impulsions tendres », « un vif besoin de cares-ses » – ajoutons : en ce qui concerne Hans largement favorisés par la mère-, se mêlent à « la haine et à la jalousie » (p. 59). Cet enfant de 4 ans évoqué dans l’ouvrage du médecin est l’enfant de Max Graf, qu’il a lui-même observé et écouté, carnet en main. À l’âge de 4 ans, en avril 1907, la phobie de Hans, cette maladie, cette Krankengeschichte qui est un processus de guérison, ne s’est pas encore déclarée 18, n’a pas encore produit son effet supplétif de résolution œdipienne. Hans est en proie à ses sentiments violents, ambivalents, et surtout à son angoisse devant ce gouffre du désir de la mère dont il déchoit brutalement, comme l’a montré Lacan. Cette angoisse, cette haine, cette jalousie, cette invidia de l’aîné à l’égard de son puîné, Max Graf a pu les observer : de cette chambre d’enfants dont lui parviennent sans doute les échos des jeux mais aussi des violences – rappelons-nous qu’il faut à Hans dans son fantasme faire fouetter

sa mère par Hanna, il note « l’égoïsme brutal », la même force des passions qui nourrit « la brutalité des tragédies », et appelle donc sa catharsis. Trois ans plus tard, alors qu’il fait paraître cet essai, il a pu constater l’effet de cette catharsis. Mais ici c’est au fils qu’il faut laisser la parole : « Même les représentations les plus improvisées (il s’agit de l’opéra populaire de Vienne, du Volksoper, avec ses représentations “instantanées”) étaient suffisantes pour enflammer mon imagination, et avant qu’il soit longtemps, je commençai à m’exercer à reproduire les merveilles que j’avais vues à l’opéra – d’abord avec un théâtre en jouet que je construisis avec l’aide de ma sœur à la maison, et plus tard dans des représentations scolaires 19. »Ainsi la chambre d’enfant, prémisse à l’atelier intérieur de l’artiste qu’elle continue de hanter, pourrait-elle voiler, assourdir les échos trauma-tiques d’une primitive chambre des parents, ou d’une scène primitive plus traumatique encore de fracas sexuel ne pouvant qu’appeler son « charivari 20 ». C’est alors en tant que coulisse du refoulement sublimatoire opéré à découvert par la phobie et la construction mythique qui s’ensuit, qu’elle peut préluder à l’atelier inté-rieur, s’en faire la matrice.

DU DICHTER AU COMPOSITEUR : FANTASME SONORE ET REFOULEMENT

Prémisse, prémices, prélude, le jeu de l’enfant avec les sons ne suffit pas à fonder le devenir du musicien. La liaison qu’il opère entre les affects

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et le sonore doit être renouvelée à l’adolescence, lorsque les pulsions s’étaient sur une capacité sexuelle réelle. Le refoulement doit être alors en quelque sorte réactualisé. Mais il ne doit pas se faire trop radical, sous peine d’aboutir à une répression trop drastique des affects, là où ils appellent à se lier au jeu sonore. S’il lui faut aboutir à une nouvelle liaison avec la sexualité et ses potentialités génitales, les affects de l’en-fance doivent aussi pouvoir survivre à ce remaniement, ne pas subir une abrasion totale : « Pour que l’enfant qui joue avec le sonore devienne musicien, l’activité de l’imagination avec le sonore doit se lier avec toute la vie affective de l’artiste. » Ainsi l’enfance sans joie de Beethoven se fait entendre dans « l’obstination indomptée de ses accords violents et de ses rythmes entraînants », dans son aspiration à la joie. La musi-que mozartienne est « pleine d’un vieux plaisir d’enfant sur lequel l’ar-tiste adulte jette un regard nostalgique », « des larmes brillent dans les notes qui tournent à la farce » (p. 68). Cette nouvelle liaison qui intègre l’ancienne se produit en général à la puberté, « premier bouleversement profond de la vie affective des hommes ».À la puberté, dit Freud dans Le Dichter et le fantasmer, l’enfant renonce au jeu, mais, comme personne ne renonce à quelque désir que ce soit, il le remplace par la rêverie diurne, le fantasme dans lequel il se réfu-gie, substrat de toute fiction littéraire. Max Graf évoque de même un « fantasme sonore » du compositeur, source de son travail de compo-sition. Ce fantasme, à l’opposé du scénario fantasmatique dont l’aveu langagier coûte tant au névrosé, sinon sous la contrainte de la règle fondamentale, semble faire pour le musicien l’économie de la honte : à aucun moment Graf, au contraire de Freud, n’évoque cette honte qui est la marque du refoulement, de l’interdit dicté par la loi symboli-que – aussi bien que de la jouissance transgressive qui accompagne la frappe fantasmatique de cette loi sur le corps. Le fantasme sonore serait exempt de honte, hors loi, immune à l’interdit. Il serait plus en rapport avec la Chose, le perdu, son « oubli inoubliable 21 », qu’avec l’interdit, qui fait croire à l’existence de ce qu’il interdit. Actualisé dans une forme musicale, il sait même restituer hic et nunc – faire résonner – dans l’ab-sence même quelque chose du perdu, entre larmes et transport, entre perte et plénitude. Il fait présent de ce que l’interdit se contente de faire miroiter à son horizon.

