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Bruits, cris, musiques de filmsLes projections avant 1914

Martin Barnier

Éditeur : Presses universitaires de RennesAnnée d'édition : 2010Date de mise en ligne : 25 janvier 2013Collection : Spectaculaire | CinémaISBN électronique : 9782753527164

http://books.openedition.org

Édition impriméeISBN : 9782753512030Nombre de pages : 303

Référence électroniqueBARNIER, Martin. Bruits, cris, musiques de films : Les projections avant 1914. Nouvelle édition [en ligne].Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2010 (généré le 01 juin 2016). Disponible sur Internet :<http://books.openedition.org/pur/1445>. ISBN : 9782753527164.

Ce document est un fac-similé de l'édition imprimée.

© Presses universitaires de Rennes, 2010Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540

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Bruits, cris, musiques de filmsLes projections avant 1914

Martin Barnierpréface de Rick Altman

Presses Universitaires de Rennes

Réseau des UniversitésOUEST ATLANTIQUE

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Presses Universitaires de Rennes

Réseau des UniversitésOUEST ATLANTIQUE

Bruits, cris, musiques de filmsLes projections avant 1914

La description classique de l’accompagnement du film muet consiste à dire qu’un pianiste ou un orchestre jouait pendant la projection. Cet ouvrage a pour ambition de retrouver la réalité complexe des spectacles cinématographiques avant 1914, dont le spectre d’écoute était d’une variété extrême.

En explorant les archives municipales, les rubriques des spectacles des quotidiens locaux, la presse corporative, aussi bien qu’en observant les cartes postales de l’époque, on découvre un capharnaüm littéralement inouï. La multitude des lieux de projection explique l’éventail infini des sons entendus par les spectateurs. Car ceux-ci ont découvert les films dans des cafés, des music-halls, des grands magasins, des cirques aussi bien que dans des églises, des salles de classe ou même des patinoires ! L’étude d’un grand nombre de villes françaises donne une idée précise de la vie pendant les projections.

Le foisonnement sonore permet de redécouvrir l’expérience du spectateur de la Belle Époque. L’importance de la participation du public est un point fondamental. Les cris, applaudissements et paroles diverses dans des patois variés, accompagnaient les films. Les projections étaient vivantes et, à chaque fois, uniques. Sur les champs de foire, les machines à vapeur – dynamo vrombissantes, les grognements des fauves et le vacarme des orchestrions résonnaient plus fort que le piano. Dans des lieux plus calmes, les paroles des conférenciers, des prêtres, des vulgarisateurs scientifiques et des bonimenteurs captaient l’attention de l’auditoire. Les bruiteurs, eux aussi, influençaient la vision des films et les musiciens, dans des orchestres de toutes tailles rivalisaient avec les chanteurs d’opéra pour amplifier l’émotion provoquée par les images en mouvement. Enfin, la synchronisation mécanique des films était bien plus courante qu’on ne le pense. C’est cette diversité sonore oubliée que ce livre entend remettre en oreille. Ce faisant, il déplace la façon dont l’historiographie traditionnelle présente la réception des films.

Martin Barnier est professeur en études cinématographiques à l’université Lumière Lyon 2. Il a publié En Route vers le parlant, Liège, Éditions du CÉFAL, 2002 ; Des films français made in Hollywood, Paris, L’Harmattan, 2004 ; France/Hollywood, L’Harmattan, 2002 ; Les Biopics du pouvoir politique de l’Antiquité au xixe siècle, Aléas, 2010 (les deux derniers ouvrages en codirection).

En couverture : Une de la revue Le Fascinateur, n° 13, 1er janvier 1904 – Coll. Jean-Claude Seguin

Presses Universitaires de Rennes

Réseau des UniversitésOUEST ATLANTIQUE

ISBN 978-2-7535-1203-0

Prix : 20 €www.pur-editions.fr

Ouvrage publié avec le soutien de l’université Lyon 2, l’équipe de recherche Passage XX XXI,

l’école doctorale 3LA

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Bruits, cris, musiques de films

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Collection « Le Spectaculaire »

Série Cinéma dirigée par :Vincent Amiel, Véronique Campan, Gilles Menegaldo et Gilles Mouëllic

Derniers titres parus

Maxime Scheinfeigel (dir.), Le cinéma, et après ?, 2010, 234 p.Frédéric Sabouraud, Abbas Kiarostami. Le cinéma revisité, 2010, 324 p.Éric Th ouvenel, Les images de l’eau dans le cinéma français des années 20, 2010, 336 p.Natacha Thiéry, Photogénie du désir. Michael Powell et Emeric Pressburger, 1945-1950, 2009, 326 p.Antony Fiant, Le cinéma de Jia Zhang-ke. No future (made) in China, 2009, 174 p.Jean-Loup Bourget et Jacqueline Nacache (dir.), Le classicisme hollywoodien, 2009, 356 p.Antony Fiant, Roxane Hamery et Éric Thouvenel (dir.), Agnès Varda : le cinéma et au-delà, 2009, 258 p.Laurence Moinereau, Le générique de fi lm. De la lettre à la fi gure, 2009, 232 p.Benjamin Thomas, Le cinéma japonais d’aujourd’hui. Cadres incertains, 2009, 310 p.Dominique Bluher et Philippe Pilard (dir.), Le court métrage documentaire français de 1945 à 1968. Créations et créateurs, 2009, 220 p.Pierre-Henry Frangne, Gilles Mouëllic et Christophe Viart (dir.), Filmer l’acte de création, 2009, 254 p.Roxane Hamery, Jean Painlevé, le cinéma au coeur de la vie, 2009, 314 p.Emmanuel Siety, Fictions d’images. Essai sur l’attribution de propriétés fi ctives aux images de fi lms, 2009, 160 p.Jacques Aumont et Bernard Benoliel (dir.), Le cinéma expressionniste. De Caligari à Tim Burton, 2008, 232 p.Sylvie Chalaye et Gilles Mouëllic (dir.), Comédie musicale : les jeux du désir. De l’âge d’or aux réminiscences, 2008, 286 p.Antony Fiant et Roxane Hamery (dir.), Le court métrage français de 1945 à 1968 (2). Documentaire, fi ction : allers-retours, 2008, 416 p.Marie-Françoise Grange, L’autoportrait en cinéma, 2008, 118 p.

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Martin BARNIER

Bruits, cris, musiques de fi lmsLes projections avant 1914

Préface de Rick ALTMAN

Collection « Le Spectaculaire »

Presses universitaires de Rennes2010

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© Presses universitaires de RennesUHB Rennes 2 – Campus de La Harpe

2, rue du Doyen-Denis-Leroy35044 Rennes Cedex

www.pur-editions.fr

Dépôt légal : octobre 2010ISBN : 978-2-7535-1203-0

RemerciementsDominique Carlat et Martine Boyer-Weinmann de l’Équipe de recherche

Passages XX-XXI, Université Lumière Lyon 2. Bruno Gelas, directeur de l’École doctorale 3LA (Lettres, Langues, Linguistiques et Arts) de l’Université Lumière Lyon 2 et Michèle Clément, qui ont aidé à la publication de cet ouvrage.

Jacques Gerstenkorn, le déclencheur de l’ensemble de ce travail.Laurent Le Forestier, lecteur et conseiller précis et précieux.Jean Gili et Rick Altman, éclaireurs de ma recherche.François Albéra, Édouard Arnoldy, François Boisjoli, Alain Carou, Pierre Donaint,

Laurent Mannoni, Michel Marie, Jean-Jacques Meusy, Denis Pelletier, Giusy Pisano, Valérie Pozner, Jean-Claude Seguin, Alexandre Sumpf, Rashit Yangirov.

Archives Départementales du Rhône, Archives Municipales de Lyon, Bibliothèque Municipale de Lyon, Archives Municipales de Nice, BNF section des Arts du spectacle, Bibliothèque Raymond Chirat de l’Institut Lumière (Lyon), Bibliothèque Universitaire Lyon 2, Association DOMITOR, AFRHC.

Richard Abel, Catherine Barnier, Paul et Suzanne Barnier, Julie Barnier, Tania Barnier, Thomas Barnier, Patrick Badard, John Belton, Jean-Pierre Bertin-Maghit, Alain Boillat, Armelle Bourdoulous, Henri Bousquet, Emmanuel Brabant, Anne-Élizabeth Buxdorf, Fabrice Calzettoni, Jeanine et Paul Chanal, Renaud Chaplain, Mathias Chassagnieux, Yves Chevaldonné, Marion Chevrier, Michel Chion, Raymond Chirat, le Ciné-club de Faro (Portugal), Blandine Forthias, Sandrine di Fruscia, William Galindo, André Gardies, Christophe Gauthier, André Gaudreault, Pierre Goujon, Benjamin Labé, Germain Lacasse, Raphaëlle Lavielle, Hae Jae Lee, Thierry Lefebvre, Paul Lesh, Graça Lobo, Astrid Maury, Bérénice Meinsohn, Gilles Mouëllic, Jee Yeon Park, Bérengère Peyrard, Julien Poussardin, Nicolas Riedel, Clémence Schmitt, Thomas Schmitt, Delphine Seubil, Julie Siboni, Mathew Solomon, Bruno Thévenon, Loris Thiel, Stéphane Tralongo, Laurent Veray, Dimitri Vezyroglou, Shoshannah Weil, Frédéric Zarch.

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À Paul et Suzanne Barnier

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Rick Altman*

Préface

Dans ses Investigations philosophiques, le philosophe allemand Ludwig Wittgenstein maintient qu’il n’y a qu’une façon de savoir si tous les jeux ont quelque chose en commun. « Denk nicht, sondern schau ! » dit-il. « Au lieu de penser, observe 1 ! » Les historiens du cinéma des premiers temps n’ont pas toujours obéi à ce précepte. En toute logique, un accompagnement musical était obliga-toire, insistaient-ils, car une image dépourvue de son nous semblerait étrange. Un accompagnement musical s’imposait, raisonnaient-ils, pour couvrir le bruit du projecteur. « Lorsque le cinéma s’installa au music-hall et au caf ’conc’», affi r-maient-ils, « il profi ta naturellement de l’orchestre qui s’y trouvait déjà 2 ». Au lieu de se laisser prendre au piège de la logique, du raisonnable et du naturel, Martin Barnier a écouté de près les pratiques sonores du cinéma à ses débuts. « Au lieu de simplifi er la réalité », propose-t-il, « étudions toute la complexité des environ-nements sonores dans les salles ». Il a bien compris que ce qui aujourd’hui nous semble étrange était peut-être bien la norme, il y a un siècle. Il s’est donc attaché à dépister toutes les pratiques sonores du cinéma des premiers temps – même celles qui ne correspondent pas à une logique moderne. Au lieu de suivre un raisonnement qui ne saurait éviter l’anachronisme, il a commencé par observer les faits sur le terrain.

Les oreilles grandes ouvertes, Martin Barnier s’est promené un peu partout dans la France d’avant-guerre. Trois aspects de ses recherches méritent une mention particulière. D’une part, ses prédécesseurs se sont en général cantonnés à une seule ville ou à une seule région, alors que pour la première fois Barnier nous

* Professeur à University of Iowa.• 1 – Ludwig Wittgenstein, Philosophische Untersuchungen, Berlin, Akademie Verlag, 1998, p. 66.• 2 – Jacques Deslandes et Jacques Richard, Histoire comparée du cinéma, t. 2, Du cinématographe au cinéma (1896-1906), Tournai, Casterman, 1968, p. 76 sq.

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off re un panorama qui couvre la province comme Paris, les petites villes comme les grandes, les pratiques ambulantes comme celles des théâtres permanents. Au lieu de se limiter à la liste traditionnelle de ceux qui ont leur mot à dire sur le son et les débuts du cinéma (Richard Abel, Rick Altman, Jacques Deslandes et Jacques Richard, André Gaudreault, Tom Gunning, Giusy Pisano), il a su profi ter du travail de tous les collègues qui ont bien voulu se salir les manches dans les archives locales – Jean-Jacques Meusy pour Paris, Pierre et Jeanne Berneau pour Limoges, Olivier Poupion pour Rouen, René Prédal pour Nice, Jacques et Chantal Rittaud-Hutinet pour le pays tout entier en 1896-1897, et bien d’autres. De plus, les propres recherches de Barnier sur Lyon, Nice, Saint-Étienne et Villefranche-sur-Saône et dans de nombreux journaux coopératifs ont fourni un complément essentiel aux renseignements déjà disponibles.

D’autre part, la variété des documents consultés par Barnier lui a permis de tirer le maximum de ses sources. Il faut l’avouer, les recherches sur le son comptent parmi les plus ingrates, car il s’agit de reconstituer tout un paysage sonore à partir de quelques traces entièrement inaudibles et quasiment invisibles. Il est donc nécessaire de faire preuve de la plus grande créativité dans les recherches. C’est ainsi que Barnier s’est donné pour tâche de consulter non seulement la presse de l’époque, mais aussi les manuels, les catalogues, les revues corporatives, les programmes, les annonces publicitaires, les affi ches, les cartes postales, les photos de devantures de salles, les mémoires, les romans, et même les plaintes et les comptes-rendus de procès. Sa volonté de tout dépouiller nous fait sentir à quel point ses recherches sont dirigées par les pratiques de l’époque, observées dans leur milieu d’origine, plutôt que par une pensée maîtresse qui aurait tendance à interdire l’accès à certaines pratiques qui ne correspondraient pas aux attentes de nous autres modernes.

Mais la plus grande nouveauté – et la grande force du travail de Barnier – ne tient ni à l’étendue de son champ d’observation ni à la variété de ses sources, mais à la tâche qu’il s’est imposée. Car ce livre ne propose pas – comme on pourrait s’y attendre – une histoire de l’accompagnement musical des fi lms. Il ne cible pas non plus l’inventaire des diff érents dispositifs sonores employés par le cinéma débutant. Il ne cherche même pas à faire l’histoire du paysage sonore des salles de cinéma des premiers temps. Au lieu de se limiter à des catégories rationnelles, produites par la pensée plutôt que par l’observation, Barnier a suivi ses oreilles partout où le son a laissé des traces. Notre vocabulaire usuel nous a habitués à des ouvrages qui traitent du cinéma – au singulier, désignant un dispositif parmi d’autres – ou de cinémas – au pluriel, indiquant les endroits construits pour exploiter le cinéma. Les études, que ce vocabulaire a engendrées, visent donc habituellement soit les fi lms eux-mêmes, soit les endroits où les fi lms sont majoritaires. On nous off re des fi lmographies, des analyses de fi lms, des biographies de cinéastes, des études de

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compagnies productrices de fi lms, des articles sur les accompagnements de fi lms, des photos de cinémas, etc.

Or, Martin Barnier a compris l’importance de tout observer, plutôt que de s’en tenir au cinéma tel que notre monde moderne l’entend. Comme il le dit si bien, il ne s’agit pas de se borner à ce qu’on a appelé par la suite des cinémas, mais de porter son attention sur tous les endroits où le cinéma a séjourné, quelque court qu’ait pu être son séjour, et hybride le programme. Pendant la période couverte par Barnier – grosso modo les vingt premières années du cinéma – les fi lms n’ont pu se vanter que rarement d’avoir un programme ou un édifi ce à eux. Partager l’affi che avec de nombreuses autres attractions, c’est là le sort du cinéma des premiers temps. Au lieu de se limiter aux moments relativement rares où le cinéma a tenu le haut de l’affi che, Barnier s’est eff orcé de rester à l’écoute des pratiques sonores de tout lieu par où le cinéma est passé. C’est ainsi qu’il a pu reconnaître et apprécier une variété de sons qui dépasse de loin les eff ets sonores et la musique qu’on a l’habitude d’associer au cinéma. Comment imaginer le paysage sonore des projections foraines sans prendre en compte ces « locomobiles » qui fournissaient aux forains à la fois électricité… et occasionnaient un boucan pas possible à la porte même du lieu de projection ? À Châtellerault, nous apprenons que les fi lms partagent le programme avec… des jets d’eau. À Paris, à Lyon, à Saint-Étienne et dans bien d’autres endroits, dans les “cinémas-skating” les fi lms sont accompagnés par le bruit des patineurs. Chez Pathé, pendant de longues années, c’est grâce au téléphone que les fi lms ont pu être sonorisés. Comme Barnier nous l’apprend, il y a de tout dans les endroits qui ont accueilli le cinéma, jusqu’au célèbre Pujol « pétomane ».

Mais le butin ramené par Barnier de ses recherches ne concerne pas unique-ment quelques pratiques aussi inattendues qu’isolées. Car le sujet de ses recherches n’est pas à vrai dire – comme on pourrait facilement le croire – l’accompagnement des fi lms. Ce que Barnier nous off re, c’est plutôt une étude approfondie, pour la France tout entière, du paysage sonore du cinéma des premiers temps. Et il a compris la nécessité d’étudier toute pratique sonore qui touche au cinéma, même quand les sons en question ne sont pas directement destinés à accompagner les fi lms. L’une de ses découvertes les plus importantes, c’est que « l’accompagnement musical dépend donc de la salle, et non pas du fi lm ». Jusqu’ici on a toujours privilégié les accompagnements qui dépendent justement du fi lm – partition, conducteur, etc. – alors que Barnier s’entête à couvrir la totalité des programmes où paraissent des fi lms. C’est ainsi qu’il en arrive à affi rmer que la pratique de l’époque s’intéresse moins aux fi lms qu’à la séance. Et dans cette séance, sauf exception, la place des fi lms reste minoritaire. Le travail de l’historien ne doit donc pas se faire fi lm par fi lm (comme il s’est souvent fait jusqu’ici) mais salle par salle, séance par séance, et source sonore par source sonore.

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La tradition dans les écrits sur le cinéma dit « muet » veut que les partitions musicales soient privilégiées. D’une part, cette approche fait acte d’allégeance envers les arts consacrés (tournant ainsi le dos à la culture de masse pourtant majoritaire dans la plupart des salles qui ont accueilli des fi lms). D’autre part, cette façon d’aborder le cinéma muet respecte et renforce la réputation de certains fi lms, uniques, dignes exemples du septième art. Jusqu’à tout récemment, les textes portant sur le son du cinéma muet ont été, presque sans exception, des études musicales, organisées fi lm par fi lm. Chose étonnante chez Martin Barnier : non seulement la musique ne paraît qu’à mi-chemin, mais la musique en question n’est pas celle à laquelle on s’attend. Barnier consacre autant d’espace aux bruits et aux chants qui entourent les fi lms qu’à la musique qui les accompagne, car – comme il le dit si justement – « les musiques et chants, autour des fi lms, ont une grande incidence sur la façon de percevoir les fi lms ».

On sent à quel point Barnier est rentré dans la logique de l’époque. Refusant toute construction rétroactive, il nous rappelle régulièrement la nécessité de mettre en question notre propre vocabulaire et les suppositions qu’il véhicule. Au lieu d’ac-cepter les termes consacrés par un siècle de critique et d’histoire, il observe active-ment le vocabulaire d’époque plutôt que d’accepter aveuglément le nôtre. Au lieu d’employer systématiquement le terme passe-partout de « bonimenteur » (comme l’ont fait bien d’autres) il fait le tour de la nomenclature de l’époque : « conféren-cier » dans toute situation pédagogique, « explicateur de vues » pour les diapositives comme pour les fi lms, « diseur à voix » en Belgique, « termajis » en Bretagne, etc. Il note soigneusement que ce que nous appelons aujourd’hui « bruitage », fait par un « bruiteur », était désigné à l’époque plutôt par les termes « bruits de coulisse » et « bruitiste », « bruisseur », « homme chargé des bruits » ou « accessoiriste ». Toujours attentif aux moindres détails du vocabulaire de l’époque, Barnier nous étonne parfois, non avec un terme nouveau et inattendu, mais justement avec un mot que nous pensons connaître parfaitement bien, mais qui à l’époque était loin d’avoir le sens qu’on lui attribue aujourd’hui. Imaginez le bonheur du public limousin en septembre 1908, car pour la tournée du Mondial « au simple piano des premiers jours succède un imposant orchestre ». En expliquant que « l’imposant orchestre » en question n’est composé que du « quatuor limousin », Barnier nous révèle à quel point notre perception est formée par un emploi moderne, revu et corrigé, des termes employés à l’époque. Nous avons beau employer les mêmes mots, le sens n’est pas le même. C’est une leçon qu’on ne répétera jamais assez. J’ai moi-même consacré plusieurs pages à ce sujet dans un article récent 3.

• 3 – Rick Altman, « Th e Living Nickelodeon », in Th e Sounds of Early Cinema, Richard Abel et Rick Altman (dir.), Bloomington, Indiana University Press, 2001, p. 232-240 ; voir surtout « A Little Lexicon of Misunderstood Terms », p. 232-235.

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Parmi les trouvailles que Barnier nous off re dans ce volume, nulle n’est plus étonnante ni plus importante que l’envergure impressionnante de la synchronisa-tion. Nous savions – malgré trois quarts de siècle de prose mal raisonnée – que le cinéma avait bel et bien parlé bien avant Le Chanteur de jazz. Mais de là à consa-crer le quart d’un livre sur les débuts du cinéma à la synchronisation ? Et pour-tant, page après page, Barnier nous montre à quel point la France d’avant-guerre était déjà le pays du parlant. Plus encore que les États-Unis, pourtant sillonnés par divers systèmes synchronisés, la France a pris les devants dans le domaine du cinéma parlant et chantant. Mais comme aux États-Unis, le cinéma synchronisé en France a toujours dû partager la salle avec d’autres divertissements, d’autres sons, d’autres fi lms. De plus, les recherches de Barnier sur la synchronisation lui ont permis de rectifi er les nombreux écrits qui avaient voulu enterrer le système Ciné-Phono de Pathé, attribuant son apparente disparition des archives à une dispa-rition réelle sur le terrain. Or, ayant réussi à retrouver les traces du Ciné-Phono dans les archives, Barnier est arrivé à redécouvrir maintes traces du système Pathé sur le terrain. Malgré ce qu’on a pu dire et écrire, non seulement le Ciné-Phono a eff ectivement existé, mais il a été exploité avec succès.

Après le travail de Martin Barnier, on n’entendra plus les bruits, les cris et les musiques de fi lms dans les projections avant 1914 de la même façon. L’attention portée par Barnier aux sons qui entourent les fi lms, ainsi qu’à ceux qui les accompa-gnent, nous off re un modèle important pour les travaux à venir. Pour comprendre le cinéma, il ne suffi t pas d’étudier les fi lms. Pour comprendre le son au cinéma, il ne suffi t pas non plus de se pencher sur la musique et les bruits qui accompagnent les fi lms. C’est le paysage sonore tout entier qu’il faut étudier. L’un des premiers, Martin Barnier nous montre comment il faut s’y prendre.

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Introduction

Cinéma ?Des cris, des applaudissements, des bruits de verres, de bouteilles, d’assiettes, des

grognements de fauves, des machines à vapeur, des orchestrions, des phonographes, des chansons synchronisées, des voix humaines et parfois même un pianiste. Cette liste non exhaustive donne une idée des « accompagnements sonores » possibles lors des projections de fi lms en France entre 1896 et 1914. Nous sommes très loin des salles de cinéma, actuelles, acoustiquement neutres dans lesquelles le specta-teur chuchote parfois à son voisin. Il nous semble nécessaire d’étudier ces sons, même si certains paraissent parasiter le spectacle de projection. Quand nous utilisons aujourd’hui le terme de « spectateur de cinéma », nous avons une idée précise en tête. Cette idée nous paraît erronée concernant les séances de projections pendant la Belle Époque, au moins jusqu’en 1908. Le public des projections d’avant la Première Guerre mondiale ne peut s’appréhender qu’avec une observation complète des lieux dans lesquels les fi lms étaient vus. De nombreux ouvrages décrivent les impressions visuelles du public de l’époque. On oublie que le spectateur est surtout un « audio-spectateur 1 », même pendant la « période muette ». Le public très souvent actif, manifeste bruyamment sa joie. Il participe au son, au spectacle. L’étude des sons environnant les projections nous permet de sentir dans sa globalité ce que vivait le public des fi lms de la Belle Époque, de comprendre ce qu’était le plaisir du specta-teur, expérience audio-visuelle totale. Nous devons faire le tour des diff érents lieux de projections et écouter les sons qui s’y trouvaient. Nous n’exclurons pas les endroits où des cinématographes ne furent installés que temporairement, marginalement, dans un environnement qui paraît à l’opposé de ce que nous appelons aujourd’hui « la

• 1 – Sur le rôle du son, nous renvoyons aux livres de Michel Chion, comme, par exemple, L’audio-vision, Nathan, 1992, réed. A. Colin, 2005. Nous ne mettons pas le lieu d’édition quand la ville d’édition est Paris.

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salle de cinéma ». Ce terme ne convient pas aux lieux où se déroulent les projections avant les années 1908-1914. Les salles de spectacle ne servent pas à montrer des fi lms de façon exclusive, à quelques rares exceptions près, avant 1908. La spécialisation se fait petit à petit. La plupart des historiens du cinéma ont pensé les transformations de ce spectacle comme une évolution linéaire allant vers un « progrès » inéluctable 2. De nombreuses formes de spectacle coexistent, s’infl uencent et le cinématographe ne se transforme pas d’un coup en « cinéma » tel que nous le connaissons au début du xxie siècle. Loin d’une vision téléologique de l’histoire du cinéma, nous voulons décrire l’aspect buissonnant des représentations cinématographiques. La séance de spectacle avec projection de fi lms n’a presque rien à voir avec une « séance de cinéma » d’aujourd’hui. Nous utiliserons le mot « cinéma » avec précaution, car il pose problème avant les années 1910, reprenant en cela la démarche de nos collègues Rick Altman (et sa notion de « crise d’identité du cinéma ») ou André Gaudreault 3. Même l’expression « cinéma des premiers temps » nous semble délicate à manier, comme l’explique André Gaudreault 4 et parce que les fi lms passaient dans des lieux trop éloignés de ce que sous-entend le mot « cinéma » aujourd’hui.

Pour comprendre comment un spectateur de cette époque pouvait recevoir un fi lm, nous étudions le son. Cet aspect peut paraître délicat à déterminer. Si nous lisons les documents dans cette perspective acoustique, nous trouverons de nombreux indices donnant une idée précise des sons accompagnant les fi lms. Nous ne voulons pas reprendre une histoire technologique du cinéma, mais plutôt une histoire de la culture du son dans les salles, ce qui inclut la participation des spectateurs. Chaque soirée avec des fi lms doit être prise comme un événement indépendant du reste de l’histoire du cinéma, même si elle s’inscrit dans une série culturelle avec d’autres événements qui peuvent apparaître proches 5. Chaque événement baigne dans un contexte particulier. Pour connaître les pratiques sonores des débuts du « cinéma » nous devons replacer ces moments précis de présentation dans leur contexte. Par exemple dans les café-concerts, « concerts » (salle de spectacles variés), et autres music-hall (appellation en train de se développer à cette époque), nous nous intéresserons à ce qui fut proposé avant et

• 2 – Martin Barnier, « Problèmes de périodisation en histoire du cinéma », Perspective, revue de l’INHA, n° 4, 2008, p. 776-782.• 3 – Rick Altman, Silent Film Sound, New York, Columbia University Press, 2004, p. 18-19. André Gaudreault, Cinéma et attraction. Pour une nouvelle histoire du cinématographe, Paris, CNRS éditions, 2008, p. 9 sqq.• 4 – Ibidem, p. 75 sq.• 5 – Cf. Rick Altman, particulièrement « Cinema as event », in Altman (dir.), Sound Th eory Sound Practice, New York, Routledge, 1992, p. 1-12. Édouard Arnoldy est également infl uencé par cette théorie qu’il croise avec les écrits de Michel Foucault, cf. Pour une histoire culturelle du cinéma. Au-devant de « scènes fi lmées » de « fi lms chantants et parlants » et de comédies musicales, Liège, Éditions du CÉFAL, 2004. Nous reprenons la notion de série culturelle telle que l’emploie André Gaudreault, Cinéma et attraction, op. cit., p. 80 sqq.

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après les fi lms. Cet environnement, musical et chantant, nous donne une idée précise des conditions dans lesquelles le public pouvait recevoir les courtes histoires projetées. L’imbrication très forte entre le café-concert et le « cinéma » nous permet d’affi rmer que les musiques et chants, autour des fi lms, ont une grande incidence sur la façon de percevoir les fi lms. Quand un spectateur se rend dans un caf ’ conc’ ou dans une loge de forain, il se doute qu’il va entendre chanter, voir des acrobates, et peut-être quelques fi lms 6. Ce public sait dans quelles séries culturelles s’inscrivent les fi lms, attractions parmi les autres 7. Les fi lms peuvent appartenir à de nombreuses séries culturelles, mais il nous semble que l’environnement musical place souvent le cinématographe dans la série « concert », au sens Belle Époque, c’est-à-dire dans une suite de courtes attractions variées. Pour autant, il est impossible de placer le cinématographe dans un seul domaine (science, spectacle de foire, de variété, objet pédagogique, etc.). Dès 1896, des forains français font des projections sans autre attraction classique, mais avec du son 8. Les projections dans les cafés-concerts et music-halls sont très nombreuses, comme on le constate en épluchant le Nouvelliste des concerts, cirques et music-halls. L’accompagnement par des bruitages et le bonimenteur (plutôt appelé conférencier en France) nous intéresse aussi. La fréquence d’intervention de ces sons et voix dans les projections reste diffi cile à évaluer. Très peu de journaux font références à ces deux éléments. Cela ne signifi e pas qu’ils sont absents des séances avec fi lms. Ils peuvent, au contraire, être banalisés et de ce fait ne même pas être notés dans les programmes ou comptes-rendus. Nous avons retrouvé beaucoup d’informations sur ces deux inter-ventions sonores, ce qui permet d’évaluer qualitativement leur impact sur le public 9. Nous évoquerons également les « voix non – commerciales du cinéma », conférences, prêches ou patronages.

Notre but est de comprendre ce que pouvait entendre un spectateur français, quand il était dans un lieu de projection de fi lms, jusqu’à la Première Guerre mondiale. Nous désirons étudier les sons des séances prévues pour le grand public, plutôt appelé « gros public » à l’époque. Il peut s’agir d’un « public captif », quand des enseignants montrent des fi lms à leurs élèves. Mais dans la plupart des cas, nous observerons des spectateurs volontaires et payants (et participant). Nous

• 6 – Sur la défi nition de « forain », je renvoie à la note n° 2 de l’article de Jean-Baptiste Hennion, « Éclairage sur l’année 1896. Éléments chronologiques relatifs à l’introduction du spectacle ciné-matographique sur les champs de foire français », 1895, n° 54, février 2008, p. 29.• 7 – Sur le débat concernant les « séries culturelles », et autres questions épistémologiques liées au livre Cinéma et attraction, je renvoie à l’échange passionnant entre la revue 1895 et André Gaudreault, « Cinq questions à André Gaudreault » et « Réponse à 1895 », 1895, n° 57, avril 2009, p. 9-30 et 1895, n° 60, mars 2010, p. 235-238.• 8 – Hennion, op. cit., p. 39 sq.• 9 – Sur l’aspect théorique des voix de « bonimenteur », voir Alain Boillat, Du Bonimenteur à la voix-over, Lausanne, éditions Antipodes, 2007.

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excluons les projections réservées à un public savant. Les commentaires fait par les frères Lumière devant les membres du congrès de photographie, au début de l’été 1895, pourraient être considérés comme le prototype de la conférence scientifi que devant des vues animées. Mais les mots prononcés par Louis Lumière ne s’adres-saient qu’à des spécialistes. Nous voulons étudier les sons entendus par n’importe quel Français entrant dans une baraque foraine, un « café-cinéma » ou dans une « salle en dur » avant 1914, pour y voir des fi lms. Nous excluons donc également les projections proposées par Léon Gaumont devant diff érentes Académies et à la Société Française de Photographie au fur et à mesure des améliorations de son système de synchronisation mécanique qu’il baptisa Chronophone. Mais nous écouterons les sons entendus dans des lieux insolites, qui renouvellerons, nous l’espérons, la façon dont on conçoit le spectateur de fi lm de la Belle Époque.

Périodes ?On considère depuis une vingtaine d’année que cette période des « débuts du

cinéma / cinéma des premiers temps » se découpe en plusieurs parties. Les décou-pages varient selon qu’on se base sur le développement de l’exploitation, sur celui de la distribution, ou sur la transformation de la production. Si l’étude s’attache à l’évolution du contenu des fi lms, dans une approche narratologique, les diff érentes phases se placent encore diff éremment. Enfi n chaque historien place « sa date » de rupture entre la « cinématographie attraction », et le « cinéma de la narration ». Les dates varient également entre les pays. Globalement néanmoins, une rupture se dessine, recoupant la plupart des éléments cités ci-dessus, autour de 1907-1908 10. En étudiant l’exploitation à Paris, Jean-Jacques Meusy appelle les années 1906-1907, « le grand tournant », et 1908-1909 « la première grande crise 11 ». Pour la saison 1906-1907, le spécialiste des salles parisiennes affi rme : « De toutes parts, on assiste donc à un regain d’intérêt pour le cinématographe au point qu’il ne serait pas exagéré de parler de seconde naissance, onze ans après la première séance publique du Salon indien 12. » Cette rupture concerne-t-elle les sons accompagnant les fi lms ? Les « salles spécialisées » se multiplient, mais les sons restent diversifi és. À partir de 1907-1908, un système comme le Chronophone reste de façon permanente chez des forains, et dans de nombreuses grandes salles, mais d’autres lieux ignorent cette synchronisa-

• 10 – Par exemple Tom Gunning, résumant la discussion qui l’oppose à Charles Musser, maintient l’année 1906 pour dater le basculement d’une domination du « cinéma des attractions » vers un cinéma de la narration. Cf. Tom Gunning, « Pathé and the Cinematic Tale. Storytelling in Early Cinema », in Michel Marie et Laurent Le Forestier (dir.), La Firme Pathé Frères, 1896-1914, AFHRC, 2004, p. 194 sq. Richard Abel préconise 1907 in Th e Ciné Goes to Town. French Cinema, 1896-1914, Berkeley, University of California Press, 1998.• 11 – Jean-Jacques Meusy, Paris-Palaces ou le temps des cinémas (1894-1918), CNRS, 2002.• 12 – Ibidem, p. 132.

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tion mécanique 13. Les projections foraines continuent, sans trop de transformation, jusqu’à la Première Guerre mondiale. Les fi lms restent des attractions au milieu de spectacles de variété. Sur l’ensemble des accompagnements sonores, il est diffi cile de mettre une date rupture. Dans les cafés ou les cirques, l’environnement sonore reste le même. Un tourneur présentant des fi lms avec un orchestre vers 1905, ne modifi e pas son spectacle en 1910, même si les fi lms sont diff érents.

Peut-on dater les accompagnements sonores ? Les dates, que nous utilisons, sont celles signalées dans les programmes des projections, articles et annonces dans les journaux, photographies (et cartes postales) des devantures de salles, docu-ments glanés dans diverses archives qui restent les plus sûrs moyens d’évaluer les projections qui ont eu lieu. Les affi ches, affi chettes et publicités, nous donnent de précieux renseignements sur le déroulement sonore des présentations de fi lms. Nous n’allons pas recenser les dépôts de brevets SGDG, car cela ne signifi e pas une exploitation réelle d’un procédé 14. Si l’invention a bien circulé, la date d’ex-ploitation peut diff érer totalement de la date de dépôt de brevet.

Pourquoi arrêter notre ouvrage en 1914 ? À cette date, le long métrage se géné-ralise progressivement et l’organisation des séances avec fi lms s’en trouve boule-versée. La rupture économique touche toute l’industrie française du fi lm. À cause de la guerre, les salles s’arrêtent pendant plusieurs mois. La mobilisation, puis les morts et les blessés, aff ectent durablement l’exploitation cinématographique (de même que la production). Les fi lms américains remplacent les productions fran-çaises. Les projections itinérantes deviennent plus rares. L’appellation « cinéma », pour désigner les salles diff usant des fi lms, se développe entre la fi n de 1911 et le début de 1913 15. Ce changement de statut, et cette banalisation d’un mot, signi-fi ent que les journalistes et le public situent de façon précise ce spectacle, dont le

• 13 – Le lancement commercial du Chronophone amélioré correspond à une grande fête orga-nisée par la revue Phono-Ciné-Gazette, le 11 mai 1907, à l’Élysée Montmartre avec projections des nouveautés de Méliès, Pathé, Warwick, Vitagraph et Gaumont qui présente la puissance du Chronomégaphone dans cette grande salle. Phono-Ciné-Gazette, n° 52, 15 mai 1907. Mais dès l’été 1906 Gaumont a mis en vente une version du Chronomégaphone. Les forains, avec des baraques de luxe, comme Grenier, achètent ce nouveau système.• 14 – Parfois une invention reste dans un laboratoire. C’est le cas de l’appareil d’Auguste Baron, dont nous ne parlerons pas, même si le travail admirable d’histoire technologique de Giusy Pisano-Basile et Laurent Mannoni mérite d’être cité : « Le centenaire d’une rencontre : Auguste Baron et la synchronisation du son et de l’image animée », 1895, n° 26, décembre 1998, p. 3-88. Cf. également, Giusy Pisano, Une archéologie du cinéma sonore, CNRS, 2004, p. 245-259.• 15 – Constatation à partir de lecture de quotidiens d’époque. Même déduction de la part d’un groupe de chercheurs musicologues, à partir des journaux locaux (L’Éclair, Le Télégramme, Le Publicateur) étudiés par la Société de Musicologie du Languedoc à Béziers. Disponible sur le site Internet de cette Société entre 2003 et 2006 [www.musicologie-languedoc.net] site aujourd’hui disparu. « Le terme de cinéma est défi nitivement consacré », disent-ils à la date du 1er mars 1912.

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caractère restait jusqu’alors fl ottant. André Gaudreault, corrigeant une phrase de Jean Mitry, explique avec justesse que « ce n’est pas le cinéma “lui-même” qui est apparu vers 1915, mais ce que la culture dominante de l’époque, dans les sociétés et cultures associées à son avènement a fait du cinéma 16 ». Au-delà de la polémique avec les « essentialistes du cinéma », nous retenons de ce passage le consensus des diff érentes écoles historiographiques sur une rupture dans « l’industrie du cinéma » autour de 1915. En 1913, le « cinéma français » ne contrôle plus que 36 % des projections corporatives, rattrapé par la production américaine (35 %) 17. À partir de 1914, la domination américaine progresse d’année en année. La fi n de l’hégé-monie du fi lm français se double d’un développement du « star-system ». Un autre élément peut être pris en compte. Le spectateur commence à changer d’attitude. Il est obligé de se policer. Certes ce phénomène ne concerne pas tous les lieux de projection, mais nous partageons l’avis d’Édouard Arnoldy quand il explique, à propos de la fi n du « cinéma-attraction » qu’on assiste à

« l’exclusion du spectateur d’un dispositif qui, jusqu’alors, était largement prévu pour la présence active du public. En eff et, des premiers instants du cinémato-graphe à l’aube du xxe siècle aux années 1910, peu à peu, un nouveau modus vivendi s’impose, œuvrant à faire du cinématographe du cinéma, lequel va, tout à la fois, privilégier la narration à l’attraction, le récit au spectaculaire, puiser sa légitimité du côté des arts nobles (le théâtre, le roman, la musique, la peinture), et plutôt renier ses origines cabaretières (forains, ambulant, caf ’conc’) où la participation du spectateur était justement coutumière 18 ».

Cette synthèse nous paraît très juste, même si la participation du public ne disparaît pas du jour au lendemain. Le milieu des années 1910, et la Première Guerre mondiale date bien la modification fondamentale du spectacle cinématographique.

Une certaine standardisation, des pratiques de l’exploitation cinématogra-phique, se lit dans nos documents sur le son, entre 1914 et 1915. Par exemple, le procédé de synchronisation le plus fi able en France en 1914, le Chronophone Gaumont, ne bénéfi cie plus, à cette date, d’une promotion aussi importante. En 1914, la salle du « Chronophone Gaumont », à Paris, est rebaptisée « Gaumont-Th éâtre ». Le nombre de Phonoscènes produites chute rapidement : « sur les

• 16 – Gaudreault, op. cit., p. 39.• 17 – Th ierry Lefebvre, « Internationalité, infl uences, réception : le cas de la diff usion des fi lms américains en France (1894-1916) », in Michel Marie, Th ierry Lefebvre, Laurent Mannoni (dir.), Cinéma des premiers temps. Nouvelles contributions françaises, revue Th éorème, n° 4, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 1996, p. 55-66.• 18 – Édouard Arnoldy, À perte de vues. Images et nouvelles technologies d’hier et d’aujourd’hui, Bruxelles, Labor éditions, 2005, p. 63.

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774 Phonoscènes numérotées par la maison Gaumont, on en compte pas plus d’une vingtaine produites après 1913 et aucune après 1916 », d’après les rensei-gnements communiqués par le Musée Gaumont à Jean-Jacques Meusy en 1993 19. Remarquons l’importance du nombre de ces fi lms chantants, et la correspondance du tarissement de cette production avec la transformation de l’exploitation ciné-matographique pendant la Première Guerre mondiale. Les forains abandonnent leurs tournées entre 1912 et les années de guerre 20. La musique jouée dans la salle change également de statut. Les partitions spécialisées se multiplient. Notre période s’étend de 1896 à 1914 pour chaque type de son accompagnant les fi lms. À l’intérieur de notre découpage thématique, nous nuancerons en fonction des changements aff ectant certains éléments sonores.

Contexte ?Afi n de recontextualiser correctement ces spectacles, nous avons également

consulté les histoires générales décrivant la France de la Belle Époque. Pendant cette période, les villes résonnent de sons multiples, tout comme les lieux de projections de fi lm. La chanson est présente dans la vie de tous les jours. Michel Winock reprend les mots et souvenirs de Stefan Zweig pour décrire les sons de la ville dans le Paris d’avant 1914 : « Dans les cours des faubourgs jouaient des musi-ciens ambulants, on entendait par les fenêtres chanter les midinettes à leur travail ; toujours il y avait quelque part un éclat de rire dans l’air, un appel cordial 21. » La chanson se retrouve logiquement dans les salles, où certains spectateurs poussent un refrain entre les fi lms. Le chant d’opéra est également présent.

Zweig note que les classes sociales se mélangeaient beaucoup plus facilement à Paris qu’à Vienne. Dans la rue, et dans les lieux de spectacle, même si les places sont à des tarifs diff érents entre les loges et le poulailler, la bourgeoisie croise la classe moyenne aussi bien que les ouvriers 22. La stabilité du régime politique de la IIIe République favorise l’économie, en forte croissance entre 1896 et 1913, même si l’industrie française accuse un certain retard face à la Grande-Bretagne, l’Allemagne ou les Etats-Unis 23. À la veille de la guerre, la France est la 4e puissance économique mondiale. Toute la population bénéfi cie de cette croissance. Le

• 19 – Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 334, et note 177.• 20 – Jean-Jacques Meusy, Cinémas de France 1894-1918. Une histoire en images, Arcadia éditions, 2009, p. 73.• 21 – Stefan Zweig, Le Monde d’hier, Belfond, 1982, p. 157, cité par Michel Winock, La Belle Époque. La France de 1900 à 1914, Perrin, 2002.• 22 – Les fi lms sont vus par un public socialement diversifi é. Richard Abel, « Th e “blank screen of reception” in early French cinema », Iris, n° 11, été 1990, p. 27-47.• 23 – Michel Winock, op. cit., p. 50-68. Pierre Saly, Michel Margairaz, Michel Pigenet, Jean-Louis Robert, Industrialisation et sociétés en Europe occidentale, 1880-1970, Atlante, 1998.

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terme de Belle Époque désignant une « période calme stable et heureuse », créé après la Grande Guerre, refl ète une partie de la vérité. On constate de grandes améliorations concernant les conditions de vie, l’espérance de vie, l’hygiène, la médecine, le logement, et les communications. La période ne connaît pas trop de heurts économique 24. Le mythe d’un « âge d’or » perdure avec cette expression de Belle Époque. Elle masque, entre autres, l’importance des problèmes liés à l’alcool, la terrible poussée d’antisémitisme entre 1880 et 1906, la délinquance des « apaches » (jeunes voyous organisés en bandes), la violence au travail, la progression des grèves (souvent avec des violences qui laissent des ouvriers morts sur le carreau) et le retard de la France dans la question sociale par rapport à l’Allemagne ou la Grande-Bretagne 25. Le repos hebdomadaire pour les ouvriers ne devient légal qu’en 1906. Après 1907, les lois sociales s’améliorent. Ces éléments peuvent expliquer une fréquentation en hausse des lieux de projections de fi lms, un des spectacles les moins chers de la période. Le boom à partir de 1907, des « salles en dur » spécialisées, et des projections dans des lieux comme les cirques, music-halls, concerts, cafés-concerts, s’explique aussi par cette plus grande disponibilité des employés et ouvriers par rapport aux loisirs.

Les revenus des fermiers, des propriétaires-exploitants (la France reste très fortement agricole), des salariés augmentent sensiblement de 1902 à 1914 26. Sur 39 millions d’habitants, la population rurale domine largement avec au moins 60 % des Français vivant à la campagne en 1900 27. La population urbaine ne devient dominante que dans les années 1930. Ceci explique l’importance des tournées foraines pour la propagation du cinématographe. Les petites salles poly-valentes, des petites bourgades, comptent plus pour toucher un public de masse que les grandes salles des villes importantes. Nous trouvons aujourd’hui plus d’in-formations sur ces dernières, mais nous avons essayé de ne pas laisser de côté tout ce qui concerne les petites villes et les campagnes.

« La société démocratique donne naissance à un marché culturel. La tenta-tion est grande pour des raisons commerciales de servir à ce vaste public de l’émotion, du merveilleux, du sensationnel. Le succès du roman-feuilleton, du roman populaire, repose en grande partie sur de tels procédés. Dans une large mesure, il en est de même pour le cinéma 28. »

• 24 – Dominique Lejeune, La France de la Belle Époque, 1886-1914, Armand Colin, 1991, p. 5.• 25 – Michel Winock, op. cit., p. 142-153.• 26 – Jean-Baptiste Duroselle, La France de la « Belle Époque », Presse de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 2e édition 1992, p. 42.• 27 – D. Lejeune, op. cit., p. 102.• 28 – Winock, op. cit., p. 348.

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Il est très diffi cile d’estimer la fréquentation exacte des salles. Mais la progression du nombre de salles diff usant des fi lms est telle, avant la Grande Guerre, qu’on peut déjà parler d’un phénomène de masse. Le nombre d’ouvriers, de paysans dans les foires (très nombreuses alors), de classes moyennes qui profi tent des loisirs pour voir cette nouvelle attraction, est énorme. La répartition de la population reste matière à polémique. Les diff érentes estimations donnent autour de 5 millions d’ouvriers vers 1910 29. Jean-Baptiste Duroselle compte plus de 8 millions de chefs de famille paysans, 5 millions dans les classes moyennes, et seulement 220 000 appartenant à la haute bourgeoisie. Les chiff res fl ottent un peu, car il est diffi cile d’estimer les chômeurs, les militaires sans soldes, et l’on situe autour de 1 million le nombre de domestiques 30. L’idée que la bourgeoisie ne fréquente pas les cinématographes doit, à notre avis, être relativisée. Seule la très haute bourgeoisie qui se déplace à la comédie française le mardi, à l’opéra le jeudi, et autres loisirs de « haute culture », rejette, peut-être, la nouvelle attraction quand elle se trouve sur les champs de foire ou dans de petites salles de quartier. Mais comme les gens aisés vont assidûment dans les music-halls, où les fi lms sont montrés comme une des attractions du programme, ils profi tent aussi des vues cinématographiques. Les fortes hiérarchies sociales de la France de la Belle Époque n’empêchent pas une découverte commune des fi lms. La promenade dominicale dans les villes et les campagnes devient une institution dans les familles françaises de toutes conditions. Ces promenades dans les rues sont un loisir gratuit qui entraîne une fréquentation en hausse des lieux de spectacle. Chaque salle a son aboyeur, qui alpague la clientèle en balade. L’Exposition Universelle de Paris, en 1900, attire 48 millions de visiteurs 31. Le métropolitain permet de se dépla-cer facilement d’un bout à l’autre de la capitale, et dans les campagnes, les forains apportent des loisirs réguliers.

Le public de masse existe à la fi n du xixe siècle pour de nombreux lieux de spectacle. Le temps consacré au loisir augmente sensiblement 32. Les prix bais-sent, et même les ouvriers n’hésitent pas à dépenser leur argent dans les cirques, cafés-concerts, etc. La variété des prix des places permet la mixité sociale. Le choix des réjouissances, chaque soir de la semaine, et surtout le dimanche pour les ouvriers, permet de découvrir de nouvelles formes de spectacles. Les fi lms s’insèrent dans les diff érents programmes proposés dans toutes les salles et cette non-spécialisation permet au « cinéma » de toucher les publics les plus divers.

• 29 – Duroselle, op. cit., p. 68. Winock, op. cit., p. 136.• 30 – Duroselle, op. cit., p. 68.• 31 – Lejeune, op. cit., p. 8.• 32 – Julie Csergo, « Extention et mutation du loisir citadin, Paris xixe siècle- début xxe siècle », in Alain Corbin (dir.), L’Avènement des loisirs, 1850-1960, Flammarion, 2001 (Aubier, 1995), p. 121-168.

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Méthodes ?La méthode d’analyse historique des documents (textes ou images) permet de

mener une enquête approfondie sur un domaine qui semble évanescent, le son. Les témoignages sont multiples, mais parfois diffi cile à trouver. Notre étude du public est infl uencée par les travaux sociologiques qui ont permis de comprendre comment se vivaient les séances cinématographiques 33. L’historien doit écouter, croiser les sources, et comprendre les diff érentes appréhensions du temps qui ont existé, explique François Hartog 34. De même nous nous eff orcerons de percevoir la grille de décodage des spectacles que possédaient nos aïeux au tournant du xxe siècle. Sans doute trouve-t-on là un autre régime d’historicité. Le fait que seule l’image soit prise en compte dans les ouvrages d’histoire du cinéma, nous prouve que le regard historique doit être réévalué. L’événement « projection de fi lm », doit être observé dans sa globalité. Nous pouvons reprendre le raisonnement d’Alain Corbin concernant « la sonnerie des cloches », qui « constituait un langage, fondait un système de communication qui s’est peu à peu désorganisé 35 ». Les voix des bonimenteurs, les bruits entourant les baraques foraines ont été remplacés par une standardisation sonore. Les habitudes d’écoute ont changé. La participation joyeuse du spectateur a été oubliée. L’évolution de la culture sensible de l’ouie nous oblige à « réécouter » les bruits du passé pour comprendre les émotions collectives d’alors. Dans le cadre de ce travail nous essaierons de construire une « histoire du sensible ». En nous méfi ant de l’aspect « oculo-centriste » de la société occidentale, nous saisirons les aff ects et les sensations. « Nous avons acquis une désinvolture à l’égard de nombreux messages sensoriels parce que nous sommes absorbés dans nos intérêts privés et que nos sens sont très sollicités 36. » Essayons de retrouver les sensations auditives des publics de la Belle Époque, pour comprendre ce qu’était la projection de fi lms. De cette façon, nous pourrons expliquer la « spectaculari-sation » de la vie de la fi n du xixe siècle et l’émergence d’une culture de masse 37. Il nous faut dresser l’inventaire des « pratiques banales », pour les entrepreneurs de spectacles, et pour les spectateurs 38. Dans les loisirs habituels des Français de

• 33 – Jean-Pierre Esquenazi, Sociologie des publics, La Découverte, 2003. Emmanuel Ethis, Sociologie du cinéma et de ses publics, A. Colin, 2009.• 34 – François Hartog, Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps, Seuil, 2003. François Hartog, Évidence de l’histoire. Ce que voient les historiens, éditions de l’EHESS, 2005.• 35 – Alain Corbin, Les Cloches de la terre. Paysage sonore et culture sensible dans les campagnes au xixe siècle, Albin Michel, 1994.• 36 – Alain Corbin (conversation avec Gilles Heuré), Historien du sensible, La Découverte, 2000, p. 108.• 37 – Vanessa R. Schwartz, Spectacular Realities. Early Mass Culture in Fin-de-Siècle Paris, Berkeley, University of California Press, 1998.• 38 – Rick Altman, Silent Film Sound, op. cit., p. 6.

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l’époque, quels spectacles étaient les plus accessibles ? Nous articulerons la projec-tion de films avec les pratiques culturelles antérieures 39. Quand Richard Abel demande « comment le cinéma narratif a-t-il à la fois constitué une rupture et une continuation du cinéma d’attraction dans la manière dont il a négocié l’inte-raction entre les éléments de spectacle ou de monstration et la narration », nous répondons, grâce au son 40. Étudier cet élément nous permettra de comprendre à la fois la cohérence et l’hétérogénéité du spectacle cinématographique.

Nous citerons le plus d’exemples possible, pour tenter de situer ces phéno-mènes dans des séries probantes, en ce qui concerne la France, mais nous éviterons une étude quantitative détaillée. Le plus précis des recensements d’articles a été réalisé par Chantal et Jacques Rittaud-Hutinet. Dans leur Dictionnaire des ciné-matographes en France (1896-1897), paru chez Honoré Champion en 1999, ils recopient minutieusement les comptes-rendus des journaux décrivant les projec-tions dans 235 villes françaises. Même ces scrupuleux historiens ne mettent pas en avant les sons des séances avec films. Nous utiliserons également divers types d’archives de différentes villes, de nombreux journaux locaux ou corporatifs et des manuels de projectionniste publiés à l’époque.

Comment évaluer le nombre de lieux ou de séances de projections ? C’est impossible à cause de la multiplicité de ces lieux. L’hybridité du spectacle cinéma-tographique qui se retrouve dans des cirques, des brasseries, des bars, des jardins d’été, des casinos, des concerts, des hippodromes, ou des baraques foraines, ne permet pas de chiffrer les sites incluant ce divertissement 41. On peut parler d’in-termédialité, tant ce spectacle représente un creuset de médias, dans un contexte où il n’est pas encore institutionnalisé 42. Nous étudierons les lieux les plus variés, dans lesquels l’aspect intermédial du film se manifeste clairement. Ces lieux nous permettent de décrire les sons autour des films. Nous espérons évaluer qualitati-vement les sons tombant dans les oreilles des spectateurs de films. Par exemple, s’il n’y a aucun accompagnement, les cris du public servent de fond sonore (avec les bruits alentour). Le film de Jérôme Cornuau (Les Brigades du Tigre, 2006), nous semble donner une idée assez exacte de l’ambiance d’une salle de projection d’avant 1914. Pas de musique, mais de nombreux cris, sifflets et applaudissements quand sont diffusées les « actualités » (reconstituées) de la mort de Jules Bonot en 1912 dans une petite salle mal équipée (café ?).

• 39 – Armand Mattelard et Érik Neveu, Introduction aux cultural studies, La Découverte, 2008.• 40 – Richard Abel, « Intérêt(s) de l’historiographie du cinéma des premiers temps », in Michel Marie, Thierry Lefebvre, Laurent Mannoni (dir.), Cinéma des premiers temps, op. cit., p. 119.• 41 – Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 273-278.• 42 – Éric Méchoulan, « Intermédialités : le temps des illusions perdues », Intermédialités, n° 1, printemps 2003, p. 9-27.

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Pour réussir à estimer ces diff érents sons liés aux fi lms, outre les documents cités plus haut, nous avons parcouru les études régionales sur le « cinéma des premiers temps ». Les travaux universitaires pointus sur ce domaine se sont multipliés 43. Notons pourtant que le son reste le parent pauvre de l’évaluation des spectacles incluant des fi lms. Nombre de chercheurs oublient de noter la présence de voix, chants, musiques ou bruits. Notre étude veut appréhender cette dimension sonore si importante pour comprendre la réception cinématographique.

Nous espérons ainsi donner le point de vue, et d’écoute, d’un spectateur fran-çais d’avant 1914, désireux de « voir des vues cinématographiques ». Qu’entend-il lorsqu’il entre dans un lieu qui projette des fi lms ? À quelle série culturelle peut-on rattacher les projections de ce type ? Nous commencerons donc par repérer, dans les spectacles de projections d’images, fi xes ou en mouvement, qui précèdent le cinématographe, les types d’accompagnements sonores. Ces spectacles d’ombres ou de lanterne ne « préparent » pas le cinéma. C’est le spectacle cinématographique qui s’inscrit dans une série préexistante. Ces spectacles nous intéressent car ils rassemblent des publics dans des salles obscures, avec un accompagnement vocal ou musical. Ils nous permettent d’évaluer les « séries auditives », dans lesquelles s’inscrivit ensuite l’environnement sonore des fi lms. Nous étudierons ensuite le vacarme des foires, sans doute le son le plus courant pour un spectateur de fi lm jusqu’en 1914. Puis nous évaluerons la façon dont le public pouvait se manifester pendant les séances. Les applaudissements, les cris mais aussi les bruits provoqués par les spectateurs (verres qui s’entrechoquent) ont souvent été oubliés. Nous évoquerons les paroles des conférenciers et bonimenteurs, religieux ou laïcs, scien-tifi ques ou de divertissement. Nous n’oublierons pas le travail des « bruiteurs ». Nous évaluerons ensuite les « musiques de fi lms », puis les chants et enfi n les systèmes de synchronisme. Dans chaque partie, nous tenterons de dresser une taxinomie des manifestations sonores entourant les fi lms, ce qui nous amènera parfois à morceler nos chapitres, de façon à tendre vers l’exhaustivité.

• 43 – Jean A. Gili a recensé les études régionales publiées ou pas, dans la revue 1895, et dans des préfaces d’ouvrages. Cf. préface de Jean A. Gili in Pierre et Jeanne Berneau, Le Spectacle cinéma-tographique à Limoges de 1896 à 1945, AFRHC, 1992 ; Préface de Jean A. Gili in Muriel Pignal, Les Premiers pas du cinéma en Haute-Savoie, Conseil Général de Haute-Savoie, 1997 ; Jean A. Gili, « Les débuts du spectacle cinématographique en France : premières projections, premières salles fi xes », in Jacques Aumont, Michel Marie, André Gaudreault (dir.), Histoire du cinéma. Nouvelles approches, Colloque de Cerisy/Publication de la Sorbonne, 1989, p. 67-77 ; Jean A. Gili « notes de lectures », 1895, n° 43, juin 2004, p. 129-132. Sur le site Internet de l’AFRHC, [afrhc. fr], Jean-Jacques Meusy a également donné une liste des études régionales, et dans « Cinéma régional, cinéma national », Les Cahiers de la cinémathèque, n° 79, mars 2008, p. 19-40.

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C h a p i t r e   I

Projections d’images

Les projections de fi lms s’insèrent dans de nombreuses séries culturelles, parmi lesquelles celle des « ombres chinoises » et celle des « lanternes magiques ». Très populaires pendant tout le xixe siècle, ces spectacles restent permanents (ou itiné-rants) dans plusieurs villes françaises, jusqu’en 1914. Le contexte de projection est semblable dans de nombreux cas pour les fi lms. Les musiciens qui accompagnent ces scènes peuvent travailler pour des exploitants de cinématographe. Mais avant de procéder à l’écoute des sons des ombres et des plaques, l’étude d’un spectacle de projection remarquable s’impose. Au sein d’une série « lanterne », venant d’une série « vulgarisation scientifi que », Émile Reynaud propose des images animées accompagnées au piano. Il ne s’agit pas de dire : « voilà “déjà” des fi lms », mais de constater que les montreurs de cinématographe reprennent un dispositif existant pendant le développement des « photographies animées ».

Émile Reynaud, musique et bruitageÉmile Reynaud propose des projections de « dessins animés » avec son « Th éâtre

optique » à partir de 1892 dans la salle du musée Grévin. Gaston Paulin écrit une partition spécialement pour accompagner les images mouvantes dessinées par Reynaud : « Pauvre Pierrot 1 ». C’est le musée Grévin qui paye Paulin pour sa partition 2. Pour cette « pantomime lumineuse », un dispositif électrique, mettant en contact une fi ne lamelle métallique placée sur la bande avec un « déclencheur », permet le bruitage automatique, et synchrone, des coups que Pierrot donne à

• 1 – Giusy Pisano, « Sur la présence de la musique dans le cinéma dit muet », 1895, n° 38, Musique ! octobre 2002, p. 15.• 2 – Vanessa Schwartz et Jean-Jacques Meusy, « Le Musée Grévin et le Cinématographe : l’his-toire d’une rencontre », 1895, n° 11, décembre 1991, p. 26.

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Arlequin. Les 500 images peintes par Reynaud, constituant la première bande de la série de quatre qu’il produisit, lorsqu’elles défi lent devant les spectateurs sont bruitées et accompagnées par de la musique. La partition était annotée, par le pianiste, pour obtenir une bonne synchronisation avec le défi lement de la bande. Comme on le constate, plus tard, dans les partitions prévues pour les fi lms, le musicien du musée Grévin a inscrit des « repères images » correspondant à certains passages de la musique. Les paroles de « Pauvre Pierrot » sont chantées pendant la séance puis les partitions sont vendues à la sortie 3. Dès avant les premiers « fi lms », nous constatons qu’un accompagnement d’images animées peut être varié, mixant plusieurs procédés. Le spectacle qui fut ensuite appelé cinéma s’inscrit donc, en ce qui concerne les eff ets sonores et les musiques, dans la même série culturelle que celle des projections de Reynaud. Cela ne signifi e pas que les séances de projections depuis 1895 furent systématiquement remplies de notes de piano. Rick Altman a bien montré la variété des accompagnements sonores, et la fréquence du silence4.

Lanternes et bonimentsÉmile Reynaud se place dans la continuité des spectacles de lanternes magiques.

Ces derniers s’accompagnent d’orgues de Barbarie et de tambourins. Ils crient leur boniment pour les passants. Ils les attirent avec leurs instruments et en annonçant le spectacle. Les gravures permettent de saisir les méthodes pour attirer le chaland, le villageois, et pour ensuite raconter une histoire en images. La proximité sonore avec les forains montreurs de cinématographe se comprend aisément 5. Les montreurs de lanternes peuvent être des conférenciers (fi n xixe) ou des « bonimenteurs ». Ils fascinent leur auditoire par leur dextérité à enchaîner les images, aussi bien que par leur façon de narrer les contes ou faits historiques qu’ils projettent. On se trouve bien dans une lignée précise. Le son est le même : instruments et « voix qui raconte ». La manière d’attirer le public, de le captiver, proche de celle des autres bateleurs de théâtre, ou de cirque, ressort d’une tradition commune. Laurent Mannoni a expliqué que les lanternes à plaques cohabitèrent avec les cinématographes 6. Ces diff érentes

• 3 – Dominique Auzel, Émile Reynaud et l’image s’anima, Dreamland, 1998.• 4 – Rick Altman, « Th e Silence of the Silents », Musical Quaterly, vol. 80, n° 4, 1997, p. 648-717.• 5 – Cf. les gravures (xviiie et xixe s.) et explications concernant les colporteurs lanternistes avec orgues de barbarie, tambourins, tambours, in Jacques Perriault, Mémoires de l’ombre et du son. Une archéologie de l’audio-visuel, Flammarion, 1981, p. 73-89. Tous les autres ouvrages sur les lanternistes montrent les mêmes attitudes avec bonimenteurs et joueurs d’orgue. Ex. Jean Vivié, Prélude au cinéma. De la préhistoire à l’invention, édition établie par Maurice Gianati et Laurent Mannoni, L’Harmattan, 2006.• 6 – Laurent Mannoni, Le Grand Art de la lumière et de l’ombre. Archéologie du cinéma, Nathan, 1994, p. 102-103.

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« attractions » se sont infl uencées les unes les autres. La cinématographie-attraction ne fait pas exception. Quand le métier de montreur de lanternes disparaît, il laisse des traces sonores dans les salles où sont projetées d’autres images. C’est sans doute par l’analyse des sons que nous sommes à même de comprendre infl uences et fi liations.

Fantasmagories et effets sonoresLes lanternistes ont principalement été infl uencés par les « fantasmagories » de

Robertson. Étienne-Gaspard Robert (de son vrai nom) projeta des scènes fantas-tiques lumineuses pendant presque quarante ans (1798-1837). Lors des débuts de Robertson dans la projection, à Paris, en janvier 1798, il utilise comme accom-pagnement de son spectacle un « harmonica de verre ». Cet instrument est si puissant, ou étrange, qu’il est interdit dans certaines villes, car on craint que son écoute ne rende fou 7. Des eff ets sonores, avec une musique déclenchant de fortes émotions, accompagnent les projections de la fi n du xviiie siècle. Le Fantasmagore ajoute parfois du tam-tam au Glas-Harmonika. Les musiques étranges obtenues avec les instruments cités ci-dessus doivent plonger le spectateur dans un état de concentration et préparer des émotions fortes : la peur et l’eff roi !

« Voici à peu près les détails d’une séance. Dans un cabinet de physique, où l’on trouve à chaque instant de quoi s’attacher les yeux et l’imagination, le citoyen Robertson fait des expériences de galvanisme, après lesquelles le Ventriloque exécute les scènes les plus plaisantes ; ensuite l’harmonica [il s’agit du « Glas-Harmonika », auquel Robertson ajoute parfois du tam-tam], par ses accents lugubres, semble préluder l’ouverture d’une vaste salle, éclairée d’une lueur pâle et tremblante, qui bientôt disparaît et laisse le spectateur dans une nuit profonde. Les orages, l’harmonica, la cloche funèbre qui évoque les ombres de leurs tombeaux, tout inspire un silence religieux : les fantômes paroissent [selon l’orthographe de l’époque] dans le lointain, ils grandissent et s’avancent jusque sous nos yeux et disparois-sent avec la rapidité de l’éclair. Robespierre sort de son tombeau, veut se relever, la foudre tombe et met en poudre le monstre et son tombeau. […] Diogène, sa lanterne à la main, cherche un homme et pour le trouver traverse, pour ainsi dire, les rangs, et cause impoliment aux dames une frayeur dont chacun se divertit 8. »

Bruitage d’orage, de foudre (« une table de fer-blanc servant à imiter le tonnerre et un rouleau de carton servant à imiter la grêle », nous dit le rapport d’experts cité par Laurent Mannoni), cloche, musique lugubre… tous ces eff ets sonores

• 7 – Ibidem, p. 147.• 8 – Ibid., p. 156, citant un article du Courrier des spectacles, n° 1086, 23 février 1800, p. 4.

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permettent de faire croire à l’apparition de fantômes. Pour impressionner le plus possible le spectateur, il faut un accompagnement adéquat. Bruitages et musiques variant selon les scénarios des projections sont précisément utilisés pour renforcer les « visions » qui se déplacent dans la salle. À la suite d’un procès qui opposa Robertson et un de ses plagiaires, le secret des fantasmagories fut divulgué et ce type de projections se multiplia dans toute l’Europe pendant le xixe siècle. Il serait intéressant de développer des recherches du côté des accompagnements sonores de ces multiples spectacles de projection, aussi bien que d’étudier les structures narra-tives de ces petites histoires projetées… dont se sont inspirés des scénarios de fi lms.

Théâtres d’ombres et bruits d’eauParallèlement au développement des fantasmagories, un autre spectacle de

projection fait fureur à Paris et dans toute l’Europe, le théâtre d’ombres.Il existe une « ombromanie » faite à la main qui marche très bien à la fi n du

xixe siècle et au début du xxe avec des artistes tels que Th éo (Th éodore Revel) ou Félicien Trewey 9. Ce dernier, ami des frères Lumière, fut aussi un propagateur du cinématographe et acteur dans les premiers fi lms (il joue dans La Partie d’écarté). Ce spectacle s’est perpétué par la suite au music-hall. Mais le théâtre d’ombres qui nous intéresse comporte un scénario complexe, des personnages et un accompagne-ment sonore et musical. Les personnages sont en papier découpé au xviiie, puis ils seront sur des plaques en carton et des plaques de zinc. Dans les journaux du xixe, on peut découper des silhouettes dessinées parfois par de grands artistes comme Fröhlich, Toepff er ou Caran d’Ache, connus comme fondateurs d’une autre série culturelle, celle de la bande dessinée. Le théâtre d’ombres le plus célèbre de Paris se situa d’abord au Palais-Royal. Dans ce Th éâtre de Séraphin, à partir de 1802, le successeur du vrai Séraphin introduit dans son spectacle des tableaux mécaniques. Il remplace le clavecin par un piano et place un aboyeur à perruque et haut de forme à la porte de son théâtre 10. Ce dispositif rassemble deux éléments accompagnant ensuite les représentations cinématographiques avant 1914. Mais il n’y a pas que les cinématographes qui placent aussi un aboyeur à l’entrée, un piano, un projecteur. Un ensemble de spectacles de projections partagent les mêmes attributs. Le théâtre

• 9 – Sur Félicien Trewey, Matthew Solomon, « Twenty-Five Heads under One Hat in the 1890’s », in Vivian Soback (dir.), Meta-Morphing : Visual Transformation and the Culture of Quick-Change, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2000, p. 3-20. Yves Chevaldonné, Nouvelles techniques et culture régionale : les premiers temps du cinéma dans le Vaucluse (1896-1914), Laval (Canada)/Paris, Presse de l’université de Laval/L’Harmattan, 2004, p. 167-178. Pour le reste, Denis Bordat et Francis Boucrot, Les Th éâtres d’ombres. Histoire et techniques, L’Arche, 1956, p. 131.• 10 – Bordat et Boucrot, op. cit., p. 84.

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Séraphin déménage au passage Jouff roy en 1858, et même si le théâtre d’ombre est moins actif, il est présent en continue à Paris (par exemple à l’exposition universelle de 1900). Dans toute la France, on connaît ces spectacles. Les imageries d’Épinal, et de Nancy, popularisent les silhouettes à découper soi-même pour recréer chez soi ces soirées d’ombres. Lemercier de Neuville fait une brillante carrière de marionnet-tiste avec silhouettes décorées. Il parcourt la France de Paris à Monte-Carlo, et Nice (où il meurt en 1918). Ses pièces sont accompagnées de tam-tam, bruitages variés, dialogues et il alterne les pièces en silhouettes et les marionnettes 11. Au Th éâtre de Séraphin, on utilise également des marionnettes, mais la réputation de la maison se fait sur le répertoire spécifi que des ombres chinoises. Ces pièces, comme Le Pont cassé, contiennent des dialogues, des chansons, et un bruitage d’eau et de cailloux roulant dans une rivière. Donc des histoires projetées, accompagnées de paroles, musiques, bruitages synchrones et chants ont constitué un spectacle populaire (même s’il était surtout apprécié par les enfants) depuis la fi n du xviie siècle jusqu’au xxe siècle. Dans ces spectacles de projection (de plaques ou d’ombres), des vues « mouvementées », avec tableaux à tiroirs, tableaux à levier, tableaux à engrenage, ou encore tableaux de cosmographie mécanisée, fabriqués par la maison Molteni à Paris, fournissent des mouvements fl uides. D’autres systèmes, tel le phénakistiscope de projection, ou le Choreutoscope tournant de projection, sont recommandés par les manuels des débuts des années 1890 pour obtenir de beaux mouvements pendant les projections 12. À partir de 1910, le Th éâtre Noir et Blanc de Paul Vieillard conti-nue de perpétuer les classiques des pièces d’ombres de Séraphin ou Caran d’Ache 13.

Nous constatons la similitude des dispositifs, la présence habituelle de musiques, chants et bruits et l’existence conjointe de cette forme de spectacle avec les séances de cinématographe. Ce dernier s’intègre donc dans des séries de spectacles « de projections avec sons ». Par exemple au Chat Noir, les eff ets sonores étaient très nombreux.

Le Chat Noir de SalisLe plus célèbre de ces spectacles, à la fi n du xixe siècle, se situe au Cabaret du

Chat Noir. Le cabaret montmartrois, fondé par le peintre Rodolphe Salis, présente des « marionnettes ». En tant que commentateur et chansonnier, Salis est plus important que le chanteur Bruant, dont le nom est également lié à ce cabaret. Dans l’ouverture du castelet, derrière une toile éclairée, on fait défi ler des silhouettes de

• 11 – Ibidem, p. 119.• 12 – H. Fourtier, La Pratique des projections, tome II : les accessoires, la séance de projection, Gauthier-Villars et Fils, 1893, p. 38-46.• 13 – Bordat et Boucrot, op. cit., p. 85-103, p. 190.

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sergents de ville sur l’air des « Sergots » chanté par Jules Jouy 14. On associe les pièces d’ombres avec des musiques et chansons. À partir de 1887, avec L’Éléphant (d’Henri Somm), et d’autres pièces comme 1810 ou encore L’Épopée, ces deux dernières de Caran d’Ache, le succès des soirées d’ombres du Chat Noir est total. Rivière, peintre-décorateur (il travaille avec le metteur en scène Antoine), invente des verres colorés pour créer des ambiances lumineuses variant tout au long de la pièce. « Certains spectacles ont exigé la mise en mouvement de cent cinquante glaces colorées » écrit Édouard Sarradin dans le numéro de février 1898 de la revue Arts et décorations. Henri Rivière bricole le carton, le zinc, les verres colorés, pour créer des épopées. Des dizaines de fi gurines apparaissent dans ces œuvres chat-noiresques. Pendant les représentations, le cabaretier, Salis, improvisait des commentaires, truff és de références irrespectueuses à l’actualité politique du moment. Ce boniment sur des images animées, les ombres avancent devant des décors projetés, fait partie intégrante du spectacle. Maurice Donnay, un habitué du Chat Noir, décrit ces envolées verbales comme une « mosaïque d’archaïsmes et de néologismes, de formules argotiques et littéraires ; il avait des trouvailles d’expressions, des chocs de mots, des heurts d’idées, des images bouff onnes et de la grandiloquence. Il entrait témérairement dans une phrase, nous pensions – il n’en sortira jamais ! – il en sortait toujours ! 15 ». À la même époque, les conférenciers de certaines soirées cinématographiques montraient leur talent d’orateurs avec force formules ampoulées et jeux de mots. Après le succès de l’accompagnement par des airs de chansons, des musiques sont composées pour ces pièces. Les gravures des années 1890 montrent trois musiciens derrière l’écran pendant les spectacles d’ombres 16. Charles Sivry écrit la musique d’une des œuvres les plus jouées au Chat Noir, Pierrot pornographe. Dans cette pantomime en sept tableaux de Louis Morin, Pierrot chante une chanson. Des bruitages accompagnent les scènes. « On entend aussitôt le bruit des pièces d’or », précise le programme du Chat Noir de 1893, lorsque Pierrot réussit à vendre ses toiles. Dans le sixième tableau : « Pierrot passe en jugement [il a peint Colombine nue]. Accusation et plaidoirie en musique. Condamnation en musique. […] Les Pères La Pudeur qui assistent au jugement s’enfuient en poussant des hurlements. » À la fi n du septième tableau, « on entend la “chanson des peintres” de Charles Cros, du 2e tableau, chantée par Débruel 17 ». Le Chat Noir part en tournée dans toute la France, en Europe et jusqu’aux États-Unis. Ce succès entraîne une multiplication des théâtres

• 14 – Ibidem, p. 151-153.• 15 – Ibid., p. 158-160.• 16 – Laurent Mannoni, Donata Pesenti Campagnoni, David Robinson, Lumière et mouve-ments ; Incunables de l’image animée 1420-1896, Pordenone/Paris/Turin, Le Giornate del Cinema Muto/Cinémathèque Française/Museo Nazionale del Cinema, 1995, p. 36.• 17 – Bordat et Boucrot, op. cit., p. 162-164.

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d’ombres, surtout à Montmartre. Entre 1890 et 1914, ces spectacles variés proposent des collaborations prestigieuses. Longtemps avant d’écrire la musique d’Entr’acte de René Clair, Érik Satie travaille avec le peintre Utrillo pour la création d’un Noël. Satie accompagna également pendant plusieurs années les soirées du Chat Noir. Des mécaniques complexes permettaient d’animer chaque silhouette. Les mécanismes les plus compliqués furent créés par les élèves de l’école polytechnique qui défi laient dans les rues avec des caricatures de leurs professeurs et procédaient chaque année à des spectacles d’ombres 18.

Une soirée classée « X »Une gravure de mars 1901, exécutée par Henri Millot pour servir d’affi che et

de programme pour une « Séance des ombres » montmartroise (la salle n’est pas signalée), prouve que tout ce qui porte un uniforme a vocation à être brocardé (du polytechnicien au pompier, en passant par les maréchaux) 19. Il s’agit d’une des soirées organisées par les élèves de Polytechnique comme l’indique le « X » au bout de l’étendard qui laisse voir le programme. L’intégralité du programme est accompagnée de chansons et de musiques. Les trois parties sont organisées comme les spectacles de cafés-concerts. Les marches militaires (« Sambre et Meuse », « Marche de l’X ») dominent, avec les parodies (« Quadrille de l’artilleur », « Polka du Monôme »). Une chanson de Mercadier voisine avec des compositions de Sarraz. Le dessin montre une lanterne alimentée par l’électricité (on voit les fi ls qui tortillent), sur laquelle grimpe des musiciens issus sans doute de la fanfare de l’école polytechnique, comme on le constate ci-dessous.

L’organisation du programme est strictement identique à celle qu’on trouve dans les salles répertoriées par le Nouvelliste des concerts, cirques et Music-halls entre 1900 et 1914, dans lesquels se trouvaient des projections… de fi lms au milieu de nombreuses attractions.

Le cadre du spectacle avec des projections accompagnées de musique et de chansons existe dans les années 1880, perdure et donne une des structures dans lesquelles s’immisce le cinématographe. L’ouverture en musique et la marche fi nale, appelée « retraite », encadrent systématiquement les programmes de toutes les salles dans lesquelles plusieurs numéros sont proposés. Tous les music-halls et concerts fonctionnent de cette façon 20. Même une salle comme le Gaumont

• 18 – Ibidem, p. 166-175. Et Marc Vignal (dir.), Dictionnaire des grands musiciens, Larousse, 1985, article « Satie ».• 19 – Collection personnelle. Merci à François Boisjoli.• 20 – Un « concert » désigne une salle dans laquelle on peut entendre des chansons, des musiques populaires ou savantes et qui permet souvent de découvrir d’autres numéros : sketches comiques,

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Affi che signée Henri Millot, 30 mars 1901, 40 x 32 cm, coll. part.

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Palace, qui ne projette que des fi lms (à part un numéro de cirque au milieu de la première partie de son programme) comporte ces ouvertures et retraites musicales (cf. détail de l’affi che ci-dessous). Orphéons et fanfares locales ont un rôle impor-tant dans les accompagnements de fi lms dans les petites villes et villages. On se trouve dans une série culturelle proche et les liens entre ces pratiques se compren-nent encore mieux quand on étudie les sons qui accompagnent ces projections, d’ombres, ou de fi lms.

Avec ce survol des projections des xviiie et xixe siècles, nous constatons la proximité de la structure du programme des lieux montrant des fi lms, avec celle des théâtres d’ombres. L’organisation de la soirée, l’ordre des morceaux, les types de musiques, se retrouvent dans les « cinémas » (comme le dit la publicité du Gaumont Palace dès 1908). Nous avons constaté que l’environnement sonore des montreurs de lanternes était comparable à celui des projections de fi lms. Vérifi ons cette proximité sonore. Lors des premières projections de photographies animées, quels sont les bruits entendus ? Les premiers lieux où le public peut voir des fi lms en grand nombre sont les baraques foraines. L’environnement sonore de ces espaces de fêtes, qui permettaient de voir les lanternes magiques, doit être analysé pour appréhender ce que perçoit le spectateur des cinématographes.

transformisme, prestidigitation, jonglage, équilibre, etc. Quand la proportion de ces numéros devient plus importante, que la scène s’adapte avec des coulisses conséquentes l’appellation passe de « concert » ou « café-concert » à « music-hall ».

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Programme de musique.Détail de l’affi che d’H. Millot, 1901, coll. part.

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C h a p i t r e   I I

Vacarmes de foires

Les ouvrages actuels, qui répertorient les premières projections, ne prennent pas souvent la peine d’indiquer les instruments de musique, la présence d’un phonographe ou la proximité d’un son quelconque pour attirer l’attention des badauds (cloches, sonneries, grosse caisse). Les programmes de l’époque, rares et diffi ciles à retrouver, ne signalent pas ces éléments, placés parfois à l’extérieur du lieu de projection. Les revues et journaux au tournant du siècle, préfèrent décrire le mécanisme des cinématographes, plutôt que de noter la présence d’une parade devant la baraque. D’autre part, les historiens ne se préoccupent presque jamais des sons considérés comme parasites, bruits extérieurs et bruits du public, ou des accompagnements musicaux, tant ils se focalisent sur les fi lms. Notre analyse des ambiances sonores nous permet de comprendre ce que ressentaient les spectateurs de l’époque.

Nous essayons d’évoquer tous les types d’accompagnements sonores possibles, dans toute la France, depuis les sons parasites extérieurs au lieu de projection (comme nous allons le développer ci-dessous), jusqu’à la synchronisation méca-nique. Certains éléments que nous décrivons ne sont que des bruits fortuits. Cela nous paraît fondamental et a été totalement oublié par les historiens. Il ne s’agit pas de placer le bruit d’un groupe électrogène sur un pied d’égalité avec le chant d’un baryton accompagnant un fi lm. Mais cet environnement sonore ne peut pas être ignoré. Nos diff érentes parties, dans ce chapitre, analysent la façon dont la production d’énergie, les musiques environnantes, les cris des « aboyeurs », les grognements de fauves « accompagnaient » les fi lms. Il s’agit de débusquer les bruits insolites, et pourtant les plus courants, qui pouvaient se faire entendre à travers la toile d’une baraque foraine.

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Le bruit de l’énergieLes premières « salles » utilisées pour des projections sont rarement isolées du

bruit extérieur. Les baraques des forains, construites en toile et en bois, laissent passer facilement les sons. Parmi les sons entourant les baraques foraines, on trouve celui des machines produisant l’électricité. Même si les journaux proclament le triomphe de la « fée électricité » dès les années 1880, il faut attendre la guerre de 1914-1918 pour que les villes basculent vraiment du gaz d’éclairage vers les ampoules élec-triques et puissent fournir cette nouvelle énergie à leurs concitoyens. Seules les plus grandes villes françaises éclairent rapidement leur centre avec ce nouveau système. Les particuliers s’équipent petit à petit. « Le nombre réel d’abonnés à l’électricité avant 1914 est resté faible : 32 300 abonnés à l’électricité à Paris en 1900 contre 454 600 abonnés au gaz, soit 14 fois moins 1. » Pour fournir l’électricité nécessaire à la lanterne de projection, même si la lumière oxyéthérique (mélange d’oxygène et d’éther) continue d’être le plus souvent employée jusqu’aux années 1907-1910, de nombreux forains utilisent des « locomotives » (en fait des génératrices d’électricité grâce à la vapeur, mais pas des engins de traction sur rails) appelées « locomobiles », ou des groupes électrogènes à essence ou gaz. À Chartres, en mai 1896, un opérateur Lumière installe un cinématographe dans une salle de théâtre et projette ses fi lms grâce à l’énergie fournie par une locomobile. Alexandre Promio a eff ectué cette séance unique le 17 mai 1896. Les journaux n’évoquent pas le bruit de l’appareil, mais insistent sur cette dynamo Gois-Pardet : « Des appareils électriques ont été installés dans la salle du théâtre par les soins de M. Coudray, électricien et la force motrice sera fournie par une locomobile routière de M. Gois-Pardet », précise le Journal de Chartres le 17 mai 1896. Le même quotidien explique trois jours plus tard, en insistant sur les noms (publicité… gratuite ?) : « Cette lumière électrique a été fournie par M. Coudray, électricien à Chartres, qui a fait actionner sa dynamo par la machine routière de M. Gois-Pardet 2. » Pour ne pas faire face à une déperdition d’énergie trop importante, les câbles ne pouvaient pas être très longs. La machine ne devait donc pas se situer trop loin du projecteur. Au vu de la taille de ces locomo-biles, un bruit important devait être perçu par les spectateurs 3. Pourquoi ce système

• 1 – Alain Beltran, Patrice A. Carré, « Une Fin de siècle électrique », in Monique Sicard (dir.), Les Cahiers de médiologie, n° 10, Lux, des Lumières aux lumières, 2e semestre 2000, p. 99.• 2 – Le Journal de Chartres, 20 mai 1896, cité in Jacques et Chantal Rittaud-Hutinet, Dictionnaire des cinématographes en France (1896-1897), Honoré Champion, 1999, p. 139 sq.• 3 – Des photos de forains avec leur locomobile sont reproduites dans Jacques Deslandes et Jacques Richard, Histoire comparée du cinéma, t.2, Du Cinématographe au cinéma (1896-1906), Tournai, Casterman, 1968, p. 197-201. Une photographie en gros plan permet de voir la locomo-bile qui servait à alimenter en courant électrique le « Ciné National suisse » de Weber-Clément, qui tournait en Suisse, France et Allemagne, dans l’ouvrage de Freddy Buache et Jacques Rial, Les Débuts du cinématographe à Genève et à Lausanne, 1895-1914, Lausanne, Cinémathèque suisse,

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encombrant et bruyant a-t-il été favorisé ? L’incendie du Bazar de la Charité, fête de bienfaisance détruite par le feu le 4 mai 1897, déclencha des ordonnances de police et des mesures de sécurité dans presque toutes les communes (à Lyon à partir de 1906) et tous les départements français. Par exemple, le 1er septembre 1898 :

« Une nouvelle ordonnance de la préfecture de police de Paris offi cialise, dans son article 108, des mesures spécifi ques aux cinématographes, dont plusieurs sont en fait exigées dès les lendemains de la catastrophe : “les directeurs de cinématographes doivent, en outre des précautions spéciales qui peuvent être exigées, satisfaire aux prescriptions suivantes  : – ne pas employer pour la lumière nécessaire aux projections des lampes à carburateur oxyéthérique […]” 4. »

Ces mesures de sécurité municipales et départementales furent rarement respectées par les forains qui protestaient en expliquant que le gaz ou l’électricité était plus dangereux encore 5. Néanmoins les tourneurs, et les exploitants de salles fi xes convertis à la « fée Électricité », vantaient dans leur publicité cette utilisa-tion d’une énergie « moins dangereuse ». La publicité pour les groupes électro-gènes se répand dans les revues corporatives. Une annonce parue dans L’Industriel forain du 7 mai 1898, nous donne une idée de la taille d’un « petit groupe élec-trogène » de seulement « 300 kg [!] ». Elle est suivie de beaucoup d’autres. En septembre 1896, l’Agence Fournier, concessionnaire Lumière, fait venir un ciné-matographe à Chalon-sur-Saône. Le manque d’énergie électrique dans la ville retarde le démarrage des présentations jusqu’au 18 octobre 1896. « L’absence d’une force (électrique) suffi sante au centre ville » oblige à l’utilisation d’une « machine à vapeur et d’une machine à dynamo 6 ». M. Potel, propriétaire du Th éâtre des Visions d’Art, s’installe place de la Brêche, à Niort, en mai 1899. Son appareil, le Gioscope, « entièrement éclairé à l’électricité, est activé par un moteur à gaz d’une puissance de sept chevaux 7 ». La famille Dulaar utilise des moteurs au gaz (Abraham Dulaar, dès 1897, dans son Atheneum Th éâtre) ou au pétrole (Jérôme Dulaar, dans son Cinéma mondain, dès 1899). En 1902, le groupe électrogène d’un des plus grands forains du nord de la France, Kétorza, fonctionne au pétrole 8.

1964, encart entre p. 22 et 23. Merci à Astrid Maury. Voir également les nombreuses cartes postales reproduites dans Meusy, Cinémas de France, op. cit.• 4 – Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 59.• 5 – L’industriel forain, 16 janvier 1904.• 6 – Le Courrier de Saône-et-Loire, 29 septembre 1896 et 19-20 octobre 1896, cité in J. Rittaud-Hutinet (dir.), 1895-1995, 100 ans de cinéma en Bourgogne, Dijon, Conseil Régional de Bourgogne, 1995, p. 41.• 7 – Daniel Taillé, Un siècle de spectacle cinématographique en Deux-Sèvres (1896-1995), Niort, édition Cinéma-Niort, 2000, p. 16.• 8 – Deslandes et Richard, op. cit., p. 177, 195-196.

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Quand plusieurs baraques de foires s’installaient à quelques encablures les unes des autres, en utilisant ces dynamos au gaz ou à l’essence, le bruit de ces moteurs ne pouvait pas être arrêté par les murs de toile et de bois des « salles » de projection. Si on tient compte du progrès fait dans la construction des moteurs depuis un siècle, quiconque est passé un jour à côté d’un groupe électrogène actuel peut imaginer le bruit épouvantable que pouvaient produire ces engins au début du xxe siècle 9. Un des plus célèbres forains des années 1900, Grenier, possédait deux groupes électrogènes de 19 000 watts « attenants au théâtre », nous dit la Dépêche de Rouen du 28 octobre 1906. Ces moteurs à gaz ou pétrole étaient encore plus bruyants que les locomobiles. Ces dernières étaient plus impressionnantes en taille mais plus silencieuses, d’après les publicités de l’époque. On peut néanmoins douter de ce silence quand on constate que ces machines ont la même taille que les locomotives à vapeur tractant les trains, et qu’elles sont accolées aux baraques foraines, comme on le voit sur les cartes postales présentant les cinémas Camby, Kobelkoff ou Iunk 10. La grosse loco aux cuivres rutilants constitue d’après Deslandes et Richard « le clou de la parade des cinémas forains ». Cette « attraction extérieure » devait certes attirer la foule, mais son fonctionnement pendant la projection entraînait un bruit continu perçu par les spectateurs.

La présence de grandes baraques, comme celles des Kétorza, des Frères Dulaar, de Iunk, Grenier, Camby, et autres banquistes avec de luxueux théâtres parcourant la France jusqu’en 1914, garantit la persistance d’un haut niveau de pollution sonore. Les dynamos à gaz et à pétrole continuent de se vendre. Signalons la « Machine à vapeur de 35 HP » de l’établissement Kobelkoff , placée à gauche de la façade de son « Cinématographe – American Show – Phénomène Exhibition ». À droite de la baraque se trouve un « orchestrion Gavioli, dernier modèle 11 ». Cet « orchestre » automatique sert à la parade et produit lui aussi un bruit (musique) formidable. Une énorme machine à vapeur est encastrée dans la droite de la monu-mentale façade de la « Ménagerie – Cinéma » du dompteur Laurent. Une affi che de 1911 précise que la machine donne une force motrice de 40 chevaux 12. Le cirque Spessardy fait fonctionner son « cinématographe – théâtre », « parlant & chan-

• 9 – Ayant vécu en Colombie en 1991-1993, lors d’une grave crise énergétique qui réduisit l’ali-mentation en électricité à moins de huit heures par jour dans tout le pays, nous pouvons témoigner de l’infernal boucan que représentent les groupes électrogènes. Dans les plus grandes villes, comme Bogota ou Cali, les boutiques ayant besoin de conserver aux frais des aliments plaçaient sur le trottoir leur groupe électrogène. Deux personnes ne pouvaient pas s’entendre, même en hurlant, en passant à côté de ces engins. À dix mètres de la source du bruit, il fallait encore crier pour se faire comprendre.• 10 – Deslandes et Richard, op. cit., p. 197-198.• 11 – Affi che des Établissements Kobelkoff , entre 1907 et 1914, in Adrian, Cirque au cinéma, cinéma au cirque, éditions Paul Adrian, 1984, p. xxviii.• 12 – Carte postale, 1 911 ou 1912, in Adrian, op. cit., p. iii, et affi che de 1911, p. 22.

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tant » avec « une machine d’une force de 20 chevaux, 120 volts, 100 ampères », d’après une affi che pour la ville de Pouliguen, en août 1912 13. « L’Artistique Salon Cinématographe Brelier » tourne en France en 1909 avec une machine à vapeur de 70 chevaux 14. Le champ de foire, où peuvent se retrouver jusqu’à dix-huit cinéma-tographes, agresse les tympans des visiteurs. Les baraques de toiles et de planches, même les plus luxueuses, comme celles transportées en 14 wagons par Kétorza (qui changea son nom en Katorza, peut-être à cause de ses quatorze wagons de chemin de fer), ne sont pas insonorisées.

De nouveaux systèmes ajoutent leurs pétarades. La Société Krieger met au point une automobile « mixte ». Elle sert à la fois de groupe électrogène et de cabine de projection mobile. Phono-Ciné-Gazette en fait la promotion dès janvier 1908, mais cet engin reste d’abord réservé aux tourneurs du groupe Omnia, tout en alléchant tous les forains : « Plus de billets de chemin de fer… plus de frais de transports, camionnage… Chaque jour la voiture permet d’exploiter une bourgade nouvelle si besoin est. Pas de jours creux. Une exploitation intensive 15. » Un autre engin, qui semble tout aussi bruyant, arrive sur le marché à la même date : la « locomobile pétroléo-électrique pour cinématographes, cirques, etc. […] de la Société française de l’Energy Car 16 ». Plus tard arrivent les « Cinéma autobus » avec de gros camions motorisés attelés à des remorques.

Pourquoi ne trouve-t-on pas de plaintes dans les journaux à propos du vacarme des moteurs de dynamos ? On mentionne même assez rarement le système de production d’énergie. Notre hypothèse est que le bruit dans les fêtes foraines fait partie de l’amusement. On n’imagine pas une « vogue », comme on dit dans certaines régions françaises, silencieuse. Plus une baraque fait du bruit, plus elle a des chances d’attirer les chalands. Dans ce contexte, nul ne viendra se plaindre de cet « accompagnement extérieur des fi lms ». Nous n’avons trouvé qu’une seule occurrence d’un article décriant les bruits des groupes électrogènes : « Il y a trois ans, la vogue était aux moteurs à gaz ; Qui ne se souvient pas de ces petits moteurs primitifs de Bischoff qui lamentablement accompagnaient un orchestre ? » Et le journaliste soulignait « les trépidations, le bruit et la mauvaise odeur » de cette dynamo 17. D’après Rodolphe-Maurice Arlaud, certains tourneurs, conscients de la gêne auditive, isolaient le générateur (ou la voiture, ou loco) sur une place voisine

• 13 – Affi che reproduite in ibidem, p. iv.• 14 – Garnier, Forains d’hier et d’aujourd’hui, Orléans, éditions Jacques Garnier, 1968, p. 324.• 15 – Phono-Ciné-Gazette, 1er janvier 1908, cité par Deslandes et Richard, op. cit., p. 226.• 16 – Ibidem.• 17 – L’Est Républicain, 9 mai 1908. Il parle donc des baraques de cinématographe présentes à Nancy en 1905. Cité in Blaise Aurora, Histoire du cinéma en Lorraine. Du cinématographe au cinéma forain, 1896-1914, Metz/Nancy/Paris, La Serpenoise/Conservatoire régional de l’image/AFRHC, 1996, p. 169.

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et tiraient des câbles jusqu’au projecteur 18. Mais cela semble être très rare, au vu du nombre de photographies où la machine à vapeur jouxtait l’entrée. Ce critique souligne ainsi l’importance du bruit des dynamos.

