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Idee s mag DÉBATS, POINTS DE VUE, LIBRES OPINIONS... POUR ALLER PLUS LOIN Exclusif Le monde en 2030 vu par la CIA Quoi de plus fascinant que de se prendre durant quelques heures pour le président des Etats-Unis ? Pour cela, il faut avoir accès au rap- port de la CIA sur l’évolution du monde. Depuis quinze ans, tout hôte de la Maison-Blanche inaugure son mandat par la lecture de ce précieux document élaboré par le NIC (Na- tional Intelligence Council), cellule de veille et d’intelligence économi- que de l’Agence qui analyse, décor- tique, projette et, tous les quatre ans, rend son diagnostic public. La dernière prospective s’intitule « Global Trends 2030 : Alternative Worlds ». L’objectif ? Aider les déci- deurs politiques et économiques à préparer l’avenir. Lire et méditer cette étude, c’est entrer dans le saint des saints de la doxa de la poli- tique américaine et se nourrir en direct d’une expertise stratégique dont les think tanks comme les lobbys internationaux font leur miel. EXTRAITS CHOISIS PAR PATRICE DE MÉRITENS OFFICIAL WHITE HOUSE PHOTO A la Maison-Blanche. Vu des coulisses du bureau ovale : le président Obama reçoit le nouveau directeur de la CIA, John Brennan. 1 er FÉVRIER 2013 - LE FIGARO MAGAZINE • 101

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Page 1: Brochure: Le monde en 2030 vu par la CIA

Ideesmag DÉBATS,POINTSDEVUE,LIBRESOPINIONS...POURALLERPLUSLOIN

ExclusifLemonde en 2030

vu par la CIAQuoi de plus fascinant que de seprendre durant quelques heurespour le président des Etats-Unis ?Pour cela, il faut avoir accès au rap-port de la CIA sur l’évolution dumonde. Depuis quinze ans, tout hôtede la Maison-Blanche inaugure sonmandat par la lecture de ce précieuxdocument élaboré par le NIC (Na-tional Intelligence Council), cellulede veille et d’intelligence économi-que de l’Agence qui analyse, décor-tique, projette et, tous les quatreans, rend son diagnostic public. Ladernière prospective s’intitule« Global Trends 2030 : AlternativeWorlds ». L’objectif ? Aider les déci-deurs politiques et économiques àpréparer l’avenir. Lire et méditercette étude, c’est entrer dans lesaint des saints de la doxa de la poli-tique américaine et se nourrir endirect d’une expertise stratégiquedont les think tanks comme leslobbys internationaux font leur miel.EXTRAITSCHOISIS PARPATRICEDEMÉRITENSOF

FICIAL

WHITE

HOUS

EPH

OTO

A la Maison-Blanche.Vu des coulisses du bureauovale : le président Obamareçoit le nouveau directeurde la CIA, John Brennan.

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Ideesmag

Aquoi ressemblera le monde en 2030 ? LaCIA définit les grandes tendances à venir :la planète comptera 8,4 milliards d’habi-tants, l’urbanisation sera croissante, 60 %de la population mondiale vivant dans lesvilles. Les classes moyennes se développe-ront. L’éducation et la santé entraîneront