15. S. Freud, Analyse de la phobie d’un garçon de cinq ans, Paris, PUF, OC IX (1908-1909), 236 p., p. 121.16. J. Bergeret (op. cit.) revêt d’une réalisation historique précise ce traumatisme, et développe à partir de là une thèse un peu systématique à laquelle il est difficile d’adhérer dans toutes ses implications.17. Il s’agit du Dr Ostwald Feis, auteur d’un ouvrage publié en 1910, Études sur la généalogie et la psychologie du musicien.18. M. Graf en inaugure le compte-rendu qu’il adresse à Freud début 1908.19. Mémoires d’un homme invisible, op. cit., p. 25.20. Lacan signale qu’« il est bien singulier que Freud ne se pose pas la question de savoir si le charivari, le tumulte, le Krawall, qui est une des craintes qu’éprouve l’enfant devant le cheval, n’est pas en rapport avec l’orgasme, voire un orgasme qui ne serait pas le sien. Quant à savoir s’il n’aurait pas aperçu une scène entre les parents, Freud admet aisément l’affirmation que ceux-ci lui donnent, que rien n’a pu être entrevu par l’enfant. C’est une petite énigme dont nous aurons la solution certaine ». Il résout l’énigme en rattachant la « panique auditive » de Hans à son désarroi sexuel et à l’angoisse de castration à laquelle l’enfant trouve remède à sa façon, avec les symboles de la pierre, du fer plus ou moins fixé au

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La musique n’est pas pour autant indemne d’interdits. En témoigne par exemple ce fameux triton diabolique 22, diabolus in musica, pros-crit dans la musique médiévale : rappel de la dissonance fondamentale, traumatique, il contrevenait à l’idée de l’harmonie divine et sa perfection 23. Mais ces interdits, s’ils ne sont pas relayés par la loi langagière et sa prohibition majeure, celle de l’inceste, ne font pas barrage à une absence d’éthique, comme l’a montré l’usage que les nazis ont fait de la musique, eux qui ont rendu possible sa coexistence avec la barbarie. Peut-être Schœnberg voulait-il tempérer la gratuité implacable de la loi sérielle qu’il avait inventée (interdiction de réapparition d’une note avant que toutes les autres de la série aient été épuisées) en assimilant cette loi, dans son Moïse et Aaron, à la loi divine.Il se pourrait que l’art musical soit plus en relation avec l’inaccessible du refoulement originaire 24, inaccessible qui pourtant existe comme réel, qu’avec le refoulement secondaire sexualisé, accessible lui par la levée du refou-lement. Max Graf semble en avoir l’intuition. Son « fantasme sonore » n’est pas le fantasme générateur de honte que le Dichter selon Freud sait dévoiler pour mieux le dérober sous les voiles de la fiction. Contrairement au fantasme fictionnel, visuel, mis à jour dans le difficilement dicible d’un énoncé, voilé par l’invention poéti-que, ce fantasme est peut-être le continuateur d’une invocation primordiale qui fut la première entaille symbolique dans le sujet.Graf quitte donc les frayages freudiens là où ils ne lui semblent plus opérants pour la créa-tion musicale. Il trace aussi les siens propres,