La deuxième moitié du xixe siècle, en France, fut riche en lois réprimant les bruits dans les villes. Les chanteurs des rues, les petits métiers criant leur spécia-lité sont, peu à peu, obligés de se taire. De 1880 à 1906, la rue appartient aussi aux « camelots », ces crieurs politiques qui hurlent les chansons, brochures et pamphlets pour mieux les vendre : 5 500 titres concernant la politique sont publiés pendant cette période. La gouaille argotique de ces travailleurs précaires de la poli-tique française s’éteint avec la guerre de 1914-1918 19. Une loi est promulguée en 1864, en Angleterre, pour réglementer la musique des rues, et en France diverses municipalités empêchent les bruits de la rue, comme le préfet Vaïsse, à Lyon sous le Second Empire 20. L’historien Jean-Pierre Gutton rapporte qu’à Lyon

« dans les années 1895-1897, un débat a lieu sur les vogues. Leurs adver-saires font état de pétitions de riverains qui se plaignent de grosses-caisses, clairons, orgues mécaniques défi ant le repos des habitants. Ce à quoi un élu du premier arrondissement répond que ce sont là des motifs égoïstes de bourgeois soucieux de leur confort. Ils seraient en réalité peu aff ectés par le bruit dans leurs appartements capitonnés. La ville subventionne l’opéra ; ne peut-on pas maintenir les vogues pour les humbles, demande-t-il 21 ».

En observant ce débat on constate que le silence représente un critère de distinction social, ainsi qu’un élément de contrainte. La fête foraine échappe en partie à cette contrainte. Les compositeurs de musique saisissent le réel sonore de leur époque et le répercutent dans leur écriture. « Lorsque Coquard dans La Troupe Jolicœur (1902) évoque une fête foraine du 14 juillet, il utilise des thèmes de chansons et même de La Marseillaise, et y ajoute les bruits les plus divers : siffl ets de machine à vapeur, bruits de bouteilles, sirènes, tambours, cris et barrissements, cornets à bouquin et orgue de Barbarie 22. » Cette recréation des sons d’une fête donne une idée de ce que pouvait entendre un spectateur de cinématographe dans une foire. Pour ce qui est des machines à vapeur et dynamos diverses, n’oublions pas que nous sommes dans l’âge du machinisme, du progrès technologique qu’il

• 18 – Rodolphe-Maurice Arlaud, Cinéma-Bouff e. Le cinéma est ses gens, éditions Jacques Melot, 1945, p. 74. Merci à François Albéra. Sur Arlaud, cf. Michel Ciment et Jacques Zimmer, la Critique de cinéma en France, Ramsay, 1997, p. 276 sq.• 19 – Jean-Yves Mollier, Le Camelot et la rue. Politique et démocratie au tournant des XIXe et XXe siècles, Fayard, 2004.• 20 – R. Murray Schafer, Le Paysage sonore, Jean-Claude Lattès, 1979, p. 102-103.• 21 – Jean-Pierre Gutton, Bruits et sons dans notre histoire, PUF, 2000, p. 122.• 22 – Ibidem, p. 139.

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ne faut pas contrarier. Les usines qui s’agrandissent font l’objet de plaintes de rive-rains, dans les années 1870-1890, mais l’administration dénonce la malveillance des voisins pour éviter d’examiner les aff aires au fond. L’industrialisation ne doit pas être entravée. « Dans tous les cas, la préservation de l’ouïe ou de l’équilibre nerveux ne fait pas encore partie des idéaux sanitaires et c’est assez pour redire la faible prévention de la pollution sonore. Dénoncer celle-ci n’est donc qu’une attitude tardive, postérieure pour l’essentiel à la Première Guerre mondiale 23. » Le seuil de tolérance varie selon les époques. Nul doute que le bruit sur les foires avant 1914 fût très élevé et que les cinématographes, quand ils utilisaient des systèmes à moteur, participaient de cet environnement bruyant. Nous devons donc en tenir compte pour évaluer ce qu’entendait le spectateur de fi lms, même si cela n’était pas considéré comme une nuisance par le public de l’époque. Un poème, dédié à la foire de Neuilly de juin 1896, commence par les vers suivants : « La musique tintamarre, L’or du costume chamarre / Rit sous la lumière d’or : / C’est la chanson du décor 24. » Le tintamare fait partie du monde sonore et joyeux de la foire.

Les fl onfl ons de la paradeCeux qui ne s’amusent pas avec la « populace » trouvent, par contre, très déran-

geants ces « fl onfl ons gazeux » et « refrains de foire », comme le dit J. K. Huysmans dans La Cathédrale en 1898 à propos de Chartres, lui qui ne supporte pas les bruits de Paris 25. Même attitude chez l’écrivain et chroniqueur lyonnais Henri Béraud :

« Depuis quatre aff reuses semaines, j’endure l’abominable supplice : deux manèges de chevaux de bois, une noce à Th omas, une ménagerie, trois ciné-matographes, une femme à barbe, un veau à cinq pattes, cinq marchands de graillons, tous glapissant, bondissant, hurlant et puant, cernent ma demeure. Quelle musique vient assassiner mon silence ! Quels parfums se liguent pour corrompre, autour de moi, le souffl e embaumé du printemps ! Jour et nuit, la “Petite Tonkinoise”, la “Matchiche”, le “Beau Danube bleu”, “Carmen”, “Ta petit’sœur est-ce qu’elle a mal au cœur”, la marche nuptiale de “Lohengrin”, “Maman, les petits bateaux”, moulus en d’eff royables pots-pourris, par la coalition des limonaires ! Jour et nuit, le vacarme des foules en goguette, les refrains bachiques, la poudre et la sueur du peuple montant jusqu’à mes oreilles obsédées, jusqu’à mon nez révolté 26 ! »

• 23 – Ibidem, p. 145.• 24 – « À la foire de Neuilly », anonyme, Paris-Forain, n° 4, 28 juin 1896, cité par Hennion, op. cit., p. 54.• 25 – Gutton, op. cit., p. 145.• 26 – Charles Fenestrier et Henri Béraud, Marrons de Lyon, Grasset, 1912, p. 286 sq.

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Cette description, haute en couleurs et en odeurs, donne une bonne idée de l’impression auditive et olfactive globale d’une foire avant 1914. L’écrivain décrit l’ensemble sonore qui surnage de la vogue de la Croix-Rousse. Les parades des diff érentes baraques sont la cause principale de ce magma musical. Les orgues et pianos mécaniques, Limonaire et d’autres marques comme Gavioli ou Foucher-Gasparini, se vendent en grand nombre des années 1890 aux années 1920 27. Les Orchestrions qui remplacent jusqu’à « quarante musiciens », selon les publicités, ce qui permet d’évaluer le volume sonore, sont placés à l’entrée des cinémato-graphes 28. Ces instruments peuvent coûter extrêmement cher : en 1898, Jérôme Dulaar aurait dépensé 15 000 F pour l’orgue Gavioli de son Th éâtre Mondain 29. Un journaliste de Paris, Lucien Descaves, s’indigne dans Le Journal du 6 octobre 1903, parce que la loi, sans pitié pour les marchands ambulants, fl euristes, chan-teurs des rues, joueurs d’orgues de Barbarie, se montre singulièrement tolérante pour le vacarme des fêtes foraines et les « orchestres invisibles dans un buff et d’orgue ». Certains voisins des lieux de fête ne supportent pas les orgues extérieurs, ni les machines à vapeur des forains. C’est le cas lors des réjouissances d’été de 1899, auxquelles participe Kétorza à Nantes. Le bruit des forains est dénoncé par un abbé qui se plaint au nom de ses parents et des autres habitants : « Pendant cette foire d’été (sur la place de Bretagne), le vacarme ne cesse pas avant onze heures du soir et souvent, trop souvent, il se prolonge jusqu’à minuit […]. Ce mal véritable qui dure quatre semaines devient en fait une imposition terrible, cruelle et faut-il le dire ? Tyrannique 30. » L’accompagnement extérieur bruyant semble si courant que lorsque l’exploitant le supprime, cela devient un argument publicitaire : « Au Royal Vio, pas de bruit ; à l’entrée, ni cuivre, ni orgue, ni réclame bruyante 31. » Cela confi rme, a contrario, que la plupart des champs de foire comporte ces éléments qui permettent d’attirer le client, ce bruit continu qui, parfois, déplait aux spec-tateurs appréciant le silence. Si les Orchestrophones plaisent souvent aux visiteurs des foires ce n’est pas seulement grâce à leur son. Leurs couleurs bariolées et leurs angelots en bas-reliefs participent à l’attraction. Le kitsch des instruments

• 27 – Cf. le numéro de la revue de l’Acadèmia Nissarda, Nice Historique, 104e année, n° 4, octobre décembre 2001 : « La Musique à Nice : pianos mécaniques, automates et orchestrions ». Merci à Pierre Goujon.• 28 – En 2009, on peut encore avoir une idée du baroufl e produit par un orchestrion. Le carrousel de Central Park, à New York, est toujours accompagné par cet instrument à bandes perforées. Sans aucun amplifi cateur électrique il se fait entendre de très loin et résonne douloureusement aux oreilles des clients qui montent sur les chevaux de bois.• 29 – Deslandes et Richard, op. Cit., p. 191.• 30 – Frédéric Monteil, La Belle Époque du cinéma et des fêtes foraines à Nantes (1896-1914), Nantes, Ouest éditions, 1996, p. 79.• 31 – Publicité pour le Royal Vio à la foire de Saint-Loup, Limoges, 1908, cité par Pierre et Jeanne Berneau, op. cit., p. 69.

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mécaniques attire les badauds. Une annonce de vente d’un « cinéma forain » de moyenne importance, en 1904, nous donne une idée du type d’instrument : « Un orgue splendide en symphonie, 87 touches à cartons, façades et frontons rappor-tés sculptés, à l’état neuf, ayant servi deux campagnes, 350 m de cartons, facteur Limonaire 32. » Le bonimenteur, s’il y en a un à l’intérieur de la tente, doit rivaliser avec l’instrument automatique placé à l’extérieur. Un témoin raconte :

« M. Garnier avait eu l’ingéniosité de suppléer au texte absent par le boni-ment d’un employé […]. J’ai encore présent à l’oreille l’accent mélodrama-tique grave, donné sur un rythme un peu naïf, de cet homme consciencieux qui se tenait sur l’escalier d’entrée des premières, le bras levé contre le rideau de velours rouge de la baraque […]. Certains passages étaient soulignés par les accents riches en cuivres de l’orchestrophone Limonaire, installé à l’extérieur 33. »

Comme l’a noté Rick Altman, souvent l’accompagnement musical des fi lms venait de l’extérieur. Ce qu’il décrit à propos des Nickelodeons se concurren-çant dans les grandes villes américaines à coup de grosses-caisses, d’orgues, ou de phonographes à l’extérieur des salles et s’entendant à l’intérieur, corrobore ce que nous trouvons sur les forains européens 34.

La réciproque est possible. Certaines salles font marcher un phonographe à l’intérieur, mais de façon à ce qu’il soit entendu au-dehors et qu’il attire les badauds. Une demande d’autorisation adressée à la mairie de Saint-Étienne, en 1907, précise : « Je viens vous prier, monsieur le maire de bien vouloir ordonner une visite de cette salle par le service compétent le lundi 28 octobre et m’autoriser à y donner des représentations […] ainsi que des auditions phonographiques intérieures qui seront entendues à l’extérieur et d’y continuer le débit 35. » Ce bar-cinéma veut faire le plus de bruit possible pour économiser un aboyeur à sa porte.

Même une salle en dur spécialisée, comme à Paris le Sélect, « grand cinémato-graphe » de la Porte Saint-Martin, peut faire entendre à partir de 1901 et pendant de longues années, un orchestre dans le hall d’entrée. La publicité précise : « l’orchestre se tient dans la salle d’attente en façade du boulevard 36 ». Dans ce quartier populaire de Paris, la salle perdure pendant des années, avec des tarifs modiques. Jean-Jacques

• 32 – Annonce parue dans L’Industriel forain, 27 août 1904, pour vendre le Palais des Merveilles dirigé par le prestidigitateur Bidart, cité in Deslandes et Richard, op. Cit., p. 169.• 33 – Roger d’Arteuil cité par Blaise Aurora, op. cit., p. 160.• 34 – R. Altman, « Th e Silence of the Silents », op. cit.• 35 – Archives municipales de Saint-Étienne, 1 I 86, cité par Frédéric Zarch, Catalogue des fi lms projetés à Saint-Étienne avant la première guerre mondiale, Publication de l’université de Saint-Étienne, 2000, p. 51. Merci à Frédéric Zarch.• 36 – Affi che reproduite in Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 98.

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Meusy, reprenant les souvenirs de Gabriel Kaiser cités dans Ciné-Journal, note à propos de l’accompagnement musical dirigé principalement vers l’extérieur :

« Les harmonies du petit orchestre, un quatuor, qui se tient dans le hall d’entrée en face de la caisse, continuent à parvenir aux passants comme aux spectateurs assis dans la salle juste derrière, où le bonimenteur commente ce qui se passe sur l’écran. Cet orchestre restera là, hors de la salle, de longues années encore, créant une animation propre à attirer les promeneurs, tout en agrémentant les projections. Si les airs sont en principe appropriés au programme, il arrive que la concordance entre les deux ne soit pas parfaite et qu’une marche funèbre accompagne une noce 37 ! »

Si personne ne vérifi e ce qui est en train de passer sur l’écran, c’est plutôt le hasard qui fait que la musique peut accompagner en concordance les fi lms ! De même sur les champs de foire, les fl onfl ons de la parade ne sont pas faits pour donner une ambiance appropriée aux vues qui passent dans la baraque, mais ils constituent souvent l’élément sonore principal. Aux États-Unis, on trouvait des parades de foire qui préparaient le spectateur aux fi lms qu’il allait voir, certains acteurs devant la baraque se grimant à la façon des personnages des fi lms présentés, les musiciens jouant une musique appropriée 38. Cette tradition, plutôt tardive (années 1910-1920), ne semble pas avoir touché l’Europe, en l’état actuel de nos recherches.

« Sans une bonne parade, inutile de monter son théâtre ; les promeneurs de la foire se soucient assez peu des fi lms qui sont à l’affi che : ils entrent si la parade a su les amuser […]. Quand les badauds approchaient, il fallait les retenir par n’importe quel moyen : les cuivres, la grosse caisse, les animaux savants et surtout le bonimenteur 39. »

Deslandes et Richard insistent sur le fait que la parade du cinématographe doit aller vite, ne laissant pas le temps à de longs développements improvisés. La concurrence fait rage. Il faut enfourner le plus de spectateurs à chaque séance :

« Souvent, un couple de clowns fi gure encore en parade. Mais le dialogue tourne court : l’auguste et son faire-valoir sont avant tout des “musicaux” ; ils ont vite fait d’emboucher un trombone et une clarinette. Le préposé à l’appareil de projection est pour l’instant occupé à taper sur une grosse caisse. Le personnel de parade comporte souvent quatre musiciens ; il en

• 37 – Ibidem, d’après les souvenirs de Gabriel Kaiser, exploitant à Paris, in Ciné-Journal, 11 avril 1914.• 38 – Discussion avec des chercheurs lors du congrès de l’association des historiens du cinéma des premiers temps, Domitor, à Montréal, en 2002.• 39 – Deslandes et Richard, op. Cit., p. 185-186.

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est ainsi en 1903 à l’American Bioscope où ces instrumentistes sont en outre chargés du montage et du démontage 40. »

Si les musiciens à l’extérieur avaient un rôle à l’intérieur pendant la séance comment pourraient-ils faire une musique qui s’entendrait en cours de projection ? En réalité, la parade qui s’interrompt quand la baraque est pleine, redémarre avec une partie au moins de l’équipe dès qu’il faut amasser la foule avant la nouvelle séance. La parade peut aussi être entièrement mécanisée, le temps de la séance. Le piano ou l’orgue à carton remplace les musiciens et clowns appelés à l’intérieur.

Moins de parade après 1907 ?Le déclin des forains projetant des fi lms commence-t-il dès l’année 1907 ? Est-ce

que le système de location imposé par Pathé entraîne une chute irréversible des baraques plaçant leurs vues animées entre des tours de magie ? Les avis divergent sur la question. Olivier Poupion, qui a étudié en détail les foires de Rouen, déclare :

« La prétendue période de décadence à partir des années 1910 est ici aussi douteuse qu’imperceptible. La véritable décadence, à Rouen, nous ne la connaîtrons pas. Elle se situa après 1913, durant la Grande Guerre, quand les foires furent interdites en zone de combat (donc à Rouen). En 1919, lorsque s’en revint la St Romain, les cinémas avaient disparu 41. »

L’historien de Rouen confi rme cette forte présence des cinématographes forains avec ses listes de loges, année par année. La stabilité est totale de 1905 à 1910, avec une moyenne de 10 banquistes proposant des fi lms lors de chaque foire de la Saint-Romain. Le maximum est atteint en 1908 avec dix-huit écrans ! En 1911, on trouve encore sept projecteurs, huit en 1912, mais quatre seulement en 1913. Les écrans de foire ne peuvent pas être appelés « cinémas », car, en 1912, sur les huit cinéma-tographes, un seul, celui du banquiste Camors, ne présente que des fi lms. Tous les autres intègrent leurs projections à un spectacle complet, des transformistes aux dres-sages de chiens, des femmes volantes aux divinations. Des clowns font des intermèdes et apparaissent aussi en façade pour la parade. C’est le cas chez la Veuve Chamu. Devant son Alcazar-Th éâtre, qui propose le Chronophone Gaumont, deux clowns chantent, accompagnés d’un banjo, pour capter l’attention des spectateurs, d’après une photo de 1909 42. Les parades bruyantes doivent lutter contre une concurrence encore plus grande dans ce début des années 1910. La mode du cinématographe

• 40 – Ibidem.• 41 – Olivier Poupion, Histoire du cinéma à Rouen, vol.1, Rouen, Chez l’auteur, 2002, p. 295.• 42 – Photo reproduite in Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 157. Foire aux pains d’épice de Paris, 1909.

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se développant sur les champs de foire, dans des proportions encore plus grandes que précédemment, il faut se faire encore plus remarquer ! Les Limonaires, et autres orchestrions, propagent leur musique le plus fort possible à l’entrée des baraques. Et le choix des airs permet de faire durer la musique mécanique. Quand Bidel vend sa ménagerie-cinéma, en 1910, le lot comprend un « orchestrion symphonique méca-nique avec 44 morceaux à carton perforés 43 ». En 1912, le forain Maurice Dulaar, frère de Jérôme et d’Abraham, et comme eux pourvoyeur d’un cinématographe, plaçait en façade un orgue Gavioli mécanique, monumental, qui emplissait les lieux des nouveautés musicales les plus récentes, pendant ses tournées dans l’Ouest et le Nord de la France 44. Les aboyeurs continuent leur métier forain, alors même que d’autres crieurs publics sont recrutés en centre-ville pour attirer la foule dans les salles fi xes qui se multiplient. La cloche est toujours agitée pour annoncer le démarrage d’une nouvelle séance foraine en 1913 45. Les parades servent aussi à faire patien-ter les clients devant les loges foraines. D’après les journaux, durant la totalité du spectacle Grenier, une heure à peu près, la foule attend, car elle n’a pas pu entrer en totalité dans cette salle temporaire, pourtant assez spacieuse (cette information se répète chaque année, du début du siècle jusqu’en 1913 dans les journaux rouennais). Mais comment se faire remarquer avec une parade ? Les forains sont prêts tout pour attirer l’attention. Il faut des protestations face à une parade de foire cruelle pour que les journaux précisent les « innovations » devant les baraques. En juillet 1908, Max-Himm Cinématograph’ se fi t interdire pour cause de « parade inconvenante à caractère anti-religieux 46 ». On ignore s’il faisait chanter à de faux prêtres des airs salaces, mais il réussit ainsi à se faire remarquer. En novembre 1911, le Th éâtre Grenier, un des plus luxueux cinématographes de foire (qui continue de mélanger les numéros de calculateurs et transformistes avec les fi lms) attire les badauds en exhibant, en l’air, un chien. Les aboiements de l’animal, perché à plusieurs mètres du sol, représentaient sûrement la réclame bruyante « nécessaire » (et cruelle) pour diff érencier le banquiste de ses concurrents.

« Le théâtre Grenier a une singulière façon d’attirer l’attention du public. Voici ce qu’il a spirituellement imaginé pour faire recette. À une poulie longue et haute, il suspend un chien dogue par la mâchoire, et la malheu-reuse bête, placée ainsi dans le vide, à plusieurs mètres du sol, se débat lamentablement. De nombreuses protestations se sont déjà élevées contre ce moyen barbare de réclame […] 47. »

• 43 – Meusy, Cinémas de France, op. cit., p. 73.• 44 – Poupion, vol.2, op. cit., p. 226.• 45 – Ibidem, p. 286.• 46 – Ibid., p. 288.• 47 – L’Avant-Garde de Normandie, 12 novembre 1911, Poupion, vol.2, op. cit., p. 216.

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Il n’est pas certain que le chien réussisse à aboyer (mais il peut geindre), puisqu’il est tenu par la gueule, d’après le journal. Mais si c’est par le cou que la pauvre bête est maintenue, ses cris devaient s’entendre à l’intérieur de la baraque. Dans tous les cas, cela devait eff ectivement provoquer un attroupement et sans doute des cris de passants scandalisés. L’hebdomadaire rouennais signala, la semaine suivante, que cette manifestation de cruauté sur l’animal avait cessé au bout de huit jours. Les forains de 1911, et jusqu’à la Première Guerre mondiale, doivent toujours lutter contre les bruits des baraques voisines. Le niveau sonore global est donc des plus élevés et doit être perçu à travers les frêles murs de toile. Tant que des forains montrent des fi lms, les spectateurs « bénéfi cient » des sons parasites externes. Alain Boillat a retrouvé un des très rares commentaires contrarié signalant ces bruits gênants. Il décrit une séance de 1926. Le fi lm est abîmé et le public a du mal à suivre. « La salle entière épelait à haute voix les intertitres brefs, dominant pour un instant le bruit infernal de la boîte à musique du carrousel voisin 48 ». Ce témoignage confi rme la gêne audi-tive des vacarmes des parades voisines, mais il provient d’un cinéaste horrifi é par les conditions de projection de son fi lm. Dans les années 1920, un cinéaste, s’adressant aux esthètes de Cinémagazine, ne peut que désirer une musique choisie en fonction des scènes. Le spectateur habituel ne semble pas se soucier du bruit. Pourtant on ne peut pas dire que des « sons appropriés » dominent dans les accompagnements forains des fi lms. On peut même se sentir agresser par le volume sonore ambiant.

La parade continue donc après 1907, même si la concurrence des salles en dure commence à se faire sentir. Cette lutte entre forains et exploitants fi xes peut même entraîner les banquistes à développer leur parade (à tous les sens du mot) pour se défendre. L’aspect agressif que peut revêtir le travail devant les baraques se lit dans le nom du « leader » de chaque parade, l’aboyeur. L’aboyeur est l’homme qui s’emploie à attirer les clients à l’intérieur des loges de foire et des commerces fi xes.

Les aboyeursLes aboyeurs de foire

Pour Deslandes et Richard, « bonisseur » et « bonimenteur » sont un seul et même homme qui tient le rôle de l’aboyeur avant de devenir conférencier à l’intérieur de la baraque. Les polémiques, concernant le terme exact à utiliser, ont cours parmi les historiens 49. Le bonisseur, qui fait un boniment à l’extérieur,

• 48 – Roger Lion, « En avant la musique ! », Cinémagazine, n° 47, 19 novembre 1926, p. 398. Cité in Boillat, op. cit., p. 108.• 49 – Voir par exemple les discussions à ce sujet entre Jean-Jacques Meusy, François Albéra, Germain Lacasse et André Gaudreault, lors du colloque « le muet a la parole », Auditorium du Musée du Louvre, juin 2004. La position des Québécois est de dire que le bonimenteur est le terme

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devient « conférencier » quand il est à l’intérieur (d’après les rares textes français). Il n’en reste pas moins qu’il attire le chaland en criant plus fort que le voisin d’une autre baraque. Il est donc aboyeur. Plus tard dans les salles en dur, il semble que les deux métiers furent distingués de façon plus nette. La veuve d’un boni-menteur, bonisseur, également peintre d’enseigne, puis projectionniste raconte : « On le payait quatre sous par séance [en 1905-1906]. La séance durait un quart d’heure ou vingt minutes. Moi je dansais à la parade, chez Sucher d’abord, où nous nous sommes connus. Nous faisions de petits quadrilles pour retenir le monde au-dehors, pendant le spectacle, jusqu’à la séance suivante ; il fallait danser des heures et des heures de suite 50. » Si la jeune femme danse pendant les séances de vues, cela signifi e que la musique continue à l’extérieur.

La poly-activité des forains ne facilite pas les classifi cations. L’aboyeur en parade ou devant les salles fi xes semble la règle. Qu’il change de « profession » à l’intérieur n’enlève rien à l’ambiance sonore à laquelle il participe. La parade est parfois plus remarquée que les fi lms. Par exemple, à Villefranche-sur-Saône, en avril 1897 :

« Foire de Pâques. Ils ont été rapides ces deux beaux jours de la fête tant atten-dus des grands et des petits enfants. Les Caladois [habitant de Villefranche] et leurs nombreux amis se sont portés joyeusement sur le Promenoir pour avaler la poussière au son des grosses-caisses et des orgues de Barbarie. Rarement nous avons eu spectacle aussi varié que cette année car, pour nous servir d’une expression courante, la place était pleine de baraques. Les attractions étaient nombreuses, il y en avait pour tous les goûts. […] Remarqué également le cinématographe qui peut rivaliser sans contestation avec celui de Lumière51. »

Un an seulement après les premières présentations cinématographiques, l’in-vention passe presque inaperçue. Les journaux de la région lyonnaise décrivent parfois en détail les vogues, mais ne signalent même plus les cinématographes. C’est l’ambiance globale de la foire qui retient l’attention.

« Vous aviez la baraque des lutteurs [pas loin d’un cinématographe], alors tous des colosses qui avaient de gros bras, de grosses cuisses et qui faisaient sauter

consacré pour celui qui parle à l’intérieur de la salle. André Gaudreault et Germain Lacasse (dir.), Le Bonimenteur de vues animées, Iris, n° 22, Automne 1996. André Gaudreault et Jean-Pierre Sirois-Trahan : « Le retour du [bonimenteur] refoulé… (ou serait-ce le bonisseur-conférencier, le commentateur, le conférencier, le présentateur ou le “speacher” ?) », in Iris, n° 22, op. cit., p. 17-32. Germain Lacasse, Le Bonimenteur de vues animées. Le Cinéma muet entre tradition et modernité, Québec/Paris, Nota Bene/Méridiens Klincksieck, 2000. Rick Altman, « Naissance de la percep-tion classique : la Campagne pour standardiser le son », Cinémathèque, n° 6, 1994, p. 98-111, dit qu’il préfère « conférencier » correspondant mieux au statut du présentateur de vues dans le cadre bourgeois des séances comme celles de Lyman Howe aux USA.• 50 – Témoignage recueilli par Deslandes et Richard, op. cit., p. 188.• 51 – L’indépendant du Beaujolais, 20 avril 1897. Cité in J et C. Rittaud-Hutinet, op. cit.

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leurs biceps pendant la parade. Alors il y avait le patron, un homme herculéen aussi, muni d’un porte-voix, il gueulait dedans : “Aux luttes ! Aux luttes ! Aux arènes ! Aux arènes !” Et en même temps, il y avait le tambour qui battait d’une façon précipitée, et la cloche par-dessus le marché ! Et les gens montaient tous pour aller aux arènes qui étaient une simple baraque en toile 52 ! »

Cet exemple de concurrence sonore dans une vogue se situait près d’un ciné-matographe. En plus des cris, pour attirer les clients on utilise aussi des costumes bariolés. Un témoin raconte ses souvenirs de cinématographe en Saintonge, vers 1902 : « L’établissement se présentait sous la forme d’un petit chapiteau à l’in-térieur duquel on accédait par quelques marches après y avoir été convié par un bonimenteur habillé en mexicain : sombrero, costume coloré, manches bouff antes. Cette parade était nécessaire pour attirer les gens et, afi n de les amener jusqu’au cinématographe qui se trouvait derrière la toile, le bateleur faisait de la prestidi-gitation avec des pièces de cent sous 53. » En plus des vêtements voyants et des cris, les forains proposent des numéros en parade, qui semblent ici se continuer à l’intérieur afi n d’entraîner le public jusque devant l’écran.

Pour couvrir les autres cris et musiques sur la foire, rien de tel qu’une grosse cloche qui appelle le public à entrer en signalant ainsi le commencement d’une séance. De nombreuses photographies montrent, à l’entrée des baraques de ciné-matographe, cette cloche, ou ce gong 54.

Les témoignages sur les foires de l’époque ne laissent aucun doute sur le volume sonore général, qui devait donc être le principal « accompagnement » des fi lms projetés dans les baraques foraines, si on ne jouait pas d’un instrument, ou de la voix, dans la salle. Le développement de la concurrence explique ce niveau élevé de décibels. À Rouen, la foire de Saint-Romain donne une idée de la progression du nombre de cinématographes, en quelques années, avant 1914 : « De deux cinémas en 1898, puis quatre en 99, nous passons à six en 1900. Par la suite, on en verra neuf ou douze, quitte à atteindre parfois la saturation 55. »

Les aboyeurs de salles en durMais il ne faut pas croire que seules les foires bénéfi ciaient de bruits stridents

ou d’aboyeurs pour attirer la foule. Les salles fi xes, elles aussi, procédaient ainsi. Au

• 52 – Témoignage oral recueilli par Micheline Guaita, Cinéma et public lyonnais (1895-1927), Bois d’Arcy, Service des Archives du CNC, 1986, p. 50.• 53 – Charly Grenon, Les Temps héroïques du cinématographe dans le Centre-Ouest. Des pion-niers forains aux derniers tourneurs, Société d’études folkloriques du Centre-Ouest, Poitou, Aunis, Saintonge, Angoumois, Revue de recherches ethnographiques, n° spécial, janvier 1975, p. 33-34.• 54 – Buache et Rial, op. cit., encart entre les pages 34 et 35. Meusy, Paris-Palaces, op. cit., passim ; Deslandes et Richard, op. cit., passim.• 55 – Olivier Poupion, Histoire du cinéma à Rouen, vol.1, op. cit., p133.

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printemps 1907, des pétitions s’accumulent contre le propriétaire d’une salle en plein centre de Lyon. M. Rota dérange ses voisins car il utilise un aboyeur qui crie de 14 heures à minuit, devant le Moderne Cinématographe 56. Devant la pression du voisinage et la tractation de la mairie, M. Rota remplace son employé par un phono-graphe géant… qui offi cie aux mêmes horaires ! C’est encore pire pour les voisins ! Après une nouvelle pétition et des menaces de procès-verbaux, le phonographe cesse. Il est remplacé par une sonnerie électrique, qu’une nouvelle pétition dénonce car l’exploitant la fait résonner « continuellement », sauf quand un policier s’approche ! Comme l’isolation phonique à l’intérieur de la salle laisse aussi à désirer, car les voisins se plaignent d’entendre le piano accompagner les fi lms jusqu’à minuit, il y a fort à parier que la sonnerie électrique participait également aux sons entendus par les spectateurs. Avant 1914, dans la ville de Montbrison, dans une salle à la program-mation irrégulière, une sirène annonçait le début du spectacle cinématographique 57 ! Notons que les « phonographes aboyeurs » furent également utilisés par les cafetiers dans diff érentes villes de France, par exemple à Béziers. Ce système pour attirer les clients est dénoncé dans les journaux biterrois en février 1905 58.

Autour de 1906-1908, les salles fi xes qui se multiplient dans toute la France reprennent certaines pratiques des forains. Les sons extérieurs participent encore de l’accompagnement des fi lms. Les aboyeurs ne sont pas moins nombreux devant les salles que devant les baraques. Une longue lettre envoyée par un exploitant de Villeurbanne, ville ouvrière jouxtant Lyon, au préfet du Rhône prouve que ces pratiques ne disparaissent pas avant les années 1910, au moins. Parce qu’on lui demande de ne plus employer d’aboyeur devant sa salle (le « cinéma de la Bascule », dans le quartier des Charpennes), l’exploitant explique que son « bonimenseur » (sic, encore une autre appellation ! à moins que ce ne soit qu’une faute de frappe) est un artiste forain et que « tous les cinémas de Lyon en ont un 59 » ! Il ne comprend donc pas pourquoi lui seul devrait arrêter de faire houspiller les passants par son employé !

Cris des aboyeurs / bonisseurs, cloches et sonneries qui résonnent, percussions et cuivres qui éclatent, bruits des machines produisant l’électricité… Le choix des sons entendus au travers des baraques et de quelques salles est vaste.

• 56 – Nous avons expliqué le déroulement de cette série de plaintes dans notre article paru dans les Actes du Congrés Domitor de 2002, « Technologie de sonorisation à Lyon1905-1906 », in André Gaudreault, Catherine Russell, Pierre Véronneau (dir.), Le Cinématographe, nouvelle technologie du XXe siècle, Lausanne, Payot, 2004, p. 361-372. Les archives consultées sont dans le dossier Moderne Cinéma, archives municipales de Lyon, 1121 WP 005.• 57 – Marguerite Fournier, Village de Forez, n° 35, 1988, p. 10-11. Merci à Bérengère Peyrard.• 58 – Informations compilées à partir des journaux locaux (L’Éclair, Le Télégramme, Le Publicateur) par la Société de Musicologie de Languedoc, à Béziers. Site Internet déjà cité.• 59 – Archives départementales du Rhône. Boîte 4T205. Merci à Shoshannah Weil et à Renaud Chaplain.

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Les salles fi xes utilisent aussi des bonisseurs et font des parades. Les petites annonces des revues corporatives de 1907 à 1914 regorgent de demandes de bonisseurs, mais aussi de propositions de bonimenteurs. « On demande très bon bonisseur au Tivoli-Cinéma. Se présenter tous les jours de 2 heures à 6 heures par l’entrée de la rue de la Douanex 60. » Une autre annonce de mai 1913 stipule : « On demande un bonisseur excentrique. S’adresser Cinéma Lamarck, Paris 61. » Le terme de bonisseur désigne clairement l’homme chargé de héler les promeneurs dans la rue. L’adjectif « excentrique » souligne la nécessité de se faire remarquer le plus possible dans son travail. Un bonisseur habillé en kilt déclancha des plaintes à Paris à cette période et il dut remettre une tenue « moins excentrique ». Ces aboyeurs racolent devant les cinémas, criant plus ou moins fort selon la patience des commerces voisins, se contentant, plus tard, après la guerre, de donner des tracts ou de brandir des pancartes d’homme-sandwich. Une brève publiée dans Le Cinéma et l’écho du cinéma, en 1912, prouve que cette activité reste importante et représente même une gêne du point de vue des autorités :

« La délégation des bonisseurs, qui a été reçue par M. Lépine, a obtenu l’as-surance du préfet de police qu’aucune contravention ne leur serait adressée toutes les fois qu’ils ne provoqueraient pas des rassemblements, soit par des costumes excentriques, soit par des cris et des boniments exagérés 62. »

La phrase alambiquée montre le risque constant de contravention qu’encou-raient ces bateleurs devant les salles fi xes. « On demande jeune homme pour la parade, ayant un numéro intérieur 63. »Le bonimenteur doit aussi assurer les entractes. La parade ne s’est pas arrêtée en 1909. Devant les salles fi xes, le niveau sonore est très élevé. Les cris du bonisseur doivent être perçus par les clients, à l’intérieur de la salle.

Lutte entre salles et forains par crieurs interposésÀ cette date, la concurrence entre les forains et les salles fi xes, ou les tournées

dans des salles en dur, bât son plein. Les banquistes de foire publient une lettre ouverte dans L’Industriel Forain, reprise par d’autres corporatifs, dont Ciné-Journal, pour dénoncer l’attitude des bonimenteurs devant les salles Pathé.

« M. Pathé, depuis quelques temps, vous faites une guerre acharnée à MM. Les forains. Non content de vous accaparer, voire même vous monopoliser,

• 60 – Le Cinéma et l’écho du cinéma réunis, n° 25, 16 août 1912.• 61 – Cinéma Revue, n° 5, mai 1913.• 62 – Le Cinéma et l’écho du cinéma, n° 43, 20 décembre 1912.• 63 – Ciné-Journal, n° 37, 29 avril 1909.

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les villes, les théâtres et les casinos, vous installez encore, dans les champs de foire, des établissements.Le forain est un bon garçon, il accepte tout sans mot dire, car il comprend que la concurrence est l’âme du commerce. Vous comptiez certainement abattre les forains, mais plus que jamais ils redressent la tête.Ce qu’ils n’acceptent pas toujours, ce sont les insolences de vos aboyeurs, qui traitent nos collègues de charlatans et de saltimbanques. Un peu de modération, du calme, la colère est, quelques fois, mauvaise conseillère.Voyons, soyez logique, M. Pathé, dites donc à vos aboyeurs, et surtout à ceux qui sont devant le théâtre de Poitiers, que si vous n’aviez pas eu ces industriels forains, travailleurs et économes, que vos employés dénigrent avec le plus grand sans-gêne et la plus grande désinvolture, la maison Pathé n’aurait peut-être pas été connue et serait restée ce qu’elle était jadis 64. »

Les insultes devaient éclater dans la rue, mais dans le journal corporatif, le ton de cette lettre ouverte reste très modéré. En eff et, même s’il faut réagir et protester, les forains savent qu’ils ne peuvent pas se priver des fi lms fournis par Pathé. Cette lutte révèle aussi que les bonimenteurs crient contre le voisin, dénigrent le forain d’en face pour faire entrer plus de clients. Pathé préfère les salles fi xes qui favorisent son système de location. Son attitude gêne les banquistes. Déjà en 1908, un article de Ciné-Journal, dénonçait avec humour un orchestre Pathé placé à l’extérieur d’une salle à Maison-Lafi tte qui jouait des morceaux de musique pour empêcher les spectateurs d’aller vers les baraques foraines 65.

La Première Guerre mondiale demeure une date butoir qui explique la dispari-tion, ou au moins un déclin accéléré, des cinématographes de foire. Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte. Les événements internationaux, facteurs externes à la profession, se croisent avec les concurrences internes à la corporation et des éléments législatifs particuliers, comme l’augmentation des taxes perçues par les municipalités, à partir de 1906. Blaise Aurora, en étudiant les archives des municipalités de Lorraine, constate une saturation du marché 66. Trop de cinématographes dans les foires fi nis-saient par nuire à ce type de forain. Dans les grandes villes, la multiplication des véritables salles de cinéma, spécialisées, entre 1907 et 1914 entraîne forcément un ralentissement du succès des banquistes. Les salles, qui utilisaient les fi lms comme attraction supplémentaire, doivent faire face aux spécialistes. Phono-Ciné-Gazette constate que le Musée Grévin n’a plus le même succès avec ses séances de projections : « Dans le compte-rendu annuel du musée Grévin, nous voyons que le cinémato-

• 64 – Ciné-Journal, n° 22, 14 janvier 1909.• 65 – Ciné-Journal, n° 2, 25 août 1908.• 66 – Aurora, op. cit., p. 186 sq.

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graphe a rapporté 32 285 francs en 1907, au lieu de 42 016 francs en 1906. Le public préfère maintenant aller dans un local spécial et où les séances sont plus longues 67. »

Chez les forains, où le bruit extérieur continue d’être omniprésent, la spécialisation dans la projection de fi lms est moins évidente. Les tours de magie, transformistes, apparitions ou femmes volantes cohabitent encore, jusqu’à la Grande Guerre, avec les fi lms. Les théâtres de marionnettes semblent en forte diminution, remplacés par les projections. Mais progressivement les banquistes se sédentarisent à partir du milieu des années 1910. Les fi ls du forain Aron Giuili abandonnent le « voyage » en 1914 pour ouvrir un cinéma à Bourges. Kétorza, devenu Katorza, ouvre une salle à Nantes, qui porte toujours ce nom, un siècle plus tard. Jérôme Dulaar dirige plusieurs salles à Lyon. Hermand, tourneur qui parcourt la France avec son « Grand Cinématographe Américain », de 1904 à 1907, devient concessionnaire Omnia-Pathé en octobre 1907, puis directeur de la salle Omnia de Rouen, à partir de fi n 1910 68. Mais le cinéma-tographe avait cohabité avec des cris bien plus étranges que ceux des aboyeurs. Dans les ménageries, les cris des bêtes sauvages accompagnaient les fi lms !

Le bruit des fauves !

« Dans les premières années du siècle, les Pezons, les Laurent, les Redenbach installent un écran entre deux voitures-cages. Le Th éâtre zoologique Bidel réussit à mélanger les genres en présentant à la foire du Trône de 1904 les Vues cinématographiques d’un voyage autour du monde avec conférence expli-cative et présentation de fauves dans leurs lieux d’origine 69. »

Les noms des plus grandes ménageries qui circulaient en France, et en Europe avant 1914, sont très vite associés au cinématographe. En plus des noms cités ci-dessus, ajoutons que l’entrepreneur de cirques, Napoléon Rancy proposa lui aussi des séances cinématographiques 70. À Limoges, en 1905, « le grand établissement zoologique et cinématographique géant des fi ls Redenbach » s’arrête quelques jours. Après la présentation des vues d’actualités (plus de 200 d’après la publicité), les domp-teurs montrent leur savoir-faire face aux panthères mouchetées et panthères grises, lions, jaguars 71. Dans la même ville, deux ans plus tard, le Th éâtre Delafi oure montre des fi lms à la fi n de son spectacle qui comprend le contorsionniste arabe Abdul-Ham, l’humoriste Leclerc et 110 animaux dressés par le professeur Delafi oure 72. Même si les 110 animaux ne restent pas en scène pendant les projections de fi lms, nul doute

• 67 – Phono-Ciné-Gazette, 15 mars 1908, Deslandes et Richard, op. cit., p. 491.• 68 – Poupion, op. cit., vol.1, p. 129.• 69 – Deslandes et Richard, op. cit., p. 170.• 70 – Phono-Ciné-Gazette, 15 janvier 1906.• 71 – Décembre 1905 à Limoges, cité sans source par P. et J. Berneau, op. cit., p. 46-47.• 72 – Le Courrier du Centre, 19 décembre 1907, in P. et J. Berneau, op. cit., p. 68.

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qu’ils devaient se faire entendre à travers la toile du chapiteau ! Les présentations de fi lms peuvent être accompagnées de loin par les cris des animaux, comme c’est le cas dans les exemples que nous venons de citer, ou au contraire de très près. On ne peut pas parler de bruit parasite car il s’agit bien de mettre le public dans l’ambiance de la savane, par exemple. La « Grande Ménagerie et cinématographe Laurent » attire les spectateurs en proposant à un coiff eur d’offi cier au milieu des fauves ou à un chan-teur d’interpréter des airs au centre de la cage. Chaque fois le spectacle se termine par des fi lms. Parmi les œuvres présentées, Une Chasse au Lion prolonge l’ambiance du dressage, alors que les fauves ne sont qu’à quelques mètres et qu’ils peuvent se faire entendre 73. Les propriétaires de ces ménageries veulent que les fi lms correspondent aux hurlements des fauves. Adrien Pezon pousse très loin cette idée de « bruitage » des vues animées par ses « 100 bêtes féroces ». Sur ses affi ches, on peut lire :

« Ne confondez pas ! Le plus grand cinématographe se trouve chez Adrien Pezon. La première ménagerie de France. Les dernières actualités du cinéma […]. Immense collection de fauves. […] Les premiers dompteurs de l’époque : Pezon, Valtor, Barklay. À chaque séance le Zoo-Cinéma au milieu des fauves 74. »

Pour impressionner le spectateur plongé dans la pénombre, rien de tel que quelques cris sauvages qui déchirent le silence de la projection. Les vues exotiques auront beaucoup plus de poids avec cet environnement !

Le concurrent direct de Pezon s’appelle Bidel. Lui aussi tourne dans toute l’Europe avec un spectacle cinématographico-animalier qui permet au public d’en-tendre les sons d’ambiance correspondant aux fi lms. Il semble qu’il mit en place avant Pezon ce système de ménagerie cinématographique. Le 3 avril 1904, les quotidiens parisiens publient l’annonce suivante :

« Le Th éâtre zoologique Bidel, foire du Trône, place de la Nation. Vues cinématographiques d’un voyage autour du monde avec conférences expli-catives et présentation des fauves dans leur lieu d’origine 75. »

Cette ménagerie comporte un théâtre démontable de 1 000 places, avec des prix allant de 0,50 F à 1 F. Grâce aux Mémoires du petit-fi ls du dompteur Bidel, on connaît le déroulement exact de ce spectacle.

« Sur l’écran, un transatlantique dont la sirène mugit en coulisses, vous emmène dans une croisière qui va commencer au pôle Nord. La mer devient houleuse tandis que l’air de “la vague” d’Olivier Métra, se fait entendre.

• 73 – Le Courrier du Centre, Limoges, 17 décembre 1909, 14, 20 et 23 janvier 1910, in P. et J. Berneau, op. cit., p. 91-96. Laurent passe avec le même spectacle à Annecy, en 1903, cf. Pignal, op. cit., p. 31.• 74 – Affi che pour la foire du Trône 1906. Reproduite in Deslandes et Richard, op. cit., p. 172.• 75 – Annonce cité in Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 126.

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[…] Une famille d’ours blancs s’ébat tranquillement […]. C’est alors que l’écran s’enroule, découvrant dans un décor de glace une cage de 100 m2, où 8 ours blancs évoluent sous les ordres d’un dompteur costumé en esquimau.Le numéro achevé, le voyage cinématographique se poursuit avec la taverne de la Sibérie qui donne lieu à une représentation de loups, puis c’est le Bengale, la Chine, les Indes, l’Afrique. Tigres, pumas, panthères, lions, hyènes, éléphants et ours défi lent tour à tour sur l’écran et dans la cage, avec décors ad hoc et dompteurs en tenue locale 76. »

À la fi n du spectacle, Bidel vient saluer le public, sur l’écran, avec sa jambe de bois. On imagine facilement les cris des diff érents animaux, poussés avec des piques vers la cage, pendant la projection des fi lms. Les grondements des lions correspon-dent bien aux vues africaines, comme les grognements des ours blancs s’entendaient alors que passait le fi lm sur leur capture au Groenland. Cette attraction circula dans toute la France et l’Europe jusqu’en 1909. À Limoges, Bidel fi ls présente le même spectacle en 1909 77. Le père Bidel meurt à Asnières en décembre 1909. Lions, pumas, cages, baraque et cinématographe sont vendus aux enchères 78.

À Nancy, le spectacle est identique à celui de 1904 à Paris, quand Bidel s’y arrête en 1908. Cet article prouve que l’équipe de Bidel avait eff ectué elle-même les prises de vues, puisque les dompteurs sur scènes sont les mêmes qu’à l’écran :

« Les dompteurs qui font exécuter de stupéfi ants exercices aux fauves parais-sent au cours d’un voyage autour du monde que le cinématographe établit pour la plus grande joie des spectateurs. Spectacle unique dans le vaste hall Bidel tous les soirs 79. »

Les autres ménageries avec cinématographes s’approchent de ce type de spectacle, même si les descriptifs ne sont pas aussi précis. La Ménagerie Poisson, qui s’arrê-tait régulièrement à Rouen, y propose, pour la Foire de Saint-Romain 1906, un cinématographe. Appelée Géant Lumière, cette attraction semble avoir convaincu l’équipe de Mme Poisson de se reconvertir dans le cinématographe. Après cette date, Mme Poisson, Nadine la Mystérieuse, le dompteur Max-Himm et son épouse Miss Sandowa abandonnent le dressage pour se consacrer aux projections80.

Les photos présentant l’entrée de la Ménagerie Laurent prouvent que cet établis-sement forain était un luxueux théâtre démontable. En façade, un décor, en partie en relief, permettait de faire entrer les spectateurs en les faisant passer sous deux énormes

• 76 – D’après Albert Raincy (petit-fi ls de Bidel), Un Lion parmi les lions, ou la vie aventureuse du dompteur Bidel, Courbevoie, 1967, cité par Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 127.• 77 – Le Courrier du Centre, 25 mai 1909, P. et J. Berneau, op. cit., p. 91.• 78 – Poupion, op. cit., vol.1, p. 286.• 79 – L’Est Républicain, 19 et 22 mai 1908, cité in Aurora, op. cit., p. 119.• 80 – Poupion, op. cit., vol.1, p. 286.

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éléphants en bois. Sous ce décor qui montait à cinq mètres de haut, on distinguait l’énorme locomobile qui fournissait l’électricité nécessaire aux projections 81. L’affi che du spectacle des établissements Auguste Laurent montrait bien que les fi lms corres-pondaient à l’ambiance sonore obtenue grâce aux cris des fauves.

« Le dompteur Laurent, suivant le progrès moderne et voulant intéresser la société, a fait l’acquisition d’un grand cinématographe géant et d’un immense choix de vues cinématographiques et zoologiques qui permettront aux spectateurs, tout en assistant aux exercices émouvants du dompteur Laurent et de ses dompteurs, de se transporter par ses vues dans les diff érentes contrées habitées par ses terribles fauves et de suivre avec intérêt les chasses palpitantes des trappeurs ou chasseurs d’animaux féroces, en Algérie, aux Indes, dans les plaines du Far-West, Texas, etc., etc. ainsi que les dernières actualités, scènes dramatiques et comiques. Le cinématographe est actionné par une machine de 40 chevaux 82. »

Le « bruitage » des hurlements de bêtes se mêlent aux secousses produites par la locomobile à l’extérieur. Le public se trouve donc comme dans un train qui passe au milieu des pays exotiques d’où viennent les animaux placés dans les cages devant lui. Des actualités et scènes comiques sont également projetées, ce qui doit provoquer un eff et étrange de quelques cascades de comiques Pathé au milieu du bruit des fauves !

Les cris d’animaux continuent d’accompagner les tournées cinématographiques des ménageries toujours en fonctionnement, comme le Th éâtre Delafi oure avec ses 110 animaux, qui passe à Limoges, fi n 1907 – début 1908, ou le Th éâtre-Cirque Salvator avec ses « animaux du jardin d’acclimatation », en 1908-1909, puis c’est Bidel en mai 1909, et Laurent en décembre de la même année 83. Entre 1908 et 1910, Salvator et Bidel passent également à Nancy 84. Ils continuent de parcourir toute la France, même les petites bourgades ont droit aux vues cinématographiques intercalées de dressages d’animaux, au moins jusqu’à la Grande Guerre.

Si les cris des fauves accompagnent les fi lms, quels autres bruits étranges arri-vent au public cinématographique de foire ?

Autres sons sur les foiresCris d’animaux d’élevage

Les loges de foire sont des baraques de toile et de bois, mêmes les plus luxueuses. Elles ne sont pas conçues pour une isolation phonique. Quand on observe les photo-

• 81 – Adrian, op. cit., planche III.• 82 – Ibidem, p. 22.• 83 – Le Courrier du Centre, 19 décembre 1907, P. et J. Berneau, op. cit., p. 73, puis p. 80, 91.• 84 – Aurora, op. cit., p. 100 et p. 119.

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graphies des champs de foire, on peut remarquer des sources sonores qui peuvent accompagner les fi lms de façon peu appropriée. Une carte postale de la foire de Gap (Hautes-Alpes) datée du 1er mai 1904 donne une idée des sons possibles dans cet environnement à la fois ludique et commercial 85. Juste devant un cinématographe se sont rassemblés des vendeurs de moutons. Dans le cadre de cette photographie, on compte une dizaine de troupeaux, comportant chacun une trentaine de bêtes. On peut imaginer le volume sonore des bêlements cumulés des animaux en train d’être marchandés. Le public du cinématographe forain ne devait guère entendre autre chose ! On sait que les villes et villages de la Belle Époque connaissaient un nombre important de foires aux bestiaux et autres comices agricoles. Or ce sont ces rassemblements populaires qui étaient les meilleures occasions des forains de trouver un public important. Il semble donc logique que les cris des animaux d’élevage ont accompagné nombre de séances de projections de fi lms.

Bruits de vaisselleLes achalandages les plus divers se trouvaient sur les foires du tournant du

xxe siècle. Lors du marché de la Saint-Laurent au Creusot (Saône et Loire) on peut remarquer un grand nombre de commerçants rassemblés autour de la baraque d’un cinématographe 86. Les vêtements, les sacs, les paniers d’osier se vendent à la criée. Un des étales les plus grands propose une accumulation d’assiettes, de pots, de casseroles, etc. Si les fi lms projetés au même moment présentaient des vues comiques avec scènes de ménages, nul doute que l’accompagnement venu de l’extérieur fût approprié. Les bruits de vaisselle divers devaient se faire entendre dés qu’un acheteur récupérait un objet dans ces lots placés parfois en équilibre instable…

Infi nité des sons (et sensations) possiblesÀ proximité d’une projection de fi lm, on peut imaginer la présence d’une infi nité

de sons, selon la localisation choisie par le forain ou le tourneur. Une usine, tous les bruits de la ville, les éclats de voix provenant d’une rencontre sportive et tout autre situation dont nous n’avons pas encore retrouvé la trace. Le témoignage de Bernard Alexandre, curé en Normandie, à propos d’une séance en pleine campagne avec le bruit du vent de noroît qui soulève les bâches sur les côtés de la grange où le fi lm était projeté, donne une idée de la variété des sons (et sensations) possibles 87. Les éléments tactiles devraient être pris en compte. Le curé Alexandre se souvient des « bouff ées de poussières [qui] s’engouff rent dans la salle ». Nombre de projections,

• 85 – Carte reproduite in Meusy, Cinémas de France, op. cit., p. 31.• 86 – ibidem, p. 32.• 87 – Bernard Alexandre, Le Horsain. Vivre et survivre en pays de Caux, coll. « Terre Humaine », Plon, 1988, p. 203. Merci à Denis Pelletier, et à Paul et Suzanne Barnier.

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en plein air ou dans des lieux peu isolés, ont pu subir les inconvénients des brusques modifi cations climatiques. Le tonnerre ou la grêle, des fl ocons de neige ou bien une grosse pluie tombant sur la tente du forain, les sons de la nature ont pu transformer la perception d’un fi lm. Quand René Clair reconstitue une séance foraine, au début du Silence est d’or (1946), il imagine que la tente se soulève à cause du vent. La pluie tombe sur les spectateurs et le personnage joué par Maurice Chevalier déploie son parapluie. René Clair a fait attention à faire entendre un orgue de barbarie venu d’une baraque concurrente, un aboyeur à l’extérieur de la loge, un bonimenteur / conférencier sous la tente, accompagné par une pianiste. Mais les sons extérieurs ne sont plus entendus quand la caméra montre l’intérieur de la tente et la pluie ne fait aucun bruit en tombant sur la bâche. Le réalisme des sensations sonores n’est que partiel dans cette reconstitution assez minutieuse d’une séance Belle Époque.

Un dernier exemple, donne une idée du fracas pouvant accompagné un fi lm. Dans le parc d’attractions Nancy-Attraction, en 1911-1914, le cinéma de la brasse-rie-restaurant avait été construit au milieu d’une boucle du scenic-railway ! À chaque passage des wagons, un bruit infernal devait résonner dans la salle, où les spectateurs devaient sans doute percevoir le tremblement des rails si proche des murs.

Certaines salles de cinéma, relativement confortable, aujourd’hui encore, laisse passer les bruits de motos ou de mobylettes pétaradant dans la rue voisine. On imagine donc aisément que les bruits les plus variés, qui emplissait l’espace des foires, devaient dominer souvent les accompagnements « appropriés » prévus par les forains. Et les groupes électrogènes (deux de 15 000 Watts chacun, démarrage à manivelle, pour le théâtre Grenier 88) et autre « locomobiles » devait donner un rythme trépi-dant aux aventures projetées sur les écrans ! De cette partie de notre recherche, nous déduisons donc que les « accompagnements » les plus courants des projections foraines provenaient d’éléments « parasites ». D’autre part, dans les ménageries, le vacarme des fauves faisait partie du spectacle. Tous ces éléments bruyants ne semblent pas avoir déplu aux spectateurs de la Belle Époque. Il est donc essentiel de remettre dans son contexte sonore le cinématographe d’avant 1914. L’idée d’un public recueilli, isolé du monde devant un écran « silencieux », nous paraît très peu probable avant la construction des grandes salles spécialisées. D’ailleurs, comme nous allons le voir dans le chapitre suivant, que ce soit sur les foires ou dans des lieux fi xes, le public lui-même participe aux « sons du fi lm ».

• 88 – Meusy, Cinémas de France, op. cit., p. 41.

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C h a p i t r e   I I I

Cris, applaudissements et bruits du public

Pendant les premières projections de fi lms, d’après une large majorité des articles consultés, le public applaudit après chaque vue. Il lance des hourras, il extériorise sa joie. Le plaisir du spectateur est audible. Est-ce l’habitude des présentations de lanternes magiques ? Est-ce que le montreur de vues, fi xes ou animées, ne devrait pas être remercié de la même façon ? Un autre élément entre en ligne de compte : la nouveauté. La beauté des projections, l’étonnement face au mouvement de ces photographies, la surprise provoquée par chaque nouvelle vue entraînent un enthousiasme de la foule qui exprime son émotion par diverses manifestations de joie.

Le public participe volontiers par ses applaudissements et ses hourras, comme au cirque (l’un des lieux de projection de fi lms). Pourtant nous trou-vons aussi de nombreuses occurrences de projections silencieuses. Au lieu de simplifi er la réalité, étudions toute la complexité des environnements sonores dans les salles. Il nous faut classer les diff érentes façons dont les spectateurs participaient aux sons des vues cinématographiques. Ceci entraîne, dans ce chapitre, un découpage en de nombreuses sous-parties afi n de n’oublier aucune des catégories de participation des spectateurs. Le public pouvait crier en se voyant à l’écran, grâce à l’ingéniosité de nombreux tourneurs. Les émotions s’exprimaient ouvertement et les bagarres se déclanchaient parfois dans la salle. Les cris liés à des manifestations politiques pouvaient sortir devant les images en mouvement, et les bavardages semblent avoir été courants. Les spec-tateurs / consommateurs faisaient tinter leurs verres et les clients de grands restaurants pouvaient poser leurs couverts d’argent devant un fi lm. Enfi n les cris des enfants résonnaient le jeudi, et des pratiques sportives audacieuses se déroulaient pendant les projections…

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Applaudissements et hourrasTaper dans les mains semble être le bruit le plus souvent remarqué dans les

salles, mais des cris et exclamations sont souvent notés par les témoins. Dans ses souvenirs, Félix Mesguich, envoyé en 1896 par la Maison Lumière pour fi lmer et projeter des fi lms à Paris, Mâcon, New York ou Boston, note à chaque fois les « acclamations », « l’exaltation collective », « l’emballement d’une foule », les « tempêtes d’applaudissements ». Par exemple, à New York en juin 1896 : « L’assistance est trépidante. Des cris retentissent […] et des hourras se mêlent aux coups de siffl ets stridents […]. Je suis porté en triomphe sur la scène et présenté au public 1 ». Dans tous les pays où les premières projections ont lieu, l’enthousiasme se traduit par une vive participation de la foule. On peut remar-quer qu’il ne s’agit pas ici de féliciter des musiciens ou un conférencier, mais le projectionniste lui-même ! Entre chaque fi lm Lumière, donc toutes les minutes, on entend les claquements de main de la foule. L’Écho des Bouches-du-Rhône explique, lors de la première présentation aixoise : « On applaudissait avec enthousiasme et c’était de toute justice, après chaque tableau 2. » Même phéno-mène à Châlons-sur-Marne : « Le public a battu des mains à chaque tableau 3. » Pas besoin de musique, pas de précision sur un bonimenteur ou des explica-tions, la simple vue des fi lms Lumière suffi t à déclencher les applaudissements devant cette beauté technologique. « D’ailleurs, le plus grand éloge qui puisse être fait à la découverte de M. Lumière, c’est la spontanéité des éclats de rire et des applaudissements de toute l’assistance émerveillée devant cette sensation de la vie réelle 4. » L’étonnement déclenche dans le public une réaction d’enfant : rire devant ce qui nous surprend. Une photographie publiée dans L’Illustration du 21 janvier 1911 nous donne une idée de l’attitude des premiers publics. Ils ne sont pas blasés, ne prennent pas encore de distance. Les enfants sur cette photo rient, applaudissent, sont bouche bée, s’extasient devant les images en mouvement sur l’écran 5. Le terme de spontanéité correspond tout à fait à cette réaction. Plus rien n’existe autour de chacune des personnes plongées dans cette expérience nouvelle. « Applaudissements des spectateurs émerveillés 6. » L’émotion sort d’un coup sous forme d’éclats de rire, puis de rafales d’applaudis-

• 1 – Félix Mesguich, Tours de manivelle. Souvenirs d’un chasseur d’images, Grasset, 1933, p. 10.• 2 – L’Écho des Bouches-du-Rhône, 3 mai 1896, in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 36.• 3 – L’Union républicaine de la Marne, 29 octobre 1896, in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 126.• 4 – La Vie mondaine, Bordeaux, 26 juillet 1896, in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 100.• 5 – Photographie tirée de L’Illustration, du 21 janvier 1911, reproduite dans la réimpression thématique : Les Grands dossiers de l’Illustration : le cinéma, édition le livre de Paris, 1987, p. 41.• 6 – L’Union républicaine, Châlons-sur-Saône, 22 octobre 1896, in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 130.

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sements lorsqu’au bout de presque une minute, la vue Lumière est terminée. Les journalistes affi rment souvent, à des fi ns publicitaires, que le nouveau spectacle arrivé en ville est merveilleux. Dans les premiers mois des présentations de fi lms, leur sincérité ne peut pas être mise en doute. Pratiquement dans chaque ville, on retrouve les mêmes réactions. À Chambéry comme à Dunkerque, les gens s’exclament et battent des mains 7. « Les applaudissements n’ont pas manqués, et tout le monde, en sortant, ne tarissait pas d’éloges sur cette invention bien française », telle est la phrase type qu’on trouve dans les journaux de toutes les villes 8. Il faut se méfi er du simple argument publicitaire, dans la plupart des comptes-rendus. Mais, quand des détails montrent que le journaliste retranscrit précisément le déroulement de la soirée, les applaudissements ont vraiment eu lieu. De plus, ces témoignages se répètent dans toute la France. Pendant la Belle Époque, le public exprime un plaisir partagé, une expérience commune, et participe pleinement à chaque séance.

Les spectateurs n’applaudissent sans doute plus à la nouveauté « technique » des projections dans les années 1900, mais ils peuvent manifester leur gratitude aux musiciens, qui accompagnent les fi lms, ou leur joie devant un fi lm « prenant ». Les hourras d’enthousiasme des spectateurs s’entendent dans les salles jusqu’à la Grande Guerre, et sans doute encore longtemps après, pour remercier aussi les chanteurs qui accompagnent les fi lms. Pendant les drames sentimentaux, les chanteurs et chan-teuses des opéras locaux se produisent dans les salles spécialisées des grandes et moyennes villes françaises, comme nous l’étudions plus loin dans la partie consacrée au chant. Alors que le fi lm se poursuit, parce qu’on vient d’avoir une séquence mélo-dramatique accompagnée par la soprano célèbre de la ville (dans les années 1910), cette dernière est applaudie par le public. Les clients des cinémas ont l’impression de se retrouver à l’opéra pour un prix modique ! Les vivas éclatent si le ténor pousse la note. Ces événements cinématographiques sont plus courants qu’on ne le pense. À la fi n des séances, les orchestres et chanteurs sont toujours remerciés par l’assistance. Mais même en plein milieu du fi lm, quand le Caruso de la région a fait son exploit vocal, le public se manifeste. Le Th éâtre Gaumont de Rouen, entre 1913 et 1915, comme la Scala de Lyon de 1912 à la fi n de la guerre, au moins, connaissent ce genre de participation du public. Ces deux grandes salles ont leurs chanteurs attitrés, habitués à recevoir des éloges des spectateurs. Ces cris du public et claquements dans

• 7 – J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 134, 137, etc. Aujourd’hui encore, dans de nombreux pays, de l’Afrique à l’Amérique latine, et même parfois dans des salles françaises, le public applaudit si le fi lm lui plait. C’est le cas au « cinéma Saint-Denis », dans le quartier de la Croix-Rousse à Lyon, le samedi soir dans les années 2000.• 8 – Le Matin Charentais, 13 septembre 1896, cité in Pierre Berneau, « Les Débuts du cinéma à Angoulême », 1895, n° 1, septembre 1986, p. 29.

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les mains s’entendent également dans une toute petite salle comme le Cinémario de Limoges lorsqu’elle reçoit un ténor 9. Le ténor ne chante qu’une ou deux chansons. Pour chaque air réussi, le public applaudit, alors que le fi lm continue, sans doute accompagné par l’orchestre pour la suite des séquences.

Les fi lms, eux-mêmes, continuent d’être applaudis si le public s’enthousiasme pour l’histoire. Un article de 1908, qui compare deux publics face au même fi lm, permet de vérifi er que certains spectateurs sont plus enclins que d’autres à participer au spectacle. Dans L’Avenir d’Arcachon, le journaliste Gaby de Mérode, constate que la « colonie hivernale », public de touristes bourgeois « est très content [du fi lm] mais ne témoigne pas sa satisfaction, froid, correct et approbateur 10 ». Il continue en observant les marins, ostréiculteurs et leurs familles, public « bruyant, égayé, ayant l’applaudissement facile ». Et de Mérode termine son article en préci-sant l’attitude face au mélodrame L’École du malheur : « Le public select accueille ce tableau sans rien dire, mais il n’en pense pas moins ; la perle d’une larme scin-tille aux yeux de plus d’une jolie dame. Le public populaire, lui, n’hésite pas et applaudit à la générosité du gendarme, dans des bravos répétés. » Les diff érences de réactions, en fonction des classes sociales, ne peuvent pas être généralisées à tout le pays, mais cette description correspond à une logique « d’éducation » et à une attitude culturellement diff érenciée. Le public « policé », ayant appris à ne pas extérioriser ses sentiments, existera dans toutes les couches de la population, dans les années 1920, dans les grandes salles avec ouvreurs en livrée chargés de préserver le standing de l’établissement. Les exceptions à ce silence des spectateurs, après la Belle Époque, sont nombreuses en France, que ce soit dans des salles de quartier, ou avec les tournées foraines dans les campagnes. On peut donner comme exemple la spontanéité des Bretons décrits par Pierre-Jakez Hélias réagissant aux projections itinérantes : « On entend les gens se désoler pour les victimes [des mélodrames] : ce n’est pas une pitié de voir ça. Ou alors, ils laissent échapper leur colère à chaque fois qu’apparaît le persécuteur : “Il est grand temps de lui casser la tête, à celui-là” 11. » Les spectateurs « non policés » mettront très longtemps à ne plus se manifester. Le spectacle cinématographique permet de partager l’expérience du plaisir esthétique 12. Pendant toute notre période les manifestations bruyantes de la joie de voir des fi lms participe de l’environnement sonore des salles et des baraques foraines, à quelques rares exceptions prêt.

• 9 – Cité in P. et J. Berneau, op. cit.• 10 – Article de mars 1908 cité in Meusy, Cinémas de France, op. cit., p. 136.• 11 – Pierre-Jakez Hélias, Le Cheval d’orgueil, Plon, coll. « Terre Humaine », 1975, cité par Tangui Perron, Le Cinéma en Bretagne, Plomelin, éditions Palantines, 2006, p. 19-20.• 12 – John Dewey, L’Art comme expérience, Pau/Paris, Publication de l’université de Pau/édition Farrago (1re édition 1934, USA), 2003.

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Silence ou cris ?Si l’opérateur tarde à mettre en place les fi lms, ne maîtrise plus son projecteur,

le public impatient peut devenir une foule qui intervient dans la séance de façon fort bruyante. Mais on trouve aussi des gens patients et muets. Tous les types de public existent lors des premières séances. Le silence bourgeois, décrit par L’Écho rochelais :

« Silencieux comme des enfants à qui l’on va montrer la lanterne magique, recueillis comme des spirites autour d’une table tournante, jeunes et vieux, grands et petits, élégantes en toilettes claires, gentlemen à la boutonnière fl eurie, se pressent dans la petite salle où le cinématographe donne ses séances. Chut ! L’incantation commence. Le mystérieux appareil se déroule avec son tic-tac de machine à coudre emportée, et l’image s’anime 13. »

Pas d’accompagnement musical ou de voix de présentateur pour cette séance devant un public mondain. Mais cette description est une exception. Il semble que le public participe souvent de la voix aux présentations, applaudit, interpelle les projectionnistes ou présentateurs des séances. Parfois on s’approche plus du charivari à la fois chaleureux et moqueur comme à Lagny-sur-Marne, même si on tombe là dans l’excès inverse, sans doute à cause de la maladresse de l’opérateur :

« La véritable séance de cinématographie ne devant former que la deuxième partie de programme [après un orchestre et des vues fi xes qui présentaient la vie de Jeanne d’Arc] ; un lecteur, placé sur la scène, donnait l’explication de chaque tableau. Un entracte assez long a suivi, durant lequel divers morceaux de musique ont été joués et auxquels le public a fait un chaleureux accueil. Pendant ce temps, l’opérateur installait son appareil, ce qui lui a demandé beaucoup de peine. Comme la salle avait été plongée dans l’obscurité, les spectateurs d’une partie des galeries se livraient à des manifestations très bruyantes et rivalisaient d’entrain pour imiter le cri des animaux ; la vérité nous force d’ajouter que des dispositions naturelles permettaient à certains d’arriver à rendre des cris aussi parfaitement que possible. Enfi n l’appareil est prêt : “la Scène du déjeuner” ouvre la deuxième partie du programme. On rit, on applaudit, on trépigne de contentement. “L’Arrivée d’un train” a le même succès, mais la lumière, trop faible, empêche de saisir tous les détails. C’est un petit accident auquel l’opérateur apporte aussitôt remède ; “les Lutteurs” apparaissent alors d’une façon parfaite et leurs exercices provo-quent un enthousiasme qui tient du délire. On se lève, on crie quand l’un des lutteurs tombe : Il y est ! Non ! Il se relève ! ça y est ! et les applaudissements

• 13 – L’Écho rochelais, 22 août 1896, article d’Henri Clouzot, in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 195.

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d’éclater avec une ardeur sans égale. Un succès pareil attend la “Sortie d’usine” et le “Couronnement du Tsar” […]. Pour le “Couronnement du Tsar”, l’or-chestre joue l’hymne russe et la “Danse de la Loïe Fuller” est accompagnée. La “Danse auvergnate” soulève ensuite des tonnerres d’applaudissements que dominent des rires bruyants et nombreux. Les musiciens jouent pendant la durée de la projection. L’opérateur consent à donner “la Danse du ventre” et “Canotage en Marne”, non portés au programme et accueillis avec beau-coup de plaisir. On prend goût à la chose et, bien que l’heure soit avancée, de nombreux auditeurs réclament d’autres projections. Comme on le pense bien, ils n’obtiennent pas satisfaction et l’on s’en va, emportant la meilleure impression de cette bonne soirée 14. »

On trouve ici le maximum de bruit des spectateurs imaginable dans une des premières séances françaises. La soirée s’organise en plusieurs parties reprenant la structure des concerts : une ouverture par l’orchestre, une première partie de programme avec des vues fi xes expliquées par un conférencier, un entracte musical, une deuxième partie avec des fi lms (sans bonimenteur, cette fois) accompagnés par de la musique et un fi nal orchestral, qui semble avoir été écourté car des projec-tions supplémentaires ont eu lieu. Le terme « auditeur » souligne l’importance des aspects sonores de la soirée. Le public très participatif a dominé l’accompagnement des fi lms ! Selon un schéma sociologique classique, reprenant la distinction établie depuis au moins le xviiie siècle entre riches silencieux et pauvres bruyants, ce sont des places bon marché que les premiers cris ont fusé. Les jeux de dortoir, faire des cris d’animaux dans le noir quand on peut faire rire ses amis en toute impunité, donne une première ambiance pour ces vues mystérieuses qui tardent à arriver 15. Est-ce tromper l’ennui qui justifi e ces blagues de potache, ou éloigner la peur du noir, du vide, de la nuit ? L’orchestre qui se démène pour combler les trous ne suffi t pas. Un autre compte-rendu de la même soirée précise :

« Entre chaque projection, il se passait un temps considérable, tout le monde s’ennuyait, surtout aux deuxièmes galeries, où il se faisait un tapage infernal : l’un imitait le chant du coq, d’autres des cris de toutes sortes. Pendant le couronnement du Tsar l’orchestre a joué l’hymne russe. Et tout le monde d’applaudir et de crier bravo […]. Mais il paraît que l’opérateur avait pour la circonstance la vue un peu basse car les canotiers se trouvaient la tête dans l’eau et les avirons voltigeaient en l’air, ce qui a fait beaucoup rire16. »

• 14 – Le Journal de Seine-et-Marne, 16 septembre 1896, in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 190.• 15 – La permanence des comportements face au noir, à l’inconnu et à l’attente se constate si on accompagne une classe de collège au cinéma ou au théâtre et que le spectacle tarde à arriver.• 16 – Le Publicateur de l’arrondissement de Meaux, 16 septembre 1896, in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 191.

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On imagine le calvaire de l’opérateur, M. Armand, qui n’arrivait pas à enchaî-ner les fi lms, à les mettre à l’endroit, ni même à les cadrer correctement, ce qui explique ces « avirons… en l’air ». Les rires du public furent moqueurs, mais les applaudissements semblent être sincères. Les spectateurs parlaient au projection-niste. D’après les témoignages trouvés, dans des séances populaires, la gouaille de la foule reste un élément important. À Reims, on retrouve cet environnement sonore, les cris d’animaux en moins :

« M. Couttolenc [qui semble avoir fait une conférence avec des vues fi xes] cède la place aux opérateurs de MM. Lumière. Le succès que [les projec-tions] obtiennent en ce moment à Paris est, disons-le tout de suite, parfai-tement justifi é. Malgré les petits inconvénients d’une installation provisoire et un peu défectueuse, le succès n’a pas été moins grand ici qu’à Paris. Chaque scène était accueillie par des bravos frénétiques, des applaudisse-ments enthousiastes et même par des bancs battus avec autant de frénésie que peu d’ensemble. Avec une complaisance dont on les a remerciés par de nouveaux applaudissements, les opérateurs ont recommencé plusieurs scènes à la demande générale 17. »

Ces séances s’approchent plus de l’interaction entre une audience de cirque, ou de théâtre de marionnettes, et des clowns ou un guignol qui demande aux spectateurs s’ils veulent encore un numéro, que de ce qu’on a coutume d’appeler « du cinéma ». L’attitude du public rattache ces séances aux séries culturelles citées. Les séances de cinématographes attiraient-elles un public particulièrement dissipé ? Tous les spectacles de la période « bénéfi cient » de spectateurs qui participent bruyamment à l’événement. Les cafés-concerts, la boisson aidant, ne rassemblaient pas une audience recueillie ! Dans les revues (spectacles) de music-hall, le compère et la commère interpellent la salle. À Lyon, on remarque que la participation des spectateurs est appréciée dans le cadre de certaines présentations humoristiques. Germain Lacasse a évoqué les salles québécoises dans lesquelles le public a un rôle à jouer pour s’approprier le spectacle 18. Parfois les journaux protestent contre cette participation populaire, surtout s’il s’agit de pièces de théâtre. C’est le cas à Béziers, en 1906, quand les quotidiens constatent de plus en plus d’interventions du public dans les spectacles au théâtre 19. Le passage au long métrage, la transformation du spectacle cinématographique dans des salles spécialisées ne signifi e pas pour autant une disparition totale des commentaires du public. Dans les petites salles de quartier, et a fortiori dans les campagnes, on trouve encore dans les années 1920

• 17 – Le Patriote, Reims, 30 mars 1896, in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 388.• 18 – Germain Lacasse, Le Bonimenteur de vues animées, op. cit.• 19 – Site Internet de la Société de Musicologie de Languedoc, à Béziers. Information notée à la date du 2 février 1906.

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ou 1930 en France, un comportement identique à celui décrit dans les enquêtes sociologiques eff ectuées en Grande Bretagne. « Ils parlent à voix haute durant les projections, commentent ce qu’ils voient, se déplacent d’un siège à l’autre, restent souvent debout, applaudissent à tort et à travers, entrent et sortent de la salle à n’importe quel moment 20. » Néanmoins, les cris du public étaient beaucoup plus fréquents et généralisés pendant la Belle Époque, comme l’ont montré les exemples que nous avons donnés. Les spectateurs se sont bruyamment appropriés ce spectacle. Un cas particulier demande une analyse détaillée, celui des spectateurs se reconnaissant dans un fi lm fait par un opérateur tournant des « vues locales ».

Crier en se voyant à l’écranLes exclamations des clients peuvent servir de publicité aux forains qui cher-

chent à faire venir des passants pouvant se reconnaître sur l’écran. Les Lumière, le 11 juin 1895, avaient fi lmé leurs confrères lors du débarquement du Congrès des Sociétés françaises de photographie, à Neuville-sur-Saône. Le forain de la Croix-Rousse, Jérôme Dulaar, dit s’être inspiré de cet exemple pour tourner ses fi lms régionaux comme la Sortie de l’Église de la Rédemption, ou, autre hommage lumièriste, la Sortie des Usines du Cirage à Vaise 21. De nombreux opérateurs, pour être sûrs d’attirer un public local étonné par la nouvelle invention, procédaient ainsi à des prises de vues avant de montrer le soir même, ou le lendemain, les fi lms aux personnes photographiées. L’affi che du Th éâtre Électrique Grenier, pour la Foire d’Orléans en 1901, proclamait :

« Monsieur Grenier, prenant lui-même des vues cinématographiques, donnera à chaque séance des scènes locales où les visiteurs rencontre-ront avec surprise des amis qui collaborent à notre spectacle sans le savoir 22. »

Cette affi che prévient les spectateurs de leur surprise ! Elle anticipe sur les exclamations que laissera échapper le public. Elle encourage déjà une participation active de la foule, après sa « participation » passive. Le Messin, en 1904, donne les commentaires des gens se reconnaissant dans une vue locale, Sortie de la manu-facture des tabacs :

« — Tiens ! la mère Camille qui fait sa mijaurée… Elle se sauve !— Penses-tu elle est bien trop contente 23 ! »

• 20 – Enquête Cinema culture in the 1930’s Britain, cité in Emmanuel Ethis, op. cit., p. 29.• 21 – Deslandes et Richard, op. cit., p. 159.• 22 – Affi che reproduite in Deslandes et Richard, op. cit., p. 161.• 23 – Le Messin, 10 mai 1904, in Blaise Aurora, op. cit., p. 176.

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Cette technique publicitaire, déjà employée pour les « concerts de phono-graphe » par Lyman Howe aux États-Unis dans les années 1880-1890, quand il enregistrait la chorale locale pour être sûr de remplir la salle le soir, garantit une animation bon enfant pendant la projection 24. En Lorraine encore, en 1906, un quotidien explique que le « tableau » de la sortie de la cathédrale de Verdun a beau-coup plu : « Chacun reconnaît un parent, un ami et les exclamations d’échapper à tout instant 25. » Ces actualités locales persistent tant que les forains dominent. Après 1907, elles deviendront plus rares, dans les salles en dur. Les spectateurs auront moins la chance de s’exclamer en se reconnaissant sur l’écran, sauf dans les campagnes où les tourneurs continuent. Un spécialiste des forains synthétise l’ambiance de ces moments de partage communautaire. « Les gens se précipitaient dans les cinémas pour aller s’y reconnaître et se voir plus ou moins nettement sur l’écran en riant aux éclats et en échangeant de bruyantes plaisanteries 26. » Parfois l’animation dans la salle apparaît juste comme un truc publicitaire pour donner de l’authenticité aux fi lms présentés :

« Plusieurs anglais se trouvaient hier au cirque au moment où Master Daüe projetait sur l’écran le tableau représentant divers quartiers de Londres. Quelle n’a pas été la stupéfaction de l’un d’eux en se reconnaissant, lui et sa femme, parmi la foule qui circulait devant le monument élevé en souvenir de la guerre de Crimée.“It is perfectly that” disait-il.“Well, well, indeed !”Et l’excellent insulaire, après avoir longuement applaudi, a tenu avant la fi n de la représentation, à aller serrer la main de l’habile manager du ROYAL VIOGRAPH 27. »

Il est peu probable qu’un Londonien se soit reconnu par hasard en passant voir des fi lms à Limoges ! Il s’agit ici d’un « truc » publicitaire, ou d’une incompréhen-sion linguistique de la part du journaliste. Par contre les sorties de messe, fi lmées dans de nombreuses villes attirent toujours une foule qui peut réellement se voir à l’écran. En 1906, le forain Bonnet fi lme les rues de Bordeaux, le marché de la Porte-Neuve, un concours hippique et la sortie de la messe de l’Église Notre-Dame 28. Filmer la foule attire le public et crée une animation dans la salle, mais

• 24 – Charles Musser, High-class Moving Picture : Lyman Howe and the Forgotten Era of Travelling Exhibition, 1880-1920, Princeton, Princeton University Press, 1991.• 25 – Le Courrier libéral, Verdun, 4 juillet 1906, in Blaise Aurora, op. cit., p. 176.• 26 – Jacques Garnier, op. cit., p. 327.• 27 – Le Courrier du Centre, Limoges, 31 août 1900, in P. et J. Berneau, op. cit., p. 32.• 28 – Hélène Tierchant (dir.), Aquitaine, 100 ans de cinéma, Bordeaux, CRL d’Aquitaine, 1991, p. 37.

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cela peut également attirer des ennuis. Abraham Dulaar, longtemps établi en Aquitaine, conseille à ses opérateurs de fi lmer les monuments et les habitants de chaque localité où s’arrête son Atheneum Th éâtre. « Et [les habitants] s’empressent d’aller s’admirer sur l’écran. Il ne se trouva qu’un grincheux, un Narbonnais, pour le traîner en 1905 devant le juge de paix. Celui-ci statua en faveur du forain : “On ne saurait contester le droit de vue qu’a tout individu sur tout ce qu’il y a dans la rue” 29 ! » On peut imaginer qu’une altercation eut lieu dès le moment de la projection, quand l’individu s’est reconnu. Cette pratique des « actualités locales » entraînait donc toutes sortes d’exclamations de la part des « acteurs-spectateurs » !

Dans les salles en dur comme chez les forains, en 1913 comme en 1900, on essaye de déclancher des réactions dans le public. Le tourneur du Cinéma-Pathé-Th éâtre installé au cirque municipal de Limoges au printemps 1908, trouve tous les subterfuges pour faire se reconnaître le public sur l’écran. Afi n que les gens revien-nent dans la salle rapidement, ce tourneur propose de fi lmer son propre public !

« À l’occasion de la matinée d’aujourd’hui qui aura lieu à 2 heures et demie, la direction cinématographiera la sortie du public pendant le premier entracte, si toutefois le temps le permet. »

Dans le même journal, dans la suite de l’article, on prévient les ouvriers limou-geauds de se faire beaux :

« Lundi, ce sera au tour des ouvriers de la fabrique Charles Haviland ; puis d’autres usines auront cette primeur et, dans quelques jours, chacun pourra aller avec loisir, se reconnaître sur le vaste écran du cirque 30. »

L’animation garantie dans la salle vient du public. Les exclamations qui pour-raient fuser des rangs de fauteuils sont encouragées par le fait même que ces articles sont publiés dans la presse locale.

À Nice, au moment du Carnaval, les salles diff usent des vues cinématographiques qui ont beaucoup de succès. Sans doute les spectateurs prenaient-ils plaisir à revoir sur l’écran les chars et les « grosses têtes » aperçus dans les rues, mais le public cherchait aussi à se retrouver dans la foule fi lmée au hasard (procédé qui se répétait d’année en année). L’Éclaireur de Nice signale, dans son programme des spectacles, les prolongations de ces images de la fête. « Aujourd’hui, nouveau programme. Cependant, en raison du grand succès qu’il remporta et des demandes nombreuses qui sont parvenues en ce sens à la direction, Le Carnaval de 1907 à Nice sera donné

• 29 – Ibidem. Le problème du droit à l’image se pose encore aujourd’hui, de manière plus globale, puisqu’un groupe de personnes a demandé des dommages et intérêts pour la photographie d’un paysage. Le compte-rendu du procès gagné par Abraham Dulaar fut détaillé dans deux numéros de Phono-Ciné-Gazette, 15 octobre et 1er novembre 1905.• 30 – Le Courrier du Centre, P. et J. Berneau, op. cit., p. 67.

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encore pendant trois jours » déclare le Grand Cinématographe Pathé, rue Cotta 31. Un concurrent propose la même semaine des vues qui permettent aux Niçois et aux touristes (des annonces précisent que la « colonie étrangère » se presse au cinéma 32) de manifester leur joie en se voyant à l’écran. « Le Royal Vüo [déformation de Vio ?], le roi des cinématographes, avait attiré avant-hier, malgré le mauvais temps, une foule énorme. On a admiré la vue représentant l’avenue de la Gare à midi. Beaucoup de spectateurs s’y sont reconnus. Le spectacle était donc à la fois intéressant et drôle. Il a provoqué des éclats de rire de la salle. Hier, jour des enfants, grande affl uence également dans le coquet établissement du capitaine Schneider 33. »

Les réactions du public, les rires des spectateurs et les exclamations sont ici encouragés par la direction du « cinéma » qui sait que sa publicité passe par le bouche à oreille. De plus la salle se trouve dans la rue de la Gare. En faisant fi lmer son quartier, le directeur de la salle sait que les caméras pouvaient capter des habitués de son établissement. Parfois l’exploitant compte favoriser des réactions de pitié ou de terreur34. Un exploitant transforme sa recette en charité faite aux victimes d’une catastrophe montrée dans son « cinéma » :

« Vendredi prochain, Monsieur Schneider donnera une représentation au profi t des familles victimes de la catastrophe du “Berlin” à Hoeck Van Holland. Le Royal Vüo avait envoyé son représentant de Rotterdam sur les lieux du sinistre pour cinématographier toutes les phases de ce drame de mer : 1e L’épave du “Berlin” ; les fl ots disloquant le poids de cette masse, enfi n toutes les péripéties du sauvetage, lorsque le navire sombre après une lutte désespérée, engloutissant ceux qu’il portait.Voilà une vue qui est faite pour déplacer les plus blasés et qui est de circonstance 35. »

L’aspect mercantile de la présentation ne peut pas être reproché au directeur de la salle puisqu’il donne sa recette aux familles des victimes. Les cris des spectateurs, hurlements d’horreur ou plaintes de pitié sont encore encouragés, les vues devant « déplacer les plus blasés ». Cette salle du Royal Vüo fait passer régulièrement des annonces précisant que « le public applaudit souvent pendant le cours des

• 31 – L’Éclaireur de Nice, 15 février 1907. Un an plus tard le même argument revient : « Tout le monde viendra à l’Eden Cinéma Pathé pour se reconnaître sur la pellicule », L’Éclaireur de Nice, 1er mars 1908. Merci à Paul Barnier.• 32 – L’Éclaireur de Nice, 31 mars 1907.• 33 – Ibidem.• 34 – Comme lors du Tsunami du 26 décembre 2004, des images d’une catastrophe doivent faire réagir la population. De la même façon que les chaînes de télévision du monde entier sont devenues les relais de dons aux associations secourant les sinistrés, peut-être parce qu’elles avaient « mauvaise conscience » de « faire de l’audience » avec des images monstrueuses.• 35 – L’Éclaireur de Nice, 6 mars 1907.

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représentations 36 ». Le directeur cherche visiblement une participation sonore de la part de ses spectateurs.

Dans le plus grand cinéma de Rouen, en 1913, on diff use des vues locales pour que les spectateurs se reconnaissent à l’écran, cette pratique perdure au moins jusqu’à la guerre. Un dimanche à Rouen : sorties de messe à St-Godard, à la Cathédrale, à St-Ouen, avec ce fi lm, aucune des plus importantes églises de la ville n’est ignorée par la caméra des opérateurs Gaumont. Si les spectateurs ne sont pas pratiquants, ils peuvent peut-être se retrouver parmi les amateurs de sport avec le fi lm : Les Matches de l’après-midi au Vélodrome 37.

L’appropriation du spectacle cinématographique est complète. Le spectateur participe au son des séances, et apparaît aussi à l’image ! Dans ce cas, il s’agit bien d’une « expérience esthétique totale », telle que l’a défi ni la philosophe pragmatiste John Dewey. « Les arts qui ont aujourd’hui le plus de vitalité pour l’homme ordi-naire sont des choses qu’il ne considère pas comme des formes d’art : par exemple le cinéma 38. » Il explique cela à la fi n des années 1920, mais cette vitalité de l’ex-périence artistique, partage d’une émotion commune, correspond plus encore aux séances de la Belle Époque.

Émotions et bagarresQuand le lieu de projection est une église, le recueillement est de rigueur,

sauf lorsque les fi dèles laissent échapper des petits cris d’étonnement : « Les spectateurs gardaient un silence profond qui témoignait de l’émotion de leur âme ; silence interrompu seulement par des exclamations de ce genre : Oh ! Voyez donc le petit Jésus ! Oh, qu’il est beau 39 ! » Sous la nef de l’église, les paroles des paroissiens résonnaient. L’émotion partagée, dans un lieu religieux ou non, semble être une des caractéristiques les plus fortes des séances de projection de la période. Même dans une ambiance recueillie, le public exprime ce qu’il ressent profondément.

Si le lieu de projection sert aussi à la danse et à la chanson comme les cafés-concerts, ou dans la partie germanophone, les théâtres de variétés, la présence de musique semble logique, de même que les cris et interventions du public. En Alsace, la première projection a eu lieu le 15 juin 1896 au « Variété Th eater », selon l’appella-tion franco-allemande de cette région rattachée à l’Allemagne de 1871 à 1918. Cette « salle de spectacle et dansoir », fait venir des chanteurs de Paris ou d’Allemagne et

• 36 – L’Éclaireur de Nice, 22 mars 1907, L’Éclaireur de Nice, 31 mars 1907, pour un autre spectacle.• 37 – Poupion, vol.2, op. cit., p. 309.• 38 – Dewey, op. cit., p. 24.• 39 – Le Mémorial des Basses-Pyrénées, 16 au 16 octobre 1904, in Tierchant, op. cit., p. 39.

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devient une salle connue à Strasbourg 40. Elle se transforme en bal populaire chaque fi n de semaine. « On dansait, on buvait – pendant et après le spectacle – on s’amusait follement, et on sortait en parlant fort, en riant bruyamment, ou en faisant le coup de poing », car le public est divisé en germanophiles et francophiles : « derrière les loges et sur l’escalier, la bataille fut magnifi que » explique le nationaliste Barrès dans ses souvenirs 41. Ces bagarres n’ont sans doute pas lieu tous les soirs, et les souve-nirs de Barrès datent d’avant la semaine de présentation de l’Omnéographe. Mais l’environnement sonore de cette salle est particulièrement bruyant. Les gens dans l’immeuble mitoyen se plaignent des fl onfl ons entendus tard dans la nuit. Devant un public habituellement formé d’étudiants chahuteurs, selon les vues présentées, les réactions ont pu être vives. Le nationalisme, qui créait une ambiance particulière en Alsace, est fort répandu dans l’Europe de l’époque. Avant l’entente cordiale, des manifestations anti-britanniques sont repérables pendant les projections de vues concernant la guerre des Boers : « L’Arrivée du Président Kruger à Marseille soulève l’enthousiasme patriotique des spectateurs qui répondent par des acclamations de “Vive les Boers !” aux saluts de l’illustre vieillard 42. » Le contenu des fi lms entraîne les réactions bruyantes de la salle. Les personnages antipathiques peuvent être pris à partie par le public. « Dans une partie du public pourtant, la police passe un mauvais quart d’heure ; les malheureux agents sont siffl és lorsqu’ils “passent à tabac” l’indéli-cat magnétiseur qui a volé une montre : le commissaire qui ceint son écharpe pour aller détacher un pendu obtient un meilleur accueil (Le Commissaire magnétisé) 43. » Pendant certains fi lms, les bagarres se déclenchent parce que dans la salle on trouve à la fois des anticléricaux et des soutiens de l’église. Parfois la bousculade dégénère simplement parce qu’un des clients est trop pressé de trouver une place. Il peut même faire paraître une annonce dans le journal pour s’excuser d’avoir brutaliser ses voisins de séance 44.

Ces réactions intempestives de spectateurs populaires incitent certaines personnes à choisir les heures creuses pour aller voir des fi lms : « Ce sont géné-ralement les samedis et les dimanches que préfèrent la plupart, mais il est des dilettantes qui estiment que le bruit provenant de la foule n’est pas un accompa-gnement forcé des scènes tantôt gaies, tantôt émouvantes se déroulant sur l’écran, et ceux-là attendent le lundi, le mardi ou le mercredi pour voir tout à leur aise 45. »

• 40 – Odile Gozillon-Fronsacq, Cinéma et Alsace. Stratégies cinématographiques, 1896-1939, AFRHC, 2003, p. 33.• 41 – Maurice Barrès, Au service de l’Allemagne, in Œuvres, Hachette, 1966, t. VI, p. 45-51, cité in Odile Gozillon-Fronsacq, op. cit., p. 34.• 42 – Le Courrier du Centre, Limoges, 18 décembre 1900, in P. et J. Berneau, op. cit., p. 34.• 43 – Le Courrier du Centre, Limoges, 19 août 1907, in P. et J. Berneau, op. cit., p. 56.• 44 – Yves Chevaldonné, op. cit., p. 101.• 45 – Le Courrier du Centre, Limoges, 27 août 1907, in P. et J. Berneau, op. cit., p. 55.

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Est-ce un véritable constat de la part d’un journaliste méticuleux ou une publicité déguisée en article ? Dans tous les cas, le bruit de la foule reste une constante, jusqu’en 1907, au moins, même si l’ambiance sonore déclenchée par le public dépend des circonstances, du lieu, de la façon dont les fi lms sont introduits.

Cris politiquesAvant que le Gaumont-Th éâtre soit ouvert, quand la fi rme à la marguerite

venait régulièrement faire des tournées rouennaises dites « Perfecta Gaumont » au cirque Municipal, le public avait pu exprimer son avis politique. En eff et, lors des élections législatives françaises de 1910, des meetings politiques se tinrent dans des salles où avaient lieu habituellement des projections de fi lms. Mais surtout, le soir des élections, au Perfecta-Gaumont du cirque, « la direction passera sur l’écran, aussitôt connaissance par téléphone, le résultat des élections 46 ». Ici s’initie la série culturelle et médiatique des « soirées électorales » qui devinrent plus tard un grand classique de la télévision française. Sans aucun doute cette séance connut-elle des applaudissements et peut-être des huées selon la couleur politique des clients lors de la projection des résultats. D’autres villes ont-elles connus de semblables initia-tives ? Seul un épluchage systématique de la presse de toutes les villes françaises permettrait de savoir si les slogans politiques ou les huées de résultats d’élections se sont multipliés pendant des « séances de cinéma ».

En approchant de la guerre, on signale des incidents nationalistes de plus en plus fréquents. Dans les archives municipales d’Annecy, une lettre du maire au propriétaire de la salle Bonlieu, et au directeur de la salle de cinéma de la rue Royale, signale que les réactions du public face aux uniformes allemands entraî-nent l’interdiction de leur représentation :

« À M. Laeuff er, Propriétaire à Bonlieu, et M. Liard, Directeur du Cinéma, 5 rue Royale.Des incidents ont fait ressortir les inconvénients que pouvait présenter l’exhibition d’uniformes allemands sur la scène des théâtres où sur la toile des cinématographes.J’ai l’honneur de vous prier, en ce qui concerne les séances que vous orga-niserez à l’avenir, de vouloir bien éviter de faire représenter des œuvres comportant l’exhibition desdits uniformes. Ces exhibitions peuvent être interdites si elles sont de nature à provoquer ou si elles provoquent une atteinte à l’ordre public 47. »

• 46 – La Dépêche de Rouen, 24 avril 1910, Poupion, vol.2, op. cit., p. 161.• 47 – Lettre du 17 mai 1913, conservée aux Archives Municipales d’Annecy, in Pignal, op. cit., p. 41.

