Brunner John - Les négriers du cosmos

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171 lyavaitlesRobots,etilyavaitlesAndrodes :unjeunehommeaussirichequeDerry Horn pouvait s'offrir l'un ou l'autre. Pours'acquitterdesbesognesquotidiennes,couterlesordresetlesexcuter ponctuellement : les Robots taient parfaits. Les Androdes, eux, avaient pourtant sur les Robots l'avantage de pouvoir rflchir et prendre desdcisionscompliques.Cescratures,ralisesdansleslaboratoiresdelointainesplantes, incitaient l'homme avec un ralisme tel que n'et t l'trange couleur bleue de leur peau on aurait pu s'y tromper. C'estpourcetteraisonqueDerryHorn,tmoindumeurtred'unmalheureuxAndrodeau cours d'une nuit frntique de Carnaval, prouve tant de compassion et de rvolte. Savolontfarouchedepunirlescoupablesl'entraneradansunepoursuitemortelleversles plantes les plus lointaines de la Galaxie. I SCIENCESFICTION y Dj paru 161 Andrew North LES NAUFRAGEURS DE L'ESPACE 163 E. C. Tubb OBJECTIF POLLUX 165 Calvin M. Knox COMPLOT CONTRE LA TERRE 167 Andrew North FUSE EN QUARANTAINE SCIENCESFICTION Romans d'anticipation publis sous la direction de FRDRIC DITIS y JOHN BRUNNER Les ngriers du Cosmos Traduit de l'anglais par MICHEL AVERLANT DITIONS DITIS 35, rue Mazarine, Paris 6e Titre original SLAVERS OF SPACE ditions Ditis, Paris 1960. Scan, ORC, mise en page ~Aot 2008 L E N CU L US Pour la Librairie Excommunie Numrique Et les CUrieux de Lire les USuels. PROLOGUE Au cours des derniers mois, Lars Talibrand voyagea vite et loin. Il fona d'astre en astre, desystmeensystme.Chaquefoisqu'ilparvenaitsemnagerunejourneoudeux,il revenaitsursespas,iltraaitdefaussespistes.Etpourtantilneputchapperlamort patiente qui le suivait pas pas. IlalladelaplanteVernierlaplanteArthworld.DelilsepropulsaversCreewn Dith.Puis,laissantderrireluiCreewnDith,ilfilajusqu'Newholme.Ilfitensuiteun dtour par Mars. Il arriva enfin sur la Terre, l'poque du Carnaval. Lemondeentiertaitenliesse.Etcefutl,dansunepetitechambreperchetouten haut d'un htel qui d'un ct dominait le tumulte de la fte et de l'autre un paisible bras de mer, qu'il rencontra son destin. Lars Talibrand n'avait pas perdu une seule seconde. Parce qu'il savait que de sa rapidit dpendait quelque chose de beaucoup plus important que sa vie elle-mme. Pourtant, remontant ceux qui l'avaient dcrte et parcourant en sens inverse le mme chemin, la nouvelle de sa mort voyagea plus vite encore qu'il n'avait su le faire. Et,dansquelquesmondesdispersstraverslagalaxie,certainshommes,certaines femmes, respirrent mieux parce que Lars Talibrand, lui, avait cess de respirer. 1 LE GRAND CARNAVAL Desfanfaresclatantes,deschurstonitruants,desanimauxsavantsavaientenvahiles ruesetlesboulevards.Deshordesdeftardsenfivrs,criant,hurlant,lanantdesobjets, riant,commesil'universtoutentiertaitlascned'unevastecomdieburlesque,avaient pris possession des chausses et des trottoirs. La procession du carnaval dferla comme un raz-de-mare. Elle passa devant l'htel dans lequel Lars Talibrand ne pouvait plus l'entendre. Etpourquoipas ?Aprstout,cettenuitetpourunesemaineencore,laplante communment appele Terre se devait d'tre la scne d'une comdie. Elle devait abriter la farceducarnaval,aucoursdelaquelletouspouvaientdevenirsuccessivementPantalon, Arlequin et Colombine. Des processions semblables serpentaient travers les rues de toutes les villes qui venaient d'entrer dans la zone d'ombre. Et, tandis que le coucher de soleil se dplaait autour de la plante, d'autres villes allaient se joindre