parfois un peu à l’écart. Le Dichter selon Freud est celui qui est exposé à un refoulement faible, « labile », d’une laxité particulière, qui ouvre les portes de l’inconscient, tout autant qu’il expose à ses forces incontrôlées et au risque de folie qui en découle. Il tourne cette capa-cité moindre de refoulement en force, forge le fantasme en fiction, en forme esthétique et, par le « gain de plaisir » ainsi procuré au lecteur, lève le voile sur les désirs refoulés et ouvre à leur jouissance. Le compositeur lui aussi peut être livré à ce refoulement labile. Mais pas seulement. Il ne fait pas que se laisser exposer aux forces incontrôlées de son inconscient par la laxité de son refoulement, il s’y expose. Graf retourne même la problématique : le compo-siteur doit parfois faire échec au refoulement, s’affronter à ses propres résistances, là même où des forces trop éruptives de cet inconscient le menacent, frayer la voix à son inconscient en dépit même de ses résistances. Résistances que Max Graf compare, chez Beethoven qu’il place à côté de Michel-Ange et Eschyle, à des « morceaux de roche » par lesquels l’in-conscient est « lesté, afin qu’il ne fasse pas d’éruption destructrice » : « Le développement de l’homme exige que les mouvements psychi-ques inconscients soient rendus inoffensifs, inefficaces. C’est pourquoi de solides barrières sont érigées, les passions enchaînées sont jetées dans le Tartare comme les Titans grecs. L’artiste qui comme Beethoven libère de telles quantités de passions court toujours le danger de cesser d’en être le maître, d’être déchi-queté par elles » (p. 76). La création musicale, comme toute création, repousse la folie, son

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échec est la folie. L’œuvre n’est pas un symptôme, mais le symptôme une œuvre non advenue.Exposition à un plus faible refoulement, donc, mais aussi lutte contre le refoulement, exposition volontaire au refoulé : le musicien a pour tâche de conquérir le « fantasme sonore » qui l’habite, d’aller à sa recherche au prix d’un combat, souvent par approches successi-ves, comme en témoignent par exemple les multiples esquisses de Beethoven, qui sont autant d’approches d’un sonore originel perdu, dont il s’agit de réaliser la « copie idéale ». Max Graf souligne là une « loyauté » de l’artiste, une éthique du compositeur, qui ne cède pas sur son fantasme sonore, soutient son désir de le faire advenir. Les esquisses, ces « abrégés sténographiques de l’inventaire intérieur », sont autant de « traites tirées sur l’inconscient ». Le compositeur doit les honorer. L’impératif freudien pour lui se formule ainsi : Wo es war, soll das Werk werden, Là où c’était, l’œuvre doit advenir. Il s’agit d’extraire une forme du matériau brut de l’inconscient, d’arracher le thème musical à ses limbes, de rendre son dû à « l’oubli inoubliable ». L’œuvre est terre gagnée sur la mer, parcelles de terrain arrachées à « l’océan des passions » (p. 179). Elle est à la mesure de l’exigence de travail que les pulsions, à la jonction de l’organique et du psychique, requièrent du sujet, exigence formulée par Freud. Elle se mesure à la culpabilité originaire de l’oubli fondamental de la tonalité première, note parlée, qui a fait accéder le sujet à son statut symbolique de sujet parlant, à son existence autre qu’organique.

SCÈNE ET « ATELIER » : CONFLIT ET COMBAT

Commençons par ce « combat » qu’est la création musicale, ce « rapport » fait de renversements et de retournements, d’affrontement et de « nouage » (p. 135), d’« interaction » (p. 189) et de « coopéra-tion », comme entre « deux bons joueurs de tennis » (p. 163) (on notera le retour du jeu ou plutôt sa persistance), entre « forces conscientes et inconscientes » (p. 76). L’œuvre n’est pas pure formation de l’incons-cient, mais résultat d’un combat entre inconscient et conscient, entre force et forme.

sabot du cheval, puis de la vis (J. Lacan, Le Séminaire, Livre IV, op. cit., p. 259 et 266-267).21. Pour reprendre l’expression d’A. Didier-Weill, Les trois temps de la loi, Paris, Le Seuil, 1995, 353 p., p. 336-338.22. Tierce pleine, c’est-à-dire quarte augmentée, en montant l’octave, ou quinte diminuée en la descendant (do-fa dièse dans les deux cas), le triton est une figure de l’inversion, de la réversibilité. Il a une sonorité explosive et, de plus, ne se trouve qu’une fois sur l’échelle heptatonique (fa-si). Trois raisons pour le diaboliser et l’exclure de la composition.23. A. Didier-Weill, Invocations, Dionysos, Saint-Paul, Moïse et Freud, Paris, Calmann-Lévy, 1998, 175 p., p. 174.24. La musique pourrait même rendre possible chez un sujet la Bejahung fondamentale lorsqu’elle n’a pas eu lieu. Pour cette possible réversion de la forclusion psychotique, voir A. Didier-Weill, Les trois temps de la loi, op. cit., p. 245-258.