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La censure se glisse toujours dans l’utilisation des termes « atteinte à l’ordre public ». Paradoxalement, alors que le gouvernement souhaite exalter la ferveur nationaliste, des fi lms anti-allemands, qui pouvaient entraîner des cris du type « À bas les boches ! », devaient ainsi se trouver interdits.

Le public ouvrier et militant « révolutionnaire » peut infl uencer le déroulement d’une séance par ses cris et transformer une projection de fi lm en acte politique. L’explicateur de vues signale que ses « paroles avaient enthousiasmé les ouvriers chauff és à blanc par la perspective d’une grève générale. Un brouhaha indescrip-tible régnait dans la salle 48 ». Les spectateurs exigent de l’orchestre qu’il joue La Marseillaise et Drapeau rouge. Ils fi nissent par contraindre le projectionniste à repas-ser le fi lm qui décrit, semble-t-il, un épisode de la Révolution française. Chaque séance varie en fonction du contexte. Le même fi lm prend un sens politique, devant un public précis, alors qu’il peut susciter l’indiff érence dans une autre salle.

BavardagesLe public parle pendant les séances. Pour s’en rendre compte il nous faut la

retranscription d’un incident dans une salle. Pour un des nombreux systèmes de synchronisation présents chez les tourneurs, les forains et dans les salles en dur, l’opérateur doit entendre le démarrage du disque passé sur un phono près de l’écran. Le brouhaha habituel empêche la synchronisation !

« Au moment d’un morceau de chant, les personnes qui causent dans la salle empêchent l’opérateur d’entendre le signal du départ, signal parfois très faible comme pour ce morceau de Mignon. C’est pourquoi la direction prie le public de lui accorder une minute seulement de silence, aussitôt après l’annonce d’une vue parlante49. »

La direction ne demande même pas au public de se taire, mais le prie juste de cesser temporairement de parler lors du début d’une phonoscène ! Il semble que le combat contre les bavardages de l’assistance était perdu d’avance. Le fait que ce tourneur, dénommé Barnum Excelsior, utilise un Chronomégaphone (qui n’a pas un son aussi puissant que la publicité le laisse croire) ne gêne pas les spectateurs dans leurs discussions ! Même pour les fi lms chantants, extraits d’opéra qui demandent une certaine attention, le public limougeaud ne peut s’arrêter de pérorer. Il ne s’agit pas du public le plus dissipé de France. Dans le département du Vaucluse, un ancien

• 48 – Israel Rabon, La Rue, 1928, cité in Prieur, Le Spectateur nocturne. Les écrivains au cinéma, une anthologie, Cahiers du cinéma, 1993, p. 89. Rabon parle d’ouvriers en Pologne, mais le phéno-mène existe partout.• 49 – Le Courrier du Centre, 14 janvier 1908, P. et J. Berneau, op. cit., p. 67.

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se rappelle, d’un « chahut qu’il est diffi cile de concevoir maintenant ». Un autre explique, « en ce temps-là on pouvait faire du bruit parce que c’était pas parlant, alors ça gueulait à tout va là-bas dedans50 ». Même si nous n’avons pas trouvé beaucoup d’autres exemples comme ces derniers, on peut supposer que le temps des séances de cinéma silencieuses, de la part du public, n’est pas encore venu. Le public, encore peu habile à la lecture, épelle à mi-voix chaque syllabe des cartons des fi lms.

Dans les vastes salles d’avant 1914, des promenoirs permettent de voir les fi lms en payant très peu cher. Certains de ces promenoirs, comme celui du café-concert Parisiana, deviennent des lieux de drague hétérosexuelle et homosexuelle. Le cinéaste Jean Gourguet se souvient d’avoir été importuné par des messieurs lui faisant des propositions indécentes alors qu’il était un adolescent cinéphile 51. Est-ce que les bruits allaient au-delà du simple bavardage ou bien la salle servait-elle également aux ébats des « spectateurs » ? La variété des sons possibles pendant les projections semble infinie ! Les promenoirs fonctionnent encore dans les années 1930. Les ouvriers les plus pauvres y prennent place, s’asseyant parfois à même le sol pour manger et boire, et jetant un coup d’œil vers l’écran, par dessus la rambarde, par intervalles 52. Le bruit des nourritures et boissons ingurgitées pendant les projections fait partie des éléments sonores qu’il nous faut recenser.

Bruits de verres, de couverts et… de voituresBars et cafés

Tout comme les bruits de machines à vapeur ou de dynamos venant de l’exté-rieur des baraques, les bruits de couverts et de vaisselle sont à classer parmi les bruits parasites. Ils n’en demeurent pas moins un des environnements sonores les plus importants du cinématographe avant 1914. Lors des toutes premières présentations, il ne semble pas que des bars, cafés ou restaurants aient été utilisés très souvent, ou en tout cas, pas dans la salle où le client consomme. Peu d’articles compilés par Jacques et Chantal Rittaud-Hutinet, dans les journaux des 235 villes françaises répertoriées dans leur Dictionnaire des cinématographes, signalent un lieu où on peut consommer et voir des fi lms en même temps avant la fi n de 1897. Bien sûr, le Grand Café à Paris est connu pour ses présentations du cinématographe. Mais la salle du sous-sol ne semble pas permettre de venir avec un verre à la main. Il faut une banalisation de l’invention pour que les limonadiers décident d’installer des cinématographes dans leur salle, à la seule fi n de rameuter plus de clients, plutôt

• 50 – Yves Chevaldonné, op. cit., p. 100.• 51 – Meusy, Cinémas de France, op. cit., p. 118.• 52 – Bernard Alexandre, Le Horsain, op. cit., p. 75.

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après 1897. Les cafés sont des lieux essentiels de la sociabilité de la Belle Époque. La prophylaxie anti-alcoolique ne se développe que lentement à cette période. Les journaux de Béziers signalent qu’il est plus facile de trouver le maire et ses adjoints dans un grand café du centre-ville qu’à l’hôtel de ville, de jour comme de nuit 53 ! En juillet 1904, à Limoges, des séances de cinématographe ont lieu devant la terrasse du Grand Café de la place Jourdan 54. Ces projections s’organisent comme celle des forains : six parties et des entractes de cinq ou dix minutes. Le luxe du spec-tacle dépend de l’importance du café. Le bruit des verres, les conversations des buveurs, les garçons passant les commandes : voilà l’environnement sonore de ces présentations. Les cafés-concerts et music-halls, qui diff usent des fi lms rapidement, continuent de servir des consommations. À l’Alcazar de Perpignan, on entend les bouchons de champagne pendant les projections 55. Pourquoi l’ambiance serait-elle plus calme qu’à l’accoutumé ? Une description d’une historienne des spectacles nous donne une idée de l’environnement sonore de ces lieux :

« Au café-concert, l’horaire est libre ainsi que la tenue. Dans la promiscuité et la réjouissance de la foule, les consommateurs fument, se restaurent, trinquent, s’interpellent, dérivent au rythme des valses et des polkas, dans le brouhaha, les applaudissements, les éclats de lumière, en un curieux mélange de sensation et une montée enivrante de l’excitation induite par la lumière, la fumée le bruit et les odeurs mêlées d’alcool, de bières et de parfums des femmes venues pour plaire 56. »

Il faut ajouter à cela le bruit des voitures (à cheval et quelques-unes à essence), tramways, omnibus et autres calèches qui passent dans la rue à proximité du lieu de projection. De nombreux bars montrent des fi lms en plein air. Une photo de 1905, montrant la terrasse de la Grande Taverne de Dijon, qui était alors un bar-restaurant et music-hall, permet de distinguer les montants en bois de l’écran de cinéma, placé à l’extrême bord du trottoir : une calèche passe à un mètre 57 ! En 1906, toujours à Dijon, le Café de la Rotonde projette des fi lms en terrasse. L’écran se trouve côté rue. La transparence du drap tendu permet aux plus malins de voir les fi lms par derrière l’écran, sans avoir à consommer 58. Les archives et les journaux gardent trace des demandes d’autorisation et des protestations ou réac-tions diverses qui se manifestent lors de ces représentations. À Chalon-sur-Saône,

• 53 – Site Internet de la Société de musicologie de Languedoc, à Béziers.• 54 – P. et J. Berneau, op. cit., p. 43.• 55 – René Noell, Histoire du spectacle cinématographique à Perpignan de 1896 à 1944, n° spécial des Cahiers de la Cinémathèque, 1973, p. 6.• 56 – Julie Csergo, op. cit., p. 159.• 57 – in 100 ans de cinéma en Bourgogne, op. cit., p. 62.• 58 – Merci à Emmanuel Brabant.

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les cafetiers du centre s’organisent pour faire des projections en plein air place de Beaune en juin 1907. Pour l’un de ces cafés, la publicité parue en juillet dans le quotidien local explique : « Ainsi, orchestre gratuit, cinématographe à l’œil, café seul payant : comment la clientèle ne s’écraserait-elle pas au seuil si largement hospitalier de cet établissement idéal 59 ? » Les diff érentes terrasses sont aménagées pour que tous les clients puissent voir les fi lms et continuer à boire 60. Dans la même ville, le propriétaire de la Brasserie du Sphinx place un écran sur le trottoir, devant son établissement. La gêne occasionnée pousse la municipalité à intervenir. La projection gratuite, mais pendant laquelle les spectateurs sont vivement incités à consommer, se déplace sur un terrain libre en face de la brasserie 61. À Moulins dans l’Allier, à partir de 1909, le Café Américain, un établissement parmi les plus luxueux de cette ville de garnison, projette des fi lms sur le cours central de la ville, lieu de promenade de la population. Le projecteur est placé au premier étage du café, l’écran de l’autre côté de la rue. Il faut bloquer la circulation pour que les voitures ne passent pas entre les spectateurs et l’écran ! L’orchestre reste à l’intérieur de la salle, derrière les clients attablés en terrasse 62. Les sons multiples de cette présentation parviennent de nombreuses sources : l’orchestre dans le dos des clients, les conversations, commandes de boissons autour des tables, le bruit des voitures dans la rue, etc. De nombreuses projections en plein air, l’été, sont organisées par les cafetiers, partout en France. Les draps tendus de l’autre côté de la rue se retrouvent dans diff érentes villes.

Tavernes et brasseriesCe bruit de verres continue après 1907, car les salles en dur améliorent leurs

bénéfi ces avec la vente d’alcool. « La plupart des salles de cinéma comportent sinon un bar, au moins une buvette » explique Jean-Jacques Meusy à propos de Paris. « Le plaisir du spectacle ne se conçoit guère qu’associé à celui d’une consomma-tion », ajoute-t-il 63. Il note que les débits de boisson consacrant une arrière-salle, une salle de billard ou de bal aux projections sont extrêmement nombreux, et impossibles à répertorier. Seules les grandes brasseries sont parfois signalées à Paris. Dans les villes de province, on constate également cette habitude de faire consom-mer des alcools aux clients des cinématographes. Dans de nombreux cas, seules les consommations doivent être payées. Le cinématographe est une attraction gratuite

• 59 – Le Courrier de Saône-et-Loire, 5 juillet 1907.• 60 – Le Courrier de Saône-et-Loire, 16 juin 1907, cité in 100 ans de cinéma en Bourgogne, op. cit., p. 52.• 61 – Merci à Julien Poussardin.• 62 – Julie Siboni, « Premières projections cinématographiques à Moulins et Vichy (1895-1914) », Études bourbonnaises, n° 306, juin 2006, p. 49. Merci à Julie Siboni.• 63 – Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 363.

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visant à faire venir plus de clients… et à les faire revenir chaque jour grâce à un programme « sans cesse renouvelé ». Par exemple à Nice :

« Taverne Steinhof. Tous les soirs, dans le magnifi que jardin de cet établis-sement, un nombreux public applaudit les vues sans cesse renouvelées du Royal Hélioscope Géant, qui sont une merveille de fi xité. Citons entr’autres vues : les Chiens contrebandiers, qui obtiennent un grand succès. Entrée libre. Consommations de premier choix64. »

Avant la guerre de 1914, ce sont les salles dans lesquelles on ne peut pas acheter de boissons qui font exception 65. En Alsace, « c’est dans la tradition du divertis-sement bistrotier que va s’immiscer assez naturellement le cinématographe 66 ». À partir d’octobre 1896, une grande brasserie de la place Kléber à Strasbourg propose des fi lms toutes les demi-heures de dix heures du matin à dix heures du soir… afi n de faciliter la vente de bière. C’est d’ailleurs la « fête de la bière » qui détrône cette attraction cinématographique. Les établissements alsaciens installent souvent un cinématographe dans leur salle de spectacle attenante à la salle réservée aux consommations. Mais il n’est pas nécessaire d’attendre l’entracte pour se désal-térer. Les séances se déroulent surtout les samedis et dimanches. Des tables sont disposées avec les chaises. On peut manger également. On imagine le brouhaha des conversations de restaurant mêlées aux bruits des bocks qui accompagnent encore plus souvent les fi lms qu’un bonimenteur ou un orchestre. Les publicités dans les journaux alsaciens vantent plus les bières que les fi lms. Plus tard (années 1910-1920), dans les salles de cinéma, une plaquette trouée permettra de poser son bock pendant la projection 67. Le « Grand Cinématographe Lorrain » s’installe dans une vaste salle dans la Brasserie Michaut, à Maxéville de décembre 1904 à la fi n de l’année 1905. « Dans cet établissement où restauration et divertissements font bon ménage, on fi nit très vite par agrémenter les soirées d’un “apéritif-cinématogra-phique” entrecoupé d’intermèdes, tous les soirs dès 17 h 30 68. » Les conversations de comptoir forment l’environnement sonore principal.

• 64 – L’Éclaireur de Nice, 29 juillet 1906.• 65 – Pour avoir une idée juste du phénomène, on peut comparer cette ambiance particulière qui voit les verres s’accumuler sur les tables placées devant un écran, au bruit des mâchoires des mangeurs de pop-corn dans les salles d’aujourd’hui.• 66 – Odile Gozillon-Fronsacq, op. cit., p. 47.• 67 – Ibidem, p. 71-72. Aujourd’hui, dans les multiplexes, des emplacements sont prévus pour poser les verres de sodas.• 68 – Blaise Aurora, op. cit., p. 85. Le rôle du cinématographe dans ces établissements est le même que celui que tient la télévision dans les bistrots d’aujourd’hui. De la même façon qu’autrefois, cette « attraction » maintient le consommateur un peu plus longtemps dans le débit de boisson… et cette télé reste souvent muette.

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Consommateurs hébétésSi les régions de l’Est de la France sont connues pour une forte consommation

de bière, les autres régions ne sont pas en reste question breuvages éthyliques de toutes sortes. Le cinéaste Henri Fescourt (1880-1906), dans son livre de souvenir, évoque les projections faites à la terrasse d’un café de Carcassonne en été :

« Là, après des heures brûlantes, j’allais, le soir, prendre le frais à la terrasse d’un café sous de beaux tilleuls. Le patron avait tendu un drap de lit devant les consommateurs, en plein air. Sur cet écran l’opérateur projetait des choses indicibles, des bandes extrêmement anciennes et usées : on n’as-sistait qu’à des assassinats, des coups du père François, chutes dans du fumier, fromages renversés dans la suie […]. Les séances de projections en plein air, dont on renouvelait le programme deux fois par semaine, duraient une demi-heure. Terminées, elle reprenait après dix minutes de pause. Mais, tandis que dans les salles, le spectacle achevé le public s’en allait, les consommateurs du boulevard des Tilleuls restaient à leur place et, sans réaction, regardaient se succéder quatre, cinq fois, les mêmes scènes. Quelque chose les retenait, la saveur de la boisson fraîche, le repos physique, une torpeur. Et chaque soir, devant leurs yeux les mêmes images passaient et repassaient […] 69. »

Cette description donne une idée de l’attitude des consommateurs de bar face aux images mouvantes. La distraction pour l’œil que représentent ces projec-tions permet de captiver plus longuement les clients. Le seul « accompagnement » semble être fait des bruits extérieurs et des verres qui tintent, tables et chaises déplacées, peut-être des grillons. Ces sons se font entendre dans toute la France car ces types de projections abondent en été.

On trouve de très nombreuses demandes d’autorisation d’installation de ciné-matographes dans les débits de boissons répertoriées par toutes les études régio-nales. Par exemple, en Haute-Savoie, particulièrement à Annecy 70. À Lyon, la brasserie Fritz projette des fi lms en 1911. La grande Brasserie Georges, autre fameux établissement lyonnais, qui existe toujours, proposait des fi lms à ses clients autour de 1907 71. Très haute sous plafond, cette immense salle, où l’on peut servir plus de 2000 convives simultanément, a une acoustique particulière. Les conver-sations des clients résonnent sur les murs et les verrières. Le brouhaha, même avec un orchestre, devait dominer dans ce lieu réputé. D’autres brasseries lyonnaises proposent des programmes de fi lms, surtout le week-end et, contrairement au

• 69 – Henri Fescourt, La Foi et les montagnes, Publications Photo-Cinéma Paul Montel, 1959, p. 30-31.• 70 – Muriel Pignal, op. cit., p. 43-47.• 71 – Information trouvée par Blandine Forthias.

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brasseur Georges, l’annoncent dans les journaux. Par exemple, les Établissements Charles Dupuis, surtout après 1907, montrent des fi lms. Ce restaurateur devient même distributeurs de fi lms 72.

Les cafés sont les lieux de réunions des sociétés de tous types, ce qui garantit un public régulier. Le café Gil, à Pau, est le haut-lieu palois du billard, de l’es-crime et de la Société protectrice du poisson 73 ! En 1899, les opérateurs Lumière y projettent les fi lms de la fi rme lyonnaise 74. À Biarritz, parmi les premières séances, certaines ont lieu au Café Anglais 75.

Il est délicat de faire des estimations sur le nombre de débits de boisson concer-nés, sauf dans le cas où les bistrotiers ont tous déclaré leurs projecteurs, et que l’administration a gardé une trace de ces demandes d’autorisation de projections. À Nantes, Frédéric Monteil estime que seuls cinq cafés proposèrent des séances de fi lms entre 1895 et 1914… alors que l’agglomération nantaise, en comptant Chatenay et Doulon possédait 1900 débits de boisson 76. Néanmoins les études régionales signalent toujours des « cafés-cinématographes », même s’ils ne font guère de publicité.

Salles de luxe et grands restaurantsMême une salle d’un grand restaurant, le réputé Petit Louvre de Bordeaux,

avisa ses clients que tous les soirs auraient lieu des projections 77. Ces séances se déroulèrent pendant les dîners, entre 1896 et au moins 1908 78. Dans cette salle luxueuse, le bruit feutré des couverts et les conversations murmurées alternent avec le pas stylé des serveurs essayant de faire le moins de bruit possible alors qu’un orchestre doit accompagner fi lm et repas. L’environnement sonore varie donc selon le standing de l’établissement, de la beuverie avec cris d’ivrognes à la discrétion de quelques coups de fourchettes en argent. Citons par exemple le Casino de Paris. À partir de septembre 1897, Eugène Lauste est chargé par la Biograph d’installer un projecteur au centre de la vaste salle. L’opérateur (plus tard chercheur spécialiste du son) projette des fi lms dans cette salle luxueuse jusqu’à l’été 1898. Une photo-

• 72 – Information de Renaud Chaplain.• 73 – Qui sert sans doute à se réunir pour faire des farces, comme à Béziers où un café permet à de joyeux plaisants de se retrouver pour des blagues de toutes sortes.• 74 – Hélène Tierchant, op. cit., p. 16 sq.• 75 – Ibidem, p. 48.• 76 – F. Monteil, op. cit., p. 125 sq. Cinq cafés ont offi ciellement déclaré leurs projections. Quant aux autres…• 77 – Roland Castelnau, Écrans magiques : grande et petites histoires des salles de cinéma à Bordeaux et en Gironde, Bordeaux, édition Le Festin / La Mémoire de Bordeaux / Conseil Général de la Gironde, 1995, p. 30.• 78 – La France, 7 octobre 1896, et information in Pierre Berneau, « Les Débuts du spectacle cinématographique à Bordeaux », 1895, n° 4, juin 1988, p. 20.

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graphie montre Lauste à côté de la cabine de projection. Tout autour se trouvent disposées des tables entourées de chaises. La disposition des meubles montre que les clients venaient d’abord pour boire, tout en regardant le spectacle, en l’occur-rence des fi lms. Dans la salle, très haute sous plafond, devaient résonner les bruits des verres et les conversations des clients, en plus de la musique (on distingue la fosse d’orchestre en contrebas de la scène) 79.

Dans ces établissements où les chansons et les boissons se côtoient, les séances de cinématographes s’intègrent tout naturellement… sans nuire à la consomma-tion, quelle que soit la qualité du lieu, du petit « beuglant » aux grands music-halls.

Les grandes salles de cinémas, spécialisées et prévues pour les projections, qui s’ouvrent dans les six années précédant la Grande Guerre, incluent généralement un bar. C’est le cas à Lyon avec le Royal, salle luxueuse avec bar-fumoir. De la même façon, à Rouen, en 1913, quand Gaumont rachète un Skating Rink pour en faire une vaste salle de 1 300 ou 1 800 places (selon les sources), au moins 400 fauteuils sont accolés à de petites tables dans le bar du cinéma. De ce bar, on peut continuer à voir les fi lms, et les spectateurs continuent donc de « bénéfi cier » du bruit des verres, de l’eau de Seltz sous pression ou des bruits de bouches des buveurs, et des bruits d’allumettes et de briquets des fumeurs.

Les fauteuils situés à partir de ces loges centrales [la direction a créé des loges ouvertes, au centre de la salle] jusqu’à l’entrée de la salle sont dits « fauteuils de deuxième série ». Ils voisinent avec un bar, faisant corps avec eux, et d’où les consommateurs jouiront du spectacle en fumant leur cigarette. Car c’est là l’une des caractéristiques de cette salle : il sera permis d’y fumer, aussi bien dans le bar dont nous parlons que dans celui qui occupera la place de l’ancien tea-room du Skating. Dans celui-ci, les consommateurs auront, sur leur table, une petite lampe électrique voilée de bleu, qui leur permettra d’y voir clair sans qu’elle nuise à l’obscurité nécessaire au cinéma 80.

Tous les « porteurs de billets de fauteuils sont admis au café-bar ». Les places aux promenoirs ne bénéfi cient pas de fauteuils, d’où la précision. Ces clients debout peuvent marcher pour trouver le meilleur endroit pour s’accouder à une rambarde et observer l’écran, ce qui existe dans de très nombreuses salles en France. Il faut ajouter à notre répertoire sonore les déplacements dans ces promenoirs. En plus des bruits divers signalés, on peut imaginer les autres déplacements dans la salle en fonction des envies de boissons des clients. Les communiqués de la presse sur les séances notent que tous les fauteuils sont souvent occupés et que « plus de 100 personnes ont dû se contenter des places

• 79 – Paul C. Spehr, « Eugene Augustin Lauste, A biographical chronology », Film History, vol. 11, 1999, p. 27. Merci à John Belton.• 80 – Le Journal de Rouen, 5 mars 1913, Poupion, vol. 2, op. cit., p. 300 sq.

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de promenoirs 81 ». Le bar est aussi une zone de la salle dans laquelle on peut ajouter des places en supprimant quelques tables ou en en mettant de plus petites. « Bientôt son bar trop petit sera augmenté et de nouveaux fauteuils y seront placés permettant de donner satisfaction aux personnes qui, faute de place, se voient souvent refuser l’entrée 82. »

Dans les cafés-concerts, il est logique de continuer à servir les clients pendant les projections de fi lms comme pendant les autres numéros. Vers 1910, l’appel-lation « Cinéma-concert » permet d’identifi er un lieu où l’attraction principale devient la projection de fi lms, avec possibilité de se désaltérer pendant toute la séance. Par exemple le café-restaurant Bonvalet-Cinéma-Concert, dans le 3e arron-dissement de Paris, représenté sur une carte postale de 1910, off re à tous ses clients une table 83. Aucun banc dans la salle. On y vient pour manger et boire. Les serveurs circulent entre les tables et les chaises. Les convives discutent, des enfants se promènent. Un orchestre joue à droite de l’écran. On projette le fi lm dans une salle semi-éclairée par de nombreuses lampes accrochées au plafond. Ce plafond n’est autre qu’une immense verrière ! On ne voit guère de possibilité d’occulter la lumière du jour. Si les projections se font aussi pendant la journée, le lieu n’est jamais dans l’obscurité 84. L’accompagnement sonore des fi lms devait se composer autant de la musique de la dizaine de musiciens qu’on distingue sur cette image de 1910, que des conversations autour des tables et des bruits habituels de restaurant, verres, assiettes et couverts se mêlant. Sur cette image, les hommes comme les femmes gardent leur chapeau. On se demande si les spectateurs pouvaient distin-guer vraiment l’écran, selon leur place. Le « cinéma » semble ici une attraction pour les clients d’un lieu consacré à la restauration et à la boisson.

Petits « cinémas-bars »Les cinémas-bars se multiplient entre 1907 et 1910. Jean-Jacques Meusy en

répertorie un grand nombre dans Paris. Les recettes semblent bonnes car beau-coup continuent cette double activité jusqu’aux années 1920, même lorsqu’ils sont coincés entre deux « vrais cinémas », comme le Café-cinéma Robineau au 73 de la rue Faubourg-du-temple 85. Les clients des cinémas peuvent continuer à voir des fi lms en passant la porte du débit de boisson juste à côté de la salle qu’ils viennent

• 81 – Le Journal de Rouen, 2 décembre 1913, Poupion, ibidem, p. 306.• 82 – La Dépêche de Rouen, 1er octobre 1913, Poupion, ibid., p. 318.• 83 – Carte postale reproduite à partir des collections de la BN-Arsenal, in Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 364.• 84 – À partir de 1907 plusieurs procédés permettent de projeter des fi lms en pleine lumière. Cf. Charles Chancy, « Le Phono-Ciné en plein jour », Phono-Ciné-Gazette, n° 58, 15 août 1907.• 85 – Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 365.

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de quitter. Le bruit des verres ne cessa d’accompagner les fi lms dans ces lieux populaires que bien après la Première Guerre mondiale (et parfois la Seconde).

Afi n de limiter les cris d’ivrognes pendant les séances de cinéma, et surtout les nuisances à la sortie, en cas d’ingurgitation trop importante de boisson pendant la durée de la projection, des maires interdisent les bars dans les salles. À Annecy, le Palace Cinéma dépose une demande d’ouverture le 5 septembre 1913. La mairie donne son accord pour une ouverture le 16 septembre, mais refuse que soit adjoint un débit de boisson. En octobre 1913, le propriétaire refait une demande, cette fois-ci en suggérant la possibilité de vendre des boissons sans alcool. On ne connaît pas la réponse de la mairie 86. Par contre en 1914, des cafés anneciens sont autorisés à diff user des fi lms 87.

À Paris, nombreux sont les débits de boissons qui montrent du cinéma. La description truculente d’un « cinéma-bistro », faite par Blaise Cendrars racontant des souvenirs de Paris pendant la Première Guerre mondiale, nous donne une idée de l’ambiance qui y régnait :

« C’était un ancien bouillon [proche de la gare de Lyon], une grande salle en bois qui ressemblait à l’intérieur d’un piano et qui en avait la résonance quand Charlot y déclenchait le fou rire. Le public qui riait si fort avec un bruit de locomotive entrant en gare, se composait essentiellement de chemi-nots en vadrouille et de fi lles en cheveux. […] Une consommation donnait droit à un numéro du programme et il fallait en prendre plusieurs pour voir le programme jusqu’au bout. On y donnait toujours des Documentaires et des Actualités qu’on ne voyait dans aucune autre salle de Paris. Les fi lms de Charlot passant en extra, il fallait prendre une double consommation supplémentaire pour pouvoir y assister en fi n de séance. Nous prenions toujours des cerises à l’eau-de-vie, deux portions chacun. Ah ! si Charlot l’avait su ! il serait venu trinquer avec nous pour applaudir avec les chemi-nots délirants, au triomphe de M. Nouvel-An, son sosie. M. Nouvel-An était le directeur de ce cinéma-bistro 88. »

On se rend mieux compte de la quantité d’alcool qui pouvait être bue dans ces lieux mêlant fi lms et bars. En fi n de « supplément de programme », les spectateurs devaient être bien « avinés » et leurs réactions et cris sans doute décuplés par l’eff et des boissons. Les exclamations du public devaient se mêler aux rires et aux bruits des verres et des bouteilles.

• 86 – Archives municipales d’Annecy, in Pignal, op. cit., p. 43.• 87 – ibidem, p. 45 sq.• 88 – Blaise Cendrars, Les Confessions de Dan Yack, Denoël, 1929, in Prieur, op. cit., p. 105-106.

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Cris et jeuxCris d’enfants

Une clientèle appréciée des exploitants, celle des enfants qui permettaient de bien remplir les séances du jeudi après-midi (devenu mercredi bien plus tard), s’exclamait sans doute encore plus facilement que les grandes personnes. Les cris des petits spectateurs ne s’arrêtaient que lorsque la direction de la salle prévoyait de quoi calmer l’appétit des écoliers profi tant de leur jeudi : « Au cours de ces matinées [du jeudi], la direction faisait distribuer des bonbons ou des gâteaux aux enfants », à partir de septembre 1907, à l’Idéal Cinéma de Bordeaux 89. De même, à l’Eden, à Villefranche-sur-Saône, chaque enfant a droit à une boîte de bonbons gratuite le jeudi 90. À Nantes, Monsieur Nondin se souvient qu’à l’entracte, l’ou-vreuse vendait : « des oranges, berlingots, pastilles de menthe et bouchées de chocolat 91. » L’environnement sonore bruisse alors de papier de bonbons et de biscuits qui croustillent, mêlés aux cris des enfants réagissant bruyamment aux fi lms comiques par exemple 92. Les autres jours, ces bruits se répètent d’ailleurs dans la plupart des salles françaises et étrangères puisque des friandises sont vendues dès les années 1900. Les enfants crient aussi quand leur mère vient les arracher à une séance de cinématographe qui faisait offi ce de « baby-sitter ». Pendant toutes les années 1900, les grands magasins Dufayel proposèrent des séances de cinéma-tographe pour attirer des clients mais aussi pour que les enfants soient distraits pendant que les parents prennent le temps de faire leurs achats. Dans ces séances en continue, on entendait régulièrement les hurlements des gamins passionnés par les images en mouvement qu’on venait interrompre dans leur extase. Claude Heymann se souvient : « C’était toujours des cris lorsque [les parents] venaient reprendre leur progéniture 93 ! » Dans le Gaumont-Th éâtre de Rouen, en 1913, les enfants sont choyés le jeudi : « Grande matinée réservée aux enfants. Distributions de chocolats et biscuits. » Cette pratique est très répandue dans les salles françaises. Le circuit de distribution concessionnaire Pathé, Cinématographe Monopole (qui

• 89 – Pierre Berneau, « Les débuts du spectacle cinématographique à Bordeaux », op. cit., p. 27.• 90 – Journal de Villefranche, 12 janvier 1909 ; Merci à Marion Chevrier.• 91 – F. Monteil, op. cit., p. 93.• 92 – La photographie, dont nous avons parlé plus haut, publiée dans L’Illustration, le 21 janvier 1911, montrant des enfants en train de crier pendant une projection donne une idée du volume sonore des assemblées de petits spectateurs du jeudi. Ajoutons que les enfants photographiés dans ce célèbre hebdomadaire sont tous habillés à l’identique (costume marin pour les garçons, robe blanche avec un nœud dans les cheveux pour les fi lles) ce qui permet de savoir qu’ils vivent dans des familles bourgeoises. Même s’ils apprennent « à bien se tenir », « à rester silencieux », etc., ils ne peuvent retenir leurs cris face à l’écran. Cela nous permet d’imaginer encore moins de retenu dans le cas de séances qui ne soit pas réservées à la classe sociale la plus riche.• 93 – Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 52.

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couvre le grand sud-est de la France), fait donner des « bonbons Pathé » ou des « bonbons Monopole » aux enfants payant leur entrée dans les salles de Nice ou de Villefranche-sur-Saône. Parfois ce sont des ballons de baudruche (appelées alors « ballons de cellulo ») qu’on donne aux enfants 94. Les cris des petits se mêlent toujours au craquement des plaquettes de chocolat, des gâteaux secs et parfois au bruit des ballons lancés dans la salle et qui peuvent éclater. Pour avoir une idée du volume sonore atteint on peut regarder la carte postale montrant le « Cinéma-parlant-Auxerrois J. Lory » (parfois orthographié Lorry). La photo prise après une séance de matinée enfantine montre entre 200 et 300 enfants, entourés par une trentaine d’adulte 95. Ici, les enfants ont entre quatre et quinze ans. Mais de nombreuses salles incitaient les mères à venir avec leurs nourrissons ! Une publicité explique que le directeur d’une salle de Brest a baissé ses tarifs pour « permettre aux mamans de faire voir, sans trop de frais, le splendide cinématographe Pathé à leurs bébés 96 ». Le son principal était-il fait de vagissements ? Le même exploitant procède à des distributions gratuites de tickets dans les écoles de la ville. Il s’agit d’habituer les enfants au cinématographe et de former de futurs spectateurs.

Bruit de patinageAprès les ballons, les cris et les petits bruits produits par les friandises croquées

par les enfants, nous pouvons terminer cette évocation des sons créés par les spec-tateurs par un élément sonore étrange : le bruit des patins à roulettes. Les skating rinks, importés des États-Unis, réunissent la bonne société dans un nouveau sport. Les femmes qui avaient pu inaugurer les jupes-culottes grâce à la bicyclette, dès la fi n des années 1890, peuvent également porter ce nouveau vêtement à la mode pour patiner (sauf dans quelques villes où des hommes s’off usquent de cette « masculinisation de la femme » et prennent à partie ces « avant-gardistes ») 97. Dans ces patinoires, l’écran de cinéma est placé souvent dans la salle de patinage. À Paris, en 1898, la Patinoire du Palais des glaces permet aux sportifs sur roulettes de se reposer en regardant des fi lms : « Entre 5 heures et 6 heures, l’obscurité se fait dans la vaste enceinte ; les patineurs s’arrêtent ; le cinématographe développe sa vaste nappe blanche et les tableaux les plus variés se succèdent 98. » Le son ici est celui des conversations, et celui des patins, immobiles ou en mouvement.

• 94 – Le Journal de Villefranche, 1909, et L’Éclaireur de Nice, 1 910.• 95 – Image dans Meusy, Cinémas de France, op. cit., p. 65.• 96 – La dépêche de Brest, 15 octobre 1907. Cité in Meusy, Cinémas de France, op. cit., p. 124. À la même époque des poussettes sont garées devant les nickelodeons américains. Cf. Jay Leda et Charles Musser (dir.), Before Hollywood. Turn of the Century American Film, New York, Hudson Hills Press / American Federation of Arts, 1987, p. 36.• 97 – Site Internet de la Société de musicologie de Languedoc, à Béziers.• 98 – Paris-Chronique, 25 février 1898, cité in Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 74.

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Rien n’empêche a priori un patineur téméraire de continuer ses évolutions sur le rink… sauf l’obscurité ! Plus tard certaines salles installèrent des skating rinks en sous-sol, avec accès gratuit pour les spectateurs, pour attirer plus de monde. Le Fééric Cinéma, dans le XVIIe arrondissement de Paris, procède de la sorte à partir de 1911 99. Il est peu probable que le bruit des patineurs se soit entendu jusque dans cette salle. Par contre, dans des patinoires qui s’ouvrent dans toutes les villes de France, on mélange parfois projection et patinage. À Saint-Étienne, le Great Skating Rink permet de patiner tout en regardant des fi lms Gaumont : « le ciné-matographe Gaumont projette sur l’écran de fort jolies vues pendant qu’évoluent sur la piste les couples de patineurs 100 ! » Peut-être que cet établissement utilisait le procédé de projection en salle éclairée qui se développa pendant quelques années. C’est une des rares mentions précises d’un journal expliquant que les gens patinent pendant les projections, ce qui ne devait pas manquer de provoquer des chutes ! Dans ce cas, le bruit des roulettes pouvait s’agrémenter de quelques cris et bruits de corps tombant sur un sol dur ! À Lyon également, on trouve un skating avec fi lms, mais il semble qu’on les regardait plutôt en dégustant une boisson, même si rien n’interdit aux patineurs de continuer leurs évolutions. Ce bruit des patins à roulettes (et des chutes de patineurs !) reste sans doute minoritaire, même si de nombreux skating rinks s’implantent dans toute la France avant 1914. Cas extrême dans notre étude, il prouve que les environnements sonores sont d’une grande variété. Les annonces sont rarement rédigées de façon assez claire pour qu’on puisse affi rmer que les fi lms sont toujours projetés pendant que les patineurs évoluent. Une photographie de 1911 montre la salle du Café de Paris, à Limoges, utilisée par le cinéma Pathé et par le Skating Rink, mais plutôt en alternance 101. Les cinémas-skatings, ou plutôt skatings avec projections, se multiplient dans toute la France, d’Amiens à Rouen, de Caen à Montpellier. Juste avant que la salle de l’Hippodrome, place Clichy, à Paris, ne devienne le Gaumont-Palace, entre 1910 et août 1911, la vaste salle du rez-de-chaussée se transforme en piste de patins à roulettes. La Paris-Hippodrome-Skating-Rink-Company qui gère le lieu, sous-loue le sous-sol pour que la Royal Bio y projette des fi lms. Les recettes de la patinoire s’avérant décevantes, on ajoute une attraction. Pour attirer plus de patineurs, on passe des fi lms directement dans cette grande salle 102. Les fi lms sont projetés en salle semi-éclairée, ce qui permet aux patineurs de continuer à évoluer. « Afi n de ne pas gêner les patineurs, l’écran provisoire fut installé à la hauteur des étages

• 99 – Ibidem, p. 216-217.• 100 – Merci à Sandrine Di Fruscia. La Tribune républicaine de Saint-Étienne, 3 octobre 1912. Les Annales foréziennes, 13 octobre 1912.• 101 – Photographie in P. et J. Berneau, op. cit., p. 97.• 102 – Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 286.

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du balcon 103. » Certains patineurs regardent les fi lms, d’autres continuent de rouler, ou jettent un œil distrait vers le haut pour observer un fi lm en avançant… s’ils sont très adroits ! Pendant un an à peu près, le bruit des roulettes sur la piste accompagne les fi lms proposés par Gaumont (la société étant déjà chargée des projections, ce qui lui permet d’étudier une reprise complète de l’Hippodrome). En 1911, s’en est fi ni de ce « bruit parasite » particulier ! Gaumont installe le « plus grand cinéma du monde » avec ses 5 500 spectateurs. Peut-être que d’autres skating rinks en France continuèrent à proposer des fi lms pendant le patinage des clients. En 1913 on trouve, dans les corporatifs cinématographiques, des annonces pour louer, ou vendre, des skatings avec leur matériel de cinéma 104.

Les cris des patineurs autant que le bruit de leurs patins se faisaient entendre devant des vues animées. Les hurlements d’ivrognes et les chuchotements des bavards ont participé aux séances cinématographiques pendant des années. La participation du public au spectacle cinématographique semble la règle pendant une bonne partie de la Belle époque. Avec le philosophe américain Richard Shusterman, reprenant les thèses de John Dewey, nous pouvons parler de somaes-thétique (une esthétique du corps) 105. Le public en mouvement chante et crie. Il fait le spectacle de tout son corps, autant qu’il le voit. Si aujourd’hui des spec-tateurs se retournent courroucés face à un indélicat qui déplie un bonbon, que pouvaient-ils dire quand toute une salle festoyait à haute voix devant un fi lm ? Rien. Car l’analyse des sons provoqués par le public nous permet de comprendre l’évolution des pratiques sociales. Le loisir qui permet de se retrouver entre amis n’implique plus applaudissements, cris, interpellations, ou même des bagarres, pendant le spectacle. Le statut de la salle où l’on projette des fi lms a rapidement évolué. Avant 1914, dans beaucoup de cas, on ne fait pas de diff érence entre un bar et un « cinématographe ». Dans l’un comme dans l’autre le client peut boire et parler avec ses amis. Pour réussir à discipliner ce public bruyant, il faut lui imposer un principe d’autorité. Le conférencier, s’il sait tenir ses spectateurs, peut transformer le standing d’une salle. La voix d’accompagnement donne du sens aux fi lms, mais peut aussi donner un statut au lieu de projection.

• 103 – Georges-Michel Coissac, Histoire du cinématographe des origines à nos jours, éditions du Cinéopse / Librairie Gauthier-Villars, 1925, p. 363.• 104 – Cinéma-Revue, n° 10 et n° 11, octobre et novembre 1913 (3e année).• 105 – Richard Shusterman, Pragmatist aesthetics. Living Beauty, Rethinking Art, Lanham (Maryland), 2e ed., Rowan & Littelfi eld, 2000.

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C h a p i t r e   I V

Conférenciers et bonimenteurs

Lors des premières présentations cinématographiques, dans chaque ville française, un conférencier explique presque systématiquement ce que les gens voient sur l’écran. Les journaux utilisent le terme de conférence pour désigner l’accompagnement de la voix des vues projetées, ce qui dénote la volonté péda-gogique de ces présentations qui s’intègrent généralement dans des soirées avec projections de vues fi xes. Le métier se structure (en se basant sur des pratiques préexistantes) avec des manuels de conseils, une parole religieuse qui se diff é-rencie des discours scientifi ques ou pédagogiques. Dans un chapitre suivant, consacré à la musique et aux spectacle musicaux, nous parlerons des « compères et commères » qui proposent des parodies des conférenciers ; leur travail s’insert dans la série culturelle du spectacle de variété avec ses « revues » et c’est pour-quoi nous les distinguons des conférenciers. Les conférenciers spécialisés dans le divertissement ne se mélangent pas entre eux quand ils travaillent sur des domaines particuliers (voyages, histoires saintes, comique), ou quand ils sont chargés de prouver le grand standing de la salle.

Conseils aux conférenciersManuels pour conférenciers

À partir des années 1860 on constate un développement de l’enseignement audiovisuel grâce aux projections de plaques photographiques et plaques dessinées. Les manuels pratiques de projections détaillent comment on doit expliquer les vues :

« Quel que soit le mode de projection adopté, le conférencier devra autant que possible être placé près de l’écran, ce qui lui permettra d’indiquer avec une baguette les points sur lesquels il désire appeler l’attention des specta-teurs. Mais qu’il se garde avec soin de pénétrer dans le rayon lumineux, il

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se produirait aussitôt deux phénomènes du plus grotesque eff et : d’abord sur la toile se projetterait, très déformée, sa silhouette en ombres chinoises et sur sa face, sur le plastron de sa chemise, se dessineraient les parties de l’image qu’il intercepterait, et dieu sait l’eff et ridicule d’un monsieur sur la poitrine duquel s’étale un sphynx [sic], tandis qu’un obélisque se plaque sur son nez 1. »

Le conférencier, d’après cette description de 1893, apporte des connaissances historiques et géographiques à son auditoire. L’exemple, donné ici, rappelle la popularité des conférences sur l’Égypte. Ce spécialiste ne peut pas se permettre le ridicule, en devenant lui-même surface de projection ! Il est vêtu d’un plastron. La description de ce paragraphe permet de se fi gurer le conférencier classique, imbu de sa science et portant un costume austère. Le standing du conférencier décrit dans cet ouvrage l’oblige à se pourvoir des services d’un projectionniste, et à coordonner avec précision sa présentation :

« Le conférencier devra être en communication constante avec l’opérateur qui manie la lanterne ; dans le cas de projections directes [et non par trans-parence], le signal optique de sa lampe lui permettra d’indiquer le moment où doivent se changer les vues, mais qu’il évite les coups sur la table ou sur le plancher à l’aide de sa baguette : le public ainsi au courant des petites méprises inévitables entre l’opérateur et le conférencier, ne peut s’empêcher de sourire, aux dépens toujours de ce dernier 2. »

Ces conseils pouvaient être repris, tel quel, pour les projections de fi lms. On retrouve d’ailleurs le même type d’éléments dans les manuels de Coissac par exemple. En 1893, on précise même la façon dont la voix doit être modulée :

« Qu’il nous soit permis d’ajouter ici quelques indications pour l’ama-teur conférencier, sur la manière de débiter son sujet : qu’il proportionne l’ampleur de sa voix aux dimensions de la salle, mais qu’il semble toujours s’adresser aux spectateurs les plus éloignés ; l’attitude même de l’auditoire sera un guide précieux ; s’il parle trop bas, il sera averti par la contraction des visages et l’attention gênée du public ; s’il parle trop haut, une sorte de rejet en arrière de l’auditoire, comme pour lutter contre un bruit trop assourdissant, le préviendra qu’il doit baisser le ton. La diction doit être nette, franche, les mots dits posément, en évitant surtout de donner à la phrase une même infl exion, ce qui transformerait le discours en une sorte de mélopée désagréable. »

• 1 – H. Fourtier, op. cit., p. 79.• 2 – Ibidem.

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Nous ne savons pas si ces conseils furent suivis à la lettre, mais ils nous donnent une idée du style du conférencier de la fi n des années 1890, qui présentait aussi bien des vues fi xes que des images animées. Nous sommes dans une seule et même série culturelle qui continue, en évoluant, quand les conférenciers ajoute les fi lms à leurs plaques. Monsieur Fourtier, l’auteur de ce guide, analysait même le rapport entre le discours et les images et la façon dont on doit alterner vision et audition :

« L’orateur ne perdra pas de vue que sa parole est, en quelque sorte, commentée par les vues qui se succèdent à l’écran ; il doit, en conséquence, de temps en temps, par une légère pause, permettre au public de se rendre compte du tableau projeté, sinon les spectateurs ne prêteront qu’une oreille distraite à ses explications et, pour cette raison même, nous conseillerons de placer toujours cette pause au moment précis où, par une phrase appro-priée, il vient d’annoncer la vue et que l’opérateur l’a projetée sur l’écran 3. »

Nous avons ainsi une idée de la voix du conférencier idéal, et des défauts qui pouvaient survenir pendant ces présentations de vues. Les conférences se multipliant entre les années 1880 et 1920, ces conseils ne furent sans doute pas vains. Les manuels du même type, produits ultérieurement, ne distinguent plus la présentation de vues fi xes de celles d’images animées. Georges-Michel Coissac, par exemple, utilise le terme « vues » dans les deux sens simultanément en 1907 : « Le public, tout bienveillant qu’il soit, se lasse vite d’explorer durant de longues heures le même domaine ; le conférencier s’ingéniera à prévenir cette lassitude et, par un intermède agréable, par la projection de vues amusantes, par exemple, cherchera à la reposer tout en se délassant lui-même. Après une petite diversion, il est sûr de retrouver toute l’attention 4. » Dans cette phrase, il peut suggérer de passer un petit fi lm au milieu de projections de plaques pédagogiques… ou le contraire, puisque le mot sert à désigner les deux objets. Un cours sur la sidérurgie, utilisant des fi lms en 1905, fut signalé par Phono-Ciné-Gazette : « Le cinématographe dans l’enseignement supérieur : fi lm sur les hauts-fourneaux à l’École centrale des Arts et Manufactures 5. » Ces manuels sont-ils aussi utilisés par les enseignants ? Nous reviendrons à la pédagogie plus loin. Le conférencier de salle apprend sans doute le métier en regardant travailler ses collègues.

Conseils entre collèguesLes conseils les plus précieux viennent des conférenciers de salles de quartier s’ex-

primant sur leur pratique. Le travail du conférencier connaît des règles non écrites

• 3 – Ibid.• 4 – G.-Michel Coissac, Manuel pratique du conférencier-projectionniste, Bayard, 1907, p. 174.• 5 – Phono-Ciné-Gazette, n° 13, 1er octobre 1905.

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qu’un des représentants de la profession décrivit dans une lettre publiée par Charles Le Fraper. En septembre 1911, le directeur du Courrier cinématographique écrit un article mettant en valeur une « nouvelle génération de conférenciers » qui « accom-plissent une tâche délicate, parfois diffi cile avec un tact tout particulier, souvent avec un art véritable 6 ». Le Fraper, qui s’adresse directement aux exploitants dans son hebdomadaire, lui-même dirigeant des tournées et une salle peu de temps avant de créer ce journal, commente sa conversion à l’art du « conférencier de cinéma » dans cet article. Il pensait que les programmes imprimés donnés ou vendus à l’entrée des salles devaient suffi re. Après avoir entendu de bons conférenciers, il se déclare certain que cet explicateur de fi lm représente une attraction essentielle pour favoriser les cinémas. Avec un élitisme poussant au mépris des gens les moins instruits, il affi rme : « Son esprit corsera les vues comiques, sa science rendra attrayantes des vues incom-préhensibles pour certains cerveaux d’une culture moyenne, comme on en trouve tant dans les salles de spectacles cinématographiques. » Le Fraper donne en exemple Georges Dalbe, conférencier d’une petite salle parisienne, le Nouveau Cinéma, et M. Goirand qui séduisit Le Fraper par son analyse de L’Assommoir pendant la projec-tion du fi lm à l’Eden Cinéma. Le journaliste conclut son article en affi rmant que le « bon conférencier » est inutile dans les salles « fréquentées par un public de passage, intellectuel ou frivole, peuplées d’étrangers ou de snobs » mais qu’il correspond aux cinémas populaires. À la suite de cette ode au conférencier de cinéma, le Courrier cinématographique reçut une lettre de M. Dalbe, lettre publiée dans le numéro du 14 octobre 1911. Georges Dalbe donne des conseils qui montrent une grande qualité d’écoute des réactions du public. « Il faut éviter les longues périodes, car, sous prétexte d’érudition l’on arrive très vite à fatiguer le public. » Il recommande de commenter en entier les « comédies fi nes, celles où on ne casse pas des assiettes », par « une petite remarque humoristique sur un geste qui sans cela passerait inaperçu ». Ces quelques phrases nous renseignent sur l’environnement sonore de la salle avec conférencier. De courtes phrases viennent ponctuer les actions des fi lms ou analyser un élément peu clair de l’histoire. Dalbe recommande d’éviter le pléonasme avec des « il fait ceci ». Par contre, il joue le rôle d’un expert en donnant le contexte de certains fi lms en costumes : « quelques dates adroitement placées plairont beaucoup plus qu’un verbiage incessant ». À l’écoute de son public, il n’hésite pas à suggérer : « on peut s’étendre, faire des charges à fond contre l’alcool, contre les mauvais riches, les propriétaires rapaces. » On frôle la prise de position politique, en fonction du public présent. Dans la salle située dans un quartier pauvre, ne pas hésiter à attaquer les propriétaires… cela signifi e que le conférencier adapte son discours à l’audience.

• 6 – Charles Le Fraper, Le Courrier cinématographique, 23 septembre 1911, reproduit notamment dans Gaudreault et Lacasse, op. cit., p. 29-31.

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Les paroles qu’on entendait alors dans une salle, dépendaient de sa situation géogra-phique, de son air de chalandise. Un même fi lm peut recevoir des commentaires opposés, en fonction de ce que le conférencier pense connaître de son public, même si, d’après Charles Le Fraper, peu de conférenciers travaillaient dans les salles de luxe. Le bon conférencier sait aussi se taire : « Près du dénouement [d’un drame], la voix doit se faire grave et il faut se taire lorsque le coquin plante son poignard trois ou quatre fois dans la même blessure ; il faut que la salle fasse AH ! AH ! Parler à ce moment serait comprimer le cœur de la presque totalité des spectateurs. » Dans une salle avec conférencier, on entend donc aussi le public. On pourrait presque parler d’un dialogue entre le conférencier et son auditoire, même s’il ne s’agit pas de questions-réponses mais d’un discours qui reste à l’écoute des réactions du public.

La voix du conférencier résonne dans un bon nombre de salles comme nous le prouve la multiplicité des petites annonces concernant cette profession et la création, en 1911, d’une « mutuelle des conférenciers et employés de cinémas 7 ». La lettre de Georges Dalbe révèle un confl it dans la maîtrise du son dans les salles de cinéma. Comme plus tard, lors de la généralisation des talkies, il s’agit de savoir qui gère le son dans la salle 8. « Le conférencier […] doit surtout avoir bon carac-tère et entretenir les meilleures relations avec les musiciens, car ceux-ci peuvent lui créer des ennuis, ils n’ont qu’à jouer fort et le conférencier est tombé. » Les musiciens concurrencent le conférencier. En France, ils triomphent dans les années 1920, car les explicateurs de vues animées semblent avoir disparus après la Première Guerre mondiale, mais des études restent à faire sur cette période. La lutte entre les deux corporations reste forte car Georges Dalbe ne peut s’empêcher de fi nir par une pique : « grâce à lui [le conférencier], le silence règne dans la salle, et enfi n il supprime au moins deux musiciens, et c’est sur cette question de porte-monnaie que je vous remercie d’avoir pris la défense de notre petite corpo-ration. » Choisir de terminer cette lettre, destinée aux directeurs de cinéma, par cette idée d’économiser en salaires de musiciens, grâce à l’emploi de conférenciers, montre bien l’animosité entre les deux groupes. D’autre part, en notant que cet « employé de cinéma » fait régner le silence, Dalbe place le conférencier dans un rôle de contrôleur de la clientèle. Il participe à la standardisation du spectacle cinématographique qui ne doit plus dépendre des cris des spectateurs comme avant 1907, quand le public réclamait quelques fi lms supplémentaires. Cette phrase ne signifi e pas que le silence règne absolument à partir de 1911, mais que

• 7 – Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 388.• 8 – Rick Altman a expliqué comment les grèves de la fi n des années 1920 montrent aux Etats-Unis la lutte entre le syndicat des projectionnistes et celui des musiciens : « Le son contre l’image ou la bataille des techniciens », in Alain Masson (dir.), Hollywood 1927-1941, Éditions Autrement, 1991, p. 74-86.

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l’institutionnalisation du cinéma se déroule alors avec l’aide du conférencier, et qu’elle passe par une surveillance du niveau sonore global des salles.

Paroles religieusesLe Musée pédagogique et les sociétés d’instruction populaire, comme la très

laïque Ligue de l’Enseignement, de même que des organismes catholiques comme la Bonne Presse, proposent de plus en plus de soirées de formations pour adultes. Les traditions anciennes du théâtre religieux placent souvent un commentateur à côté du tableau vivant représentant une scène de l’évangile. Il est chargé de décla-mer des dialogues complétant les scènes muettes 9. Depuis les années 1870, les Catholiques ont utilisé les projections lumineuses pour « l’enseignement populaire de toutes les sciences et la propagation de la foi ». Entre 1900 et 1908, pendant la période de séparation de l’Église et de l’État, les patronages paroissiaux se multi-plient et proposent plus de 5 000 plaques pour projections variées. Vues fi xes et animées sont encouragées par la revue catholique Le Fascinateur qui loue « les bons résultats [que] donne la projection pour l’enseignement du catéchisme aux enfants et pour jeter dans les âmes la “vérité lumineuse” 10 ».

Les projections de fi lms s’insèrent dans ce dispositif et se font dans les églises, jusqu’en 1912. Le prêche précède la projection qui peut se faire dans le silence, comme à Pau, en 1904 quand Vie et passion de Jeanne d’Arc et Apparitions de Lourdes sont projetées dans une église. Le Mémorial des Pyrénées témoigne du recueillement de l’assemblée, mis à part quelques exclamations de surprise des paroissiens 11. En juin 1905, dans l’église Saint-François d’Annecy, une confé-rence organisée par la paroisse propose de retracer la vie du Christ grâce à des photos et fi lms pris en Palestine 12. MM. Musant et Chevalier montrent 110 vues fi xes et 600 mètres de vues cinématographiques sur le sujet « Au pays de l’enfance du Christ ». Leur conférence est passée par Paris, Londres, Lyon, Amiens, Dijon, Besançon, Cannes, Monte-Carlo, Turin et Marseille d’après les journaux. Les séances sont chères, entre 1 et 3 francs la place. L’Indicateur de la

• 9 – Deslandes et Richard donnent l’exemple du Th éâtre religieux de Nouvalon, qui donnait des représentations dans les années précédant 1860. Les deux historiens citent le dialogue entre Caïphe et Jésus. Le bonisseur est chargé de faire les deux voix pendant que les acteurs sur scène forment des tableaux muets. Op. cit., p. 89.• 10 – Le Fascinateur, revue catholique des projections fi xes et animées, citée in Phono-Ciné-Gazette, n° 24, 15 mars 1906.• 11 – Le Mémorial des Pyrénées, 16 octobre 1904, repris in 100 ans de cinéma en Aquitaine, op. cit., p. 39.• 12 – Les deux conférenciers ont pris eux-mêmes les images et proposent dans les églises de France leur « reportage » commenté. Merci à Loris Th iel.

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Le Fascinateur, n° 13, 1er janvier 1904, coll. Jean-Claude Seguin

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Savoie note : « les explications sont aussi claires que sobres et érudites […]. Il faut louer sans réserve l’initiative de ces prêtres distingués13. » Les paroles accom-pagnant les fi lms s’entendent donc dans les églises françaises jusqu’en 1912. À cette date, le Saint-Siège mit fi n aux projections dans les lieux saints, mais il encouragea les fi lms et les vues fi xes dans les salles de patronage 14. Dès 1898, les salles de patronage servent à projeter les Passions, avec explications par le prêtre local. Henry Fescourt se souvient d’avoir vu à Nancy, en 1898 ou 1899, une présentation de La Passion de N. S. Jésus-Christ dans un patronage 15. La voix du curé de la paroisse accompagne les plaques et les fi lms dans les salles paroissiales.

« Les appareils de projection n’eurent bientôt plus de secret pour maints directeurs de patronages. […] Le vicaire, debout à gauche de l’écran, surveille le fi lm et commente pour les spectateurs, l’orchestre du patro-nage assurant les intermèdes musicaux au grand dam du public : “que la musique nous laisse en paix. C’est mieux quand l’abbé raconte” […]. Bien entendu, le commentateur ne se prive pas de critiquer au passage telle ou telle scène 16. »

La Société cinématographique de France s’est spécialisée dans les vues reli-gieuses. En Lorraine, elle présente un programme édifi ant, à Bar-le-duc, le 22 mai 1906, puis à Nancy, le 24 mai suivant, Grande salle de la passion, 146 rue Jeanne d’Arc. Les fi lms et les vues fi xes traitant de Lourdes s’enchaî-nent : Lourdes en 1858, La Genèse des apparitions, Enfance de Bernadette, etc. Les projections sont suivies d’une conférence animée par l’écrivain Boyer 17. Ces projections commentées peuvent être rapprochées de la tradition très ancienne de l’utilisation des vitraux et sculptures pour l’apprentissages des fi dèles 18. Le développement des projections cinématographiques dans les patronages parois-siaux se fait à partir de 1908. Il s’intensifi e après que le Vatican ordonne de cesser les projections dans les églises en 1912.

• 13 – L’Indicateur de la Savoie, 24 juin 1905, à propos de la séance du 14 juin. Cité in Pignal, op. cit., p. 32-33.• 14 – Ces consignes semblent avoir été respectées en France, mais dans d’autres pays les projec-tions eurent encore lieu dans les églises. Une enseignante portugaise m’a expliqué que son père se souvenait de séances dans les églises entre les années 1930 et 1950. Même si les fi lms avaient du son, les prêtres portugais continuaient de commenter les images, traduisant et interprétant avec une très grande liberté les fi lms français par exemple. Ils changeaient totalement le sens de l’histoire, pour accentuer une morale toute catholique. Témoignage de Graça Lobo, Cineclub de Faro, 4 décembre 2004.• 15 – Henry Fescourt, op. cit., p. 12-13.• 16 – Michel Lagrée, « Les trois âges du cinéma de patronage », in Gérard Cholvy (dir.), Le patronage ghetto ou vivier ?, Nouvelle cité, 1987, p. 220.• 17 – Aurora, op. cit., p. 92.• 18 – Merci à Benjamin Labé.

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Dès 1908, une véritable distribution de fi lms pour les paroisses se met en place. « Le cinématographe de l’A.C.J.F., à Rennes, proposait ses services itiné-rants aux paroisses rurales 19. » La parole des curés continue d’accompagner plus des images fi xes, aux sujets édifi ants, que des vues cinématographiques. Le prêtre commente aussi les fi lms burlesques (le plus souvent) et les quelques drames projetés, mais il ne s’agit pas de parole éducative. Le catéchisme reste majoritairement illustré par les plaques. Une séance type de patronage, vers 1910, contient deux parties :

– Vues fi xes : La vie d’une famille chrétienne, Divine enfance de Jésus, Les guéri-sons de Lourdes, Vie intime de Pie X.

– Cinématographe (petits fi lms de 80 à 100 mètres) : Farces de frise poulet, Course des agents, Le Chemineau, Course aux potirons, Passe-partout, Bonsoir fl euri.

D’après Michel Lagrée, « peu de fi lms proprement religieux apparaissent aux catalogues, y compris celui de la Bonne Presse. On peut donc considérer l’époque qui précède la Première Guerre mondiale comme celle du cinéma concession, pis-aller subordonné à l’image lumineuse fi xe, plus facilement maîtrisable et plus

• 19 – Michel Lagrée, « Les trois âges du cinéma de patronage », in Gérard Cholvy, op. cit., p. 217.

Le Fascinateur, n° 13, 1er janvier 1904, coll. Jean-Claude Seguin

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proche de la culture iconographique traditionnelle du clergé (vitraux, images pieuses et catéchismes illustrés) 20 ».

Les églises, puis les patronages résonnent des voix des prêtres commentant les images des vues fi xes et animées, mais les groupements laïcs sont plus nombreux à utiliser ces deux moyens de projections et à les disséminer dans les écoles publiques (pour les cours aussi bien que pour les projections du jeudi).

Vulgarisation scientifi que et prophylaxieSuivant ce mouvement, l’État crée le service national des projections lumineuses,

qui ne cesse son activité qu’après la Seconde Guerre mondiale. Jusque dans les années 1920 ce sont majoritairement des plaques photographiques qui sont distribuées. À partir de 1924, on fait circuler autant de fi lms que de plaques. Des dizaines de milliers de plaques furent distribuées chaque année pour agrémenter des confé-rences pédagogiques. Par exemple pendant l’hiver 1896, 14 000 conférences avec projections de plaques ont eu lieu, en France, en ne comptant que ce qui se passait du côté de l’éducation laïque. Dans le manuel La Pratique des projections, datant de 1893, que nous avons déjà cité, plus de vingt pages sont consacrées exclusive-ment aux projections scientifi ques pour le grand public (avec microscopes, avec des systèmes révélant des phénomènes chimiques, etc.) 21. Pendant l’année 1908, plus de 36 000 plaques ont été distribuées dans toute la France par le musée pédago-gique 22. Les premières projections de fi lms s’insèrent assez facilement dans ce cadre, en plein essor à partir des années 1890. La parole du pédagogue vient se placer sur les images en mouvement, de la même façon qu’elle explique les vues fi xes. En France, jusque vers 1899, l’explication pédagogique semble dominer les projections cinématographiques. À Alençon, par exemple, le journal annonce : « Projection lumineuse avec conférence, excursion à travers le monde, les bords du Rhin, la Russie, la Tunisie, l’Algérie, Madagascar, etc., Versailles, suivie de projections animées par le cinématographe perfectionné, nouveau système23. » Cet exemple est typique de présentations des années 1896-1899. L’explication du fonctionnement de l’ap-pareil prime quand on lit qu’à Annemasse, en 1898 a lieu une « démonstration du cinématographe par M. Ruegg, gérant de l’Alpineum de Genève24 ». L’Alpineum

• 20 – Ibidem, p. 218.• 21 – Fourtier, op. cit., p. 93-120.• 22 – Les informations sur l’éducation audiovisuelle grâce aux plaques pour lanternes proviennent de Jacques Perriault, op. cit., p. 97-119. Voir également, Laurent Mannoni, « Plaques de verre ou celluloïd ? », 1895, n° 7, 1990.• 23 – L’Avenir de l’Orne et de la Mayenne, 16 avril 1897, in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 43.• 24 – Le Progrès littéraire de la Haute-Savoie, 10 décembre 1898, cité par Muriel Pignal, op. cit., p. 19.

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fut une des toutes premières salles fi xes d’Europe consacrées principalement à la projection de fi lms, à Genève. M. Ruegg n’essaye pas d’installer une succursale de son entreprise dans la ville frontalière d’Annemasse, mais peut-être de se créer une nouvelle clientèle qui n’a que peu de distance à faire pour visiter son installation. Il donne donc une présentation savante pour la bonne société annemassienne. La prophylaxie antialcoolique profi te rapidement du cinématographe pour développer ses conférences. On annonce à Évian, en 1899 des « séances antialcooliques avec vues cinématographiques par M. Louis Tanniger [en réalité son nom est Tanninger], sous les auspices de la Société de Tempérance. Ces séances auront lieu dans le salon des bains Cachat 25 ». Une parole normative, scientifi que et sanitaire, accompagne donc les conférences pédagogiques.

Toutes sortes de sociétés, clubs de photographie (comme à Saint-Étienne, le 26 avril 1896), et autres organismes à vocations plus ou moins philanthro-piques organisent les premières projections. Les fi lms sont passés en deuxième partie après des vues fi xes. Les plaques photographiques sont commentées par un spécialiste, qui peut continuer à parler pour la suite du programme. Par exemple, à Boulogne-sur-Mer, en mars 1896 : « Cirque municipal, dimanche 8 mars 1896 à huit heures et demi du soir, conférence par M. Victor Planchon ; Actualités photographiques […] photographies en couleurs, rayons X de Rœntgen […], photographies en mouvement, présentation du cinématographe Lumière 26. » M. Planchon, qui vient de monter une usine de pellicules à Boulogne-sur-Mer, est en passe de transférer son activité à Lyon à la demande de Louis et Auguste Lumière. Ce chimiste est donc bien placé pour parler des dernières technolo-gies de 1895-1896. Les journaux parlent longuement de cette séance « des plus instructives ».

La conférence accompagnant des vues cinématographiques s’inscrit dans l’idée de vulgarisation scientifi que. Dans les grands magasins Dufayel, pour rassurer les familles bourgeoises sur la portée didactique des présentations de fi lms, afi n que les mamans laissent leurs enfants pendant qu’elles font leurs courses, des explica-tions sont données sur des phénomènes scientifi ques. Le conférencier qui occupait cet emploi explique son expertise quand il cherche un nouveau poste, en 1902 : « Ancien conférencier cinéma Dufayel, au courant de tous les trucs scientifi ques et de mécanique générale, demande de suite situation voyage. Peut en outre faire numéros de concerts 27. » En 1899, le programme Dufayel laisse cinq lignes au Cinématographe Lumière. Sur cette même affi che, onze lignes sont consacrées aux expériences scientifi ques ! On y découvre les « expériences sur les rayons X

• 25 – L’Écho du Léman, 28 janvier 1899, cité par Muriel Pignal, op. cit., p. 24.• 26 – La France du Nord, 6 mars 1896, in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 104.• 27 – Annonce parue dans L’Industriel forain, n° 689, 11 au 18 octobre 1902.

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et les nouvelles conquêtes de la science. Répétition des expériences présentées au Centenaire des Arts et Métiers, avec les puissants appareils de Radiguet, effl uves, lumière froide, radiations et fl uorescences à distance sans conducteurs. Expériences et démonstrations par divers conférenciers 28 ». On comprend que le conférencier de chez Dufayel soit devenu un expert en « trucs scientifi ques » !

En plus des explications scientifi ques, on trouve également des commen-taires sur l’actualité. Les panoramas montrent les lieux historiques, qui peuvent être commentés. Ils présentent aussi les dernières catastrophes. Par exemple, en Lorraine, un panorama reconstitue l’incendie du Bazar de la charité de 1897, deux mois après le drame 29. Au Musée Grévin, un des lieux consacrés à montrer au public les faits tragiques comme les moments glorieux, les grands savants et les hommes politiques, on est soucieux de présenter l’actualité cinémato-graphique. En 1903, un conférencier est chargé de commenter ce « journal lumineux 30 ».

Aucun doute sur le but pédagogique de la soirée quand elle est organisée par la Ligue de l’enseignement :

« La Ligue de l’enseignement a voulu terminer la série de ses conférences de cette saison par une soirée à la fois instructive et curieuse […]. Nous avons déjà annoncé que cette réunion serait consacrée à trois merveilles : la photographie à travers les corps opaques du professeur Rœntgen, la photo-graphie coloriée [lire “en couleurs”], et surtout cette découverte admirable : le cinématographe ou autrement dit la photographie animée 31. »

Les forains reprennent rapidement ce principe mêlant progressivement nouveauté scientifi que et spectacle divertissant. Le même type de programme que celui que nous venons de décrire est d’ailleurs proposé par les banquistes de foire : rayons de Rœntgen, photographies en couleurs et fi lms. La concurrence entre Lumière et Edison passe aussi par la qualité de la présentation orale. Une publicité, parue en 1897, précise que la Société des cinématographes Edison « fera un voyage en France, Algérie, Suisse, Italie, etc., avec conférence explica-tive », d’après le Patriote mussipontain 32.

Le conférencier parle-t-il seulement avant les vues, ou bien pendant la projec-tion ? Peu de précisions dans les journaux. Un article très clair sur ce point reste l’exception : « Cette séance a débuté par une conférence faite par le directeur du cinématographe, M. A. Chavanon […]. Toutes les explications, bien qu’étant

• 28 – Affi che reproduite in Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 36.• 29 – Aurora, op. cit., p. 119-120.• 30 – Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 110.• 31 – Reims, Le Courrier de l’Aisne, 23 au 23 mars 1896, in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 387.• 32 – Le Patriote mussipontain, 27 mars 1897, cité in Blaise Aurora, op. cit., p. 69.

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appuyées parfois de mots techniques un peu barbares, ont pu être parfaitement saisies par l’auditoire, grâce aux démonstrations faîtes sur l’écran, au moment où l’image reproduite se déroulait dans l’appareil 33. »

Il semble qu’un dialogue s’établit entre la salle et le présentateur, surtout pendant les toutes premières démonstrations. À Boulogne-sur-Mer, un journaliste explique :

« C’est devant une assistance aussi nombreuse qu’attentive que M. Planchon a fait hier soir, au cirque, la conférence annoncée dans nos derniers numéros sur les récentes découvertes photographiques. […] Quant à la projection des vues animées, elle a dépassé tout ce qu’on pouvait attendre par la vérité du rendu et la complète illusion du mouvement. Le succès a été tel, que, sur la demande du conférencier, le représentant de MM. Lumière chargé de l’organisation des projections a dû faire repasser devant les spectateurs celles d’entre les vues qui avaient provoqué le plus d’enthousiasme 34. »

Au-delà de la fl agornerie typique d’un certain journalisme, remarquons l’in-sistance sur l’aspect pédagogique de la présentation. Rapidement des projections eurent lieu dans les écoles, les pensionnats, avec un but didactique plus que de divertissement. Lors de la même conférence, retranscrite avec plus de détails le 14 mars 1896, dans le même quotidien, le journaliste note que Planchon insiste sur les possibilités d’enregistrement des phénomènes scientifi ques et que, au-delà de « la simple distraction », « l’enseignement lui sera redevable d’un moyen de divulgation nouveau et effi cace ». Le conférencier est entré dans « une foule de détails techniques » que le journaliste résume rapidement. La vulgarisation scien-tifi que semble, comme dans beaucoup de cas, le but principal de la soirée. Le cinématographe reste le clou des soirées de ce type. Même si un journal annonce un ordre diff érent : « une séance de cinématographe, suivie d’une conférence avec projection des principales vues des villes de France, d’Algérie, d’Italie, etc. », le compte-rendu exact, après coup, replace les fi lms après les vues fi xes : « Un public choisi a assisté et a pris grand plaisir en faisant, très commodément assis, un voyage autour du monde. La troisième partie du programme a été surtout inté-ressante et on a notamment applaudi : “l’entrée de l’Empereur de Russie à Paris”, “la charge des cuirassiers”, “la danse serpentine”, etc. 35. » Même dans le cadre de ces conférences pédagogiques faisant découvrir la géographie du monde, la fi n du programme demeure la plus spectaculaire : la projection des fi lms. Nous avons trouvé une exception avec un photographe qui explique le fonctionnement des

• 33 – Périgueux, L’Avenir de la Dordogne, 10 septembre 1896, in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. it., p. 378.• 34 – La France du Nord, 9 mars 1896, in ibidem, p. 105.• 35 – Séance à Dunkerque, La Flandre, le 16 et le 18 février 1897, in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 171.

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nouveaux appareils après les projections : « M. A. Quantin, ancien membre de l’enseignement, a donné à Saint-Bonnet-de-Joux deux séances de la photographie animée par le cinématographe avec appareil perfectionné. Chaque séance a été suivie d’une causerie scientifi que sur le phonographe, le cinématographe et les rayons X, expliqués par M. Quantin 36. » Certaines salles fi xes connaissent, du fait de leur emplacement, une spécialisation dans des conférences pédagogiques et touristiques. À Chamonix, chaque été, l’Alpineum passe systématiquement des vues du Mont-Blanc. Les ascensions au sommet, fi lmées par diff érents opérateurs, sont commentées par le créateur de cette salle M. Cusin-Berlincourt, à partir de 1910 37. Mais les discours pédagogiques sont principalement tenus dans le cadre de l’Éducation Nationale.

De l’école à l’universitéParallèlement aux conférences pour adultes, la voix des hommes de science

accompagne aussi les vues fi xes et les fi lms dans les écoles. Par exemple, dans quatre cantons de Lorraine, M. Denis présente, au cours de l’hiver 1913-1914, vingt-quatre conférences accompagnées de fi lms. Dans le cadre de ces séances scolaires, ce conférencier avait alors parlé devant 4 000 élèves 38.

Les conférenciers opérant en dehors des circuits commerciaux, dans des salles dépourvues de cabines de projection, bénéfi ciaient de certaines faveurs. Ils pouvaient se passer de certaines mesures de sécurité, à condition d’utiliser des fi lms ininfl ammables, ce qui pouvait diffi cilement être vérifi é par les services munici-paux de chaque commune.

« En dehors de projections fixes de clichés sur verre, l’emploi d’appa-reils cinématographiques ne comportant pas de cuve à eau pourra être exceptionnellement autorisé, au cours des conférences faites dans les salles dépourvues de la cabine réglementaire, mais sous la réserve expresse que les fi lms utilisés seront ininfl ammables.Les organisateurs de ces conférences devront se prêter à toutes les mesures de contrôle nécessaires, notamment à des prises d’échantillons qui seront eff ectués par le service d’incendie.Les appareils devront être de l’un des systèmes autorisés par la Commission. Ils devront comporter un dispositif renfermant complètement le fi lm, et

• 36 – Saint-Bonnet-de-Joux, Saône et Loire, L’union républicaine, 6 juin 1897, in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 415.• 37 – La Revue illustrée du Mont-Blanc et de Chamonix, 27 juillet 1910 ; Le Cinéma, 6 septembre 1912, in Pignal, op. cit., p. 75 sq.• 38 – Lectures pour tous, septembre 1917, cité par Aurora, op. cit., p. 25.

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permettant de laisser ce dernier en projection fi xe pendant un temps illimité sans courir de danger d’infl ammation 39. »

Cet arrêté municipal pris à Villeurbanne en 1915, peut concerner des réunions dans des écoles ou des salles des fêtes.

Georges-Michel Coissac, directeur du Fascinateur et propagateur infatigable de l’utilisation des fi lms pour l’enseignement religieux avant 1914, et Edmond Benoit-Lévy son homologue laïc, ont aidé au développement du cinéma des écoles aux universités 40.

« Dès 1906, se posait le principe de la mission scolaire du fi lm ; nous fûmes des artisans de la première heure avec M. Edmond Benoît-Lévy, sans oublier M. Léopold Bellon, ancien vice-président du conseil municipal de Paris.C’est en 1907 que fut donnée dans le préau de l’école de la rue de Vitruve (13e) la première séance de cinématographe. En 1911, M. Brucker, titulaire du cours d’histoire naturelle au lycée Hoche, à Versailles, illustrait ses leçons de projections animées 41. »

Le long titre de ce livre de Coissac, ajoutant qu’il était offi ciellement adopté par plusieurs ministères, prouve la volonté de son auteur de représenter la ligne offi cielle de l’enseignement public, dans les années 1920 (et non plus de l’éducation religieuse comme avant 1914). Il construit donc une « histoire offi cielle » de l’enseignement avec projections de fi lms. Il oublie quelques projections isolées qui eurent lieu avant 1907, mais nous renseigne effi cacement sur l’importance de la parole du maître accompagnant les images éducatives en mouvement. Dans les cours de M. Brucker, les projections auraient convaincu pour la première fois un inspecteur de l’Éduca-tion nationale de la nécessité de développer l’enseignement « audio-visuel » (comme on ne disait pas encore) dans les écoles publiques. Coissac se promeut en tant que témoin et acteur de la propagation des fi lms dans l’instruction :

• 39 – Arrêté municipal, du 1er juin 1915, concernant les dispositions de sécurité pour les salles de cinéma. Article 186. Archives municipales de Villeurbanne, Rhône. Merci à Mathias Chassagnieux.• 40 – Georges-Michel Coissac a dirigé Le Fascinateur de 1903 à 1914, luttant contre la propa-gande laïque de la Ligue de l’Enseignement, mais après 1918 il crée le Cinéopse. « Collaborant de près avec les éminents représentants du courant républicain, dont un certain nombre de francs-maçons, Coissac devient ainsi le promoteur de valeurs qui se situent totalement aux antipodes de ses premières activités rédactionnelles », explique le Dictionnaire du cinéma français des années vingt, François Albéra et Jean A. Gili (dir.), 1895, n° 33, juin 2001, p. 120.• 41 – Georges-Michel Coissac, Le Cinématographe et l’enseignement. Nouveau guide pratique, approuvé et adopté par le Ministère de l’Instruction publique, le Ministère de l’Agriculture, la Direction de l’Enseignement technique, la Cinémathèque de la Ville de Paris, éditions du Cinéopse/Librairie Larousse, 1926, p. 3.

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« Nous-même utilisions des fi lms en des conférences, après avoir long-temps pratiqué les projections fi xes, et notre ami et collaborateur M. Émile Roux-Parassac, fut le premier à s’en servir pour la propagande touristique et l’enseignement de la géographie de la France en public. Ceci se place avant 1913, époque où quelques lycées parisiens, Condorcet, Louis-Le Grand, Voltaire, Fénelon, Jules-Ferry, imitèrent l’exemple de celui de Versailles 42. »

Les établissements parisiens d’enseignement secondaire ont donc adopté rapide-ment les cours avec des fi lms. Mais nous ne savons pas la proportion de cours ainsi proposés. Le catalogue Gaumont des fi lms documentaires signale que chaque fi lm est accompagné de fi ches pour permettre les « commentaires des professeurs 43 ».

Un cours avec projections est décrit par Cinéma-revue en décembre 1913 :

« M. Léopold Bellon, ancien président du conseil municipal de Paris, a fait, le jeudi 23 octobre [1913], à l’intention des jeunes élèves qui emplis-saient la salle Villars, rue du Rocher, une intéressante démonstration du cinématographe appliqué à l’enseignement et à l’éducation. Le conféren-cier était M. Armand Gauley, professeur à l’École Normale primaire. Le thème, très original, était le trajet parcouru par une lettre qui, partie des lacs de l’Afrique centrale, parvenait enfi n à Marseille en empruntant tous les moyens de locomotion particuliers aux pays traversés : caravane, pirogue, voie ferrée, paquebot, etc. Entre-temps, devant les yeux des jeunes audi-teurs, passaient les vues, non seulement des grands lacs, mais aussi d’As-souan, de l’île de Philae, d’Alexandrie, etc. 44. »

Notons la stratégie pédagogique remarquable de ce cours de géographie. On raconte une petite histoire pour accrocher les élèves et les faire voyager sans diffi -culté grâce au suspens : la lettre arrivera-t-elle à temps ? L’utilisation de « panora-mas », terme qui désignait alors les fi lms documentaires, provenant du commerce, s’intègre ici parfaitement à une séquence de cours. Il devient clair que la voix du maître, en donnant un sens nouveau à ces images exotiques est l’élément central de cette démonstration. Dans son ouvrage sur le cinéma et l’enseignement, Coissac précise que les instituteurs aussi utilisèrent le cinéma, avec un matériel « acquis le plus souvent de leurs propres deniers ». Enfi n, l’historien n’oublie pas que la première parole accompagnant doctement les fi lms pour enseigner des connais-sances et des pratiques fut celle du Docteur Doyen.

• 42 – Ibidem.• 43 – Frédéric Delmeulle, « le rêve encyclopédiste. Le cinéma documentaire chez Gaumont, 1908-1928 », in M. Marie, T. Lefebvre, L. Mannoni (dir.), Cinéma des premiers temps, op. cit., p. 102.• 44 – Cinéma-Revue, n° 12, décembre 1913 (3e année).

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« En vérité, c’est au Dr Doyen qu’il faut accorder la priorité du cinémato-graphe d’enseignement. En 1898, il tournait et projetait des fi lms “pour son enseignement personnel, déclarait-il, et pour celui de ses élèves”. »

Il semble que Boleslaw Matuszewski avait enregistré, avant le Dr Doyen, les travaux de chirurgiens français 45. Dans son bref résumé Coissac cite également le professeur Garrigue-Lagrange qui utilisa les fi lms pour ses cours de Physique et de Chimie. Il signale que le manque de fi lms spécifi ques pour l’instruction publique se fi t sentir et que des fi lms d’actualité et des documentaires produits pour des projec-tions commerciales furent utilisés. Et surtout, Georges-Michel Coissac rappelle la règle d’or de l’utilisation des fi lms en milieu scolaire : « La projection cinématogra-phique ne se suffi t pas à elle-même : elle fait partie d’une leçon et ne peut, en aucun cas, en tenir lieu. Elle doit être commentée par le maître et observée par les élèves 46. »

On pourrait noter la passivité des élèves dans cette imprécation. L’essentiel ici est la mise en avant de la parole doctorale. Sans doute pour ne pas eff rayer les enseignants lecteurs de son ouvrage, mais également par conviction profonde, Coissac, qui commença sa carrière par des projections de plaques fi xes, assujettit les fi lms aux mots du maître. Il cite un article de La Revue critique de médecine et de chirurgie qui montre l’enthousiasme de Doyen devant la possibilité de montrer ses fi lms à d’immenses amphithéâtres : « Si vous photographiez au cinématographe une opération typique, vous ferez comprendre en moins d’une minute à un millier de personnes ce que toute une conférence ne pourra démontrer qu’à un petit nombre d’étudiants, placés à proximité du professeur 47. »

À part Doyen, à partir de 1906, d’autres professeurs obtiennent de montrer des fi lms à leurs étudiants :

« Dans le courant de 1912, le médecin-major Henry Billet, professeur agrégé de médecine opératoire et d’anatomie chirurgicale au Val-de-Grâce, résolut de pourvoir d’un cinématographe l’école d’application. Ses prédé-cesseurs s’étaient heurtés à des diffi cultés budgétaires qu’il parvint à aplanir, et en novembre 1913, il commençait ses cours48. »

Ces précisions montrent que les universités ne purent pas s’équiper facilement en matériel de projection. Les divers exemples cités par Coissac prouvent néan-moins que des enseignements de toutes matières (et surtout scientifi ques) ont

• 45 – Valérie Vignaux, « Contribution à une histoire de l’emploi du cinéma dans l’enseignement de la chirurgie », 1895, n° 44, décembre 2004, p. 73 sq. Voir également : Th ierry Lefebvre, La Chair et le celluloïd. Le cinéma chirurgical du Docteur Doyen, Brionne, Jean Doyen éditeur, 2004.• 46 – Idem, p. 32.• 47 – Article du Dr Doyen dans la Revue critique de Médecine et de Chirurgie, du 15 août 1899, cité in Georges-Michel Coissac, Histoire…, op. cit., p. 527.• 48 – Coissac, Histoire…, op. cit., p. 530.

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profi té du cinématographe dans les années 1910. L’accompagnement des fi lms par la voix du maître allait continuer jusqu’à l’avènement de la télévision scolaire. Dans les années 1930 et 1940, des fi lms prévus pour l’enseignement, mais comportant une piste son, furent rendus muets pour ne pas gêner le cours magistral dans les classes des instituteurs. On peut encore voir aujourd’hui le trait noir qui « mate » la piste son, dans certaines archives 49.

À l’opposé de cette vision rigoriste de la parole du maître, les explicateurs de vues dans les salles commerciales cherchent à amuser l’auditoire.

Paroles de divertissementExplicateurs de titres et improvisateurs

Dès la première année de circulation de fi lms, des entrepreneurs de spectacle reprennent le système des présentations pédagogiques. Quelles diff érences peut-on trouver entre les commentaires des spécialistes et un boniment distractif ? Les diff érences sont nombreuses entre une projection qui sert à retenir des buveurs dans un bar, et des vues animées projetées dans le but de donner un cours complet sur la géographie d’un pays. Si le contenu peut changer, la forme semble similaire. Le conférencier, qu’il présente des vues fi xes ou animées, annonce essentiellement ce qui va arriver sous les yeux des spectateurs, ce qui laisse le temps à l’opérateur de charger la vue suivante. Pendant la séance tumultueuse de Lagny-sur-Marne, dont nous avons déjà parlé, « un lecteur, placé sur la scène, donnait l’explication de chaque tableau. Un entracte assez long a suivi, durant lequel divers morceaux de musique ont été joués 50 ». La conférence avec vues fi xes commence le programme, puis après l’entracte, les fi lms passent avec annonce de chaque titre, même si, dans cet article, le journaliste note surtout le vacarme du public.

L’information du public sur le contenu de la vue qui arrive reste la principale activité du commentateur. Noël Burch pense que le conférencier devait également empêcher les gens de faire leurs propres commentaires. Il émet l’hypothèse que le conférencier est « chargé de réduire les “cancres” turbulents d’un public popu-laire. Le paternalisme bourgeois est là dans toute sa gloire 51 ». L’hypothèse est intéressante, mais nous avons trouvé trop de comptes-rendus montrant que les séances avec conférencier se déroulaient dans un joyeux chahut pour qu’elle soit vérifi ée. Peut-être dans certaines grandes salles, mais plutôt après 1907, le confé-rencier doit-il « relever le standing du public » en l’obligeant au silence. Dans la

• 49 – Archives de la Cinémathèque de Saint-Étienne et archive de la Cinémathèque de la ville de Paris. Merci à Béatrice de Pastre.• 50 – Le Journal de Seine-et-Marne, 16 septembre 1896, in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 190.• 51 – Noël Burch, La Lucarne de l’infi ni, Nathan, 1991, p. 229.

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plupart des cas, il semble interpeller l’assistance, sans l’empêcher de s’exprimer. Il joue le rôle d’un explicateur de titre, donnant parfois quelques précisions. « Au Cinématographe-Kaiser, [passage de l’opéra à Paris, à partir de fi n 1896], entrée 30 centimes. […] Huit tableaux d’actualité et en couleurs sensationnels, comiques et amusants. Nous laissons la surprise agréable aux spectateurs et on annonce à haute voix le titre de chaque tableau », peut-on lire sur les prospectus distribués près du passage de l’opéra 52. Cette attitude du bonimenteur-annonceur-de-titre, n’entraîne pas de commentaire dans les journaux et fait disparaître le personnage des comptes-rendus. Il faut un incident pour rappeler que le présentateur de la soirée annonce chaque petit fi lm aux spectateurs : « Les gaietés du cinémato-graphe. Entendu dans un établissement où fonctionne un cinématographe très imparfait ; l’impresario s’apprêtant à annoncer un tableau à sensation, voit avec désespoir le tableau s’obstiner à rester tout noir, malgré les eff orts des machinistes ; alors, de sa plus belle voix, il annonce “un combat de nègres dans un tunnel” 53 ! » Cette blague, légèrement raciste, est tellement classique qu’on peut douter de la réalité de l’événement. Cet entrefi let nous renseigne quand même sur l’activité du commentateur, désigné ici comme « impresario ». Sans doute qu’un conférencier « issu de l’enseignement » ne se serait pas permis une blague facile, mais spécialisé ou pas, le « boniment » varie surtout en fonction du standing de la projection. Les improvisations à tendance humoristique, où le pléonasme naïf voisine avec les divagations les plus variées semblent être appréciées du grand public. D’après le journaliste de L’Éclaireur de Lunéville, le commentateur d’une séance de foire improvise un véritable délire :

« Pendant une heure [pendant une séance de cinématographe à l’occasion de la fête de la mi-carême à Lunéville], grâce à une intelligente mise en scène pour laquelle il faut féliciter les organisateurs, M.M. Terlin, Ferry, Andreault et d’autres […], une série de vues intéressantes défi laient sur l’écran accompagnées d’explications ahurissantes d’un Barnum mystérieux et vivement applaudi par toute l’assistance 54. »

La désignation de l’explicateur comme « Barnum », en référence au plus célèbre des entrepreneurs de cirque du xixe siècle, permet d’accentuer l’aspect étonnant du commentaire qualifi é d’ahurissant. Le conférencier de l’Imperator, de passage à Rouen en février 1906 devait être plus sobre. Il ne donne lieu à aucun commentaire sur son… commentaire. Il est présenté dans les journaux locaux comme G. d’Avrilly (ou d’Avilly), « conférencier de la salle des Capucines à Paris ». Il « donnera des

• 52 – Prospectus reproduit in Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 50.• 53 – Le Journal de Saône-et-Loire, 18 novembre 1896, in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 128.• 54 – L’Éclaireur de Lunéville, 12 mars 1899, Aurora, op. cit., p. 72.

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explications détaillées de chaque vue cinématographique 55 ». Le même article signale la faconde de l’employé de M. Herlington, présentation publicitaire classique du bonimenteur. Ce terme convient mieux quand le commentaire se fait plus ou moins lyrique, mais naïf et essaye de captiver l’audience sans vraiment y arriver. Arlaud décrit en détail un « boniment » de mélodrame. Il signale aussi que dans certaines salles de quartier, « le bonimenteur devint un personnage si familier qu’il perdit de son autorité. Les spectateurs discutaient avec lui, le moquaient et le prenaient à partie 56 ».

Toutes les pratiques de commentaires coexistent pendant la période avant 1914. Dans le cadre des projections foraines, loin du sérieux d’une conférence pour une société savante, pour savoir quel type de parole accompagne les fi lms, il faut se baser sur les souvenirs de témoins, car les articles de journaux signalent rarement le type de commentaire. Paul Grimault, réalisateur de dessins animés, situe ce souvenir d’enfance quelques années avant 1914 :

« Une tente était dressée […] ; Nous percevions confusément des exclama-tions de surprises mélangées à un bruit continu de mécanique. Un gros bonhomme coiff é d’un panama somnolait devant l’entrée […]. [L’enfant se glisse sans payer sous la tente].Sur une grande toile blanche tendue, on voyait s’agiter des personnages. Un bateau, pris dans la tempête, allait sombrer. Des gens aff olés, cramponnés à une échelle métallique se bousculaient, essayaient de sortir de la cale, recevant des trombes d’eau sur la tête. Je regardais alternativement ce qui se passait sur l’écran et l’homme en bras de chemise qui tournait la manivelle de son projecteur portable en commentant l’action et en poussant des cris de détresse préfi gurant le cinéma parlant. C’est tout ce que j’ai vu. Dans la minute qui a suivi, je me suis retrouvé place de la gare, chassé par l’homme au panama 57. »

Il s’agit ici de l’exploitation foraine la plus simple. Le projectionniste tient également le rôle du conférencier. Le bruit du projecteur s’entend puisqu’il se trouve au milieu du public et que l’opérateur parle à côté de son appareil. Les « exclamations de surprises » entendues à l’extérieur confi rment ce que nous avons vu plus haut à propos des bruits passant à travers la toile de l’installation foraine, dans un sens comme dans l’autre. D’autres souvenirs d’enfance précisent les mots simples utilisés par les explicateurs des baraques les moins luxueuses. L’écrivain Jean Follain se souvient de quelques phrases :

« Pour faire comprendre au public ces fi lms muets, il n’y avait pas de sous-titres, mais le patron de la baraque donnait le sens de chaque scène. Il disait : “Vous allez

• 55 – Le Nouvelliste de Rouen, 7 février 1906, Poupion, op. cit., vol.1, p. 240.• 56 – Arlaud, op. cit., p. 101 sq.• 57 – Souvenir de cinéma de Paul Grimault, Cahiers du cinéma, n° spécial « Un souvenir de cinéma », n° 443-444, mai 1991, p. 35.

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voir le soldat passer en conseil de guerre”, ou bien “la paysanne va intercéder pour que soit gracié le militaire” 58. » L’eff et pléonastique n’est qu’apparent. Une partie du public peut ne pas savoir ce qu’est un conseil de guerre. La visée pédagogique disparaît au profi t d’une volonté d’explication des fi lms, avec un léger eff et d’anti-cipation sur le déroulement de la narration. Parfois c’est la voix du commentateur qui crée le suspens. Julien Green écrit dans ses souvenirs : « Puis une voix d’homme annonçait le titre du fi lm et proférait chemin faisant des commentaires destinés à éclairer l’action. On voyait par exemple des hommes faisant rouler des potirons après lesquels ils se lançaient. “L’aura, l’aura pas” faisait gravement le commentateur 59. »

Pour corser l’eff et du boniment, certains exploitants utilisent un rouleau placé sur un phonographe. Les occurrences sont rares, mais prouvent encore une fois la multiplicité des pratiques : « La soirée est close par un boniment du phonographe qui a “l’honneur de nous remercier” et qui prie de lui envoyer du monde. Le spectacle en vaut la peine, nous essaierons. [signé] T. Hatreux 60. »

Paroles régionalesLa multiplicité des appellations ne traduit pas seulement la visée pédagogique

ou festive du conférencier, commentateur ou « bonimenteur » (ce dernier terme étant très rare en ce qui concerne l’intérieur de la salle) mais également les adap-tations régionales. « L’explicateur de vues », autre nom courant, est par exemple appelé « diseur à voix », ou « diseuse » si c’est une femme dans les salles de Belgique, alors qu’en France ce terme désigne une forme particulière de chanteur ou déclamateur 61. Dans les diff érentes régions françaises, les patois locaux peuvent être utilisés pour attirer le public. En suivant Germain Lacasse nous parlerons d’arraisonnement d’une production centralisée. Tous ces fi lms qui viennent de la capitale peuvent devenir un spectacle « local » grâce à la voix du « bonimenteur », ou de la « bonimenteuse » comme dans l’exemple ci-dessous :

« À Molsheim, par exemple, le cinéma est né dans la “salle de la ville de Paris” [d’après le témoignage de Mme Mathilde Müller]. On ajoutait simplement une toile sur un mur, et le fi ls de l’aubergiste lançait les bandes

• 58 – Jean Follain, Canisy, Gallimard, 1942, repris in Prieur, op. cit., p. 40.• 59 – Julien Green, Partir avant le jour, 1963, in Jeunes années, Seuil, 1992, repris in Prieur, op. cit., p. 46.• 60 – L’Écho de Châtellerault, 18 novembre 1896, cité in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 146. Remarquons le « joli » pseudonyme utilisé par le journaliste !• 61 – Pascale Bertolini et Jacques Polet, « Boniments, explications et autres bruits de scène : les accompagnements de spectacles cinématographiques muets en Belgique », in Gaudreault et Lacasse (dir.), op. cit., p. 145-160. Sur les diff érentes appellations voir dans la même revue l’article d’André Gaudreault et Jean-Pierre Sirois-Trahan, « Le retour du [bonimenteur] refoulé… », op. cit., p. 17-32.