une émancipation des individus, lesquels auront aussi ac-cès à des technologies plus meurtrières et dévastatrices quine seront plus l’apanage des Etats. La dispersion de la puis-sance entre les nations sera plus marquée. La demande ennourriture, eau, énergie augmentera entre 35 et 50 %. Denombreux pays seront confrontés à des pénuries (le man-qued’eau,particulièrement,impacteralamoitiédelapopu-lation planétaire), et nous vivrons une époque cisaillée pardes crises économiques et des conflits. En 2030, nous se-rons nombreux, vieux, et nous aurons faim. Nous seronsmoins pauvres économiquement, mais plus vulnérables.Virus informatique ou biologique : une personne seulepourra saccager l’humanité au sein d’une société de mira-cles technologiques et médicaux mais aussi de cauchemarséthiques. La part des pays occidentaux dans l’économiemondiale passera, quant à elle, de 56 à 25 %. Les experts dela CIA posent donc les questions clés : les divergences et lavolatilité des économies sont-elles un facteur d’effondre-ment ou de résilience ? Ils préviennent : l’Europe mettra aumoinsunedécennieàseremettredelacrisedel’euro ;unef-fondrement ou un retrait soudain de la puissance améri-caine aurait sans doute pour résultat une période d’anar-chie globale. Quatre scénarios de « mondes possibles » sontretenus : 1) Quand les moteurs calent – les Etats-Unis et l’Eu-rope se replient sur eux-mêmes et la mondialisation s’ar-rête. 2) Fusion – les Etats-Unis et la Chine collaborent,ouvrant la voie à une coopération internationale pour ré-pondre aux défis de la mondialisation. 3) LeGini de la lampe– un monde dans lequel les inégalités économiques domi-nent (le coefficient de Gini étant une mesure statistique del’inégalité du revenu).4)Unmondenon étatique– les acteursde la lutte contre les problèmes mondiaux n’appartiennentplus aux sphères étatiques.Maisicietmaintenant,queldangermajeurnouspréoccupe ?PourlesAméricainscommepourlesEuropéens:l’instabilitéauMoyen-Orient.LaCIAanalyse lasituationdanssarubri-que : « Catalyseurs de changements ».

ExtraitsLe Moyen-Orient : un point de basculementEn 2030, le Moyen-Orient sera un endroit très différent,mais ses possibilités d’évolution couvrent une large paletteallantd’unecroissanceetd’undéveloppementfragilesàuneinstabilitéchroniqueetdesconflitsrégionauxpotentiels.Surleplandémographique,la«vaguedejeunesse»–undesmo-teurs du récent Printemps arabe – cédera la place à unvieillissementprogressifdelapopulationàmesurequesefe-ront sentir les effets sociaux et économiques de la baisse destaux de fertilité. Les nouvelles technologies commencent àouvrir l’accès à de nouvelles sources de pétrole et de gaz, etl’économie régionale devra se diversifier pour poursuivre sacroissance. Comme d’autres puissances émergentes de la

“Les partismusulmans au

pouvoir s’orienterontdavantage

vers l’économiede marché”

Exclusif Le monde en 20 30 vu par la CIA

LAND

OV/MAXPPPQuartier général

de la CIA,Langley (Virginie).

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Exclusif Le monde en 20 30 vu par la CIAplanète, les pays très peuplés du Moyen-Orient pourraientconnaîtreunaccroissementdeleurinfluencerégionale,voiremondiale.L’avenir du Moyen-Orient dépendra principalement desévolutions politiques dans cette région. Si la république isla-mique se maintient en Iran et acquiert des armes nucléaires,leMoyen-Orientferafaceàunavenirextrêmementinstable.La chute de la maison des Saoud aurait un impact dévasta-teur sur l’économie régionale et l’émergence d’un gouverne-ment islamiste radical en Egypte pourrait exacerber les ten-sionsrégionalessurdenombreuxfronts.EnIraketenSyrie,une fracture des lignes ethniques et religieuses pourrait en-traîner un effritement des frontières actuelles. D’un autrecôté,l’émergencedanscespaysdegouvernementsdémocra-tiquesmodérésoulaconclusiond’unaccorddécisifsurlaré-solution du conflit israélo-palestinien auraient des consé-quences extrêmement bénéfiques.Suiteànosdiscussionsavecdesexperts,nousavonsidentifiésix questions déterminantes pour l’avenir de la région :

1L’islam politique se modérera-t-il avec l’exercice dupouvoir ?L’islam politique, après le faux départ de l’élection duFrontislamiquedusalut(FIS)enAlgérie ilyaplusdevingtans,gagneduterraindanslemondesunnite.Du