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De ce combat le lieu est intérieur, innere, à la différence du conflit qui se déroule sur la scène théâtrale. L’atelier ne se transpose pas à la scène. Si l’œuvre musicale témoigne du combat du compositeur, elle en est aussi la résolution, tout comme le conflit qui témoigne de la division du héros et se joue en lui relève de son symptôme, tandis que sa représentation sur scène, le drame proprement dit, avec son unité d’action, drame dont le spectateur se fait auditeur, en est l’abréaction. Autre caractéristi-que de l’atelier : il implique comme partenaire médiateur, allié tantôt du conscient tantôt de l’inconscient, le travail, le « métier ».Pour ce qui est du Hörer, de l’auditeur, le compositeur est d’abord son propre et son seul Hörer, à l’écoute de son inconscient, de ses traces mnésiques sonores, qui peuvent s’offrir à lui, dans la labilité du refoulement, la plus grande ouverture de l’inconscient que chez le névrosé, mais aussi qu’il doit savoir traquer, solliciter. Ainsi le rapport entre inconscient et conscient peut s’exercer avec « fluidité », l’échange se faire en continuité, comme chez Mozart, Mendelssohn, qui n’a pu « éviter complètement le danger de l’élégance légère » (p. 71), ou encore Schubert, qui pouvait ne plus reconnaître une de ses compositions, ou au contraire se trouver entravé par le combat contre les résistances, comme chez Beethoven, à qui il faut « endiguer un flot, un déferlement élémentaire de masses sonores par un domp-tage progressif ». À l’auditeur qu’est la seconde personne sera offerte la jouissance de l’œuvre réalisée, qui transforme l’affect en œuvre musi-cale, harmonique (les compositeurs convoqués

par Graf sont ceux qui se réfèrent au système tonal, n’ont pas encore rompu avec lui), tandis que toute la souffrance de ce combat qu’est la création musicale est assumée par le créateur – tout comme elle est endossée par l’auteur-ac-teur sur la scène théâtrale.La troisième personne s’incarne dans ce public mélomane, connaisseur ou critique, qui a en commun avec le compositeur ces affects que le névrosé réprime ou transforme en symptô-mes, tandis que ce dernier leur trouve l’issue de l’œuvre musicale en les liant à une forme sonore, mélodique, rythmique, harmonique, architecturée.Tout comme sur la scène tragique la logique du drame et l’unité de l’action transcendent la division du héros, l’issue de ce combat qu’est la création musicale varie selon qu’y dominent les forces inconscientes ou le conscient avec sa capacité de mise en forme – le préconscient ici, avec ses représentations de mots, n’est pas convié. Cette conception de la création emporte les trois définitions respectives du classicisme, du romantisme et du baroque, selon des critères structuraux qui ne doivent plus rien à la chronologie. Pour résumer d’une formule prise à l’auteur, « le classique domine l’inconscient, tandis que le romantique s’y adonne ». Aux romantiques « soumis à la disposition créative », va la prédominance de la Stimmung : chez eux la dérive des tona-lités d’âme se monnaie en glissement infini d’une tonalité musicale à une autre. Chez les baroques subsiste un chaos primitif encore incomplètement dompté : « Grumeaux dans lesquels se mêlent du génial et du repoussant,

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amas d’ordures sans formes parcourus de veines d’or 25 » (p. 76). Une violence dionysiaque, un excès d’émotion et d’excitation s’y font encore entendre. Les classiques se définissent par la dominance de la forme, Gestalt, qui jugule les forces inconscientes. Ils sont l’incarnation même de la « compulsion » de l’artiste à « structurer le chaos » (p. 55). La musique de Beethoven témoigne à cet égard d’une « force éthique » unique (p. 74) : chez lui les fugues « portent la marque d’une poigne de fer » imprimée au tissu harmonique par « les mélanges chromatiques » (p. 75) ; le mètre ternaire « déchiré » du divertissement de L’Héroïque se voit imposer la surimpression d’un rythme binaire dont il finit par triompher (p. 73-74).Chez ces classiques la coopération est accomplie, son résultat est un équilibre sans reste, ou du moins l’unité, la synthèse visée est appro-chée au maximum : rien qui échappe au traitement par la forme, le pulsionnel est entièrement transformé, abréagi en forme sonore, avec la jouissance apollinienne qu’elle procure. Dominent la structuration harmonique, l’organisation, la tension vers l’unité. Citons Max Graf à propos de Beethoven encore : « Aucune substitution enharmonique qui ne doive être traitée comme telle. Les échanges harmoniques s’ef-fectuent en coulisse, sont repris sur la scène. Dans La grande ouverture de Léonore, les enharmonies successives (sol bémol/fa dièse, do dièse/ré bémol, si bémol/la dièse), conduisent vers le ton majeur de sol, par la dominante ré. Théoriquement tous ces accords sont identiques. Seule la sensation de l’auditeur averti devine un léger déplacement vers le haut, clair, lumineux. » Une adéquation maximale entre forme sonore et force pulsionnelle se réalise, par la médiation harmonique, mélodique, rythmique (ainsi de la surimpression chez Beethoven du rythme ternaire sur le rythme binaire). Chez un romantique au contraire la mouvance harmonique se fera infinie, la mélodie conti-nue, la tonalité se diluera dans le chromatisme, ainsi pour Wagner. Nul jugement de valeur pour autant de la part de l’auteur : si les classiques sont les maîtres de la synthèse, les romantiques, avec leur « enthousiasme des transitions », se font les artisans de sa décompo-sition, afin que de nouvelles liaisons se créent. À ce titre, ils sont « les chercheurs de nouveau », les agents d’une destruction qui prélude au renouveau.