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muettes que sa mère commentait avec verve (en alsacien, bien sûr). Tout cela dans une atmosphère bruyante et bon enfant 62. »

Dans ce village, l’emploi de l’Alsacien n’est pas un élément de rébellion face au parisianisme, mais plutôt un acte de résistance face à l’obligation de parler l’allemand de Berlin. À cette date en eff et, l’Alsace et une partie de la Lorraine sont intégrées à l’Allemagne. L’arraisonnement local par le patois permet une diff érenciation de l’ap-prentissage de la langue de l’occupant. Il facilite aussi la compréhension par le public. De la même façon, les « termajis » bretons (nom dérivé de « lanterne magique ») traduisaient en breton les cartons, et commentaient dans la langue locale les vues projetées 63. Il reste à vérifi er comment se déroulaient des séances au pays basque, en Corse, et autres régions à forte identité régionale. Il semble logique que chaque fois que des personnes ne connaissaient pas bien le français, une traduction était assurée en direct par un volontaire bénévole, ou plusieurs (un enfant traduisant pour ses parents ou ses grands-parents). Les séances avec fi lms, plus que les autres spectacles nécessitaient un médiateur. Si le commentateur était de la région, il faisait son boni-ment directement dans le parlé local. Les cartons des fi lms, eux, étaient forcément en français et nécessitaient un intermédiaire qui sache lire et traduire.

Doublages en directParfois des acteurs accompagnent un fi lm en direct. Ce n’est plus la voix d’un

bonimenteur, pas vraiment de la synchronisation et pas non plus du bruitage. M.M. Deslandes et Richard imaginent de façon étonnante la genèse des doublages derrière l’écran :

« Quand les acteurs de théâtre commencèrent à jouer leurs rôles devant la caméra comme ils le faisaient sur les planches, en déclamant, le fi lm conservant l’image des lèvres qui bougeaient sans émettre aucun son, le public éprouva un malaise : le bruitage ne suffi sait plus ; il manquait les paroles. C’est alors que certains exploitants forains s’eff orcèrent de faire parler l’image ou d’en donner l’illusion : le patron, sa femme, les enfants, les employés, s’ils avaient la voix bien timbrée, cachés derrière l’écran, parlaient pour les héros du fi lm dont ils suivaient le jeu sur l’envers de l’étoff e ; ces improvisations, plus ou moins synchrones, n’ont malheureusement pas été fi xées dans la cire des cylindres de phonographe. Nous savons seulement qu’elles se pratiquèrent dans les établissements forains comme “Le cinéma des Casquettes Rouges”, dirigé par Lafl eur 64. »

• 62 – Odile Gozillon-Fronsacq, op. cit., p. 70.• 63 – Tangui Perron, Le Cinéma en Bretagne, op. cit.• 64 – Deslandes et Richard, op. cit., p. 202.

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Les « malaises » des spectateurs face au manque de parole restent à démon-trer. Par contre des spectacles cinématographiques avec doublage en direct dans la salle circulaient dans toute la France. Mais ils furent beaucoup plus nombreux aux Etats-Unis 65. Pour la France, il faudra encore des recherches poussées dans tous les quotidiens de toutes les villes pour trouver plus d’occurrence de ce type de spectacle.

On sait que Fregoli, le plus célèbre des transformistes, aussi crédible dans les rôles féminins que masculins, a rapidement utilisé le cinématographe (il était ami des frères Lumière depuis 1897) pour fi lmer quelques sketches. Passer les vues de son frégoligraphe lui permettait de se reposer un peu. Il aimait commenter ces courts fi lms, ou faire les voix des diff érents personnages, depuis la coulisse. Il triomphe à Paris pendant plus de neuf mois, en 1900, puis fait des tournées dans toute la France et en Europe 66. Comme il pouvait faire 15 voix diff érentes, l’artiste italien doublait certains des fi lms. En général le frégoligraphe se plaçait en 3e partie de programme avec une dizaine de fi lms, sur les 26 qu’il aurait tournés à partir de 1897. Quand il montrait le secret de ses transformations avec Fregoli en coulisse, il commentait, expliquait comment se déroulait le rapide passage en coulisses au milieu de ses assistants qui lui mettaient ses nouveaux vêtements. Pour les sketches fi lmés, comme Au restaurant ou Un tour de Fregoli, et surtout Les Sérénades de Fregoli, son grand succès sonore, il explique dans ses Mémoires comment il créait la voix de chaque personnage :

« Je voulus donner une voix à ces ombres, à ces fantômes, non pas au moyen de disques, mais directement. Je me cachais dans les coulisses, près de l’écran (la projection se faisait de la scène et par transparence), je récitais les répliques de chaque personnage du fi lm et chantais les morceaux de musique accompagné par l’orchestre – tout cela si bien synchronisé que le public avait exactement l’impression que paroles et musiques provenaient de l’écran 67. »

Les bonimenteurs pouvaient eux aussi faire plusieurs voix pour donner vies aux diff érents personnages. À Lyon, le directeur du grand théâtre de variété, Scala-Th éâtre, propose un « doublage en direct » :

« M. Rasini, le directeur du théâtre de la Scala a imaginé que le cinéma-tographe même accompagné de bruits était insuffi sant ; il improvise un dialogue conforme aux scènes projetées et le public croit voir et entendre les

• 65 – Cette pratique se développe surtout à partir de 1907, cf. Jeff rey Klenotic, « Th e Sensational Acme of Realism : Talker Pictures as Early Cinema Sound Practice », in Richard Abel et Rick Altman (dir.), The Sounds of Early Cinema, Bloomington, Indiana University Press, 2001, p. 156-166.• 66 – Jean Nohain et François Caradec, Frégoli, La Jeune Parque, 1968, p. 36 sq.• 67 – Ibidem, p. 85.

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personnages. Ce système est baptisé “théâtrographe”. Eh bien, franchement, si je veux entendre des artistes, j’irai au théâtre… pas “graphe”. Ce qui me fait plaisir au cinéma, c’est que je ne les entends pas 68 ! »

Ce numéro dura-t-il longtemps ? Le directeur de la Scala de Lyon s’intéressait au son car il obtint par la suite de Gaumont la diff usion, quasi-exclusive, des phonoscènes sur Lyon. Le spectacle ne semble pas très convaincant. Les documents indiquent peu d’experts de ce style en France, alors que les Benshis japonais ou les Byun Sa coréens développèrent cette technique de voix multiples jusqu’à la perfection 69. Ces derniers semblent avoir plus proposé de « boniment performa-tif », selon l’appellation de Germain Lacasse, que leurs homologues français restant dans « l’explicatif 70 ».

La technique la plus répandue reste celle de l’explication des vues, et parti-culièrement le commentaire sur les vues de voyage. Il s’agit probablement de la tradition la plus ancienne d’accompagnement orale des images qui perdure encore aujourd’hui.

Safaris, histoires saintes et histoires drôlesDes travelogues français ?

Une séance exceptionnelle demande la présence spécifi que d’un conférencier. Pour des fi lms exotiques, un aventurier peut décrire les paysages lointains et expli-quer la vie des animaux. En 1913, les Chasses africaines de M. Rainey montre les exploits d’un Américain. Le fi lm passe en France avec un accompagnement savant donné par M. H. Gallet, « conférencier parisien ».

« Le brillant public qui se presse chaque jour à la belle salle [du Royal de Lyon] a fait un accueil enthousiaste aux vues sensationnelles des grandes chasses africaines de J. Paul Rainey. Ce fi lm stupéfi ant est en représentation depuis six mois à New York, trois mois à Londres, deux mois au Casino de Paris et partout il obtint le même succès. […] Ces projections sensa-tionnelles sont agrémentées de commentaires intéressants de M. H. Gallet, conférencier parisien 71. »

• 68 – Phono-Ciné-Gazette, n° 46, 15 février 1907.• 69 – Merci à Jee Yeon Park et à Hae Jae Lee. Sur les voix multiples : Joan-Gabriel Tharrats, « El Benshi, una remarcable experiencia japonesa de cine sonoro », in Actas del IV Congreso de la AEHC. El Paso del mudo al sonoro en el cine español, Madrid, Ed. Complutense, 1993, p. 345-352.• 70 – Lacasse, op. cit., p. 128.• 71 – Lyon républicain, 22 juin 1913.

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Affi che pour une séance de « connaissance du monde », 2005, coll. part.

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Après Lyon, Saint-Étienne bénéfi cie de cette présentation des « faunes équa-toriales, depuis les pachydermes, les géants du désert, l’éléphant, le brutal rhino-céros, jusqu’à l’inoff ensive gazelle 72 ». Même dans des salles fi xes et spécialisées, des tournées cinématographiques avec un présentateur spécifi que, continuent de circuler. Cette description de paysages exotiques par un spécialiste, existe de nos jours, avec des circuits de conférences cinématographiques comme « Connaissance du monde » (voir affi che reproduite p. 113).

La tradition remonte à la fois aux conférences pédagogiques, dont nous avons parlé plus haut, et au travelogue américain. Ce mot forgé, en 1904, à partir de travel (voyage) et monologue définit la « ciné-conférence » avec présence de « l’aventurier » dans la salle. Dés 1897, l’Américain Burton Holmes (1870-1958) utilise une caméra Gaumont, en plus de ses plaques, pour montrer ses voyages à travers le monde73. Les conférenciers spécialisés dans les voyages ont organisé leurs séances avant l’arrivée du cinématographe. La structure de ces projections ne change pas quand le fi lm s’ajoute aux plaques. Cette série culturelle est essentielle pour comprendre tout le versant documentaire du cinéma74. Le conférencier n’est pas toujours le réalisateur du fi lm. On peut avoir une idée du commentaire de « travelogue » français avec le fi lm Jérusalem (Gaumont, circa 1910) proposé sur le DVD Le Muet a la parole, comme nous l’expliquons ci-dessous.

Histoires saintesPour des séances à caractère religieux, dans une salle commerciale, le confé-

rencier se trouve cité dans l’annonce. Il peut habituellement commenter les vues programmées, mais les notules du journal ne le précisent pas. « Jamais spectacle n’a fait courir tous les Niçois autant que celui qui est actuellement donné au Grand Cinématographe Pathé de la rue Cotta : La Passion et la mort de N.S.J.C. est un magnifi que drame biblique composé de 17 grandes scènes dont un conférencier explique les phases au fur et à mesure des projections 75. »

La grande précision de la dernière phrase révèle que des conférenciers pouvaient se contenter de ne donner que le titre de la vue. Ici l’annonce explique que l’em-ployé du « cinéma » parle pendant les fi lms. La proximité des fêtes de Pâques explique aussi l’insistance sur une séance exceptionnelle, même si d’autres salles ne tardent pas à passer le même fi lm (sans préciser si elles utilisent les services d’un conférencier).

• 72 – Les Annales foréziennes, 20 juillet 1913. Au cinéma Étoile-Th éâtre. F. Zarch, op. cit., p. 341.• 73 – Genoa Caldwell (dir.), Les Travelogues de Burton Holmes, le plus grand voyageur de son temps, 1892-1952, éditions Taschen, 2008.• 74 – Rick Altman a analysé ce phénomène aux USA dans Silent Film Sound, op. cit.• 75 – L’Éclaireur de Nice, 30 mars 1907.

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La restauration d’une vue, accompagnée par un commentaire, nous permet d’avoir une idée de la façon dont le discours était prononcé. Le fi lm Gaumont Jérusalem sur lequel a été (re)placé un commentaire d’époque (circa 1910) nous fait entendre une déclamation solennelle comportant peu d’éléments historiques 76. L’emphase du discours souligne la vision européo-centrée. Les deux autres religions du Livre sont méprisées par le commentateur (« Jérusalem, cité sainte pour les Israélites […], pour les Musulmans […], cité sainte surtout pour les Chrétiens », dit-il), car seule compte la vision catholique et française de la ville sainte. Le discours commence même par cet intéressant anachronisme : « Jérusalem, capi-tale pendant deux siècles d’un royaume français [sic] de la Palestine » ! Après avoir décrit la Mosquée d’Omar et des tombes « israélites », le conférencier termine : « Tout cela nous intéresse, mais ne nous émeut pas. Notre cœur est ailleurs, nos regards se portent vers cette colline des oliviers où le Christ descendit au jour du triomphe […]. »

Avec cet exemple on imagine ce que devait être une conférence, dans une salle commerciale, sur un fi lm religieux. L’exaltation des valeurs chrétiennes étaient sans aucun doute au centre du discours. La « neutralité laïque » n’était pas à l’ordre du jour, sauf peut-être dans certaines salles, dans certains quartiers… où les fi lms religieux avaient sans doute peu de chance de passer.

Loin des préoccupations religieuses, des explicateurs de vues pouvaient aussi essayer d’amuser les spectateurs.

Histoires drôlesLe terme de conférencier est quasi systématiquement utilisé. Dans toutes les

lectures que nous avons faites, des archives aux revues, nous n’avons trouvé qu’une seule occurrence du terme « bonisseur » pour désigner un conférencier, après 1907 :

« Dernier écho de la grève des électriciens. L’obscurité s’étant faite soudain dans un de nos plus élégants Cinémas-Th éâtres, le “bonisseur” impertur-bable s’écrie : “Mesdames et Messieurs, la vue que nous allons avoir l’hon-neur de passer nous a été gracieusement prêtée par L’Eclipse… la seule marque autorisée par le citoyen Pataud !”77. »

Ce gag ne prouve pas que le terme de bonisseur pouvait aussi désigner les expli-cateurs de vues à l’intérieur des salles, car il s’agit ici d’amuser le lecteur. Cette notule intitulée « le mot de la semaine », montre que le commentateur de vues annonçait de façon classique les titres des fi lms, et les marques des compagnies de production.

• 76 – Reconstitution eff ectuée pour le DVD accompagnant l’ouvrage : Giusy Pisano et Valérie Pozner (dir.), Le Muet a la parole. Cinéma et performances à l’aube du XXe siècle, AFRHC, 2005.• 77 – Ciné-Journal, n° 1, 15 août 1908.

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Même les très petites salles de quartiers, à Paris, proposent les explications d’un conférencier. Le « Cinéma de la Lune », de 1909 à 1914, dans le IIe arrondissement, accueillit le future cinéaste et producteur, Henri Diamant-Berger :

« Je me souviens encore d’une petite salle de la rue de la Lune ; là je vis un fi lm de trucage, intitulé L’Omelette : tout se passait à l’envers ; on partait de l’omelette, elle remontait à sa source, et cela fi nissait sur la poule en train de ravaler l’œuf au lieu de le pondre. Les spectateurs se tordaient de rire… Un commentateur précisait pompeusement les intentions du fi lm 78. »

Dans les souvenirs des témoins, les conférenciers semblent donner un commen-taire sentencieux, en tout cas trop sérieux par rapport au contenu des fi lms. Le discours semble souvent superfétatoire. Mais comme les Mémoires de ces specta-teurs sont écrits longtemps après, ils peuvent retranscrire une impression faussée par le temps. À l’opposé, on trouvait également des explicateurs qui ne visaient qu’à faire rire le public. Blaise Cendrars, dans un livre autobiographique, que nous avons déjà cité et qui relate ses pérégrinations dans Paris pendant la Grande Guerre, décrit l’accompagnement verbal que le directeur d’un cinéma-bistro (selon l’orthographe de Cendrars) off rait à ses spectateurs :

« Pour les fi lms de Charlot, il improvisait des sketches vertigineux et irrésis-tibles. Sa voix imitait toutes les contorsions, toutes les acrobaties de Charlot et de ses comparses, et dans les moments pathétiques, quand l’action marquait un temps d’arrêt pour laisser apparaître en gros plan sur l’écran la face consternée de Charlot, fi gé, hébété, foudroyé, avec ce sourire si triste, à retardement, désarmé, qu’il a devant la méchanceté du sort, quand il est désemparé, qu’il tombe de son haut, que la vie lui a rogné les ailes, M. Nouvel-An [le propriétaire de la salle] trouvait des mots d’un drôle qui vous tirait des larmes. Le petit chapeau, le large pantalon, la petite canne, la fuite, la chute, les glissades, l’équilibre instable, la soif, la faim, l’amour, chacune des particularités de Charlot avait sa voix propre, son intonation spéciale, son accent et son timbre. Il y avait des grimaces, des gifl es, des coups, d’aff reux retours sur soi-même, un étonnement angélique dans les intonations que M. Nouvel-An savait prendre ; sa voix arrivait même à rendre la démarche les pieds en dehors de Charlot 79. »

L’imagination de Cendrars a pu enjoliver cet accompagnement des films de Chaplin. L’auteur retranscrit néanmoins l’ambiance d’un bar-cinéma. Les commentaires plaisent au public et mettent à mal l’idée de Chaplin selon laquelle ses fi lms ne pouvaient pas supporter de paroles.

• 78 – Henri Diamant-Berger, Il était une fois le cinéma, Jean-Claude Simoëns, 1977.• 79 – Blaise Cendrars, op. cit., cité in Prieur, op. cit., p. 105 sq.

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Salles de standingDans des salles d’un meilleur standing, on annonce un « conférencier ». L’époque

est à la couleur. Gaumont passe ses fi lms Chronochrome dans plusieurs salles. Le Cinéma Edouard VII, nouvelle salle de luxe, s’ouvre au début 1913 et se consacre exclusivement au procédé Kinemacolor. La société de Charles Urban, qui gère cette salle pour montrer son système « en couleurs naturelles », explique : « un conféren-cier français sera spécialement attaché au théâtre ». Ces fi lms en couleurs montrent surtout des paysages exotiques. Le conférencier, expert géographe, présente les vues cinématographiques en les remettant dans le contexte de chaque pays visité. On vise un public de prestige car la salle est luxueuse, tout en dorures et en velours et possède 800 places assises 80. Le programme exclusivement composé de fi lms en couleurs ne suffi t pas à rentabiliser ce lieu qui mêle ensuite cinéma et danse, art lyrique et conférences, prouvant, une fois de plus, la relativité de la spécialisation des salles.

Un célèbre conférencier aurait obtenu le record de 1 000 prestations dans diff é-rentes salles, et Phono-Ciné-Gazette propose de le remplacer par un phonographe :

« Le phonographe va devenir conférencier pour le cinématographe. Et pourquoi pas ? Le cinématographe a souvent été présenté par des conféren-ciers éminents. Lefèvre a fait mille conférences cinématographiques, à Paris seulement, c’est d’ailleurs le record de la conférence. Le public ne s’en est point lassé, mais Lefèvre s’est fatigué et a déserté les applaudissements qui l’accueillaient à la millième comme à la première conférence.Le nouveau conférencier, lui, ne se fatiguera pas et ne se lassera pas. Il sera toujours jeune, si on remplace les disques usés, si on envoie un courant d’air égal dans son compresseur [l’amplifi cation se fait par air comprimé]. Et le phonographe devenu conférencier, nous dira, avec la voix d’un grand artiste, la scène qui se déroulera devant nos yeux 81. »

Edmond Rostand avait écrit un texte pour ce phonographe-conférencier, texte que devait enregistrer la grande actrice Rachel. La revue ne suivit pas la trace de cette idée et on ne peut savoir si le procédé a été mis en œuvre. Cet article nous renseigne sur la reconnaissance que pouvait avoir certains spécialistes de la confé-rence commerciale documentaire comme ce Lefèvre.

Le programme du Cinéma-Th éâtre-Saint-Antoine, dans le XIIe arrondisse-ment, pour la semaine de 16 au 22 août 1912, explique : « le piano sera tenu par M. Hébrard ; conférencier, M. Mikel 82 ». Dans le Xe, le Cinéma Parmentier,

• 80 – Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 340 sq, et Courrier cinématographique, n° 5, 1er février 1913.• 81 – Phono-Ciné-Gazette, n° 79, 1er juillet 1908.• 82 – Affi che programme des collections de la bibliothèque historique de la ville de Paris, repro-duite in Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 211.

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transformé et agrandi à 500 places en 1909, prend comme conférencier Lucien Colomès, qui devint ensuite directeur de cinéma 83. Les petites et moyennes salles des quartiers de Paris utilisent volontiers les services des « explicateurs de vues ». L’étude des petites annonces parues dans la presse corporative prouve également que la profession se développe pendant les années précédant 1914 84. On trouve régulièrement des demandes du type : « Bon conférencier. Références. Écrire Byttebier, 34 bis rue d’Aubervilliers 85. » Réciproquement des bonnisseurs et confé-renciers cherchent des emplois grâce à ces annonces : « Bonisseur très au courant du cinéma cherche place. Jean Seurre, 283, rue Saint-Denis. Bonisseur pour cinéma cherche place. Écrire Vaijant Claudius, 74 rue N.D. de Nazareth. Conférencier instruit. Bonne élocution demande place cinéma. V. T. au Cinéma 86. » La profes-sion existe et les conférenciers circulent de salle en baraque foraine haut de gamme. Un spécialiste du cri à l’extérieur de la salle se dit « au courant du cinéma ». Alors qu’un conférencier se distingue par son « instruction ». Les petites annoncent refl ètent la spécialisation des aboyeurs et des explicateurs.

Dans certains lieux, le rejet du bonimenteur / bonisseur / explicateur / confé-rencier permet de distinguer le standing de la salle. Certains intellectuels refusent d’être « pris pour des imbéciles » et dénoncent les commentaires explicatifs : « La scène, si elle est bien mimée, ne doit pas avoir besoin d’explications verbales ou écrites. Je hais le “bonnisseur” qui me prend, moi, public, pour un imbécile inca-pable de comprendre ce qu’on lui fait voir et ne me laisse pas le plaisir de deviner » explique Jean Laurens dans Phono-Ciné-Gazette, en 1906 87. Est-ce la conséquence directe de cet article ? Cette revue, première tentative d’hebdomadaire corporatif en France, avait une importance certaine pour les exploitants. Laurens exprimait également l’attitude d’un public cultivé qui fréquentaient certaines salles pari-siennes. À la fi n de 1906, quand Pathé ouvre l’Omnia, boulevard Montparnasse à Paris, le programme distribué aux spectateurs signale un bruiteur (on dit alors bruitiste) mais pas de bonimenteur :

« Nous n’avons pas voulu de “conférencier”, c’est-à-dire d’un explicateur de vues. Un fi lm qui ne se comprend pas ne peut convenir au public, et s’il se comprend, l’explication ennuie le public qu’on prend pour “une bête” 88. »

• 83 – Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 210.• 84 – Cf. les recherches eff ectuées par André Gaudreault et François Albéra, lors du colloque « le muet a la parole », Le Louvre, juin 2004.• 85 – Le Cinéma et l’écho du cinéma réunis, n° 43, 20 décembre 1912.• 86 – Le Cinéma et l’écho du cinéma réunis, n° 4, 22 mars 1912• 87 – Phono-Ciné-Gazette, n° 35, 1er septembre 1906.• 88 – Programme cité par Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 145.

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Cette profession de foi paraît minoritaire et correspond à une salle qui veut par son standing attirer un public choisi.

Comme nous l’avons vu dans ce chapitre, la voix humaine accompagne souvent les fi lms. Lorsque les journaux corporatifs se développent (1906-1912), les nombreuses annonces liées au métier prouvent une présence importante des conférenciers dans les salles, et des bonisseurs à l’extérieur, même si pour l’instant des statistiques sont très diffi ciles à établir. Mais si on observe les « Manuels pour conférenciers », la variété des types de discours sur les fi lms, l’importance de la volonté pédagogique d’accompagnement, la continuité de certaines traditions, comme les travelogues / fi lms de voyages, on peut conclure sans risque à une présence massive de la voix de commentaire. Quel que soit le type de salle, tempo-raire, foraine ou spécialisée, le conférencier est un des sons essentiels au spectacle cinématographique avant 1914 en France. Cet employé doit parfois lutter contre la concurrence du « bruiteur ». Ce dernier fabrique un des sons d’accompagne-ment du fi lm et l’analyse de son travail est nécessaire à la compréhension de ce que devait être l’expérience d’un spectateur avant la Grande guerre.

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C h a p i t r e   V

Bruitages

Nous utilisons les termes de « bruitage » et de « bruiteur », mais ces mots apparaissent rarement à l’époque. Les « bruits de coulisse » sont alors créés par un « bruitiste », parfois un « bruisseur », un « homme chargé des bruits » ou un « accessoiriste ». Cette appellation variable signifi e aussi que le statut professionnel n’a pas été défi ni rapidement et ne s’est pas stabilisé. La tradition du théâtre et de ses bruits de coulisse se mêle à celle de l’opéra pour expliquer la présence de ces accessoiristes actifs pendant les projections. Dans les opéras baroques, comme par exemple King Arthur de Henry Purcell, en 1691, qui contenait d’ailleurs des passages proches du théâtre ou de la danse, les bruitages sont essentiels. La « machine à vent » est employée comme un instrument de musique. Elle se retrouve, avec de nombreux autres accessoires dans les salles montrant des fi lms à la Belle Époque. Le bruitage, entre les années 1906 et 1914, s’est assez développé comme accompagnement des fi lms pour que de nombreuses fi rmes fournissent des appareils spécialisés dans ce domaine, comme nous allons le constater ci-après. Nous observerons aussi que cette pratique concerne des salles de tous types, du forain à la salle de luxe. Nous évoquerons les bruitages « à la bouche », les « musi-ciens-bruiteurs » et les quelques cas de simulations sensorielles complètes alliant tradition foraine et avancées technologiques.

Le bruiteur ( bruisseur ou bruitiste) avec son bric-à-bracDans les salles et chez les tourneurs

À Paris, dès les premières séances régulières, on trouve des imitations de bruits. Les grands magasins Dufayel signalent dans leurs publicités, dès 1899 et toujours en 1904, la perfection du rendu des bruits de la nature. « Tous les jours de 2 heures

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à 6 heures et le dimanche de 10 heures à midi, le Cinématographe Lumière avec imitation parfaite des bruits : de l’eau, du pas des hommes et des chevaux, du roulement des attelages, crépitation de la fusillade, grondement du canon, scènes animées et parlées, etc. 1. » La même phrase se retrouve dans le programme de 1904, qui a par contre beaucoup changé d’aspect. Les expériences scientifi ques expliquées en 1899 et qui occupaient les trois-quarts de l’affi che ont disparu au profi t de la liste précise des fi lms présentés lors de chacune des quatre séances qui ponctuent les présentations cinématographiques de l’après-midi 2. Dans le cas du cinématographe Dufayel, on constate la permanence des bruiteurs pendant au moins cinq ans. Quand un spectacle particulièrement étonnant est off ert au public, on retrouve des descriptions précises dans la presse ou dans les Mémoires des participants. Le bruitage utilisé par la Ménagerie Bidel, pour accompagner ses fi lms, est ainsi détaillé : « Sur l’écran, un transatlantique, dont la sirène mugit en coulisses, vous emmène pour une longue croisière qui va commencer au pôle Nord 3. » Quand les bruitages existent, les véhicules, bateaux, calèches, trains, etc., profi tent largement de la dextérité des hommes de l’art. Un de ces professionnels de l’imitation « de la vie », selon la formule souvent reprise dans les journaux, est engagé par l’Omnia-Pathé pour son ouverture en décembre 1906, comme on l’a vu ci-dessus. La salle, qui devient le prototype de ce qui va s’appeler « salle de cinéma » en France, est assez riche pour avoir un bruiteur accompagné d’un assistant. L’artiste des sons, Barat, est un ancien chanteur de café-concert. « Avec un attirail fort simple, il est capable de recréer à s’y méprendre tous les bruits imaginables : les vagues de l’océan avec une sphère de tôle contenant des plombs de chasse, tous les vents possibles depuis la brise légère jusqu’à la tempête avec des cordes tendues sur une toile métallique, sans parler des cloches, des coups de feu […] 4. » Barat a un assistant de 14 ans, qui n’est autre que le futur acteur, Charles Vanel. Dans ses souvenirs, Vanel décrit ainsi la présentation du métier faite par Barat :

« Tu comprends petit, lui dit Barat en parlant des spectateurs, ils en ont plein la vue, mais il faut leur en mettre plein les oreilles ! […] Il faut que tu comprennes que j’ai besoin d’un garçon consciencieux. Il ne s’agit pas que le coup parte quand le type est mort ! Il faut quelqu’un qui sente venir l’eff et ! Je vais te dire, petit : c’est un travail d’artiste 5. »

• 1 – Programme de 1899 reproduit in Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 37.• 2 – Programme de 1904, reproduit in Meusy, ibidem, p. 100.• 3 – Meusy, ibid., p. 127.• 4 – Meusy, ibid., p. 144.• 5 – Souvenirs de Charles Vanel, recueillis par Jacqueline Cartier, Monsieur Vanel, Robert Laff ont, 1989, cité in Meusy, ibid., p. 144.

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Remarquons la volonté d’obtenir la plus grande synchronisation possible entre l’événement à l’écran et le bruit dans la salle. La dextérité dont fait preuve Barat, dès l’ouverture de l’Omnia-Pathé, nous indique qu’il pratiquait déjà le bruitage depuis plusieurs années. Il pouvait être accessoiriste dans un théâtre.

Les tourneurs, passant de salle en salle, viennent parfois avec tout un équipe-ment pour le bruitage, comme ce Cinématographe Géant qui s’installe au début de 1907 au théâtre du Châtelet. Ce spectacle annonce sur un grand calicot en façade du théâtre : « avec imitation des bruits ». C’est aussi le cas du Cosmographe Faraud. Après être passé par Épinal, il s’installe en janvier 1901 au Casino de Nancy. L’orchestre du Casino, dirigé par M. Truchet, accepte de bruiter une partie des éléments vus dans les fi lms, en plus de produire l’accompagnement musical. Certains bruits ne peuvent être fournis que par des « accessoires » apportés par Faraud et son équipe. La Soirée nancéenne nous décrit le spectacle :

« A-t-on sous les yeux un défi lé militaire, aussitôt l’orchestre fait entendre une fi ère marche guerrière […], voit-on un combat, la batterie devient… batterie d’artillerie et les accessoires fonctionnent fort à propos. En même temps qu’une personne tire une cloche, on entend un son ; tout est imité, depuis le galop d’un cheval jusqu’au bruit du trottoir roulant. Et voyez ce qu’il faut créer, ce qu’il faut déployer d’ingéniosité quand c’est le Cosmographe Faraud qui opère ; chaque soir, changement, vues nouvelles et inédites à chaque représentation6. »

Si on se reporte aux journaux américains, on peut voir sur des croquis et des cari-catures les diff érents objets qui permettent le bruitage, depuis la tôle qui imite l’orage jusqu’à la vaisselle qui se brise à chaque scène de ménage dans un fi lm, en passant par la « machine qui fait meuh ! 7 ». Un autre tourneur, dont on trouve des traces dans toute la France, de Rouen à Lyon, en passant par Limoges, utilise lui aussi une grande quantité d’objets pour reproduire les sons de la vie 8. Les journaux nancéens décrivent les séances du Royal Vio qui se déroulèrent d’août à septembre 1905.

« À l’ambiance de l’assistance s’ajoutent les bruits provenant des coulisses et réalisés par l’orchestre : ronfl ement des autos, des locomotives, coups de canons, de fusils, clameur des foules… accréditent l’authenticité des scènes 9. »

• 6 – La Soirée nancéenne, 23 janvier 1901. Cité in Aurora, op. cit., p. 84.• 7 – Ces images de matériel de bruiteurs et des artistes en pleine action sont reproduites dans Charles Musser, Lyman Howe…, op. cit., passim.• 8 – Th e Royal Vio reste du 3 mars au 2 avril 1905 à Rouen, au cirque municipal. Le scrupuleux Olivier Poupion ne signale pas de bruitage, ce qui signifi e que les journaux n’en parlent pas… dans cette ville. O. Poupion, op. cit., vol.1, p. 331.• 9 – Aurora, op. cit., p. 88 sq.

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Le propriétaire du Royal Vio devait apporter le matériel nécessaire à ces imita-tions si variées. Les journalistes, en disant que l’orchestre « réalisait les bruits », signalaient en fait que la source était au même endroit. Certains sons étaient reproduits par les instrumentistes, particulièrement le batteur, d’autre part des spécialistes placés également dans la fosse d’orchestre. À l’Olympia-Cinémato-graphe du forain Alfred Franck, on utilisait un vélo « à lame de bois » :

« Pour L’Arrivée du train en gare, le trucage était très répandu : avec une espèce de vélo, l’employé pédalait, il y avait des lames de bois, comme dans des moulins à eau, qui venaient taper le parquet ; ça donnait le bruit du train en route 10. »

Certains tourneurs engageaient des enfants qui, contre la gratuité à toutes les séances, s’amusaient à casser de la vaisselle, siffl er, etc. La synchronisation ne semble pas avoir été parfaite avec ces jeunes amateurs 11. Les très jeunes gens pouvaient être salariés, mais à moindre coût : « On demande de suite un garçon de salle susceptible de faire des bruits de coulisse, de préférence un jeune homme de 17 à 18 ans 12. » Dans ces petites salles, le bruiteur ne semble pas être considéré comme un employé essentiel. Il faut qu’il soit jeune, souple, rapide et ne coûte pas cher. De temps en temps, les articles de cinéma signalent la qualité du brui-tage : « Les bruits sont exécutés avec une perfection absolue », écrit la Dépêche de Rouen 13. Mais de nombreux bruiteurs ne sont pas spécialisés :

« Jeune homme sérieux, libéré service militaire, demande place électricien ou pour faire bruits de coulisses dans cinématographe stable ou voyageant, irait aux colonies. Écrire C. D., n° 1, Poste Restante, Bordeaux 14. »

Un des bruits les plus couramment reproduits est celui des coups de feu. Le tourneur Hermand, avec son Grand Cinématographe Américain, transportait le matériel nécessaire au réalisme des scènes de guerre qu’il projetait dans ses « actua-lités ». Ce vérisme semble poussé très loin car il pouvait eff rayer les enfants, d’après l’annonce publiée à Rouen :

« Afi n que les petits puissent être amenés par les grands, M. Hermand retirera du programme le Roman d’amour et le remplacera par une fantaisie

• 10 – Souv enirs d’Alfred Bonamy, petit-fi ls d’Alfred Franck, in Christian Py et Cécile Ferenczi, La Fête foraine d’autrefois. Les années 1900, Lyon, La Manufacture, 1987, p. 63.• 11 – Arlaud, op. cit., p. 75 sq.• 12 – Annonce passée par un petit cinéma près de la Bastille, parue dans Le Courrier cinémato-graphique, n° 25, 15 juin 1912.• 13 – La Dépêche de Rouen, 21 juin 1911, Dans une salle de Rouen avec un orchestre de 20 musi-ciens dirigé par Charles Pauchet. Merci à Henri Bousquet pour l’information.• 14 – Ciné-Journal, n° 30, 18 mars 1909.

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amusante pour enfants. En outre, aucune détonation n’accompagnera les projections de la Guerre Russo-Japonaise, afi n de ne pas eff rayer les bambins nerveux 15. »

Les séances du jeudi ne sont donc pas bruitées, mais les autres jours, la pétarade doit être assez puissante ! Ce type de remarque se retrouve de temps en temps.

« Bruits de coulisse : À la demande des familles, la direction du Pathé-Omnia a décidé de supprimer les coups de feu qui eff raient les enfants et déplaisent à toutes les dames. Nous signalons le fait pour qu’il soit imité 16. »

Les tournées moins luxueuses que celles en contrat avec Pathé, utilisent aussi les services d’un bruiteur. M. Bétancourt, de la tournée Kinéma, se plaint en 1909 de la gratuité pour les employés de mairie, pompiers de service, « rédacteurs de journaux qui font de la publicité gratis », etc. « Et tout ce beau monde va se loger, pour être bien tranquille, sur scène », c’est-à-dire dans les coulisses. « De sorte que l’exploi-tant qui va, à un moment donné de la représentation, donner des instructions à l’homme chargé des bruits de coulisse, voit avec stupeur une cinquantaine de clients non-payants 17. » Ce tourneur de la Haute-Marne, en dénonçant les privilèges de ceux qui viennent en famille assister gratuitement aux projections, nous prouve que la présence du bruiteur est sans doute courante dans les petites tournées. Mais cette pratique semble si banale qu’elle n’est signalée que lors d’incidents.

Bruitage et concurrenceLa rareté d’éléments sur les foires et le contenu exact des séances cinématogra-

phiques empêche de trancher sur la présence massive des bruiteurs. Les tourneurs et salles fi xes ont peut-être plus de moyens pour faire leur publicité ? Peut-être fut-il nécessaire que des salles se spécialisent vraiment dans la projection exclusive de vues animées pour que le bruiteur devienne un employé régulier des exploitations cinématographiques ? Le ton de la description peut signifi er que cette présence n’a rien d’exceptionnel.

« Hier inauguration de ce coquet établissement [le Splendide cinémato-graphe, rue Grolée, au centre de Lyon, devenu quelques mois plus tard le Pathé-Grolée]. Les bruits parfaitement imités, joints à une musique très agréable constituent, avec la température très douce de la salle parfaitement chauff ée, les éléments du succès que nous prédisons à ce nouveau spectacle lyonnais 18. »

• 15 – Le Nouvelliste de Rouen, 1er octobre 1904, in Poupion, op. cit., vol.1, p. 131.• 16 – Phono-Ciné-Gazette, n° 54, 15 juin 1907.• 17 – Ciné-Journal, n° 40, 21 mai 1909.• 18 – Le Progrès, Lyon, 25 décembre 1906.

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Cette notule, de décembre 1906, range le bruitage dans la même catégorie que la présence d’un orchestre ou la température agréable. Une salle d’un certain luxe se devait donc de prévoir des « imitations de bruits », fi n 1906. Les salles spéciali-sées ne se développant qu’après 1907, cette présence régulière du bruiteur semble plutôt postérieure à cette date. La comparaison avec l’orchestre nous rappelle que le bruitage pouvait être fait par le percussionniste ou un autre musicien. Dans ce cas, nul besoin de signaler un bruiteur, s’il est automatiquement inclus dans l’orchestre. Seule l’annonce de l’ouverture contient des précisions sur le bruitage. Par la suite, les annonces ne donneront que les titres de fi lms ou la présence exceptionnelle d’un chanteur… Cela signifi e que des salles avec projections régulières off rent la possibilité d’écouter des bruiteurs sans que cela soit souligné (sauf si on trouve les articles corres-pondant à l’ouverture). Remarquons qu’au moment même où la nouvelle salle de cinématographe s’ouvre rue Grôlée à Lyon, la grande salle de spectacle concurrente, la Scala, propose des séances avec un imitateur. La concurrence faite rage. Dans une annonce du 16 décembre 1906, on peut lire « L’imitateur Bergeret. Séances nouvelles du Phono-Cinématographe-Th éâtre 19 ». En plus d’un système de synchro-nisation des fi lms, la Scala de Lyon off re le spectacle d’un imitateur entre octobre et décembre 1906. Il ne s’agit pas d’imitation des bruits. L’imitateur Bergeret fait un numéro, en intermède, dans lequel il imite par la voix des acteurs et chanteurs célèbres. Le numéro peut également inclure le transformisme. La façon dont les annonces de spectacles sont rédigées porte parfois à confusion. La multiplicité des numéros proposés, quand les fi lms ne sont qu’une attraction parmi d’autres, gêne la compréhension que nous avons aujourd’hui des spectacles de cette période. Nous ne pouvons affi rmer qu’un bruiteur est présent pendant des séances que si nous trou-vons des notules clairement rédigées. Par exemple : « Th e American Sun. Les bruits imités à la perfection donnaient l’illusion de la réalité. Quant à l’orchestre composé de 12 excellents musiciens, il a charmé la salle et donne le digne complément de cet établissement unique 20. » Ce compte-rendu date de 1907. Il nous confi rme que peu d’éléments sur les bruitages sont écrits dans les journaux avant cette date. Une autre confusion peut avoir lieu quand on lit qu’un système de projection « joue de véritables pièces avec toute l’illusion de la réalité, grâce à de tous récents appareils américains, imitant tous les bruits de la nature, et qui viendront se mêler aux voix humaines, disant et chantant les poèmes et les chœurs 21 ». On pourrait croire à l’utilisation d’appareils de bruitage, ce qui est encore rare en 1906 en France. En fait il s’agit d’utilisation de disques comme le révèle le nom complet de l’appareil utilisé à la Scala : « Phono-Cinématographe-Th éâtre ». Les systèmes de synchronisation

• 19 – Le Nouvelliste de Lyon, 16 décembre 1906.• 20 – Le Progrès, Lyon, 3 mars 1907. L’American Sun est en tournées quelques jours à Lyon.• 21 – Le Progrès, Lyon, 4 novembre 1906.

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seraient-ils plus courant que le bruitage en direct ? Ils sont sans doute plus spectacu-laires et donnent lieu à des articles plus précis. Lors de la période de multiplication des salles spécialisées (1906-1914), la concurrence plus vive obligea les exploitants à signaler leur spécialiste du son ou à en engager. Mais le rôle des musiciens-bruiteurs est rarement mis en avant. Quand les orchestres se multiplient, pendant cette même période, ils peuvent progressivement remplacer le « bruisseur ». Le standing de la salle infl uence le type de bruitage qu’on y trouve (« à la bouche » ou grand orchestre). Les techniques et traditions des eff ets sonores venus de la musique, de l’opéra et du théâtre se retrouvent devant les écrans, lieu intermédial. Dans certaines attractions, les bruitages sont complétés par l’utilisation d’autres éléments. On obtient alors des simulations touchant les cinq sens pour emmener le public dans des voyages virtuels.

Simulation sensorielle complèteBateaux

Des bruitages très étranges pouvaient accompagner les fi lms, poussant vers un réalisme très grand, dès 1900. Pendant l’Exposition universelle de Paris 1900, le Maréorama (parfois orthographiée Maerorama) recréait un voyage transatlantique, avec bruit des sirènes, grondement du tonnerre, etc. Des ventilateurs donnant un eff et de brise marine, pendant que les spectateurs voyaient défi ler sur un écran les paysages des pays parcourus 22. D’après Arlaud, cette attraction de Louis Régnault, créée en 1899, donnait aussi un eff et de tangage avec un plancher mobile, et le bruit des vagues et du vent 23. Le capitaine criait « larguez les amarres », etc. L’Oraorama, autre spectacle de 1899, emmenait aussi son public en « bateau virtuel » entre Marseille et Alger 24.

À Marseille, le propriétaire de cirque Napoléon Rancy proposa dans son établissement forain un « Cinématographe de Venise ». On s’y promène sur une vraie gondole tout en admirant les vues de la Cité des Doges, projetées sur un écran ! Les clapotis de l’eau contre la gondole environnent les spectateurs 25. Cette attraction passa également par Lyon.

TrainsCe système se développa ensuite avec la « recréation » de voyages en chemin

de fer. Par la fenêtre du wagon, les spectateurs voyaient les paysages en fi lm. Les

• 22 – Jacques Garnier, op. cit., p. 321.• 23 – Arlaud, op. cit., p. 66 sq.• 24 – Ibidem.• 25 – Phono-Ciné-Gazette, 15 novembre 1906.

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bruits de la locomotive et les grincements du wagon complétaient l’illusion 26. Les Hale’s Tours, aux Etats-Unis, reprirent le principe, entre 1904 et 1912. Hale, après avoir découvert le système à Paris en 1900, installa ses trains virtuels dans de très nombreux parcs d’attractions et dans les foires allant de ville en ville 27. Des forains français présentèrent un spectacle semblable : « On s’asseyait et on assistait à l’arrivée d’un train en gare ; il y avait un système de secousses, le train arrivait sur l’écran et le bruit du chemin de fer nous arrivait dessus 28. » Parfois c’est le train qui arrive sur les voyageurs, souvent ce sont les spectateurs qui deviennent passagers d’un train virtuel, toujours accompagné de bruits réalistes. Une petite salle de Paris, ouverte en septembre 1907, appelée Cinémaway, proposait la même attraction avec commentateur, bruitage et mouvements :

« Dans un décor de gare, un wagon de chemin de fer attend le promeneur curieux. Sous l’œil d’un employé vêtu en chef de gare, 24 personnes trouvent place sur deux rangées de banquettes, toutes dirigées dans le même sens. Au fond du wagon est installé un écran de cinéma sur lequel défi le le paysage qu’un bonimenteur commente, tandis que des mouvements de roulis se font sentir et qu’un bruitage évoque le roulement d’un chemin de fer 29. »

L’attraction passée par Londres et d’autres villes européennes comme Bordeaux, ne reste à Paris que quelques mois.

D’autres projections dans un environnement de type « simulation sensorielle complète » s’établirent dans les années 1900.

Le bruitage fait partie de ces projections « ultra-réalistes » qui doivent replacer le spectateur (par petits groupes) dans un environnement complètement recréé. Ces exemples prouvent la multiplicité des cas de bruitages possibles. Chaque projection de fi lm doit être repensée comme un événement unique avec de nombreux sons proposés au public, selon le lieu.

Sons et odeurs ?Le célèbre Pujol, qui faisait des tournées dans toute la France au début des années

1900, a-t-il proposé à ses clients sa « musique » très spéciale pendant ses séances

• 26 – Dans Lettre d’une inconnue (USA, 1948), Max Ophuls place ses personnages dans un wagon de ce type, dans le parc d’attractions du Prater, à Vienne, au début du xxe siècle. La seule diff érence se trouve dans les paysages qui passent par la fenêtre. Au lieu de voir des fi lms, les personnages observent des paysages peints sur des rouleaux de toile. L’accompagnement sonore imitant le train (cloche, grincement…) reste le même.• 27 – Raymond Fielding, « Hale’s Tours : Ultrarealism in the Pre-1910 Motion Picture », in John L. Fell (dir.), Film Before Griffi th, Berkeley, University of California Press, 1983, p. 116-130.• 28 – Souvenirs d’enfance de Mme Bazin, née en 1899, in Christian Py et Cécile Ferenczi, op. cit., p. 62.• 29 – Meusy, op. cit., p. 160.

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cinématographiques ? Pendant trois saisons, à partir de 1899, sa baraque propose un cinématographe en sus de son numéro particulier. Comme Pujol était célèbre pour ses « créations sonores », on peut supposer qu’il accompagna parfois les vues animées projetées dans son théâtre, pour la plus grande joie des spectateurs. En eff et, Pujol était plus connu sous son nom de scène : le pétomane. Mais ni les biographes de cet artiste « scatophonique », Jean Nohain et François Caradec, ni Sadoul, ni Deslandes et Richard ne confi rment l’utilisation du « don » de Pujol pour bruiter ses fi lms 30.

Le seul spectacle en « sons en odeurs », dont on est certain qu’il eu lieu, se trouve dans les ménageries. Quand les fi lms étaient diff usés avec les fauves dans la « salle », ou plutôt sur la piste, l’odeur des bêtes devait « embaumer » l’atmos-phère. Le public bénéfi ciait des grognements et des sensations olfactives (haleine, transpiration) liées aux animaux pendant que les images se déroulaient sur l’écran.

Les stimulations de sens pouvaient donc se combiner aux images de façon poussée. Le plus courant restaient néanmoins l’utilisation de divers objets et de machines pour réussir à « imiter tous les bruits de la vie ».

Matériel de bruitageSalles et tournées Pathé

Les tourneurs et salles fi xes s’organisent pour que des bruiteurs accompagnent les fi lms de façon réaliste. Les manuels destinés aux directeurs de salles recom-mandent les bruits de coulisse. Un de ces ouvrages fait la synthèse de trois livres décrivant les bruits créés au théâtre. Il décrit par exemple les détonations d’armes à feu, en distinguant revolver, canon, etc. 31. La volonté d’un rendu le plus synchrone possible se lit dans les publicités :

« Aucun détail n’a été omis pour rendre le spectacle aussi naturel et vraisem-blable que possible, et voilà pourquoi aux projections animées, grandeur naturelle, qu’elle off re, la direction a ajouté les “bruits de coulisse”. Ces “bruits de coulisse”, pour les profanes, ne sont autres que le son d’un grelot agité, par exemple, lorsque passe une voiture, le bruissement cadencé du fl ot obtenu avec une plaque métallique quand un navire fend la mer, le brouhaha d’une foule lorsque sur la toile se déroule une scène houleuse,

• 30 – Jean Nohain et François Caradec, Le Pétomane, sa vie, son œuvre, Paris, 1967, Jean-Jacques Pauvert. Georges Sadoul, Les Pionniers du Cinéma, p. 139, cité par Deslandes et Richard, op. cit., p. 209.• 31 – Manuel pratique à l’usage des directeurs de cinéma, des opérateurs et de toutes les personnes qui s’intéressent à la cinématographie, édition du Courrier cinématographique, sans nom d’auteur, sans date, mais probablement 1910 ou 1911, p. 160-165 : « les bruits de coulisse ». La liste des procédés est à peu près la même dans l’Indicateur de la Photographie, édition Lahure, 1913, p. 109-115.

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le coup de pistolet […] etc. Cet accompagnement obligatoire de la scène, muette sans cela, a été réglé d’admirable façon ; quand il vient à propos, ni trop tôt ni trop tard et complète à merveille l’illusion 32. »

Pour cette tournée Pathé, dirigée par Charles Le Fraper, le son est mis en avant dans de nombreux articles promotionnels publiés dans les quotidiens locaux. Un orchestre tzigane accompagne les fi lms, le système de synchronisation Ciné-Phono est de nouveau utilisé, et le bruitage complète cet ensemble sonore. Est-ce le modèle de l’Omnia-Pathé de Paris, ouvert fi n 1906, qu’on tente de reproduire en province ? On a vu que cette période de concurrence lors de l’établissement des salles fi xes et de multiplication des tournées entraîne un marketing plus agressif et une insistance sur les sons. Comme pour la publicité de l’Omnia, on insiste sur la musique et le bruitage, et nulle mention n’est faite d’un quelconque présentateur. On sait par ailleurs que Charles Le Fraper ne s’est converti à l’importance du conférencier qu’en 1911, alors qu’il était devenu le directeur rédacteur du Courrier cinématographique.

Une autre salle Omnia, dite Omnia Victor Cousin, qui devint plus tard la salle du quartier latin appelée « Cinéma du Panthéon », a laissé des souvenirs chez Jean-Paul Sartre. Il décrit dans Les Mots l’ambiance olfactive de la salle aussi bien que les morceaux joués au piano pour accompagner les fi lms, mais pas les bruits 33. Jacques Prévert se souvient, lui, d’un bruiteur dans cette même salle : « Derrière l’écran, il y avait un homme qui faisait tous les bruits avec un petit attirail qui n’avait l’air de rien : des grelots, des papiers de verre, un siffl et, un revolver, des marteaux ; et c’était l’orage, le vent et la mer ou le chant des oiseaux. Tout cela marchait en même temps que le piano 34. »

Même dans une toute petite salle parisienne, où seul un piano accompagne musicalement les fi lms, un bruiteur peut travailler, aussi bien qu’à l’Hippodrome de la place Clichy qui propose dès 1907, trois heures de programme pour ses 3 400 clients, avant qu’il ne s’appelle Gaumont-Palace.

Conseils pour le bruitageDes conseils pour le bruitage apparaissent dans les revues corporatives :

« La machinerie théâtrale permet d’imiter, non seulement tous les phéno-mènes météorologiques et tous les bruits qui les accompagnent, mais aussi tous les bruits accessoires […]. La machinerie acoustique du cinémato-graphe est […] bien plus réduite. Les scènes cinématographiques font une grande consommation de vitres et d’assiettes cassées, de murs qui s’eff on-

• 32 – Le Courrier du Centre, 20 août 1908, P. et J. Berneau, op. cit., p. 73.• 33 – Jean-Paul Sartre, Les Mots, Gallimard, 1964, cité par Prieur, op. cit., p. 52-54.• 34 – Souvenirs de Prévert cité par Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 167.

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drent, d’automobiles, […]. Certaines maisons construisent des appareils à bruits, sorte de meubles où l’on a condensé et adapté les diff érents moyens utilisés au théâtre, pour la production des bruits accessoires. Soit de l’or-chestre où le meuble est placé, soit de la cabine de projection, les bruits sont commandés électriquement. Beaucoup d’exploitants se contentent d’une simple table sur laquelle on dispose un petit panier renfermant de la vaisselle brisée, une trompe d’automobile, une cloche, un siffl et, un jeu de grelots, une verge fendue pour imiter les claquements de fouet, du papier dont le froissement imitera le bruissement du vent mêlé de pluie […]. Quant aux cris d’animaux, les violonistes les imitent avec une suffi sante perfection. On connaît d’autre part ces petits instruments agaçants vendus un peu partout ; ils pourront, à la rigueur, être utilisés. […] L’orchestre est le véritable “bruisseur” du cinématographe35. »

M. Kress espère inciter, par son article, les exploitants à la modération. Il préfère que le pianiste ou les orchestres soient utilisés, plutôt que trop de bruitage. Il diff érencie le théâtre du cinéma en expliquant que le premier a besoin d’ampli-fi er les bruits, alors que l’eff et de réalité du cinéma nécessite surtout l’accompa-gnement d’un orchestre. En février 1913, à la demande des lecteurs, directeurs de salles, M. Kress continue ses explications sur « les bruits de coulisses ».

« Au cinématographe, le bruit accessoire doit être produit au moment précis de l’action qui le comporte. Lorsque la projection est faite par transparence […] on peut emprunter à la machinerie théâtrale la plupart des “trucs” qui permettent d’imiter presque servilement les bruits naturels. La grosse caisse et le tambour de l’orchestre sont le plus souvent chargés d’imiter le roulement du tonnerre […]. [Autre possibilité] l’agitation d’une simple feuille de tôle de 2 mètres x 1 mètre nous donne l’illusion du grondement du tonnerre […] 36. »

On remarque que l’auteur du texte continue d’être rétif à l’idée d’expliquer comment on fait diff érents bruits. « Trucs », « servilement » et d’autres termes que nous avons coupés montrent presque un dégoût vis-à-vis de l’activité qu’il décrit. Il voudrait que les exploitants utilisent surtout l’orchestre. Mais soudain il s’emballe dans ses explications qui deviennent d’une précision incroyable :

« Le public est toujours vivement frappé par les scènes dont les trains en marche sont le théâtre. Un long siffl et a son emploi tout indiqué. Le halète-ment qui s’échappe de la cheminée est reproduit en frappant plus ou moins en sourdine, avec un petit balai, la peau de la grosse caisse ; les brosses métal-

• 35 – E. Kress, « Les bruits de coulisse », Cinéma-Revue, n° 1, janvier 1913.• 36 – E. Kress, « Les bruits de coulisse [suite] », Cinéma-Revue, n° 2, février 1913 (3e année).

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liques et la tôle rouillée vont nous permettre de rendre assez parfaitement les jets de vapeur qui accompagnent la marche des pistons. Une simple bouteille d’acide carbonique pour bière à pression, dont nous ouvrirons au moment voulu le robinet, reproduira le bruit caractéristique des freins à air comprimé. Les trépidations du même train seront rendues par un instru-ment emprunté à la machinerie théâtrale et qui consiste en deux disques de bois entre lesquels roulent quatre galets de fer. Lorsque le train passe sur une plaque tournante ou sur une bifurcation, on place sur le plateau inférieur une tige de fer qui fait éprouver aux galets un soubresaut 37. »

Une fois lancé dans la liste des eff ets les plus précis, Kress contredit son idée selon laquelle il faudrait être plus sobre pour les eff ets sonores au cinéma qu’au théâtre ! Il propose avec minutie de refaire tous les bruits correspondant à l’image ! Il faut alors une vaste salle qui contient une grande scène, derrière l’écran, et une véritable équipe de bruiteurs chevronnés. Il conclut en rappelant : « les bruits de coulisses et les moyens pour les produire doivent être en rapport avec la capacité de la salle de projection. »

Pianiste-bruiteurDans les petites salles, c’est parfois le pianiste lui-même qui fait le bruitage, et

qui explique avec fi erté sa méthode dans le Courrier cinématographique :

« Une seule musique est rationnelle au cinéma : l’improvisation […]. Mais qui dit improvisation dit homme seul, dit piano seul. […] [Au piano] ajoutez – ce que j’ai fait – un petit orgue aux timbres variés (violoncelle, hautbois, clarinette, voix humaine), une petite batterie pour les cascades, les fortissimi, un petit xylophone métallique pour les cloches, timbres, etc., et alors le rôle du pianiste sera parfaitement rempli 38. »

Le pianiste, qui donne cette description de son matériel au Courrier ciné-matographique en 1913, devient un véritable homme-orchestre. On remarque que ses instruments servent à bruiter autant qu’à jouer de la musique. L’aspect économique de l’utilisation d’un seul employé pour faire la musique et le bruitage devait attirer l’œil des directeurs de cinéma, lecteurs de cette revue. Souvent les musiciens s’occupent du bruitage avec leurs instruments : « un cri d’oiseau, le vent ou la chute d’un personnage 39. »

• 37 – Ibidem. Les informations, à peu près identiques, sont données par Ciné-Journal, n° 3 du 1er septembre 1908.• 38 – Avis du pianiste du Cinéma Bagnolet, J.-J. Hougot, in Courrier cinématographique, n° 28, 12 juillet 1913.• 39 – Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 388.

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Machines à bruitsLa société Pathé propose, à partir de 1908, une machine à bruits. Dès l’inventaire

de fi n février 1908, on constate que 2 machines à bruits sont stockées à Joinville, et qu’une autre est en cours de construction. L’inventaire de février 1909 montre que ces appareils se vendent également à l’étranger grâce aux succursales de Pathé à Milan, à Moscou, à Budapest, à Vienne. Le 28 février 1910, l’inventaire Pathé nous apprend que 12 machines à bruits sont prêtes à être vendues ou presque terminées dans la menuiserie de Joinville. Donc l’appareil se vend. Les ventes en France ne sont pas données sur le document que nous avons consulté, mais les succursales à l’étranger, en 1910 continuent d’écouler cette machine à bruits : Calcutta, Londres, Melbourne, Milan, Vienne, Budapest, Kiev, et l’année suivante s’ajoute Singapour ! Toujours en 1911, la menuiserie de Joinville reçoit des matières premières pour la construction de cette machine. La liste « à la Prévert » répertorie les grelots, balais, cloches et autres rouleaux à grêle 40. Pathé a vendu de part le monde sa machine à bruits, et sans doute en France également, ne serait-ce que dans les salles de son circuit en train de se constituer grâce à des sociétés concessionnaires.

Les salles parisiennes du circuit dépendant de la fi rme au coq, dénommé « Cinéma-Exploitation », utilisent cet engin. Les autres circuits Pathé semblent aussi avoir privilégié la machine à bruit sur d’autre système. Voici le descriptif du catalogue de 1909, dans lequel la « machine à bruits de coulisse » était vendue au prix de 450 francs, ce qui représente un prix élevé pour les petites salles ou les petits forains.

« C’est un meuble en chêne dont la face avant comporte des boutons, des manivelles et une pédale actionnant un souffl et. Des étiquettes en métal émaillé blanc indiquent au-dessus de chaque commande la nature du bruit qu’elle produit : “corne d’incendie, corne d’auto, sirène, siffl et de machine, petite corne, siffl et, voiture, vaisselle brisée, grêle, chemin de fer, sourdine de voiture, automobile, bois cassé, vent, coups de feu” 41. »

Ce type de machine, dont on trouve des publicités dans les revues corporatives, a pu équiper de nombreuses salles, qui n’ont pas toutes vanté leur acquisition. Par exemple on trouve un orgue hydroélectrique américain, décrit par Le Cinéma et l’Écho du cinéma réunis, n° 57 du 28 mars 1913. Il pouvait produire une trentaine de bruits diff érents, mais devait coûter cher. La revue corporative Phono-Ciné-Gazette vendait directement dans ses locaux, dès 1906, une « machine à imiter la fusillade pour cinématographistes et pour tous forains. Prix, 30 francs. S’adresser

• 40 – Inventaire Pathé des exercices 1907-1911. Archives Pathé. Merci à Clémence Schmitt.• 41 – Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 202.

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à Phono-Ciné-Gazette » 42. Le matériel s’améliore rapidement. À partir d’un seul boîtier, on peut contrôler plusieurs bruits. En 1913, des machines à bruits perfec-tionnées peuvent être actionnées depuis la cabine de projection. L’opérateur devient également bruiteur.

Un autre engin apparaît dans les publicités des corporatifs : « le Ciné Multiphone Rousselot ». Ce « meuble portatif à bruits de coulisse » est de taille imposante.

La publicité pour cet appareil affi rme qu’il peut « enlever le caractère fanto-matique, si pénible à tant de gens » qui caractérise le cinématographe qui reste « muet ». Voilà sans doute une des premières apparitions du terme de cinémato-graphe « muet ». Une vingtaine d’année après 1909, le mot permettra de désigner l’ensemble du cinéma qui « ne parle pas ». D’autre part cette publicité cite la pénibilité du « muet ». Cette idée a donc pu apparaître suite à des campagnes publicitaires, car nul article ou témoignage ne signale ce désagrément.

Cet instrument perfectionné combine des eff ets sonores entre eux. Le nombre des bruits fondamentaux est de 60, « mais ce nombre peut être porté, par des combinaisons, à 150 43 ». L’exemple proposé dans cette publicité montre que cet appareil peut parfaitement imiter tous les bruits d’une usine : jets de vapeur, bruits de scies, d’enclume, de marteaux, etc.

Dernier exemple de machine aidant au bruitage des vues cinématographiques : les « machines de synchronisation » (avec repères pour bruiteurs). Elles se déve-loppent principalement après 1918, comme dans le cas des recherches de Charles Delacommune, mais dans les années 1910, quelques Français assistèrent à des séances dont les bruitistes bénéfi ciaient d’une machine de synchronisation. Ces projections restent ponctuelles. Nous en avons trouvé une à Chalon-sur-Saône en 1910 :

« Le Cinématographe synchronisé avec la parole humaine sans phono-graphe : Un inventeur de notre ville, M. Mouis, professeur au collège de Chalon-sur-Saône, est l’auteur breveté d’un système de synchroni-sation […]. Dans une séance démonstrative qu’il a donnée hier samedi 26 novembre, à 4 h 30, à la salle des fêtes de l’hôtel de ville, M. Mouis a restitué à la vue animée la parole et le chant et le bruit […]. Dans une séance d’escrime, deux duellistes croisaient le fer. Nous entendions très distinctement le frôlement et le choc des épées […]. Dans cet ingénieux système, le mouvement du fi lm cinématographique est synchronisé indé-réglablement par arbre de couche et engrenage précis avec un autre fi lm dit bande-synchrone, animée d’une vitesse réduite et portant des repères calcu-

• 42 – Phono-Ciné-Gazette, n° 35, 1er septembre 1906.• 43 – Ciné-Journal, n° 38, 6 septembre 1909. La tradition des machines imitant les bruits a débouché sur la fabrication des synthétiseurs, au bout d’une cinquantaine d’années.

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lés, lesquels montrent à quel dixième de seconde précis tel mot, telle syllabe doivent être prononcés, telle note attaquée, tel déclanchement opéré44. »

Il s’agit d’un « guide » qui permet à l’équipe chargée de bruiter le fi lm de faire les sons au bon moment, de chanter en parfaite synchronisation, de dire les répliques à la seconde près. Ce type d’aide visuelle facilitant la synchronisation a aussi été mis au point pour les musiciens par M. Janssens 45. Il est intéressant de voir qu’une petite ville de province bénéfi cie d’une tentative de synchronisa-tion parfaite des bruits en direct dans la salle. Nous ne cherchons pas les brevets déposés, mais les séances avérées. Ici, les Chalonnais profi tent des recherches locales. Une grande eff ervescence règne autour de la sonorisation des séances de projection, dans toute la France, dans les années précédant la grande guerre.

Dans une petite salle, rue de la Lune, dans le IIe arrondissement de Paris, entre 1909 et 1914, le « commentateur » bruite le fi lm grâce à un gramophone :

« Un commentateur précisait pompeusement les intensions du fi lm, tout en actionnant la manivelle d’un gramophone qui émettait des bruits imitatifs ; tous les fi lms étaient sonorisés par un préposé debout près de l’écran. Le cinéma de mon enfance était parlant 46. »

Le producteur et cinéaste Henri Diamant-Berger se souvient donc de deux éléments sonores produits par la même personne, dans cette petite salle, puisqu’il décrit un « commentateur debout près de l’écran » qui bruite les fi lms grâce à des disques. La variété des sons de bruitage est très grande, dans tous les types de lieux.

Bruitage à la boucheÀ l’autre bout du matériel de bruitage, le simple accompagnement à la bouche

existait dans de toutes petites salles. Il ne semble pas avoir été aussi répandu qu’aux États-Unis, où des spécialistes étaient réputés pour leurs imitations de tous les instruments, des bruits et des voix 47. Dans le bistro(t)-cinéma, décrit par Cendrars, déjà cité pour son « boniment » particulier, le propriétaire imite tous les bruits grâce à la dextérité de sa langue claquant sur son palais :

« Dans ses imitations des bruits, c’était un véritable virtuose, c’est pourquoi son programme se composait de fi lms d’actualité et de fi lms documentaires qu’il choisissait lui-même, ce qui lui permettait de donner libre cours à son

• 44 – Le Courrier de Saône-et-Loire, 28 novembre 1910.• 45 – Une série d’articles parut à ce sujet dans Ciné-Journal, automne 1912, par exemple, n° 218, 26 octobre 1912.• 46 – Henri Diamant-Berger, op. cit.• 47 – Altman, Silent Film Sound, op. cit., p. 47-49.

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talent et à sa fantaisie. Il faisait le vent, la pluie, le clair de lune, la nuit, l’orage, la tempête, le bruit des machines, le télescopage d’un train en marche, le ronfl ement d’un moteur d’avion, le brouhaha de la foule dans la rue, la sortie du métro, l’incendie, tous les animaux mâles et femelles, tous les oiseaux, à volonté, la mer ou l’océan, et imitait comme pas un le téléphone, sa sonnerie, sa friture, son dialogue coupé ou une bataille de revolvers 48. »

Cette pratique pourrait sembler exceptionnelle et réservée à l’arrière-salle d’un petit bistro. Pourtant, certaines salles luxueuses possédaient aussi des bruiteurs « à la bouche », comme on peut le voir ci-dessous.

Fin des bruiteurs ?Du bric-à-brac des bruitistes, aux appareils sophistiqués des salles plus luxueuses,

l’imitation des sons de la vie était proposée de façons très variées. Divers rédacteurs de revues corporatives ne trouvent pas très gracieux les bruitages qu’ils ont entendus.

« Ils sont presque toujours gênants au cinématographe, parce que presque toujours invraisemblables. Je ne parle pas, bien entendu, de ceux qui sont faits par à peu près. J’ai souvenir d’un duel entre Japonais, où le choc métallique sonnait comme un bruit de lattes. La victime tombait sur l’herbe rougie de son sang et la chute de ce corps s’affi rmait comme un poids de vingt kilos sur des tréteaux de lutteurs. Et que de coups de canon… en bois ai-je entendus ? Que de portes fermées qui claquent comme des gifl es !Ces défauts ne sont imputables qu’aux mauvais employés ou à des machines mal réglées. Je sais qu’on peut faire des bruits de coulisse très satisfaisants, mais je demeure convaincu qu’on peut faire d’excellentes projections et laisser le public sous le charme, sans avoir recours à cette ressource théâtrale – de plus en plus inutile à mesure que la valeur scénique des fi lms s’accroît49. »

Cette demande de modération dans le bruitage, montre que les « brui-tistes / bruisseurs » étaient présents dans les salles. Sans doute des excès et des faiblesses de la part des bruiteurs expliquent cette attitude de Dureau. Cette façon d’écrire sur les sons correspond à celle qui se développe de l’autre côté de l’At-lantique à la même époque. Comme l’a analysé Rick Altman, l’eff et « cloche de vache » devient plus gênant que captivant quand il empêche la compréhension

• 48 – Blaise Cendrars, op. cit., p. 105. On croirait entendre la description de ce que les groupes de rap nomme un human beat box. Il s’agit du spécialiste des imitations d’instruments et de bruits divers (scratchs) qui peut accompagner un rappeur (ou la chanteuse française Camille en 2008).• 49 – Georges Dureau, « Les bruits de coulisse au cinématographe », Ciné-Journal, n° 162, 30 septembre 1911.

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de l’intrigue principale 50. Si le bruiteur attire l’attention du public, le fi lm n’est plus au centre du spectacle. Quand les revues corporatives (articles de Dureau, Kress), ou bien les ouvrages de conseils, recommandent de modérer les bruitages, ils participent à la standardisation progressive du spectacle cinématographique. L’originalité de chaque salle, avec un spécialiste des bruits, qui ne produira pas les mêmes sons que dans la salle voisine, tend à disparaître, si toutes les salles sont encouragées à utiliser des musiques standards plutôt que des « bruitistes ». La bonne pratique de l’accompagnement sonore est toutefois proposée avec moins d’insistance en France qu’aux USA. Mais les critiques et spécialistes qui « savent ce qui est bon pour le public », regardent dans le même sens, de part et d’autre de l’Atlantique, entre 1908 et 1914. Moins de bruits extérieurs (parasites), modérer les bruits à l’intérieur et donner au spectateur une musique « appropriée ». Néanmoins, jusqu’à la Guerre, les salles continuent de proposer des versions forts diff érentes de l’environnement sonore d’un même fi lm. Cette pratique des « bruits qui donnent l’illusion de la réalité 51 » a existé dans toutes les régions de France et dans des localités de toutes tailles. Si quelques corporatifs incitaient à la modéra-tion, jusqu’en 1914, on trouve une très grande hétérogénéité d’une séance à une autre. Le standing de la salle n’est pas un critère suffi sant pour décréter que le bruiteur n’existait pas, ou qu’il était d’un goût sûr et modéré. Ce métier n’est pas réservé aux petites salles de quartier. On a vu qu’à l’Édouard VII, un « accessoi-riste » se démène, au point que la future actrice Ève Francis a peur qu’il se blesse.

« À côté du groupe [de musiciens], un accessoiriste tape tantôt sur un tambour avec la paume et tantôt une planche – cela doit lui faire mal – il y essuie aussi ses pieds pour imiter le train ou le piétinement des foules ; les sabots de cheval sur les pierres se pratiquent sur le bois avec des baguettes en fer. Il réalise avec sa bouche des bruits curieux et variés. […] Il se complai-sait autrefois à sonoriser le bruit du baiser que le héros prend enfi n à sa fi ancée […], mais le public – mal éduqué – l’accompagnait en se tordant, poussant des cris de pâmoison qui altéraient indécemment le climat mélo-dramatique des scènes amoureuses 52. »

La muse de Louis Delluc mélange-t-elle deux salles diff érentes ? Les réactions du public moqueur ne semblent pas correspondre à la luxueuse salle Édouard VII.

• 50 – Rick Altman, « Reading Positions, the Cow Bell Eff ect, and the Sound of Silent Cinema », Cinéma(s), n° 3, 1992, p. 19-31. R. Altman, « Naissance de la réception classique. La campagne pour standardiser le son », Cinémathèque, n° 6, Automne 1994, p. 98-111. R. Altman, Silent Film Sound, op. cit.• 51 – Le Journal de Villefranche, (Rhône), 16 janvier 1909. À propos de la salle Eden Cinéma Pathé.• 52 – Ève Francis, Temps héroïques, Denoël, 1949, cité in Maurice Gianati, « Les couleurs et les sons se répondent », 1895, H.S., L’Année 1913 en France, p. 275 sq.

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Pourtant Ève Francis cite avec une grande précision les gestes du bruiteur. Son souvenir reste sans faille, une trentaine d’année plus tard. On peut en déduire qu’en 1913, cette salle pratique des tarifs variés, possède un public mélangé, et que le bruiteur a poussé trop loin l’amour des sons. L’imitation des baisers dérange le public, comme les bruits de cloches de vaches gênaient le journaliste américain du Film Index. La réaction des spectateurs de l’Édouard VII a suffi t pour que « l’ac-cessoiriste » cesse de faire les baisers. Si une enquête approfondie reste à faire, on peut néanmoins déjà dire que les bruiteurs ne sont plus signalé en nombre après la Première Guerre mondiale. La modifi cation de la programmation des salles (longs métrages) et la présence plus régulière des musiciens, explique en grande partie la disparition d’un petit métier du cinéma, qui existait dans toute la France.

Cette disparition progressive succède à une phase de banalisation de la présence des « bruitistes ». Cette tradition passée du théâtre au fi lm s’est diversifi ée en croisant le chemin des exploitations plus « sensationnalistes » où les nouvelles technologies servent à donner un eff et de réalisme kinesthésique associées aux vues animées. Le corps tout entier participe au spectacle. On peut parler d’une somaesthétique faisant entrer le spectateur dans la performance 53. L’unicité de cette expérience continue-t-elle quand le spectacle se standardise ? Le bric-à-brac de chaque artiste a pu être remplacé par des machines plus ou moins standar-disées, et surtout assimilées à des instruments de musique. Les organistes et les percussionnistes sont les continuateurs de la tradition du bruitage avec accessoire. La musique, comme aux États Unis, a permis une forme de standardisation d’un univers sonore particulièrement foisonnant. Chaque fi lm accompagné par un brui-tiste diff érent, avec une machine perfectionnée ou « à la bouche », pouvait prendre un sens diff érent. Si la partition est la même, et que les musiciens la respectent, l’eff et devait être plus homogène d’une salle à une autre… c’est ce que nous allons essayer de savoir dans le chapitre suivant.

• 53 – Richard Shusterman, op. cit.

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C h a p i t r e   V I

Musiques et variété

Le cliché habituel sur la « musique de fi lm muet » montre un pianiste improvi-sant sur les images projetées au-dessus de sa tête. Cette image n’est pas totalement fausse, mais elle a besoin de nombreuses nuances. Le premier problème est de savoir si le piano servait à accompagner les fi lms. Dans bien des cas, le pianiste n’est pas là pour ça. Autre cliché, qu’il nous semble important de dénoncer, la musique n’a pas été créée pour couvrir le bruit du projecteur. Par contre, l’environ-nement musical des lieux où des fi lms sont montrés, music-hall, théâtre de féeries, etc., nous semble essentiel pour découvrir la « musique “de” fi lm » dominant à la Belle Époque. Les documents étudiés nous permettent aussi d’observer la taille des orchestres, la discontinuité des accompagnements, la part de l’improvisation et le moment où la composition pour le fi lm s’est développée.

Pas de musique !Un piano silencieux

Le piano présent lors des premières séances publiques Lumière permettait-il de faire patienter le public avant la séance et entre les fi lms ou servait-il à l’accompagnement des fi lms ? Quand les journaux signalent un piano, pour la plupart des historiens, cela signifi e que le pianiste joue pendant la projec-tion. Rien n’est moins sûr. Des indices laissent penser que le piano intervient avant et après les fi lms au Grand Café. Pour les séances de décembre 1895 et janvier 1896, on ne trouve pas de précision sur une musique pendant les fi lms. Par contre on peut lire que la lumière se rallume entre chaque fi lm. Un journal lyonnais retranscrit les impressions d’un journaliste assistant à une séance en janvier 1896 au Grand Café :

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« On attend que, du fond de la salle, soit projetée par le cinématographe une scène animée dont certains personnages sont de grandeur naturelle. Le piano à queue peut se taire ; nous sommes suffi samment captivés, jusqu’à l’angoisse, par le “pugilat de deux gentlemen” en querelle à propos d’un article de journal. Comment ne pas rire avec conviction aussi à cette farce d’un “arroseur” trempé et décoiff é en examinant son tuyau […] 1 ? »

La phrase laisse deux choix d’interprétation : le piano n’est pas utile pendant les fi lms, ou bien, le pianiste ne joue qu’avant les fi lms. Nous avions noté le silence recueilli d’une séance à La Rochelle. Le journaliste ne signalait que le « tac tac » de l’appareil 2. Les projections sans aucun accompagnement ne sont pas rares jusqu’en 1907, et même après. On a vu qu’un cinéma-bistro se contentait d’un bruiteur « à la bouche ». Quand les programmes insistent sur la musique entre les fi lms, cela peut signifi er qu’on ne joue pas pendant. Par exemple, en février 1897 : « Saint-Brieuc, Union des femmes de France, soirée du 18 février 1897 : Première partie, 1) Musique militaire, 2) Cinématographe, 3) Musique militaire, poésie […], 7) Cinématographe, 8) Musique militaire […] 3. » L’intégration du ciné-matographe dans un ensemble d’attractions permet souvent de le dissocier de la musique ou de courtes pièces de théâtre : « Nous rappelons qu’une représenta-tion de Cinématographe est donnée, ce soir, mercredi [8 avril 1897], au théâtre de Saintes, par le professeur Launay, qui composera ainsi son spectacle : 1. Un Mariage au téléphone, vaudeville en un acte ; 2. Le Cinématographe, dernière attraction du siècle, en deux parties et 9 tableaux ; 3. Mam’selle Rose, folie-vaude-ville en un acte 4. » Cette association théâtre, musique et « cinéma » devient plus importante par la suite. Ici, la précision avec laquelle chaque partie est décrite prouve que la musique est dissociée de la projection. À Saint-Étienne, Loire :

« Voilà le programme de la soirée (conférence et expériences) que donnera demain soir samedi à huits heure et demi la société de photographie de Saint-Étienne avec le concours de la musique du 38e régiment d’infante-rie : 1. Deux morceaux de musique militaire ; 2. Conférence par le docteur Barral, professeur agrégé de la faculté de médecine de Lyon, sur quelques découvertes en photographie : de la photographie des couleurs, de la

• 1 – Le Siècle de Lyon, 9 janvier 1896, in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 350. N’oublions pas que les séances Lumière antérieures à décembre 1895, qui n’ont pas un caractère commercial, se déroulent sans musique. Par exemple la séance du 21 septembre 1895, pour 150 personnes, à La Ciotat. Cf. Suzette Hazzan, Les Débuts du cinéma à Marseille, mémoire de maîtrise dirigé par Pierre Guiral, université d’Aix-en-Provence, 1970, p. 10.• 2 – L’Écho rochelais, 22 août 1896, article d’Henri Clouzot, in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 195.• 3 – L’Indépendance bretonne, 17 février 1897, in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 416.• 4 – L’Indépendant de la Charente inférieure, 8 avril 1897, J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 419.

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photographie des mouvements ; 3. [Musique] ; 4. Projections diverses et photographie totale de la salle par l’éclair magnésique ; 5. Cinématographe Lumière […] ; 6. Musique 5. »

Les autres journaux de la ville redonnent le même programme et signalent que la musique militaire fait l’ouverture et la « retraite » du programme de projections, mais aucune phrase ne laisse entendre que les musiciens jouent pendant les fi lms. À Amiens, un quotidien précise : « Nota : comme intermède, il y aura à chaque séance un orchestre 6 ». Même chose à Caen : « Le Cynématographe [orthographe choisie par le tourneur, ou le journal], scènes et vues animées, grandeur natu-relle ; Séances toutes les demi-heures, de 6 heures à 11 heures du soir. Intermèdes musicaux 7. » Parfois le doute n’est plus permis, les instrumentistes peuvent se reposer pendant les fi lms : « La “Danse auvergnate”, le “Défi lé des troupes”, etc. et surtout les tableaux en couleurs, tels que la “Loïe Fuller” dans sa danse fantastique. Autre attrait : entre chaque projection, il y aura une audition musicale 8. » Même type de commentaire à Châtellereault (Vienne) 9, ou à Saint-Amant-Montrond (Cher) 10. Comme l’explique Rick Altman, lorsqu’il joue lui-même dans ses soirées de reconstitution du Nickelodeon, dans de nombreux cas, la projection du fi lm correspond au moment où le pianiste se repose les doigts. « Le piano ou l’orchestre était présent non pour accompagner les fi lms mais pour fournir l’attraction musi-cale. Ce renversement lance un défi implicite à tout ce que nous croyons savoir sur le cinéma des premiers temps et son accompagnement. Chose étonnante, on découvre régulièrement dans les textes du début du siècle que la projection de fi lms off rait au musicien un moment de repos 11. » Il faut préciser que Rick Altman ne parle que des salles américaines. Dans ces salles, jusqu’au début des années 1910, le spectacle à la mode reste la « chanson illustrée ». Le public se délecte des chansons reprises en chœur, dont les paroles apparaissent sur de jolies vues fi xes projetées. Les fi lms permettent aux spectateurs de se reposer la voix, au pianiste d’aller fumer une cigarette. Ils ne sont que l’intermède entre les chansons, dans

• 5 – La Loire Républicaine, 25 avril 1896, J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 420 ; Voir également in Frédéric Zarch, Catalogue des fi lms projetés à Saint-Étienne avant la Première Guerre mondiale, Saint-Étienne, publication de l’université de Saint-Étienne, 2000, p. 28 sq.• 6 – Le Journal d’Amiens, 4 juin 1897, in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 46 sq.• 7 – Le Moniteur du Calvados, 9-10 août 1896, in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 117.• 8 – La Dépêche sparnassienne, Épernay, 23 octobre 1896, J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 172.• 9 – Le Mémorial du Poitou, 23 septembre 1896, séance à Châtellerault, in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 144 sq.• 10 – À Saint-Amant-Montrond, L’Avenir du Cher, 20 décembre 1896, in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 414.• 11 – « Le Retour du Nickelodeon », Auditorium du Louvre, 11 juin 2004, page 4 du document que m’a confi é Rick Altman et qui sert de conducteur à la soirée.

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de nombreuses salles aux États-Unis 12. Pour l’instant, nous n’avons pas trouvé de trace de pratiques semblables dans les salles françaises (en dehors des chansons Lordier). Par contre l’alternance de spectacles variés, au sein desquels s’intègre le cinématographe, est une pratique courante. Le cinématographe s’intègre à la série culturelle des concerts, ou des attractions scientifi ques ou des divertissements introduits par de la musique. Dans cette pratique, et dans de nombreux autres cas, le fait que la projection ne soit pas accompagnée par de la musique doit être pris en compte. Une information comme « le piano est fourni à titre gracieux par la maison Gaveau », ne signifi e pas obligatoirement que musique et fi lms sont simultanément proposés au public 13. Dans de nombreux cas de forains et de tourneurs présentant le plus simplement possible un appareil de projection sans s’embarrasser d’instruments, ni même d’un phonographe, c’est le silence qui accompagne les fi lms, sauf quand un conférencier parle en même temps, ce qu’il ne fait pas systématiquement. « L’attente fut longue ; nul orchestre ne venant remplir de ses fl ots d’harmonie le silence pesant du réduit. […] L’opérateur tournait autour de son appareil […]. Pas une protestation, pas un murmure, car tous, nous étions médusés par le mystère de ces préparatifs 14. » À Carpentras, la séance commence dans un silence respectueux, mais le témoignage précise qu’un « bonisseur » explique, dès la première vue, que le cortège présidentiel est celui de Félix Faure. Les séances que nous venons d’évoquer sont parmi les premières. Après 1898, on trouve plus rarement des indices de séances sans musiques. D’une part, parce que l’invention n’est plus nouvelle et que les descriptions deviennent plus succinctes, d’autre part parce que les lieux sans aucun accompagnement ne peuvent pas se payer de publicité. De plus, quand on signale de la musique, on ne dit que rarement s’il s’agit d’intermède uniquement ou d’accompagnement de la projection. La musique peut permettre à un conférencier de se reposer. « Pendant que des fi lms reproduisant les principales phases d’un voyage en sphérique défi lent devant les yeux, M. de la Vaulx donne des explications très claires souvent inter-rompues par des applaudissements […]. Le conférencier prend plusieurs minutes de repos, la musique militaire se fait entendre et il reprend son sujet 15. »

Nous dirons, avec prudence, que, dans la majorité des cas, il semble néanmoins qu’un accompagnement se faisait entendre. Notre recherche ne nous permet pas

• 12 – Richard Abel, Th e Red Rooster Scare. Making Cinema American, 1900-1910, Berkeley, University of California Press, 1999, p. 110-117 et passim.• 13 – Information concernant les projections d’Eugène Pirou au Grand Café de la Paix entre octobre et décembre 1896, in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 367.• 14 – Témoignage concernant la séance du 21 février 1897, à Carpentras, publié dans La Ciné-revue carpentrassienne, en novembre 1924, cité in Yves Chevaldonné, Les Premiers Temps du cinéma dans le Vaucluse (1896-1914), thèse sous la direction de Michel Marie, Paris III, 2000, tome I, p. 54.• 15 – La Dépêche de Rouen, 23 décembre 1908, cité in Olivier Poupion, op. cit., vol.2, p. 98.

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de trancher de façon catégorique. Elle nous permet surtout d’éviter dorénavant de déclarer : « lorsque le cinéma s’installa au music-hall et au caf ’ conc’, il profi ta naturellement de l’orchestre qui s’y trouvait déjà » ou encore « l’accompagnement musical, donc, allait de soi 16 ». Messieurs Deslandes et Richard, qui sont, par ailleurs, parmi les plus précis des historiens, utilise ici un vocabulaire « essen-tialiste ». Plus la recherche avance moins on trouve que l’accompagnement est « naturel » ou « qu’il va de soi ».

Silence ou bruit de projecteur ?L’autre « raison naturelle » justifi ant l’emploi de la musique serait le bruit

désagréable des projecteurs, comme le disent des chercheurs aussi diff érents que le musicien Kurt London, l’historien David Robinson ou l’universitaire Claudia Gorbman 17. Mais aucun des articles d’époque (avant 1917) ne signale une gêne quelconque des spectateurs vis-à-vis du bruit du projecteur. L’absence de bruit n’apparaît pas dans l’argumentaire publicitaire de l’époque pour vanter la qualité des appareils (sauf une fois, à Amiens, cf. note ci-après), alors que les annonces signalent très souvent une amélioration du problème des images tremblotantes. Dès les premières projections de fi lms sur une foire, en mai 1896 à Orléans, l’appareil (Cinétographe) est placé dans la voiture d’habitation de Mme Th orcey (femme de l’administrateur de ce théâtre forain) 18. Le projecteur n’est pas dans la baraque foraine. De plus, suite à l’incendie du Bazar de la Charité (mai 1897), et face aux dangers des lampes oxy-éthériques, comme des courts-circuits électriques, le projecteur est rapidement placé dans une cabine. Ainsi isolé, il ne peut guère gêner les spectateurs par son bruit de machine à coudre. Seuls les exploitants les plus pauvres, dans des bars par exemple, continuent de placer un appareil du côté du public. Lequel public ne semble pas gêner par le bruit de l’appareil. Chez les forains, les plus petites exploitations ont encore un projecteur proche du public, mais les propriétaires de baraques de moyenne importance construisent une cabine métallique, donc ignifugée, placée à l’extérieur de la salle, comme c’est le cas chez Jérôme Dulaar ou Adolphe Levergeois 19. Les cabines de projection démontables sont vendues dans le catalogue Gaumont à des prix modiques. Les cartes postales

• 16 – Deslandes et Richard, op. cit., p. 76 sq.• 17 – Kurt London, Film Music : A Summary of the Characteristic Features of Its History, Aethetics, Technique and Possible developments, Londres, Faber & Faber, 1936, p. 27 sq ; David Robinson, Music of the Shadows : Th e Use of Musical Accompaniment with Silent Films, 1896-1936, supplément à Griffi thiana, n° 38-39, octobre 1990, p. 8 ; Claudia Gorbman, Unheard Melodies : Narrative Film Music, Bloomington, Indiana University Press, 1987, p. 36 sq.• 18 – Hennion, op. cit., p. 48 sq.• 19 – Gaita, op. cit., p. 52 : coupes et façade du Cinéma Mondain de Jérôme Dulaar ; Deslandes et Richard, op. cit., p. 201, photographie de la baraque d’Adolphe Levergeois.

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montrant les loges foraines permettent de voir distinctement ces cabines qui dépas-sent de la baraque. La nuisance sonore du « projo » semble des plus réduites. Rodolphe-Maurice Arlaud, dans ses souvenirs d’une grande précision et avec des informations très fi ables, confi rme la logique de notre déduction. « La cabine [de protection contre les incendies] avait également l’avantage d’étouff er les bruits de la mécanique que le piano ne couvrait pas toujours 20. »

Quand le journaliste des premières projections, avant isolation du projecteur dans une cabine, se prépare à entendre du bruit, il note au contraire le silence : « le technitographe [installé à Pau en octobre-novembre 1896] est un appareil “élégant, léger, d’un réglage facile”, qui “fait peu de bruit quand il est en acti-vité”, d’après un témoin oculaire, Georges Brunel (le Kinetograph Méliès et Reulos, Paris, 1897). Ce que corrobore l’article du quotidien des Basses-Pyrénées : la projection se déroule “au milieu du silence le plus saisissant” 21. » Pour Rick Altman, c’est plutôt le bruit fait par les spectateurs qui fut noté par les journa-listes 22. Enfi n, nous avons eu la chance d’écouter de près un véritable appareil Lumière, fonctionnant à la vitesse d’à peu près seize images par seconde : le bruit produit est très doux, même en se plaçant à côté de la machine 23. Il reste que la machine doit être bien huilée. Le volume sonore dépend aussi du type d’appareil utilisé 24. Les publicités vantent très vite, et jusqu’en 1914, « l’absence de trépidation », ce qui délasse les yeux, mais aussi les oreilles. Mais même en cas de « tac-tac-tac » un peu fort, à cette époque de la fi n du xixe siècle où triomphe le machinisme, qui eut pris peur en entendant ce ronronnement ? Au milieu du fracas sonore des foires, quand on entend les générateurs d’énergie à vapeur plus que la musique, ou bien les cris de la parade de la baraque voisine, peut-on vraiment identifi er le bruit de l’appareil de projection ?

Ce bruit de projecteur nous semble surtout identifi er plus tard quand l’institu-tion scolaire incite à la projection de fi lms 16 mm, ou lors de séances amateurs, ou bien dans des ciné-clubs, etc. Dans ces cas, le projecteur est au milieu du public, et surtout il est motorisé. C’est le moteur, qui se généralise dans les salles à partir de la guerre de 1914-1918, qui provoque un ronronnement perceptible. Quand Alain Boillat trouve des articles citant un bruit de projecteur, il s’agit de critiques

• 20 – Arlaud, op. cit., p. 59.• 21 – Hélène Tierchant, op. cit., p. 16.• 22 – Rick Altman, « Th e Silence of the Silents », op. cit., p. 670. Altman, Silent Film Sound, op. cit., p. 195.• 23 – Merci à Fabrice Calzettoni de l’Institut Lumière.• 24 – Un exploitant, M. Cotrelle est loué par un journal d’Amiens : « Il a apporté à l’appareil Pipon de notables perfectionnements pour enrayer les deux défauts de tout cinématographe : le bruit inces-sant et monotone et la trépidation des vues projetées ». Le Journal d’Amiens, 3 octobre 1896, in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 45. C’est une des très rares notations du fameux bruit.

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spécialisés en musique écrivant entre 1917 et 1928 25. Ils trouvent que la paroi de la cabine n’est pas assez épaisse pour isoler du bruit. Cela nous confi rme qu’à partir de 1917, avec les doubles projecteurs motorisés, un bruit mécanique se fait entendre. Les esthéticiens écrivant, à partir des années 1930, sur la gène du bruit mécanique nécessitant de la musique ne semble avoir eu dans leur souvenir que le bruit des moteurs, pas celui des manivelles.

Il est néanmoins possible d’avoir des séances où seul le bruit du projecteur se soit fait entendre avant 1914 : les projections à domicile. Plusieurs annoncent dans des journaux signalent que des exploitants se déplaçaient pour montrer des fi lms dans un cercle de famille dans des « Séances à domicile ». Dans le cadre feutré d’un salon bourgeois, où une dizaine de personnes se rassemble autour d’un projecteur, et si personne ne se met au piano, le tactactac de l’appareil devait dominer. Ce bruit régulier, doux, ronfl ement hypnotique a pu être l’accompagne-ment « musical » de nombre de séances privées. Quand les appareils pour amateurs se sont développés, avec le Pathé Baby par exemple, les familles se sont projeté des fi lms seulement bruités par le rythme de la machine. Ce tactactac régulier a bercé l’enfance de nombreuses générations, jusqu’à ce que le magnétoscope supplante le super 8 ou le 16 mm. Cela explique peut-être la profusion des textes parlant de ce bruit comme étant la seule musique des fi lms vus. Et l’idée répandue qu’il fallait de la musique pour couvrir ce bruit, ce qui nous semble faux, comme nous l’avons montré plus haut, provient sans doute de l’association avec le bruit des moteurs.

S’il fallait chercher une raison à la présence de la musique plutôt que du silence pendant la majorité des projections en France, ce serait plutôt du côté de l’intégra-tion du cinématographe dans des spectacles déjà existants qu’il faudrait aller. Les pratiques de présentation de fi lms furent multiples, celles des accompagnements musicaux également.

Intégration du cinématographe dans des spectacles musicauxFroissart et ses concurrents

« Entre la diseuse et le chanteur à voix, [le cinématographe] s’inséra dans le programme des cafés-concerts. À partir du 30 mars 1896, un opérateur Lumière alla tous les soirs, à 10 heures, installer sa machine au milieu des buveurs atta-blés dans la salle de l’Eldorado, le caf ’ conc’ du boulevard de Strasbourg 26. » Le cinématographe est, avant 1907, à la fois un phénomène de foire et un numéro

• 25 – Boillat, op. cit., p. 139.• 26 – Deslandes et Richard, op. cit., p. 14.

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de music-hall. Un forain comme Jérôme Dulaar mélange les fi lms et les tours de chants quand il établit, chaque hiver, son Th éâtre Mondain sur la Côte d’Azur. Alors qu’à Lyon, du printemps à l’automne, il ne propose guère d’attraction importante en dehors des films, pendant ses hivers niçois, à partir de 1901, Dulaar aurait engagé de très grandes vedettes qui passaient entre ses vues : Polin, Dickson, Fragson, Bérard, Polaire, Caroline Otéro, Georgel, Max Dearly, Fursy, Paul Delmet, Mayol 27! La chanson, la musique et les fi lms se mélangent dans le cadre de ce Th éâtre Mondain itinérant, et les publics aussi, des riches touristes de la Riviera aux ouvriers lyonnais.

Les cafés-concerts, concerts, théâtres de variétés et music-halls placent dans leurs programmes des cinématographes d’une façon importante sur toute la France, surtout à partir de 1902-1903. Ces salles possèdent de beaux orchestres et peuvent faire accompagner les fi lms par de la musique, même si cela ne fut pas systématique. Le Nouvelliste des concerts, cirques et music-halls nous renseigne sur l’intégration des cinématographes au sein des spectacles dans ces salles. Le « professeur Froissart », pourrait presque être considéré comme un des premiers distributeurs de fi lms en France. Il emploie dès le début des années 1900 de nombreux opérateurs, intervenant principalement dans les concerts et music-halls, dans de très nombreuses villes françaises. Cela lui permet de faire tourner un stock important de fi lms entre ces salles. Son « American Vitograph » s’intercale le plus souvent entre deux chansons dans la dernière partie du programme d’une soirée. Les correspondants du Nouvelliste des concerts n’accueillent pas toujours à bras ouvert cette nouvelle attraction. Voici par exemple le compte-rendu de Gaston Well à propos du programme de l’Eldorado, à Lyon en avril 1901 : « [pour l’avant-dernier numéro] l’Américan Vitograph, cinématographe agrandi, quelques-unes des vues sont assez nettes 28. » À cette date, Froissart n’envoie pas encore ses projectionnistes partout en France, car seules les villes de Lyon et de Paris sont notées dans le Nouvelliste des concerts. Après une éclipse de plusieurs mois, on signale le tourneur à Lille : « Casino des Familles. La séance se termine toujours par d’intéressantes séances du Vitograph Froissart dont l’engagement a été prolongé de quinze jours 29. » Puis on trouve le Vitograph un peu partout en France, par exemple à Marseille, à l’Eldorado en 1904 30.