Partidela justiceetdudéveloppement(AKP)enTurquieauParti liberté et justice d’Egypte (FJP), en passant par Ennah-dha en Tunisie, le Hamas à Gaza et les éventuelles victoiresdes groupes musulmans en Libye et en Syrie, une profondetransformations’estopéréeauMoyen-Orient.Lespartismu-sulmans, comme ceux d’Egypte, ont appelé à un élargisse-mentdufiletdesécuritépourlaclassemoyenneinférieure,àla création de milliers d’emplois dans le secteur public et aumaintien des subventions pour l’alimentation et l’énergie.Cespolitiquesnesontpastenables.Al’avenir, lespartismu-sulmansaupouvoirs’orienterontdavantageversl’économiede marché et donneront plus de moyens à la « nouvellegarde»entrepreneurialedesFrèresmusulmansetàd’autresacteurs capables de faire croître l’économie.Avec le temps, le pragmatisme politique pourrait prendre lepassurl’idéologie,aidéencelaparlacroissanced’unesociétécivilequiproduiraunenouvellegénérationdechefsd’entre-prise et de dirigeants pragmatiques – une évolutionconstamment freinée par les régimes autoritaires.La démocratie musulmane se déclinera presque certaine-ment en une palette politique variée. Les partis musulmanstunisiens seront différents les uns des autres, mais tousaurontàcœurd’établirleurlégitimitédanscettenouvelleèrepost-autoritaire. Dans la Syrie post-Assad, il est probablequ’un sunnite d’origine urbaine prenne le pouvoir au seind’une coalition regroupant les Frères musulmans, les mino-rités religieuses, les Druzes, les Kurdes et d’autres groupes.Avant la prise du pouvoir par Hafez el-Assad (de confessionalaouite,brancheduchiisme,ndlr), ilyaplusdequaranteans,lepays était dirigé par des partis sunnites urbains formant desgouvernements multiples et instables. La Syrie pourraitconnaître un retour aux années 1960. En Irak, le régimemontredéjàdessignesd’unretouraugouvernementdesfac-tions, les chiites étant le cas échéant prêts à partager le pou-voir avec les Arabes sunnites ou les Kurdes.Silacorruptionetlechômagepersistentousiungrandnom-bre de travailleurs pauvres estiment que leur vie n’a pas

connu d’amélioration avec l’élection de gouvernements dé-mocratiques, ceux-ci pourraient se tourner vers des diri-geants politiques proposant une approche plus radicale. Lesfondamentalistesbénéficieraientalorsd’uneplusgrandepo-pularité grâce à leur attachement à des principes religieuxconservateurs, alternative bien identifiée au capitalisme et àla démocratie à l’occidentale.

2Lesgouvernements de transition empêcheront-ils lestroubles civils ?Larégionsouffrirad’uneinstabilitéchroniquedueàl’affaiblissementdesEtatsetàlacroissancedusecta-risme, de l’islam et du tribalisme. Ces difficultés se-

ront particulièrement vives dans des Etats comme l’Irak, laLibye,leYémenetlaSyrie,oùcouvaientdéjàlestensionssec-taires alors que les régimes autoritaires cooptaient des grou-pes minoritaires et imposaient de sévères lois pour neutrali-ser les rivalités. Si l’Irak ou la Syrie venaient à se morcelerdavantage, un Etat kurde ne serait pas inconcevable. Ayantdéjàconnuunescission, leYémen–dirigéparungouverne-ment faible – pourrait à nouveau se diviser. En toute hypo-thèse,leYémendevraitposerunproblèmedesécuritéenrai-son de la fragilité du pouvoir central, de l’importance de lapauvreté et du chômage et de la jeunesse d’une populationquipasserade28millionsaujourd’huià50millionsen2025.LeBahreïnrisqueégalementdedevenirlethéâtrederivalitéscroissantes entre sunnites et chiites, potentiellement dévas-tatrices pour toute la région.Avec le temps, la persistance de la violence affaiblira le sou-tienauxrégimesdémocratiquesetentraîneral’émergencededictateurs, éloignant ainsi ces pays de la démocratie libérale.Ces gouvernements faibles, enlisés dans les violences inter-nes et les troubles civils, ne joueront probablement pas unrôle important sur le plan régional, laissant des puissancesnon arabes, notamment la Turquie, l’Iran et Israël, au pre-mier plan.

3Les pays du Moyen-Orient pourront-ils rétablir leursituation économique et prendre la vague de la mon-dialisation ?Le taux de fertilité baisse, mais la jeunesse demeu-reramajoritairejusqu’en2030.Levieillissementde

la population pourrait toutefois conduire à une crise du

DR

Lemonde en 2030vu par la CIA. Traductionintégrale du rapport duNational IntelligenceCouncil « Global Trends2030 : Alternative Worlds »,paru aux Etats-Unis endécembre 2012, préface deFlore Vasseur, éditions desEquateurs, 302 p., 18 !.