25. La définition du baroque musical n’est pas aisée, non plus que sa situation historique. Graf évoque ici surtout « les poètes de la période du Sturm und Drang ». Un peu plus loin il compare l’opposition entre la Renaissance et le baroque à celle qui sépare le classicisme du romantisme : aux madrigaux classiques du XVIe succèdent ceux de Gesualdo avec leur « transformation poétique du chromatisme », leurs « atmosphères estompées », ou encore la polyphonie de Gabrieli et sa « splendeur orchestrale », les « mouvantes masses dramatiques » d’Orazio Benevoli. Une des caractéristiques du baroque en musique pourrait être l’éclatement de l’architecture harmonique. Selon Eugenio d’Ors, le baroque serait d’essence musicale (Du baroque, Gallimard, 1935, cité par A. Didier-Weill, Lila ou la lumière de Vermeer, Paris, Denoël, 2003, p. 84).

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L’INCONSCIENT À L’ŒUVRE CHEZ LE MUSICIEN : FORCE PULSIONNELLE ET TRACE MUSICALE

Force, source, flot, « coulée incandescente de lave », « houle », poussée, pulsion et impulsion, Drang, Antrieb, sont les termes par lesquels Max Graf évoque cet inconscient pulsionnel avant la lettre, cette autre part de l’inconscient que Freud redéfinira comme Es. « Archives de la mémoire », certes, mais pas seulement : « L’inconscient n’est pas que l’oublié », il est force, dynamique.C’est cet inconscient pulsionnel qui est avant tout convoqué dans la création musicale, plus qu’un inconscient fait de représentations, même si celui-ci a son rôle dans la genèse d’une œuvre. De cet inconscient Max Graf affirme qu’il est aussi musical, et même, en tant que pulsionnel, nécessairement musical voire essentiellement musical – on retrouve ici Schopenhauer et sa conception de la musique comme expres-sion même du « vouloir-vivre » : « Les notes sont des fragments de l’âme » (p. 72), Stücke, ainsi nomme-t-on certaines pièces musicales, morceaux de piano, comme les Klavierstücke de Schubert, qui sont des morceaux d’âme. « La musique ne peut exprimer les pensées, mais elle exprime les sentiments qui constituent la vie souterraine de la pensée » (p. 174). La parenté d’accords musicaux, dans les œuvres d’un même compositeur à des années de distance, le prouve : elle n’est pas un hasard, mais indique que ces œuvres proviennent d’un seul et même domaine de sensibilité. Le « retour des motifs

typiques » atteste de leur vitalité aussi indes-tructible que celle du désir, même s’ils sont repoussés dans l’inconscient, témoigne de leur « être organique », comme on peut l’entendre chez Beethoven, où un même thème est repris et travaillé d’une cantate de jeunesse à Fidelio, d’une sonate à un quatuor ou une symphonie.« Pensées sonores inconscientes », « pensées ryth-miques », « fantasme sonore », habitent l’incons-cient. Ces sons, ces rythmes dont l’inconscient porte trace sont porteurs d’affects : « Il y a déjà des liaisons dans l’inconscient » ; ils sont peut-être l’af-fect même. Ils constituent un des représentants de la pulsion, et peuvent à leur tour attirer cet autre représentant qu’est la représentation proprement dite, figuration ou fantasme, pensée. De telles liaisons peuvent unir musicalité et sexualité, sons musicaux et représentations érotiques : « Pour un musicien, les représentations sonores en tant que telles se chargent d’une tonalité érotique, la pensée est déjà sexualisée dans la prime jeunesse » (p. 92). Excitation érotique et excitation artistique vont de pair. En témoignent les « facéties éroti-ques corsées » de Mozart « lorsqu’il était dans une disposition productive ». Ou encore Wagner qui sollicitait l’inspiration artistique de l’aiguillon érotique, entourant sa nudité de soies et de velours lorsqu’il composait, ou interpellait ainsi un visiteur, alors qu’il était en train de composer les Maîtres-Chanteurs : « Ne me dérangez pas, je suis en chaleur » (p. 95). Excitation érotique – ou réfection d’une position quasi fœtale, le composi-teur se mettant à l’écoute, comme ab ovo 26. Une telle liaison, ou plutôt son absence, entre sexualité et musicalité, pourrait également expliquer que les femmes, ces musiciennes potentielles « qui sont