Dans ces fi ns de programmes de music-halls, après les vues cinématogra-phiques, l’orchestre intervient pour sonner une « retraite ». Les fi lms apparais-

• 27 – Ibidem, p. 184.• 28 – Le Nouvelliste des concerts, cirques et music-halls, n° 68, 12 avril 1901.• 29 – Le Nouvelliste des concerts…, n° 98, 8 novembre 1901.• 30 – Le Petit provençal, 3 août 1904, cité in Suzette Hazan, Les Débuts du cinéma à Marseille, mémoire de maîtrise, université d’Aix-en-Provence, 1970, p. 15.

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sent comme ultime numéro, mais chaque soirée se conclut sur une musique qui annonce au public la fi n des représentations. Les chansons, acrobaties, jonglages, etc., sont accompagnés par l’orchestre, même si c’est avec discrétion, ou simple-ment pour marquer les coups échangés comme dans les numéros de clowns. Il semble donc, mais nous restons prudents sur ce point, que ces salles permettent un accompagnement musical approprié des fi lms. À la fi n de l’année 1901, on trouve aussi de nombreux théâtres d’ombre et « pantomimistes », qui sont, eux aussi, souvent accompagnés par l’orchestre. En 1902, un concurrent de Froissart occupe plusieurs salles : le Cosmographe Faraud. Il est présent au Casino de Lyon et à l’Eden-théâtre-concert de Saint-Étienne en mars 1902 31. Froissart doit faire face à une concurrence moins loyale quand on reprend son appellation : « M. Froissart, directeur-propriétaire du Vitograph Américain, prévient les directeurs et agents lyriques, qu’un cinématographe portant son titre, actuellement à l’Olympia de Tours, n’est pas le sien et qu’il n’a rien de commun avec ses appareils 32. » Georges Froissart équipe un très grand nombre de music-halls, concerts et cirques ou théâtres avec ses appareils entre 1900 et 1913, quand il meurt à l’âge de 57 ans 33. À Paris, citons parmi les établissements concernés : la Fauvette, l’Eldorado, le Cirque Médrano (pour les spectacles des fêtes de fi n d’année), la Renaissance Music-hall, Paris-Folies, Bobino Music-hall, le théâtre de Montmartre, la Gaîté Montparnasse… Dans certaines de ces salles, le Vitograph Froissart est placé en fi n de programme à chaque représentation, pendant plusieurs années. Le Vitograph se retrouve au Casino-Kursaal de Lyon, à l’Eldorado de Marseille, au Casino-Th éâtre de Limoges 34, etc. À Béziers, aux Variétés, voilà le programme du 15 décembre 1905 :

« Débuts de la troupe Werner-Amoros : 5 personnes dans une grande panto-mime anglaise ; les Th érésa, danses fantaisistes acrobatiques ; les Egeltons, barristes ; Mme Fauvette, fi ne diseuse de la Scala ; Aurel’s, comique grima-cier ; Suzanne Valroger, chanteuse à voix du Petit Casino ; le Vitograph Froissart, tous les soirs dans le spectacle ; Triomphe de Daras, comique fantaisiste imitateur ; MMmes Lionette et Laure Georges 35. »

Entre une chanteuse à voix et un imitateur comique se place le cinéma-tographe. C’est un numéro de music-hall comme un autre. À ce titre, il peut bénéfi cier d’un accompagnement musical, comme la chanteuse ou la diseuse.

• 31 – Le Nouvelliste des concerts…, n° 118, 28 mars 1902.• 32 – Le Nouvelliste des concerts…, n° 150, 7 novembre 1902.• 33 – Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 118.• 34 – P. et J. Berneau, op. cit., p. 35.• 35 – Site Internet de la Société de Musicologie de Béziers. Le Vitograph reste à Béziers un peu plus d’un mois, jusqu’à la fi n janvier 1906.

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Cette pratique d’intégration dans des spectacles préexistants est essentielle au cinématographe des années 1902-1907. C’est le statut le plus courant avec celui d’attraction foraine, contrairement aux années 1908-1914, quand la stabilisation en salles spécialisées fait progressivement basculer ce divertissement dans une autre pratique d’exploitation. Les « numéros » proposés par le cinématographe plaisent suffi samment pour que les « engagements » dans les music-halls et concerts se multiplient.

À partir de 1903, des concurrents de Froissart s’installent dans d’autres salles parisiennes. La compagnie la mieux organisée est l’Urban Trading C°, proposant les fi lms de l’Anglais Charles Urban dans des lieux prestigieux comme le Moulin-Rouge ou Ba-Ta-Clan 36. Toujours à partir de 1903, Georges Petit fonde la Société des Cinéma-Th éâtres ou Booston-Vio, ou encore Viographe français, qui circule avec une dizaine d’appareils dans les salles françaises et équipe l’Olympia (1903-1905), puis le music-hall Étoile-Palace (1905-1908). Trois anciens employés de Georges Méliès se lancent également dans l’exploitation de cinématographes dans les music-halls et concerts. Ils fondent l’American Kinetograph. Dans la période 1905-1907, ils montrent des fi lms dans les salles telles que les Folies-Bergère, l’Olympia, les Folies-Parisiennes, les Variétés-Parisiennes 37… Les projecteurs se glissent donc au milieu des attractions de toutes les salles de spectacle, à Paris comme dans toute la France. Ces projections restent seulement quelques mois, parfois pendant un an ou deux. Quand une salle change de directeur, ce qui arrive assez souvent, les accords sont renégociés. Dans le cadre des music-halls, concerts et cirques, la logique de l’accompagnement musical semble évidente. Les sociétés qui passent des accords avec les salles de spectacle proposent souvent les services d’un conférencier. M. Renaud, père de la future actrice Madeleine Renaud, travaille comme conférencier pour l’American Kinetograph.

La musique proposée avant les films reprend le principe des concerts. « Ouverture » au début, « retraite » en fi n de programme, rythment la plupart des séances, quelle que soit la taille de la salle. À l’opéra de Lyon, appelé alors Grand Th éâtre, quand l’art lyrique cède la place à de la musique sans chanteurs, on peut placer des fi lms entre les pièces jouées, de façon à varier le programme. « Le Grand Th éâtre donne des concerts symphoniques et la direction a eu l’idée d’intercaler des vues cinématographiques 38. » Il ne s’agit pas d’un programme régulier. Ce mariage de la musique et des fi lms, sans qu’il s’agisse d’un accompagnement, rappelle la diversité des sons entourant les fi lms.

• 36 – Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 119. À cette époque, on disait « aller à Ba-Ta-Clan ».• 37 – Ibidem, p. 120 sq.• 38 – Phono-Ciné-Gazette, n° 51, 1er mai 1907.

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FéeriesLa féerie est un spectacle intermédial, mêlant théâtre, chant, danses, ombres,

machineries, très populaire à la Belle Époque, dans lequel s’insert le cinémato-graphe 39. Dans le cadre des féeries, des chansons pouvaient correspondre aux fi lms présentés au milieu du spectacle. En 1905, Méliès tourna deux bandes dans le cadre d’une commande du théâtre du Châtelet. Une féerie, en 4 actes et 34 tableaux, intitulée Les Quatre cents coups du diable est créée dans le théâtre pari-sien le 23 décembre 1905. De nombreux ballets et des chansons alternaient dans ce spectacle. « Pour meubler les temps morts entre les changements de décor, en dehors des scènes d’enchaînement jouées devant le rideau d’avant-scène, le direc-teur du Châtelet avait eu l’idée de demander à Georges Méliès de réaliser deux courtes bandes : Le Voyage dans l’espace, et Le Cyclone.

C’est ainsi qu’après le premier tableau, où l’on voyait le Bon génie condamné à s’exiler sur la terre, monter dans un fi acre céleste accompagné du chœur :

Va te fair’ fair’ faireVa te fair’ fair’ LanlaireEt que ce vœu sincèreTe suive sur terre, terre, terre !

Le fi acre partait en coulisse, la scène était plongée dans l’obscurité, un écran descendait des cintres et l’on projetait

Le Voyage aérien, tableau cinématographique de M. Méliès : on assiste au voyage du bon génie en fi acre. Passage d’une comète. Le Cocher est paf.Discussion entre le bon génie penché à la portière et le cocher qui fouette son cheval.La voiture s’emballe. Terreur du bon génie. La voiture traverse une étoile habitée. Vif émois des habitants, accidents, etc. Finalement, la guimbarde repart vers l’infi ni, et, juste au moment où l’on commence à apercevoir la terre, verse sens dessus dessous.Le bon génie est projeté dans l’espace. Il ouvre son parapluie qui lui sert de parachute 40.

Les péripéties du bon génie, les notations concernant la terreur du personnage, la discussion avec le cocher, etc., ont pu être « doublées » en direct par les acteurs de la féerie-ballet. On ne possède pas d’information concernant d’éventuelles chansons, mais un accompagnement musical semble très probable dans le cadre

• 39 – Merci à Séphane Tralongo.• 40 – Les Quatre cents coups du diable, texte complet de la grande féerie du Châtelet, publié dans Mon beau livre, magazine mensuel de la jeunesse, Fayard, n° 2, février 1906. Cité in Deslandes et Richard, op. cit., p. 480-482.

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du Châtelet. Pendant le deuxième acte, un deuxième tableau cinématographique se déroulait sur l’écran : Le Cyclone. Le texte de la féerie signale encore de nombreux sons : « Tout cela tourbillonne et s’envole sous l’action du vent […]. Les habi-tants poussent des cris d’eff roi […]. La scène s’est obscurcie peu à peu. […] On voit passer le bon génie et Marius cramponné à des tuyaux de cheminée. […] Le vacarme est eff royable, il cesse tout à coup pour faire place à un grand calme », et on enchaîne sur le tableau suivant 41. Ce texte ressemble à une « novellisation » du spectacle. Néanmoins on repère des indications scéniques (« un rideau de calicot sur lequel se projette le cyclone ») qui laisse penser que le compte-rendu reste fi dèle au déroulement de la féerie. Les cris, le vacarme et autres éléments sonores et musicaux devaient donc être présents simultanément à la projection de façon à garder la plus grande continuité possible avec le reste du ballet. Nous avons donc une intégration complète du cinématographe à l’intérieur d’un spectacle, avec accompagnement musical approprié. Ce type de programme poussant aussi loin l’utilisation du fi lm dans la féerie-ballet semble, dans l’état actuel des recherches, assez rare. Une étude poussée permettrait d’analyser plus en détail cette intégra-tion, ou interpénétration des deux formes de spectacle.

Revues (de music-hall)La voix humaine ne doit pas être couverte par l’orchestre pendant l’accompa-

gnement des vues. Cette concurrence entre musiciens et conférencier existait dans certaines salles, mais pas dans les music-halls où l’orchestre avait l’habitude d’al-terner harmonieusement avec les artistes chanteurs, diseurs, imitateurs et surtout avec le compère et la commère. Ces deux personnages essentiels des « revues » de toutes les salles de music-halls de France de la période, devaient commenter chacun des numéros. Dans une revue, des chansons satiriques, des sketches et des petites pièces comiques alternaient. Avant que la revue soit dominée par des eff ets scéniques et des défi lés de « girls » sur un grand escalier, elle permettait un commentaire ironique des événements de l’année, dans chaque ville où elle était montée 42. Compère et commère commentaient l’action, faisaient le lien entre les tableaux et permettaient aux techniciens de changer le décor entre chaque numéro. Ils établissaient souvent un contact avec les spectateurs. Interpellant le public, ils demandaient à celui-ci de jauger la qualité de la prestation de leurs confrères. Ces « meneurs de revues », avant qu’un Monsieur Loyal en frac ne soit accompagné d’une jeune femme dénudée, improvisaient en fonction des événements dans la salle et jouaient de leur bagout pour conquérir le public. Nul doute qu’ils faisaient

• 41 – Ibidem.• 42 – Jacques Feschotte, Histoire du Music-Hall, PUF, 1965.

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de bons conférenciers comiques quand des fi lms étaient intégrés aux revues sati-riques. Déjà en 1904, Méliès avait tourné une vue pour la Nouvelle Revue des Folies-Bergère : Le Raid Paris-Monte-Carlo en deux heures. Ce fi lm constitue le « tableau numéro 10 » de la revue et permet à Fragson d’atteindre enfi n Monte-Carlo. Dès la projection de cette bande terminée, les tulles superposés s’écartent et Fragson « débarque en chair et en os » sous les acclamations des spectateurs des Folies-Bergère 43.

En 1896, la pièce La Biche au bois intègre un fi lm à son déroulement, lors des représentations au théâtre du Châtelet. L’Auvergnate de Fernand Meynet et Marie Geff roy, utilisait un fi lm, lors de sa création au théâtre de la République, en septembre 1899. Le passage projeté sur un écran permettait d’observer la recons-titution d’un crime pendant un procès. On peut imaginer que les voix des acteurs pouvaient accompagner ces projections, avec des commentaires ou des doublages en direct. Les musiciens du théâtre pouvaient aussi jouer pendant ces fi lms, mais nous n’avons pas de précisions sur ces possibilités. En 1902, un drame créé à l’Ambigu, La Fleuriste des Halles, utilisait deux fi lms pour montrer les deux rêves de l’héroïne de la pièce 44.

Des bruitages annoncent l’arrivée de Max Linder dans son « Kinéma-Max-Sketch » intitulé, C’est le tango qu’est cause de ça, en 1913. Un fi lm montre Max arrivant à l’Alhambra en ballon, puis passant par le toit, « tandis qu’un fracas de tuiles et de vitres brisées l’accompagne 45 ». En descendant avec sa corde depuis les cintres, Max Linder rate son eff et, mais ajoute du bruitage, puisqu’il tombe de cinq mètres de haut, trois jours après la Première. Foulure et contusion ne l’empêche-ront pas de continuer à imaginer des mélanges de fi lms et de scènes jouées dans la revue de printemps de la Gaîté Rochechouart en 1914 46. L’accompagnement sonore est signalé dès l’affi che du « sketch dramatique, musical et cinématogra-phique » présenté à partir du 20 septembre 1913 aux Folies-Bergère. Trois stars comiques de la compagnie cinématographique Éclair, Gavroche, Casimir et Pétronille se retrouvent sur scène et dans des passages fi lmés. Une salle spéciali-sée, qui ne « devrait » être qu’un « cinéma », l’Omnia-Pathé, passe également un spectacle mêlant sketches sur scène et fi lms, en janvier 1913. De fi lm en aiguille, spectacle hybride tourne dans les salles Pathé et parcourt la France 47. Les auteurs, Bastia et Heuzé trouvent un argument imparable pour inclure leurs héros dans la vraie salle de cinéma. Ciné-Jounal résume le spectacle :

• 43 – Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 107.• 44 – Ibidem, p. 261.• 45 – Le Courrier cinématographique, n° 36, 6 septembre 1913.• 46 – Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 262.• 47 – Ibidem, p. 262.

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« Un monsieur et son épouse désirent aller passer la soirée au théâtre : malheureusement partout ils ne trouvent que des annonces de revues : La Revue de l’année à l’Opéra, Les Mascaudneries du Français à la Comédie, Le Petit qu’a fait, au Palais-Royal, etc., etc. Nos amateurs de spectacle déci-dent donc d’aller au Cinéma, et nous les voyons entrer chez Pathé. Ici la projection s’arrête et, dans la salle prennent place le monsieur et la dame, en chair et en os dont le cinéma venait de nous montrer les tribulations à la recherche d’un spectacle qui ne soit pas une revue. La salle est replongée dans l’obscurité et l’écran annonce… Une Revue au Cinéma… Fureur des deux spectateurs qui protestent tout haut, et c’est le classique scandale dans la salle, avec l’inévitable agent qui arrange les choses en conseillant aux deux protagonistes de prendre part à cette revue comme commère et compère. Et voici les scènes d’actualité qui défi lent en projection, cependant que les commentaires parlés ou chantés, se font entendre, lancés dans l’ombre par le compère et sa partenaire. C’est en somme le même procédé que dans les spectacles d’ombres des cabarets montmartrois.Nous voyons ainsi les scènes des agrandissements des grands magasins, des encombrements de Paris, des diff érents déménagements : celui de M. Le Bargy et naturellement celui de M. Fallières à la recherche d’un logement en compagnie de Cochon.Toutes les scènes sont traitées de façon fort habile avec un mélange de vues prises dans la réalité et d’autres préparées fort adroitement pour faire suite aux scènes réelles, et puis d’amusants trucages donnent même un aspect féerique à cette revue, tel le rêve de M. Fallière qui voit ses successeurs possibles venir le tourmenter la nuit pour s’emparer de sa place encore chaude 48. »

Cette revue satirique, de janvier 1913, anticipe de quelques jours sur l’actualité puisque le Président de la République, Armand Fallière, ne quitte ses fonctions que le 18 février 1913 49. Cet article nous permet de noter que la salle de cinéma est bien identifi ée, en 1913, en tant que lieu spécifi que. C’est sa diff érence avec les théâtres, Opéra, music-halls et autres caf ’ conc’ qui est utilisée, par les deux auteurs du spectacle, comme moteur de leur revue. Le chroniqueur de Ciné-Journal compare cette soirée à celles proposées par les théâtres d’ombre. Il confi rme notre intuition de la similarité dans l’accompagnement musical et verbal de ces spec-tacles avec certaines projections. Le rôle donné au compère et à la commère qui se trouvent dans l’obscurité et commentent les vues cinématographiques ressemble à celui du conférencier, sous l’angle parodique. Même si ce spectacle est fait pour de « vraies salles de cinéma », il appartient au monde du music-hall alternant paroles et chansons. Par l’étude de l’accompagnement sonore nous relevons le caractère

• 48 – Ciné-Journal, n° 239, 22 mars 1913.• 49 – Journal de la France et des Français, Gallimard-Quarto, 2001, Index, p. 364.

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hybride du « cinéma » de cette période d’avant 1914. Bastia et Heuzé récidivèrent avec Au bout du fi lm, spectacle de juin 1913, au Casino de Paris, cette fois dans une salle bien défi nie comme polyvalente. Ce spectacle passa ensuite dans diverses salles françaises, dont un music-hall lyonnais. Les revues locales n’étaient pas en reste. En décembre 1913, la revue du Kursaal de Lyon intégrait un fi lm tourné dans les envi-rons de la capitale des Gaules. Cela permettait de propulser les personnages, présents sur la scène le reste du temps, dans une incroyable poursuite en automobiles 50.

« C’était le mercredi 17 décembre la Première de la grande revue d’hiver Exposons tout. Disons tout de suite que ce fut un triomphe et que le succès fut grand pour tous. […] Le cinéma n’est pas oublié, et au tableau [le numéro du tableau est manquant] nous assistons à une captivante poursuite en auto. Une jeune miss (la commère), qui s’est échappée de son pension-nat, s’est réfugiée, avec M. Courtebis (le compère) dans une ferme du Mont Verdun, où elle est retrouvée par une détective anglaise, Sherlockette. C’est alors sur l’écran, une fuite éperdue des plus amusantes à travers la campagne, la route de Saint-Cyr [au Mont d’Or], les rues de Lyon, et enfi n les W.C. souterrains de la place de la République 51. »

Cette intégration du « cinéma » dans les tableaux d’une revue locale, avec un fi lm tourné dans les environs, montre l’utilisation régionale du cinéma. Ici l’accent lyonnais doit être bien marqué (comme chez Guignol). Les voix de la commère et du compère, cachés près de l’écran, permettent d’avoir des dialogues pendant la projection. L’orchestre du Kursaal devait accompagner le fi lm comme le reste des tableaux de la revue, et bruiter les gags. Le fi lm baigne dans l’atmosphère sonore du music-hall. Cette vue cinématographique devient une attraction (un tableau d’une revue), totalement intégrée à une salle de spectacle, qui ne peut pas être appelée salle de cinéma, bien qu’elle projette souvent des fi lms.

L’exemple de LimogesLes salles avec orchestre proposant des numéros de chants, des spec-

tacles proches du cirque ou du cabaret, sont appelées « concerts ». La salle des Nouveautés, à Limoges, pourrait être classée dans cette catégorie. Nous pouvons analyser des exemples de spectacles musicaux intégrants des projections de fi lms dans cette salle et d’autres de la même ville. De janvier à juillet 1911, elle propose des fi lms aussi bien que des équilibristes, ou des « duettistes militaires miniatures » (enfants ou nains parodiant des soldats). En 1913, les fi lms passent dans le même programme que « le zouave Martin et sa cantinière dans son sketch militaire […].

• 50 – Le Cinéma et l’écho du cinéma, n° 93, 23 décembre 1913.• 51 – Ibidem.

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Le Zouave Martin est un virtuose du clairon : avis aux amateurs 52 ». Cette salle des Nouveautés programme des « projections lumineuses », qui pourraient nous tromper sur leur nature.

« Le très exceptionnel numéro de projections lumineuses que présente de façon aussi charmante Miss Lisandra, assistée de l’un des meilleurs ex-opéra-teurs de la Maison Gaumont, a été particulièrement fêté. Rendons justice au côté artistique de cette grande attraction vedette, […] hier les applau-dissements faisaient rage, mais aussi de superbes gerbes ont été off ertes à l’excellente artiste qu’est Miss Lisandra, tant dans le chant, la danse que les poses d’art 53. »

On pourrait croire qu’une « conférencière » (terme qui n’apparaît pas à l’époque dans cette profession très masculine) commente des fi lms. En réalité, les projec-tions lumineuses assurées par un ex-opérateur Gaumont sont des lumières de couleurs se refl étant sur les robes et voiles de la danseuse, Miss Lisandra. Cette technique « empruntée » à la grande Loïe Fuller fut largement présente dans les music-halls de la Belle Époque 54. Les fi lms alternent avec des numéros qui utilisent les projecteurs dans le cadre de spectacles sur scène.

La salle des Nouveautés se spécialise pendant certaines périodes dans des projections cinématographiques. Quand elle programme une pièce de théâtre, tout en gardant quelques fi lms dans la même soirée, elle prévient son public de façon étrange :

« “La Chanson de Florentin” – tel est le titre de cette gentille pièce – est jouée avec brio par la nouvelle troupe qui, ayant pris contact avec le public des Nouveautés, va – nous en sommes certains – nous faire passer de char-mants moments, venant ainsi faire diversion à la monotonie d’une longue soirée toute de cinéma 55. »

Le « cinéma » ne peut pas encore être un loisir à part entière, pour ce journal ! Ou alors, quelle monotonie ! La façon dont les annonces sont rédigées nous indique encore cette impossibilité de l’autonomie du cinéma dans l’esprit de certains entrepreneurs de spectacles avant 1914.

En concurrence avec les Nouveautés, Limoges possédait une salle à prix modique, voulant toucher les familles ouvrières (places de 20 à 60 centimes).

• 52 – Le Courrier du Centre, 16 avril 1913, P. et J. Berneau, op. cit., p. 100.• 53 – Le Courrier du Centre, 2 décembre 1913, P. et J. Berneau, op. cit., p. 102.• 54 – Loïe Fuller dépose des brevets pour des dispositifs scéniques en 1893. Jérôme Perrin, « Repères biographiques », Valérie Thomas (dir.), Loïe Fuller, danseuse de l’art nouveau, Réunion des Musées Nationaux, 2002, p. 20.• 55 – Le Courrier du Centre, 10 avril 1911, P. et J. Berneau, op. cit., p. 103.

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De 1911 à 1914, le Cinéma-Concert diff usa des fi lms Pathé qui étaient suivis de pièces de théâtres, numéros de chants, musiques par l’orphéon socialiste, etc. 56.

Même une tournée Pathé intègre ses fi lms dans un ensemble musical. Les hési-tations du directeur de la tournée, Charles Le Fraper, montre qu’un programme uniquement composé de fi lms ne peut s’imposer qu’un seul jour par semaine.

Dès que la salle, ou la tournée, est d’une certaine importance, l’orchestre passe à dix ou vingt musiciens. Une autre façon de se démarquer grâce à la musique est de prendre des musiciens particuliers. La tournée Pathé, dirigée par Le Fraper en 1908, a « engagé pour ses représentations un orchestre de Tziganes qui joueront en costume national 57 ». Heureusement que les musiciens jouent avant et après les fi lms car sinon leur beau costume serait peu apprécié par le public ! Au lieu d’insister sur le nombre de musiciens, comme lors de la tournée précédente de Pathé à Limoges, on brode sur l’exotisme de ces musiciens. Cela signifi e qu’ils sont moins d’une dizaine, sans doute quatre ou cinq. Le costume est un argument de vente : « Il y a un orchestre de véritables Tziganes en veste rouge à brandebourgs. On leur a planté un bosquet de magnifi ques plantes vertes. C’est de là qu’ils jouent leur musique merveilleuse qui accompagne les vues pendant qu’elles défi lent sur l’écran 58. » On précise bien que la musique est jouée pendant les fi lms. Malgré l’exotisme de l’or-chestre, ce dernier interprète les morceaux habituels des salles françaises. En intro-duction avant la projection, cet orchestre « joue successivement “Los Banderilleros”, de Volpatti, “les Patineurs”, de Waldteufel, “les Cadets”, de Sousa 59 ».

Pour la fi n de la saison, de deux mois, le 3 octobre 1908, l’orchestre est renforcé par des artistes locaux… qui ne sont même pas payés :

« La partie musicale de cette scène [L’Arlésienne] a été particulièrement soignée et l’orchestre des Tziganes renforcé ; trois artistes éminents de Limoges ont off ert spontanément leur concours gracieux : MM. Peyclit, Pujol et Chenaud, dont chacun connaît ici l’incontestable talent. D’autres artistes ont été engagés et formeront un orchestre de quinze exécutants60. »

Les soirées de gala, soirées off ertes pour une bonne cause, dernières soirées des tournées, permettent d’agrandir les orchestres. Parfois le tourneur cherche des musiciens sur place. Il démarre ses projections avec un simple pianiste puis l’orchestre augmente au fi l des jours. Pour la tournée du Mondial, qui passe par Limoges en septembre 1908 : « Au simple piano des premiers jours succède un

• 56 – P. et J. Berneau, op. cit., p. 105-109.• 57 – Le Courrier du Centre, 10 août 1908, P. et J. Berneau, op. cit., p. 71.• 58 – Ibidem.• 59 – Ibid.• 60 – Le Populaire du Centre, 3 octobre 1908, P. et J. Berneau, op. cit., p. 74.

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imposant orchestre : le quatuor limousin 61. » Comme dans beaucoup de cas, « l’imposant orchestre » se compose de quatre musiciens !

Les tournées Pathé sont généralement plus luxueuses que la plupart des autres présentations cinématographiques. Le tourneur concessionnaire Pathé, en août 1909, veut montrer que son orchestre est digne d’une grande salle de concert classique :

« Les musiciens ont voulu, pour le premier soir, donner un aperçu de leur ensemble et de leur maîtrise ; ils ont joué la fantaisie de Faust, et quelque impatience s’est manifestée dans la salle. On se l’explique : c’était un peu long, mais – ajoutons-le – admirablement joué 62. »

Le public, en 1909, semble de plus en plus habitué à des programmes purement cinématographiques. Une ouverture doit rester un élément qui introduit les fi lms. Ce n’est pas la peine, pour les Limougeauds présents ce soir-là, de prouver que l’orchestre peut jouer Gounod dans son entier. Cette impatience révèle sans doute une évolution de l’attente du public face à un loisir qui n’est plus un mélange de numéros succes-sifs, mais uniquement « du cinéma » quand on entre dans une salle avec appellation « Pathé » en 1909. D’ailleurs, quelques jours après cet impair de la direction, une notule publicitaire incite les amateurs de cinématographe à venir le lundi :

« On sait que le lundi est le jour de la semaine où l’on est le plus tenté de rester chez soi […]. Les personnes qui n’aiment pas les foules et veulent une soirée calme sans autre distraction que celle off erte par le cinématographe, choisissent ce jour pour aller au cirque [lieu où est installée la tournée Pathé]. Ce sont les vrais amateurs que l’on rencontre alors, et leur nombre est encore respectable 63. »

Comme aujourd’hui, le lundi est un jour de faible fréquentation. Les direc-teurs de salle incitent par tous les moyens les spectateurs à venir pendant ce jour « calme ». Il semble que ce soit le jour de relâche des musiciens. Après avoir travaillé le week-end pour accompagner les fi lms, ceux-ci doivent profi ter du lundi pour se reposer. Cela explique la phrase « sans autre distraction que celle off erte par le cinématographe ». Les clients énervés par le trop plein musical de la semaine précédente peuvent donc apprécier les jours de projections silencieuses ! Cela confi rme la spécialisation progressive du cinéma.

Musique, variété et fi lms en Province et à ParisDans la ville touristique de Th onon-les-bains, à partir de novembre 1910, les

fi lms apparaissent au même programme que la troupe théâtrale Dominique. Le

• 61 – Le Populaire du Centre, 24 septembre 1908, in P. et J. Berneau, op. cit., p. 76.• 62 – Le Courrier du Centre, 14 août 1909, in P. et J. Berneau, op. cit., p. 80.• 63 – Le Courrier du Centre, 24 août 1909, in P. et J. Berneau, op. cit., p. 80.

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Buff alo Cinéma laisse alors les fi lms remplir les intermèdes théâtraux. En 1911, c’est le contraire. Les intermèdes entre les fi lms peuvent être des démonstrations d’escrime 64. La salle change plusieurs fois de nom et devient, en juin 1912, l’Ex-celsior. Le programme de deux heures et demie n’est plus composé que de fi lms, accompagnés au piano « par des morceaux de musique appropriés aux projec-tions ». Mais en janvier 1914, les fi lms s’intègrent à un programme artistique varié alternant ténors locaux ou prestidigitateurs. L’attribution purement cinémato-graphique d’une salle n’est jamais défi nitive pendant cette période, sauf quelques cas particuliers, surtout à Paris. En parcourant les collections du Nouvelliste des Concerts, cirques et Music-hall, on constate que les fi lms et les numéros de varié-tés alternent dans toutes les villes de France. Dans les Casinos municipaux se produisent les artistes de variété. En fi n de programme, on trouve souvent des fi lms. Par exemple à Beausoleil, près de Monaco, le Casino municipal propose, en avril 1907 :

« Aujourd’hui jeudi 18 avril, à 2 heures le Guignol Lyonnais par M. et Mme Eric Deroche ; à trois heures et demi Cinématographe Pathé ; à 4 heures, grand bal d’enfants ; à huit heures et demi représentation théâtrale : Mlle Héliade, chanteuse de genre de la Scala de Paris ; Mlle Lina Maurès, diseuse gommeuse de l’Eldorado de Paris ; les Dolo’s Brothers, acrobates, équilibristes de l’Empire de Londres ; M. Howland, sauteur, champion du monde ; La Savani, chanteuse de la Scala de Paris ; Constantin, chanteur de genre de la Scala de Paris ; les Madrigali Alton’s, célèbres acrobates du Nouveau Cirque ; Cinématographe Pathé, vues nouvelles 65. »

Le jeudi, jour des enfants, tout l’après-midi, le Casino off re des spectacles pour les bambins. Après Guignol, les fi lms Pathé doivent être choisis pour plaire aux petits. Une demi-heure plus tard un « bal d’enfants » permet de maintenir les familles dans l’enceinte de l’établissement. La soirée pour adultes se compose d’une suite de numéros habituels. Les fi lms représentent le clou de la soirée. Le cinématographe demeure ici une attraction, accompagnée par l’orchestre, applaudie de la même façon que les numéros précédents… Le Cosmographe Faraud se trouve pendant la même période d’avril  1907 à l’Eldorado de Nice. Notons qu’exceptionnellement, au lieu de conclure, le cinématographe « commencera la soirée 66 ».

Parfois les salles se désignent comme « Cinéma-Concert » ou « Cinéma-Music-Hall », mais, la plupart du temps, rien ne les distingue, dans leur appellation des

• 64 – Pignal, op. cit., p. 58-59.• 65 – L’Éclaireur de Nice, 18 avril 1907.• 66 – L’Éclaireur de Nice, 20 avril 1907.

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salles spécialisées dans l’un ou l’autre de ces domaines. L’environnement sonore des fi lms reste hétérogène. Dans de nombreuses salles, on ne peut pas encore parler de « cinéma ».

Entre 1907 et la guerre, les lieux qui ajoutent des projections à leur programme se multiplient. Dès le printemps 1907, un des rédacteurs de Phono-Ciné-Gazette constate que les fi lms se glissent partout :

« Il n’y a guère aujourd’hui à Paris de théâtre, de music-hall, de café-concert, qui n’aient leur cinématographe. La mode est d’utiliser les jours et les heures où ces salles sont libres pour y donner une séance unique de plusieurs heures, où le public est admis à des prix variant de 25 centimes à 2 F. Notons que des journaux, des grands magasins, des brasseries, des cirques, etc., etc., ont aussi leur cinématographe, off ert parfois gratuitement, à leurs clients habituels 67. »

Les fi lms ne sont pas seulement projetés pendant les heures creuses des concerts et music-hall, mais également pendant les programmes, souvent à la fi n. Les vues cinématographiques se retrouvent entourées par de la musique, des numéros divers de trapézistes, de danseuses ou de transformistes.

La salle du Th éâtre des Variétés, à Paris, comme son nom l’indique, permet d’admirer aussi bien des pièces de théâtres, des chansons… et parfois des fi lms. Un fi lm, tiré d’une pantomime de Michel Carré, est accompagné par les vingt-cinq musiciens de l’orchestre du Th éâtre des Variétés, déchiff rant une musique d’André Wormser. Les images animées s’intègrent également à des spectacles de théâtre ou d’opéra. Le Courrier cinématographique, résume, en 1913, les apparitions du cinéma chez dans diff érentes salles de variété :

« Le cinéma débuta à l’Ambigu dans La Fleuriste des Halles et Le Juif errant. On l’applaudit à Cluny dans Le Fiancé de Th ylda […]. On le vit encore dans d’autres pièces. Il conquit enfi n ses lettres de noblesse à l’Opéra, où il intervient dans Le Crépuscule des Dieux 68. »

Ce résumé de la mixité du « cinéma », du théâtre et de l’opéra, permet de présenter le rôle accessoire du fi lm dans la tradition théâtrale. Les vaudevilles et les sketches de music-hall continuent, de 1907 à 1914 d’utiliser le fi lm de temps en temps, ce qui signifi e qu’un accompagnement verbal et musical, se joignait aux eff ets visuels. En octobre 1907, Le Millième constat, vaudeville créé aux Folies-Dramatiques, avec Mistinguett, donne aux spectateurs l’occasion de découvrir, grâce à un fi lm, ce qui se passe derrière les portes de coff re-fort d’une

• 67 – François Valleiry, « Les cinématographes de Paris », Phono-Ciné-Gazette, n° 49, 1er avril 1907.• 68 – Le Courrier cinématographique, n° 15, 12 avril 1913.

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banque très spéciale qui abrite des chambres pour adultères discrets 69. Les acteurs doublaient-ils en direct les personnages fi lmés ? La musique accompagnait-elle ces fi lms intégrés dans une pièce ? On peut le supposer, selon la logique de ce spectacle intermédial.

Ne trouve-t-on pas de musique de fi lm à la Belle époque ? Si, et sans avoir à attendre la partition de Camille Saint-Saëns pour L’Assassinat du Duc de Guise, en 1908.

Accompagnement musical pour fi lms seulsOrchestre et grève

Le nombre de musiciens peut varier de zéro à 80, entre une baraque foraine et un music-hall. Il peut aller bien au-delà si on intègre les choristes, comme au Gaumont-Palace.

L’orchestre avec les chœurs est arrivé au total de 130 exécutants dans cette salle gigantesque 70. Le contenu de la musique change constamment d’un lieu à un autre, depuis les grands airs classiques jusqu’aux chansons populaires. Des instruments fonctionnent tout seul, grâce aux cartes perforées et autres parti-

• 69 – Comœdia, 18 et 19 octobre 1907.• 70 – Meusy, op. cit., p. 172 et 252.

Programme de l’Hippodrome, avant qu’il ne devienne le Gaumont-Palace, en mars 1908. Déjà 110 exécutants, coll. Institut Lumière.

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tions mécaniques. « On peut passer une demi-heure agréablement aux sons d’un automatique-musical jouant les airs les plus en vogue 71. » L’orchestre rassemble souvent un pianiste et un violoniste, parfois trois ou quatre musiciens de plus. Dès 1897, le cinématographe de la porte Saint-Martin, à Paris, signalait qu’un quatuor de saxophones était présent pendant les projections 72. Un prospectus de 1903 du forain Grenier, signale que les fi lms de chasse sont accompagnés de cors de chasse 73. On imagine la « joie » des concurrents de cette loge qui devaient bénéfi cier de cette musique puissante !

Les tourneurs peuvent venir avec des musiciens ou s’arranger avec un orchestre local, par exemple celui qui joue dans la salle louée. M. Hermand, installe un « Grand Cinématographe Américain », au cirque municipal de Rouen, en 1904. Les journaux ne disent presque rien de la musique. « À chaque séance, les fi lms étaient accompagnés d’un “grand orchestre” que le Nouvelliste qualifi ait de “brillant” (Le Nouvelliste de Rouen, 29 septembre 1904). On s’en contentera et à l’instar de toutes les tournées étudiées, on restera dans l’expectative quant à la qualité, l’ampleur et l’originalité de la musique ou des musiciens 74. » À Lyon, « l’habile manipulateur [opérateur] Hermand » s’installe au Nouveau Th éâtre avec son Cinématographe Géant en mai 1905. Il s’agit probablement du même homme, qui a changé l’appellation de sa machine. Entre le 25 mai et le 4 juin 1905, les journaux louent les « ingénieuses dispositions » du projecteur, « qui empêchent toute trépidation 75 ». Chaque jour une information diff érente est distillée par la presse, sans aucun doute selon les desiderata du tourneur. On apprend donc le mardi 30 mai qu’un « orchestre se fait entendre durant toute la durée du charmant spectacle 76 ». Le journal précise donc que la musique est jouée pendant les fi lms. On ne sait rien par ailleurs de l’importance de l’orchestre de cette salle de moyenne importance.

L’appellation « grand orchestre » est très souvent utilisée, sans que nous puis-sions en déduire la taille réelle de la formation. Il arrive qu’un « orchestre » de quatre ou cinq musiciens soit qualifi é de « symphonique » ! Un piano et parfois un violon restent les instruments de base des salles les plus modestes. Quand de grandes salles sont concernées, le nombre des musiciens monte à une vingtaine. On fait souvent intervenir les fanfares militaires, ou des orphéons locaux. Autour de 1907, de grands orchestres, qui peuvent aller jusqu’à 80 musiciens et quelques

• 71 – Le Phare de Calais, 23 juillet 1896, in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 124.• 72 – Meusy, Cinémas de France, op. cit., p. 22.• 73 – Ibidem, p. 42.• 74 – Olivier Poupion, op. cit., vol.1, p. 131 sq.• 75 – Lyon Républicain, 1er juin 1905.• 76 – Ibidem, 30 mai 1905.

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dizaines de choristes, sont assemblés dans les salles appelées « concerts » ou music-halls, puis dans les plus grandes salles entièrement dédiées aux fi lms. Les salles liées à Pathé se devaient d’avoir un orchestre important. Un spectateur se plaignit des orchestrations trop complexes utilisées dans les salles Pathé et demanda des « musiques simples 77 ». C’est le seul exemple d’un spectateur qui réclame moins de musique grandiose. Les autres courriers ou les articles semblent plutôt apprécier l’emphase musicale.

À Paris, le groupe « Cinéma-Exploitation » emploie de nombreux musiciens pour toutes les salles portant l’enseigne Pathé, comme, par exemple le Cirque d’Hiver depuis décembre 1907. Cette compagnie n’intégra pas aisément les nouvelles lois donnant plus de droits aux syndicats dans les entreprises. Après certaines revendica-tions, des artistes syndiqués devaient être licenciés. Du coup les autres musiciens se mirent en grève, en janvier 1909, dans plusieurs salles parisiennes.

« Les musiciens des établissements de la Cinéma-Exploitation-Pathé, au nombre de 150 environ, se sont mis samedi soir en grève. À 9 heures tapant [sic], sur un coup de téléphone parti de la Chambre syndicale, dont le siège est au 28 de la rue Montholon, ils ont tous déserté les pupitres et laissé l’administration en panne.Cette grève est la réponse des musiciens aux manœuvres du patronat qui, après avoir rompu le contrat collectif conclu avec la chambre syndicale, s’était décidé à accepter les combinaisons lucratives d’un intermédiaire, un sieur C… qui s’était chargé de recruter pour lui, à des salaires de famine, des apprentis musiciens, des mandolinistes errants et de pauvres fi lles pour qui la musique n’est souvent qu’une parade.C’est lundi que le licenciement général des artistes devait avoir lieu. Ceux-ci ont pris les devants et dans les vingt établissements de Paris, ils ont, à la même heure, cessé le travail 78 ! »

Le ton de l’article est remarquablement engagé pour une revue corporative. Ciné-Journal prend le parti des grévistes. Dans la suite du compte-rendu, on explique que M. C… a essayé de « caser à l’orchestre toute la lamentable jaunisse qu’il a embauchée ». La réaction des spectateurs a empêché ces casseurs de grève (les « jaunes ») de prendre la place des musiciens :

« Cette mesure n’a pas été sans soulever des protestations dans le public qui n’a pas goûté la musique des jaunes. Des manifestations se sont produites au Cirque d’hiver et à l’avenue de Clichy, où l’orchestre a dû quitter le service. Des arrestations ont été opérées 79. »

• 77 – Phono-Ciné-Gazette, n° 49, 1er avril 1907, lettre d’un spectateur.• 78 – Ciné-Journal, n° 22, 14 janvier 1909.• 79 – Ibidem.

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Les clients ont participé à des bagarres au Cirque d’hiver, certains soutenant le mouvement des grévistes, d’autres protestant contre cette attitude 80. Le concurrent direct de Pathé, même s’il paye ses musiciens au tarif syndical, dut lui aussi faire face à une grève (quelques années plus tard), parce que le Gaumont-Palace refusait de s’engager sur une embauche pour la saison suivante 81. Ces incidents prouvent qu’en janvier 1909, l’habitude d’entendre un orchestre, en accompagnement des fi lms, était bien ancrée dans certaines salles. Cela explique la réaction assez vive d’une partie du public, qui réagit à la fois pour des raisons politiques et parce que les musiciens « jaunes » ne jouent pas correctement. Les cinémas ont tout intérêt à faire de la publicité sur la qualité de leurs artistes. Une salle de moyenne impor-tance, la salle Berlioz, à Paris, transformée en « cinéma » à partir de 1908, affi rme posséder un orchestre de 20 premiers prix de conservatoire 82.

Accompagnement discontinuPendant les années 1896-1899, quand il existe, l’accompagnement n’est pas

continu. Certaines vues en bénéfi cient, et peuvent être signalées par les journalistes, alors que de nombreux fi lms passent sans musique. « Pour le “Couronnement du Tsar”, l’orchestre joue l’hymne russe et la “Danse de la Loïe Fuller” est accompa-gnée 83. » Ce sont les deux accompagnements musicaux les plus cités des années 1896-1898. En cette époque d’amitié franco-russe, cet hymne est un des plus joués. Les rédacteurs remarquent souvent cette volonté de l’orchestre de donner du réalisme à la scène. Les danses dans le style de la Loïe Fuller, très souvent projetées, sont faciles à accompagner 84. Le rythme correspondant aux images des grands voiles tourbillonnant, selon le principe développé par Loïe Fuller et très vite copié, accentue l’eff et de fascination pour les spectateurs. Le rythme peut être marqué par un percussionniste, comme à Limoges : « Le Royal Viograph est présenté à Limoges […] avec de très jolis morceaux joués au piano avec accompa-gnement de tambour 85. » On précise parfois, avec un aspect nettement publici-taire, que la musique doit correspondre à l’ambiance des scènes montrées : « Nous allons entendre une musique appropriée à la circonstance et dont l’originalité a un charme véritable, puisque les airs restent dans la population 86. » Le choix des sujets

• 80 – Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 203.• 81 – Ciné-Journal, 19 juillet 1913. Là encore le public participe au brouhaha.• 82 – Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 208.• 83 – Lagny-sur-Marne, Le Journal de Seine-et-Marne, 16 septembre 1896, in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 190.• 84 – Loïe Fuller elle-même ne semble pas avoir été fi lmée à cette date, mais ses imitatrices se retrou-vent en grand nombre sur fi lms à cette époque. D’après Claudia Palazzolo, historienne de la danse.• 85 – Limoges, Le Courrier du Centre, 30 juillet 1899, in P. et J. Berneau, op. cit., p. 27.• 86 – Limoges, Le Courrier du Centre, 14 août 1907, in P. et J. Berneau, op. cit., p. 55.

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devenant de plus en plus varié, les commentateurs des séances cinématographiques précisent les titres des morceaux joués : « La Palestine dont les tableaux défi lent sur des motifs lents et bien rythmés de la “valse frivole” jouée par l’orchestre, est une suite ininterrompue de la vie orientale 87. »

Si la musique « appropriée » est clairement signalée, le contenu de l’accompagne-ment reste souvent mystérieux. Plus tard, si la salle est très petite, l’accompagnement n’est pas forcément continu, et change d’un soir sur l’autre. Dans les petites salles fi xes qui s’ouvrent dans les années post-1907, l’accompagnement au piano semble logique. Pourtant, la formulation de certaines annonces de programme laisse envisa-ger une alternance des fi lms et de la musique plutôt qu’un accompagnement pendant les fi lms. Dans une ancienne école maternelle de Limoges, une salle ouverte depuis décembre 1907, se nomme Venetian Cosmograph. C’est la première salle spécialisée de Limoges. Elle est rapidement surnommée Cinémario par les habitués, du nom du directeur d’origine italienne, M. J. Mario. La salle ne doit pas être luxueuse, car le prix le plus élevé reste à 1 F, et les secondes sont à 50 centimes. Il n’y a pas de loges à 2 F, comme c’est le cas dans les grandes salles. Le programme du 1er novembre 1909 voit se succéder dix vues cinématographiques :

Le Pain (documentaire) / Innocent Champoreau (Comique)Intermède (piano)Nouveau domestique (comique) / Vengeance de Manoël (drame)Interlude (piano)Le Dompteur Hopkins (instructif ) / Valse diplomatique (comique) / Le paraly-

tique / Les mésaventures d’un pâtissierIntermède (piano)La Purge à Lily (comique).Cette présentation pourrait laisser croire que le pianiste se délasse pendant

les fi lms. Les deux auteurs de l’ouvrage sur Limoges pensent que les fi lms étaient accompagnés 88. Ils se basent sur les programmes des soirées dites de gala. Du fait de leur caractère exceptionnel, ces soirées permettaient, peut-être, un accompa-gnement des fi lms. Ou alors, seuls les fi lms qui se prêtaient particulièrement à un accompagnement musical pouvaient en bénéfi cier. Par exemple : La Petite violo-niste ; « grande vue très pathétique avec adaptation de musique toute spéciale et solo de violon 89 ». L’insistance publicitaire sur l’accompagnement de certains fi lms nous porte à croire que le pianiste habituel n’intervenait pas pour chaque fi lm, mais pour chaque entracte, interlude ou intermède. Pour la légende de Narcisse, la publicité précise « une attention toute particulière de la part de la direction du

• 87 – Limoges, Le Courrier du Centre, 22 août 1907, in P et J. Berneau, op. cit., p. 56.• 88 – P. et J. Berneau, op. cit., p. 58 sq.• 89 – Ibidem, p. 60.

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Venetian Cosmograph : l’adaptation d’une musique toute spéciale ; un puissant harmonium, savamment conduit par M. Jules Tranchant, transporte le spectateur dans des pays inconnus troublants et vous laisse sous l’impression d’art inconnu à ces jours dans les soirées cinématographiques 90 ». Ces phrases inclinent à penser que ces morceaux de musique ne font pas partie du programme habituel. Elles permettent aussi de constater l’eff ort d’une toute petite salle pour fournir de temps en temps (pour les drames les plus longs) une musique appropriée. Des musiciens sont invités à venir se produire quand les fi lms sont sans doute plus chers à louer et qu’il faut ramener plus de public. En novembre 1909, la publicité explique : « Le Huguenot. En quinze tableaux, avec adaptation de musique appropriée à ce fi lm, pour lequel M. Mario s’est assuré la collaboration d’un orchestre symphonique spécial 91. » Les fi lms de plus d’une heure sont donc plus choyés que les autres du point de vue musical. L’orchestre symphonique en question ne doit pas compter plus de cinq musiciens !

Au vu des diff érents programmes cités, les séances de soirées pendant le week-end bénéfi cient des accompagnements spéciaux, alors que dans la semaine ou en matinée, le pianiste seul offi cie sans forcément accompagner les fi lms, ou tous les fi lms.

Accompagnateurs aveugles !Parfois c’est la possibilité d’une concordance image / musique qui semble déli-

cate. Rick Altman s’étonnait de trouver des publicités vantant « Franck Strickland, the Famous Blind pianist », engagé dans une salle diff usant des fi lms 92. Le pianiste aveugle ne devait certes pas improviser en fonction des images apparaissant à l’écran, mais la musique peut quand même être prévue pour accompagner les images. C’est le cas à Limoges en 1900-1901 : « Un peu de tous les côtés à Limoges on entend fredonner ou siffl er l’hymne national Boer ou la fameuse marche des “Soldats de la Reine”, si connue à Londres, que l’on joue chaque soir au cirque 93. » Dans le cirque en bois de Limoges, se déroulent alors les séances du Royal Viograph qui projette notamment des images de la Guerre des Boers. La musique correspond donc au programme des fi lms. « Sait-on quels sont les musiciens qui, tous les soirs sans lumière, derrière l’écran qui doit rester dans l’ombre, jouent la fameuse marche des Boers ou l’hymne du Transvaal, ou les Soldats de la Reine ? Non, n’est-ce pas ? Eh bien ce sont des aveugles auxquels le manager du Royal Viograph permet d’utiliser leurs talents 94. » Le tourneur anglais, M. Daw, qui orthographie son nom Daüe, en

• 90 – Ibid., p. 60.• 91 – Idem.• 92 – Rick Altman, « Th e Silence of the Silents », op. cit., p. 648.• 93 – Limoges, Le Courrier du Centre, 7 septembre 1900, in P et J. Berneau, op. cit., p. 32.• 94 – Limoges, Le Courrier du Centre, 15 septembre 1900, in P et J. Berneau, op. cit., p. 32.

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France, utilise la capacité de ses musiciens non-voyants à jouer dans l’obscurité pour accompagner les vues pendant leur déroulement. Il doit probablement donner de la voix un signal pour que son orchestre joue l’hymne des Boers quand les soldats du Président Krugger sont à l’écran, et non pas quand on découvre leurs ennemis anglais ! Ce spectacle a eu un tel succès qu’il revient un an plus tard avec la même équipe. Seul le nom de l’appareil a changé devenant le Royal Bioscope, en 1901. Le quotidien local rappelle « l’excellente musique des aveugles, placés derrière l’immense écran 95 ». Nous n’avons pas trouvé de présence de musiciens non-voyants clairement attestée dans d’autres articles. Peut-être sont-ils plus nombreux en Angleterre, d’où venait le tourneur.

Musique appropriéeLes journalistes précisent souvent que les musiques jouées correspondent aux

fi lms diff usés :

« Le maestro Truchet s’est montré à la hauteur de sa tâche. Il a pour chaque vue une musique particulière, un refrain connu qui s’adapte merveilleuse-ment à la situation, au fait, au personnage projeté. A-t-on sous les yeux un défi lé militaire, aussitôt l’orchestre fait entendre une fi ère marche guerrière […], voit-on un combat, la batterie devient… batterie d’artillerie et tous les accessoires fonctionnent fort à propos 96. »

Remarquons, avec cet article de 1901, qu’il ne peut s’agir d’improvisation. Chaque fois que cette musique appropriée est précisée, les journalistes parlent d’un orchestre. Il faut donc des répétitions, ou, au minimum, des partitions. Le chef doit faire un choix en fonction des fi lms. Mais combien de séances ont-elles eu lieu sans qu’aucun journaliste ne dise si la musique correspondait aux vues ? Les forains peuvent-ils proposer des accompagnements variés ? Ceux qui possèdent une grande baraque avec plusieurs instrumentistes, affi rment sur leurs affi ches que leurs présentations, où les fi lms ne sont souvent qu’un des éléments du spectacle (avec de la magie, des jongleries, des phénomènes comme la femme volante, etc.) ressemblent à des concerts. Les Leilich, dès 1898, annoncent 100 vues accom-pagnées par un orgue puissant, tout en continuant leur activité principale de Panopticum (collection de sujets pathologiques et anatomiques) 97. Pierre Iunk intègre dans ses programmes de « Th éâtre Concert des Fantôches Parisiens » un cinématographe perfectionné 98.

• 95 – Limoges, Le Courrier du Centre, 25 août 1901, in P et J. Berneau, op. cit., p. 35.• 96 – La Soirée nancéenne, 23 janvier 1901, in Aurora, op. cit., p. 84.• 97 – Aurora, op. cit., p. 144.• 98 – Affi che sans date, reproduite in Deslandes et Richard, op. cit., p. 174.

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Dans les villes touristiques, la présence d’une clientèle huppée entraîne un eff ort de la part des directeurs de salles proposant des fi lms. Les villes balnéaires, premières destinations touristiques, proposent des séances accompagnées d’or-chestres de façon saisonnière, comme à Biarritz ou à Nice. À Chamonix, chaque été à partir de 1905, on trouve des cinématographes. En 1907, le Casino muni-cipal répond à la concurrence du Cosmographe Faraud installé au « Casino Villa des Fleurs », en présentant des fi lms Pathé, accompagnés par l’orchestre dirigé par le Maestro Cas, premier chef d’orchestre du Casino de Nice 99. À cette date la saison touristique niçoise reste majoritairement l’hiver, alors que la pleine saison montagnarde se situe encore en été. Le chef du Casino de Nice se déplace donc l’été dans la station touristique d’altitude. Le fi lm s’intègre dans un envi-ronnement musical de qualité, si le public visé est huppé. Les spectacles musi-caux fournissent un cadre favorable aux projections. Ce ne sont pas les fi lms qui demande de la musique, ce sont les lieux où se trouvent des orchestres qui acceptent de diff user des vues animées accompagnées. Mais le chef doit être capable d’orchestrer des partitions « classiques » (à tous les sens du terme) pour un grand ensemble.

La musique appropriée peut aussi correspondre à une « improvisation ». Quand un pianiste, connaissant des dizaines de morceaux par cœur, sait choisir le passage qui convient à l’action, l’improvisation est « appropriée ».

ImprovisationUne salle parisienne d’une grande capacité, comme les Folies-Dramatiques

qui off re 1 600 places, mais qui reste une salle de théâtre populaire, lorsqu’elle ouvre sa programmation au cinématographe, n’emploie qu’un seul pianiste. Il s’agit dans ce cas d’une mesure d’économie. La salle se risque, en plein été, à projeter deux heures de fi lms, alors qu’on n’y a jamais joué autre chose que des pièces. L’expérience semble concluante, car, nous dit Jean-Jacques Meusy, si les recettes sont inférieures aux recettes habituelles, les frais sont très réduits. Des fi lms viennent remplacer la petite pièce de première partie de programme à la rentrée 1906. Pas de frais non plus pour les partitions : « le pianiste, Hirlemann, improvise pendant les projections 100. » Voici un des rares cas où nous savons, par une source sûre, que la musique n’est faite que d’improvisation et non de parti-tions déjà écrites et choisies en fonction des thèmes des fi lms. Les autres indices prouvant que l’improvisation pianistique était courante se trouvent dans les petites annonces des journaux corporatifs.

• 99 – Muriel Pignal, op. cit., p. 72.• 100 – Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 136.

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Les forains utilisent aussi les services de pianistes. Dans les annonces, on demande alors des compétences plus proches de celles du lutteur de foire, que de l’art de l’improvisation :

« On demande de suite bon pianiste pour accompagner vues de cinéma, faisant montage et démontage. Écrire à Montigny, Royal-Bioscop, en foire à Vitry le François (Marne) 101. »

Il ne s’agit pas de « monter les fi lms » en les mettant bout à bout, mais, sans doute, de l’art du montage… de la tente du forain !

Les salles de quartier ouvrent en grand nombre en 1908-1909, à Paris, et signalent la présence d’un piano. Par exemple le Cinématographe Rivoli, dans le IVe arrondissement, précise sur l’affi che de son programme du 14 au 20 octobre 1910 : « musique nouvelle adaptée et improvisée par M. Ch. Frédérick, pianiste-chef d’orchestre 102. »

Le chef se dirige-t-il tout seul ? Peut-être mène-t-il, à la baguette, une formation de trois musiciens ? Il peut n’être « chef » que lors de soirées exceptionnelles, quand d’autres musiciens participent à l’accompagnement. L’affi che précise que le pianiste adapte la musique aux fi lms et improvise. Le programme ne comprend que des fi lms et dure une heure, avec un entracte de dix minutes. Depuis 1907, dans les petits cinémas de quartier, ces notions d’adaptation précise et d’improvisation commencent à se banaliser. En 1908, à Nice, une annonce pour le Fix-Cinéma décrit en détail la technique de son pianiste :

« On rêvait depuis longtemps d’une musique charmant les oreilles en même temps que les projections captiveraient les yeux.Eh bien ! ce tour de force est réalisé et, au Fix seulement, grâce à un accom-pagnateur qui n’a nulle part son pareil. M. Guivier de Flerte improvise sur son Gavaud de véritables symphonies adaptées à toutes les péripé-ties : allegro, ce sont les départs d’intrigues ; andante, les courses sur tous les moyens de locomotion ; scherzo, les luttes à leur paroxysme ; fi nal, les marches triomphantes ou les chutes tragiques. Cet artiste pousse l’harmonie imitative jusqu’à souligner chaque épisode par des airs connus qui revien-nent en leit motive [sic] sur une trame insaisissable de cascade de trilles, à tel point que l’illusion de la vie se double, on ressent en même temps qu’on comprend, on rit et on pleure tour à tour ; bref, sous ce doigté prestigieux, on dépasse la gamme habituelle des émotions terrestres. Et nous n’exagérons rien ! Le mécanisme disparaît devant tant de souplesse et de spontanéité. Il

• 101 – Le Cinéma et l’écho du cinéma réunis, n° 21, 19 juillet 1912.• 102 – Affi che de la Collection de la bibliothèque historique de la ville de Paris, reproduite in Meusy, Paris-Palace, op. cit., p. 209.

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peut y avoir bien des cinémas, mais il n’y a qu’un Fix possédant le maître improvisateur Guivier de Flerte 103. »

Cet « article » est clairement une annonce publicitaire. Elle permet de comprendre l’évolution de l’accompagnement « improvisé ». Une certaine « standardisation » de l’accompagnement musical dans les salles « de cinéma » se met en place. Cette annonce publicitaire détaillée, qui ne donne fi nalement aucune liste de fi lms pour ce jour-là, explique le type d’improvisation pratiqué. Certains clichés musicaux se mettent en place. Certains tics d’interprétation deviennent inévitables. L’intégration d’extraits d’airs connus dans un ensemble plutôt classique joue avec le plaisir de reconnaissance musical du public. De cette période nous viennent les marches nuptiales de Mendelssohn, dés qu’un mariage s’annonce et les marches funèbres de Chopin dés qu’un cercueil apparaît dans le coin supérieur gauche de l’écran. Parfois, si la salle n’a pas les moyens de « passer au parlant » vers 1929-1930, l’improvisation pianistique peut continuer longtemps. Un petit cinéma, ouvert en 1908 à Paris, L’Épatant, conserve son pianiste jusqu’en 1934 104 ! Dans les salles de quartier, une continuité de la pratique musicale s’ébauche dans cette période.

La plupart des pianistes, au début des années 1910 avaient développé une grande capacité de mémorisation d’airs célèbres, afi n d’enchaîner, selon l’ambiance de la scène, les morceaux adéquats. La musique « appropriée » ou « bien adaptée » devient la spécialité des improvisateurs de cinéma. Les petites annonces mettent en avant cette qualifi cation.

« Pianiste chef d’orchestre, possédant grand répertoire, cherche engagement. »« Pianiste improvisateur, piano seul, libre maintenant, irait en province. »« Pianiste de cinéma des plus connus, très bon improvisateur et ayant les

meilleurs références, désire engagement dans cinéma 105. »« Pianiste improvisateur, spécial pour cinéma, libre de suite. »« Bon pianiste, ayant répertoire 500 morceaux, musique très bien adaptée,

cherche place dans cinéma France ou étranger ».« Dame 30 ans, pianiste spécialiste d’improvisation sur fi lm, joli répertoire de

musique française et étrangère. Reçoit les nouveautés (joue seule) 106. »« Excellent pianiste improvisateur sur fi lm, cherche emploi dans cinéma Paris,

province ou étranger. Très beau répertoire et nouveautés 107. »

• 103 – L’Éclaireur de Nice, 4 janvier 1908.• 104 – Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 220. Cette salle porte le nom du journal pour enfants où débutèrent les aventures des Pieds Nickelés.• 105 – Cinéma-Revue, n° 2, février 1913 (3e année).• 106 – Cinéma-Revue, n° 6, juin 1913 (3e année).• 107 – Cinéma-Revue, n° 8, août 1913 (3e année).

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Le pianiste de fi lm doit pouvoir jouer seul (pour les petites salles), connaître par cœur des dizaines de musiques et continuer de se mettre au courant des nouvelles partitions. Cela signifi e que les grands airs classiques peuvent voisiner avec les compositions de nouvelles chansons, opérettes, airs exotiques (tangos, ragtime, cake-walk). L’improvisation semble donc plutôt être une compilation d’extraits de grands airs connus. Le travail du musicien est de lier ces éléments musicaux et de les choisir en fonction de l’action à l’écran. Le terme, « musique très bien adaptée », confi rme l’idée que ces compilations / improvisations sont jouées en fonction de l’ambiance de la scène. Comme dans le cas des conférenciers, la banalité de la présence de ces pianistes explique sans doute le peu de précisions les concernant dans les programmes ou les journaux grand public. Notons que c’est vers 1910-1913 que les annonces concernant ces musiciens se multiplient, période de standardisation progressive des types d’accompagnement. D’autre part, la présence d’un orchestre est nettement plus valorisante. Les publicités passent sous silence le pianiste isolé, pour ne pas faire remarquer ce manque d’orchestre. Par contre les machines musicales peuvent apparaître dans les publicités.

Musique automatiqueLes baraques foraines emploient tous types d’instruments, en fonc-

tion de la taille de l’entreprise. À Béziers, pendant la foire de janvier 1904, une loge qui circule dans le grand sud-ouest, de Bordeaux à Perpignan, s’ins-talle avec un orgue automatique. Cette baraque contient le cinématographe portant le nom le plus long et le plus excentrique de la profession. Il s’agit du Lentiélectroplasticromomimocoliserpentographe, qui annonce : « un grand orgue Gavioli accompagne les séances 108. » Il s’agit d’un orgue à carte perforées. Les forains sont friands de ces orchestrions, orchestrophones et autres systèmes à mani-velle ou électriques. Ils ne demandent pas de connaissance musicale. Ils fonction-nent sans discontinuer, quel que soit le climat et ne demandent pas des heures supplémentaires comme les musiciens. La musique automatique donne également une idée de « progrès technologique », surtout quand ces armoires kitsch cachaient jusqu’à « 40 musiciens », d’après les publicités. La maison Hupfeld de Leipzig fabriquait des appareils extrêmement perfectionnés, comme le Phonoliszt Violina, qui jouait toutes les nuances nécessaires aux partitions de violon 109.

On peut aussi obtenir de la musique appropriée aux scènes des fi lms, sans avoir de pianiste. Il suffi t que le projectionniste déclenche, depuis sa cabine, un

• 108 – Site Internet de la société de musicologie de Languedoc, à Béziers, à la date du 1er janvier 1904. Le nom imprononçable est confi rmé dans divers ouvrages, par exemple, H. Tierchant, op. cit., p. 37.• 109 – Meusy, Cinémas de France, op. cit., p. 225.

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piano électrique. La marque Hupfeld propose un « piano-harmonium » sur lequel l’opérateur a la « possibilité d’arrêter ou de changer instantanément la musique », grâce à un « déclenchement à distance 110 ».

Dans la même revue, un mois plus tard, une description de l’utilisation de ce type d’instrument permettait de comprendre l’intérêt pour les exploitants :

« Au moyen d’un tableau de déclenchement à maniement très simple, [la maison Hupfeld] faisait changer la musique en un clin d’œil suivant le caractère des images, interrompait la musique et la faisait continuer au moment même où elle était nécessaire. Ces représentations marchaient admirablement et provoquaient l’admiration générale des nombreux propriétaires de cinématographe […]. Il était curieux d’observer l’auditoire intéressé lorsque le violon cessait subitement le jeu et que le piano conti-nuait seul à jouer et vice-versa. Mentionnons encore que l’instrument était pourvu d’un double magasin à six rouleaux pouvant recevoir un répertoire suffi sant à une représentation de deux heures de temps111. »

Cet article publicitaire, comme l’annonce la revue, enjolive sans doute la démonstration eff ectuée dans une foire industrielle allemande au printemps 1912. Cela nous donne une idée des possibilités d’automatisation de la musique au début des années 1910. Et ce type d’appareil se vendait (et se revendait), comme nous le prouvent les petites annonces. L’une d’elles propose un « piano électrique » se « réglant à la cabine » imitant guitare et mandoline, vendu avec un grand choix de musique perforée 112.

Chaque salle, ou chaque loge de forain, possède ses caractéristiques musicales propres, chaque séance est un événement diff érent de la suivante.

Droits d’auteurs et compositionsQuand les morceaux joués sont précisés dans les journaux, affiches ou

programmes, il faut une exploitation d’envergure car, théoriquement, des droits d’auteur doivent être versés pour pouvoir utiliser de la musique. En 1907, le Kinéma-Th éâtre Gab-Ka présente Faust accompagné par « la musique et les chants de la partition », jusqu’à ce que les héritiers, de Gounod pour la musique et ceux de Barbier et Carré pour le livret, poursuivent la salle en justice 113.

Les plus populaires des musiques de la période, les marches militaires, peuvent entraîner des ennuis avec la garnison locale 114. Les revues corporatives discutèrent

• 110 – Publicité, « Hupfeld », Cinéma-Revue, n° 3, mars 1913 (3e année).• 111 – Cinéma-Revue, n° 5, mai 1913 (3e année).• 112 – Ciné-Journal, n° 36, 23 avril 1908.• 113 – Meusy, Paris-Palaces, op. cit, p. 186.• 114 – Deslandes et Richard, op. cit., p. 231.

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de la création de musiques spéciales libres de droits 115. L’improvisation règle ce problème, de même que la composition pour un fi lm spécifi que.

L’improvisation existe parallèlement à l’écriture de partitions que l’orchestre doit suivre scrupuleusement. On date généralement ce début de la composition cinéma-tographique de novembre 1908, avec la présentation de L’Assassinat du Duc de Guise. D’autres compositions peuvent exister préalablement (sans parler de la partition des vues animées et dessinées de Reynaud, ou des fi lms des frères Skladanowsky). Pendant l’année 1908, Saint-Saëns n’est pas le seul à travailler pour le cinéma. Le Borne, Hüe, Berardi et Quef ont, eux aussi, composé pour le fi lm 116. On compte une dizaine d’autres composition entre 1909 et 1914. La compagnie américaine Kalem a fourni des « scores » pour certains fi lms dès 1907, puis de façon régulière entre 1911 et 1916 117. À partir de 1908, les fi lms de Griffi th sont eux aussi géné-ralement accompagnés par une partition préétablie 118. L’Assassinat du Duc de Guise reste dans les mémoires car le compositeur était illustre à l’époque et reste connu aujourd’hui. Camille Saint-Saëns a écrit sa musique en gardant un chronomètre à la main de façon à faire correspondre sa mélodie au métrage de fi lm de chaque séquence 119. La première présentation suivit scrupuleusement les indications du maître, le 17 novembre 1908. Cette projection comprenait également des danses, des poèmes déclamés par les acteurs de la Comédie Française qui participaient au fi lm. Il ne s’agit donc pas seulement d’une séance « de cinéma ». Cette « musique de fi lm » prestigieuse est intégrée à un « spectacle » de « haute culture ». Par la suite, même dans la salle Charras, où se déroula la Première, le nombre de musiciens ne suivit pas exactement ce qui était prévu par Saint-Saëns. La transcription pour piano seul fut sans aucun doute largement plus utilisée que la partition originale pour douze instru-ments. Par exemple à Villefranche-sur-Saône, le fi lm de Le Bargy et Calmette passe le jeudi 11 mars 1909, avec « musique symphonique de Camille Saint-Saëns », mais on ne signale pas le nombre de musiciens, sans aucun doute moins élevé que lors de la Première à Paris 120. Les salles élégantes pouvaient au contraire utiliser des orches-trations pour un grand nombre de musiciens, car leurs chefs (comme Paul Fosse au Gaumont-Palace) réécrivaient les musiques ou choisissaient des compositions qui

• 115 – Phono-Ciné-Gazette, n° 62, 1er octobre 1907.• 116 – Emmanuelle Toulet et Christian Belaygue, Musique d’écran. L’accompagnement musical du cinéma muet en France 1918-1995, Paris, Édition de la Réunion des musées nationaux, 1994, p. 133.• 117 – Herbert Reynolds, « Music for Kalem fi lms : the Special Scores, with Notes on Walter C. Simon », in Abel et Altman, op. cit., p. 241-251. Sur la partition pour les fi lms des Skladanowsky, voir Martin Marks, Music and the Silent Film, Oxford, Oxford University Press, 1997.• 118 – David Mayer et Helen Day-Mayer, « A “secondary Action” or Musical Highlight ? Melodic Interludes in Early Film Melodrama Reconsidered », in Abel et Altman, op. cit., p. 220-231.• 119 – Martin Marks, op. cit., p. 51-61.• 120 – Le Journal de Villefranche, 11 mars 1909.

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correspondaient à des ensembles de 50 à 60 instrumentistes. L’accompagnement musical s’est modifi é du fait de l’allongement des fi lms. Le fi lm, Les Misérables et ses trois heures de spectacle, même distribué en deux parties à une semaine d’in-tervalle, en 1913, ne peut pas recevoir la même musique qu’un fi lm burlesque de dix minutes. À partir de 1911, dans la salle de l’Hippodrome-Gaumont-Palace, un double poste permet des projections en continue. Cette période de 1907 à 1914 ouvre la voie à une standardisation des pratiques musicales pour grand orchestre dans les « palaces », là où l’improvisation reste impossible.

Le directeur de Ciné-Journal note en 1911 que la musique permet les transi-tions entre les séquences : « [Le Piano] permet de suivre l’aspect changeant des scènes et de l’exprimer sans retard 121. » Le rôle du musicien devient précis, donnant l’ambiance en fonction des changements d’atmosphère. Les revues corporatives constatent la standardisation des pratiques musicales et sonores. Simultanément, comme leurs homologues outre-Atlantique, mais à une échelle beaucoup plus réduite, elles exercent une pression sur les directeurs de salles en donnant des conseils sur la façon d’accompagner les fi lms, ou en encourageant à suivre le bon exemple de telle salle.

L’accompagnement musical dépend donc de la salle, et non pas du fi lm. La salle intermédiale, concert, caf ’ conc’, music-hall, théâtre de féerie permet d’inté-grer le fi lm à une musique prévue pour des numéros de variété. On trouve dans ces lieux l’origine de certains clichés musicaux qui apparaissent ensuite dans les « orchestrations » de morceaux préexistants ou dans des compositions « origi-nales. » La musique « de » fi lm n’est pas forcément due à un pianiste improvisateur. Celui-ci peut même éviter de jouer pendant les fi lms ! Mais, quand c’est le cas, nous affi rmons que ce n’est pas pour couvrir le « bruit du projecteur ». Ce mythe provient de la période des années 1920, quand les projecteurs fonctionnaient à moteur. Par contre, le pianiste improvisateur a bel et bien existé, comme l’attes-tent les nombreuses petites annonces et les articles publicitaires. Il ne disparaît pas avec l’apparition de grands orchestres spécialisés. La cohabitation entre des grands orchestres, des petites formations, des musiciens solitaires et des instru-ments automatiques, prouve la très grande variété des formes musicales pendant toute la période, même quand la composition « pour fi lm » se met en place.

L’élément musical le moins connu est sans doute la présence importante du chant, avant, après et surtout pendant les projections, comme nous allons le voir dans le chapitre suivant.

• 121 – Ciné-Journal, n° 153, 29 juillet 1911.

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C h a p i t r e   V I I

Chants

De même que la musique se plaçait avant et après les fi lms, des chansons étaient interprétées entre les projections dans de nombreuses salles. Les chants pouvaient aussi résonner pendant les fi lms. Il pouvait s’agir de « doubler en direct » le fi lm, ou d’intégrer le fi lm dans un spectacle local. Les chants en patois ont accompagné les images en mouvement. Le plus repérable des accompagnements chantés reste celui des chœurs et des solistes d’opéra. Le prestige des grandes salles passe par la publicité qui rapproche le fi lm de l’opéra. Louis Feuillade en a même tiré une théorie, celle du « fi lm esthétique ». Le processus de légitimation du « cinéma » est passé par le chant.

Chants avant et après les fi lmsLes chanteurs professionnels interviennent souvent à la demande des exploi-

tants. Une salle de Clermont-Ferrand, l’Eden-concert, place des numéros artis-tiques entre les fi lms Pathé. Le directeur, M. Amelin, fait venir en 1907 des artistes de l’Opéra-Comique, comme M. Vauthier et Mme Arnoldi 1. Un ténor issu du conservatoire de Milan, fait une démonstration de bel canto. Et M. André, « chan-teur en patois auvergnat » ancre le spectacle dans la région 2. Ces numéros chantés n’empêchent pas la salle de continuer à programmer de 15 à 20 fi lms par soirée. Cette pratique intercalant fi lms et chants se perpétue malgré les changements de direction. En décembre 1907, quand le nouveau directeur prend possession du lieu, il demande à la mairie, « l’autorisation de continuer à donner, dans le local de l’Eden, des représentations cinématographiques avec intermèdes 3 ». La salle reste

• 1 – L’Avenir du Puy-de-Dôme, 9 novembre 1907. Merci à Stéphane Tralongo.• 2 – L’Avenir du Puy-de-Dôme, 15 novembre 1907.• 3 – Lettre de M. Guérin au maire de Clermont-Ferrand, 12 décembre 1907. Archives municipales de Clermont-Ferrand.

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alors un café-concert avec une programmation massive de fi lms (18 par séances). Ce n’est qu’en 1913 que cette salle Clermontoise devient un véritable cinéma après des travaux eff ectués par la Société du Chocolat Poulain. « La restructuration touche essentiellement la salle qui off re 950 places assises, dont 670 au parterre. Le cinéma a maintenant pris toute la place, les attractions deviennent rares, la scène est donc réduite à sa plus simple expression. En fait elle semble s’eff acer pour servir de piédestal à l’écran fi xé au mur et cerné d’une large mouluration 4. » La profusion de numéros de chants et de variétés dans une salle dépend aussi de son architecture intérieure. L’Eden-Concert de Clermont-Ferrand, salle à la polyactivité marquée, ne devient « cinéma » que quand ses propriétaires décident de transformer le lieu, ce qui entraîne la fi n des numéros de chanteurs entre les fi lms.

Même une salle spécialisée dans les fi lms et peu luxueuse, comme le Cinémario de Limoges, propose des tours de chants, alternant avec des fi lms, vers 1910 5. La deuxième partie de programme transforme la salle « de cinéma », en café-concert. Un chansonnier montmartrois, habitué à succéder aux programmes d’ombres chinoises aux Quat’z’arts, passe ici après des fi lms. Chaque soirée reste un événement en soi. L’alternance fi lms / chansons montre la non-spécialisation de nombreuses salles françaises.

Chanson populaireEn 1897, Georges Méliès fi lme le célèbre chanteur Paulus. Ce dernier placé

à côté de l’écran, chantait depuis la salle en doublant parfaitement son image 6. Peut-être que cette façon de procéder lui permettait de se reposer un peu, car il avait lancé la mode de danser les refrains de ses chansons, dès 1868 7. Après trente ans de carrière et de danse au milieu de ses chansons, il pouvait chanter depuis la salle, sans bouger, tout en laissant le public découvrir ses pas de danse sur l’écran. Le quotidien parisien L’Intransigeant s’amuse de ce spectacle : « Paulus rival d’Edi-son ! En eff et, on peut voir à Ba-Ta-Clan le Kinétographe, donnant un tableau où l’on voit “le chanteur populaire” non seulement s’animer, mimer, danser, mais on l’entend aussi chanter à pleine voix ses meilleurs refrains 8. » Les plus grands succés de Paulus ont été fi lmés à cette occasion par Méliès : « En revenant de la revue », « Derrière l’omnibus », « Coquin de printemps » et « le Duelliste marseillais 9 ».

• 4 – Armando Alves, Les Cinémas clermontois, thèse de l’école d’architecture de Clermont-Ferrand, 1997, p. 18.• 5 – P. et J. Berneau, op. cit., p. 62.• 6 – Georges Sadoul, Histoire générale du cinéma, t. 1, Denoël, 1975, p. 392-394.• 7 – Jacques-Charles, Le Caf ’ Conc’, Flammarion, 1966, p. 17.• 8 – L’Intransigeant, 15 mars 1897, cité in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 368.• 9 – Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 51. Ces trois fi lms sont répertoriés sous les numéros 88, 89 et 90, datés de 1897, dans la fi lmographie établie dans Jacques Malthète et Laurent Mannoni, L’œuvre de Georges Méliès, Cinémathèque française/La Martinière, 2008, p. 337.

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Cette pratique, de doublage en direct des chansons, continue jusqu’au début des années 1920, même si ce n’est pas une pratique très courante 10.

Dans le cadre des cafés-concerts et music-halls, ces chansons associées aux images de fi lms ne relèvent pas d’une volonté de stupéfi er le public par un eff et de synchro-nisation en direct « comme si les paroles sortaient des lèvres du personnage ». Il s’agit d’accompagner par des chants et déclamations des vues cinématographiques, ou au contraire d’illustrer des chansons par des projections en fond de scène. Georges Courteline se rend en août 1898 à une soirée proposée par l’Excelsior Concert, à Paris, près du Champ-de-Mars, et assiste à un spectacle patriotique, Ce que disent les trompettes. Dans ce spectacle mixte, des vues militaires défi lent sur un écran pendant que des artistes chantent et déclament sur scène 11. En étudiant attentivement la presse de toute la France, nous devrions retrouver la trace de ce type de spectacle où le fi lm accompagne les chansons, plutôt que l’inverse. Le statut intermédial de ce divertissement, entre spectacle vivant et projection, l’a rendu, jusqu’à présent, assez peu visible. De nombreux historiens du cinéma l’ont ignoré… peut-être parce qu’il faut chercher du côté des concerts pour trouver des indices. Le chroniqueur du Nouvelliste des concerts, cirques et music-halls n’apprécie guère l’arrivée du projecteur dans son article commentant la reprise du spectacle vu par Courteline :

« Entre le concert et la pièce, on a intercalé un intermède, Nos soldats ou Ce que disent les trompettes, paroles de M. F. Maire, musique de M. G. Odin, pendant qu’un cinématographe déroule les scènes de la vie militaire. Devillars (de l’Opéra) et Berka (de la Scala) déclament ou chantent des couplets appropriés, les artistes sont bons, mais je n’en dirai pas autant de leur appareil qui se livre à une trépidation désordonnée ; l’armée obtient néanmoins son succès traditionnel 12. »

Dans la période revancharde, face à la captation de l’Alsace-Lorraine par l’Al-lemagne, ce type de spectacle ne déçoit jamais le public. L’hebdomadaire des spec-tacles continue d’évoquer cet « intermède », qui est aussi un numéro à part entière, repris au grand concert du boulevard de Strasbourg : « Chaque soir, la foule chau-vine acclame l’imposant défi lé de nos pioupious et les brillantes charges des cuiras-siers, sous les ordres de M. Devillars et de Mlle Berka 13. » Des vues en couleurs

• 10 – Cf. les recherches inédites de Jean-Jacques Meusy et les travaux de Giusy Pisano sur les « chansons Lordier », comme par exemple son intervention dans le cadre du colloque « Le Muet a la parole », Musée du Louvre, juin 2004.• 11 – Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 75.• 12 – Le Nouvelliste des concerts…, n° 47, 16 novembre 1900. Cité in Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 76.• 13 – Le Nouvelliste des concerts…, n° 49 et 51, 30 novembre et 14 décembre 1900. Cité in Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 76

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étaient ajoutées lors de ces présentations. La formule proposant un chanteur et une chanteuse, accompagnant des fi lms se retrouve dans diverses villes. Une évaluation complète des journaux français devrait être entreprise pour savoir la fréquence de ces mélanges de vues et de chants.

En juillet 1896, un quotidien stéphanois est fi er de prévenir que des actualités locales sont projetées : « Grande kermesse dimanche prochain, avec projections oxy-éthériques, où l’on verra se profi ler sur l’écran le monde grouillant et pitto-resque de la place des Ursules et du Panassa, souligné par la chanson gagasse du bon poète Jehan Figarus ; la projection du Carroussel du 30e Dragon, avec la Défense du drapeau ; le monôme des petits marteaux […] 14. » Le parler stéphanois s’insinue dans les lignes de l’article pour prouver qu’il s’agit bien de vues fi lmées sur place. Un « gagas » désigne un Stéphanois. La « chanson gagasse » est donc une ritournelle régionale. Le « monôme des petits marteaux » désigne le chahut organisé annuellement par les étudiants de l’école nationale des Mines de Saint-Étienne. Le képi de cette école s’orne de pic et de marteaux de mineurs 15. Dans cette kermesse, un poète et chanteur de la ville a accompagné de sa voix les vues prises dans la préfecture de la Loire. Comme le dirait Germain Lacasse, nous assistons dans ce cas à une réappropriation du médium cinéma par la population d’une région qui ajoute sa touche personnelle grâce à la chanson.

OpéraDans les journaux lyonnais, que nous avons dépouillés systématiquement, des

indications parfois ambiguës laissent supposer un accompagnement en direct dans la salle. En octobre 1906, le Cinéma Moderne Th éâtre de M. Rota, 98 rue de l’Hôtel de ville à Lyon, propose-t-il une synchronisation mécanique ou des artistes dans la salle ? Nous penchons pour la deuxième solution. « Le Cinématophone-Modern-Th eater : […] des scènes parlées et chantées par des artistes invisibles qui adaptent leur voix aux gestes 16. » Le terme « invisible » suppose qu’ils sont cachés dans la salle pendant que les fi lms sont projetés. Un mois plus tard, la salle du Pathé-Grolée, dans le même quartier de Lyon, présente un spectacle qui semble très proche :

« La direction du Th éâtre-Pathé-Grolée a off ert cette semaine au public la primeur d’une vue qui peut être qualifi ée de sensationnelle. L’air de La

• 14 – Le Petit Stéphanois, 5 juillet 1896, cité in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 421.• 15 – Merci à Suzanne et Paul Barnier pour les renseignements et la traduction. Jean d’auvergne, Saint-Étienne capitale du travail et du cœur, Saint-Étienne, 1952, p. 134. Merci à Jeannine et Paul Chanal.• 16 – Le Progrès, Lyon, 9 octobre 1906.

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Juive : “Rachel ! Quand du Seigneur…” chanté par M. Gautier de l’Opéra, a vivement intéressé le spectateur. L’illusion est complète, le chant semble sortir de la bouche même du personnage représenté sur l’écran ; de plus, l’orchestre accompagne aussi le chanteur. Nous croyons pouvoir affi rmer que cela n’a jamais été fait nulle part 17. »

La dernière affi rmation du journaliste signale l’aspect publicitaire de « l’ar-ticle ». Soit le rédacteur n’a pas lu son propre journal dans les semaines précé-dentes, soit le système est diff érent. Or, cet extrait de La Juive d’Halévy est un des fi lms synchronisés en Phono-Ciné utilisés par Pathé lors des inaugurations des salles portant l’enseigne du coq dressé. Le seul article disponible sur Lyon, ce 8 novembre 1906, laisse le doute entre chant dans la salle et système synchrone. Nous pensons qu’il s’agit d’une vue synchronisée. En eff et, en décembre 1907, à Saint-Étienne, dans une nouvelle salle Pathé, ce même air inaugure le Ciné-Phono.

Plus tard, à Lyon, à partir de 1911, un chanteur et une chanteuse, en chair et en os, accompagnent chaque semaine les fi lms proposés par la Scala. D’autres salles lyonnaises utilisèrent des chanteurs, de façon moins systématique. Cette présence de virtuoses de l’opéra ou de l’opérette fut louée par Phono-Ciné-Gazette. Dans une salle de 400 places, le Cinématographe-Th éâtre, 7 boulevard Poissonière à Paris, fi n août 1906, un ténor est engagé pour chanter « Charité » pendant la projection de La Fée du printemps, fi lm en couleurs. « Cet accompagnement a paru délicieux au public. Beaucoup à faire dans cet ordre d’idée 18. » Une des premières salles fi xes spécialisées à Paris, l’Omnia-Pathé, boulevard Montmartre, suit les conseils de Phono-Ciné-Gazette et engage un chanteur, Anry Barat 19, pour son inauguration en décembre 1906 20. Le couplet, « Un garçon venait de se pendre / Dans la forêt de St-Germain / Pour une fi llette au cœur tendre / Dont on lui refusait la main » accompagne les scènes d’humour noir du fi lm Le Pendu. L’histoire est adaptée de Mac-Nab. Dans les salles Pathé, la régularité des chansons avec orchestre est un gage de luxe. Au 5, bd Montmartre, une chanson interprétée par Th ibaut, avec l’orchestre de Paul Fauchey, accompagne Folie d’Amour, en janvier 1907 21.

À Limoges, « pendant toute la durée de la projection de La Passion, Mlle Marie Vergnaud, professeur de chant, fera entendre “Ave Maria” de Gounod, “Panis Angelicus” de César Franck. Harmonium Celesta-Piano tenu par M. Henri Momot, 1er prix du conservatoire 22 ». Le chant peut donc être profane ou sacré,

• 17 – Le Progrès, Lyon, 8 novembre 1906.• 18 – Phono-Ciné-Gazette, n° 36, 1er septembre 1906. Cité in Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 135.• 19 – Phono-Ciné-Gazette, n° 43, 1er janvier 1907.• 20 – Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 144.• 21 – Phono-Ciné-Gazette, n° 44, 15 janvier 1907.• 22 – Le Courrier du Centre, 17 juillet 1907. Cité in P. et J. Berneau, op. cit., p. 54.

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humoristique ou mélodramatique, selon la façon dont les tourneurs et exploi-tants veulent présenter leurs fi lms. Pour débusquer ces séances spéciales, ces chanteurs engagés pour une semaine ou une soirée, il faut étudier toute la presse et les programmes conservés dans les archives. Le chant pouvait accompagner des vues fi xes, dans un programme comportant aussi des fi lms. À Rouen, en 1907, des projections de La Fuite en Égypte « épopée en huit tableaux avec vues fondantes et défi lé d’ombres », furent accompagnées par Paul Reculard, « un distingué baryton dieppois 23 ». Le pianiste joue la musique de M. Henry, pendant que de l’artiste lyrique interprète les paroles de M. Lartigue. Le baryton faisait entendre les « merveilleuses ressources de son chaud organe » d’après La Croix, en off rant au public des airs de Botrel, Richepin et Benjamin Godard, qui ne semblent pas avoir été accompagnés de vues fi xes ou de fi lms 24. Dans le cadre de cette soirée religieuse, les fi lms servent à détendre l’atmosphère car la fi n de la séance se déroule « au milieu des rires joyeux que soulevèrent plusieurs scènes humoristiques ». Cet exemple montre que le chant pouvait accompa-gner des plaques projetées, alors que les fi lms n’en bénéfi ciaient pas. Toutes les confi gurations sont possibles, dans un cadre profane (le Chat noir) ou religieux. Les fi lms peuvent s’intégrer dans des spectacles de projections avec chants qui préexistaient aux vues animées.

Dans les années postérieures à 1907, les grandes salles louèrent les services de chanteurs. Les plus riches, comme le Gaumont-Palace, engageaient des chœurs entiers. Avant même d’être reprise par Gaumont, la salle dite « Hippodrome de la place Clichy » proposait en décembre 1907, trois heures de fi lms devant 3 400 spectateurs. L’orchestre et les chœurs arrivent au total de cent exécutants, lors de l’inauguration, puis cent dix par la suite 25. On constate que dans le cas des accompagnements par le chant et la musique, 1907 représente une date rupture. Des pratiques d’accompagnement plus proches du fi lm projeté s’établissent dans des salles devenues spécialisées.

À partir de cette date, la présence régulière de chanteuses et de chanteurs est remarquable. Les grandes salles peuvent avoir des ténors et sopranos à demeure, intervenant dans chaque séance pour un fi lm ou deux. Les petites salles font de la publicité dès qu’elles invitent une belle voix à se produire dans leur enceinte. Le petit Cinémario de Limoges propose en juillet 1908, « Le Cœur brisé, avec adap-tation d’une musique spéciale et chant, dont la partition a été confi ée au sympa-thique ténor léger, M. Darthout 26 ». Ce ténor Limougeaud revint souvent dans les

• 23 – Le Nouvelliste de Rouen, 22 octobre 1907, cité in O. Poupion, op. cit., vol.2, p. 86.• 24 – La Croix, 27 octobre 1907, cité in O. Poupion, op. cit., vol.2, p. 86.• 25 – Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 172.• 26 – P. et J. Berneau, op. cit., p. 60.

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locaux de M. Mario. Il a droit à une comparaison élogieuse avec un gramophone dans une autre annonce, en octobre 1908 :

« Romance sentimentale. Quant à l’audition du sympathique ténor Darthout dans Romance sentimentale, il a retrouvé son succès de l’an dernier, et c’était justice, car nous pourrions dire que sa voix est encore mieux assise, plus harmonieuse ; il a fait grand plaisir à entendre, donnant à ce splendide tableau cinématographique un relief tout spécial. Les applaudissements ont montré à la direction combien était appréciée cette excellente idée d’ad-joindre à ce fi lm, non pas les sons nasillards d’un gramophone quelconque, mais la voix naturelle d’un jeune ténor qui fera son chemin 27. »

Dans cet article, le critique reprochait au Cinémario d’avoir utilisé un gramo-phone quelques jours plus tôt dans ce même mois d’octobre 1908. Le journaliste souligne l’importance de la voix humaine, par rapport à une machine. Pour les spectateurs, l’émotion liée à l’écoute des chants dans la salle permet de comprendre le succès des salles et des tourneurs.

Un baryton, venu pour une soirée spéciale d’une tournée Pathé à Limoges en 1909, reçoit des éloges :

« M. Villamara, un baryton parfait, spécialement engagé, a surpris par la netteté, la puissance et la fraîcheur de son organe. Pendant que sur l’écran se dérou-lent des vues poignantes de tristesse ou d’une folle gaieté, il interprète dans la perfection des pages musicales des grands auteurs, toutes de circonstance 28. »

La nouveauté dans cette information repose sur le nombre de numéros chantés par ce baryton. Au lieu de deux airs, le chanteur propose un répertoire beaucoup plus étendu, pour des séquences de tous types. L’attraction semble plus être la présence du chanteur que celle des fi lms ! Par contre, l’accompagnement par des « chants appro-priés », selon l’expression de l’époque, devient vraiment courante dans cette période 1908-1914, dans de nombreuses villes françaises. Un fi lm comme Les Cent jours (I Cento giorni di Napoleone, Italie, 1914), s’accordait parfaitement à des chansons nationalistes, dans cette époque revancharde, deux mois avant la guerre :

« Un orchestre complet soutiendra l’action de ce grand drame. “Le Rêve passe” sera chanté par Mme Cinani pendant le défi lé des troupes avant la bataille de Waterloo afi n de donner plus d’ampleur à ce splendide tableau 29. »

Dans la salle des Nouveautés de Limoges, où alternaient fi lms et acrobates, l’orchestre et une chanteuse peuvent régulièrement accompagner certains passages

• 27 – Article de journal sans référence autre qu’octobre 1908, in P. et J. Berneau, op. cit., p. 60.• 28 – Le Courrier du Centre, 14 août 1909, in P. et J. Berneau, op. cit., p. 80.• 29 – Le Courrier du Centre, 26 juin 1914, P. et J. Berneau, op. cit., p. 103.

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des fi lms. Une salle Pathé, même pourvue d’un orchestre régulier, n’hésite pas à demander à des amateurs de venir accompagner les fi lms projetés :

« Pathé. Ce soir [25 décembre 1908], soirée de gala. En plus du programme actuel, une vue en couleur de toute beauté, La Naissance de Jésus. “Minuit Chrétiens” sera chanté par un de nos meilleurs amateurs de la ville, accompagné par l’orchestre sous la direction de M. Latière 30. » Dans de nombreuses villes françaises, comme ci-dessus à Béziers, on n’hésite pas à demander le concours d’amateurs pour compléter les accompagnements musicaux par des chants. Il arrivait même que le pianiste chante en même temps qu’il joue, comme l’atteste une annonce parue en 1913 dans Cinéma-revue :

« Pianiste-chanteur, très jolie voix, demande place dans cinéma 31. »

À l’opposé, certaines salles disposent de plusieurs professionnels qui peuvent pratiquement recréer un opéra. À Paris, le Kinéma-Th éâtre Gab-Ka présente Faust en 1907, comme nous l’avons signalé. Dans cette salle, la partition n’était chantée que par deux ou trois solistes. De nombreuses salles françaises reprirent ce fi lm avec des interprètes dans la salle pour les airs principaux. C’est le cas à Saint-Étienne, en 1911 avec « le concours de Mme Despeyraux-Dusserre, des Grands Concerts de Lyon, et de M. Lorbert, baryton 32 ».

Le cirque d’hiver de Paris, était utilisé par Pathé, depuis un an, en décembre 1908. Une chanteuse accompagnait certains fi lms. « L’harmonie Pathé était venue tout exprès de Chatou pour augmenter encore l’attrait du programme musical, dans lequel on a applaudi aussi l’orchestre habituel du cirque et l’exquise chanteuse, Mlle Lise Marrel 33. » Si « l’harmonie Pathé » participe exceptionnelle-ment à cette soirée, la présence de la chanteuse semble plus régulière.