“Dans la Syriepost-Assad,il est probablequ’un sunnited’origine urbaineprenne le pouvoir”

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Ideesmag

systèmedesantéfauted’unmeilleurfinancementdelapro-tection sociale. Seuls 2 % des investissements directs étran-gers (IDE) sont actuellement destinés au Moyen-Orient et,hormisl’énergie, letourismeetl’immobilier, ilyapeudesec-teurs attractifs. De nombreux pays du Moyen-Orient souf-frent également d’un retard technologique et la région estl’une des moins intégrées sur les plans commercial et finan-cier. L’Europe, partenaire commercial traditionnel duMoyen-Orient, connaît un ralentissement de sa croissance.Seule l’Afrique subsaharienne, avec une économie en pleinessor, serait susceptible d’offrir de nouvelles opportunités.Les pays plus riches du Conseil de coopération du Golfe(CCG) sont bien placés pour exercer une influence positive :les fonds souverains du CCG ont accumulé des actifs consé-quents au cours des dernières années, et une part croissantedes pétrodollars devrait être investie sur les marchés locauxet régionaux, notamment en Egypte, en Libye et en Tunisie.Desurcroît,lesEtatsduCCGtransformentunepartplusim-portante de leur pétrole en produits raffinés ou pétrochimi-ques pour créer des biens à valeur ajoutée. Le Golfe est unaimantpourlesinvestissementsd’Asie,d’Europeetd’autresparties du monde.

Toutefois, les pays du Golfe pourraient être confrontés à desdifficultés sérieuses si l’exploitation du gaz et de l’huile deschiste entraînait une augmentation importante de l’appro-visionnementenpétrole,avecpourrésultatdeproposeruneénergie à meilleur marché. Le prix du pétrole permettant àl’Arabie saoudite d’atteindre l’équilibre budgétaire ne cessedecroître,passantde67dollarslebarilà100dollarsselonunchiffreofficielrécent,cequiindiqueraitunecroissanceexpo-nentielle des dépenses budgétaires susceptible de dépasserl’augmentation desprix dupétrole.Adéfautd’uneaugmen-tation brutale des prix du pétrole sur le marché intérieur quiréduirait une demande intérieure actuellement en crois-sance, l’Arabie saoudite devrait devenir un importateur netde pétrole d’ici à 2037.

4Comment l’Iran projettera-t-il sa puissance régio-nale ?L’influence de l’Iran est liée à ses aspirations nu-cléaires. Une partie de nos interlocuteurs estimeque l’Iran n’ira pas jusqu’à développer une arme

nucléaire,maisqu’ilconserveralacapacitédelefaire.Danscescénario, un effondrement du système de non-proliférationseraitinévitableetl’Arabiesaouditeobtiendraitdesarmesoudes capacités nucléaires du Pakistan. La Turquie pourraitréagiràunIrannucléaireencherchantàsedoterdelamêmecapacitéouensefiantaubouclierdéfensifdel’Otan.LesEmi-rats arabes unis, l’Egypte, voire la Jordanie, devraient lancerdes programmes nucléaires liés à l’énergie, pour se couvrirenselaissantlalibertéd’allerplusloinsil’Iran,l’Arabiesaou-dite ou d’autres Etats de la région devenaient ouvertementdes puissances nucléaires. Le cas échéant, la région serait enétat de crise constante. On assisterait à une recrudescencedes antagonismes entre chiites et sunnites, entre Arabes etPerses,facteurd’uneinstabilitéconsidérabledépassantleca-dre régional.Un autre scénario impliquerait que le régime iranien cède àla pression croissante d’une opinion publique en demandede bénéfices économiques plutôt que d’armes nucléaires etrefusantdepayerleprixd’uneisolationinternationale.Leré-gime pourrait finir par être renversé par des conflits au seindel’éliteetdesmanifestationsdemasse.Cescénariooùl’Irandéciderait de porter son attention sur la modernisation éco-nomique entraînerait l’émergence d’un pays démocratiqueplusfavorableauxintérêtsoccidentauxetamélioreraitlasta-bilité de la région.