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aussi des enfants et n’oublient jamais la claire résonance des voix enfanti-nes » (p. 69), restent cependant « la partie immergée de la musique », sa part non advenue, qu’en elles, par suite d’une inhibition, d’une répression sociale ou d’un refoulement plus forts, à l’époque de Max Graf du moins, et à quelques exceptions près, le devenir musicienne ne se réalise pas.Cet élément sexualisé reste peut-être secondaire, non primordial, on l’a vu. Dans la création musicale est à l’œuvre la pulsion fondamentale, la « plus originaire » selon Lacan, celle par laquelle le sujet invoqué est appelé à une existence autre qu’organique, celle qui a une fois excité ce sujet d’un son et de sa signifiance et désormais exerce en lui sa poussée constante – constance et continuité à monnayer dans la discontinuité d’une échelle de notes, d’un rythme et d’un langage musical.

FORCE ET FORME, UNE DIALECTIQUE CRÉATRICE

La forme certes joue son rôle de « contrainte d’organisation », jugule les forces de l’inconscient, les « tempétueuses quantités d’affect auxquelles est exposé un musicien » (p. 154). Elle est langage qui agence les sons, grâce à un Nom-du-Père – la tonalité, par exemple. Mais elle n’est pas seulement ce qui dompte l’inconscient. La forme tire l’inconscient, l’inconscient pousse la forme, ainsi pourrait-on résumer la dialectique créatrice à l’œuvre dans la composition musicale.Beethoven jette sur le papier des motifs sonores banals, « qui tirent le matériau sonore amassé dans l’inconscient » ; ces formes sonores anodi-nes « bernent la garde frontalière » (la censure) et donnent ainsi sa chance à un matériau plus suspect qui sans elles ne serait pas passé (p. 125). L’esquisse, cette sténographie de l’inconscient comme on l’a vu donne des « ordres à l’inconscient », « met le fantasme en mouvement » (p. 156) (je souligne). Elle est autant « le matériau auquel l’artiste se mesure », que « l’ami auquel on parle » et qui suscite les Einfälle musicales. Cela, pour ce qui revient au métier – soit l’apprentissage, l’héritage.A contrario, la pulsion pousse ses propres formes en avant d’elle-même, imprime son impulsion, modèle son propre thème, commande la forme. « Le génie trouve sa propre forme » (p. 189). « Un fantasme déterminé adopte les formes qui lui paraissent pertinentes » (p. 178), en une

26. C’est la thèse extrême que soutient Pascal Quignard dans son petit traité, Boutès, Paris, Galilée, 2008, 89 p.

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véritable « union de corps chimiques » qui se réalise. « Les passions fusionnent avec les formes sonores », pour donner des formes concrètes. « L’énergie des passions pousse des sons, des rythmes, mélodies, au-dessus du seuil de la conscience. » Et cela, grâce à la technique – soit cette fois la façon de s’approprier le métier, d’ac-quérir l’héritage, selon la formule de Gœthe, de le faire sien, d’en faire son style. Graf cite le para-doxe brahmsien : chez ce « garde des sceaux de la musique ancienne » selon la formule de Nietzche, chez ce « gestionnaire du capital artistique de nombreux siècles », « pas une mesure qui ne soit brahmsienne » pourtant, modelée par la pulsion, informée par la passion. La forme repensée et recréée, héritée-transformée, devient à son tour puissance de transformation, de symbolisation. Ainsi la décomposition de ses thèmes à laquelle se livre Beethoven dans ses Esquisses « sous la poussée du démoniaque », d’une force de déliaison, travaille au service de l’unité (p. 196), comme dans la IXe Symphonie où « les fragments du thème principal… fournissent le matériau de construction des gigantesques voûtes du premier mouvement » (ibid.). Beethoven « a idéalisé ce mode tout à fait personnel de création ». À partir d’une idée fixe rythmique, il crée une unité. Mais ce qui lui permet une telle fragmentation, c’est l’idée du tout qui la gouverne, comme ce rythme dactylique qui domine le premier mouvement de la VIIe (p. 198). Il « cherche l’essentiel dans la structuration thématique, il intensifie par le travail de condensation et d’individuation la valeur spirituelle du motif » (p. 202).Lorsque force et forme cessent de se conjuguer, ne subsistent alors à l’un des pôles déserté par