Dans la salle de l’Hippodrome, place Clichy, devenue Gaumont-Palace, l’or-chestre avec de vrais chœurs arrive au nombre de 130 exécutants, ce qui signi-fi e qu’une trentaine de chanteurs, au moins, accompagnaient les fi lms. Pour le Quo Vadis de 1913, le Gaumont-Palace rassemble 80 musiciens et 50 choristes ! L’hebdomadaire Comœdia explique :

« L’accompagnement musical est constitué d’un “opéra” de Jean Nouguès adapté avec tant de soin par le Chef du Gaumont-Palace que l’orchestre, les soli et les chœurs semblent synchronisés avec le fi lm 34. » Cet accompagnement chanté

• 30 – Site de Société de Musicologie de Languedoc, à Bézier, op. cit., 25 décembre 1908.• 31 – Cinéma-Revue, n° 6, juin 1913 (3e année).• 32 – Les Annales foréziennes, 26 février 1911. Cité in F. Zarch, op. cit., p. 213.• 33 – Phono-Ciné-Revue, n° 91, 1er janvier 1909, à propos de la « fête du Cirque d’hiver », célé-brant, le 21 décembre 1908, une année de projections Pathé.• 34 – Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 252. Cf. également les Registres des adaptations musicales pour le Gaumont-Palace (1911-1928) par Paul Fosse, à la BIFI (LG 301-B38).

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n’était pas systématique. Parfois les chanteurs prononçaient aussi les paroles corres-pondant aux mouvements des lèvres des acteurs. Les chœurs « donnent l’illusion d’entendre parler et chanter les interprètes qui se meuvent sur l’écran, tandis que les bruitages parachèvent le réalisme de la représentation 35 ».

Quo Vadis ? circula dans de nombreuses grandes salles avec les chœurs et soli repris du travail de Jean Nouguès. C’est le cas à Lyon, au Royal, dont la publicité précise : « Ce véritable chef-d’œuvre, composé d’après l’immortel roman de Sinkeiwicz et dont l’adaptation musicale, solis [sic] et chœurs, a été tirée de la partition de Jean Nouguès, sera l’exclusivité du Royal-Cinéma jusqu’au 1er mai 36. » Le succès est tel, que le fi lm continue de passer jusqu’à la fi n du mois : « Quo Vadis ? après 70 repré-sentations a quitté l’écran en plein succès le 22 mai. » Une autre salle lyonnaise reprit le fi lm en même temps (donc l’exclusivité ne fut guère respectée) et ajouta lui aussi des airs chantés. Après ce long métrage, la salle de l’Impérator (ex-Cirque Rancy) de Lyon, continue de programmer de grands fi lms (3 000 m) accompagnés de chants :

« On a vu par Quo Vadis ? avec quel cachet artistique Th e Impérator [sic] sait présenter ses programmes ! On en aura une nouvelle preuve avec La Rançon du bonheur, qui, avec ses vingt-cinq numéros, pour un total de 3 000 mètres de bande, fi gure au nouveau programme de la semaine. C’est une pièce sentimentale et pathétique, la plus belle qu’on puisse voir. Mme Belhot-Th alberg, contralto du Grand-Th éâtre [l’opéra de Lyon], s’y fait entendre dans chaque passage indiqué par le scénario, dans “Beau rêve”, de Fléger, le grand air de “Carmen” (Bizet), dans les “Stances de Sapho” (Gounod), et c’est un énorme succès. Il se répétera aujourd’hui en matinée à deux heures et demi, en soirée à huit heures et demi et tous les jours de la semaine 37. »

L’annonce précise les airs célèbres intégrés par la cantatrice dans l’accompa-gnement du fi lm. Le choix est fait en fonction de l’histoire puisqu’on explique que la chanteuse « se fait entendre dans chaque passage indiqué par le scénario ».

Des chœurs accompagnent les fi lms au cinématographe des grands magasins Dufayel en mai 1908. Le ton de l’annonce montre que ces chanteurs sont présents à chaque séance 38. Comœdia continue ses publicités pour Dufayel et précise « soli de chant et chœurs », en plus des conférences, imitation des bruits etc. 39. La plus grande salle de Lyon, Scala-Th éâtre, utilisait l’art des chanteurs lyriques de l’opéra pour accompagner le fi lm dramatique de chacun de ses programmes. De 1912 à la guerre, chaque semaine, des barytons et des ténors, des sopranos et des contraltos se

• 35 – Ibidem, p. 172 sq.• 36 – Le Cinéma et l’écho du cinéma, n° 61, 25 avril 1913.• 37 – Lyon républicain, 18 mai 1913.• 38 – Comœdia, 12 mai 1908. Merci à William Galindo.• 39 – Comœdia, 7 juillet 1908.

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relayaient pour agrémenter au moins un fi lm de plusieurs airs choisis en fonction de l’aspect tragique ou joyeux des scènes. Ces chanteurs ne sont pratiquement jamais signalés dans la presse quotidienne locale, ni dans les revues cinématographiques. Seul le Nouvelliste des Concerts, cirques et music-halls donnent les noms des artistes chantant pendant les fi lms. « Cinématographe. Succès des excellents chanteurs Mme Deborny et M. Campan », peut-on lire par exemple le 4 janvier 1912. En mars on écoute trois chanteurs, et Le Nouvelliste des Concerts… précise les airs utili-sés : « le public applaudit chaleureusement les excellents artistes : Mme Talberg, dans Les Chants de la nature, MM. Campan, dans Enfant, reviens ! et Le Secret de Bébé, Belmont dans Le Chasseur des bois et Berceuse pour Maryvonne 40. »

La liste des chansons pourrait faire croire que ce sont des attractions en-dehors des projections. En réalité, il s’agit bien de chants pendant les fi lms, comme le rappelle de temps en temps la revue : « D’excellents chanteurs se feront applaudir pendant les vues, tandis que l’orchestre, placé sous l’habile direction du maëstro [sic] G. Mouillon, se fera entendre pendant les vues et les entractes 41. »

La Scala de Lyon inclut dans ses accompagnements deux à trois artistes lyriques à chaque séance pendant au moins deux ans. Son concurrent direct, le Pathé-Grôlée, signale, ponctuellement dans des hebdomadaires lyonnais la présence de chanteurs pendant ses projections. À plusieurs reprises on trouve cité « Mme Bonnet, qui se fait entendre dans des chants adaptés aux vues 42 ».

• 40 – Le Nouvelliste des Concerts, cirques et music-halls, 7 mars 1912.• 41 – Le Nouvelliste des Concerts, cirques et music-halls, 27 août 1912.• 42 – Le Carillon lyonnais, 24 novembre 1907, 5 janvier 1908, 26 janvier 1908, 16 février 1908. Merci à Raphaëlle Lavielle.

Le nouvelliste des concerts…, section sur Lyon, 22 août 1912, coll. Rondel

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Les chanteurs sont recommandés dans les revues corporatives car ils ampli-fi ent l’émotion dégagée par le fi lm. Nous n’avons trouvé, après la lecture de nombreux corporatifs, qu’un seul article attaquant l’accompagnement chanté d’un fi lm :

« Dans un cinéma des grands boulevards, on passait cette semaine une vue représentant la Chasse à la baleine. Un artiste, doué d’une fort jolie voix d’ailleurs, chantait amoureusement, tandis que l’on voyait sur l’écran l’énorme crétacé : “je veux t’aimer. Oui, je veux avoir ton cœur, ton âme et tes lèvres !…” Hâtons-nous d’ajouter que les spectateurs avaient plutôt le sourire. Il serait préférable, à notre avis, de chercher des morceaux s’adap-tant mieux aux fi lms qui sont projetés 43. »

Cet article ironique révèle que le choix des chansons ne correspondait pas toujours aux fi lms. Les périodiques corporatifs des États-Unis, plus précis et viru-lents vis-à-vis des salles ne passant pas les fi lms de façon correcte, ont permis à Rick Altman de constater qu’après 1912, les chansons ou musiques, sont choisies plus judicieusement. Les critiques ne constatent plus d’erreurs fl agrantes d’accompa-gnement, comme une chanson joyeuse pour une scène d’enterrement (caricature souvent citée) 44. C’est justement le cas dans cette salle parisienne où l’infortuné chanteur décida de donner au public une chanson d’amour alors qu’une baleine occupait l’écran. Quand les chanteurs sont signalés, c’est pour louer généralement le bon choix des morceaux proposés.

Le « fi lm esthétique »Cette quête d’un art total, dans la continuité des idées de Wagner, les Français y

sont très attachés. Dans le grand mouvement de légitimation du cinéma des années 1907-1914, Pathé, Gaumont et leurs concurrents utilisent des sujets qui appellent une conception opératique de l’accompagnement. Les drames antiques, les évocations bibliques se multiplient. Au moment où les Italiens entrent en force sur le marché américain, et commencent à infl uencer la production états-unienne, Louis Feuillade affi rme à Léon Gaumont : « C’est dans la grande scène historique, celle qui est de tous les temps et de tous les pays, que nous avons le plus de chance de concurrencer les Américains dans leur propre pays 45. » Cette lettre de janvier 1910 prépare un

• 43 – Le Cinéma et l’Écho du cinéma réunis, n° 57, du 28 mars 1913.• 44 – Rick Altman, « Th e Silence of the Silents », op. cit., p. 678-682. Le dessin de caricature, p. 680, est extrait du Moving Picture World, 21 janvier 1911. Rick Altman l’utilise aussi dans ses programmes du « Living Nickelodeon ».• 45 – Lettre de Louis Feuillade à Léon Gaumont, 28 janvier 1910, cité in Francis Lacassin, Maître des lions et des vampires, Louis Feuillade, Bordas, 1995, p. 104. Citée également dans Alain Carou

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véritable manifeste publié quatre mois plus tard dans Ciné-Journal. Il s’agit à la fois de plaire à l’élite française, et de pouvoir exporté dans tous les pays. L’utilisation du fond commun à la culture occidentale, l’antiquité gréco-latine et biblique, permet même l’exportation dans les pays sous domination des puissances coloniales. Dans son texte de mai 1910, Feuillade défend l’idée du « fi lm esthétique », série Gaumont qui doit être « le plus haut point dans l’art de la cinématographie 46 ». « Le “ fi lm esthétique ”, qu’il soit allégorie, poésie ou symbole, qu’il s’imprègne de mysticisme chrétien, qu’il sacrifi e aux dieux de l’Olympe » représente une œuvre complète, plus proche de la peinture que du théâtre dit Feuillade, mais qui s’apparente à l’opéra par ses sujets comme par sa volonté de qualité plastique. Le chant se trouve donc associé naturel-lement à ces fi lms. Cela permet à Gaumont de concurrencer Pathé (et sa SCAGL) aussi bien que la compagnie Le Film d’Art et l’ACAD d’Éclair. Entre 1909 et 1910 les sujets antiques et chrétiens se sont multipliés dans toutes ces fi rmes. Feuillade, passionné par la mythologie et toujours proche d’un mysticisme catholique, dirige la quasi-totalité des vingt-et-un fi lms de la série estampillée « Film esthétique », dont La Princesse de Carthage, Le Fils de Locuste, Le Tyran de Syracuse (1911), Androclès, Tyrtée (1912), La Mort de Lucréce et le dernier de la série : L’Agonie de Byzance (1913). Ce dernier fi lm n’est pas un « peplum » à proprement parler puisqu’il traite de la fi n de l’Empire Byzantin en 1453 47. Pour la présentation au Gaumont-Palace de cette super-production long métrage, « Feuillade avait senti que seuls le chant et la musique pouvaient restituer leur dimension lyrique à certains événements grandioses. Les images s’accompagnaient d’une partition musicale de Henry Février et Léon Moreau, exécutés avec solistes et chœurs par une centaine de musiciens sous la direc-tion de Paul Fosse. Les grandes orgues d’église, fournies par la maison Cavaillé-Coll, donnaient encore plus d’authenticité à la reconstitution du sacré 48 ».

La notice-programme de cette représentation décrit en détail la carrière des deux musiciens. Ce texte insiste sur le fait que Février a été élève de Massenet et Gabriel Fauré, c’est-à-dire des deux plus célèbres compositeur d’opéra en France à la Belle Epoque. On le dit « auteur de nombreuses œuvres lyriques », et l’on en cite trois jouées et chantées à l’Opéra, l’Opéra-Comique et la Gaité-Lyrique. La notice biographique de Léon Moreau le décrit comme auteur d’un drame lyrique en cinq actes joué au Grand Th éâtre (c’est-à-dire l’opéra) de Nantes 49. Il est clair

et Laurent Le Forestier (édition établie par), Louis Feuillade. Retour aux sources. Correspondance et archives, AFRHC/Gaumont, 2007, p. 51 sq.• 46 – Communiqué Gaumont, rédigé par Feuillade, Ciné-Journal, 28 mai 1910, cité in ibidem.• 47 – Le terme de peplum ne désigne les fi lms se déroulant pendant l’Antiquité qu’à partir des années 1950.• 48 – Francis Lacassin, op. cit.• 49 – Notice-Programme du Gaumont-Palace, 1913. Collection Musée Gaumont.

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que l’aspect chanté des partitions est nettement mis en avant. C’est la rencontre de la voix des solistes, des choristes et des images qui fait de ces soirées un événe-ment exceptionnel. L’article, à coloration publicitaire, publié dans Le Cinéma et l’Echo du cinéma réunis, le 10 octobre 1913, semble défi nir un nouveau genre cinématographique :

« Le Cinéma lyrique.Les Établissements Gaumont viennent de présenter […] L’Agonie de Byzance. [Ce fi lm] constitue en réalité un véritable drame cinéma lyrique […]. Les établissements Gaumont sont entièrement propriétaires de la partition d’orchestre et de tous les droits qui s’y rapportent. »

Le journal corporatif insiste sur le fait que la musique a été composée expres-sément pour ce fi lm à la demande de Gaumont. Il ne s’agit pas d’orchestrer des morceaux existant, mais d’une partition originale qui permet de parler d’une créa-tion lyrique pour l’écran par des spécialistes de l’opéra ; l’article redonne la liste des œuvres lyriques déjà composées par les deux musiciens. Comœdia va dans le même sens, sans doute sous l’infl uence de documents publicitaires de la fi rme à la marguerite, en parlant de la « première œuvre cinéma-lyrique ». La dimension de cette super-production est visible dans la liste des décors « avec une recherche architecturale scrupuleuse », avec « le camp de Mahomet, le Palais de Constantin et surtout l’intérieur de Sainte-Sophie, où, plus de 1 000 fi gurants groupés autour de l’autel, donnent l’impression la plus grandiose[…]. Enfi n cette œuvre marque vrai-ment les débuts du “cinéma-lyrique”, c’est-à-dire un genre de spectacle nouveau ou l’art musical vient apporter à la cinématographie son concours précieux et indisso-ciable ; Il ne s’agit pas d’une simple adaptation, mais bien d’une véritable partition d’opéra étroitement liée à l’œuvre. […] Cinquante choristes et un orchestre de cent exécutants mettront en valeur les merveilleux ensembles de la partition 50 ».

On constate que la presse corporative, sous l’injonction du service publicité de Gaumont, insiste continuellement sur « l’œuvre cinéma-lyrique » (Le Cinéma et l’Écho du cinéma réuni, 24 octobre 1913) que représente ce fi lm.

L’investissement considérable qu’a représenté le tournage, la postproduction du fi lm (en couleurs au pochoir), et enfi n la musique et les chants, doivent être rentabilisés. De tous les textes, il ressort que c’est l’aspect chanté qui doit être le plus mis en valeur. Un article plus critique de Film revue, qui considère que le fi lm se base sur des événements trop peu connus accorde néanmoins un satisfe-cit à « l’orchestre, chœurs, solistes » qui ont fait merveille 51. Ce magazine, plus caustique que les autres revues de cinéma, confi rme son intuition du manque

• 50 – Comœdia, 17 octobre 1913.• 51 – Film-Revue, 24 octobre 1913.

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de connaissance du public populaire vis-à-vis du sujet du fi lm en citant une conversation de fi n de séance : « Un cinéma où l’on joue l’Agonie de Byzance. À la sortie, quelques clients s’inquiètent de ce type qui s’appelle Byzance, qui agonise, et qu’on a pas vu 52 !… »

Légitimation par le bel cantoLe fi lm, avant 1914, s’insert dans des spectacles où le chant fait venir le

public. Pourtant, on ne peut pas parler d’une continuité évidente entre les projections de caf ’ conc’ et les accompagnements lyriques dans des palaces cinématographiques. Seule la voix humaine fait le lien entre ces spectacles très diff érents, plus encore que les fi lms. Entendre chanter dans la salle en direct, avec un eff et de synchronisme parfois stupéfi ant, d’après nombre de témoins, donne un relief unique aux présentations de fi lms. Mais les chansons populaires entre les fi lms, avec des prestations d’amateurs qui ancrent les projections dans un quartier, s’opposent totalement aux présentations de drames-lyriques histo-riques à grand spectacle avec cinquante choristes et des solistes d’opéra. Ces dernières visent « l’art total wagnérien » et veulent attirer tous les publics, celui du poulailler à l’opéra comme celui des loges réservées à l’année.

La voix chantée est parfois une pratique d’amateur qui a favorisé la fi délité du publique de quartier. Simultanément, elle représente un atout dans la concurrence entre les salles de prestige. Pour les producteurs, quand ils demandent une parti-tion, la voix chantée peut être considérée comme une plus value dans leur quête d’un art acceptable pour l’élite.

Les forains dans leurs spectacles passent déjà les arias les plus célèbres à l’époque, sur leurs gramophones et autres systèmes, mais quand le Gaumont-Palace à Paris, le Royal à Lyon et toutes les salles qui veulent attirer la « bonne société » montre des peplums avec accompagnement lyrique, la démarche est tout autre. Il s’agit justement d’extirper le fi lm de son rapport avec le caf ’ conc’ (comme le pense Edouard Arnoldy avec les phonoscènes, vers 1908 53). Dans le cadre du processus de légitimation du cinéma en tant qu’art complet, on amène plus le « cinéma » à l’opéra, mais l’opéra dans la « salle de cinéma ». C’est aussi parce que les cafés concert, et autres brasseries avaient de grands orchestre qui accompagnaient les fi lms, des chanteurs qui attiraient le public, que cette concurrence a poussé les grandes salles à intégrer le chant.

Pourtant, le plaisir pour chaque individu n’est-il pas du même ordre ? Un plaisir esthétique, une belle mélodie (chanson populaire ou air de Verdi) en accord avec

• 52 – Film-Revue, 1er décembre 1913.• 53 – Edouard Arnoldy, Pour une histoire…, op. cit.

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des images, et un plaisir plus physique (sentir vibrer la voix humaine), se mêlent quel que soit le prix des places, grâce à la présence d’un chanteur dans la salle.

Ces chants en direct sont un des sons oubliés des histoires du cinéma. Dans toutes les grandes villes, les opéras, chœurs et chorales fournissent des artistes qui ne demandent pas mieux que de compléter leurs salaires en intervenant dans les cinémas. Le bel canto a participé du processus de légitimation de l’art cinéma-tographique. Les éléments que nous avons trouvés prouvent que cette pratique fut extrêmement répandue, pendant les années 1910. Mais avant cela, la chanson populaire a arraisonné le fi lm et l’a introduit dans les salles de music-hall. Les airs en patois ont permis une appropriation du medium par les populations locales. Puis la mise en place des grandes salles a entraîné le développement d’un « cinéma-lyrique » qui permet de relier de façon plus certaine (pour une partie du public) le fi lm et la grande culture. Une autre manière de légitimer le « cinéma » provient de l’utilisation des « dernières technologies », comme, par exemple, la synchronisation mécanique du son avec l’image.

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Synchronisations

Dans notre ouvrage En Route vers le parlant, nous avons refusé d’utiliser des termes comme « révolution technologique » ou « bouleversement esthétique » pour décrire le « passage au parlant »1. Nous préférons parler d’une lente généralisation du procédé. Comme nous allons le montrer ci-dessous, les synchronisations méca-niques des fi lms (manuelles ou automatisées) sont présentes de façon régulière dans toute la France et dans des salles de toutes tailles. Dés les premières projections, les journalistes ont rêvé de synchronisation image / son. Des phonographes, puis des gramophones sont présents à côté des projecteurs, même s’ils ne servent pas toujours à accompagner les vues. Les synchronisations sont nombreuses dans les années 1899 à 1904. Puis on assiste à une véritable « mode du parlant » dans la période 1904-1907. Enfi n de 1907 à la Grande Guerre, Gaumont, Mendel, Pathé et de nombreux autres, fournissent les exploitants en matériel. Des centaines de fi lms parlant et chantant ont été vus et entendus par les spectateurs français pendant la Belle époque.

Les journalistes rêvent de synchronisation image / sonLe Kinetophone

Les inventeurs des diff érents systèmes cinématographiques et les écrivains de la fi n du xixe siècle imaginaient « reproduire la vie » grace à l’association du phono-graphe et du cinématographe 2. Le Kinetophone réalisa cette première association

• 1 – Martin Barnier, En Route vers le parlant. Histoire d’une évolution technologique, économique et esthétique du cinéma (1926-1934), Liège, CÉFAL, 2002.• 2 – Laurent Manonni, Le Grand Art de la lumière…, op. cit., p. 358-383. Giusy Pisano, Une archéologie du cinéma sonore, op. cit. Pour les précisions sur les dépôts de brevets se reporter à ces deux ouvrages.

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au début 1895 3. Cette machine montre des petits fi lms associés à une musique grâce à des écouteurs, en France à partir du mois de mai 18954. Un journal de Lyon rappelle, en janvier 1896, que ce système Edison concurrence directement les séances Lumière du Grand Café, car les deux attractions se situent dans le même secteur des boulevards parisiens :

« Il serait diffi cile de rencontrer un Parisien qui ne se soit rendu à l’appel du doigt articulé d’Edison, celui qui fait pstt ! pstt ! sur le boulevard, presque au coin de la rue Rougemont. Alors je ne dirai pas notre émerveillement devant le kinétoscope, auquel on a ajouté maintenant un phonographe, ce qui reconstitue en même temps le rythme par les sons de l’orchestre et par le pas de la gitane sur scène 5. »

Il ne s’agit pas de projection puisqu’on regarde dans le Kinetoscope (boîtier sur lequel on se penche), mais on trouve ici une forme de synchronisation images/sons.

Des articles enthousiastesParfois le langage utilisé pour demander une synchronisation mécanique des

fi lms montre une méconnaissance des phénomènes décrits : « Et si, en outre, un phonographe agissait parallèlement avec l’objectif du négatif et la lentille d’agran-dissement des positifs […] alors, alors 6… » Cet article, qui reste en suspens, donne une idée de la vision « scientifi que » de certains comptes-rendus ! On annonce déjà la synchronisation, grâce à des rumeurs : « Il paraît, disent les gens bien informés, que M.M. Auguste et Louis Lumière, qui sont, l’un en mécanique, l’autre en chimie, de très grands savants et des expérimentateurs audacieux, préparent pour 1900 un appa-reil plus extraordinaire encore qui donnera à la fois le mouvement et la “couleur”, directement enregistrés, et par combinaison avec un phonographe, la parole ou le chant, bref toute la lyre, toute la vue notée et rendue 7 ! » Le lyrisme typique de la période revient régulièrement sous la plume des enthousiastes témoins des premières projections. « Il ne manque plus que l’adaptation à cet appareil de la photographie en couleurs et du phonographe parleur pour donner la reproduction exacte de la vie 8. » Cette phrase se retrouve dans de nombreux journaux français des années

• 3 – Patrick Loughney, « Domitor Witnesses the First Complete Public Presentation of the Dickson Experimental Sound Film in the Twentieth Century », Abel et Altman (dir.), op. cit., p. 215-219.• 4 – Laurent Manonni, Le Grand Art de la lumière…, op. cit., p. 375.• 5 – Le Siècle de Lyon, 9 janvier 1896, cité in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 350.• 6 – Aix-les-bains, Le Patriote républicain de la Savoie, 2 juillet 1896, cité in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 36.• 7 – Le Journal d’Amiens, indicateur de la Somme, 19 juin 1897, cité in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 48.• 8 – La Franche-Comté, Besançon, 13 mai 1896, cité in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 84.

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1896-1897. Les spectateurs des premiers fi lms, emballés par le progrès technologique qu’ils découvrent par des concerts de phonographes, des expériences scientifi ques ou des conférences dans les foires et les associations d’éducation populaire, semblent persuadés que, rapidement, les courtes projections en noir et blanc vont évoluer. La multitude d’articles reprenant les mêmes termes nous démontre que le public s’at-tendait à des accompagnements sonores. Cela ne signifi e pas que le « fi lm parlant » allait s’imposer facilement. Cela explique simplement que les diff érents accompa-gnements sonores des fi lms ne surprenaient pas outre mesure les spectateurs. « Il ne manque que la parole au cinématographe. Mais patience, le phonographe aidant, on verra et on entendra tout et de partout, sans avoir à se déranger 9. » Ces phrases ne doivent pas être prises comme une programmation « naturelle » du son au cinéma. Elle refl ète surtout le contexte de soif de progrès scientifi que. « Un jour viendra où l’on aura combiné le phonographe avec le cinématographe, nous n’en doutons pas 10. » « Après avoir animé la photographie, on va la faire parler, et, en Amérique, l’appareil des frères Lumière se double déjà du phonographe d’Edison 11. » Les jour-nalistes semblent presque déjà blasés ! Parfois, l’image suffi t pour qu’ils imaginent les sons : « Tir au canon, il n’y a que le bruit des coups qui manque, mais on se fi gure l’entendre en voyant la fumée 12. »

La prophétie de DussaudQuand des appareils permettent de synchroniser eff ectivement des images et

des sons, le lyrisme continue sous la plume des journalistes ou dans les paroles des inventeurs. Dans un entretien avec Charles François Dussaud, on trouve une vision téléologique du développement technique :

« Depuis Gutenberg, aucune œuvre n’aura pesé sur la destinée humaine comme celle de l’industrie du phonographe et du cinématographe […]. [Nous avons eu une 1re époque de tradition orale, une 2e époque de tradi-tion écrite, une 3e époque avec l’imprimerie et voici la 4e époque :] L’époque contemporaine du phonographe et du cinématographe par l’industrialisa-tion des découvertes scientifi ques a mis à la portée de tous les hommes, quel que soit leur âge, quel que soit leur ignorance, le moyen de connaître inté-gralement tout ce qui se passe loin d’eux dans le temps et dans l’espace 13. »

• 9 – L’Union républicaine de la Marne, 30 octobre 1896, cité in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 126.• 10 – Le Progrès de Saône-et-Loire, 22 octobre 1896, cité in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 130.• 11 – Périgueux, L’Avenir de la Dordogne, 10 septembre 1896, cité in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 378.• 12 – L’Union républicaine, Châlons-sur-Saône, 20 novembre 1896, cité in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 131.• 13 – Phono-Ciné-Gazette, n° 30, 15 juin 1906.

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Les mots de Dussaud, inventeur du système d’amplifi cation par air comprimé, sont d’un lyrisme prophétique. Il déclare : « Le phonographe et le cinématographe pacifi eront le monde 14. » L’inventeur français entrevoit d’ailleurs une partie de la réalité audiovisuelle qui se développa quelques décennies plus tard, car il chante les louange du phonographe à air comprimé qui permet d’entendre des publicités et des nouvelles, partout dans les rues…

Phonographe et cinématographe, ensemble mais séparément !Phonos de foires et de kermesses

De très nombreux phonographes circulent en France lorsque les images animées se retrouvent sur les écrans. Les concerts de phonographes permettent au public des foires d’écouter des grands airs d’opéra et des chansons populaires pour quelques sous. Charles Pathé a commencé son commerce fl orissant par l’ex-ploitation du phonographe Edison. Sur la foire de Monthény (Val-de-Marne), en septembre 1894, il fait entendre des cylindres grâce à des écouteurs branchés sur ses phonographes. Les aff aires marchent si bien qu’il devient vite importateur de cylindres et de phonographes, qu’il achète à Londres et revend avec une bonne marge aux forains français 15. En mai 1895, Pathé propose également à sa clientèle des kinétoscopes. C’est un des très nombreux forains qui font écouter des cylindres aux Français. Cette attraction de foire se multiplie quelques mois avant que les villes françaises connaissent leurs premières projections. Quand Ernest Grenier, un des tous premiers forains à passer des fi lms, achète un projecteur en 1896, il possède déjà depuis plusieurs années des phonographes. À la foire aux sabots de Saint-Nazaire du 1er au 30 septembre 1896, Grenier présente un cinémato-graphe et ses phonographes. Sur le même site, Alphonse Toussaint exploite lui aussi un phonographe et un « cinéphotographe ». Kœnig, à Sainte-Menehould le 11 novembre 1896, pour la foire de la Saint-Martin, montre toujours son phono-graphe et agrémente ses séances d’un cinématographe 16.

Dans les comptes-rendus des premières séances, les phonographes restent très présents. Souvent, ils n’accompagnent pas réellement les fi lms car l’écoute des

• 14 – Avec ces termes Dussaud préfi gure les magnats de la presse de la fi n du xxe siècle, comme Ted Turner (créateur de CNN), qui croient que l’information donnée à tous peut mettre fi n aux confl its.• 15 – Laurent Mannoni, Le Grand Art…, op. cit., p. 382. Daniel Marty, « Charles Pathé et le phonographe », in Jacques Kermabon (dir.), Pathé, premier empire du cinéma, Centre G.-Pompidou, 1994, p. 143.• 16 – Deslandes et Richard, op. cit., p. 140. Pour repérer ces pionniers, les deux historiens utilisent L’Industriel forain, sans toutefois citer les numéros consultés.

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cylindres se fait avant ou après la projection. « Kermesse demain jeudi [à Arles en juin 1897], vendredi, samedi et dimanche, à l’école des Frères d’Arles, rue du 4 septembre. Tirs, phonographe, cinématographe, guignol 17. » Les deux inven-tions, en 1897, sont complètement banalisées et intégrées dans les jeux d’une kermesse.

Phonos sans écouteursLes haut-parleurs (pavillons) permettent déjà, depuis 1896, de faire entendre

de la musique à toute une foule en supprimant l’inconvénient des écouteurs (peu hygiéniques !). Les présentations de 1896, dont nous avons signalé l’aspect péda-gogique et scientifi que, proposent successivement les cinématographes et phono-graphes, qui restent indépendants dans de nombreux cas. Par exemple à Arras en octobre 1896 :

« M. Botex a commencé hier ses expériences de cinématographe et de “machine parlante”, expérience qu’il poursuivra tous les soirs à partir de 6 heures […]. Quant à la “machine parlante”, c’est absolument merveilleux. La “machine parlante”, on le pense bien, est une application du phono-graphe ; mais une application infiniment perfectionnée. […] Les sons (paroles, musique vocale et instrumentale) enregistrés par la machine, peuvent être distinctement entendus de toute une salle 18. »

Le fait de ne plus utiliser les écouteurs soulage nombre de commentateurs :

« Phonographe-cinématographe. La séance se termine par une audition de phonographe, mais un phonographe nouveau système, c’est-à-dire qu’il n’est plus nécessaire de se fourrer dans les oreilles les deux petits tubes ordinaires, ce qui répugnait à beaucoup de personnes ; l’appareil muni d’un pavillon […] répand les sons dans la salle, à la grande satisfaction des auditeurs 19 » ; « La photographie animée et vivante, avec audition de phonographe […]. Nota : chacun entend de sa place sans rien se mettre aux oreilles 20. »

Chaque machine occupe une partie distincte du spectacle : « Mercredi a eu lieu en présence de plusieurs notabilités et de la presse, la réouverture du ciné-matographe […]. La deuxième partie du spectacle a été consacrée à l’audition mécanique d’un singulier instrument : le mimophone, invention toute récente.

• 17 – Le Petit Marseillais, 23 juin 1897, cité in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 60.• 18 – L’Avenir d’Arras et du Pas-de-Calais, 17 octobre 1896, cité in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 61.• 19 – Le Courrier de Flers, Flers, Orne, 7 février 1897, cité in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 178.• 20 – L’Avenir du Cher, Saint-Amand, 11 avril 1897, cité in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 415.

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Comme son nom l’indique, cet objet ingénieux est l’interprète assez fi dèle de la voix et des sons. En somme c’est le phonographe auquel a été adapté une sorte de porte-voix qui empêche la diff usion des vibrations sonores et les porte d’une façon indirecte jusqu’à l’auditeur 21. »

Notons que l’audition semble de bonne qualité pour toute une salle grâce au pavillon adapté au phono et portant des noms amusants. Dans le cadre des projec-tions synchronisées mécaniquement le son semblait également assez puissant pour les salles de moyenne capacité des débuts.

Le Stentor de DufayelLe cinématographe des magasins Dufayel, à Paris, propose aussi des auditions

de machines parlantes. Dans le programme de 1899, avec les diff érentes démons-trations scientifi ques, après les projections cinématographiques, on propose « le Stentor, nouvel appareil créé par les établissements Pathé frères » et aussi le « télé-phone haut parleur du docteur Dussaud 22 ». Au même titre que les rayons de Roentgen, dont la démonstration suit celle de ces deux appareils, les machines sonores représentent une attraction scientifi que.

Pour prouver le luxe de sa salle, un exploitant de Châtellerault n’hésite pas à présenter des fi lms, un phonographe… et des jets d’eaux ! « La perception est très claire et on croirait entendre des voix humaines et des meilleures. Ensuite vien-nent les projections animées de scènes remarquables 23. » Pour attirer les clients, proposer plus de nouveautés reste une condition primordiale.

Ces expériences nouvelles, sont-elles couplées ? Les annonces restent parfois dans l’ambiguïté : « Les photographies animées qui composeront ces spectacles très variés sont présentées avec une telle perfection qu’elles donnent l’illusion de la vie réelle. L’emploi du phonographe Edison et du théâtrophone ajoute une attraction très appréciée des spectateurs 24. » Autre exemple d’ambiguïté : « Prochainement seront installés à Auxerre, pour deux mois, le Cinématographe Lumière et le phonographe à haute voix 25. » Dans ce cas les deux appareils furent montrés séparément. L’un alterne parfois avec l’autre comme à Avranches 26. Les phono-graphes sont donc souvent présentés avant, après ou entre les fi lms, pendant les deux premières années de projections de vues animées en France. L’un et l’autre

• 21 – Le Mondain bordelais et du Sud-Ouest, 9 mai 1897, cité in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 103.• 22 – Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 36.• 23 – Le Mémoriale du Poitou, 23 septembre 1896, cité in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 144.• 24 – Les Dépêches du Doubs et de la Franche-Comté, 19 mars 1897, cité in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 85.• 25 – L’Indépendant auxerrois, 21 avril 1897, cité in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 69.• 26 – L’Avranchinais, 23 octobre 1897, cité in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 72.

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sont des attractions qui fascinent tout autant le public, comme le prouvent de nombreux articles 27. Les entrepreneurs de spectacle trouvent rapidement plus intéressant de « combiner les deux » comme on dit alors.

Des gramophones d’accompagnement partout en FranceDans les toutes petites salles, pour remplacer des musiciens, des chanteurs

ou même des bruiteurs, un gramophone « savamment dissimulé » suffi t à faire rêver l’assistance. C’est en tous cas ce qu’affi rment les publicités de ces petites salles. Notons que le mot gramophone est employé, sans doute pour prouver l’équipement moderne de la salle qui n’utilise plus des rouleaux (phonographe) mais des disques, système plus puissant. Néanmoins, les appellations ne sont pas des garanties suffi santes. Les noms propres deviennent des noms communs dés leur commercialisation. Le gramophone remplaçant les musiciens sans prétendre synchroniser les fi lms, se trouve dans de nombreuses salles. Par exemple, dans la ville touristique de Th onon, on vante les séances de 1909 dans « la coquette salle […], avec plus d’un kilomètre de fi lms entièrement nouveaux et le concours du New-Giant, le Phono si puissant 28 ». Les nouveaux gramophones, assez puissants pour être entendus par toute une foule, permettent de divertir l’assistance pendant les entractes. À Villefranche-sur-Saône, la salle dépendant d’un concessionnaire Pathé, fait écouter des disques Pathé sur un phonographe Pathé quand le spectacle cinématographique fait une pause (1908-1914). Pathé, dont la branche phono-graphique faisait plus de bénéfi ces que celle consacrée au fi lm jusqu’en 1907, reste une référence dans le domaine de la musique mécanique.

Certains spectacles peuvent entraîner des confusions : les disques servent-ils à accompagner des fi lms ? À Lyon, en septembre 1912, au Nouveau-Th éâtre, on annonce « l’Opéra-Th éâtre Pathé ». Dans cette salle où des fi lms passent parfois, le nouveau spectacle n’est autre que le Trouvère… sur disques :

« C’est là, évidemment, toute une petite révolution dans l’art théâtral […]. À voir les progrès réalisés par le “phonographe” – car c’est de “Phono” qu’il s’agit et pas du tout de “Cinéma” – il fallait s’attendre à cette adaptation à la scène. C’est prodigieux ! Le voilà bien le théâtre populaire, l’opéra mis à la portée de tous, accessible aux plus petites scènes. Il ne sera plus permis bientôt à qui que ce soit d’ignorer certaines œuvres du vieux répertoire lyrique. Avec l’Opéra-Th éâtre Pathé – dont la première exhibition a été

• 27 – Autres lieux : Clermont-Ferrand, novembre 1897 ; Clamecy (Nièvre), 30 mai 1897 ; Épernay, 23 octobre 1897 ; Le Mans, mars 1897 ; Lyon, mai et avril 1897 ; Roanne, janvier 1897 ; Ruff ec (Charente), janvier 1897 ; Saint-Bonnet-de-Joux (Saône-et-Loire), 6 juin 1897… cité in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 155, 159, 172, 209, 263-264, 400, 412, 415.• 28 – Pignal, op. cit., p. 56 sq.

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faite hier au Nouveau-Th éâtre de Lyon – les vieux opéras d’abord, puis ceux du répertoire courant ensuite, puis enfi n les œuvres nouvelles, vont être d’un accès facile pour les plus petites villes, les campagnes elles-mêmes, les bourgades les plus reculées. […] Alors que sans nasillement, fort claires, fort belles s’élancent les voix de Mlle Lapeyrette, de MM. Noté, Fontaine ou Marvini, des mimes de talent tiennent les rôles et les jouent. Par l’exactitude des gestes, tous donnent aux personnages leur véritable vie. Articulant les paroles – mais sans voix – par un synchronisme parfait, ils donnent l’illu-sion qu’ils chantent et cette illusion est absolue […] 29. »

L’article de présentation ne triche pas avec le lecteur : ce n’est pas du cinéma. Les disques permettent d’accompagner les gestes d’acteur, non pas sur l’écran, mais sur scène. L’utilisation du nom Pathé pourrait tromper certains amateurs de fi lms accompagnés par des disques. En 1912, toutes les possibilités de croisement entre disques, fi lms et scènes sont utilisées. L’intermédialité de tous ces spectacles se lit dans ces programmes. Les phonographes plus puissants permettent de créer des spectacles musicaux sans avoir à payer de musiciens. Ici, il s’agit d’éviter d’em-ployer les grands artistes lyriques de la France de l’époque. Si ce système de mime a existé quelque temps, la mode de la synchronisation sur disques se développe d’abord dans les salles diff usant des fi lms.

Synchronisation manuelleCombinaison souple du phono et du cinématographe

« Aujourd’hui samedi et dimanche soir, au théâtre [de Charlieu, Loire], représentation extraordinaire de photographie animée, combinée avec le Haut Chanteur Phonographe à grande voix. La réunion de ces deux nouveautés fait plus que doubler l’attrait de la représentation 30. »

Peut-on parler de synchronisation ? Dans le cas cité ci-dessus, il semble qu’on utilise le phonographe pour remplacer un accompagnement fait par des musiciens. Quand l’accompagnement est particulièrement choisi en fonction de la vue, nous entrons dans le domaine de la synchronisation « souple ». Si un décalage se produit entre l’image et le son, ce n’est pas grave. Ce qui importe, c’est d’avoir une musique « appropriée ». L’accompagnement phonographique le plus utilisé en 1896-1899 fut l’hymne russe, comme nous l’avons déjà noté. La visite du Tsar à Paris, projetée dans toute la France, était souvent accompagnée par le rouleau de l’hymne correspondant :

• 29 – Lyon républicain, 15 septembre 1912.• 30 – Le Journal de Charlieu, 25 septembre 1897, cité in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 137.

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« Nous avons admiré particulièrement les portraits du “Tsar et de la Tsarine” en grandeur naturelle et en couleurs. Ce sujet apparaîtra pendant que le phonographe jouera l’hymne russe (fanfare) et il constituera un vrai tableau d’actualité 31. »

Le plus souvent on trouve : « Le défi lé des fêtes franco-russes, accompagné de l’hymne national russe, n’est pas un des moindres attraits de ces réunions 32. »

La plupart du temps, on assure que les vues animées sont « combinées » avec le phono : « Une représentation extraordinaire et sensationnelle avec les plus récentes merveilles du siècle et notamment la photographie animée, combinée avec le nouveau phonographe 33. » Quelques descriptions précises permettent de vérifi er la volonté de synchronisation de certains exploitants.

Synchronisation précise, à la main

« On sait qu’un nouveau cinématographe, le cinématographe Pierre Petit, est depuis peu installé passage Sainte-Catherine [à Saint-Étienne]. […] Ce qui double l’intérêt de ce spectacle c’est le “haut parleur”. Cet appareil se compose d’un phonographe perfectionné par Edison lui-même, et qui s’entendant de toute la salle au moyen d’un immense pavillon métallique, reproduit, avec une intensité de sons remarquables et une exactitude véritablement éton-nante, la parole, la musique et le bruit. Le phonographe, combiné avec le cinématographe, produit un eff et magique, en accompagnant sans le moindre contretemps les chants et les danses projetés sur l’écran 34. »

Nous remarquons une volonté de synchronisation précise, en rythme, des danses et des chants. Dans les jours qui suivent, les séances proposées par Pierre Petit se trouvent détaillées. On peut entendre, « deux chansonnettes variées, deux marches, un quadrille, un hymne ou un duo de pisto [sic, pour piston ?] (haut parleur Edison) 35 ». Ces diff érents airs semblent se placer sur les fi lms suivants, sans qu’on sache exactement qui accompagne quoi : Quadrille de l’avenir, Fête du Carnaval de Nice : Le Char de la musique, Le Groupe des chanteurs ambulants, La Voiture du président et celle des souverains russes pendant les fêtes franco-russes à Paris, Scène à la terrasse d’un café : consommateur maladroit, Sauts d’obstacles au camp de Sathonay, Boulevard de la Madeleine à Paris. Ce sont probablement les

• 31 – L’Écho de Châtellerault, 10 octobre 1896, cité in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 145.• 32 – La Loire républicaine, Saint-Étienne, 17 février 1897, cité in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 425.• 33 – L’Union républicaine, Cluny, 3 octobre 1897, cité in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 160.• 34 – La Loire républicaine, Saint-Étienne, 9 février 1897, cité in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 425.• 35 – Ibidem, 15 mars 1897.

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scènes fi lmées lors du carnaval de Nice, quinze jours plus tôt, comme le précise l’article, qui sont les plus à même d’être en rythme avec les musiques choisies, en plus du quadrille.

« On nous annonce l’arrivée à Vienne, venant de Paris, du “cinématographe américain”, accompagné du Haut Parleur Edison. […] Ce haut parleur, combiné avec le cinématographe, produit un eff et magique, en accompagnant sans le moindre contretemps les chants et danses projetés sur l’écran 36. »

En réalité, ce cinématographe vient plus de Saint-Étienne que de Paris, conti-nuant une tournée dans la région (et utilisant presque les mêmes phrases pour faire sa publicité).

Le phonographe permet également de faire des « bruitages sur rouleau » ou des accompagnements réalistes, comme les sons de foules : « [Parmi les fi lms] “l’arri-vée du Tsar à Paris”. À l’aide d’une merveilleuse machine parlante, on entend les trompettes et la Marseillaise, ainsi que les acclamations de la foule 37. » Pour attirer le public, chaque forain doit se diff érencier. Ici, l’utilisation des rouleaux pour bruiter les acclamations du défi lé franco-russe nous paraît être une des premières tentatives de recréation d’une ambiance sonore complète.

La précision dans le choix des rouleaux permet d’attiser également le chauvi-nisme du public, pendant cette période d’ultranationalisme :

« Depuis mercredi soir (pour rester quelques jours encore), M. Chalot donne au café de Foy, en face du port [de Cherbourg], d’intéressantes représentations de “cinématographie” combinées avec le “graphophone”. […] Disons qu’en même temps qu’il vous montre de magnifi ques tableaux animés, tels que “la mort du clairon”, l’on entend les paroles et le chant de la belle pièce de Paul Déroulède, de sorte qu’on croirait entendre parler ce troupier qu’on voit mourant. De même du “défi lé d’artillerie” au son des trompettes : on voit les chevaux en marche et en même temps l’on entend les trompettes. C’est merveilleux 38. »

Cet article de 1897 ressemble beaucoup aux nombreux comptes-rendus qui fl eurirent ensuite dans les journaux pour chaque présentation de synchronisation mécanique, insistant sur l’idée que l’on croit entendre parler le personnage. Les deux premières années de projections françaises sont riches d’expérimentations sonores.

• 36 – Le Journal de Vienne et de l’Isère, 27 novembre 1897, cité in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 477.• 37 – Le Courrier de Saumur, 31 janvier 1897, cité in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 436.• 38 – La Vigie de la Manche et de Cherbourg, 25 au 25 décembre 1897, cité in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 152.

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Un des tous premiers « enregistrement direct » d’un son ensuite diff usé avec les images prises dans le même lieu, semble avoir eu lieu dans le Poitou en novembre 1896. Le photographe Arambourou était toujours à la recherche de nouvelles expériences : « L’Héliocinégraphe projette […] “la gare” dans laquelle arrive un train d’où descen-dent ou montent, empressés, les voyageurs pendant que le phonographe accompagne des bruits du lieu 39. » Est-ce une tentative de bruitage à l’aide d’un phono ? Comme souvent, il faut lire les articles publiés lors de la suite des présentations pour comprendre ce dont il s’agit : « Nous vîmes “l’arrivée à Châtellerault du train venant de Seuillé”, avec une audition phonographique prise à la gare de Seuillé 40. » Le son aurait donc été pris dans le lieu qui est fi lmé. Le chroniqueur ne précise pas s’il y eu simultanéité de la prise de son et de la prise d’images. Il semble logiquement que le photographe a pratiqué la prise de son d’ambiance après avoir fi lmé l’arrivée du train. Aujourd’hui, les ingénieurs du son parleraient de « son seul » pris sur le lieu de tournage puis placé sur les images correspondant à cet environnement sonore. La phrase que nous venons d’écrire est totalement anachronique. Elle nous permet simplement de faire une comparaison entre une des premières tentatives de prise de son sur le lieu du tour-nage, avec un décalage de quelques minutes, et la pratique habituelle des ingénieurs du son aujourd’hui. Les tourneurs des premiers temps n’ont certes pas « tout inventé ». Cet exemple nous permet de noter la grande variété des pratiques et des expériences proposées au public avant 1907.

Synchronisation mécaniqueSynchronismes variés entre 1899 et 1906

En 1899, plusieurs systèmes de synchronisation mécanique des images et des sons fonctionnent. Laurent Mannoni et Giusy Pisano-Basile ont expliqué comment Auguste Baron avait enregistré le son et l’image de diff érents numéros de music-hall 41. Ces fi lms synchrones ne semblent jamais être sortis du laboratoire de Baron. Mais Dussaud et Jaubert ont proposé au public leur Phonorama. La salle du sous-sol de l’Olympia résonne pendant quatre mois avec les sons du Phonorama. Les spectateurs, en même temps qu’ils voient le fi lm sur l’écran, entendent les sons synchrones dans les écouteurs (de téléphone) dissimulés dans le dossier de chacun des fauteuils de la salle 42. Après cette présence dans le célèbre music-hall

• 39 – L’Écho de Châtellerault, 17 octobre 1897, cité in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 145.• 40 – Le Mémorial du Poitou, 5 novembre 1896, cité in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 146.• 41 – Giusy Basile et Laurent Mannoni : « Le centenaire d’une rencontre : Auguste Baron et la synchronisation du son et de l’image animée », 1895, n° 26, décembre 1998, p. 3-88. Giusy Pisano, Une archéologie…, op. cit., p. 245-259.• 42 – Giusy Pisano, Une archéologie…, op. cit., p. 240-244.

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entre avril et juillet 1899, le Phonorama s’installe à l’Exposition universelle de Paris 1900 43. La prise de son s’eff ectuait grâce à douze microphonographes (invention de Dussaud) disséminés sur la scène où passaient les artistes, et dans l’orchestre. Le chant et l’accompagnement semblent avoir été pris en direct, pendant la prise de vue. D’après le témoignage de Félix Mesguich, des « cris de Paris » ont été fi lmés et enregistrés à cette occasion. Les bandes sont ensuite coloriées dans les ateliers de Mme Chaumont. Le Phonorama reste pendant toute la durée de l’Expo, d’avril à octobre 1900 44. Jean-Jacques Meusy, analysant les recettes de cette attraction, trouve qu’il est exagéré de croire à une réussite car Berthon, Dussaud et Jaubert ne gagnent que très peu d’argent avec leur Phonorama. Dans la multitude d’in-ventions proposées pendant cette foire universelle gigantesque, leur système serait passé inaperçu ou presque 45. Giusy Pisano pense que les attractions de foire plus « classiques » comme la magie ont concurrencé toutes les présentations cinémato-graphiques, avec ou sans son 46. Notons que ce système part ensuite en tournée et que des Français et des Européens ont testé cette première intégration d’écouteurs dans des fauteuils.

La concurrence est rude pour les films synchrones pendant l’Expo 1900. Mme Marguerite Vrignault, sociétaire de la Comédie Française, exploite le Phono-Cinéma-Th éâtre 47. Ce système est aujourd’hui assez connu car on a pu restaurer certains des fi lms projetés. De plus, l’affi che du spectacle se trouve reproduite dans de nombreux ouvrages 48. On sait que les spectateurs de l’Expo ont pu voir des extraits de grandes pièces et d’opéra comme Hamlet, Falstaff , Don Juan. Mais quels étaient les fi lms synchronisés ? Un article souvent cité, du Figaro, laisse croire qu’on entendait de nombreuses voix célèbres.

« Grâce à la combinaison complète et absolue de ces deux merveilles modernes, le phonographe et le cinématographe, on est arrivé à un résultat d’une rare perfection et dont il faut féliciter M.M. Clément Maurice et Lioret. […] Quant au phonographe, c’est également une pure merveille de netteté et de sonorité […]. Nos petits-neveux admireront les sublimes atti-tudes de Sarah, entendront la voix claironnante de Coquelin, et revivront nos émotions et nos joies artistiques 49. »

• 43 – Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 73 et note 12.• 44 – Félix Mesguich, Tours de manivelle. Souvenirs d’un chasseur d’images, Grasset, 1 933. Cité in Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 88.• 45 – Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 89.• 46 – Giusy Pisano, Une archéologie…, op. cit., p. 242.• 47 – Ibidem, p. 262 sq.• 48 – Par exemple dans Jacques Legrand (dir.), Chronique du cinéma, Boulogne-Billancourt, éditions Chronique, 1992, p. 73.• 49 – Le Figaro, 8 juin 1900, in Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 90.

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À la vision de l’affi che, et à la lecture des articles d’époque, de nombreux historiens ont déduit que Sarah Bernhardt avait été enregistrée et fi lmée dans Hamlet. En fait, le journaliste explique bien qu’il s’agit d’admirer les attitudes de la grande Sarah, alors qu’on peut entendre Coquelin. De nombreux fi lms de ce programme sont muets. Sarah Bernhardt ne parle pas, l’enregistrement sur cylindre n’a pas pu être réalisé à temps pour l’Exposition 50. Le clown Little Tich fait son numéro dans le silence. Une restauration abusive au début des années 1930 avait ajouté des bruitages ! Un documentaire de 2004 permet d’écouter les rares bandes sonorisées à l’époque et dont on a pu retrouver les rouleaux : la tirade de Cyrano par Coquelin et une danse espagnole 51. Plusieurs airs d’opéra et de chansons sont en musique, de même que des danses. Jean-Jacques Meusy a expliqué que le système de synchronisation reste manuel dans le Phono-Cinéma-Th éâtre. Le phonographe avec son grand pavillon est placé devant les spectateurs « tandis que dans la cabine, l’opérateur tourne plus ou moins vite la manivelle du cinématographe pour conserver le synchronisme 52 ». Pour obtenir un meilleur son, le phonographe est remplacé, comme en témoigne un article du Gaulois :

« Le succès du début s’est transformé en triomphe […]. N’est-ce pas un charme tout à fait inédit que de voir grâce au cinématographe, vivre et agir devant soi nos premiers acteurs, et de les entendre en même temps, grâce à un phonographe perfectionné ? Notons à ce propos, que depuis hier le Phono-Cinéma-Th éâtre possède un nouveau et puissant phonographe qui est le dernier mot de la perfection 53. »

L’historien des salles parisiennes, en épluchant les recettes des diff érentes attrac-tions, note une fois de plus que l’enthousiasme des journalistes semble exagéré. Le son est nasillard et pas très puissant. Le public ne se déplace pas en masse. Le Phono-Cinéma-Th éâtre est en défi cit à la fi n de l’Expo. Toujours est-il que près de 250 à 300 personnes vinrent chaque jour écouter et voir ces fi lms, pendant dix mois 54. Cela représente déjà des milliers de spectateurs expérimentant le son synchronisé.

• 50 – Giusy Pisano, Une archéologie…, op. cit., p. 263.• 51 – Film de Éric Lange et Serge Bromberg, Les Premiers pas du cinéma : le son, Lobster Film, 2004 et DVD Le Muet a la parole, op. cit.• 52 – Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 90. Voir aussi Giusy Basile et Marc Monneraye, « Le cinéma qui chante et le disque », in Emmanuelle Toulet (dir.), Le Cinéma au rendez-vous des arts, bibliothèque nationale de France, 1995, p. 146.• 53 – Le Gaulois, 9 septembre 1900, in Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 90.• 54 – Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 91 sq.

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Une troisième attraction propose du son synchrone pendant l’Exposition 1900 : le Th éâtroscope utilise aussi un phonographe. Il est présent simultanément sur les boulevards 55. On a peu d’éléments sur ce système.

Des trois synchronismes présentés à l’Exposition universelle de 1900, le Phono-Cinéma-Th éâtre connut le plus grand nombre de spectateurs en continuant à fonc-tionner bien après la fermeture de l’Expo. Une tournée européenne permit de faire entendre Coquelin dans diff érentes métropoles comme Genève, ou Stockholm 56. Toute la France entend les fi lms présentés par Mme Vrignault, puisque qu’elle montre sa machine aussi bien à Marseille, en janvier 1901, qu’à Chalon-sur-Saône en avril de la même année 57. Certains forains indélicats s’emparent du nom Phono-Cinéma-Th éâtre pour présenter une synchronisation de leur cru. Pendant l’Expo, une loge de la foire de la Saint-Romain à Rouen, se présente sous cette appellation pour montrer des fi lms sonorisés par un phonographe. Le véritable Phono-Cinéma-Th éâtre réplique par un courrier au Journal de Rouen, qui fait une certaine contre-publicité au forain Bidard :

« La Société du Phono-Cinéma-Th éâtre, installée dans la rue de Paris à l’Exposition, nous écrit qu’elle a la propriété exclusive de ce titre. Elle ajoute qu’elle a l’intention d’organiser des tournées en France et qu’elle se propose de choisir la ville de Rouen comme première étape de cette tournée. Aussi nous prie-t-elle de dire qu’elle prend des mesures judiciaires contre les personnes qui se servent d’un titre qu’elle déclare lui appartenir exclusivement. Voilà qui est fait 58. »

Cet avertissement de procès, par presse interposée, prouve l’attrait publicitaire pour les synchronisations chez les forains, prenant le risque d’attaque judiciaire pour profi ter d’un des premiers engouements pour les « fi lms sonores ».

Le programme est renouvelé quand le véritable Phono-Cinéma-Th éâtre s’ins-talle à l’Olympia, à Paris en octobre et novembre 1901. La cabine de projection

• 55 – Ibidem, p. 92 et 98.• 56 – En 1901, le programme de l’Olympia-theatern de Stockholm reproduit le choix de fi lms de l’Expo. Cf. Deslandes et Richard, op. cit., p. 71. À Genève, Mme Vrignault loue le Victoria-Hall pour quinze jours, du 3 au 19 février 1901. D’après les journaux, on refuse du monde presque tous les soirs. La Suisse du dimanche 3 février loue la netteté de la projection, mais regrette la faiblesse du son, dans la salle pleine, alors que les essais la veille avait donné beaucoup d’ampleur. La synchronisation des gestes et des sons fonctionne bien. Cf. Buache et Rial, op. cit., p. 23 sq.• 57 – Le Petit provençal, 16 janvier 1901, cité par Suzette Hazan, op. cit., p. 15. Le Courrier de Saône-et-Loire, 18 avril 1901. Ce journal précise : « les scènes les plus goûtées ont été Les Précieuses ridicules, le ballet Terpsichore, Cyrano, sans oublier la scène du dentiste et le duel d’Hamlet ». Merci à Julien Poussardin.• 58 – Le Journal de Rouen, 31 octobre 1900, in Poupion, op. cit., vol.1, p. 139.

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étant placée loin de la scène où se situe le phonographe, le projectionniste, Félix Mesguich, est obligé de tenir un écouteur téléphonique sur son oreille pour vérifi er qu’il projette le fi lm sans désynchronisation. Il rapporte un incident :

« Je me souviens, notamment, qu’un soir, j’étais enfermé dans ma cabine, au premier étage, tandis que M. Berst était placé avec son phono à l’or-chestre. La salle se trouvait plongée dans l’obscurité, lorsqu’une main malveillante coupa le fi l de transmission acoustique qui me permettait de suivre à distance, au moyen d’un récepteur, la marche du cylindre. Sans interrompre la séance, je réussis néanmoins à terminer ma projection dans un synchronisme parfait, et personne ne s’aperçut que l’opérateur avait été subitement frappé de surdité 59. »

On constate que le système a été modifi é par rapport au mois précédents, grâce à l’ajout d’un écouteur téléphonique. Cette synchronisation reste manuelle comme dans la plupart des projections sonores avant 1907. C’est le cas lorsque, pour certains fi lms, le cinématographe Dufayel utilise un phono. Le producteur et réalisateur Henri Diamant-Berger se souvient d’une séance de 1902, alors qu’il avait sept ans :

« Un jeune premier […] se lamentait parce que la femme qu’il aimait se mariait avec un autre. Un phonographe – mais il me semblait que c’était le personnage lui-même – exhalait sa douleur en chantant :Je serai là, Nina la Belle,Dans l’église où tu te marieras !Je serai là, Nina cruelle,Et dans ton cœur tu souff riras 60 ! »

Les chansons, de plus en plus nombreuses sur rouleau, puis sur disque avec le développement du gramophone, permettent à de nombreux exploitants de sono-riser leurs fi lms en faisant parfois croire à une synchronisation.

Un vrai système de synchronisation, le Ciné-Phono (terme devenu générique à cette date et désignant plusieurs procédés mais utilisé principalement par Pathé) s’installe en juillet 1906 au Th éâtre de Grenelle, à Paris. On peut y voir et entendre des « scènes Ciné-Phono, chantées et mimées par Polin et Mercadier 61 ». Ce Ciné-Phono fonctionne selon le principe du Phono-Cinéma-Th éâtre, avec écouteur télé-phonique pour que l’opérateur puisse régler la vitesse du projecteur 62. Les scènes

• 59 – Mesguich, Tours de manivelle, Meusy, Paris-Palaces, op. cit., note 80. L’incident se repro-duisit lors d’une séance stéphanoise, en 1908, avec un système Pathé.• 60 – Henri Diamant-Berger, op. cit. ; Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 102.• 61 – Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 136.• 62 – Discussion avec Laurent Mannoni, juin 2004.

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chantées par ces deux vedettes populaires viennent d’être montrées par Pathé, en juin 1906, lors d’une fête de la revue Phono-Ciné-Gazette.

Mode du parlant et chantant 1904-1907De nombreux systèmes sont utilisés, autour de 1904-1907, dans toute la

France par des tourneurs : Th e Pioneer Cinematograh Parlant 63, Th e American Singer-Cinemato présente Carmen, Faust, Mignon 64… Le Royal Vio 65 présente, « des scènes prises sur le vif, Le Siffl eur, entre autres, qui danse le pas national dans Whitechapel […]. On verra Le Joyeux mari, et l’on entendra chanter et parler la photographie animée, ayant avec l’illusion de la vue, l’illusion de l’ouïe 66 ». Au moins un fi lm présenté est ici synchrone : Le Siffl eur. Sans doute, un autre l’est-il aussi, mais l’annonce est assez ambiguë. En 1905-1906, les forains proposant des fi lms parlants et chantants se multiplient et parcourent toute la France. En concur-rence les uns avec les autres, ils insistent dans leurs annonces sur le côté sonore de leur système. Quand les mots « parlant », « chantant », sont utilisés, le propriétaire de la machine affi rme (ou prétend !) ainsi sa capacité à synchroniser mouvement des lèvres et paroles. La mode sonore de 1905-1906 touche toutes les villes. Notre étude sur Lyon, et l’analyse d’autres villes nous donnent de bons exemples.

À Lyon, en 1905, des projections chantantes se succèdent. En utilisant la presse locale et les archives municipales, nous avons montré que diff érents tourneurs se concurrencent en annonçant des vues parlantes 67. Polin « chante grâce à une machine parlante », proposée en mai par le Cinématographe Géant de M. Hermant. De début septembre à fi n novembre 1905, c’est le « grand cinématographe parlant Impérator » qui fait entendre des vues animées aux Lyonnais. À cette date, et jusqu’à fi n décembre, le « Ciné-Phono-Th éâtre-Urania » propose des vues sonores… dont aucun journal lyonnais ne donne les détails. Il peut s’agir du système Mendel. Pendant le mois de février 1906, l’Ultra-Cinéma-Phono fait chanter, entre Saône et Rhône Bonsoir, Madame la lune, chanson de Mercadier, une des vues musicales de son programme. En février et mars 1906, une grande salle, le Nouvel Alcazar, ex-cirque Rancy, rappelle de temps en temps dans les journaux qu’elle possède une machine parlante. La salle ayant accueilli l’Impérator, le propriétaire a pu acheter au tourneur son système de synchronisation. Lorsqu’une concurrence trop forte se

• 63 – Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 92.• 64 – Ibid., p. 93.• 65 – La Gazette du Centre, cité sans date par P. et J. Berneau, op. cit., p. 44.• 66 – Le Courrier du Centre, 31 mars 1905, in P. et J. Berneau, op. cit., p. 44.• 67 – Martin Barnier, « Technologie de sonorisation à Lyon en 1905-1906 », in Gaudreault, Russell, Véronneau (dir.), Le Cinématographe, nouvelle technologie du XXe siècle, Lausanne, Payot, 2004, p. 361-372.

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fait sentir, le Nouvel Alcazar ressort son matériel sonore, particulièrement le jeudi, jour des enfants, d’après les annonces des journaux. Cette succession de projections avec fi lms chantés ou parlants se clôt en 1906 par la réutilisation chez un forain d’un fi lm proposé par un tourneur : Bonsoir, Madame la lune, revient cette fois dans le Th éâtre Mondain de Jérôme Dulaar. Ce forain établissait son cinématographe pendant de nombreux mois dans le quartier populaire de la Croix-Rousse. Deux autres chansons de Mercadier sont proposées aux spectateurs du Th éâtre Mondain. Le projectionniste synchronisait l’image selon le procédé décrit par Félix Mesguich, grâce à un écouteur de téléphone 68. La saison 1905-1906 fut donc particulièrement « chantante » à Lyon, comme dans d’autres villes françaises.

À Marseille, en 1906, Napoléon Rancy ne s’occupe plus du cirque paternel pendant un temps et diff use des fi lms chantants en reprenant l’appellation (et peut-être l’appareil) Phono-Cinéma-Th éâtre et un programme de stars du music-hall : Mercadier, Polin, Yvette Guilbert, Dranem 69. Les entrepreneurs de cirques, comme ceux des ménageries, utilisent le cinématographe dans leurs programmes. Ils aiment particulièrement projeter les fi lms parlants. On le constate sur les affi ches du cirque Spessardy, sur les annonces du Th éâtre Grenier, sur celles du forain Clam 70.

À Rouen, la concurrence entre les cinématographes favorise également l’uti-lisation des systèmes sonores. L’Imperator Cinématographe parlant s’était établi pendant le mois de juin 1904 au cirque municipal de Rouen. Est-ce le même qui passa à Toulon en 1905 71, puis à Lyon un an plus tard (et qui devient Impérator, avec un « é ») ? Les appellations changent en fonction des forains et tourneurs qui se copient les uns les autres et peuvent renommer leur installation d’un jour sur l’autre, en changeant de ville, ou même en restant sur place ! La Dépêche de Rouen nous informe que ce tourneur avait traversé tout le Nord de la France : Dunkerque, Calais, Boulogne, Amiens 72. Les fi lms de l’Imperator proviennent tous de chez Pathé. Le clou du spectacle devait être LE fi lm parlant de l’exploi-tant, en l’occurrence, La Lettre, de Félix Galipaux 73. Les monologues de Galipaux avaient été enregistrés. En raison du manque de détails sur le système utilisé, on

• 68 – Ces informations sont tirées de la lecture de la presse régionale, Le Progrès de Lyon, Le Nouvelliste, et le Lyon Républicain. Sur le Nouvel Alcazar, archives Municipales de Lyon, dossier 1121 WP 001. Sur Dulaar, Jacques Garnier, op. cit., p. 331. Témoignage de Moïse Rodier, neveu de Jérôme Dulaar, publié dans Le Progrès de Lyon, reproduit par Garnier sans date exacte de paru-tion de l’entretien.• 69 – Deslandes et Richard, op. cit., p. 171.• 70 – Adrian, op. cit., passim., sans dates précises.• 71 – Catherine Laroque, Les débuts du cinéma à Toulon (1896-1929), Mémoire de maîtrise, Aix-en-Provence, 1969, p. 12-13.• 72 – La Dépêche de Rouen, 4 juin 1906, cité in Poupion, op. cit., vol.1, p. 125.• 73 – Poupion, op. cit., vol.1, p. 127.

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suppose qu’un phonographe diff usait le monologue pendant la projection du fi lm correspondant, avec un projectionniste qui essaye de rester dans le rythme du texte. L’Imperator revient à Rouen en février 1906… s’il s’agit du même appareil. Mais il n’est plus question de fi lms parlants mais seulement d’un conférencier.

À peine le Chronomégaphone était-il en vente que le forain Grenier s’en empa-rait. L’appareil, Chronophone perfectionné par amplifi cation par air comprimé fut proposé par Gaumont pendant l’été 1906. Le Th éâtre Électrique Grenier projette des fi lms chantants à Rouen, pendant la foire de la Saint-Romain, octobre et novembre 1906. Le Journal de Rouen fut enchanté par la précision de l’appareil :

« C’est curieux de précision, tellement le mouvement du cinéma et le chant du phonographe sont bien coordonnés. Aussi, les spectateurs ont-ils pu voir et écouter avec plaisir le duo de Mireille “O Magali ma bien-aimée” entre Vincent et la gentille magnanarelle. Une scène d’un excentric [sic, selon l’or-thographe de l’article, mélangeant l’anglais et le français] américain a aussi un succès fou. Le refrain de la chance que chante le sujet et qui n’est qu’une succession d’éclats de rire a communiqué une belle gaîté à la salle. On se tordait littéralement, presque autant que l’excentric [resic] sur l’écran 74. »

La concurrence sur le son fait rage à Rouen puisque le forain Pierre Iunk, dont le Th éâtre des Fantoches n’utilise bientôt plus que le cinématographe, propose lui aussi des fi lms parlants. Il semble que Iunk utilisait un Biophonographe ou Cinémato Haut-Parleur. Il est possible qu’il s’agisse du Biophon mis sur le marché par le concurrent de Gaumont, l’Allemand Oskar Messter 75. La publicité de Iunk affi rmait que son « Idéal Cinématograph’ » (3e appellation) était le plus précis car c’était « le seul appareil au monde permettant de prendre et de reproduire à la fois les gestes et les paroles, et surtout ne pas confondre avec les grossiers essais tentés dans le même but 76 ». La synchronisation fonctionne bien puisque la Dépêche de Rouen s’enthousiasme :

« Ce n’est plus de la pantomime morte et monotone à la longue, mais bien du théâtre, du vrai théâtre, avec du dialogue, des réparties spirituelles, des conversations hilarantes. Les gestes et les paroles ! On comprend que cette innovation ouvre un champ nouveau à l’intelligent directeur M. Pierre

• 74 – Le Journal de Rouen, 2 novembre 1906, Poupion, op. cit., vol.1, p. 287.• 75 – Cette hypothèse d’Olivier Poupion est plausible car les tourneurs se procuraient du maté-riel partout, même si Gaumont et Messter respectaient plus ou moins un accord pour se réser-ver le marché du sonore chacun dans leur pays. Cf. Harald Pulch, « Messters Experiment der Dirigentenfi lme », in Kintop, n° 3, 1994, p. 54. Dans cet article du numéro spécial de Kintop consacré à Messter, on apprend que Gaumont et Messter avaient passé cet accord et que Messter développa une version perfectionnée de son Biophon en 1906-1907.• 76 – Affi chette citée par Poupion, op. cit., vol.1, p. 288.

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Iunk. Il permet d’aborder l’interprétation d’opéras, d’opérettes, de comé-dies, de chansonnettes, de scènes dramatiques et comiques. On joue et chante : Aïda, Mignon, Carmen, la Fille du régiment, Guillaume Tell, la Visite au Major, le Muet mélomane, le Papa de Francine, etc. Et ce sont des grands artistes en renom, ceux de l’Opéra, du Français et des music-halls de Paris, qui sont entendus chez Iunk 77. »

Si Iunk possède un appareil allemand, il faut que l’interchangeabilité soit établie avec Gaumont, ou avec Mendel, puisque les fi lms proposés sont en français. En plus des fi lms cités par le quotidien, Iunk montre d’autres parlants : Mireille, La Traviata, La Juive, La Marseillaise, et La Leçon de musique. Le programme entre ces deux grands forains est assez semblable, puisque Grenier passe lui aussi le Duo de Mireille et Carmen. Il se diff érencie avec un autre opéra, Faust et avec son « Excentric américain ». De plus Grenier passe huit titres qui ne semblent pas parlants78. Tous ces fi lms synchronisés se trouvent aussi bien sur les catalogues Mendel que Gaumont. Un troisième concurrent surgit pendant la même foire. Abraham DuLaar (même si l’orthographe change, il s’agit bien du frère de Jérôme Dulaar, dont on a vu qu’il était établi à Lyon) parcourait l’Ouest de la France avec son Th éâtre Aérogyne. Ce spectacle de femme volante reste l’attraction principale, accompagnée par des tours de magie et par un cinéma parlant ! Le spectacle comporte une ouverture par un concert du Metrostyle Pianola (piano mécanique), puis l’Aérogyne, les Apparitions célestes (eff ets lumineux), et le Royal Cinématorama (« sans scintillements ni trépi-dations »). En deuxième partie de programme, on trouve « l’Aérophono-cinémato-rame, Phonographe à air comprimé, dernière merveille de la science moderne […] présenté à l’Académie des Sciences, phonographe et cinématographe combinés 79 ». Les appellations ronfl antes utilisées par les forains ne permettent pas de savoir quel était le véritable nom de l’appareil. Le fi lm parlant est placé une fois de plus en fi n de programme, comme le clou du spectacle. D’après les articles, la magie de la femme volante demeure l’élément d’attraction le plus fort chez Abraham DuLaar. La famille Dulaar (un troisième frère est aussi banquiste) a pu faire circuler entre ses baraques de foire le projecteur chantant.

Au total, la foire de la Saint-Romain d’octobre et novembre 1906 à Rouen permettait au public de se divertir en voyant neuf cinématographes, dont trois systèmes de synchronisation mécanique. Parmi les autres forains présentant des fi lms on trouve le dompteur Bidel et ses fauves rugissants, le Th éâtre Delafi oure qui fait alterner des fi lms avec les numéros d’un transformiste copiant Fregoli

• 77 – La Dépêche de Rouen, 23 octobre 1906, Poupion, op. cit., vol.1, p. 288.• 78 – Filmographies établies par Poupion, op. cit., vol.1, p. 334.• 79 – Journal de Rouen, 26 octobre 1906, et une affi chette de foire, cités par Poupion, op. cit., vol.1, p. 291.

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puisqu’il se nomme Frego, les Fantoches Nicolas qui attirent beaucoup d’en-fants avec leurs marionnettes, la Ménagerie Poisson, le Th éâtre Levergeois et le Grand Palais des Cinématographes de Julien Marrécau. Les vues animées restent mêlées à de nombreuses autres attractions, au sein même de chaque loge de foire. L’évolution technologique est suivie de très près par les forains. Le son synchrone devient un argument de vente encore plus important en 1905 et 1906, dans toute la France. À partir de novembre 1906, la ville de Béziers voit défi ler des cinémato-graphes parlants 80. On assiste à une vague de cinématographe parlant et chantant en 1905-1906. De nombreux systèmes sont vendus à partir de cette période.

Un système léger, Mendelle Cinémato-Gramo-Théâtre

À la fi n de l’année 1906, Mendel propose près de 70 « scènes de Cinémato-Gramo », dont les numéros de catalogue arrivent jusqu’au « 523 » ! Des publicités apparaissent dans L’Indicateur de la photographie, par exemple. Le slogan choisi est alors : « rénovation du cinématographe par le synchronisme ». Et la réclame précise, pour rassurer les exploitants, « les appareils peuvent être placés à n’importe quelle distance l’un de l’autre ». L’image montre des disques de Mignon, La Juive, Aïda, Norma et explique les avantages du Cinémato-Gramo-Th éâtre :

« Appareil nouveau reproduisant avec toute leur intensité toutes les scènes de la vie, bruits et mouvements, paroles et gestes, par la combi-naison synchronique et parfaite d’un cinématographe et d’un gramophone spécialement construit à cet effet, et comportant les derniers perfec-tionnements. Demandez le catalogue où vous trouverez les dernières nouveautés scientifiques. Une fortune à faire en exploitant partout le Cinémato-Gramo-Th éâtre 81. »

La publicité est légèrement mensongère, quand elle prétend que la machine peut reproduire tous les bruits de la vie. Les disques utilisés et recommandés étant ceux de chants d’opéra, et de chansons populaires, on y trouve aucun « bruit de la vie » ! Mais ces arguments pouvaient pousser les forains, principaux clients de Mendel, à acheter son appareil 82.

• 80 – Société de Musicologie de Languedoc, à Béziers, site Internet cité.• 81 – L’indicateur de la photographie, A. Lahure Imprimeur éditeur, 1906, p. 183. Merci à Jean-Claude Seguin.• 82 – Mendel a commencé à proposer des fi lms correspondant à des disques du commerce dès 1901. En 1904, il a acquis les droits du synchronisme mis au point par Henri Joly. C’est ce système qu’il nomme Cinémato-Gramo-Th éâtre. Giusy Pisano, Une archéologie…, op. cit., p. 264 sq. La machine continue de « synchroniser » les disques du commerce avec les fi lms tournés par Mendel.

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Les revues comme Phono-Ciné-Gazette impriment des listes de nouveautés83. Il s’agit d’air d’opéra comme Faust, La Bohème, Carmen, ou de musique reli-gieuse comme L’Ave Maria de Gounod, ou encore de refrains d’opérette tels que Les Cloches de Corneville, Le Papa de Francine, Les Mousquetaires au couvent, de quelques danses comme la « valse acrobatique » Estudiantina et la danse espa-gnole La Mattchiche et surtout de chansons et numéros comiques interprétés par Dranem, Polin, ou Charlus.

Les disques du commerceAppelé un temps « Phono-Ciné » (ce qui entraîne des confusions avec le système

Pathé), cet appareil fut rebaptisé : Cinémato-Gramo-Th éâtre. Mendel fi lmait des acteurs anonymes mimant les airs existant déjà sur disques du commerce. L’interprète de la chanson, ou du sketch, était célèbre, mais pas l’acteur dans le fi lm, sauf Polin, Dranem et Charlus qui rejouaient devant la caméra leurs disques. Ce procédé écono-mique ne semble pas avoir entraîné beaucoup de protestations. Une lettre publiée par Phono-Ciné-Gazette montra que certains, dans le public, n’étaient pas dupe :

« Monsieur,J’apprends que des fabricants de films cinématographiques mettent en pratique la combinaison nouvelle que voici pour obtenir un “synchronisme”

• 83 – Phono-Ciné-Gazette, n° 36, 15 septembre 1906 et, n° 39, 1er novembre 1906.

Publicité Mendel, Phono-Ciné-Gazette, 15 août 1906, coll. part.

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entre le fi lm et le disque. Ils prennent par exemple un disque chanté par M. X et font mimer le chant par M. Z. Or forcément on annonce la scène chantée par M. X. Moi, artiste, je ne laisserai pas annoncer une scène chantée par moi, quand on représentera sur l’écran une physionomie autre que la mienne. Je profi te de votre publicité pour faire connaître ma protestation 84. »

Cette protestation permet de comprendre pourquoi de nombreuses personnes ont cru que Caruso avait été enregistré avec synchronisation image / son. En fait, un fi lm Mendel avec un acteur anonyme mimait le chant de Caruso, qu’on pouvait

• 84 – Phono-Ciné-Gazette, n° 35, 1er septembre 1906.

Publicité Mendel, Le courrier cinématographique, n° 29, 13 juillet 1912, coll. part.

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acheter dans le commerce. Ce principe permettait d’obtenir rapidement des fi lms moins chers. Les loges de foire achetèrent ce système, mais le « synchronisme simple et parfait » de Mendel pu être utilisé dans de nombreux cas, sans que le nom de l’inventeur soit cité.

Une aiguille indique si le phonographe ou le projecteur est en retard. Il suffi t d’accélérer l’appareil décalé pour retrouver le synchronisme. Ce procédé est le plus simple. Mendel reçoit des louanges de Phono-Ciné-Gazette pour la simplicité de son système en juillet 1906. Le prix et l’ensemble des appareils du procédé Mendel furent décrits dans une publicité d’octobre 1906 :

« L’appareil synchronique s’adapte à n’importe quel cinématographe. Le prix de 1 800 francs comprend : le synchronisme, le gramophone, la trans-formation mécanique du cinématographe, les fi ls électriques de relation du cinéma [c’est-à-dire le projecteur] au gramophone, la pile sèche ou l’accu-mulateur. Le nouvel appareil à air comprimé, “le Tonnerre” est indispen-sable pour une bonne audition. Le prix est de 2 000 Francs. L’appareil de synchronisme emploie tous les disques du modèle courant : Gramophone, Zonophone, Odéon, Columbia, Fonotipia, Eden, Idéal, etc. 85. »

Le prix du matériel Mendel est relativement élevé si on achète le phono le plus puissant, mais il permettait en général de substantiels bénéfi ces, ce qui le rendait vite rentable. Comme ses concurrents Gaumont ou Pathé, à la même date, Mendel propose une amplifi cation par air comprimé, ce qui explique le succès de ces procédés dans de grandes salles.

Comme nous l’avons noté, les fi lms synchronisés représentent le clou du spec-tacle et n’occupent pas toute la programmation des salles ou des banquistes. Les exploitants suivent le conseil de Phono-Ciné-Gazette :

« Le “Phono-Ciné” [en fait le Cinémato-Gramo de Mendel] obtient un grand succès d’intérêt ; le public comprend qu’il y a là une trouvaille admirable… N’en abusez pas, c’est un conseil que l’expérience permet de donner. Deux ou trois morceaux dans la soirée me paraissent suffi sants. L’artiste qu’on voit faire la mimique du morceau phonographié perd tout l’intérêt s’il reste trop longtemps sur l’écran… Il faut du changement, une succession de scènes rapides 86. »

• 85 – Phono-Ciné-Gazette, n° 38, 15 octobre 1906.• 86 – Phono-Ciné-Gazette, n° 35, 1er septembre 1906, article de Jean Laurens : « Le cinémato-graphe ; les sujets ».

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Des publicités chaque semaineLes procédés de synchronisation fascinent les inventeurs. Les brevets sont

déposés en grande quantité. Giusy Pisano-Basile en répertorie plus de 500, dans le monde entier, jusqu’au début des années 1920 87.

Les procédés, permettant des synchronisations, sont vendus en plus grand nombre dans les revues corporatives à partir de 1907. Mendel propose le « Nouveau Synchronisme […] et le Tonnerre » dû à l’ingénieur Henri Joly 88. Les publicités pour son Cinémato-Gramo-Th éâtre paraissent dans toute la presse. Ces réclames se trouvent bien sûr en première place dans les publications dirigées par Charles Mendel lui-même. Par exemple dans l’Annuaire de la projection fi xe et animée de 1911, on présente le « cinéma géant » comme « le plus parfait, avec ses derniers perfectionnements. Employé dans les plus grandes exploitations. Le Cinémato-Gramo-Th éâtre ou Cinématographe Parlant est la dernière application scientifi que du phonographe et du cinématographe. La réunion de ces deux inventions a pour but de donner l’illusion complète de la vie par la concordance absolue des gestes et des paroles (ce que l’on n’avait pu obtenir jusqu’à ce jour) 89 ».

Chaque semaine Mendel propose des fi lms synchronisés. Comme les appella-tions vont et viennent entre les compagnies, il n’hésite pas à utiliser les termes de la Gaumont, concurrence quelque peu déloyale. Dans les listes publiées par les revues corporatives, il appelle ses fi lms synchrones des « phono-scènes artistiques ». Par exemple en juillet 1911, il vend des chansons fi lmées longues de 56 à 72 mètres qui ont pour titre : Le Clairon (de Déroulède), La Charité, Debout les gars, La Valse brune. Les possesseurs de Cinémato-Gramo pouvaient donc se réapprovisionner régulièrement 90.

Pathé, son téléphone et son Ciné-PhonoUn système téléphoné

Le troisième procédé, celui de Charles Pathé, concurrent de Gaumont et de Mendel, consiste à vendre un téléphone ! « Pathé, lui, a simplement dit à l’opé-rateur : écoutez le phonographe et tournez votre cinématographe de manière à être synchrone avec le phonographe. Pour que vous puissiez bien suivre et bien entendre, je vous vends un téléphone qui vous portera aux oreilles les propos

• 87 – Giusy Basile, Marc Monneraye, « Le cinéma qui chante et le disque », in Emmanuelle Toulet, op. cit., p. 146.• 88 – L’Industriel forain, n° 900, 3-10 novembre 1906.• 89 – Publicité parue dans Cinéma, annuaire de la projection fi xe et animée, Annuaires Charles Mendel éditeur, 1911.• 90 – Le Courrier cinématographique, n° 2, 20 juillet 1911.

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du phonographe 91. » Avant 1907, et l’amélioration du système, le téléphone est nécessaire pour caler l’image sur le son. Pathé propose d’acheter son matériel habituel de projecteur et de phonographe et il ajoute la vente d’un téléphone. Les catalogues, à partir de 1900, proposent des « Scènes Ciné Phonographiques ». On trouve, La Robe, poésie d’Eugène Manuel (1902), Les Saisons, La Femme est un jouet et Bonsoir Madame la lune par Mercadier ; Les Vierges, Le Fiacre et Berceuse verte interprétées par Yvette Guilbert ; deux monologues de Félix Galipaux, La Lettre et Au téléphone (1904) ; et des chansons de Polin (1905), Mercadier (1905), Maréchal (1906), Charlus (1906) 92… Le catalogue de 1905 décrit le principe :

« [Il s’agit d’adopter] la solution la plus naturelle, c’est-à-dire la commande indépendante des deux appareils. Quelques répétitions suffi sent à l’opéra-teur [qui actionne le cinématographe à la main] pour régler ses projections à la vitesse invariable du phonographe 93. »

Tout repose sur l’habileté du projectionniste. Phono-Ciné-Gazette, très proche de la fi rme au coq, mit en avant le procédé Pathé pendant ses « fêtes » qui permet-taient de faire écouter et de montrer aux exploitants les dernières nouveautés. Dans le compte-rendu de la « Première Fête du 13 mai 1906 », on glorifi e le synchronisme. Alors que le numéro précédent de la revue prévenait : « Peut-être pourrons-nous faire entendre Polin et Mercadier pendant que le cinématographe reproduira leurs mouvements. Mais de cela, nous ne sommes pas sûr en raison des diffi cultés matérielles qui seront aplanies dans l’avenir 94. » Cette prudence semble indiquer que la synchronisation Pathé dépendait beaucoup des circonstances et de la dextérité des techniciens. Finalement, 3 000 amateurs, participant à cette fête (d’après la revue qui exagère peut-être un peu les chiff res d’entrées), ont pu entendre et voir le chanteur populaire.

« Le plus grand succès a été pour Polin, interprétant La Venus du Luxembourg. Bien entendu, Polin était sur l’écran et sa voix venait du phonographe. Le synchronisme le plus absolu a été constaté entre le ciné et le phono et le public a compris la diffi culté : il a vigoureusement applaudi 95. »

• 91 – Charles Chancy, « Le Phono-Ciné, un art nouveau, une industrie nouvelle. Les initiateurs : Gaumont, Mendel, Pathé et X… Quatre système de synchronisme du Cinématographe et du Phonographe », in Phono-Ciné-Gazette, n° 34, 15 août 1906.• 92 – Giusy Pisano, Une archéologie…, op. cit., p. 266.• 93 – Catalogue : Anciens Établissements Pathé Frères Service du Cinématographe : Appareils et accessoires, avril 1905, p. 82-83. Cité in Giusy Pisano, Une archéologie…, op. cit., p. 266.• 94 – Phono-Ciné-Gazette, n° 28, 15 mai 1906.• 95 – Phono-Ciné-Gazette, n° 29, 1er juin 1906.

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Cette projection était le clou de la soirée puisque, dans l’ordre de déroulement, on trouvait un concert de phonographe, puis des projections muettes accompa-gnées au piano par M. Cariage, et enfi n le fi lm synchrone avec Polin. La revue annonçait « appareils et fi lms Pathé ». Dès le 29 mai 1906, Phono-Ciné-Gazette organisa une deuxième soirée dans la salle du Trocadéro. De nouveau on entend Polin, accompagné d’un fi lm avec Mercadier :

« Ma Jolie de Mercadier et La Venus du Luxembourg de Polin ont été chaleu-reusement applaudies ; la concordance était parfaite, le synchronisme absolu entre le mouvement des lèvres sur l’écran et le son du phonographe à air comprimé. Il est vrai que nous avions d’excellents opérateurs de la maison Pathé qui se jouent de ces diffi cultés 96. »

Ce principe « téléphonique » de synchronisation se répandit dans les mois qui suivirent, lors des inaugurations de « salles Pathé » ou de « tournées Pathé ».

Escamotage du Ciné-Phono chez les historiensPathé n’a pas fait beaucoup de publicité pour son procédé, appelé Ciné-

Phono, mais il a pourtant été vendu dans toute la France et même dans le reste du monde. Le Ciné-Phono semble avoir disparu des archives, ce qui est faux comme nous allons le voir 97, et de la plupart des livres consacrés au cinéma français 98. Plus étonnant, dans le livre consacré à Pathé lors de la grande expo-sition de 1994-1995 à Beaubourg, on nous affi rme que « [Charles Pathé] ne réalise malheureusement pas le rapprochement du son et de l’image, contrai-rement à Léon Gaumont et d’autres qui feront des tentatives plus ou moins réussies de cinéma sonorisé 99 ». Après des recherches dans diff érentes villes, nous pouvons affi rmer que c’est faux. Par exemple à Paris, dans la salle de pres-tige de la fi rme, le Cirque d’Hiver, en 1908 le « Cinéma-Phono, dont le chant souligne point à point les scènes lyriques inscrites au programme » reste pendant plusieurs mois 100. Le Ciné-Phono (appellation la plus courante), n’est pas un appareil de démonstration expérimental, c’est un système qui fonctionna dans de nombreuses salles fi xes ou temporaires, en 1907-1910, en proposant des dizaines

• 96 – Phono-Ciné-Gazette, n° 30, 15 juin 1906.• 97 – Giusy Pisano, dans l’ouvrage tiré de sa thèse, signale, elle, le Ciné-Phono et cite des archives, comme les brevets, qui prouvent les accords de Pathé avec plusieurs inventeurs. Giusy Pisano, Une archéologie…, op. cit., p. 266-268.• 98 – Claude Beylie (dir.), Une Histoire du cinéma français, Larousse, 2000, p. 20. Nous ne citons pas les autres, mais le Ciné-Phono est oublié systématiquement.• 99 – Daniel Marty, « Charles Pathé et le phonographe », in Jacques Kermabon (dir.), Pathé, premier empire du cinéma, Centre Georges Pompidou, 1994, p. 143.• 100 – Comœdia, 10 juin 1908. Merci à William Galindo.

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de fi lms chantants. Gaumont produisit des centaines de fi lms du même type, ce qui explique sans doute une plus large distribution de son équipement et une reconnaissance plus durable. Cela est aussi dû aux stratégies commerciales des deux fi rmes. Charles Pathé veut distribuer ses fi lms le plus largement possible. Léon Gaumont s’attache plus à des éléments techniques qui le passionnent. Pratiquement chaque publicité publiée par Gaumont rappelle que la société fournit des fi lms parlants, alors que presqu’aucune réclame de la fi rme au coq ne vante son appareil de synchronisation. Les deux compagnies ne promeuvent pas leurs procédés de la même façon. On trouve un aspect purement commercial à rentabilité immédiate pour Pathé, qui abandonne la synchronisation au bout de trois ans à peu près (si on ne compte pas les présentations antérieures à 1907 et le système est encore vendu en 1912). Par contre, il y a une recherche de reconnaissance de la part de la communauté scientifi que du côté de Gaumont. Cela explique, en partie, la disparition du Ciné-Phono et la persistance du Chronophone dans les travaux historiques 101. De plus, les déboires des socié-tés concessionnaires de la marque Pathé entre 1907 et 1909 ne permirent pas de pérenniser le Ciné-Phono. Les conditions draconiennes mises en place par Charles Pathé empêchèrent le plein épanouissement des sociétés régionales 102. Le système de location obligeant à une rotation plus rapide des fi lms explique aussi l’impossibilité de faire perdurer certains numéros du Ciné-Phono. Trop de facteurs extérieurs entrent en ligne de compte pour juger d’un échec du système de synchronisation Pathé qui fi t de toute façon entendre des dizaines de fi lms pendant deux ou trois ans dans toute la France.

Le Ciné-Phono vendu dans toute l’EuropeEnfi n, dans les archives Pathé, des inventaires permettent de vérifi er que les

appareils Ciné-Phono sont stockés à Joinville et dans les succursales 103. Il semble qu’à partir de 1908, le terme Ciné-Phono désigne les disques et les fi lms corres-pondants, alors que l’appareil de synchronisme est appelé Synchrophone ou Synchronisme. L’inventaire de février 1907 note que des disques et fi lms Ciné-

• 101 – Nous-même, nous avons consacré un chapitre de notre thèse à ce besoin de reconnaissance sur le son chez Gaumont, chapitre repris dans notre livre : En Route vers le parlant. Histoire d’une évolution technologique, économique et esthétique du cinéma (1926-1934), Liège, CEFAL, 2002, p. 25-46. Nous n’avions pas écrit une seule ligne sur Pathé dans les pages consacrées aux concur-rents de Gaumont. Il nous a fallu lire des quotidiens régionaux pour découvrir l’importance du Ciné-Phono.• 102 – Jean-Jacques Meusy, « La Stratégie des sociétés concessionnaires Pathé et la location des fi lms en France (1907-1908) », in Michel Marie, Laurent Le Forestier, op. cit., p. 21-48.• 103 – Inventaire Pathé des exercices 1907 à 1911, Archives Pathé. Merci à Clémence Schmitt.

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Phono sont stockés à Bruxelles. Un accord avec l’ingénieur Gentilhomme permet à Pathé d’utiliser et de vendre le Ciné-Phono et le Synchrophone 104.

Ce dernier appareil est stocké à Londres, à Vienne et à Moscou en février 1908. Cinq machines de ce type sont à Joinville en février 1909, accompagnées de huit « phono-transmetteurs ». Dans les succursales, à cette date, on trouve un Synchronisme à Londres, 4 à Moscou avec 7 bobines Ciné-Phono, 2 Ciné-Phonos à Budapest, 4 à Vienne avec 321 disques Ciné-Phono ! En 1910, deux termes sont employés : Cinéphone (2 à Barcelone) et Synchrophone [exclusivité Gentilhomme, distribué par Pathé] (Londres, Milan, Budapest, Bucarest). En 1911, seuls des disques sont désignés comme Ciné-Phono, alors que les appareils s’appellent Synchronisme ou Synchrophone. Onze machines sont en stock entre Joinville et les diff érentes succursales. En 1912, 8 Synchrophones ou Synchronismes sont notés en stock.

L’ingénieur Gentilomme, dont le système a été utilisé par Pathé sous le nom Ciné-Phono, a également vendu sous sa propre marque son procédé 105. Un article de Phono-Ciné-Gazette détaillait les avantages du procédé en 1908, quand il était bien distribué par Pathé :

• 104 – Giusy Pisano, Une archéologie…, op. cit., p. 267. C’est le brevet Mathelot et Gentilhomme du 11 juillet 1907 qui est acheté par Pathé.• 105 – Georges-Michel Coissac est un des rares historiens à signaler que Pathé a utilisé un système sonore pendant quelques années, Histoire…, op. cit., p. 331.

Synchrophone Automatique Modèle A. catalogue Gentilhomme, 1909, Fonds Rondel, Rk 649

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« 1° Le fonctionnement est réellement automatique, c’est-à-dire que les écarts sont empêchés ou rattrapés d’une manière automatique ; cela permet à l’opérateur de se consacrer complètement au projecteur ;2° Le volume [pris par l’appareil] est restreint ;3° L’adaptation peut être faite instantanément à des cinématographes et phonographes de tout système ;4° L’emploi de fi lms et de disques de fabrications diff érentes ne présente aucune espèce d’inconvénient ;5° La présence d’un dispositif correctif permet à l’opérateur de corriger immédiatement un faux départ ou un décalage dû à ce que le fi lm a été coupé à certains endroits ;6° Le montage ne demande que quelques minutes ;7° La fi xation peut être faite en un endroit quelconque de la cabine, car il n’y a aucune transmission mécanique ;8° Le prix en est relativement peu élevé 106. »

Pour réussir à bien maîtriser l’appareil, le projectionniste devait quand même s’entraîner plusieurs fois. Dans la première version, les faux départs ne pouvaient être rectifi és que si l’opérateur entendait parfaitement le phono, placé loin de lui. C’est pourquoi Pathé utilisa ce système en ajoutant l’emploi d’un téléphone qui reliait le phonographe à la cabine de projection, avant 1907. Cet article ne décrit que la version automatique du Synchrophone, donc à partir de 1907. Comme pour Gaumont cette synchronisation existait sous deux versions, automatique et à main. Une publicité parue dans Ciné-Journal en 1909 expliquait :

« Cinématographe Chantant, Synchrophones H. Gentilhomme, Automatique et à main, modèle défi ant toute concurrence, phonographes amplifi cateurs, fi lms synchronisés. Vente et location. Levallois-Perret, 128 rue du Bois 107. »

Dans son catalogue de 1909, Gentilhomme propose un synchrophone complet à partir de 1 141 francs (modèle D, le moins cher) et jusqu’à 3 484 francs (modèle A, version courant alternatif ). Le système se présente sous la forme d’un tableau électrique avec variateur de courant permettant de réguler la vitesse du projecteur et celle du phonographe.