5Un accord israélo-palestinien peut-il être conclu,augmentantainsi lesperspectivesdestabilitédans larégion ?Surleplanintérieur, Israëlestconfrontéàdesdivi-sions politico-sociales accentuées par le poids dé-

mographique croissant du courant religieux conservateurharedim et du mouvement des colons opposés à la concep-tion datant de 1948, d’une république religieuse et libérale.Certainsdenosinterlocuteursestimentquecesdivisionsdé-boucheront sur une crise avant 2030. Israël demeurera lapremière puissance militaire, mais sera confronté à des me-nacespersistantesdeguerredebasseintensité,sanscompterla menace nucléaire éventuelle de l’Iran. Toutefois, la pres-sioncroissantedel’opinionpubliquearabepourraitrestrein-dre la marge de manœuvre d’Israël, confronté au risqued’une escalade. La résolution du conflit israélo-palestinien

ExclusifLe monde en 2030 vu par la CIA

SPLASH

NEWS/K

CSPR

ESSE

Vue aériennedu quartier généralde la CIA.

“L’Iran pourraitprovoquer

un effondrementdu systèmede

non-proliférationnucléaire”

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ExclusifLe monde en 2030 vu par la CIA

aurait des conséquences spectaculaires pour la région dansles deux décennies suivantes. Pour Israël, une résolutionpermanenteduconflitouvriraitlaporteàdesrelationsrégio-nales inenvisageables aujourd’hui. La fin du conflit palesti-nien constituerait un revers stratégique pour l’Iran et soncampdelarésistanceetaffaibliraitàtermelesoutiendel’opi-nion publique aux groupes militants comme le Hezbollah etleHamas.Sansuneformederésolutionduconflit, Israëlde-vrafournirdeseffortscroissantspourcontrôlerunepopula-tion palestinienne en plein essor, aux droits politiques limi-tés, et un territoire de Gaza insoumis à sa porte.Nombre de nos interlocuteurs envisagent une Palestineémergeant de l’épuisement israélo-arabe et de la réticencedes Israéliens et des Arabes à s’engager dans un conflit sansfin.Desquestionscommecelledu«droitauretour»,deladé-militarisation et de Jérusalem ne seront pas résolues d’ici à2030et iln’yaurapasdefinréelleduconflit.LavoieversunEtatpalestinienpasseraparuneséried’actionsofficieusesin-dépendantes connues sous le nom d’« unilatéralisme coor-donné », menant par étapes à la création d’un Etat. La prisede distance du Hamas vis-à-vis de la Syrie et de l’Iran et sonretour dans le camp sunnite arabe peuvent accroître leschances d’une réconciliation entre l’Autorité palestinienne àRamallah et le Hamas à Gaza. Les frontières de la Palestinecorrespondront à peu près aux frontières de 1967, avec desajustements ou des échanges de territoire le long de la Ligneverte, mais d’autres questions resteront alors en suspens.

6L’Arabie Saoudite et les autresmonarchies sunnitesduGolfe–outre leBahreïn– resteront-ils à l’abri desmouvements de protestation visant à renverser lesrégimes qui ont transformé le monde arabe ?Indépendamment du développement de capacités

pétrolièressupplémentairesdansd’autrespartiesdumonde,des troubles politiques en Arabie saoudite pourraient dé-clencher une incertitude économique et politique de grandeéchelle. Dans ce pays, le pouvoir fera probablement l’objetd’unelutteentregroupesrivaux,notammentdesgroupesaf-filiésauxFrèresmusulmans,desextrémistesmusulmansra-dicaux, des mouvements laïques et des acteurs chiites.Comme en Egypte, une transition politique à venir seraitcomplexeetdésordonnée.D’autresmonarchiessunnitesde-vraientêtreobligéesd’accepterdesréformespolitiquesd’en-vergure, sous peine d’être confrontées à des rébellions simi-laires dans leur pays. Au Liban, dans les territoirespalestiniens, en Irak et dans d’autres lieux où les Saoud ontusé de leur influence pour soutenir leurs alliés sunnites, lesgroupes qui dépendent de ce soutien pourraient être consi-dérablementaffaiblis,peut-êtreaubénéficederivauxchiitespro-iraniens.Si les monarchies du Conseil de coopération du Golfe (CCG)surmontaientavecsuccèslePrintempsarabe,lesprincipauxbénéficiairesdanslarégionenseraientlaJordanieetleMaroc– les monarchies sunnites les plus vulnérables. Un tel résul-tat assurerait au CCG une influence régionale et les pays duGolfe conserveraient un levier économique dans les paysarabesentransition,ycomprisl’EgypteetpotentiellementlaSyrie.Enfin,lescénariodustatuquomaintiendraitvoireren-forcerait la dynamique de guerre froide entre les Etats duGolfeet l’Iran,particulièrementàmesurequel’Irans’appro-chera du seuil nucléaire.