l’autre que le seul talent, forces vives de l’ima-gination qu’a délaissées la technique réduite à une simple habileté, à l’autre pôle la seule virtuosité, qui se réduit à la « forme qui jouit égoïstement d’elle--même ».Le génie, lui, est synthèse. « Créateur de formes pour faire entendre l’inouï » (je souligne), « une parole qui n’existait pas encore ». L’esthétique chez le compositeur n’est pas seulement une éthique. Elle est encore une métaphysique : « Chez les génies l’esthétique devient méta-physique » (p. 190). Terme à entendre, hors de toute transcendance, au sens férenczien : comme une psychologie de la physique, réversi-ble en une physique de la psychologie, comme une capacité de donner à la physique de la pulsion sa transposition, sa modulation, sa réso-lution psychique – qui sera d’essence musicale : « On voit bien que dans la vie quotidienne les hommes déploient toute leur énergie pour se soustraire à l’influence des passions fortes. Dans la musique le tumulte des sentiments se convertit (je souligne) en harmonie et en forme sonore et pénètre par la porte de la satisfaction des sens dans l’âme des hommes. Nous ne nommons beau un morceau de musique que lorsqu’il résout les contenus de l’humeur en sonorités magiques, en harmonies qui nous captivent par le naturel de leurs enchaînements, en rythmes qui nous enthousiasment et nous animent, en proportion et en rapport de forces qui nous remplissent de bien-être, en mélodies qui déjà nous charment par la magie de leurs lignes ».

De cet ouvrage on pourra dire qu’il fait réson-ner l’inconscient musical : inconscient musical

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à l’œuvre chez le compositeur qui se met à son écoute, inconscient musical à l’œuvre chez l’auditeur, qui se fait la Dritte Person capable d’authentifier la transformation de l’affect en forme sonore dispensa-trice de jouissance tout autant que de puissance d’abréaction. La créa-tion musicale s’y laisse définir comme un type particulier, sans doute le plus élaboré, de conversion de l’affect, en ce qu’il réclame non seule-ment la composition d’une œuvre, mais encore l’invention ou la réin-vention d’un langage spécifique (ainsi Beethoven qui redonne sens neuf à la forme, réinvente tout pour lui donner sens une nouvelle fois 27). Ce type de conversion rend l’affect transmissible, l’œuvre se faisant le « passeur » d’une abréaction partagée. De cela Max Graf se faisait le passant. Freud n’a pu l’entendre. Peut-être parce qu’il ne pouvait que « rester sur sa faim 28 » devant une telle approche de l’œuvre et de son processus de création, qui ne fait nulle place au sens latent, à l’énigme et à sa résolution. Peut-être parce qu’il ne voulait retenir de la résonance musicale des mots que ce qui y faisait raison. Peut-être aussi parce que son transfert musical ne put perdurer au-delà de la rupture d’un transfert réciproque. Ou encore parce qu’il avait été quelque peu analyste de Max Graf par épouse et fils interposés. Pour ces raisons il ne pouvait se faire ni jury ni passeur du passant Max Graf. Il revient à ses lecteurs d’aujourd’hui de se faire ses passeurs, émetteurs à leur tour de cette conception d’un inconscient musical reçue de lui.

Résumé : En 1910 Max Graf, disciple et ami de Freud de 1900 à 1911, père du « petit Hans », fait paraître un essai sur la création musicale dans ses rapports avec l’inconscient, L’atelier intérieur du musicien. Cet essai, qui conjugue les frayages freudiens et la thèse d’un inconscient musical, se signale comme un témoignage, véritable rejeton d’écriture d’un nouage originel entre musique et psychanalyse. Il ne peut s’extraire d’un réseau transférentiel et textuel tramé de silences : silence de la communauté psychanalytique quant au devenir musical de Hans-Herbert ; silence de Max Graf qui publie quarante après l’avoir reçu de Freud le manuscrit de Personnages psychanalytiques à la scène, publication qui a valeur d’acte ; silence enfin de Freud qui ne prit jamais acte de cette passe musicale avant la lettre. Cet essai marque pourtant le troisième temps d’un circuit invoquant où Freud et Graf s’étaient faits tour à tour récepteurs et entendeurs, l’un du cadre analytique informé par la scène théâtrale (dont Herbert Graf s’est fait lui aussi le récepteur en réinventant la scène d’opéra), l’autre de l’enjeu musical du cas, qui en informe la lettre. Dans cet essai Graf met implicitement en regard, à l’origine du processus créateur, la chambre des enfants, lieu du

27. « Beethoven reproduisait la tonalité depuis la liberté subjective… (il développe) l’être musical à partir du néant, pour pouvoir le déterminer totalement comme devenir » (T.W. Adorno, Philosophie de la nouvelle musique, Philosophie der neuen Musik, Europäische Verlagsanstalt Köln, 1958, trad. française Hans Hildenbrand et Alex Lindenberg, Paris, Gallimard, 1962, 222 p., p. 78 et 86).28. C’est ce que propose F. Dachet dans sa présentation de L’atelier intérieur, op. cit., p. 41.