Avec ces diff érents modèles, dont seul le quatrième est manuel, le projectionniste peut contrôler le phonographe depuis sa cabine de projection 108. La revue Ciné-Journal, sans doute plus proche des projectionnistes et des exploitants, note que les,

• 106 – Phono-Ciné-Gazette, n° 75, 1er mai 1908.• 107 – Ciné-Journal, n° 45, du 27 juin au 3 juillet 1909.• 108 – Catalogue, Le Cinématographe parlant et chantant par le Synchrophone Universel, système H. Gentilhomme, Paris, 1909, 38 pages. Fonds Rondel, Rk649. Merci à Clémence Schmitt.

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« meilleurs procédés actuellement employés sont basés sur une commande électrique synchrone d’un phonographe et d’un cinématographe, la distri-bution du courant étant faite au poste cinématographique par un organe en relation angulaire constante avec le phonographe : c’est-à-dire qu’il est nécessaire d’ajouter, aux deux appareils exécutants, un dispositif électrique plus ou moins compliqué, qui a pour fonction de les relier 109 ».

Après cette longue phrase qui permet de perdre le lecteur et de suggérer que la manœuvre n’est pas aisée, l’article met en avant la simplicité du Synchrophone Gentilhomme. Il décrit l’action de régulation électrique en concluant : « Cette action de réglage persiste jusqu’au parfait rétablissement du synchronisme, et cesse, aussitôt après, avec une précision et une automaticité telles, que l’opérateur n’a à s’occuper de rien. » L’éloge de l’appareil continue sur deux pages. Au passage, Gaumont est critiqué, sans être nommé, car « tout appareil qui ne permet l’emploi que d’une seule marque de disques et de fi lms rend son acquéreur tributaire de cette marque ». Pourtant, six lignes plus bas, un cartouche publicitaire vante les « projec-tions parlantes » de Gaumont ! Il est diffi cile de savoir combien de spectateurs ont entendu des fi lms synchronisés par le procédé Gentilhomme, en dehors de son accord avec Pathé en 1908. Les exploitants et forains ne mettaient pas en avant le véritable nom du procédé qu’ils utilisaient. La possibilité de passer tout type de fi lms ou de disques, comme pour Mendel, mais avec un variateur vraiment automatisé faisait du Synchrophone un sérieux concurrent de Gaumont.

Nous pouvons affi rmer qu’à la veille du grand développement des salles fi xes et spécialisées dans toute la France, l’attrait pour les technologies sonores est marqué. À la fi n de l’été 1906, Mendel, Gaumont et Pathé semblent en rupture de stock ! « Plusieurs grandes maisons de Paris vendent ces appareils et ne peuvent suffi rent aux demandes 110. » Il peut s’agir parfois d’un eff et d’annonce et certains forains ne montrent qu’un seul fi lm moyennement synchrone. Du point de vue du simple client des cinématographes, les projections proposent des sons synchrones en plus grand nombre. En plus du choix des sons de bruitage, des voix humaines et des diff érents bruits parasites que nous avons notés, le spectateur profi te de plus en plus des synchronisations mécaniques et des phonographes non couplés aux projecteurs. La présence importante des fi lms pour Chronophone Gaumont semble un signe intéressant de mécanisation des sonorisations de fi lms. Gaumont a fabriqué le procédé le plus fi able. Il a été vendu dans toute la France et a fonc-tionné avec régularité pendant des années.

• 109 – Ciné-Journal, n° 54, du 30 août au 5 septembre 1909.• 110 – Phono-Ciné-Gazette, n° 39, 1er novembre 1906.

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Synchronismes GaumontAmélioration du système

À Paris, la synchronisation mécanique fut essentiellement développée par Gaumont, dans diff érentes salles à partir de 1907. Mais son système, le Chronophone, existe dès 1903 111. Il reste à l’état expérimental jusqu’en 1905. Léon Gaumont procède à des projections, devant diff érents publics, essentiel-lement pour des spécialistes, comme la Société Française de Photographie. Il montre l’appareil en 1904, à Nancy, à l’occasion du Congrès de photographie qui se tient dans cette ville, du 18 au 25 juillet 112. Des améliorations successives permettent de vendre des appareils à partir de 1905 113. À partir de fi n 1905, les publicités font connaître le nom Chronophone 114. Pendant l’année 1906, des publicités, vantant « l’Elgéphone à Air » (amplifi cateur) et sa « puissance inconnue jusqu’à ce jour », sortent dans les revues comme Phono-Ciné-Gazette. Cette revue corporative soutient largement le matériel de la fi rme à la margue-

• 111 – La Nature, n° 1393, 5 décembre 1903.• 112 – Aurora, op. cit., p. 87.• 113 – Phono-Ciné-Gazette, n° 13, 1er octobre 1905.• 114 – Ibidem.

Publicité Gaumont, Photo-Ciné-Gazette, n° 65, 1er décembre 1907, coll. part.

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rite. Un long article, commençant en première page, décrit le Chronophone comme « une merveille scientifi que et un instrument de progrès qui marquera l’union défi nitive des deux grandes industries nouvelles 115 ». Dans ce même éditorial de juin 1906, Charles Chancy encourage les exploitants à aller véri-fi er la fi abilité du Chronophone dans les locaux des Établissements Gaumont, rue Sainte-Catherine, à Paris. La revue fait donc une publicité importante au système Chronophone. En août 1906, elle lui consacre deux pages entières, avec quatre schémas 116. L’un des schémas montre le système de régulation de vitesse qui permet de garder le synchronisme entre le projecteur et le tourne-disque. Ce tableau est appelé « Tableau chef d’orchestre ».

Phono-Ciné-Gazette accueille également des réclames payantes pour l’appareil. Gaumont, dans ses annonces de 1906, se présente comme « la première maison s’occupant spécialement des projections parlantes » et propose des vues en français, anglais, allemand, italien et espagnol 117.

Gaumont et l’enregistrement en son directLes « fi lmparlants », à partir de décembre 1910, sont des sketchs et extraits de

pièces enregistrés en direct, grâce à un micro qui peut capter convenablement le son à cinq mètres 118. Gaumont s’off re une grande page de publicité dans Ciné-Journal pour annoncer :

« 1911 ! Des Étrennes ! Voilà des étrennes et dont on parlera… Les Établissements Gaumont, distançant après neuf années d’études, les travaux célèbres d’Edison, viennent de présenter victorieusement à l’Académie des Sciences en sa séance du 27 décembre courant :La Plus Merveilleuse invention faite depuis la découverte du Cinématographe. Le Chronophone Gaumont avec enregistrement direct qui permet de voir et d’entendre l’image cinématographique et parlante du même personnage prise en même temps et avec le même appareil. Grâce à l’enregistrement direct Gaumont, il est, dès maintenant possible, de reproduire, dans les exploi-tations les plus modestes, les pièces de théâtre en vogue, les concerts, les réunions, les discours, en un mot tout ce qui peut charmer, tout ce qui peut être évoqué, enseigné par la parole et le geste réunis 119. »

L’autoglorifi cation de Gaumont laisse dans l’ombre la mise au point faite par les laboratoires d’Edison d’un procédé semblable, quelques semaines plus tôt,

• 115 – Phono-Ciné-Gazette, n° 29, 1er juin 1906.• 116 – Phono-Ciné-Gazette, n° 34, 15 août 1906.• 117 – Phono-Ciné-Gazette, n° 41, 1er décembre 1906.• 118 – Ciné-Journal, n° 123, 31 décembre 1910 et n° 124 du 7 janvier 1911.• 119 – Ciné-Journal, n° 123, 31 décembre 1910.

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procédé qui ne représenta qu’une concurrence très réduite en France. L’idée de distribuer partout des pièces de théâtre se heurta à des problèmes de droits et à la longueur des fi lms. Mais de nombreux sketchs furent enregistrés. À partir de cette date, contrairement au principe des phonoscènes et sketchs antérieurs, on peut enregistrer plusieurs acteurs ou chanteurs. La diffi culté du play-back restreignait les fi lms synchrones à un seul acteur dont on pouvait voir la bonne synchronisation. Des duos musicaux, et des dialogues de théâtre peuvent être enregistrés. La séance de démonstration de Gaumont à l’Académie des Sciences en décembre 1910, lui permit de faire entendre (et voir) un coq, dont le coco-rico ne saurait être joué en play-back, et qui pouvait être un clin d’œil à la concurrence 120…

« Aujourd’hui, c’est l’organe enregistreur qui a été perfectionné, il est devenu d’une extrême sensibilité. Il s’en suit qu’on peut placer les acteurs à plusieurs mètres du pavillon, ils jouent sans avoir à s’inquiéter de rien. Les deux appareils enregistreurs de la parole et du geste fonctionnent simul-tanément et avec un synchronisme absolu. Nous avons pu voir déjà, et tout le monde verra très prochainement, des scènes à deux, trois et quatre personnages qui sont d’une réalité parfaite 121. »

Cette retranscription d’une séance à l’Académie des Sciences se conclut par une anticipation de ce que Gaumont proposa plus tard : « Le Chronophone permettra de transporter partout les chefs-d’œuvre de notre théâtre, joués par les meilleurs acteurs ». En 1913, Léon Gaumont veut encore améliorer son Chronophone. Un double poste de gramophones, reliés au projecteur, permet d’enchaîner plusieurs disques. Gaumont appelle ce système le « Th éâtre automatique ». Il lui permet de diff user des pièces de théâtre durant près de vingt minutes. Ces pièces étaient enregistrées en direct. Elles furent diff usées jusqu’à la fi n de la Première Guerre mondiale. En mars 1913, une comédie créée au théâtre du Grand-Guignol, Asile de nuit, est projetée dans les salles Gaumont. Elle dure plus de 15 minutes. Charles Le Fraper écrit dans son journal, Le Courrier cinématographique :

« Il restait à résoudre une diffi cile équation pour arriver à substituer les disques les uns aux autres, sans arrêt, sans à-coup, sans interruption des bandes […]. À l’heure actuelle, c’est un fait accompli. On a donné en France, à Paris, une première audition d’une pièce de théâtre cinémato-graphiée. La preuve est faite, et depuis vendredi dernier, l’Hippodrome

• 120 – On peut entendre ce coq sur le DVD accompagnant le livre Le Muet a la parole, op. cit.• 121 – Ciné-Journal, n° 124, 7 janvier 1911. Le procédé est aussi présenté à la Société Française de Photographie le 18 ou 19 février 1911, et de nombreux journaux français s’en font l’écho, par ex. L’union républicaine de Roanne, 25 février 1911, cité in F. Zarch, op. cit., p. 212 sq.

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Gaumont-Palace résonne des applaudissements qui saluent le couronne-ment d’une œuvre grosse de conséquences artistiques et industrielles 122. »

Une autre pièce fi lmée de la même longueur est projetée au Gaumont-Palace du 2 au 8 mai 1913, Le Commissaire est bon enfant adapté de Georges Courteline et Jules Lévy. Par la suite on ne trouve plus de publicité pour le « théâtre auto-matique ». Néanmoins, des petites pièces continuèrent d’être montrées pendant la Grande Guerre. Avec le double lecteur de disque, la sonorisation d’un long métrage est virtuellement possible. Il suffi t de renouveler chaque disque sur chaque plateau à tour de rôle. Cela nécessite une grande dextérité de la part de l’opérateur. Ce procédé (avec un seul plateau tourne-disque couplé au projecteur), redéveloppé plus tard par Western Electric et adopté par Warner avec un système entièrement électrique, participe de la généralisation du parlant entre 1926 et 1933. Le proces-sus de mise au point est très diff érent. On ne peut pas trouver de lien direct entre les deux systèmes. Une fois de plus, le « progrès » technologique ne suit pas une ligne droite. Et l’histoire du cinéma ne peut pas s’écrire de façon téléologique, en fonction de ce que nous savons qu’il advint ensuite.

Le Chronophone chez les forainsLes forains utilisent aussi les appareils Gaumont. Sans doute le moins cher,

celui qui fonctionne de façon manuelle, est-il le plus accessible pour les loges itinérantes. À Limoges, en janvier 1908, un tourneur qui se proclame Barnum Excelsior, utilise probablement un appareil Gaumont et les phonoscènes qui lui correspondent. Un incident relaté à propos des bavardages du public pendant les séances de projection, montre que les fi lms chantants représentaient une partie importante des séances de ce tourneur :

« Gros succès du Barnum Excelsior qui a fait ses débuts devant un public nombreux et charmé par le beau spectacle du Chronomégaphone-Photo-Th éâtre. Un numéro de Mignon a été raté, mais le public ne peut pas en faire grief à la direction. Quelques personnes, qui se sont présentées pour voir le fonctionnement de l’appareil, ont pu comprendre pourquoi ce numéro n’a pas été enlevé comme les autres. Au moment d’un morceau de chant, les personnes qui causent dans la salle empêchent l’opérateur d’entendre le signal du départ, signal parfois très faible, comme pour ce morceau de Mignon. C’est pourquoi la direction prie le public de lui accorder une minute seulement de silence, aussitôt après l’annonce d’une vue parlante 123. »

• 122 – Le Courrier cinématographique, 1er mars 1913.• 123 – Le Courrier du Centre, 14 janvier 1908, P. et J. Berneau, op. cit., p. 67.

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Même si l’amplifi cation à air comprimé fonctionne correctement, certains airs de Mignon, opéra du compositeur français Ambroise Th omas, commencent par des notes très douces. C’est le cas pour « Connais-tu le pays ? », chanson délicate dans laquelle Mignon, jeune fi lle enlevée par des Bohémiens, explique plaintivement sa situation au héros, Wilhelm 124. Cet air, le plus célèbre de l’œuvre d’Ambroise Th omas, devait être perçu par une oreille attentive pour que démarre correctement la synchronisation. À cause des bavardages du public, le fi lm chantant n’a pas eu l’impact espéré. Cet incident permet de préciser le type de Chronomégaphone utilisé. En eff et, dans ce système de Gaumont, la synchronisation se fait automa-tiquement pour la « série A » ou « type automatique », alors qu’elle se fait manuel-lement pour la « série M. » ou « type à main 125 ». L’opérateur doit rester vigilant pour que le début du fi lm et du disque s’enclenche correctement. Cet article nous permet de constater que la synchronisation parfaite est recherchée afi n que le « numéro » soit réussi. Cela permet également de se rendre compte que les gens bavardes pendant les projections, même « chantantes » !

À partir de l’été 1906, le Chronomégaphone Gaumont devient assez puissant pour être entendu dans de vastes salles. Les tourneurs et les forains s’en emparent, même s’ils transforment parfois le nom de l’appareil. La famille Kétorza montre des « Phono-Scènes » chantées par Bérard, Dranem, Dona 126. La synchronisation de Gaumont tourne dans toute la France. Les petites bourgades bénéfi cient des passages de forains équipés de Chronophones plus ou moins sophistiqués.

La promotion du ChronophoneParallèlement à ce fort développement commercial, Gaumont continue d’être

présent dans les colloques scientifi ques. En avril 1907, dans une « réunion inter-nationale de physiciens », qui accueillit Marie Curie et des chercheurs d’univer-sités européennes, « le clou de l’exposition était le nouveau Chronophone de Gaumont 127 ». Le rédacteur de Phono-Ciné-Gazette exagère peut-être, mais cette volonté de Léon Gaumont de montrer ses procédés devant des assemblées de scientifi ques, explique également le succès de l’appareil. Les journaux parlent de ces congrès, et vantent au passage la précision du Chronophone amplifi é par air comprimé, le Chronomégaphone. En mai 1907, Gaumont est également présent lors de la fête de la revue Phono-Ciné-Gazette. Destinée principalement aux lecteurs de cette revue corporative, cette assemblée se compose essentiellement de directeurs de salles et d’exploitants forains. Plusieurs fi rmes montraient leurs

• 124 – Gustave Kobbé, Tout l’opéra, Robert Laff ont, 1982, p. 470.• 125 – Publicité Gaumont, Phono-Ciné-Gazette, n° 34, 15 août 1906.• 126 – Garnier, op. cit., p. 324.• 127 – Phono-Ciné-Gazette, n° 51, 1er mai 1907.

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fi lms (Warwick, Vitagraph, Méliès, Pathé) mais seul Gaumont proposait, ce jour-là, des vues synchronisées.

« C’est ainsi qu’on a entendu et vu : des scènes de Mireille, de Paillasse, de La Juive, du Barbier de Séville, merveilleusement interprétées par le Chronomégaphone de la Maison Gaumont. L’auditoire a été stupéfait de la concordance absolue établie entre le phonographe et le cinématographe ; les sons paraissent réellement sortir de la bouche des interprètes qui défi laient sur l’écran. Ces scènes de phono-ciné ont été un véritable triomphe 128. »

Cette représentation fonctionnant bien, il ne fait guère de doute qu’elle explique aussi la présence massive de l’appareil dans les salles parisiennes dans les semaines et les mois qui suivent. Les directeurs de théâtre, témoins de l’amé-lioration du Chronophone, ou lisant de bons comptes-rendus, se procurèrent rapidement des phonoscènes. Le concurrent direct de la Gaumont ne synchro-nise pas forcément ses fi lms ce soir-là, mais Pathé montre que son matériel reste à la hauteur : « Dans l’intervalle des vues cinématographiques, on a entendu plusieurs morceaux exécutés par le phonographe à air comprimé de la Maison Pathé avec une intensité de son extraordinaire 129. » Pathé prouve ainsi qu’il peut répliquer à Gaumont sur le domaine de la musique enregistrée, ce qui explique aussi la saison d’utilisation du Ciné-Phono chez les concessionnaires Pathé à partir de fi n 1907. Les articles réguliers et enthousiastes de Phono-Ciné-Gazette, placés en première page, expliquent aussi la décision de beaucoup de directeurs de spectacle de s’équiper en parlant. Le 15 juin 1907, ils peuvent lire des phrases du type :

« Il faudra bientôt autant de phonographes qu’il y a de cinématographes. En eff et, le succès croissant, universel et constant des scènes phono-ciné dépasse toutes les espérances. Le répertoire phono-ciné s’augmente chaque jour de pièces nouvelles, ses auditeurs sont toujours plus nombreux et enthousiastes 130. »

Les Chronophones à ParisÀ Paris, la fi rme à la marguerite fournit des Chronomégaphones à diverses

salles. Les phonoscènes restent en permanence à l’affi che et habituent le public aux vues chantées. Pendant l’été 1907, le Th éâtre Moncey présente « tous les soirs [des] séances de cinématographe et de Cinéma-Chanteur par le Chronophone

• 128 – Phono-Ciné-Gazette, n° 52, 15 mai 1907. Ici « phono-ciné » désigne tout fi lm synchronisé, quel que soit la marque de l’appreil.• 129 – Ibidem.• 130 – Phono-Ciné-Gazette, n° 54, 15 juin 1907.

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Gaumont » d’après une affi che 131. Par exemple un programme peut compor-ter : cinq fi lms en première partie, alternant drames et comédies, puis le clou de la première partie, le Cinéma-Chanteur, avec Mireille duo de « O Magali », et Faust 1er acte II Partie. Après « l’entr’acte », quatre fi lms soit comiques soit dramatiques, puis le final de la séance, le Cinéma-Chanteur, avec Carmen « L’air du Toréador » et enfi n Dranem dans une marche intitulée « Allumeur ». Cette semaine du 14 au 20 juin 1907, le Chronophone Gaumont permettait d’attirer le public dans ce théâtre du XVIIIe arrondissement de Paris. Pendant l’été, c’est l’équipe de Maury, qui apporta ensuite le parlant à Rouen, qui loue la salle Moncey. Durant tout l’été, dans ce théâtre, proposant habituellement des pièces, on peut voir quatre phonoscènes chaque soir, avec renouvellement complet du programme le vendredi. D’autres théâtres profi tent de cette vogue du parlant. Le théâtre du Gymnase off re sa scène, non plus à des acteurs, mais au Chronophone, de la mi-juillet à la mi-septembre 1907. Léon Gaumont lui-même a négocié la location de la salle. Ce théâtre du Xe arrondissement de Paris publie alors comme programme 132 :

SALLE DU THÉÂTRE DU GYMNASESaison d’Été 1907

Tous les soirs à partir de huit heures et demiReprésentation du Chronophone Gaumont

(projections parlantes)Opéras, Opéras comiques, Scènes amusantes

Changement de programme toutes les semainesPendant les entr’actes, Projections de Photographies en couleurs

(brevet Lumière)Matinées jeudis et dimanches

Prix des places : 2 F, 1 F, 0,75, 0,50

Les prix sont normaux, mais le programme, uniquement constitué de phonos-cènes et de sketchs enregistrés, est inhabituel. Dans les autres lieux de programma-tion, les quatre fi lms chantants ou parlants ne se présentent qu’en fi n de séance. Après cet été parisien sonore, le Chronophone est repris par les Frères Isola, à L’Olympia et à Parisiana. Leur Compagnie des Cinéma-Halls permet ainsi d’en-tendre dans deux salles les fi lms chantants tous les après-midi, sauf les jeudis, dimanches et fêtes quand le music-hall reprend ses droits 133. Des billets de faveurs sont émis en novembre et décembre 1907, par exemple à l’occasion du Salon de l’automobile. À partir de cette date le Chronophone (en fait le système d’amplifi -

• 131 – Affi che reproduite in Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 153.• 132 – Offi ciel des spectacles, juillet-septembre 1907, in Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 154.• 133 – Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 156.

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cation est présent la plupart du temps, mais les exploitants n’utilisent que rarement le terme Chronomégaphone), ne quitte pratiquement plus l’affi che à Paris, jusqu’à la Guerre de 14-18. On trouve les phonoscènes dans plusieurs salles simultané-ment. La production sonore de Gaumont augmente. Le catalogue de janvier 1908, qui comporte 156 pages, réserve 72 pages aux « projections parlantes 134 ». Dans ce catalogue, l’argumentation de l’entreprise est imparable pour pousser les exploi-tants de toutes salles et de baraques foraines à acheter un Chronophone :

« Tâchons de faire comprendre à tous les exploitants l’intérêt qu’ils auront à s’occuper les premiers du Chronophone Gaumont dans leurs régions. Le succès va aux nouveautés, et il est d’autant plus grand qu’elles sont sensa-tionnelles. Où existe-t-il actuellement une invention propre à intéresser le public autant que nos projections parlantes ?Avez-vous un établissement important, dirigez-vous un théâtre, un music-hall, portez votre choix sur le modèle automatique. Votre budget est-il limité, reportez-vous sur notre modèle à main. Nous avons prévu tous les cas. […] Si vous consultez nos listes de phonoscènes, vous pourrez remar-quer que nous en avons déjà édité plusieurs centaines, notre répertoire s’enrichit de plus en plus et de sujets toujours plus artistiques. […] Peut-être nous dira-t-on c’est très beau : mais dans une grande salle de spectacle votre phonographe paraîtra aphone. Le cas a été prévu, comme on pense bien, et nous livrons, sur demande, un amplifi cateur basé sur la détente de l’air comprimé, dont les études de rendement et la construction ont été exécutées, comme tout le reste, dans nos propres usines. Cet instrument donne aux sons une puissance plus grande que celle de la voix humaine. […] Le Chronophone est en exhibition à l’Hippodrome de Londres depuis le mois de décembre 1906. Nous l’avons nous-mêmes présenté au public à Paris, au Moulin-Rouge, pendant l’été 1906 et au Th éâtre du Gymnase pendant l’été 1907 et ensuite dans la grande Salle des fêtes du Petit Journal. Plusieurs de nos clients ont également exhibé le Chronophone avec le plus grand succès à Paris dans les music-halls et théâtres suivants : Hippodrome, Olympia, Parisiana, Antoine, Moncey, etc.135. »

Cette argumentation semble avoir convaincu de nombreux exploitants forains ou fi xes puisque le Chronophone se retrouve dans toute la France avant la guerre. L’appareil se vendait à partir de 2 750 francs, ce qui représentait à peu près la même somme que le meilleur modèle de Mendel. Les deux modèles les plus perfectionnés de Gaumont coûtaient quand même 4 250 et 6 000 francs136. Cela restreignait leur

• 134 – Roger Icart, « En feuilletant le catalogue Gaumont de janvier 1908 », Cahiers de la ciné-mathèque, n° 63-64, décembre 1995, p. 127.• 135 – Ibidem, reproduction d’une partie du catalogue de janvier 1908, p. 130.• 136 – Ibid., p. 130.

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achat aux directeurs des plus grandes salles de spectacle, et aux tourneurs possé-dants des baraques luxueuses. Ces prix de début 1908 baissèrent nettement par la suite. À la fi n de l’année 1909, des publicités Gaumont avertissaient les exploitants que le synchronisme seul ne coûtait plus que 500 francs 137.

Pour la foire aux pains d’épice de 1909, l’Alcazar-Th éâtre de la Veuve Chamu, propose, derrière sa parade de clowns, sur de grandes affi ches, le Cinématographe parlant et chantant Chronophone Gaumont 138. Une photographie montre cette loge de foire en 1909, et ce système fut utilisé par Chamu pendant plusieurs années. Des salles de toutes tailles passent des fi lms chantants. L’auberge des Adrets, un café-concert, devient « cinématographe des Adrets », mais les clients ont toujours droit à une consommation. La salle change de nom et passe des phonoscènes en 1912139. Une salle à la courte vie, le Canadian Cinéma propose elle aussi des fi lms sur Chronophone Gaumont en 1908. En 1912, des exploitants se plaignent d’avoir épuisé le catalo-gue Gaumont et réclament plus de « fi lmparlants ». Ce terme désigne les sketches, déclamations et autres extraits de théâtre, bref tout ce qui n’est pas musical ou chanté (qui se rassemble sous l’appellation « phonoscène »). Comme nous l’avons vu, les « fi lmparlants » sont, normalement, enregistrés en direct. La réponse de l’administra-teur-directeur de Gaumont est publiée dans la revue Ciné-Journal.

« Nous sommes heureux de voir l’ardeur que mettent aujourd’hui les exploitants à vouloir présenter eux-mêmes nos fi lmparlants ; cela prouve que nous avons bien atteint le but poursuivi. D’ailleurs nous n’avons nulle-ment l’intention de monopoliser cette invention et de la réserver à nos seuls établissements. Ce procédé serait contraire au système commercial que nous avons adopté jusqu’à présent en cinématographie. Mais, pour éviter tout mécompte, nous avons cru préférable de ne pas répandre librement nos fi lmparlants avant de posséder un répertoire suffi sant pour alimenter une exploitation suivie. Aux multiples diffi cultés de l’enregistrement direct sont venues s’ajouter les délicates questions de droits d’auteurs, et de longs mois ont dû s’écouler dans la discussion et l’élaboration d’une solution qui puisse concilier les intérêts de chacun 140. »

Gaumont donne donc les raisons de cette lenteur à fournir des fi lmparlants. Les problèmes de droits s’ajoutent aux diffi cultés d’enregistrer en direct ces sketchs et extraits de pièces. Ces échanges par journaux interposés montrent que la demande était forte pour ce genre de fi lms synchronisés. On trouve d’ailleurs une grande quantité de fi lmparlants dans les salles de la région lyonnaise entre 1912 et 1914.

• 137 – Ciné-Journal, n° 71, du 27 décembre 1909 au 2 janvier 1910.• 138 – Photographie reproduite dans Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 157.• 139 – Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 162.• 140 – Ciné-Journal, n° 189, du 6 avril 1912.

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Les salles qui passent ces films se multiplient dans les années 1910-1914. Au 7 boulevard Poissonnière, une salle parisienne reprise directement par la Société Gaumont, le 29 juin 1908, s’appelle « Phonocinéma Gaumont » jusqu’en 1910 puis Chronophone Gaumont. D’après le conseil d’administration de Gaumont, cette salle ultra-spécialisée qui ne diff use pratiquement que des phonoscènes et des fi lmparlants (à partir de 1910), donne des résultats satisfaisants141. M. Fossoul, le gérant peut se vanter d’une progression de la fréquentation et des recettes : en 1908, le montant des recettes annuelles s’élève à 156 411 francs, et il passe en 1913 à 311 463 F. Cette salle représente la réussite commerciale et industrielle du Chronophone. Les séances ont lieu de 14 h 30 à 18 heures et de 20 h 30 à 23 h 30 ou minuit. En 1913, le succès aidant, la salle fonctionne en continu car il n’y a plus d’interruption entre matinées et soirées. Les prix se situent dans la fourchette des prix habituelle : 0,50 ; 1 et 2 F 142.

Le fl euron du groupe, le Gaumont-Palace, diff usa des fi lms parlants et chan-tants de 1911 jusqu’aux années 1920 143. Pour les 5 500 spectateurs du « paquebot de la place Clichy », le spectacle dure trois heures avec deux entractes de 10 ou 15 minutes. Les revues corporatives donnent souvent le détail de ce programme.

La première partie se conclut en général par deux phonoscènes. Ces chansons fi lmées peuvent être des airs populaires de Dranem, Polin, Mayol ou des arias

• 141 – Le Courrier cinématographique, n° 24, 8 juin 1912.• 142 – Source Annuaire Statistique de la ville de Paris, cité par Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 206.• 143 – Et même avant 1911, quand d’autres propriétaires louaient les services de la Gaumont. Par exemple en 1908, la Compagnie des Cinéma-Halls projette déjà des phonoscènes Gaumont. Cf. programmes dans le dossier Rk 1 033 du Fonds Rondel.

Première partie du programme du Gaumont-Palace, du 20 au 26 octobre 1911, coll. Institut Lumière.

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d’opéra. Par exemple, 22 scènes de Faust ont été fi lmées et enregistrées, ce qui représente une longueur totale de 1 300 mètres 144. Si ces morceaux avaient été mis bout à bout, l’opéra entier aurait été entendu dans un long métrage. Mais le but de Gaumont est de donner des petits airs connus à chaque représentation. La troisième partie du programme classique du Gaumont-Palace contient deux fi lmparlants. Il s’agit, comme nous l’avons vu, de quelques monologues de théâtre, ou d’un sketch de music-hall. De la musique encadre toutes les parties, et accom-pagne les fi lms non-synchronisés. L’immense cinéma se révèle être une réussite fi nancière 145. La salle est souvent pleine. Les fi lms sonores ne représentent qu’une petite partie du programme, mais ils participent de cette réussite. Les diff érents témoignages montrent que ces fi lms s’entendaient parfaitement dans toute la salle, grâce à l’amplifi cation par air comprimé, même si le son était plat et nasillard 146. À partir de 1913, le cinéma montre également des fi lms en couleurs naturelles avec le Chronochrome.

Les Chronophones à Saint-Étienne et LyonEn dehors de Paris, les fi lms chantants ou parlants de Gaumont sont large-

ment diff usés. À Saint-Étienne, une grande salle Gaumont s’est mise en place sur le modèle du Gaumont-Palace. Un Skating périclitait. Pour renouveler la clientèle on passa des fi lms pendant que les patineurs continuaient d’évoluer sur la piste. Cela ne suffi t pas à redresser les fi nances. Gaumont reprend l’aff aire et installe une des plus grandes salles de spectacle de la ville, en concurrence avec l’Alhambra, contrôlé par Pathé. En avril 1913, on peut lire dans la presse stéphanoise :

« Royal-Cinéma, avenue Président Faure. Établissement modèle. Espace, confort, sécurité, hygiène. Films artistiques, comédies, drames, actualités, etc. Phonoscènes et fi lms parlants Gaumont. Ouverture : vendredi 25 courant 147. »

À partir du 25 avril 1913, la salle Gaumont de Saint-Étienne diff use massive-ment les fi lms synchronisés pour Chronophone. En règle générale, 8 ou 9 phonos-cènes et fi lmparlants passent sur l’écran du Royal, chaque mois, jusqu’à la déclara-tion de guerre en 1914. Au total 64 fi lms synchronisés furent proposés dans cette

• 144 – Édouard Arnoldy, Pour une histoire…, op. cit, p. 39-43.• 145 – Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 290.• 146 – Jean Vivié, « Souvenirs d’un spectateur de l’Hippodrome Gaumont-Palace », Bulletin de l’AFITEC, n°H.S., 1952, p. 17-23.• 147 – Le Mémorial de la Loire, 23 avril 1913. Cité par F. Zarch, op. cit., p. 326. Les annonces, selon les villes et les journaux, ne respectent que rarement l’orthographe offi cielle de Gaumont pour le mot « fi lmparlant ».

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salle en un an et trois mois 148. Chaque semaine, une phonoscène, (une chanson comique, parfois romantique, mais moins d’airs d’opéra que dans d’autres villes), voisine avec un fi lmparlant (sketch). Gaumont fournit hebdomadairement deux nouveaux fi lms synchronisés à cette salle. La régularité de cette diff usion montre la réussite technique et commerciale du Chronophone dans la préfecture de la Loire.

Les fi lms montrés correspondent, avec un décalage de quelques mois, aux fi lms passant dans la vaste salle de la Scala à Lyon. Dans ce lieu de spectacle apprécié des lyonnais, le Chronophone s’est également établi durablement.

L’appareil avait été utilisé par un concurrent, le Nouvel Alcazar en mars et avril 1910. La liste des scènes chantées n’était pas donnée régulièrement 149.

La Scala est la seule grande salle lyonnaise qui met en place une relation stable avec Gaumont. À partir de janvier 1911, les séances de trois heures de la Scala proviennent en majorité du catalogue Gaumont, même si des fi lms de la Biograph ou de la Vitagraph apparaissent dans son programme. La programma-tion suit de très près celle des salles Gaumont de Paris, avec moins d’un mois de décalage 150. Les programmes de la Scala apparaissent parfois dans les revues parisiennes :

« La Scala de Lyon, après d’importantes réparations et transformations, fait sa réouverture le 26 août avec les fi lmparlants Gaumont. Cet établissement devient le modèle du genre par ses programmations réellement bien choisies et son orchestre impeccable 151. » Le quotidien local le mieux renseigné sur les spectacles, Lyon républicain ne donne ce jour-là qu’une annonce succincte : « À huit heures et demi, réouverture. Programme inédit. Filmparlants de Gaumont et phonoscènes. Spectacle de famille, bon marché 152. » Les spectateurs habituels sont rassurés. Le nouveau système de synchronisation n’entraîne pas une hausse des tarifs. Le lendemain de cette réouverture, la presse ne tarit pas d’éloges.

« Les fi lms parlants Gaumont, dont c’était, hier, le premier voyage en province, ont été défi nitivement mis au point, et par une habile combinai-son phonographique, font vivre les personnages en scène. Le succès a été considérable, et une ovation, qui s’adressait à l’inventeur et au projection-niste, a accueilli ces œuvres. […]Faut-il ajouté que le directeur de Scala-Th éâtre, M. L. Froissart, présente son spectacle d’une façon intelligente et agréable : un orchestre remplit

• 148 – Relevé d’après les recherches de Frédéric Zarch, basées sur les annonces dans la presse. F. Zarch, op. cit., passim.• 149 – Lyon républicain, 12 mars 1910, 3 avril 1910.• 150 – Information de Renaud Chaplain.• 151 – Le Cinéma, n° 26, 27 août 1912.• 152 – Lyon républicain, 26 août 1912. Annonce quasi-identique dans Le Nouvelliste, 26 août 1912.

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les entr’actes, des chanteurs se font entendre, des machines reproduisent avec exactitude les bruits et complètent l’illusion. Le succès est assuré pour longtemps à la bonbonnière de la rue Th omassin153. »

Le journaliste ne se souvient plus des projections Gaumont qui passèrent à L’Alcazar deux ans plus tôt ! Il semble ignorer les nombreux forains qui promènent leurs Chronomégaphones depuis l’été 1906, sans parler des nombreuses salles qui projètent régulièrement des phonoscènes partout en France. Lyon est plutôt en retard en ce qui concerne la régularité des projections des fi lms chantants Gaumont. La Scala permet de combler ce retard et l’auteur de l’article dit vrai lorsqu’il parle de succès durable. Remarquons que la foule a remercié le projectionniste par une ovation. Ce travailleur de l’ombre, oublié dans sa cabine, représente pourtant une bonne part du succès des fi lms synchronisés. Même si le procédé Gaumont utilisé ici est probablement le plus cher, donc le plus perfectionné, entièrement automa-tisé pour la régulation de la vitesse, il fallait un certain doigté pour mettre en place l’appareil et pour réussir à maintenir le synchronisme. Scala-Th éâtre représente le grand luxe des salles spécialisées. En plus du Chronophone, le public peut apprécier un grand orchestre, un bruitage précis (avec machines à bruits) et des chanteurs qui accompagnent certains fi lms !

Chaque semaine, jusqu’à l’été 1914, les phonoscènes passent dans cette « bonbonnière ». Les comptes-rendus disparaissent quelques jours après la réouver-ture, car la qualité du programme est établie et que le public sait à quoi s’attendre. Le 3 septembre, on peut encore lire :

« La Scala-Th éâtre a renouvelé à peu près entièrement son spectacle […]. Le clou de la représentation est toujours constitué par les phonoscènes. Ceux de cette semaine sont particulièrement réussis. Des chanteurs, qui sont en même temps des comédiens de talent, interprètent avec un art parfait deux œuvres célèbres : “Mon Verre” et le “Rêve passe”. Grâce à la collaboration étroite du cinéma et du phonographe, ce n’est plus une reproduction que le spectateur a sous les yeux, mais la réalité elle-même. Le même éloge va à l’audition de banjo, par un virtuose de cet instrument 154. »

Après cet article, les auditions de phonoscènes deviennent banales à Lyon et les journaux ne se donnèrent plus la peine de répéter que la synchronisation était de très bonne qualité. Cette semaine-là, deux chansons et un morceau de musique représentent la partie synchronisme du programme. Ensuite, les jour-naux ne donnent plus comme information que « vues nouvelles, fi lmparlants de

• 153 – Lyon républicain, 27 août 1912. On trouve souvent « la Scala », mais les journaux lyonnais utilisent plutôt « le Scala-Th éâtre », ou « Scala-Th éâtre », tout court.• 154 – Lyon républicain, 3 septembre 1912.

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Gaumont et phonoscènes 155 ». La direction prévient régulièrement les specta-teurs qu’ils doivent retenir leur place « sans supplément de prix » car la salle de 2000 places est souvent pleine 156. Pour obtenir le détail du programme, il faut lire la presse corporative nationale. Le Courrier cinématographique nous apprend que « lorsque paraissent sur l’écran les fi lms parlants de Gaumont : Quelle femme est-ce ?, Au Paradis, La Ceinture d’or, avec l’interpellation du “chiqué”, c’est une hilarité générale 157 ». Le correspondant local du Courrier décrit ainsi la soirée de gala qui eut lieu la semaine précédente. Les fi lms cités sont des sketches, classés dans la catégorie « fi lmparlant » de Gaumont (saynètes enregistrées en son direct depuis décembre 1910). Ce même article de Louis Raymond annonce l’arrivée d’un concurrent sérieux pour les salles de la presqu’île lyonnaise. Le Royal Cinéma vient d’être inauguré place Bellecour et passe des fi lms coloriés. Ces éléments nous rappellent que le contexte d’innovation technologique de l’époque, qui permet d’attirer les spectateurs, inclut la couleur. Parfois il s’agissait de couleurs naturelles, pour le Kinemacolor, et généralement de coloriages au pochoir ou à la main. En décembre 1912, le Courrier souligne le succès d’un fi lmparlant à la Scala, Les Deux Poissards. Film qui a pu changer de titre, Les Deux Pochards, pour passer six mois plus tard à Saint-Étienne158. À défaut de la presse lyonnaise, on peut suivre la programmation de fi lms synchronisés dans les revues parisiennes et dans

• 155 – Lyon républicain, 27 octobre 1912.• 156 – Lyon républicain, 3 octobre 1912.• 157 – Le Courrier cinématographique, n° 43, 19 octobre 1912.• 158 – Le Courrier cinématographique, n° 50, 6 décembre 1912. Sur Saint-Étienne, F. Zarch, op. cit., p. 337.

Programme du Gaumont-Palace, janvier 1912, première partie, coll. part.

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les quotidiens stéphanois puisque la salle Gaumont (le Royal) de Saint-Étienne reprend, avec quelques mois de décalage, les fi lms montrés à Lyon. Les sketches diff usés par le Scala ne font pas tous rire le correspondant du Courrier : « Dans les fi lms parlants Gaumont, l’Étrange interview est d’une incohérence en eff et bien étrange. Il est heureusement suivi d’un intéressant monologue de Dranem, Un Monsieur original 159. » La banalité de la projection de fi lms synchrones se révèle par le fait qu’on critique le contenu des fi lms au lieu de s’extasier sur la précision de l’appareil. Le programme de la Scala de Lyon ressemble beaucoup à celui du Gaumont-Palace par son organisation. Par exemple la semaine du 5 au 12 janvier 1912, après un « panorama colorié », et un fi lm « dramatique », deux phonos-cènes Gaumont s’insèrent dans la première partie du programme. Le lettrage du programme offi ciel met en avant l’importance de ces chansons synchronisées.

À la suite des phonoscènes, une comédie et un « comique » (série Bébé) passent avant l’entracte. La deuxième partie contient une attraction de music-hall (« le Trio Alfred, Excentriques »), une « grande scène dramatique » et un petit fi lm comique. Après le deuxième entracte, une autre attraction occupe la vaste scène du cinéma (« le Professeur Steil et ses lions »). Puis on projette un documentaire, avant les « fi lmparlants-Gaumont » (en général deux sketches). Un court fi lm précède les « Gaumont-Palace actualités », et un comique (Calino). La séance se conclut par l’orchestre jouant une « retraite 160 ».

• 159 – Le Courrier cinématographique, n° 3, 18 janvier 1913.• 160 – Fonds Rondel, Rk 1033.

Programme du Gaumont-Palace, janvier 1912, troisième partie, coll. part.

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Chaque fois que des fi lms synchronisés passent dans ce programme de 1912, le lettrage attire l’attention du spectateur sur cet élément.

À Lyon, la Scala reprend cette structure de programme et chaque séance dure également trois heures. Par exemple, en mars 1913, la première partie comporte : un documentaire, un fi lm dramatique, quatre comiques. Après l’entracte, le spec-tateur a droit à une comédie, deux fi lms parlants : Sujet périlleux, Erreur judiciaire, suivis du « journal » (actualités) et d’un comique (série Zizi). Après l’entracte, la troisième partie propose un documentaire, une comédie, deux phonoscènes : Aubade à Ninetta, Harmonie du soir. Une comédie conclut les projections avant que l’orchestre ne joue une retraite 161. Les grandes salles proposent donc une grande variété de fi lms et, au centre de leur programme, les fi lms synchronisés tiennent une place choyée. Ils sont mis en vedette. À Lyon, le programme est quasi muet sur le contenu des fi lms, jusqu’à la Grande Guerre, mais redit chaque jour que le Chronophone est présent :

« Scala-Th éâtre. Tous les jours matinée à deux heures et demi, soirée à huit heures et demi. Vues choisies, actualités mondiales, phonoscènes, fi lmparlants, etc. 162. » À partir de janvier 1914, une deuxième salle projette des phonoscènes et fi lmparlants à Lyon. La Gaieté Gambetta, qui passait parfois des fi lms, mais consistait surtout en une salle de bal, off re au public un programme composé de fi lms Gaumont, dont des fi lms synchronisés. Une affi che du programme de ce lieu polyvalent, en juillet 1914 prouve que des bals continuaient de s’y dérouler, mais le centre de l’affi che stipule « Tous les soirs à huit heures et demi, CINÉMA PARLANT 163 ». Le lettrage énorme utilisé signifi e l’importance de cette attraction. La guerre a stoppé cette programmation parlante régulière de phonos-cènes dans deux lieux simultanément.

Des Ciné-Phonos du Pathé, aux fi lms sur Chronophone de la Scala, la régu-larité et la réussite commerciale des projections synchronisées, au sein des salles lyonnaises, sont avérées pendant la période 1907-1914. À Saint-Étienne, et dans de nombreuses autres villes françaises, l’intégration des phonoscènes dans les programmes de projections de grandes salles montre la banalisation des vues synchronisées à cette période en France 164.

• 161 – Le Cinéma et l’écho du cinéma, n° 55, 14 mars 1913. Programme similaire dans les numéros du 21 mars et du 25 avril 1913.• 162 – Lyon républicain, 16 janvier 1914.• 163 – Affi che reproduite en photo dans un article d’une revue d’histoire lyonnaise : L. J. « Un pionnier du Cinéma. Les débuts du parlant à Lyon », Refl ets de la vie lyonnaise, n° 39, 3 janvier 1952.• 164 – Autre exemple Béziers, au Casino à partir de janvier 1909, puis sans doute au Variété à partir de décembre 1909. Société de musicologie de Béziers.

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Presque 800 phonoscènes et fi lmparlants ont été tournés par Gaumont. Mais la guerre stoppe cette production, comme l’ensemble des tournages français. Après 1916, ces fi lms sont encore exploités, mais plus aucun n’est produit165. Le Gaumont-Palace semble avoir été la dernière salle utilisant des phonoscènes. Elles y sont projetées jusqu’en 1925 166.

Des séances synchrones, partout en France après 1907De nombreux procédés synchrones chez les forains

Dans les villes sur lesquelles nous avons pu trouver des renseignements précis, on constate une recrudescence des synchronisations mécaniques. La concurrence reste très forte entre les salles et les tourneurs qui présentent des fi lms chantants ou parlants, jusqu’à la Guerre de 14-18. Une étude systématique de toutes les villes françaises révélerait un nombre énorme de projections synchrones aux mêmes dates.

À Annecy, où les informations sont des plus succinctes, on signale fi n 1907 un tourneur avec un système de synchronisation, utilisant le « Bioscop Parlant 167 ». Impossible d’identifi er le mécanisme utilisé car le tourneur, Favier, réutilise le nom de son appareil précédent, le Bioscop Américain, même s’il a acheté du matériel d’une autre marque. Dans l’Est de la France, et dans les territoires occupés par l’Allemagne, on trouve des systèmes parlants qui peuvent provenir de chez Messter. Le Wintergarten de Mulhouse, propriété de M. Hausberger, se proclame en 1911, avec ses projections parlantes : « Erstes und feinstes Tonbildtheater am Platz » (le premier et le plus élégant des cinémas parlants de la place). Il ajoute parfois dans ses publicités, « le plus grand établissement d’Allemagne ». Cela donne une idée de la capacité de la salle qui devait rivaliser avec les grands théâtres cinématographiques de Berlin, si elle ne les dépassait pas réellement 168. Dans cette salle immense de Mulhouse, comme à la même date dans l’immense Hippodrome de la place Clichy en train d’être transformé en Gaumont-Palace à Paris, la taille du lieu ne gêne pas les projections avec synchronisations. En Lorraine, pendant l’été et l’automne 1908, la tournée de Th e Royal Wio propose un système Parlant et Chantant. Th e Royal Wio parcourt toute la région avec ce procédé en faisant des étapes très courtes, ne

• 165 – La dernière phonoscène porterait le n° 774 et daterait de 1916. Information transmise en 1993 par le Musée Gaumont à Jean-Jacques Meusy. Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 234, note 177.• 166 – Giusy Basile, Marc Monneraye, « Le cinéma qui chante et le disque », in Emmanuelle Toulet, op. cit., p. 148.• 167 – L’Indicateur de la Savoie, 5 octobre 1907, in Pignal, op. cit., p. 36.• 168 – Odile Gozillon-Fronsacq, op. cit., p. 69.

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restant, généralement, qu’un jour dans chaque ville 169. On trouve aussi un « Électric Cinéma Parlant », un Th éâtroscope qui permet d’entendre « Mrs Polin, Mercadier, Dranem, Galipaux, etc. 170 ». Ce sont presque toujours les mêmes interprètes qui sont cités d’une affi che à une autre. Ces chanteurs étaient les plus appréciés, au vu du nombre d’annonces de spectacle où ils se retrouvent cités.

Les plus petites villes dans la période 1907-1910 connaissent le cinémato-graphe parlant avec synchronisation mécanique. Les forains se fournissent très souvent chez Mendel, qui propose des systèmes de synchronisation et des fi lms bon marché 171. Dans les grandes villes, plusieurs systèmes se concurrencent. Nous avons déjà cité des tournées de cinéma chantant à Nancy. En 1910, le Th éâtre-Cirque exotique Salvator (repéré à Rouen, Limoges, etc.), présente son spectacle où se succèdent les animaux savants et du cinéma parlant 172.

Les forains et les cirques ne précisent pas le nom du système qu’ils utilisent, ou donnent un nom fantaisiste à leur machine. Pierre Iunk, sur sa loge luxueuse proclame : « L’Idéal Cinématographe Parlant et Chantant. Le rêve n’existe plus, mais la réalité s’impose 173. » La parole signifi e alors réalisme, ou ici « réalité » ! Les banquistes aiment dire qu’ils proposent le système de cinéma parlant « le plus parfait ». On le lit par exemple sur les affi ches du cirque Spessardy en 1912. Ce cirque continue de présenter des ours cavaliers (Spessardy’s Riding Bears), mais ses affi ches en « franglais », placardées en Bretagne en 1912, insistent sur son cinématographe parlant :

« Ville du Pouliguen. Ce soir, et pour quelques jours seulement, route de Pin-Château près du park [sic], Th e Globe Trotter, Spectacle Gigantesque, Sensationnel, Incomparable, Artistique, Mondain, Grand Record Cinématograph-Th éâtre [sic], Parlant & Chantant, le plus beau, le plus parfait existant, féeries, drames, comédies, Spectacle idéal pour les Familles, tout à la fois merveilleux, unique et prodigieusement amusant du commen-cement à la fi n. Les scènes animées donnent l’illusion de la vie. […] Tous les soirs 10 à 15 attractions les plus nouvelles paraîtront devant le public. À chaque séance paraîtra le Merveilleux Cinéma Parlant & Chantant. On y verra et entendra nos grandes étoiles parisiennes. Le public est instamment prié de ne pas confondre le Record-Cinématograf [sic] avec les établissements de ce genre vus jusqu’à ce jour. Th e Globe-Trotter [sic] est un Cinéma-Géant [sic] renommé pour son installation grandiose et confortable 174. »

• 169 – Aurora, op. cit., p. 99 et 100.• 170 – Garnier, op. cit., sans référence de date ni de source, p. 324.• 171 – Georges-Michel Coissac, Histoire…, op. cit., p. 383.• 172 – Aurora, op. cit., p. 110.• 173 – Prospectus distribué à Étampes en 1909, cité par Garnier, op. cit., p. 335.• 174 – Affi che d’août 1912, reproduite in Adrian, op. cit., p. IV.

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En utilisant les mots « les attractions paraîtront devant le public », le couple Spessardy montre qu’il abandonne le cirque pour ne plus proposer que des fi lms. On devait retrouver les chansons des Dranem, Polin, et autre Mayol, puisque les « grandes étoiles parisiennes » se trouvent dans le programme. Si les ours conti-nuent de monter des chevaux, comme le prouve l’image au centre de l’affi che, Charles Spessardy se dispense dorénavant de les transporter dans ses tournées. Une petite phrase sur l’affi che signale : « Les ours savants des Folies-Bergère de Paris, dressés par M. & Mme Spessardy the Globe-Trotter lui-même [sic] et représenté [sic] sur l’écran de son Magnifi que Cinéma. » L’attraction essentielle de 1912 se trouve décrite au centre de l’affi che, le cinématographe parlant et chantant. À la même période, le forain Delille off re au public « la plus grande merveille du xxe siècle [qui] peut se voir et s’entendre : le cinéma chanteur, parleur [sic] avec ses scènes d’opéra, féeries et scènes comiques 175 ».

Jérôme Dulaar, qui continue ses allers-retours entre Lyon et le Sud-Est de la France, utilisait en 1910 le « véritable cinéographe » parlant, chantant, synchro-nisé. Son neveu, Moïse Rodier, explique : « Nous disposions derrière l’écran d’un petit banc sur lequel était installé un phono coiff é d’un énorme pavillon. Le diaphragme était relié par deux tuyaux de caoutchouc à une pompe à air actionnée par un moteur électrique. Le résultat était formidable ! Le son renvoyé vers la salle était décuplé par cette machine infernale 176. »

À la foire de la Saint-Martin, en 1910, à Angers, on trouvait au moins cinq forains montrant des fi lms, dont quatre proposaient quelques vues synchro-nisées : Grenier, Clam, Kétorza et Laurent 177. En 1914, le Cinéma Mondain Montigny présente un spectacle avec « le phénomène Dario, l’artiste sans bras dans ses exercices de force et d’adresse », à la fi n des trois heures de représentation qui étaient essentiellement occupées par des fi lms muets et du « cinéma parlant 178. » Cette même année, le Th éâtre Grenier fait sa tournée avec divers fi lms et attraction (dont le calculateur Tarentino), et le « cinématographe Parlant et Chantant », qui permet d’entendre : Le Crucifi x de Fauré, chanté par Mme Laute-Brun, de l’Opéra et M. Elval, du Th éâtre-Royal de La Haye 179.

• 175 – Adrian, op. cit., p. III. Photographie non datée d’une foire sur le cours de Vincennes, sans doute vers 1910.• 176 – Témoignage de Moïse Rodier, neveu de Jérôme Dulaar, publié dans Le Progrès de Lyon, reproduit par Garnier sans date exacte de parution de l’entretien, op. cit., p. 331.• 177 – Garnier, op. cit., p. 337.• 178 – Garnier, op. cit., sans référence de date ni de source, p. 335.• 179 – Affi che de la tournée 1914 de Grenier, reproduite in Garnier, op. cit., p. 338.

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La période, de 1907 à 1914, voit toute la France sillonnée par des tourneurs, cirques et forains proposant des cinémas chantants et parlants dont la marque exacte de l’appareil est quasiment impossible à déterminer.

Forte concurrence sonore à NiceÀ Nice, plusieurs salles proposent des fi lms synchronisés à partir du printemps

1907. Le 29 mai 1907, le Politeama prévient ses clients : « Prochainement inau-guration des séances de cinématographe parlant. Spectacle absolument nouveau pour Nice180. » Cette salle, qui passe surtout des fi lms, semble la plus rapide pour l’acquisition d’un synchronisme. Pour faire durer le suspens, le lendemain, le Politeama-Th éâtre annonce : « prochainement inauguration des séances cinéma-tographiques de l’Electre Perfectionné 181. » Deux jours plus tard, le nom correct du procédé sonore est imprimé dans le quotidien local :

« Prochainement ouverture de l’Electric Cinéma Concert, attraction de premier ordre pour la première fois en France ; sélection d’opéras, opéras comiques et opérettes, chantés par les artistes les plus en renom du monde entier ; attractions de music-hall, ballets, voyages, trucs et féeries. Spectacle entièrement électrique 182. »

À ce stade de la publicité, impossible de savoir si ce sont des numéros sur scène ou des fi lms chantants qui sont proposés. Le « pour la première fois en France » essaye de faire croire à la nouveauté absolue du système. Il est possible que la machine soit eff ectivement importée, par exemple d’Italie voisine. Pour tenir le public en haleine, chaque jour on l’informe des progrès de l’implantation du procédé : « les travaux d’installation de l’Électric Cinéma Concert sont activement poussés. Dans quelques jours, le public sera admis à applaudir la plus intéressante nouveauté du jour 183. » C’est le 15 juin que le Politeama inaugure son Électrique (ou Électric) Cinéma Concert. Pendant plus de quinze jours, la salle est fermée, de façon à installer la machine et à la tester. Le 16 juin, au lieu d’un compte-rendu fl atteur de la première soirée, le journal publiait une piteuse annonce de report : « Étant donné les défectuosités de l’installation électrique, les représentations de l’Electric Cinéma Concert sont renvoyées à une date ultérieure afi n de permettre le fonctionnement parfait des appareils 184. »

Cette contre-publicité tombait d’autant plus mal que les articles précédents insistaient sur le « spectacle entièrement électrique » ! Le jour suivant le feuille-ton continue : « Incessamment, réouverture »… Le 21 juin, l’annonce devient

• 180 – L’Éclaireur de Nice, 29 mai 1907.• 181 – L’Éclaireur de Nice, 1er juin 1907.• 182 – L’Éclaireur de Nice, 3 juin 1907.• 183 – L’Éclaireur de Nice, 13 juin 1907.• 184 – L’Éclaireur de Nice, 16 juin 1907.

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plus optimiste : « C’est demain samedi 22 juin que l’Electric Cinéma Concert reprendra ses séances avec un perfectionnement parfait des appareils ; tout fait prévoir, pour ce nouveau début, un grand succès. Le programme sera absolument nouveau ; le spectacle sera divisé en trois parties de la durée de 3 heures 185. »

Si le « perfectionnement (est) parfait », la soirée devrait être plus réussie ! Le 22 juin, l’annonce parle de « véritables débuts » et détaille quelques chants d’opéra : « Le Barbier de Séville, Lakmé, Salomé, Mignon ». Le lendemain, L’Éclaireur de Nice donne enfi n un compte-rendu dans son « Courrier des théâtres » qui prouve que la synchronisation a fonctionné :

« Il y avait foule, hier au soir, au Politeama, pour les débuts de l’Electric Cinéma Concert. Le spectacle tout à fait nouveau pour Nice, et d’un incon-testable intérêt, a plu vivement aux nombreux spectateurs qui ont apprécié la parfaite netteté des vues cinématographiques, agrémentées d’auditions phonographiques.On a ainsi applaudi tour à tour les scènes d’un irrésistible comique telles que : le Cavalier novice et l’Échelle et les tableaux impressionnants de la Course fantastique de Paris à Monte-Carlo en 15 minutes.Le même succès a accueilli les sélections musicales d’opéras populaires, comme le Barbier de Séville, Lakmé, Mignon, etc. Et l’illusion a été si grande qu’on a pu réellement s’imaginer assister à une véritable représentation théâtrale, avec des personnages bien vivants, se mouvant dans de naturels décors 186. »

L’appareil fonctionne et les airs d’opéra peuvent s’entendre. Les jours suivant, l’annonce insiste sur le programme constamment varié, avec le même procédé et « le prix des places à la portée de toutes les bourses 187 ». De plus le jeudi, les enfants accompagnés entrent gratuitement. Comme dans les autres programma-tions de vues synchronisées, après les airs d’opéra, ce sont les chansons comiques qui se font entendre : Mayol avec « Questions indiscrètes », annoncé le 28 juin. Et le 30 juin, on rassure les derniers indécis : « l’Electric Cinéma Concert fonctionne maintenant d’une façon parfaite ». Le 6 juillet, le Politeama rassemble plus de fi lms chantants : « Grande soirée extraordinaire, 6 vues synchronisées : Le Barbier de Séville (trio) chanté en italien par Mlle G. Ughet, MM. Fernando de Lucia et Pini Corsi ; Lakmé ; La Tosca, prière chantée en italien ; Mireille, “O Magali” (duo) ; à la demande générale La Mattchiche et Dranem, le chanteur populaire 188. »

Ce programme se maintient jusqu’au 10 juillet, date à laquelle « on annonce les dernières ». Le 12 juillet, plus de programme détaillé. C’est la fi n de la saison pour

• 185 – L’Éclaireur de Nice, 21 juin 1907.• 186 – L’Éclaireur de Nice, 23 juin 1907.• 187 – L’Éclaireur de Nice, 27 juin 1907.• 188 – L’Éclaireur de Nice, 6 juillet 1907.

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tous les cinématographes. Puis la salle ne réapparaît dans le journal que le 30 juillet pour des représentations de pièces de théâtre par une troupe italienne. Dans la suite de l’été, les pièces jouées sont toutes en italien. Deux des vues synchronisées étaient chantées en italien. Nice n’est française que depuis une quarantaine d’an-nées à cette date. De plus la langue niçoise se rapproche des dialectes italiens du Nord, du fait du long rattachement au Piémont. Les échanges entre Nice et l’Italie continuent d’être fréquents. Le Politeama semble avoir des liens particuliers avec les compagnies transalpines. Le système de synchronisation, qui a fonctionné 21 jours, pouvait être un procédé italien. Le catalogue Mendel fournissait aussi ces airs d’opéra, tout comme Gaumont, mais la marque aurait, sans doute, été citée. Les débuts délicats ont failli réduire à néant la possibilité de faire entendre des fi lms chantants à Nice. Ces premiers spectacles synchronisés, en 1907 seulement, montrent un certain retard par rapport à la vogue de la saison 1905, qui ne semble pas avoir touché la Côte d’Azur. Pendant le printemps et le début de l’été, trois autres salles proposaient des fi lms, dont deux se faisant appeler Pathé et dénonçant la voisine comme usurpatrice. À partir de novembre 1907, trois cinématographes sont de nouveaux installés dans diff érents théâtres (Eden, Idéal, Fix), sans compter les présentations dans les Casinos. La saison touristique d’hiver bat son plein. L’été n’attire pas encore les étrangers 189. En décembre le Politeama reprend une tournée cinématographique, baptisée Lux, alors que l’Artistic Cinéma s’annonce comme Th éâtre des projections parlantes :

« Les travaux d’aménagement de la salle et l’installation des merveilleux appareils de synchronisme qui vont y être exploités sont poussés très acti-vement. […] Cette attraction, nouvelle pour Nice, qui fait actuellement courir tout Paris au théâtre du Gymnase, ne manquera pas d’avoir ici un très grand succès 190. »

Cette précieuse indication, en dernière ligne, nous permet de savoir qu’il s’agit du Chronophone Gaumont. Pour retrouver le public qui a déjà goûté aux fi lms chan-tants, chaque jour, les annonces insistent, mensongèrement, sur un spectacle « tout à fait nouveau pour Nice 191 ». À partir du samedi 14 décembre, on peut juger sur pièce de la nouveauté de ces attractions : « air de Figaro » tiré du Barbier de Séville, comme à l’Electric Cinéma Concert quelques semaines plus tôt, « Charme d’amour » une chanson romantique… Le programme dure une heure et semble comporter deux scènes synchronisées et le reste en vues muettes. Les séances s’enchaînent à

• 189 – L’Éclaireur de Nice, 26 août 1908, montre que la visite de personnalités à la saison chaude reste inhabituelle : « On a paru s’étonner du voyage de Caruso à Nice, en plein été ».• 190 – L’Éclaireur de Nice, 4 décembre 1907.• 191 – L’Éclaireur de Nice, 12 décembre 1907, et 13 décembre 1907.

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2, 3, 4 et 5 heures, puis à 8, 9 et 10 heures. Comme pour le Politeama, l’entrée est « permanente, sans attente ». Au bout de cinq jours, une salle annonce qu’elle veut concurrencer le Th éâtre des projections parlantes. Elle prend le nom de « Lyrique, Cinéma-Chantant », avenue de la Gare (assez loin de l’autre établissement, situé boulevard Victor Hugo). Sans vergogne, le directeur de cette salle reprend les phrases des autres annonces de procédés synchrones : « La plus sensationnelle attraction du jour ! La dernière merveille du siècle ! Pour la première fois à Nice ! Ouverture après-demain samedi 192 ! » Le 21 décembre, six salles niçoises ne passent plus que des fi lms. Deux de ces salles off rent des vues chantantes. Le « Th éâtre des projec-tions parlantes » s’est rebaptisé « Artistique-Cinéma », pour ne pas être confondu avec son nouveau concurrent ou à cause d’une coquille du quotidien local. « Le Lyrique, cinéma chantant » donne trois chansons fi lmées : « L’Trou de mon quai » chanté par Dranem ; « Parais à ta fenêtre », chanté par Aff re de l’Opéra ; « Le Noël d’Adam » chanté par Weber, de la Gaîté 193. La chanson comique, pas toujours du meilleur goût, rivalise avec l’air romantique. Les autres vues ne sont pas synchroni-sées. On trouve le même programme qui attira le public pendant l’été 1907 à Paris. Il s’agit bien de phonoscènes Gaumont. Le 25 décembre, Noël oblige, le programme se fait encore plus éclectique. L’Artistic-Cinéma qui retrouve le nom de Th éâtre des Projections parlantes, passe aussi bien de l’opéra (Mireille, l’air de « l’Ange du paradis »), que de la chanson comique (« Allumeur marche » de Dranem) ou des hymnes religieux (« Minuit Chrétiens »), suivant un fi lm muet de circonstance : La Nativité de N.S. Jésus-Christ.

Le Lyrique reprend « l’Trou de mon quai », et le succès phénoménal de Mayol « Viens Poupoule » ainsi qu’une autre chanson de l’artiste, « Questions indis-crètes ». Le programme comprend au total 8 scènes chantées, dont deux fois « le Noël d’Adam » par Weber. Le trio des chanteurs comiques français est au complet puisque Polin chante « la Balance automatique 194 ». Le plus grand ténor de l’époque, Caruso, chante l’Elisir d’amore. Il avait eu un succès énorme avec la romance du second acte de cette œuvre de Donizetti, reprise au Metropolitan Opera de new York en 1904195. Caruso n’a jamais été fi lmé et enregistré simultané-ment. Le Lyrique nous révèle donc ici qu’il utilise des disques de grands interprètes synchronisés avec des acteurs mimant la chanson en play-back, au moins pour certaines de ces vues chantées. Le procédé fut largement répandu grâce à Mendel. Le Lyrique a donc pu s’équiper avec le Cinémato-Gramo-Th éâtre.

• 192 – L’Éclaireur de Nice, 19 décembre 1907.• 193 – L’Éclaireur de Nice, 21 décembre 1907.• 194 – L’Éclaireur de Nice, 25 décembre 1907.• 195 – Kobbé, Tout l’opéra, op. cit., p. 294.

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Dranem, Polin et Mayol se disputent les chansons sur l’écran et sur disque, et continuent aussi de circuler en chair et en os sur toutes les scènes de France. Ce 25 décembre 1907, les Niçois peuvent aller écouter Mayol au Lyrique dans deux chansons enregistrées, et à l’Eldorado, music-hall qui a fait venir le véritable chanteur pour son gala des fêtes de Noël.

Pour la fi n de l’année, le « Th éâtre des projections parlantes » ne passe plus que des chansons romantiques, « Gaby », « Amoureuse », « Quand les amou-reux ». En face, le Lyrique propose deux extraits d’opéra, Mireille et Paillasse, accompagnés d’une chanson (ou d’un sketch) qui nous semble, aujourd’hui, plutôt raciste, « Rire nègre, interprété par Bamboula »196. Les deux salles main-tiennent leur programme à l’identique, alors qu’une troisième salle se met à passer, le 31 décembre, des vues synchronisées. Le Fix-Cinéma, passe une des scènes Ciné-Phono les plus diff usées dans les salles habituellement liées à Pathé (qui existait aussi dans le répertoire Gaumont) : « Rachel quand du seigneur » tiré de La Juive et chanté par M. Gautier, ténor de l’Opéra [de Paris]. Une autre chanson accompagne le gros programme muet de cette salle : « La Mascotte », chantée par M. Boyer de l’Opéra-Comique. Le Fix-Cinéma n’a pas prévenu à l’avance de son choix de fi lms chantants pour agrémenter la Saint-Sylvestre. Comme dans de nombreuses autres villes françaises, la concurrence fait rage grâce au parlant entre les salles diff usant des fi lms, fi n 1907 et début 1908. Quatre jours plus tard, le 4 janvier 1908, le Fix ne parle plus que de la musique, improvisée par son pianiste, et n’évoque plus aucune vue synchronisée. Ses fi lms chantants n’étaient loués que pour les fêtes. À l’Artistique, Mignon, « O Sole mio » et un ballet, sur « une musique de Léo Delibes », sont entourés de vues muettes. Le Lyrique continue de passer tout le répertoire d’Aff re et de Weber, deux ténors 197. Ces deux salles continuent de passer trois vues chantées, réparties en général en une chanson comique (Dranem, Polin ou Mayol) et deux extraits d’opéra 198. Le 26 janvier 1908, après trente-sept jours de projections chantantes, le Lyrique annonce sa dernière représentation. Quatre ténors passent encore dans des extraits d’opéra et d’opérette, et les chansons comiques sont également redonnées. Le Th éâtre des projections parlantes reste sans concurrent sur le plan des scènes chantées. Le 31 janvier, il diff use deux vues synchronisées, dont une vient d’être réparée : « “Gaby” dont un accident nous avait privés, triomphe de nouveau 199. » Mais le 1er février, cette tournée cinématographique chantante s’arrête également. Au total, le Chronophone utilisé dans cette salle (sans que

• 196 – L’Éclaireur de Nice, 30 décembre 1907.• 197 – L’Éclaireur de Nice, 4 janvier 1908.• 198 – L’Éclaireur de Nice, entre le 13 et le 26 janvier 1908.• 199 – L’Éclaireur de Nice, 31 janvier 1908.

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jamais la marque de Gaumont ne soit citée), a attiré des spectateurs à Nice pendant 48 jours, tout en étant fortement concurrencé par deux autres salles qui montrent des systèmes proches, et par quatre salles diff usant des fi lms muets.

Une fois de plus, l’étude détaillée d’une collection complète d’un journal local a permis de vérifi er le succès commercial des procédés de synchronisation. Ces attractions ne sont pas des expériences, mais des éléments importants, dans un spectacle cinématographique toujours en recherche de nouveautés. Le spectacle reste saisonnier, comme il se doit dans cette ville de villégiature d’hiver. Après ce festival de projections de tous types, de l’automne 1907 à février 1908, seule une salle Pathé donne une programmation régulière uniquement basée sur des fi lms. Les music-halls utilisent le cinématographe comme bouche-trou, quand un numéro vient à manquer, ou que le spectacle est trop court 200. En 1908-1909, le nombre de projections annoncées dans les journaux chute, et certains parlent de crise du cinématographe à Nice 201. Ces informations proviennent de la lecture des quotidiens, mais des salles peuvent fonctionner sans publier aucune annonce. On les remarque au détour d’un fait divers, comme lorsque deux jeunes maçons jettent des pierres sur la façade d’un « cinéma » installé Promenade des Anglais, en août 1908 202. Cette baraque foraine (d’après la description succincte), n’a jamais été signalée dans les programmes des spec-tacles. Le nombre total de séances reste toujours plus important que ce que nous pouvons déduire d’après les journaux.

Les tournées « chantantes » à LimogesÀ Limoges, au printemps 1908, le tourneur ayant une exclusivité Pathé

propose un choix très varié de fi lms, parmi lesquels quelques chansons fi lmées. Pathé, au Cirque municipal, doit être « le rendez-vous du tout-Limoges mondain et élégant ». Lors des soirées de gala, une fois par semaine, le directeur off re « de gracieux bouquets aux dames 203 ». Encore une fois, c’est grâce à un incident qu’on se rend compte de la présence des fi lms synchrones :

« C’est devant une salle des plus sélectes que s’est déroulé le nouveau programme qui a conquis toutes les faveurs du public élégant qui se pres-sait dans l’enceinte du cirque. Une rupture soudaine dans la canalisation à air comprimé, qui s’est produite au cours du Phono-Ciné, a interrompu

• 200 – L’Éclaireur de Nice, 9,10, 11, 12 et 15 mai 1908. À l’Olympia, des projections en fi n de programme le 9, mais pas le 10, retour du 11 au 14, mais disparition du cinématographe le 15 mai…• 201 – René Prédal, Le Cinéma à Nice : exploitation et réalisation, 1896-1930, Th èse soutenue à la Faculté des Lettres, université d’Aix-en-Provence, 1964.• 202 – L’Éclaireur de Nice, 1er août 1908.• 203 – P. et J. Berneau, op. cit., p. 66.

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cet intéressant numéro très réussi et la réparation n’a pu avoir lieu au cours de la soirée. La direction présente ses excuses au public qui assistait à cette représentation 204. »

L’équipement sonore reste fragile. Cette fois il ne s’agit pas de désynchronisa-tion mais de manque de puissance sonore. Cet article nous apprend que, comme le Chronomégaphone, le Ciné-Phono utilisait l’air comprimé pour pouvoir faire entendre sa musique à de vastes salles (selon le procédé gentihomme dont nous avons parlé).

À la fi n du mois d’avril 1908, le Cinéma-Th éâtre-Pathé quitte Limoges. Il revient d’août à octobre 1908, sous la direction de Charles Le Fraper, futur créa-teur du Courrier cinématographique. Le Ciné-Phono est toujours présent, mais pour être plus attirant il est renommé « Cinéma Chanteur ». La synchronisation reste le clou du spectacle. Sur la façade du cirque municipal, on trouve, dans l’ordre, les calicots suivants (en essayant de respecter les lettrages utilisés) :

CIRQUECINÉMA THÉÂTRE PATHÉ FRÉRES

CINÉMA-CHANTEUR

Tout autour de la façade, on trouve les affi ches des nombreux fi lms diff usés pendant ces programmes de trois heures. Parmi les seuls noms visibles sur une carte postale, le système de synchronisme se détache nettement, alors que cette tournée Pathé bénéfi cie aussi d’un orchestre d’une dizaine de musiciens et d’un bruiteur très adroit. La photographie de la façade du cirque de Limoges, fi n août 1908, nous permet de juger de l’importance de la synchronisation dans le programme 205. Sur cette image, on distingue une trentaine d’enfants, la plupart en chapeau (cano-tier pour les garçons, chapeaux variés pour les demoiselles), donc en « habits du dimanche », et seulement une dizaine de mères de famille. Pas de casquettes ou d’enfants tête nue, ce qui semble indiquer une assistance plutôt bourgeoise pour cette séance, même s’il existe des places à 50 centimes, voire moins pour les enfants. Peut-être est-ce une séance d’un jeudi après-midi, où d’un dimanche. Alors que les femmes sont chargées de sortir les enfants, les hommes sont soit au travail, soit au bistrot… peut-on supposer. Les séances du Cinéma-Chanteur attirent les enfants, et beaucoup viennent seuls, ou entre copains.

Pendant les deux mois de la première tournée Pathé, au cirque de Limoges, le Ciné-Phono a fonctionné à chaque séance, malgré un incident relaté dans

• 204 – Le Courrier du Centre, 28 mars 1908, P. et J. Berneau, op. cit., p. 67. Les journaux utilisent indiff éremment Phono-Ciné ou Ciné-Phono, ce qui ne facilite pas l’identifi cation des appareils !• 205 – Photo reproduite en couverture et p. 72, P. et J. Berneau, op. cit.

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le journal. Pendant les deux mois et une semaine de la deuxième tournée, l’appareil fonctionne encore à chaque séance, chaque jour. Une série de trois incidents, entre le 28 août et le 2 septembre 1908, fait dire aux deux histo-riens de Limoges que le fonctionnement du Ciné-Phono était « aléatoire 206 ». Au contraire, pour nous, si le quotidien local retranscrit avec tant de zèle le moindre problème, cela signifi e que les autres jours, tout marche très bien. Voici les trois articles qui montrent que deux journées n’ont pas bénéfi cié du synchronisme : les 30 et 31 août. Le 1er septembre l’appareil a eu un problème de courroie vite résolu :

« C’est ce soir que le Cinéma-Chanteur, autrement dit, le Ciné-Phono, débute au cirque municipal. Nous avons vu, privilégiés, les premiers essais de cet appareil et nous fûmes frappés de sa perfection extraordinaire. Certes, il est diffi cile de réaliser plus parfaitement le synchronisme de la voix et du mouvement. Le programme de ce soir comporte une chansonnette comique de Charlus, “Drapeau vert et bâton blanc”, un fragment de “la Juive”, chanté par Gautier, un des pensionnaires les plus éminents de notre Académie nationale, et une chanson comique populaire, “Quand l’amour chante”, par Dalbret 207. »

Ce programme se retrouve au cours des inaugurations des salles Pathé dans diff érentes villes françaises, à Lyon ou à Saint-Étienne, par exemple. Pendant une semaine, ces deux chansons populaires et cet air célèbre de l’opéra de Jacques François Halévy, devaient résonner sous la charpente de bois du cirque. Mais deux incidents gênent ce « clou du spectacle » :

« En dépit des prévisions optimistes du directeur du CINÉ-PATHÉ, de larges pancartes annonçaient hier soir qu’un nouvel incident priverait encore les spectateurs de Cinéma-chanteur. Il faudra donc attendre que la réparation soit exécutée 208. »

« Un incident de peu d’importance, le relâchement d’une courroie de trans-mission, contraignit Dalbret, l’artiste en vedette, à recommencer le premier couplet de son morceau à succès : “Quand l’amour chante”, et personne ne s’en est plaint, au contraire 209. »

Le 1er septembre, le Ciné-Phono est réparé et si une courroie saute, cela n’em-pêche pas de pouvoir remettre en synchronisation l’appareil. Remarquons que si

• 206 – P. et J. Berneau, op. cit., p. 73.• 207 – Le Courrier du Centre, 28 août 1908, P. et J. Berneau, op. cit., p. 73.• 208 – Le Courrier du Centre, 31 août 1908, P. et J. Berneau, op. cit., p. 73.• 209 – Le Courrier du Centre, 2 septembre 1908, P. et J. Berneau, op. cit., p. 73.

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on excepte le mot courroie, la façon dont le dernier article est rédigé porte à croire que Dalbret est présent dans la salle. Après la tournée Pathé, le cinéma chantant continue de passer par Limoges. Le théâtre-Cirque Salvator, de décembre 1908 à janvier 1909 propose un programme alternant fi lms et dressage de fauves :

1re partie : cinématographe (voyages, sports, etc.)2e partie : les animaux du jardin d’acclimatation de Paris3e partie : audition du cinématographe parlant de l’Hippodrome de Paris.

Quatre auditions chaque soir (opéra, opéra comique, concert et variété) 210.Le système Gaumont succède à celui de Pathé, puisque c’est le Chronophone

(ou Chronomégaphone, la plupart du temps à cette date, car couplé avec une amplifi cation par air comprimé) qui équipa l’Hippodrome, avant même qu’il ne devienne le Gaumont-Palace. La salle est déjà une référence publicitaire. La saison 1908-1909 a connu une grande mode sonore à Limoges, comme dans beaucoup d’autres villes françaises.

Dans le Limousin, les deux historiens de la ville n’ont pas noté une persis-tance du phénomène, contrairement à d’autres villes. Quand, fi n mars 1909, une tournée Pathé revient à Limoges, c’est sans aucune publicité concernant le Ciné-Phono. Il semble bien que l’appareil ne fut plus utilisé par les salles ou les tournées Pathé après le début 1909. Trop d’incidents ? pas assez de rentabilité ? Le procédé n’est plus en vogue dans les programmes de la fi rme au coq. Charles Le Fraper qui s’installe à son compte dans une salle limougeaude de mai à juillet 1909 ne reprend pas non plus de procédé de synchronisation.

Le Ciné-Phono et la Société Cinématographe MonopoleLa Société Cinématographe Monopole fut une des compagnies « alliées » à

Pathé pour développer les locations de fi lms. Elle était chargée du grand Sud-Est de la France, de Lyon à Nice, en passant par toute la Provence. Si la région du pourtour de Lyon a bénéfi cié d’une attitude commerciale remarquable, l’agent général concessionnaire sur Nice, ne montra guère de pugnacité. Après la saison d’hiver 1907-1908, qui vit fl eurir les vues synchronisées sur la côte d’Azur, la seule salle qui continue à diff user des fi lms (muets) l’Eden, ferme ses portes. De septembre 1908 au printemps 1909, les annonces proclamant la beauté des vues Pathé ont disparu. L’agent local de la société Monopole n’arrive pas à convaincre les directeurs de salle niçois de prendre des fi lms de la fi rme au coq ? Il passe une petite annonce qui montre le peu de succès de son activité (nous mettons en gras, ou en capitales pour reproduire au mieux le texte de l’annonce) : « Le Cinématographe Pathé-Frères loue des fi lms et du matériel à tous les exploi-

• 210 – P. et J. Berneau, op. cit., p. 80.

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tants et facilite l’installation de toutes personnes désirant monter un cinémato-graphe, même dans les petites localités. Écrire à la Société concessionnaire pour le Sud-Est : CINÉMATOGRAPHE MONOPOLE, 6 rue Grôlée, Lyon, ou à son Agent général à Nice, 27 avenue de la Gare 211. »

La seule réaction des salles de spectacle locales est une reprise ponctuelle des projections au Casino Municipal de Nice avec l’appellation « Cinématographe Pathé et visions d’art 212 ». Aucune salle ne porte la bannière Pathé jusqu’au début avril 1909, date à laquelle l’Eden-Cinéma Pathé revient, avenue de la Gare 213. À partir de cette date, l’Eden projette les « Films d’Art », comme L’Assommoir ou Le Baiser de Judas en annonçant toutes les trois semaines, à peu près, ce change-ment de programme, mais sans passer d’annonces quotidiennes 214. La stratégie publicitaire varie selon les régions. Il est possible que la salle, sûre de son public, n’ait pas eu besoin de mettre son programme dans le journal. Il est peu probable, par contre, qu’elle n’ait pas passé d’annonce dans le cas où elle diff usait des fi lms parlants. De 1907 à 1909, l’Eden-Cinéma Pathé Frères de Nice, n’a fait qu’une seule annonce de vue synchronisée : « Puis “Polin”, vue Ciné-Phono, vient nous divertir avec sa “Marche émoustillante” 215. » En retard de plusieurs mois sur la période de concurrence sonore entre les salles niçoises, la Société Monopole n’a placé qu’une seule vue Ciné-Phono dans sa salle de l’avenue de la Gare, d’après l’étude des journaux. Mais d’autres fi lms ont dû être diff usés dans ce lieu, ne serait-ce que parce que l’installation complexe du synchronisme demande à être rentabilisée au moins sur quelques jours. Aucune autre publicité n’a été faite sur les autres fi lms synchrones qui auraient pu être montrés par cette salle, la seule ayant un contrat avec Cinématographe Monopole sur Nice. En juin 1910, on remarque dans le programme le Barbier de Séville et Werther, mais rien n’indique que ces fi lms bénéfi cient d’une synchronisation, alors que ces extraits d’opéra sont généralement des vues chantantes 216. Comme ces œuvres lyriques existent égale-ment sous formes d’adaptations fi lmées muettes, nous ne pouvons pas trancher, en l’absence de précisions sur le métrage, la distribution, etc.

Nous en sommes réduits, à cause du manque d’archives, à des hypothèses sur le rejet par cette salle du système sonore (pas de compétence ? échec de la tentative avec la chanson de Polin ?), ou sur son refus de payer des annonces dans la presse à ce sujet (un public fi dèle suffi sant ?), alors que les programmes débordaient de

• 211 – L’Éclaireur de Nice, 21 février 1909.• 212 – L’Éclaireur de Nice, 3 mars 1909, 15 mars, etc.• 213 – L’Éclaireur de Nice, 4 avril 1909.• 214 – L’Éclaireur de Nice, 28 avril et 28 mai 1908.• 215 – L’Éclaireur de Nice, 14 juin 1908.• 216 – L’Éclaireur de Nice, 30 juin 1910.

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fi lms chantants en 1907 et 1908. Le plus étonnant demeure la politique très diff é-rente décidée par la même entreprise, Monopole, pour des salles de plus petites villes, où une moindre concurrence devait se faire sentir, ou une ville plus grande, comme Lyon.

À Lyon siège de la société Monopole, les annonces n’ont pas été aussi nombreuses qu’on pouvait le croire. Depuis 1906, le Th éâtre Pathé-Grôlée assure une programmation de qualité. Après une présentation de La Juive chantée par Gautier, aucun élément ne permettait de savoir si d’autres vues synchronisées passaient dans cette salle 217. À la rentrée 1908, le mot Ciné-Phono apparaît.

« La direction […] est heureuse et fi ère de pouvoir off rir à son aimable clien-tèle un programme que, jusqu’à ce jour, personne n’a pu égaler. Il comprend les dernières nouveautés de la maison Pathé frères, ainsi que les vues Ciné-Phono qui procurent le plaisir d’entendre Charlus dans “le Muet mélo-mane” et “V’la le rétameur”. À la demande générale, on donnera encore cette semaine “l’Arlésienne”, d’après A. Daudet. Ce fi lm incomparable, d’une grande valeur, fait l’admiration de tous. Chacun voudra le voir 218. »

Le Pathé-Grôlée donne l’ensemble de son programme comme étant inégalé. Il n’insiste pas sur les fi lms synchronisés. Pas de description précise de l’appa-reil, ni d’explication sur la nouveauté technologique. Dans cette salle, les fi lms chantés semblent être un complément de programme banal. La semaine suivante, le 25 octobre 1908, on peut voir et entendre « “Joséphine Polka”, vue chantée où Charlus, le chanteur populaire déploie toute sa grâce de chanteur et de danseur 219 ». Une à deux « vues chantées » se trouvent dans le programme chaque semaine. Les chansons comiques et les extraits d’opérettes dominent, comme « les Mousquetaires au couvent », opérette de Varney, chantée par M. Boyer de l’Opéra-Comique 220. Les notations de « vues chantées » deviennent de plus en plus rares dans les journaux lyonnais, mais les fi lms synchronisés restent sans doute à l’affi che du Pathé-Grôlée, qui ne détaille plus ses programmes. Le 24 janvier, une scène Ciné-Phono « chantée par Aff re, de l’Opéra » se glisse en fi n d’annonce. Par contre, « l’actualité merveilleuse que l’on peut admirer [au Pathé-Grôlée] est sans contredit le vol à 120 mètres de hauteur qu’a eff ectué Wilbur Wright, l’homme-oiseau221 ». Les fi lms synchronisés sont devenus une attraction habituelle, qu’il n’est plus besoin de signaler, alors que les exploits aéronautiques peuvent surprendre le public. En février, « “Je me balance”, avec Dranem », noté en fi n de programme

• 217 – Le Progrès, 9 octobre 1906.• 218 – Lyon républicain, 18 octobre 1908. Merci à Renaud Chaplain.• 219 – Lyon républicain, 25 octobre 1908.• 220 – Lyon républicain, 13 novembre 1908.• 221 – Lyon républicain, 24 janvier 1909.

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ne contient plus aucune qualifi cation précisant qu’il s’agit d’une chanson. Comme cet acteur comique jouait aussi dans des fi lms muets, la confusion reste possible 222. Seuls les connaisseurs savent que « Je me balance » est une chanson sentimentale créée par Dranem à l’Eldorado de Paris 223. Dranem est une des vedettes les plus en vue à cette époque et il parcourt la France avec son tour de chant. L’indication du titre suffi t sans doute. Les « connaisseurs » sont assez nombreux. Fin février l’annonce du Th éâtre Pathé-Grôlée n’indique plus que quelques noms : « Toutes les nouveautés Pathé frères sont au nouveau programme, Dranem, Mercadier, Charlus 224. » Le public sait que la chanson comique est encore à l’affi che. Jusqu’à la fi n de l’année 1909, aucune autre « vue chantée » signalée, mais les chansons synchronisées doivent être présentes, sans que la publicité apparaisse à leur sujet. Elles font partie du programme habituel et ne constituent plus une « attraction exceptionnelle ». Il faut attendre le 5 mars 1911 pour que les quotidiens lyon-nais nous renseignent sur un système sonore dans la salle Pathé. « Par le Phono-Électrique-Pathé, modèle nouveau : “le Cor”, mélodie chantée par M. Albert de l’Opéra-Comique, “Rigoletto” 225. » Ce « modèle nouveau » n’apparaît qu’une fois dans la presse lyonnaise. Les vues Ciné-Phono semblent rester à l’affi che à raison d’une ou deux par semaine, pendant un peu plus d’un an, avec un retour grâce à un appareil amélioré en 1911.

Pathé ne met pas vraiment en avant la synchronisation. Pourtant c’est un des éléments du programme de ses salles entre 1907 et 1911. Les salles du circuit Monopole autour de Lyon font un peu plus d’eff orts pour expliquer au public quand il peut voir et entendre des chansons sur leurs écrans.

Grâce aux journaux de Villefranche-sur-Saône, nous avons le détail des nombreuses scènes Ciné-Phono distribuées par le réseau Cinématographe Monopole, contrairement aux quotidiens de Nice ou de Lyon.

La ville de Villefranche-sur-Saône, à 35 km au nord de Lyon, comptait environ 20 000 habitants entre 1906 et 1911 226. La ville se situe sur le parcours de nombreuses loges de foire présentant des fi lms (de Kobelkoff au Cinémato-Cirque). Le tourneur Favier installe en mai 1908 son Cinématographe Bioscop-

• 222 – Lyon républicain, 7 février 1909.• 223 – Informations tirées du Journal de Villefranche, 12 octobre 1909, quand la même vue Ciné-Phono passe à l’Eden.• 224 – Lyon républicain, 28 février 1909.• 225 – Lyon républicain, 5 mars 1911. « Le Cor » passe ensuite, le 25 juillet 1913, dans une salle Gaumont de Saint-Étienne sur procédé Chronophone ! Les vues chantées pouvaient-elles être utilisées par les diff érentes marques ? Comme il s’agissait de passer un disque et un fi lm de façon synchrone, cela est possible.• 226 – M. Bruel et F. Perrut, Villefranche ancien, Villefranche au XXe siècle, Villefranche-sur-Saône, Syndicat d’initiative de Villefranche, 1971, p. 67.

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Th éâtre, accompagné du Bioscop-parlant 227. En mai 1909, le Th éâtre-Cirque Salvator, montre aux Caladois des phonoscènes grâce à son Chronomégaphone 228. Si les tourneurs et forains font déjà entendre des vues synchronisées aux habitants de Villefranche, la régularité des projections muettes et sonores provient d’une salle Pathé. Par une lettre du 24 novembre 1908, la Société Anonyme Cinématographe Monopole, sis 6 rue Grôlée [parfois orthographiée Grolée] à Lyon, « a l’honneur de solliciter […] l’autorisation de donner dans l’immeuble de Regel, appartenant à la Ville, 63 rue Nationale, à Villefranche, des séances de projections cinéma-tographiques et de donner des auditions de phonographe à partir de courant décembre 1908 229 ».

À partir de cette date, Villefranche-sur-Saône possède une salle de cinéma permanente qui bénéfi cie des mêmes programmes que le Pathé-Grôlée de Lyon, avec un décalage de quelques jours ou de quelques semaines. L’opérateur est M. Grimonet, l’accompagnement musical est dû à M. Falaize, qui imite également les bruits (l’illusion de la réalité). Cinématographe Monopole anticipait peut-être sur les projections de Ciné-Phono en citant, dès sa lettre de demande d’installation auprès du maire de la ville, les « auditions de phonographe ». Le Ciné-Phono utilisé alors à Lyon devait être proposé à Villefranche. D’autre part, les entractes des séances cinématographiques pouvaient être meublés par les disques Pathé 230. Même si la salle ne présente pratiquement que des fi lms, au cours de l’année 1909, on y découvre aussi un gala de boxe, une « tournée chansonnière », ou le concert « des médaillés coloniaux 231 ». À partir du samedi 13 février 1909, l’Eden-Cinéma Pathé-Frères de Villefranche diff use régulièrement des « vues synchronisées » par le Ciné-Phono 232. Pendant un an, chaque semaine, cette salle Pathé montre les chan-sons et monologues de Charlus, Maréchal et Mercadier, les trois interprètes qui reviennent le plus souvent dans les programmes. Les mêmes chansons ou sketches de Charlus, « le Muet mélomane » et « V’la le rétameur » passent avec six mois de décalage sur Lyon dans la salle caladoise (6 et 14 mars 1909 à l’Eden). Cela signifi e que quand le Pathé-Grôlée annonce juste des « vues chantées », sans en décrire le contenu, il s’agit sans doute des mêmes fi lms passés peu après à Villefranche… que nous retrouvons ensuite à Saint-Étienne.

La chanson populaire domine largement pendant ces onze mois de fi lms parlants. Deux extraits d’opéra seulement sur un total de 43 vues synchronisées annoncées

• 227 – Le Journal de Villefranche, 12 mai 1908. Merci à Delphine Seubil.• 228 – Le Journal de Villefranche, 29 mai 1909.• 229 – Archives Municipales de Villefranche, série I 177, vol. 1, dossier n° 1, pièce n° 5.• 230 – Le Journal de Villefranche, 15 juin 1909.• 231 – Le Journal de Villefranche, 7 juillet, 31 juillet, 16 octobre 1909.• 232 – Le Journal de Villefranche, 13 février 1909.

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en 1909. Chaque semaine le programme contient une vue nouvelle pour le Ciné-Phono. Le journal local précise chaque fois le titre, l’interprète, et parfois donne des éléments détaillés : « Valse réaliste, étude de mœurs prise sur le vif dans les bas-fonds de Paris, aux bouges de Montmartre, la vraie danse des apaches parisiens, gros succès d’originalité 233. » L’annonce classique stipule : « Garde ton cœur Madeleine, romance chantée par Mercadier de l’Eldorado de Paris 234. » Chansons et chansonnettes comiques prennent le dessus. Une seule vue musicale, mais humoristique : « Au clair de la lune, fantaisie originale pour xylophone jouée par les clowns musicaux 235. » Les Caladois étaient-ils plus spécifi quement enthousiasmés par les fi lms Ciné-Phono Pathé ? Pourquoi le Journal de Villefranche donne-t-il plus de précisions sur ces fi lms que les journaux de Lyon, ou d’autres villes où la société Monopole distribuait les mêmes fi lms ? La logique aurait voulu que, dans les villes plus grandes avec une vraie concurrence, les salles Pathé payent de longues annonces précisant les fi lms chantants. Ces fi lms circulent dans la saison 1908-1909, sans que les grandes villes affi chent clairement leur passage, Lyon encore moins que Saint-Étienne. Est-ce parce que la salle de Villefranche qui ne contient que 500 places correspond mieux aux fi lms synchronisés que les cinémas de 1 000 à 2 000 places de Lyon et Saint-Étienne ?

À Saint-Étienne, ville de 140 000 habitants au tournant du siècle, les annonces concernant les fi lms sonores distribués par Cinématographe Monopole sont remar-quables d’incohérence. À plusieurs reprises, avec quelques semaines de décalage, l’Alhambra de Saint-Étienne affi rme passer « pour la première fois » des vues synchronisées. Place Marengo, le 1er novembre 1907, la Société Cinématographe Monopole ouvre l’Alhambra-Cinéma-Pathé 236. Le 13 décembre 1907, une vue synchronisée passe à l’Alhambra : « La ronde du garde champêtre, [vue] Ciné-Phono chantée et siffl ée par M. Maréchal, de l’Opéra de Paris 237. » Maréchal se retrouve chanteur d’opéra (ce qu’il n’a jamais été) ! Aucune campagne de presse n’a préparé le public à la spécifi cité du Ciné-Phono. L’annonce devient plus claire deux semaines plus tard : « Vues pour plaire et captiver. On a l’illusion d’être un moment à l’opéra en entendant la superbe voix du ténor Gautier dans La Juive (“Rachel quand du seigneur”) 238. » Ce morceau fut souvent choisi dans les salles Pathé pour inaugurer une série de fi lms synchronisés. À Lyon, on le présenta avec

• 233 – Le Journal de Villefranche, 21 septembre 1909.• 234 – Le Journal de Villefranche, 28 septembre 1909.• 235 – Le Journal de Villefranche, 5 octobre 1909.• 236 – Archives municipales de Saint-Étienne, 1 I 86, cité par Frédéric Zarch, Catalogue des fi lms projetés à Saint-Étienne avant la première guerre mondiale, Publication de l’université de Saint-Étienne, 2000, p. 51. Merci à Frédéric Zarch.• 237 – Frédéric Zarch, op. cit., p. 56.• 238 – Le Mémorial de la Loire, 28 décembre 1907.