! EXTRAITS CHOISIS PAR PATRICE DEMÉRITENS

La paix nous a-t-elle rendus indif-férents ? C’est une questionqu’on est amené à se poser,depuis quelques décen-nies, chaque fois que la Ré-

publique rend hommage à des sol-dats morts au Kosovo, en Afghanistan, enLibye, en Afrique noire ou, en ce moment même, au Mali. Dansunessaid’«ego-histoire»vifetprofond(1),AntoineCompagnon,professeur de littérature au Collège de France, ancien élève duPrytanéemilitairedeLaFlècheetfilsd’unofficiergénéral,retraceune tranche de vie dont il situe le pivot autour de 1965-1966. Apartir de cette date, la France, sortie depuis trois ans de sa der-nière guerre coloniale, délivrée de l’autorité sans partage duCommandeur qu’elle vient de mettre en ballottage, peut enfin sa-vourer les délices des Trente Glorieuses. Mais ce n’est pas sansétat d’âme : c’est une période de « déconstruction » qui, culminanten 1968, déborde d’énergie désorientée. L’intéressant, dans ceparcours, est le souvenir précis que son narrateur a gardé d’unepériode où le moi collectif peut de moins en moins se définir parrapport à la guerre. Le délite-ment du communisme et la sup-pression du service militaire parJacques Chirac achèvent de vi-der de sa substance la dialecti-que ami-ennemi qui, plus oumoins consciemment, solidari-sait les citoyens d’une même na-tion autour de causes qui, pourobéir à des idéologies opposées,n’en relevaient pas moins d’une sensibilité commune. On auraitpu croire que l’habitude de la paix gagnant les esprits, l’horreurdelaviolences’accompagneraitd’unsentimentdedetteaccruen-vers les soldats de métier partis se battre pour défendre surd’autres fronts des causes humanitaires ou des intérêts relevantde la sécurité collective. C’est presque l’inverse qui s’est produit.Lescitoyens,nesesentantplusdirectementconcernés,neréagis-sentplusqu’àtitrepersonnelàlasollicitationdemédiasquiprivi-légient l’émotion sans lendemain par rapport au long travail dusens. Le général Jean-René Bachelet vient de donner à la témé-rairerevueInflexions,duministèredelaDéfense,dontilestundespiliers depuis sa création en 2004, un texte qu’il n’a pas intitulépar hasard : « La bravoure, vertu du passé ? » (2). La bravoure estuntraitd’héroïsmequiconsisteàmettresavieenjeupoursauvercelle des autres. Loin d’être le sacrifice d’un fou de Dieu, c’est unacte gratuit qui fait reculer l’absurde. Dans le même dossier,Alain Duhamel fait remarquer, avec son ingéniosité coutumière,queleshommespolitiquespeuventfairepreuved’uncouragequin’est pas éloigné de la bravoure. Soit ! On souligne souvent, pourles tourner en dérision, que les grandes commémorations desunités d’élite sont des souvenirs de défaite : Sidi-Brahim, Came-rone, Bazeilles… Au combat, comme dans l’hémicycle, le succèsn’est pas la condition nécessaire de la gloire.(1) Antoine Compagnon, La Classe de rhéto, Gallimard. Voir aussi son article « 1966 :annus mirabilis », Le Débat, septembre 2012.(2) Revue Inflexions, « Courage ! », La Documentation française, n° 22.

La bravoureet la gloire

Le moi collectif se définit de

moins en moins par rapport à

la guerre

Alain-GérardSlama

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