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fantasme, et la chambre des parents, lieu du trauma-tisme sonore ; il fait jouer le diptyque scène-atelier, avance et déploie la notion spécifique de fantasme sonore, d’inconscient pulsionnel précurseur du ça freudien, évoque la pulsion comme « force » capable de pousser la « forme ». La création musicale se définit comme un type particulier, le plus élaboré, de conver-sion de l’affect en forme sonore.

Mots-clés : Freud, Graf, fantasme, traumatisme, fantasme sonore, pulsion, affect, conversion, refoulement, origi-naire, Chose, scène, circuit invoquant, éthique.

Summary : In 1910, Max Graf, Freud’s disciple and friend from 1900 to 1911, father of “Little Hans”, published an essay on musical creativity in its connec-tions with the unconscious, The Inside Workshop of the Musician. This essay, which combines the Freudian “facilitations” and the thesis of a musical unconscious, stands out as evidence, writing’s true descendant of the original tie between music and psychoanalysis. He can not get out of a network transference and textual frames of silences : silence of the psychoanalytic community about the musical future of Hans Herbert ; silence of Max Graf who published forty years after having received the manuscript of Freud Psychoanalytic Characters to the Stage, this publication having value of act ; finally, silence of Freud who never took note of this musical pass in advance. This essay marks however the third time of an invoking circuit where Freud and Graf made themselves alternately receivers. Graf received the analytical framework inspired by the theater stage, that his son Herbert also received by reinventing the opera stage. Freud received the musical stake of the cure, which structures his literally writing. In this essay, Graf implicitly puts in opposite, at the origin of the creative process, the children’s room, place of fantasy, and the parents’ room, place of acoustic trauma. He compares the scene and the workshop, introduces and unfolds the specific notions of acoustic fantasy, of instinctual uncon-scious precursor of Es Freudian. He evokes the drive as “force” able to push the “form”. The musical creation is defined as a particular type of conversion, the more elaborate, of affect in sound shape.

Keywords : Freud, Graf, fantasy, trauma, acoustic fantasy, drive, affect, conversion, repression, original, Thing, stage, invoking circuit, ethic.

Resumen : En 1910 Max Graf, discípulo y amigo de Freud de 1900 a 1911, padre del « pequeño Hans », publica un ensayo sobre la creación musical y su relación con el inconsciente : L’atelier intérieur du musicien (El taller interno del músico). Este ensayo, que conjuga las « facilitaciones » freudianas y la tesis de un inconsciente musical, aparece como un testi-monio, como un verdadero resultado escrito de una conexión original entre música y psicoanálisis. Graf no puede separase de una red de elementos transfe-renciales y textuales en cuya trama intervienen nume-rosos silencios : el de la comunidad analítica en lo que concierne el futuro de Hans Herbert (el pequeño Hans) como músico ; el de Max Graf, que publica el ensayo cuarenta años después de haber recibido de Freud el manuscrito de Personajes psicopáticos en el escenario, publicación que significa toma de posi-ción ; en fin, el silencio de Freud que no tuvo nunca en cuenta esta passe musicale en ciernes. Este ensayo representa la tercera etapa de un « circuito invo-cante » en el que Graf y Freud eran alternativamente receptores ; el primero del cuadro analítico inspirado por el escenario del teatro (del cual Herbert Graf se hizo a su vez, receptor al reinventar el escenario de la ópera) ; el segundo, del desafío musical que repre-sentaba ese caso. En este ensayo, Graf establece una relación implícita entre el dormitorio de los niños, lugar de fantasías y el de los padres, lugar de trau-matismos sonoros, como base del proceso creador ; hace intervenir el díptico escenario-taller ; pone en evidencia y desarrolla la noción específica de fanta-sía sonora, de inconsciente instintivo, precursora del « Ello » freudiano, evoca el instinto como « fuerza » capaz de impulsar la « forma ». La creación musical se define como un tipo particular, más elaborado, de conversión del afecto en forma sonora.

Palabras claves : Freud, Graf, fantasía, traumatismo, fantasía sonora, instinto, afecto, conversión, represión, original, Cosa, escenario, circuito invocante, ética.

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