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beaucoup d’ambiguïté en novembre 1906 239. C’est ainsi que débute le synchro-nisme Pathé à Saint-Étienne 240. Puis la presse reste muette sur les Ciné-Phonos, alors qu’une salle concurrente, l’Eden-Concert, propose les fi lms de la tournée de l’American Electric Palace avec les vues synchronisées du Bioscop Parlant (Polin…) 241. Ce tourneur reste en place jusqu’à la mi-juin, au moins 242. Ce n’est qu’en octobre 1908 que cet American Electric Palace se déplace quelques kilo-mètres au nord de Saint-Étienne pour s’implanter à Roanne. Le quotidien roannais annonce des chansons de Gautier, Faguet, Noté, Maréchal, Mercadier, etc. 243. Le répertoire du Ciné-Phono Pathé est identique. En mars 1908, les annonces précisant si la vue est « Ciné-Phono » reparaissent. L’Alhambra passe « Ma Jolie » par Mercadier 244. En juin, cette dernière chanson revient. Puis on peut voir dans la salle Pathé stéphanoise « La chanson du pendu », par Maréchal 245. Pendant l’été, l’Alhambra est en réfection et la direction diff use des fi lms dans un cinéma en plein air (le « Géant Forézien »), sur la place proche de la salle 246. Les séances en plein air ne comprennent pas de vues synchronisées. En octobre les séances reprennent à l’Alhambra. Ce mois d’octobre 1908 paraît caniculaire d’après la presse. Des spectateurs mécontents écrivent aux journaux locaux pour se plaindre de ne pas pouvoir accéder à la buvette, selon la place qu’ils occupent, et de ne pas obtenir de carte de sortie pendant les entractes 247. Quelques jours plus tard, un sabotage a lieu à l’Alhambra :

« Des inconnus, profi tant de l’inattention des contrôleurs, ont coupé dans la matinée du dimanche, à l’Alhambra-Cinéma-Pathé, le fi l électrique reliant l’ap-pareil cinématographique au phonographe, si bien que l’appareil n’a pas pu fonc-tionner. Dans la soirée, ils ont détérioré diverses pancartes de la même maison 248. »

Le « groupe de spectateurs assidus » stéphanois, qui avait signé une des deux lettres de mécontentement, aurait-il décidé de saccager le cinéma ? Cet incident permet de noter la présence du Ciné-Phono, alors que les quotidiens ne signa-laient pas de vues synchronisées. Le synchronisme doit marcher à chaque séance, puisqu’à cause du sabotage, « l’appareil n’a pu fonctionner ». Le fi l électrique reliant

• 239 – Cf. plus haut à propos des spectacles proposés à Lyon.• 240 – F. Zarch, op. cit, p. 56.• 241 – La Tribune républicaine, 29 mai 1908.• 242 – Les Annales Foréziennes, 7 juin 1908. Cette tournée reste sans doute jusqu’au 28 juin, ensuite les salles font relâche.• 243 – L’Union républicaine de Roanne, 4 octobre 1908. Cité par F. Zarch, op. cit., p. 85.• 244 – Le Mémorial de la Loire, 18 mars 1908. Merci à Sandrine Di Fruscia.• 245 – Le Mémorial de la Loire, 28 juin 1908, et F. Zarch, op. cit., p. 77.• 246 – Le Mémorial de la Loire, 16 juillet 1908.• 247 – La Tribune républicaine, 20 octobre 1908 ; La Tribune républicaine, 21 octobre 1908.• 248 – La Tribune républicaine, 23 octobre 1908.

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le phono au projecteur permet de savoir qu’il s’agit bien d’une synchronisation automatique, probablement du type Gentilhomme. Il faut un acte de vandalisme pour savoir que les vues chantantes continuent d’être diff usées ! L’incohérence publicitaire de l’Alhambra et de la Société Cinématographe Monopole est à son comble, moins de trois semaines plus tard, quand on peut lire dans la presse :

« La direction de l’Alhambra vient d’être avisée qu’à l’occasion des fêtes de Noël elle est autorisée à off rir à sa nombreuse clientèle deux vues sensation-nelles et chantées par son nouvel appareil “le Synchronisme” qu’il (sic) a inauguré avant Paris. Les vues chantées avec un goût exquis et merveilleu-sement adaptées aux gestes donnent l’illusion de la réalité. En un mot, le nouvel appareil “le Synchronisme” laisse loin derrière lui les autres appareils que l’on a vus et entendus jusqu’à ce jour 249. »

Pourtant la direction ne change pas entre-temps ! On remarque que l’Alham-bra se présente dans son annonce comme totalement soumis aux desiderata de la compagnie qui lui fournit les fi lms. La direction « est autorisée » à montrer des scènes chantées. Cela peut sous-entendre que l’Alhambra aimerait passer plus de fi lms synchronisés, mais que la Société Monopole ne le lui permet pas… Sans doute, l’Alhambra a-t-il reçu une nouvelle version du Synchronisme de l’ingé-nieur Gentilhomme, à moins qu’il ne s’agisse du système Couade, distribué par Pathé à partir de 1908 250. L’aspect révolutionnaire de la machine reste très relatif puisque les vues demeurent les mêmes ! Le 1er janvier 1909, le cinéma passe un extrait d’opéra, Hérodiade « Vision fugitive », Ciné-Phono chanté par Corpait de l’Opéra Comique. Une semaine plus tard on retrouve Charlus dans Le Chef d’Orchestre, Ciné-Phono comique 251. Charlus chante encore sur l’écran de cette salle dans les semaines suivantes, parfois en duo avec Maréchal, et d’autres vues synchronisées sont diff usées jusqu’en juin 1909 252. Plus rien pendant cinq mois, puis, le sketch de Charlus, « le muet mélomane » repasse le 17 décembre 1909 253. Au contraire de Villefranche, les annonces de Ciné-Phono sont très irrégulières, alors que l’incident du fi l électrique coupé révélait la présence constante de l’appareil. À partir de décembre 1909, les vues Ciné-Phono sont spécifi ées plus souvent à Saint-Étienne. En neuf mois, 27 fi lms synchronisés passent dans la

• 249 – Le Mémorial de la Loire, 25 décembre 1908.• 250 – Giusy Pisano, Une archéologie…, op. cit., p. 268.• 251 – F. Zarch, op. cit., p. 94-95.• 252 – J’ai quelque chose qui plait, par Charlus le 22 janvier 1909 ; la Musette, Rentrons sans bruit, 6 février ; Geneviève de Brabant par Charlus et Maréchal, Les Mousquetaires au couvent, par Boyer le 19 mars ; le Muet mélomane par Charlus, le 26 mars ; Garde ton cœur Madeleine, par Dalbret, le Petit Marmot par Polin, le 4 juin ; la Petite Tonkinoise par Charlus, le 18 juin 1909. F. Zarch, op. cit., p. 100, 101, 103, 104, 113.• 253 – F. Zarch, op. cit., p. 143.

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salle de l’Alhambra. En règle générale, une vue Ciné-Phono apparaît dans les programmes chaque semaine. À la fi n du mois de novembre 1910, après trois dernières chansons synchronisées, le terme de Ciné-Phono disparaît de la presse stéphanoise. Cette fois aucun incident ne vient faire surgir l’appareil Pathé au milieu des faits-divers. Une quarantaine de fi lms chantants passèrent dans cette salle Pathé, entre décembre 1907 et novembre 1910, d’après les annonces dans la presse. Le Synchronisme fut sans doute plus utilisé que les journaux ne veulent bien le dire. Le répertoire reste identique à celui diff usé à Villefranche-sur-Saône, un an plus tôt. Par exemple, « Ode au chameau », chanson comique de Charlus, passa à Villefranche le 27 avril 1909, et à Saint-Étienne le 11 mars 1910. Certaines chansons sont reprises plusieurs fois, mais assez peu au regard du nombre total de scènes Ciné-Phono. Le circuit Monopole sur la région lyonnaise semble diff user les vues synchronisées à Lyon (même si les journaux ne les évoquent presque pas), puis Villefranche-sur-Saône, puis Saint-Étienne. La logique de ces systèmes nous échappe encore, puisque après Lyon, la salle Pathé stéphanoise est ouverte en novembre 1907, alors que son homologue de Villefranche ouvre en novembre 1908. D’autres villes sont sans doute concer-nées, comme Roanne ou Vienne.

Au total, les fi lms synchronisés furent bien utilisés par Pathé dans les diff érents circuits concessionnaires mis en place par la fi rme au coq. Les annonces dans les journaux ne sont pas des documents assez fi ables pour attester de la continuité de cette programmation sonore. Pourtant, elles permettent de vérifi er l’importance des « vues Ciné-Phono sur procédé Gentilhomme » pour Pathé. De Limoges à la région lyonnaise, en passant par Nice, un fi lm chantant se fait souvent écouter, entre fi n 1907 et fi n 1910. Pendant au moins trois ans, la fi rme au coq a relié sa branche phonographique et sa branche cinématographique en développant un système proposé un peu partout en France grâce à ses compagnies concessionnaires répandues sur le territoire. De plus amples recherches, dans de nombreuses villes françaises, pourraient confi rmer cette pratique qui est, en tous cas, avérée pour le centre et le sud-est de la France.

Quelques exemples des autres systèmes existantsLes frères Stransky vendent leur Cinématophone 254. Il change parfois de nom

dans certaines publicités comme dans Phono-Ciné-Gazette où l’appareil devient le Cinémaphone.

Ils l’installent eux-mêmes dans une petite salle du passage de l’Opéra, 31 Galerie du Baromètre, en 1908. Dans ce Th éâtre-Moderne, le cinématophone « parlant,

• 254 – Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 205.

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chantant et dansant » donne « l’illusion complète de la vie ». Ils vendent des pianolas et autres instruments mécaniques. Dans leur petite salle, ils ont pu attirer les clients du quartier de l’opéra. Il semble qu’un appareil de ce type a fonctionné à Lyon 255.

Le Cinéma-Palace du boulevard Bonne Nouvelle à Paris, off re à ses clients le Cinéma chantant et parlant grâce au procédé d’Oswaldo de Faria, en 1908. Ce cinéma propose des « Projections en salle éclairée », un « concert symphonique » et son système synchrone. L’électricien de Faria fournit les fi lms qu’il synchronise lui-même. À partir de 1911, Oswaldo de Faria s’associe à la Société Gentilhomme 256.

En 1913 et 1914, le Kinoplastikon, à Paris, projette des personnages se déplaçant dans un décor en trois dimensions. « Le spectacle présente des personnages fi lmés qui se déplacent parmi des objets réels situés sur la scène, tandis qu’un phonographe fournit des paroles, musiques et chants en un synchronisme approximatif 257 ». Pour attirer le public, on augmente le « réalisme » en ajoutant les trois dimensions aux éléments sonores et parlants. Cette attraction n’a pas eu assez de comptes-rendus précis pour qu’on puisse juger de ce réalisme. Notons que Ciné-Journal s’étend sur la précision du rendu des trois dimensions mais n’explique pas le synchronisme sonore 258. Cette invention, tentative de relief, s’ajoute à la longue liste des eff ets sonores et des projections en couleurs naturelles en France entre 1912 et 1914 qui tendent vers plus de « réalisme ».

Le Kinétophone d’Edison, nouvelle version, sous forme de projecteur relié à un phonographe, prouve qu’il fonctionne parfaitement en novembre 1913, à Paris 259. Devant un parterre de professionnels et d’invités, les courts fi lms enregistrés en son direct passent avec une parfaite synchronisation 260. Après cette présentation du 19 novembre 1913, dans la salle des fêtes du Journal, le Kinétophone continua de fonctionner, grâce aux allers-retours eff ectués par le représentant d’Edison entre Londres et Paris. La machine resta plusieurs mois à Paris, mais, pour l’instant, son programme n’a pas été retrouvé. On sait que les fi lms pouvaient se désynchroni-ser si la courroie qui reliait le phonographe et le projecteur cassait, ou si le fi lm s’abîmait et était rétréci. Le technicien chargé des réparations, A. F. Wagner, se souvient d’être venu à plusieurs reprises à Paris, au cours de l’année 1913, à cause de « projectionnistes maladroits 261 ».

• 255 – Publicité dans la revue lyonnaise Rive-gauche, n° 140, 1906.• 256 – Ciné-Journal, n° 131, du 25 février 1911.• 257 – Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 341-342.• 258 – Ciné-Journal, n° 274, du 22 novembre 1913.• 259 – La mise au point de cette nouvelle version du Kinétophone fut annoncée à partir de 1910. Cf. Ciné-Journal, n° 112, du 15 octobre 1910.• 260 – Ciné-Journal, n° 274, du 22 novembre 1913.• 261 – Alfred Fenner Wagner, Recollections of Thomas A. Edison, Londres, City of London Phonograph & Gramophone Society/Symposium Records, 1991, p. 25-26.

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D’autres procédés existent à cette date. Nous n’avons rendu compte que de ceux qui ont eff ectivement été utilisés dans des salles. Pour l’instant nous ne savons pas si des exploitants français présentèrent des synchronisations mécaniques avec le Cinéfono Ropéro, par exemple 262. Le dispositif mécanique de l’ingénieur Constantini a-t-il été installé dans de nombreuses salles ? Ciné-Journal nous affi rme que le procédé est d’une parfaite fi abilité 263. Parfois on se demande si la mode du sonore ne permet pas de vendre des systèmes qui n’ont de synchronisme que le nom ! Par exemple, dans une publicité le « Tempograph » affi rme être « le moins coûteux des synchronismes 264 ». Il est diffi cile de savoir si cet appareil a été installé en France par la fi rme allemande qui le fabriquait.

D’autres système existèrent brièvement comme le procédé Couade (vendu un temps par Pathé) ou le système Gilbs 265. Même si les exploitants n’utilisèrent que ponctuellement ces machines, le choix important de procédés de synchronisation montre un réel engouement pour les fi lms parlants juste avant la Grande Guerre. Les petites et moyennes exploitations utilisaient diff érentes machines et « brico-laient » leur propre installation. Les machines s’achètent et se revendent grâce aux petites annonces dans les journaux corporatifs. Par exemple : « Vend synchronisme Mendel avec amplifi cateur 266 » ; « Un cinéma avec Chronophone Gaumont, à Reims, cherche à acheter phonoscènes d’occasion ». Idem à Marseille 267.

Inversement, des stocks de vues synchrones se vendent d’occasion :« À vendre, occasion, 13 fi lms synchronisés (Gaumont) 268 ». Cette annonce

propose les classiques de Polin, Dranem, Mayol et quelques airs d’opéra.

« À vendre, pour cause de décès, matériel cinéma en pleine prospérité : chapiteau, entourage neuf, ayant servi trois mois. Machine à vapeur, cara-vane, fi lms, cabine, poste tout monté, phono avec tous les appareils pour faire du cinéma parlant, appareil synchronisme de la Maison Gaumont. Matériel d’été pouvant contenir 800 personnes, un moteur de 4 chevaux avec tableau, dynamo toute installée dans une voiture prête à marcher. S’adresser à Mme Veuve Eugène Baron, Cinéma à Viviers (Ardèche) 269. »

• 262 – Ciné-Journal, n° 164, du 14 octobre 1911.• 263 – Ciné-Journal, n° 144, du 27 mai 1911.• 264 – Ciné-Journal, n° 14, 19 novembre 1908.• 265 – Georges-Michel Coissac, Histoire…, op. cit., p. 332. La machine du capitaine Maurice Couade apparu dans le catalogue Pathé en 1908. Pathé ne développa pas la publicité pour ce procédé. Ces appareils furent même vendus en 1915 « au poids du déchet » ! Giusy Pisano, Une archéologie…, op. cit., p. 268 et 270.• 266 – Ciné-Journal, n° 6, 22 septembre 1908.• 267 – Ciné-Journal, n° 11, 27 octobre 1908.• 268 – Ciné-Journal, n° 25, 4 février 1909.• 269 – Cinéma-Revue, n° 2, février 1913 (3e année).

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Le matériel complet des forains peut être de bonne qualité et faire entendre les phonoscènes à travers toute la France.

« Synchronisateur Mendel avec appareil complet (poste Elgé réfl ex) à vendre pour cause départ, 700 F. S’adresser à Turco, Valras-la-Plage (Hérault) 270. » Le projecteur vient de chez Gaumont, le système de synchronisation est de marque Mendel et cela suffi t pour passer des fi lms chantants. Une petite salle, dans une toute petite station balnéaire de moins de 3 000 habitants, peut proposer des vues synchronisées.

Quel Français fréquentant les lieux de projections avant 1914, aurait-il pu échapper aux fi lms musicaux et chantés, ou aux sketches enregistrés ? Pour le public, peut importe le système et même la qualité du synchronisme. Ni les spec-tateurs, ni même les journalistes (à part ceux des revues spécialisées), ne font de comparaisons. Constatons que des simples forains aux salles de luxe, les clients des cinématographes ont découvert une attraction supplémentaire avec les fi lms, le son (plus ou moins) synchrone. Après le succès des tournées de phonographe, l’association des fi lms et des enregistrements, le temps des fi lms avec du son a permis un renouvellement du spectacle. L’auditeur des séances de projection a pu bénéfi cier d’une multitude de procédés. Quand la concurrence entre les salles a fait rage, vers 1905-1907, l’acquisition d’un système sonore semblait être une condition sine qua non au développement d’une exploitation cinématographique. Pendant cette mode du son synchrone, les plus grosses compagnies ont amélioré la technologie existante. De ce fait, entre 1907 et 1914, les salles ont pu bénéfi -cier, comme les forains, d’un son plus puissant et plus synchrone. On constate une véritable banalisation du son dans les séances. Mais l’intérêt pour les fi lms synchrones n’est pas supérieur à celui concernant la couleur (de nombreux procé-dés sont utilisés pendant cette période), ou d’autres formes d’attractions sonores (chants, orchestres, bruitages). De cette profusion de systèmes synchrones, nous ne déduisons pas une soif du « cinéma parlant ». Nous constatons une fois encore la multiplicité des sons pendant les projections de fi lms.

• 270 – Cinéma-Revue, n° 9, septembre 1913 (3e année).

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Conclusion

De nombreux fi lms parlants et chantantsdans toute la France

Avec ces exemples de sons accompagnant les fi lms, nous pouvons revoir notre conception de l’exploitation cinématographique avant 1914 en France. Michel Winock expliquait à propos du Phono-Cinéma-Th éâtre de l’Exposition Universelle 1900 : « Il s’agit là d’une première tentative de cinéma parlant qui n’aura pas de suite avant la fi n des années 1920 1. » Cette idée était largement répandue, mais elle ne correspond plus du tout à ce que nous avons constaté. Un auteur aussi bien renseigné que Jean-Jacques Meusy, résumait parfaitement la vision des historiens du cinéma : sur cette période, le son synchrone n’est pas « susceptible d’une véritable exploitation commerciale 2 ». En réalité, il ne s’agit pas d’une exploitation commerciale du fi lm parlant ou chantant « tout seul », sans autres éléments de programme. Ces vues synchronisées représentent une des attractions du cinématographe, qui reste lui-même une attraction au sein de nombreuses salles. En tant qu’attraction au milieu (ou en fi n) d’un spectacle, ces courts fi lms sont une vraie réussite commerciale, même s’ils ne représentent pas (tous) une réussite technologique. Ils s’insèrent dans la série culturelle des spectacles de variété. Au lieu d’avoir une diseuse, un comique ou un chanteur à voix sur scène, on le (ou la) regarde sur l’écran avec le chant (ou le sketch) sur disque. Parfois l’exploit technologique est mis en avant, mais la banalisation de ces systèmes fait de ces fi lms synchrones un divertissement qui coupe les longues séances de trois heures.

• 1 – Michel Winock, op. cit., p. 346.• 2 – Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 263.

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Quand nous avons pu étudier, jour par jour, un quotidien d’une grande ville, nous avons remarqué une fréquence importante des vues synchronisées. Sur une durée de trois ou quatre ans, la concurrence entre les salles de spectacle (et/ou forains) entraîne généralement une multiplication des présentations de synchro-nismes. Il semble qu’aucune ville n’ait échappé au phénomène. Dans les bourgades plus petites, les tourneurs et les forains font des étapes en montrant leurs appareils sonores. En considérant le nombre de séances contenant des vues cinématogra-phiques synchronisées, l’exploitation commerciale du son synchrone existait bel et bien massivement avant la Première Guerre mondiale, dans toute la France. C’est un des sons accompagnant les fi lms.

Dès le début de 1907, le succès des systèmes de fi lms chantants inquiète la Société des Auteurs. Un entretien avec un représentant de cette Société, retranscrit dans plusieurs journaux, révèle que le nombre des présentations de fi lms synchro-nisés en province concurrence sérieusement les théâtres :

« La Société des Auteurs se fait adresser par ses agents tous les programmes des cirques, concerts, etc., qui donnent des spectacles phono-cinématogra-phiques. Et je vous assure qu’il y a là un joli dossier. C’est eff rayant. Les tournées en subissent un préjudice considérable.Et ce n’est pas tout, on affi che les chansons de Polin, ou les airs d’un chan-teur de l’Opéra chantés par lui-même. Si bien, que, et c’est la même chose en Amérique, lorsque le véritable chanteur ou le vrai Polin se présente en tournée, il se trouve en face des gens qui “l’ont déjà entendu” et il n’a pas toujours le dessus sur le Polin du phonographe 3. »

Même si cet entretien anticipe en partie sur une situation qui ne s’est jamais révélée catastrophique, ni pour les auteurs dramatiques et compositeurs, ni pour les interprètes, il montre l’inquiétude d’artistes qui comprennent que le son et le fi lm attirent les foules. Des procès opposèrent les auteurs dramatiques et des producteurs et exploitants de cinématographe, entre 1907 et 1909, mais pas au sujet des « spectacles phono-cinématographiques 4 ». Gaumont avait répondu à ces critiques dans son catalogue de janvier 1908 :

• 3 – Entretien avec un membre de la Société des Auteurs, par Fernand Divoire : « La concurrence des phono-cinématographes inquiète les auteurs », paru dans L’Intransigeant et repris dans Phono-Ciné-Gazette, n° 44, 15 janvier 1907.• 4 – Alain Carou, Le Cinéma français et les écrivains. Histoire d’une rencontre 1906-1914, école Nationale des Chartes / AFRHC, 2002. Le chapitre « Le cinématographe dans le prétoire » explique que les fi lms entraînant des procès ne sont pas des fi lms synchronisés. De nombreuses négociations entre les sociétés de gestion de droits et Gaumont montrent que ce dernier tenait à être en règle avec les auteurs… et essayait de reprendre le quasi-monopole instauré par Pathé. Cf. Alain Carou, La Scène multipliée. Écrivains, littérature et cinéma en France de 1906 à 1914, thèse de l’école des Chartes, 1999, p. 118-119 et 286 à 292.

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« Quelques esprits chagrins ou timorés ont été jusqu’à prétendre que notre Chronophone était la mort des artistes. Nous les remercions de cette marque de succès. Elle vaudrait à elle seule mieux que toutes les publicités ; mais cependant, nous voulons rassurer les artistes. Est-ce que le phono-graphe a tué les chanteurs ? N’a-t-on pas prédit la même ineptie à son apparition ? Quel est le résultat ? Jamais ils n’ont autant gagné d’argent ; nous en connaissons, et non des moindres, qui triplent annuellement le revenu qu’ils tirent seulement de leur apparition sur les scènes ou de leurs auditions en public.Nous pourrions prouver de même que la vue de nos phonoscènes leur vaudront une popularité considérable dans le monde entier, et ne pourront leur attirer que de nombreux engagements. Si vous aviez entendu un bon record phonographique et qu’il vous eût été possible, quelques jours après, de voir l’artiste dans un théâtre, n’eussiez-vous pas cherché à être au nombre des spectateurs 5 ? »

La synchronisation se répand assez pour inquiéter les auteurs dramatiques car elle se propage très vite dans les salles de diff érentes tailles et sur les champs de foire. Par contre on ne peut pas encore parler de généralisation du procédé. C’est une attraction parmi d’autres, plutôt en fi n de programme, ou juste avant les entractes. Les chansons populaires et les airs d’opéra les plus célèbres dominent, avec de nombreux sketches par les humoristes les plus célèbres de la France de la Belle Époque. On a comparé les phonoscènes au Vitaphone shorts parce qu’elles permettaient d’écouter des arias de Verdi et autres opéras. Sans doute, dans l’esprit de certains entrepreneurs de spectacle, l’idée est d’apporter la culture aux igno-rants, non sans une touche de mépris pour la culture populaire qui existait alors. Chaque annonce d’une innovation chez Edison reste dans cet esprit :

« Le grand inventeur Th omas A. Edison présentera à New York City, un nouvel appareil de synchronisme. Les privilégiés qui ont assisté aux premières démonstrations de cet appareil déclarent qu’il est très supérieur et qu’il permettra de faire entendre à la classe ouvrière les opéras et les meilleurs drames dont le spectacle était jusqu’ici réservé aux classes privilégiées 6. »

Grâce à la synchronisation, on peut donc faire l’aumône de la Grande Culture, cette charité éducative un rien condescendante. En réalité, la population la plus pauvre, qui se mêle aux classes moyennes et aisées dans les vastes salles fran-çaises où tous les tarifs cohabitent, a adopté, depuis le milieu des années 1900, le synchronisme. La perpétuation des chansons de café-concert sur les écrans, avec

• 5 – Catalogue Gaumont de janvier 1908, reproduit in Cahiers de la cinémathèque, n° 63-64, décembre 1995, p. 129-130.• 6 – Cinéma-Revue, n° 4, avril 1913 (3e année).

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les plus grandes vedettes populaires, le prouve. Les tours de chants ne cessent pas pour autant. Les music-halls continuent de fl eurir, même s’ils évoluent dans leurs numéros. Au milieu des lions, entre deux groupes d’acrobates, avec un ténor dans la salle ou synchronisés, les fi lms sont proposés au public dans un environnement sonore le plus varié possible, comme nous venons de le décrire. L’intermédialité des projections de fi lms avant 1914 est confi rmée par l’insertion dans des spectacles de tous types. Le fi lm synchrone à cheval entre caf ’ conc’, opéra, théâtre, variété et fi lm ne peut qu’être intermédial. La capacité d’adaptation de ce medium, sa malléabilité en font le support intermédial par excellence. C’est le son qui donne son statut à chaque fi lm, avant, après ou pendant sa projection. Associé à un cours, la projection devient conférence scientifi que. La même œuvre devient fi lm comique quand un forain la bruite à la bouche.

La présentation de fi lms pendant cette période, même si une certaine standar-disation a lieu entre 1907 et 1914, reste essentiellement une attraction avec des formes hybrides, d’une variété extrême, ce que l’analyse des sons entourant les vues cinématographiques nous montre.

Les parades et les foiresNous avons montré l’importance fondamentale des bruits « extérieurs » lors

des projections de fi lms dans les foires (ainsi que dans de nombreuses salles). Ce paysage sonore est un accompagnement « essentiel ». Au passage, nous pensons en avoir fi ni avec le mythe du « bruit du projecteur », si « dérangeant » qu’il nécessitait de la musique pour le couvrir. En réalité, tous les bruits extérieurs (quand ce n’est pas le brouhaha du public) couvrent déjà le doux ronronnement des projecteurs. Ces appareils sont presque tous placés dans des cabines isolantes, contre le feu, qui empêchent aussi le bruit. Dans les très grandes salles, où le bruit extérieur est moins perceptible, le projecteur est si loin du public qu’il ne gêne personne. Nous avons montré que les rares cas de projections au milieu du public se font dans des conditions où le bruit ambiant surpasse le bruit de la machine, à quelques rares exceptions prêt. Au contraire, nous pensons que c’est au cours des années 1920 que le ronronnement du projecteur devient perceptible par la disparition progressive des manivelles. Les moteurs donnent une idée fausse du bruit engendré par les projecteurs manuels.

Les sons entourant les fi lms et pénétrant dans les salles et les loges foraines sont d’une variété extrême. Une description, tirée d’un livre de 1910, rappelle ce que nous avons vu dans le chapitre consacré à ces bruits : « Au chant des orgues rauques, se mêlaient les grincements des tourniquets, les sirènes des manèges à vapeur, les roulements de tambours, les appels des lutteurs, les boniments des

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montreurs de phénomènes7. » C’est une vision téléologique et fausse de croire que les fi lms se voient dans des salles silencieuses, jusqu’à ce que des grandes salles spécialisées soient construites. Ce capharnaüm reste le véritable environnement sonore de la plupart des présentations de fi lms sur les foires françaises jusqu’à la guerre. Avant l’invention du haut-parleur électrique (au début des années 1920 aux USA), les porte-voix pouvaient déjà atteindre un haut niveau en nombre de déci-bels, surtout quand le bateleur devait lutter contre le vacarme de la concurrence et le bruit environnant. Nous approchons ainsi de cette « histoire du sensible » chère à Alain Corbin. Les habitudes d’écoutes évoluent. Dans un espace forain, quel public voudraient se plaindre d’être assourdi par les bruits alentour ? Aujourd’hui aussi, une fête foraine ne se conçoit pas sans un fort volume sonore. La culture du bruit est liée à l’idée de réjouissance communautaire. Elle s’associe au concept de « progrès » qui ne se conçoit à l’époque qu’avec des moteurs de plus en plus puissants et bruyants. La notion de gêne auditive, à peine embryonnaire dans les années 1910, ne touche que quelques personnes, mais pas la population (quelle que soit sa classe sociale) qui participe à ces réjouissances.

Les parades de foire, devant les cinématographes ambulants, ne disparaissent pas avant la guerre de 14-18. Les forains continuent d’obtenir des fi lms, car la générali-sation de la location ne se fait que progressivement. Les tourneurs et les banquistes, même si les fi rmes françaises ne veulent plus vendre leur production, peuvent encore acheter leurs fi lms à l’étranger, où les compagnies cinématographiques ne louent pas encore leurs œuvres. Les tournées continuent également sous l’égide de certaines grandes sociétés, comme Pathé, qui testent le public avant de favoriser des implan-tations sédentaires. Le Courrier cinématographique de juin et juillet 1914, recense tous les lieux où manquent encore des « salles en dur ». La carte établie par Charles Le Fraper et son équipe et les longues listes de villes qu’il publie pour inciter les volontaires à s’établir exploitant de salles fi xes, permettent de voir que la France est couverte. Seules les villes de moins de 5 000 habitants n’ont pas de « vrai cinéma ». Cela signifi e que les forains montrant des fi lms doivent faire face à une concurrence redoutable dans les villes moyennes ou les métropoles. Par contre, leurs circuits continuent, pour les plus acharnés jusque dans les années 1920 ou 1930, dans les plus petites villes et les campagnes (par exemple en Bretagne). La guerre entraînant de fortes contraintes, les tourneurs et les forains deviennent souvent des exploitants de salles fi xes. Dans son ouvrage sur les banquistes, Garnier écrit régulièrement des phrases du type : « le Cinéma Stevens fut exploité en 1913 et 1914 par Mme Polydor Stevens devenue veuve. Sa carrière prit fi n à la déclaration de guerre 8. » Ou bien :

• 7 – Frédéric Saisset et H. Dupuy-Mazuel, Le Double crime, Paris, 1910. Cité in R. Noell, op. cit., p. 10.• 8 – Garnier, op. cit., p. 325.

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« La guerre devait interrompre cette brillante carrière à Montargis. Les Grenier instal-lèrent leur cinéma dans la salle de l’Alhambra de cette ville 9. » Les parades foraines, et les bruits autour des baraques diff usant des vues cinématographiques, ne se font plus entendre en aussi grand nombre. Avec la Première Guerre mondiale, ce bruit parasite envahissant les cinémas forains disparaît peu à peu. Cela est également dû à l’électrifi cation du territoire. Les énormes « locomobiles » et autres dynamos, dont nous avons démontré l’importance, disparaissent, et leur vacarme s’éteint.

Les aboyeurs continuent leur travail à l’extérieur des salles en dur. Les petites annonces permettent de tracer les déplacements de ces experts de parade qui se sédentarisent. Les quelques exemples de plaintes que nous avons trouvés, sans avoir pu faire une recherche exhaustive dans les archives municipales de toutes les villes françaises, montrent que les cris publicitaires des salles fi xes ou tempo-raires sont très nombreux entre 1907 et 1914. Il semble qu’un bonisseur était systématiquement placé devant les salles passant des fi lms avant 1914, comme le disent des lettres envoyées au préfet du Rhône. L’institutionnalisation de la « salle de cinéma », lieu de loisir clairement identifi é comme tel après 1914, entraîne une baisse de la publicité sauvage eff ectuée de vive voix sur les passants. Mais en 1923, à Lyon, des plaintes prouvent qu’un crieur restait encore en faction devant le cinéma Modern-Th eater repris par Mme Chazelle 10.

L’utilisation du terme « cinéma » pour désigner la salle fi xe qui ne passe que des fi lms se répand pendant la période 1907-1914. Si au moment de la guerre, tous les Français savent ce que c’est que « d’aller au cinéma », les aboyeurs dans la rue ne disparaissent que progressivement puisque la revue promotionnelle de la fi rme au coq, Pathé-Journal écrit encore, en 1916, que le bonisseur peut faire entrer les badauds dans les cinémas 11. Cette recommandation s’adresse aux directeurs des salles Pathé.

Les conférenciers et bonimenteursLes conférenciers, à l’intérieur des salles commerciales, semblent avoir disparu,

à Paris, avec la fi n de la Première Guerre mondiale. Serait-ce la généralisation des orchestres, ou des pianistes qui entraîna la fi n de la concurrence avec l’ex-plicateur de vues ? La multiplication des systèmes de bruitages peut avoir gêné ces « acteurs ». Peut-être que le long métrage ne demandait plus de complément auditif, ou qu’il était trop fatigant à commenter… en France. Néanmoins dans les villages et les petites bourgades, le commentaire des fi lms continue dans les plus

• 9 – Ibidem, p. 330.• 10 – Plainte d’un riverain, P.V. du 18 novembre 1923, Archives Municipales de Lyon. L’aboyeur a été autorisé à continuer. Merci à Bérénice Meinsohn.• 11 – Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 388.

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petites exploitations itinérantes 12. Au Canada ou en Extrême-Orient, les boni-menteurs et les Benshis fi rent les beaux jours du cinéma des années 1920, comme l’a montré l’étude de Germain Lacasse. Le terme de conférencier semble avoir été choisi par les tourneurs qui « faisait la conférence » et ils n’appréciaient guère d’être appelé « bonimenteur » en France 13. Dans certains cas, ils faisaient toutes les voix des personnages à l’écran, tel un benshi français. Mais dans bien des cas (petites salles de quartier, loges de foire), le « boniment » reste une défi nition valable. Les séances pouvaient être « interactives » car le public pouvaient participer, se moquer, au grand dam du conférencier / bonimenteur. Des recherches restent à faire pour savoir si les conférenciers persistèrent dans les provinces françaises (comme cela semble être le cas en Bretagne), mais Le Cinéma du 7 avril 1916, affi rme que la guerre a porté le dernier coup aux conférenciers car « on n’en trouve plus à Paris ».

La voix pédagogique continue à se faire entendre du public avec des fi lms muets, montrés aux élèves jusqu’aux années 1950. Le Répertoire des fi lms de l’en-cyclopédie Gaumont sorti en 1929 montre que la pratique des enseignants face aux fi lms n’a pas variée, des années 1900 aux années 1930. Les fi lms eux-mêmes pouvaient être utilisés pendant plusieurs décennies. La voix professorale procède de la même façon en 1908 ou en 1928. En dehors du cadre scolaire, les conférenciers présentant leurs fi lms de voyage, n’ont pas changé de méthode entre les années 1900 et… aujourd’hui. Dans de nombreux cas, le fi lm reste encore muet pour permettre d’apprécier la voix de l’orateur-voyageur. Ces présentations étaient très populaires pendant la Belle Époque, et « connaissance du monde » reste un circuit rentable pour les conférenciers-cinéastes qui continuent dans cette voie.

Persistance et modifi cation des pratiquesAu total, certains phénomènes persistent depuis 1895, alors que d’autres sont

modifi és à partir de 1907. Le fi lm reste, du point de vue du spectateur qui visite tous les types de salles, une attraction comme une autre. Arlaud précise « par défi nition même, il [le « cinéma-distraction »] n’était pas le spectacle. […] On allait au cinéma comme on va faire un tour de balançoire 14 ». Cette attraction continue au milieu des années 1900 à n’être qu’une curiosité parmi d’autres dans bien des endroits. Si la structure du spectacle change, ainsi que le contenu des

• 12 – « Ce devait être après la guerre […] sur la place du village de Bourgogne où nous allions en vacances, il y avait un bonhomme qui venait avec son appareil […]. Il tournait un appareil […] mais en plus il commentait cela au fur et à mesure qu’il voyait les choses ». Témoignage retranscrit in Micheline Gaita, op. cit., p. 48.• 13 – Arlaud, op. cit., p. 76.• 14 – Arlaud, op. cit., p. 59.

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fi lms, les sons restent les mêmes. Encouragé par les cris des aboyeurs, en parade sur les foires, ou en faction devant des salles, le spectateur lambda entre aussi bien dans un music-hall ou un café-concert que dans une salle qui ne passe plus que des fi lms. Des centaines de « concerts », salles de spectacles polyvalentes, dans toute la France diff usent des fi lms dans leur programme, pendant quelques mois comme bouche-trou, ou comme attraction régulière. Cet aspect de la diff usion persiste et s’amplifi e sur toute notre période. Les vues cinématographiques sont donc entourées de tous les cris, bruits, musiques, chansons, liés à ces lieux de spectacles. La multitude de lieux où les fi lms sont montrés explique la variété des sons « parasites » ou « voulus » qui « accompagnent » ces vues. L’alliance de la boisson et du cinématographe ne disparaît pas avec la Première Guerre mondiale et le bruit des verres perdure après 1918. Les projections de fi lms dans les bars peuvent sans doute être comparées aux écrans de téléviseurs dans les bistros et les restaurant d’aujourd’hui 15. Le volume sonore dans un bar à une heure de forte affl uence reste élevé, aujourd’hui comme à la Belle Époque, et ce n’est pas dû au son accompagnant les « images mouvantes ».

À la fi n de notre période, le rituel hebdomadaire « d’aller au cinéma » semble se mettre en place partout en France. Le cinéma devient un lieu social où l’on peut retrouver ses amis, le samedi soir ou le dimanche après-midi 16.

Différenciation des musiques (et chants)en fonction des fi lms ?

Dans certains lieux, les musiques appropriées changent selon les fi lms. Mais music-hall, grand cinéma, petite exploitation, skating, forain… chacun garde ses spécifi cités musicales jusqu’à la guerre. Les fi lms les plus variés étaient accom-pagnés par des musiques et des sons de tous types avant le développement des grandes salles spécialisées, et parfois par aucune musique. Quand le long métrage mélodramatique, le « fi lm d’art » et les peplums commencent à avoir du succès, les grandes salles font des eff orts pour l’accompagnement musical. Même des salles moyennes, mais avec des musiciens, expliquent qu’elle font écouter une musique écrite pour ce type de fi lm, comme par exemple dans le Vaucluse 17. De plus en plus de ténors et de sopranos sont priés de chanter pendant les moments cruciaux du fi lm. Notre étude prouve l’importance du chant d’opéra dans les salles. Ce point a été, jusqu’à présent, ignoré des histoires du cinéma. Pendant la

• 15 – Ces télés allumées, où des vidéo clips musicaux défi lent dans l’indiff érence des clients atta-blés, ont un son couvert par les conversations.• 16 – Yves Chevaldonné, Nouvelles Techniques et culture régionale, op. cit., p. 107-112.• 17 – Ibidem, p. 94.

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période de légitimation du spectacle cinématographique, les liens avec l’opéra se multiplient. Mais une petite salle de quartier ne pourra pas payer une cantatrice, même si la salle parvient à obtenir un fi lm prestigieux, de longues semaines après sa concurrente du centre ville. Dans ce cas, comme chez les forains les plus pauvres, l’accompagnement musical, ou à la voix, demeure le même quel que soit le fi lm. Les sons « appropriés » restent réservés aux exploitants ayant les moyens de se payer un orchestre, un conférencier de qualité, un système de synchronisation, ou autre. De plus, les bruits extérieurs continuent d’envahir la plupart des lieux où sont montrés les fi lms. Le statut du lieu de présentation explique les diff érences entre les accompagnements sonores des fi lms. Enfi n, la résonance de la salle, qui donne à la musique, aux voix et aux bruits un écho particulier, doit être prise en compte pour saisir ce qu’entendait le public.

Domestication du spectateur ?La modifi cation du comportement des spectateurs se produit en fonction des

ouvertures de salles spécialisées. Au lieu de retrouver toutes les classes sociales dans une baraque foraine (avec des prix d’entrée diff érenciés entre 1res et 2ndes), les plus riches prendront régulièrement des loges dans les grandes salles de centre ville, alors que les plus pauvres iront chaque samedi soir dans leur « cinéma de quartier ». Mais cette évolution ne s’est pas faite en une quinzaine d’année. Il a fallu plus de temps pour forger ces habitudes, même si la construction des salles de banlieue commence dans les années 1912-1914. Nous sommes d’accord avec François Garçon sur l’idée que les diff érentes classes sociales se trouvent dans les mêmes séances, quand il signale que la plupart de salles réserve une partie de leurs places à un public plus faubourien « qui assistera debout au spectacle 18 ». Les grandes salles atmosphériques, qui se construisent à partir de 1912, garderont longtemps des « promenoirs » d’où on peut voir l’écran en se tenant à une rambarde, pour une somme modique. Cette pratique a perduré jusqu’aux années 1950 dans certaines salles, et au moins jusqu’à la fi n des années 1920 dans la plupart. Cela signifi e que les bavardages continuent, facilités par la proximité physique le long de ces galeries. Pourtant, à partir des années 1910, les salles Gaumont diff usaient dans leur programme les « dix commandements du bon spectateur » qui recommande : « les titres tout bas tu liras » et « comme au théâtre à la fi n, tu applaudiras ». Il y a bien une certaine « domestication du spectateur » qui est obligé au silence, progressivement, dans les salles qui tien-

• 18 – François Garçon, La Distribution cinématographique en France 1905-1957, CNRS, 2006, p. 16.

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nent à leur standing. Mais cette « disciplinarisation » nous semble très éloignée de la description qu’en fait Jonathan Crary à la fi n de son ouvrage l’Art de l’ob-servateur. La machine panoptique de Foucault correspond à la description des éléments structurellement « répressif », comme l’école, l’hôpital psychiatrique ou la prison du xixe siècle (encore que cette vision soit parfois contestée 19). Quand Crary applique ce schéma au public du fi lm, il parle de « standardisation de l’observateur », mais il ne se base sur aucun étude spectatorielle. La profusion des témoignages d’attitudes participatives des publics de la Belle Époque, que nous avons trouvé, remet en cause cette vision pessimiste. Heureusement, à la toute fi n de son ouvrage, le chercheur américain laisse une autre possibilité d’interpré-tation en parlant de « subjectivité de l’observateur », « nouveau pouvoir sur le corps » et « autonomie de la vision 20 ». Quand le public peut infl uencer la séance par ses interventions, interpeller le bonimenteur, se moquer du bruiteur, etc., il n’est pas assujetti à une machine. Le plaisir artistique partagé des spectateurs montre que le public est actif et le « cinéma » un spectacle vivant 21. C’est sans doute un des spectacle les plus démocratiques. Toutes les classes sociales vont voir les mêmes fi lms, même si, au cours des années 1910, ce n’est plus toujours dans le même lieu. Comme Miriam Hansen, Catherine Russell, Giuliana Bruno, ou Lauren Rabinovitz, on peut parler de public en mouvement 22. Le fl âneur et la fl âneuse, interpellés par un aboyeur, entrent voir un fi lm, se déplacent entre le promenoir et le bar pendant la séance, participe au bruit en discutant. L’expérience partagée, décrite par John Dewey, donne une satisfaction intense à chaque spectateur qui exprime son plaisir de façon sonore.

Le projectionniste, prenant en compte les desideratas de son public, peut modi-fi er l’ordre du programme tant que les fi lms ne sont pas des longs métrages. Jusqu’à la Première Guerre mondiale, le projectionniste reste l’auteur de la séance (avec parfois l’intervention du directeur ou du chef d’orchestre), accélérant ou ralentis-sant, coupant et remontant les fi lms. Le conférencier, on l’a vu, réagit en fonction de l’attitude de son public. Il est lui aussi un artiste de la séance, modifi ant son

• 19 – Andrew Scull, Madhouse. A tragic Tale of Megalomania and Modern Medicine, New Haven, Yale University Press, 2006.• 20 – Jonathan Crary, L’Art de l’observateur. Vision et modernité au XIXe siècle, Nîmes, Jacqueline Chambon, 1994, p. 206.• 21 – Jean-Marc Leveratto, Introduction à l’anthropologie du spectacle, La Dispute, 2006.• 22 – Miriam Hansen, Babel and Babylon : Spectatorship in American Silent Film, Cambridge, Harvard University Press, 1991. Catherine Russell, « L’historiographie parallaxiale et la fl âneuse : le cinéma pré- et postclassique », Cinémas, « Intermédialité et cinéma », vol.10, n° 2-3, printemps 2000, p. 151-168. Lauren Rabinowitz, For the Love of Pleasure. Women, Movies and Culture in Turn-of-the-Century Chicago, New Brunswick, Rutgers University Press, 1998. Giuliana Bruno, Streetwalking on a Ruined Map : Cultural Th eory and the City Films of Elvira Notari, Princeton, Princeton University Press, 1993.

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discours s’il perd l’attention de l’auditoire. Le tourneur Régnault « refabrique » les histoires selon son public 23.

Nous avons montré l’importance de la « séance » comme unité fondamentale. Chaque séance a son unicité. Un même fi lm passera dans des conditions d’accompa-gnement sonore très diverses lors de son périple dans toute la France. C’est pourquoi nous avons basé notre étude sur la perception des bruits, et non sur la réception des fi lms. Chaque séance a son public. Chaque séance varie selon l’attitude du public, la dextérité du projectionniste, la fatigue du conférencier et des musiciens. Nous avons montré l’infi nité des accompagnements possibles. La séance se conçoit en interaction entre organisateurs et participants. Nous pouvons associer les termes de « séance » et de « performance », du fait de l’unicité des expériences à chaque fois. Alain Boillat utilise les mots de Paul Zumthor, spécialiste de la poésie médiévale, pour décrire la performance 24. L’auditeur fait partie intégrante de la performance. L’unicité du spectacle s’explique par la « présence physique » et la « communion » des participants. Nous souscrivons totalement à ces notions car nous avons montré à quel point le corps participe du plaisir de la séance avec projection.

Les observations des manifestations bruyantes des publics, dans un environne-ment très sonore, nous montre un monde cinématographique éloigné des consi-dérations alarmistes d’Adorno, Horkheimer et les théories de « manipulation des foules » de l’école de Francfort. Comme le souligne Emmanuel Ethis, aucune observation empirique n’a démontré ces théories 25. Au contraire, l’aspect vivant et turbulent des séances de la Belle Époque montre un spectateur émancipé 26. Le spectateur contrôle parfois la séance et infl uence souvent les « organisateurs ».

Ce spectateur est-il déjà passé à une consommation fi lmique solitaire, dans la première moitié des années 1910, comme le suggèrent Gaudreault et Châteauvert ? En réalité, dans la plupart des lieux où l’on peut voir des fi lms (bars, cirques, foires de villages, petites salles de quartier), jusqu’en 1914, au moins, nous avons constaté que la consommation de fi lm reste sur un « mode solidaire 27 ». Il est diffi cile pour les exploitants de nier le « droit au bruit revendiqué par les commu-nautés », pourrions-nous dire en prenant les mots d’Alain Corbin parlant des cloches 28. Les applaudissements sont toujours nécessaires au bon déroulement des projections (à chaque interruption de programme, au moins, à chaque exploit

• 23 – Arlaud, op. cit., p. 76.• 24 – Paul Zumthor, Performance, réception, lecture, Longueuil, les Éditions du Préambule, 1990.• 25 – Emmanuel Ethis, op. cit., p. 11.• 26 – Jacques Rancière, le Spectateur émancipé, La Fabrique, 2008.• 27 – Jean Châteauvert et André Gaudreault, « Les bruits des spectateurs ou : le spectateur comme adjuvant du spectacle », in Abel et Altman (dir.), op. cit., p. 295-302.• 28 – A. Corbin, Les Cloches de la terre, op. cit., p. 17.

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vocal du chanteur, aussi). Les cris et bavardages font parties de l’habitude specta-torielle et ne disparaissent que dans les lieux les plus sélects (très grandes salles). La vie du quartier (qui se retrouve dans « sa salle »), du village, continue face aux fi lms. À la Belle Époque, comme aujourd’hui, Le public n’existe pas 29. Les publics changent d’un lieu à un autre, et sont hétérogènes, dans chaque salle. Les sons dans la salle sont, eux aussi, très variés. Chaque séance est une co-création du spectacle entre ceux qui l’organisent, et ceux qui y assistent, et y participent (et ne nous semblent pas en état de « dépendance » vis-à-vis des « industries cultu-relles »). Criant, applaudissant, le spectateur perçoit de façon intense des émotions démultipliées par la présence physique des chanteurs, conférenciers, musiciens ou bruiteurs dans la salle, et par sa propre participation « somaesthétique ». Ce concept de somaesthetic (en anglais) développé par Richard Shusterman en s’ins-pirant des théories pragmatistes de Dewey, permet de penser l’exercice intégré du corps et de l’esprit 30. L’art cinématographique de la Belle Époque est pleinement intégré à la vie, du fait des interactions entre la salle et le spectacle. Tout le corps du spectateur réagit (voix, applaudissements) dans un environnement fondé sur la présence physique des organisateurs (musiciens, conférenciers).

À partir des années 1910, on trouve, selon les lieux, une forme de régulation des comportements bruyants des publics. En se basant sur le son, on constate la fi n progressive d’un monde du spectacle. La série culturelle commencée avec les lanternistes, maîtres de leurs projections, parlant à leur public, accompagné d’un musicien, dans laquelle s’inséraient les projections de fi lm, s’arrête. Un type d’ac-compagnement disparaît peu à peu 31. La standardisation des projections a pour conséquence la fi n d’une certaine sensibilité aux voix. Les publics apprennent à changer d’attitude, selon le lieu où ils se trouvent. Mais le partage bruyant des émotions intenses continue d’exister dans de nombreux endroits.

Accents, espaces sonores et culture de masse

« Pour de nombreux auteurs, la Première Guerre mondiale est le véritable moment où se constituent les cultures nationales. Elle met fi n aux terroirs ruraux comme espace de référence pour les combattants et leurs familles en rompant défi nitivement l’enclavement mental des campagnes. Le brassage des hommes conduit à l’élaboration d’une culture commune extrascolaire, que la

• 29 – Esquenazi, Sociologie des publics, op. cit.• 30 – Richard Shusterman, op. cit.• 31 – Même si on peut voir une survivance des bonimenteurs / conférenciers dans les voix over, comme l’explique Alain Boillat, Du bonimenteur à la voix-over, op. cit., 2007.

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presse puis la radio entretiennent. S’achève ainsi le mouvement de démocrati-sation du savoir, tandis que commence celui de massifi cation de la culture 32. »

La guerre fut une rupture culturelle importante, mais la transmission rapide de l’information, pendant toute la Belle Époque, tendait déjà à unifi er les mentalités, à diff user des modes. Dès la fi n du xixe siècle, la poste, le télégramme, le téléphone avec la presse diminuent les particularismes locaux. C’est à cette date que se créent les groupes folkloriques chargés de perpétuer le souvenir (mythifi é) des costumes régionaux (qui se bloquent alors dans une tradition parfois recréée) 33. Les fi lms diff usés sur tout le territoire, plus encore que les journaux et imprimés distribués plus localement, ont déjà permis le développement d’une culture extrascolaire. Les mêmes images documentaires tournent dans toute la France. Les mêmes chanteurs font rires avec les mêmes airs comiques tous les Français. Les vedettes se déplacent rapidement d’une ville à une autre grâce au train et aux voitures automobiles. Quand Jacques Portes décrit les réseaux de « Vaudeville Th eaters » américains, qui proposent un assemblage de séquences variées autour d’une vedette, il n’est pas loin de ce qui se passe dans les « concerts » français. Aux USA, les cinq réseaux régionaux de salles sont fournis en attractions par des agences centralisées. Les 1 000 salles sont pourvues régulièrement en nouveaux spectacles en 1900 34. Si la France compte moins de salles, autour de 400, ayant une capacité de 500 places chacune, avec des salles de 1000 à 2000 places dans les plus grandes villes, le principe de la variété des spectacles dans chaque salle est assez proche du système américain. Sur un programme de 2 à 3 heures, on compte 30 attractions durant 10 minutes35. Déclamation, chants, magie, dressage d’animaux, voisinent avec le « cinéma ». Certaines salles se spécialisent pendant un temps, puis, de nouveau, reprennent des tournées variées de type music-hall. Si les vedettes ne venaient pas présenter leurs œuvres dans chaque région, comment aurait-on vendu, en 1914, plus de 2 millions d’exemplaires de la chanson « Frou-Frou » ? La culture de masse existe déjà36. Ces tournées d’artistes sur scènes, dans toute la France, coexistent avec la circulation des fi lms parlants et chantants. Ces derniers ne suppriment pas la présence des chanteurs devant le public. En 1893, les caf ’ conc’ ont une recette totale de 32,5 millions de Francs. En 1913, ces salles gagnent 69 millions de

• 32 – Fabrice d’Almeida et Frédéric Attal, « Culture populaire, culture de masse et encadrement partisan », in François Guedj et Stéphane Sirot (dir.), Histoire sociale de l’Europe. Industrialisation et société en Europe occidentale, 1880-1970, Seli Arslan, 1997, p. 379.• 33 – Jean Kogej, Économie et technologie de 1880 à 1945, Ellipses, 1996, p. 59-65.• 34 – Jacques Portes, « l’Horizon américain », in Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli, La Culture de masse en France de la Belle Époque à aujourd’hui, Fayard, 2002, p. 32 sq.• 35 – Ludovic Tournés, « Reproduire l’œuvre : la nouvelle économie », in Rioux et Sirinelli, ibidem, p. 223 sq.• 36 – Jean-Yves Mollier, « Le Parfum de la Belle Époque », in Rioux et Sirinelli, ibidem, p. 99.

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Francs 37. La culture ouvrière, et paysanne, devient commune à tous les Français, petit à petit. Les phonoscènes et autres vues synchronisées participent de cette unifi cation de la culture. Les chansons entendues avec l’accent parisien dans la plupart des fi lms parlants commencent sans doute déjà à gommer les particu-larismes des accents locaux. Avec le disque, mais pour un public plus vaste, ces courts fi lms chantés anticipent sur la diff usion radiophonique d’une même façon de prononcer le français.

Le plus important nous semble-t-il, au terme de cette recherche, demeure la réussite commerciale évidente des systèmes de synchronisation, l’hétérogénéité fondamentale des accompagnements sonores (souvent discontinus), la participa-tion physique des spectateurs et le fond sonore parasite qui s’entend plus fort que les sons « appropriés ». Les appareils, plus ou moins synchrones (mais nous avons montré que cela importe peu au public), couvrent la France. Les vues synchroni-sées, dès la première mode de 1904-1906, deviennent une attraction régulière des programmes de fi lms. Quel Français fréquentant des salles, ou baraques foraines, avec projections, aurait-il pu échapper aux vues synchronisées entre 1907 et 1914 ? Le nombre de cartes postales de loges foraines proposant des fi lms synchronisés est une preuve de plus de la popularité de ces systèmes. Ces petits fi lms nous semblent, après cette enquête, indubitablement liés au succès général des projections, et des spectacles. L’historien de la Belle Époque retient, pour l’activité culturelle de la période, l’apogée du prestige du théâtre français. « Jamais sans doute le théâtre en France n’a eu autant d’adeptes. Entre 1860 et 1913 le nombre de salles de théâtre est passé de 34 à 121, soit une proportion sans commune mesure avec l’accrois-sement de la population parisienne 38. » Michel Winock cite l’Odéon, aussi bien que la Renaissance, le Gymnase, la Porte Saint-Martin, les Variétés, le Vaudeville. Or, ces théâtres abritent aussi bien des pièces populaires, que des chansons, et, nous l’avons vu, des fi lms, et presque dans chacun de ces établissements, des vues synchronisées. Cela ne signifi e pas la mort des pièces de théâtre. Elles continuent de rapporter des fortunes, comme Cyrano de Bergerac de Rostand ou Les Aff aires sont les aff aires d’Octave Mirbeau 39. Le théâtre est alors un lieu polyvalent. Chaque semaine amène des attractions diff érentes. Diff érencier les music-halls, des théâtres populaires, et des salles qui passent souvent des fi lms est assez diffi cile, malgré une nette spécialisation de certaines salles de « cinéma » après 1907. Si on observe

• 37 – Idem, p. 98. La somme de 69 millions de Francs équivaut à 215 millions d’euros en 2002.• 38 – Winock, op. cit., p. 370.• 39 – Dès 1900, Cyrano aurait rapporter 600 000 francs, soit 1,5 million d’euros, alors que la pièce ne fut créée qu’en décembre 1897, et la pièce de Mirbeau lui aurait fait gagné 300 000 francs, nous dit Michel Winock, ibidem, p. 370-375.

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particulièrement l’histoire du son des spectacles, la diff érenciation est encore plus délicate. La musique jouée pour accompagner une revue satirique ressemble beau-coup à celle que joue le même orchestre pour un fi lm comique.

Nous avons donc tenté d’approcher d’une histoire des espaces sonores spécia-lisés dans les spectacles. Ce n’est qu’un début, car comme le note Alain Corbin, « curieusement, cette histoire [des espaces sonores] a, en eff et, été presque totale-ment négligée. Il convient de souligner cette relative désinvolture à l’égard de ce qui animait l’environnement – puisque le bruit accompagne le mouvement – et l’oubli du pouvoir d’évocation des sonorités disparues, tant souligné naguère par les romantiques, notamment Chateaubriand et Michelet 40 ».

Nous espérons donc, avec ce travail, avoir contribué à l’histoire du cinéma comme pratique, plus que comme art 41, à l’histoire du plaisir spectatoriel et aussi à une histoire des espaces sonores. Pour appréhender cette histoire du sensible, nous devons aussi nous rappeler que ces espaces résonnaient d’une façon diff é-rente de celle de nos cinémas actuels. Les vastes espaces, brasseries avec verrières, paquebot cinématographique comme le Gaumont-Palace, ou salles de murs nus avec quelques bancs de bois, toutes donnaient une résonance avec échos comme dans un hall de gare. Le sommet de ce son amplifi é par réverbération étaient atteint dans les chapelles et églises transformées en cinémas. Que ce soit à cause des lois de laïcisation de 1905, ou depuis la Révolution, des nefs religieuses conte-nant jusqu’à 800 personnes (Féeric Cinéma, ex-monastère de Saint-Antoine de Padoue à Paris, Omnia Pathé de Rennes 42) sont devenues des lieux de projections. La bourse du commerce de Soissons, en 1913, ou la salle des fêtes de l’Union à Limoges (où 2 000 ouvriers des fonderies prenaient place) étaient de vastes espaces où le moindre accompagnement musical ou vocal se développait comme dans une église. Ces exemples nous aident à comprendre à quel point les séances avec fi lms sont diff érentes de ce que nous connaissons aujourd’hui.

Une des raisons pour lesquelles l’environnement sonore des projections de fi lms n’avait pas été complètement pris en compte provient de la dispersion des sources. Dans un journal corporatif d’exploitants de cinéma, on trouve la descrip-tion d’une « revue de music-hall » intégrant des fi lms. Dans le magazine corporatif des music-halls, on apprend que des chanteurs accompagnent des fi lms dans une salle spécialisée, qu’on pourrait déjà appeler « cinéma ». Cette dernière information

• 40 – Alain Corbin, « Du Limousin aux cultures sensibles », in Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli (dir.), Pour une histoire culturelle, Le Seuil, 1997, p. 109.• 41 – Christian-Marc Bosséno, « Le Répertoire du grand écran : le cinéma par ailleurs », in La Culture de masse en France, op. cit., p. 159-161.• 42 – Meusy, Cinémas de France, op. cit., p. 153 sq.

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ne se trouve ni dans la presse locale, ni chez les corporatifs « de cinéma ». Nous espérons avoir démontré, avec de nombreux exemples, que le paradoxe de cher-cher les sons « du muet » n’est qu’apparent. Cette recherche sur la multiplicité des accompagnements sonores permet de comprendre l’émotion du public, la partici-pation des spectateurs, le plaisir physique partagé face au fi lm et il serait intéressant de continuer des investigation dans ce domaine sur les périodes suivantes.

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Documents de première mainCollection de revues utilisées

Les revues, quotidiens et périodiques diverses cités dans notre travail, sont trop nombreux pour être tous replacés en bibliographie. Nous ne donnons ici que les titres les plus utilisés.Les Annales foréziennes, Saint-ÉtienneLe Carillon lyonnaisCiné-JournalLe CinémaLe Cinéma et l’écho du cinéma réunisCinéma RevueComœdiaLe Courrier cinématographiqueLe Courrier du Centre, LimogesL’Éclaireur de NiceLe FascinateurLes Grands dossiers de l’Illustration : le cinéma, Paris, Édition le livre de Paris, 1987.

(Reproduit les articles de L’Illustration, entre 1895 et 1939).L’Indicateur de la photographie, A. Lahure Imprimeur Éditeur, 1906L’Industriel forainLe Journal de VillefrancheLa Loire Républicaine, Saint-ÉtienneLyon RépublicainMoving Picture WorldLe Nouvelliste des concerts, cirques et music-hallsLe Nouvelliste de LyonPhono-Ciné-GazetteLe Progrès, LyonRive-gauche, LyonLa Tribune républicaine de Saint-Étienne

Informations compilées à partir des journaux locaux (L’Éclair, Le Télégramme, Le Publicateur) par la Société de Musicologie de Languedoc, à Béziers. Disponible sur le site Internet de cette Société (actif de 2003 à 2006).

Autres documents de première main et souvenirs des témoinsArchives départementales du Rhône.Archives municipales de Lyon.

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Archives Municipales de Villefranche-sur-Saône.Archives municipales de Villeurbanne.Fonds Rondel, bibliothèque de l’Arsenal.

Catalogue : Anciens Établissements Pathé Frères Service du Cinématographe : Appareils et accessoires, avril 1905.

Catalogue, Le Cinématographe parlant et chantant par le Synchrophone Universel, système H. Gentilhomme, Paris, 1909, 38 pages. Fonds Rondel, Rk649.

Catalogue Gaumont de janvier 1908, reproduit in Cahiers de la cinémathèque, n° 63-64, décembre 1995, p. 129-130.

Rodolphe-Maurice Arlaud, Cinéma-Bouff e. Le cinéma et ses gens, Éditions Jacques Melot, 1945.

Blaise Cendrars, Les Confessions de Dan Yack, Denoël, 1929.Charles Chancy, « Le Phono-Ciné, un art nouveau, une industrie nouvelle. Les

initiateurs : Gaumont, Mendel, Pathé et X… Quatre système de synchronisme du Cinématographe et du Phonographe », in Phono-Ciné-Gazette, n° 34, 15 août 1906.

Charles Chancy, « Le Phono-Ciné en plein jour », Phono-Ciné-Gazette, n° 58, 15 août 1907.

G.-Michel Coissac, Manuel pratique du conférencier-projectionniste, Bayard, 1907.Cinéma, annuaire de la projection fi xe et animée, Annuaires Charles Mendel éditeur,

1911.Henri Diamant-Berger, Il était une fois le cinéma, Jean-Claude Simoëns, 1977.Georges Dureau, « Les bruits de coulisse au cinématographe », Ciné-Journal,

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Phonograph & Gramophone Society/Symposium Records, 1991.Henry Fescourt, La Foi et les montagnes, Paul Montel, 1959.Eve Francis, Temps héroïques, Denoël, 1949.Louis Feuillade, Retour aux sources. Correspondance et archives, édition établie par

Alain Carrou et Laurent Le Forestier, Association Française de Recherche sur l’Histoire du Cinéma / Gaumont, 2007.

Jean Follain, Canisy, Gallimard, 1942.H. Fourtier, La Pratique des projections, tome II : les accessoires, la séance de projec-

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personnes qui s’intéressent à la cinématographie, Paris, Édition du Courrier ciné-matographique, sans nom d’auteur, sans date, mais probablement 1910 ou 1911.

Félix Mesguich, Tours de manivelle. Souvenirs d’un chasseur d’images, Grasset, 1933.Jean-Paul Sartre, Les Mots, Gallimard, 1964.Stefan Zweig, Le Monde d’hier, Belfond, 1982.

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Étienne, 1952.-M. Bruel et F. Perrut, Villefranche ancien, Villefranche au XXe siècle, Villefranche-

sur-Saône, Syndicat d’initiative de Villefranche, 1971.Jacqueline Cartier, Monsieur Vanel, Robert Laff ont, 1989.Michel Chion, L’audio-vision, Nathan, 1992, réed A. Colin 2005.Julien Green, Partir avant le jour, 1963, in Jeunes années, Seuil, 1992.Gustave Kobbé, Tout l’opéra, Robert Laff ont, 1982.Film de Éric Lange et Serge Bromberg, Les Premiers pas du cinéma : le son,

Lobster Production, 2004.Jérôme Prieur, Le Spectateur nocturne. Les écrivains au cinéma, une anthologie,

Cahiers du cinéma, 1993.

Sites InternetLe site de la Bibliothèque du Film, [bifi .fr].Le site Internet de l’AFRHC, [afrhc.fr].Le site Internet de l’association de musicologie de Languedoc (Béziers). Site actif

entre 2003 et 2006 [musicologie-languedoc.net]Le site des archives de Pathé et Gaumont, [gaumontpathearchives.com.].

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Index des noms

– A –Abel, Richard : 10, 12, 18, 21, 25, 111,

142, 171, 190, 268, 269, 277, 278, 279, 280, 282

Adrian, Paul : 40, 58, 205, 236, 237, 276

Alençon : 98Alsace : 72, 73, 79, 110, 175Altman, Rick : 10, 12, 16, 24, 28, 45,

50, 93, 111, 114, 135, 136, 137, 141, 144, 164, 171, 183, 190, 269, 282, 283, 284

Amiens : 87, 94, 141, 143, 144, 190, 205

Annemasse : 98, 99Aquitaine : 69, 70, 94Arcachon : 64Arambourou : 199Arlaud, Rodolphe-Maurice (Jean

Pelleautier dit) : 41, 42, 108, 124, 127, 144, 265, 269, 286

Arles : 193Arnoldy, Édouard : 16, 20, 186, 229,

278Arras : 193

Aurora, Blaise : 41, 45, 54, 57, 58, 68, 69, 79, 96, 100, 102, 107, 123, 165, 219, 236, 280

Auxerre : 194Avranches : 194

– B –Barat : 122, 123, 177Baron, Auguste : 19, 199, 284Beaune : 78Beausoleil : 157Bellon, Léopold : 103, 104Benoit-Lévy, Edmond : 103Bérard, Adolphe : 146, 223Berardi : 171Béraud, Henri : 43, 286Berneau, Pierre et Jeanne : 10, 26, 44,

55, 56, 57, 58, 63, 64, 69, 70, 73, 75, 77, 156, 162, 163, 164, 165, 174, 177, 178, 179, 204, 222, 243, 244, 245, 246, 280, 281

Bernhardt, Sarah : 201Berthon : 200Besançon : 94, 190Béziers : 19, 52, 67, 77, 81, 86, 147,

169, 180, 208, 234, 285, 287

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Biarritz : 81, 166Bidel : 48, 55, 56, 57, 58, 122, 207,

277Bizet, Georges : 181Boillat, Alain : 17, 49, 144, 145, 269,

270, 275, 283Bordeaux : 69, 81, 85, 124, 128, 169,

280, 281, 282Botrel, Th éodore : 178Boulogne-sur-Mer : 99, 101Brelier : 41Brest : 86Bretagne : 12, 64, 110, 236, 263, 282Bruant, Aristide : 31Burch, Noël : 106, 278

– C – Caen : 87, 141Calais : 205Camby : 40Camors : 47Cannes : 94Caradec, François : 111, 129, 277Caran d’Ache, (Poiré, Emmanuel dit) :

30, 31, 32Carcassonne : 80Carré, Michel : 158, 170Caruso, Enrico : 63, 210, 240, 241Cas : 166Cendrars, Blaise : 84, 116, 135, 136,

286Chalon-sur-Saône : 39, 77, 134, 202Châlons-sur-Marne : 62Chamonix : 102, 166Chamu : 47, 227Chancy, Charles : 83, 213, 220, 286Chaplin, Charlie dit Charlot : 84, 116Charlieu : 196Chartres : 38, 43

Châtellereault : 141Chevaldonné, Yves : 30, 73, 76, 142,

266, 281Chevalier, Maurice : 60, 94Clair, René : 33, 60Clam : 205, 237Clermont-Ferrand : 173, 144, 195Coissac, Georges-Michel : 88, 90, 91,

103, 104, 105, 216, 236, 256, 278, 286

Colomès, Lucien : 118Coquelin : 200, 201, 202Corbin, Alain : 23, 24, 263, 269, 273,

275, 276Corse : 110Couade : 253, 256Courteline, Georges (Georges Moineaux

dit) : 175, 222Crary, Jonathan : 268, 278Creusot : 59Cusin-Berlincourt : 102

– D – Dalbe, Georges : 92, 93Dalbret : 245, 246, 253Daw ou Daüe : 164De la Vaulx : 142Dearly, Max : 146Delacommune, Charles : 134Delluc, Louis : 137Déroulède, Paul : 198, 212Deslandes, Jacques : 9, 10, 38, 39, 40,

41, 44, 45 46, 49, 50, 51, 55, 56, 68, 94, 110, 129, 143, 145, 149, 165, 170, 192, 202, 205, 278

Dewey, John : 64, 72, 88, 268, 270, 276

Diamant-Berger, Henri  : 116, 135, 203, 286

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I n d e x d e s n o m s - 291 -

Dijon : 77, 94Dona, Gaston : 223Doyen, Docteur Eugène Louis : 104,

105, 279Dranem, (Charles Armand Ménard

dit) : 205, 209, 223, 225, 228, 233, 236, 237, 239, 241, 242, 248, 249, 256

Dufayel : 85, 99, 100, 121, 122, 181, 194, 203

Dulaar : 39, 40, 44, 48, 55, 68, 70, 143, 146, 205, 207, 237

Dunkerque : 63, 101, 205Dureau, Georges : 136, 137, 286Dussaud, Charles François : 191, 192,

194, 199, 200

– E – Éclair : 151Edison : 100, 174, 190, 191, 192, 194,

197, 198, 220, 255, 251, 286Épinal : 31, 123Ethis, Emmanuel : 24, 68, 369, 376Évian : 99

– F – Fallière, Armand : 152Faraud : 123, 147, 157, 166Faria, Oswaldo de : 255Faure, Félix : 142, 229Fauré, Gabriel : 184, 237Fescourt, Henri ou Henry : 80, 96, 286Feuillade, Louis : 173, 183, 184, 286Follain, Jean : 108, 109, 286Fosse, Paul : 171, 180, 184Foucher-Gasparini : 44Fourtier : 31, 90, 91, 98, 286Franck, Alfred : 124Franck, César : 177

Francis, Ève : 137, 138, 286Fregoli, Leopoldo : 111, 207, 277Froissart : 145, 146, 147, 148, 230Fuller, Loïe : 66, 141, 154, 162, 277

– G – Galipaux, Félix : 205, 213, 236Garnier, Jacques : 41, 45, 69, 127, 205,

223, 236, 237, 263, 277Gap : 59Gaudreault, André : 10, 16, 17, 20, 26,

49, 50, 52, 92, 109, 118, 204, 269, 275, 278, 279, 280, 281, 283

Gauley, Armand : 104Gaumont : 18, 19, 20, 21, 33, 35, 47,

63, 72, 74, 82, 85, 87, 88, 104, 112, 114, 115, 117, 130, 143, 154, 159, 162, 171, 172, 178, 180, 183, 184, 185, 186, 189, 206, 207, 211, 212, 214, 215, 217, 218, 219, 220, 222, 223, 224, 225, 226, 227, 228, 229, 231, 233, 235, 240, 241, 242, 243, 246, 249, 256, 257, 260, 267, 273, 278, 279, 286, 287

Gautier : 177, 242, 245, 248, 251, 252Gavioli : 40, 44, 48, 169Gentilomme, H. : 216Gilbs : 256Gili, Jean : 26, 103, 278, 279, 281Giuili : 55Goirand : 92Gois-Pardet : 38Gorbman, Claudia : 143, 283Gounod, Charles : 156, 170, 177, 181,

209Gourguet, Jean : 76Green, Julien : 109, 287Grenier, Ernest : 19, 40, 48, 68, 160,

192, 206, 207, 237, 264

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B r u i t s , c r i s , m u s i q u e s d e f i l m s- 292 -

Grimault, Paul : 108, 279Guilbert, Yvette : 205, 213Gunning, Tom : 10, 18, 279Gutton, Jean-Pierre : 42, 43, 283

– H – Halévy, Jacques (Jacques Fromental

Lévy dit) : 245Hansen, Miriam : 268, 279Hélias, Pierre-Jakez : 64Hermand, Lucien : 55, 124, 160Hüe : 171Hupfeld : 169, 170

– I – Isola : 225Iunk, Pierre : 40, 165, 206, 207, 236

– J – Jaubert : 199, 200Joinville : 133, 215, 216Joly, Henri : 208, 212

– K – Kaiser, Gabriel : 46Kalem : 171, 284Katorza, Salomon dit : 41, 55Kétorza, Salomon dit Katorza : 39, 40,

41, 44, 55, 223, 237Kobelkoff , Nicolas Wassilievitch : 40,

249Kœnig : 192Kress, E. : 131, 132, 137, 287Krieger, Louis : 41

– L – Lacasse, Germain : 49, 50, 67, 92, 109,

112, 176, 265, 281, 283La Rochelle : 140Lagny-sur-Marne : 65, 106, 162

Lagrée, Michel : 96, 97, 279Laurens, Jean : 118, 211Lauste, Eugène : 81, 82, 284Le Bargy, Charles : 152, 171Le Forestier, Laurent : 18, 184, 215,

275, 279, 280Le Fraper, Charles : 92, 93, 130, 155,

221, 244, 246, 263Lefebvre, Th ierry : 20, 25, 104, 105,

277, 278, 279Leveratto, Jean-Marc : 268, 277Levergeois, Adolphe : 143, 208Limoges : 10, 26, 55, 57, 58, 64, 69,

70, 77, 87, 123, 147, 153, 154, 155, 162, 163, 164, 174, 177, 178, 179, 222, 236, 243, 244, 245, 246, 254, 273, 281, 285

Linder, Max (Gabriel Leuvielle dit) : 151

Lioret : 200London, Kurt : 143, 287Lordier, Georges : 142, 175Lorraine : 41, 54, 69, 96, 100, 102,

110, 175, 235, 280Lumière : 18, 30, 38, 39, 50, 57, 62,

63, 67, 68, 81, 99, 100, 101, 111, 122, 139, 140, 144, 145, 190, 191, 194, 225, 275

Lyon : 10, 11, 39, 42, 52, 55, 63, 67, 80, 82, 84, 87, 94, 99, 111, 112, 114, 123, 125, 126, 127, 139, 140, 146, 147, 148, 153, 160, 176, 177, 180, 181, 182, 186, 190, 195, 196, 204, 205, 207, 227, 229, 230, 231, 233, 234, 237, 245, 246, 247, 248, 249, 250, 251, 252, 254, 255, 264, 277, 281, 283, 285, 286

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I n d e x d e s n o m s - 293 -

– M – Mâcon : 62Mannoni, Laurent : 19, 20, 25, 28, 29,

32, 98, 104, 174, 192, 199, 203, 277, 278, 279, 284

Marie, Michel : 18, 20, 25, 26, 142, 215, 277, 278, 279, 280, 281

Marrécau, Julien : 208Marseille : 73, 94, 104, 127, 140, 146,

147, 202, 205, 256, 281Massenet, Jules : 184Matuszewski, Boleslaw : 105Maurice, Clément : 200Max-Himm : 48, 57Maxéville : 79Mayol, Félix : 146, 228, 237, 239, 241,

242, 256Mendel, Georges : 189, 204, 207, 208,

209, 210, 211, 212, 213, 218, 226, 236, 240, 241, 256, 257, 286

Mercadier, Émile : 33, 203, 204, 205, 213, 214, 236, 249, 250, 251, 252

Mesguich, Félix : 62, 200, 203, 205, 287

Meusy, Jean-Jacques : 10, 18, 21, 25, 26, 27, 39, 45, 46, 47, 48, 49, 51, 56, 57, 59, 60, 64, 76, 78, 83, 85, 86, 87, 93, 100, 107, 117, 118, 122, 128, 130, 132, 133, 147, 148, 151, 159, 160, 162, 166, 167, 168, 169, 170, 174, 175, 177, 178, 180, 194, 200, 201, 203, 204, 215, 225, 227, 228, 229, 235, 254, 255, 259, 264, 273, 280, 281

Méliès : 19, 144, 148, 149, 151, 174, 224

Messter, Oskar : 206, 235Mirbeau, Octave : 272

Molsheim : 109Molteni : 31Monaco : 157Monte-Carlo : 31, 94, 151, 239Montbrison : 52Montpellier : 87Moreau, Léon : 184Moulins : 78Mulhouse : 235Musser, Charles : 18, 69, 86, 123, 279,

280

– N – Nancy : 31, 41, 57, 58, 60, 96, 123,

219, 236, 280Nantes : 81, 85, 184, 282Neuilly : 43Neuville-sur-Saône : 68Nice : 10, 31, 44, 70, 79, 86, 157, 166,

167, 197, 198, 238, 239, 240, 241, 243, 246, 247, 249, 254, 282, 284

Niort : 39Nohain, Jean : 111, 129, 277Nouguès, Jean : 180, 181

– O – Omnia : 41, 55, 118, 122, 123, 125,

130, 151, 177, 273Orléans : 68, 143Otéro, Caroline : 146

– P – Paris : 10, 11, 18, 20, 21, 23, 29, 30,

31, 38, 39, 43, 44, 45, 47, 53, 56, 57, 62, 67, 72, 76, 78, 81, 83, 84, 86, 87, 94, 101, 103, 104, 107, 109, 111, 112, 116, 118, 121, 127, 128, 130, 135, 144, 146, 147, 152, 156, 157, 158, 160, 161, 167, 168, 171, 175, 177, 180, 186, 194, 196,

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B r u i t s , c r i s , m u s i q u e s d e f i l m s- 294 -

198, 200, 202, 203, 207, 214, 218, 219, 220, 224, 225, 226, 229, 230, 235, 237, 239, 240, 241, 246, 249, 251, 255, 264, 265, 273

Pathé : 11, 13, 18, 19, 47, 53, 54, 55, 58, 70, 71, 85, 86, 87, 114, 118, 122, 125, 129, 130, 133, 137, 145, 151, 152, 155, 156, 161, 162, 166, 173, 176, 177, 179, 180, 183, 184, 189, 192, 194, 195, 196, 203, 204, 205, 209, 211, 212, 214, 215, 224, 229, 234, 240, 242, 244, 245, 246, 247, 248, 250, 256, 260, 263, 279

Pau : 81, 94, 144Paulin, Gaston : 27Paulus, Jean-Paul Habens dit : 174Pays basque : 110Perpignan : 77, 169, 282Pezon : 56Pisano, Giusy : 10, 19, 27, 115, 175,

189, 199, 200, 201, 208, 212, 213, 214, 216, 253, 256, 284

Planchon, Victor : 99, 101Poisson : 57, 208Polin, Pierre-Paul Marsalés dit : 146,

203, 204, 205, 209, 213, 214, 228, 236, 237, 241, 242, 247, 252, 253, 256, 260

Pouliguen : 41, 236Poupion, Olivier : 10, 47, 48, 51, 55

57, 72, 74, 82, 83, 108, 123, 125, 142, 160, 178, 202, 205, 206, 207, 282

Promio, Alexandre : 38Provence : 246Pujol, Joseph dit « le pétomane » : 11,

128, 129, 155Purcell, Henry : 121

– R – Rabinovitz, Lauren : 268, 277Rancy : 55, 127, 181, 204, 205Rasini : 111Redenbach : 55Régnault, Louis : 127, 269Reims : 67, 100, 256Rennes : 97, 273Reynaud, Émile : 27, 28, 171, 278Rittaud-Hutinet, Jacques et Chantal :

10, 25, 38, 39, 50, 62, 63, 65, 66, 67, 76, 98, 99, 100, 101, 102, 106, 107, 109, 140, 141, 142, 144, 160, 162, 174, 176, 10, 191, 193, 194, 195, 196, 197, 198, 199, 282

Rivière, Henri : 32Roanne : 295, 221, 252, 254Robertson, Étienne-Gaspard Robert

dit : 29, 30Rodier, Moïse : 205, 237Rostand, Edmond : 117, 272Rouen : 10, 40, 47, 51, 55, 57, 63,

72, 82, 85, 87, 107, 123, 124, 160, 178, 202, 205, 206, 207, 225, 236, 282

Rousselot : 134Roux-Parassac, Émile : 104Russell, Catherine : 52, 104, 268, 279,

280, 283

– S – Sadoul, Georges : 129, 174, 280Saint-Amant-Montrond : 141Saint-Brieuc : 140Saint-Étienne : 10, 11, 45, 87, 99, 106,

114, 140, 147, 177, 197, 198, 229, 232, 233, 234, 245, 249, 250, 251, 252, 253, 254, 282, 285, 287

Saint-Nazaire : 192

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I n d e x d e s n o m s - 295 -

Saint-Saëns, Camille : 159, 171Sainte-Menehould : 192Saintes : 140Salis, Rodolphe : 31, 32Salvator : 58, 236, 246, 250Sartre, Jean-Paul : 130, 287Satie, Érik : 33Schneider : 71Shusterman, Richard : 88, 138, 270,

277Skladanowsky : 171Soissons : 273Spessardy : 40, 205, 236, 237Stransky : 254Strasbourg : 73, 79, 145, 175Sucher : 50

– T – Toulon : 205, 281Toussaint, Alphonse : 192Trevey, Félicien dit Trewey : 30Truchet : 123, 165

– U – Urban, Charles : 117, 148

– V – Valras-la-Plage : 257Vanel, Charles : 122, 287Varney, Louis : 248Vaucluse : 30, 75, 142, 266Verdun : 69, 153Versailles : 98, 103, 104Vienne : 21, 128, 133, 198, 216, 254Villefranche-sur-Saône : 50, 85, 86,

171, 195, 249, 250, 254, 286Villeurbanne : 52, 103, 286Viviers : 256Vitry-le-François : 167Vrignault, Marguerite : 200, 202

– W – Winock, Michel : 21, 22, 23, 259, 272,

276

– Z – Zarch, Frédéric : 45, 114, 141, 180,

221, 229, 230, 232, 251, 252, 253, 282

Zumthor, Paul : 269, 284Zweig, Stefan : 21, 287

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Table des illustrations

Affi che signée Henri Millot, 30 mars 1901, 40 x 32 cm – coll. part. ................. 34

Détail de l’affi che signée Henri Millot, 30 mars 1901 – coll. part. ...................... 36

Le Fascinateur, n° 13, 1er janvier 1904 – coll. Jean-Claude Seguin ....................... 95

Le Fascinateur, n° 13, 1er janvier 1904 – coll. Jean-Claude Seguin ....................... 97

Affi che pour une séance de « Connaissance du monde », 60 x 30 cm, 2005 – coll. particulière ......................................................................... 113

Programme de l’Hippodrome, (futur Gaumont-Palace), mars 1908 – coll. Institut Lumière ......................................................................................................... 159

Le Nouvelliste des concerts…, section sur Lyon, 22 août 1912 – coll. Rondel ............................................................................................................................ 182

Publicité Mendel, Phono-Ciné-Gazette, 15 août 1906 – coll. part. ................... 209

Publicité Mendel, Le Courrier cinématographique, n° 29, 13 juillet 1912 – coll. part. ............................................................................................. 210

Synchrophone Automatique Modèle A. catalogue Gentilhomme, 1909 – Fonds Rondel, Rk 649 ............................... 216

Publicité Gaumont, Phono-Ciné-Gazette, n° 65, 1er décembre 1907 – coll. part. ..................................................................................... 219

Première partie du programme du Gaumont-Palace, du 20 au 26 octobre 1911 – coll. Institut Lumière ............................................ 228

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B r u i t s , c r i s , m u s i q u e s d e f i l m s- 298 -

Programme du Gaumont-Palace, janvier 1912, première partie – coll. Institut Lumière ......................................................................................................... 232

Programme du Gaumont-Palace, janvier 1912, troisième partie – coll. Institut Lumière ......................................................................................................... 233

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Table des matières

Préface .................................................................................................................................................. 9

Introduction ................................................................................................................................ 15

Chapitre I – Projections d’images ...................................................................................... 27Émile Reynaud, musique et bruitage ............................................................................ 27Lanternes et boniments ........................................................................................................ 28Fantasmagories et eff ets sonores ...................................................................................... 29Th éâtres d’ombres et bruits d’eau ................................................................................... 30Le Chat Noir de Salis ............................................................................................................ 31Une soirée classée « X » ........................................................................................................ 33

Chapitre II – Vacarmes de foires .......................................................................................... 37Le bruit de l’énergie ............................................................................................................... 38Les fl onfl ons de la parade .................................................................................................... 43Moins de parade après 1907 ? ........................................................................................... 47Les aboyeurs ............................................................................................................................... 49

Les aboyeurs de foire ......................................................................................................... 49Les aboyeurs de salles en dur .......................................................................................... 51Lutte entre salles et forains par crieurs interposés .................................................. 53

Le bruit des fauves ! ................................................................................................................ 55Autres sons sur les foires ...................................................................................................... 58

Cris d’animaux d’élevage ................................................................................................ 58Bruits de vaisselle ............................................................................................................... 59Infi nité des sons (et sensations) possibles .................................................................... 59

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B r u i t s , c r i s , m u s i q u e s d e f i l m s- 300 -

Chapitre III – Cris, applaudissements et bruits du public ................................... 61Applaudissements et hourras ............................................................................................. 62Silence ou cris ? ......................................................................................................................... 65Crier en se voyant à l’écran ................................................................................................ 68Émotions et bagarres ............................................................................................................. 72Cris politiques .......................................................................................................................... 74Bavardages .................................................................................................................................. 75Bruits de verres, de couverts et… de voitures ........................................................... 76

Bars et cafés .......................................................................................................................... 76Tavernes et brasseries ........................................................................................................ 78Consommateurs hébétés ................................................................................................... 80Salles de luxe et grands restaurants ............................................................................. 81Petits « cinémas-bars » ..................................................................................................... 83

Cris et jeux ................................................................................................................................. 85Cris d’enfants ....................................................................................................................... 85Bruit de patinage ............................................................................................................... 86

Chapitre IV – Conférenciers et bonimenteurs ............................................................. 89Conseils aux conférenciers .................................................................................................. 89

Manuels pour conférenciers ............................................................................................ 89Conseils entre collègues ..................................................................................................... 91

Paroles religieuses .................................................................................................................... 94Vulgarisation scientifi que et prophylaxie ..................................................................... 98De l’école à l’université ..................................................................................................... 102Paroles de divertissement ................................................................................................. 106

Explicateurs de titres et improvisateurs .................................................................. 106Paroles régionales ............................................................................................................. 109Doublages en direct ........................................................................................................ 110

Safaris, histoires saintes et histoires drôles ............................................................... 112Des travelogues français ? .............................................................................................. 112Histoires saintes ............................................................................................................... 114Histoires drôles ................................................................................................................. 115

Salles de standing ................................................................................................................. 117

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T a b l e d e s m a t i è r e s - 301 -

Chapitre V – Bruitages ........................................................................................................... 121Le bruiteur (bruisseur ou bruitiste) avec son bric-à-brac ................................. 121

Dans les salles et chez les tourneurs .......................................................................... 121Bruitage et concurrence ................................................................................................ 125

Simulation sensorielle complète ................................................................................... 127Bateaux ............................................................................................................................... 127Trains ................................................................................................................................... 127Sons et odeurs ? ................................................................................................................. 128

Matériel de bruitage ............................................................................................................ 129Salles et tournées Pathé ................................................................................................. 129Conseils pour le bruitage .............................................................................................. 130Pianiste-bruiteur ............................................................................................................. 132

Machines à bruits ................................................................................................................. 133Bruitage à la bouche ........................................................................................................... 135Fin des bruiteurs ? ................................................................................................................ 136

Chapitre VI – Musiques et variété .................................................................................... 139Pas de musique ! .................................................................................................................... 139

Un piano silencieux ....................................................................................................... 139Silence ou bruit de projecteur ? .................................................................................. 143

Intégration du cinématographe dans des spectacles musicaux ...................... 145Froissart et ses concurrents ........................................................................................... 145Féeries .................................................................................................................................. 149Revues (de music-hall) .................................................................................................. 150L’exemple de Limoges ..................................................................................................... 153Musique, variété et fi lms en Province et à Paris ................................................. 156

Accompagnement musical pour fi lms seuls ............................................................ 159Orchestre et grève ............................................................................................................ 159Accompagnement discontinu ...................................................................................... 162Accompagnateurs aveugles ! ......................................................................................... 164Musique appropriée ....................................................................................................... 165Improvisation ................................................................................................................... 166Musique automatique ................................................................................................... 169Droits d’auteurs et compositions ............................................................................... 170

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B r u i t s , c r i s , m u s i q u e s d e f i l m s- 302 -

Chapitre VII – Chants ............................................................................................................. 173Chants avant et après les fi lms ....................................................................................... 173Chanson populaire .............................................................................................................. 174Opéra ......................................................................................................................................... 176Le « fi lm esthétique » .......................................................................................................... 183Légitimation par le bel canto ......................................................................................... 186

Chapitre VIII – Synchronisations ..................................................................................... 189Les journalistes rêvent de synchronisation image / son ..................................... 189

Le Kinetophone ................................................................................................................ 189Des articles enthousiastes .............................................................................................. 190La prophétie de Dussaud ............................................................................................. 191

Phonographe et cinématographe, ensemble mais séparément ! ..................... 192Phonos de foires et de kermesses ................................................................................. 192Phonos sans écouteurs .................................................................................................... 193Le Stentor de Dufayel .................................................................................................... 194Des gramophones d’accompagnement partout en France ................................ 195

Synchronisation manuelle ............................................................................................... 196Combinaison souple du phono et du cinématographe ...................................... 196Synchronisation précise, à la main ........................................................................... 197

Synchronisation mécanique ............................................................................................ 199Synchronismes variées entre 1899 et 1906 ........................................................... 199Mode du parlant et chantant 1904-1907 ............................................................ 204

Un système léger, Mendel ................................................................................................ 208Le Cinémato-Gramo-Th éâtre .................................................................................... 208Les disques du commerce .............................................................................................. 209Des publicités chaque semaine ................................................................................... 212

Pathé, son téléphone et son Ciné-Phono ................................................................. 212Un système téléphoné ..................................................................................................... 212Escamotage du Ciné-Phono chez les historiens .................................................... 214Le Ciné-Phono vendu dans toute l’Europe ........................................................... 215

Synchronismes Gaumont ................................................................................................. 219Amélioration du système ............................................................................................... 219Gaumont et l’enregistrement en son direct ............................................................ 220Le Chronophone chez les forains ............................................................................... 222

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T a b l e d e s m a t i è r e s - 303 -

La promotion du Chronophone ................................................................................ 223Les Chronophones à Paris ............................................................................................ 224Les Chronophones à Saint-Étienne et Lyon .......................................................... 229

Des séances synchrones, partout en France après 1907 .................................... 235De nombreux procédés synchrones chez les forains ............................................. 235Forte concurrence sonore à Nice ................................................................................ 238Les tournées « chantantes » à Limoges .................................................................... 243Le Ciné-Phono et la Société Cinématographe Monopole ................................ 246Quelques exemples des autres systèmes existants .................................................. 254

Conclusion .................................................................................................................................. 259

Bibliographie ............................................................................................................................. 275

Index des noms .......................................................................................................................... 289

Table des illustrations ....................................................................................................... 297

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Ouvrage achevé d’imprimer sur les presses du service reprographique de l’université Rennes 2 Haute-Bretagne

en décembre 2010

Imprimé en France

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Bruits, cris, musiques de filmsLes projections avant 1914

Martin Barnierpréface de Rick Altman

Presses Universitaires de Rennes

Réseau des UniversitésOUEST ATLANTIQUE

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Presses Universitaires de Rennes

Réseau des UniversitésOUEST ATLANTIQUE

Bruits, cris, musiques de filmsLes projections avant 1914

La description classique de l’accompagnement du film muet consiste à dire qu’un pianiste ou un orchestre jouait pendant la projection. Cet ouvrage a pour ambition de retrouver la réalité complexe des spectacles cinématographiques avant 1914, dont le spectre d’écoute était d’une variété extrême.

En explorant les archives municipales, les rubriques des spectacles des quotidiens locaux, la presse corporative, aussi bien qu’en observant les cartes postales de l’époque, on découvre un capharnaüm littéralement inouï. La multitude des lieux de projection explique l’éventail infini des sons entendus par les spectateurs. Car ceux-ci ont découvert les films dans des cafés, des music-halls, des grands magasins, des cirques aussi bien que dans des églises, des salles de classe ou même des patinoires ! L’étude d’un grand nombre de villes françaises donne une idée précise de la vie pendant les projections.

Le foisonnement sonore permet de redécouvrir l’expérience du spectateur de la Belle Époque. L’importance de la participation du public est un point fondamental. Les cris, applaudissements et paroles diverses dans des patois variés, accompagnaient les films. Les projections étaient vivantes et, à chaque fois, uniques. Sur les champs de foire, les machines à vapeur – dynamo vrombissantes, les grognements des fauves et le vacarme des orchestrions résonnaient plus fort que le piano. Dans des lieux plus calmes, les paroles des conférenciers, des prêtres, des vulgarisateurs scientifiques et des bonimenteurs captaient l’attention de l’auditoire. Les bruiteurs, eux aussi, influençaient la vision des films et les musiciens, dans des orchestres de toutes tailles rivalisaient avec les chanteurs d’opéra pour amplifier l’émotion provoquée par les images en mouvement. Enfin, la synchronisation mécanique des films était bien plus courante qu’on ne le pense. C’est cette diversité sonore oubliée que ce livre entend remettre en oreille. Ce faisant, il déplace la façon dont l’historiographie traditionnelle présente la réception des films.

Martin Barnier est professeur en études cinématographiques à l’université Lumière Lyon 2. Il a publié En Route vers le parlant, Liège, Éditions du CÉFAL, 2002 ; Des films français made in Hollywood, Paris, L’Harmattan, 2004 ; France/Hollywood, L’Harmattan, 2002 ; Les Biopics du pouvoir politique de l’Antiquité au xixe siècle, Aléas, 2010 (les deux derniers ouvrages en codirection).

En couverture : Une de la revue Le Fascinateur, n° 13, 1er janvier 1904 – Coll. Jean-Claude Seguin

Presses Universitaires de Rennes

Réseau des UniversitésOUEST ATLANTIQUE

ISBN 978-2-7535-1203-0

Prix : 20 €www.pur-editions.fr

Ouvrage publié avec le soutien de l’université Lyon 2, l’équipe de recherche Passage XX XXI,

l’école doctorale 3LA