elles. Maintenant, prs de la plage, des officiels effectuaient les dernires vrifications avant de brancher les clairages, de librer les minuscules organismes lumineux qui allaient faire luire l'ocanlui-mme.Lesrobotschargsdel'entretieneffectuaientl'ultimeessaideleurs circuits respectifs, s'assurant qu'ils ne pourraient en aucun cas tomber en panne pendant la semainevenir.Surleterraindefoire,lesconcessionnairess'activaientmonterleurs baraques,marquises,talages,manges,gyrodromes,montagnesrussesetdancingssans pesanteur. Des camions surchargs d'accessoires divers avanaient lourdement au milieu de JOHN BRUNNER7 laconfusiongnrale.Ilsapportaientlesderniresfournesdesucreries,confetti, banderoles,attirailsdefarcesetattrapes,bouteillesdevin,masques,pesdeduel, aphrodisiaques, et mille autres choses encore. Les pres de famille prudents s'empressaient de porter leurs derniers objets de valeur aux coffrespublicsdontla clneleurserait rendue qu' la fin de la semaine. Sage prcaution. Caronavaitvudesgenssenoyersicompltementdanslemondefrntiqueducarnaval qu'ils avaient perdu au jeu et offert en gage tout ce qu'ils possdaient. Les propritaires de voituresetd'hlicoptresprivsquin'avaientpasdegaragepersonnelgaraientleurs vhicules ; dans des garages publics. Pendantlecarnaval,personnenepouvaitsongerserendrerapidementquelquepart. Aucuneaffaire,aucuneurgencen'tait admissible, si ce n'est,larigueur,unrendez-vous amoureux. Auxcoinsdesrues,lesrobotsgaraientlespetitstaxis-bullesvolantsetlesminuscules arobusdcouverts,deuxouquatreplaces.Cesvhiculesmenaientleurspassagers quelque-part,ac'taitunfait.Maiso ?Cen'taitpasauxditspassagersd'endcider. Aprs le lever du soleil, il leur serait permis d'indiquer une adresse prcise aux taxis-bulles, la leur, ou celle de n'importe qui. Mais jusque-l il appartenait au robot slecteur de choisir sa fantaisie la destination de ses passagers. Lecieltaitd'unbleulumineuxquis'assombrissaitgraduellement.Ilyavaitbienun nuageoudeuxpar-cipar-l.Maisjustecequ'ilfallaitpourfairejoli.Sansplus.Ilvasans dire qu'il pleuvrait sur la Terre pendant la semaine du carnaval. C'tait ncessaire pour que soitprservl'quilibremtorologiquedel'atmosphre.Maisleservicemtoferaiten sortequ'ilpleuveenmer,aussiloinquepossibledesctes,etuneheurelocaleola plupart des ftards dormiraient. Fermantlagigantesqueprocession,lesrouletteschargesdevictuaillesarrivaientpar milliers.Etc'estqu'ilenfallaitdesmilliers !Caraucuncommercenedemeuraitouvert pendant le carnaval. Pas mme les magasins d'alimentation ou les restaurants. Maintenant, avec le coucher du soleil, les boutiques de luxe qui taient restes ouvertes pour rpondre aux besoins de dernire minute en perruques, cosmtiques, dguisements et parfums,fermaientleursvolets.Etlepersonnel,enfinlibr,sehtaitdechangerde vtements pour se mler la foule. * * * DerryHorns'loignadelafentrequidonnaitsurlarue.L'arrire-gardedela processionvenaitdepntrerl'intrieurduchampdefoireetlesorgueslectroniques dominaient le bruit des orchestres de la parade. Il tait grand temps de s'habiller et de rallier la fte. SurunordresecdeDerry,lesfentress'occultrent.Puislesportesdel'armoire coulissrentetdvoilrentlechoixdecostumesqu'ilavaitcommandpourlecarnaval. Palpant les soieries, les moires, les tissus paillets, il ressentit un trange sentiment de vide. 8LES NEGRIERS DU COSMOS Non,pastrange.Ilreconnutavecunsoupirqu'ilauraittplusexactdedire habituel . Agac,ilsaisituncostumeauhasardetlejetasurunechaise.Toutaussittilse demanda ce qui avait bien pu lui faire choisir ce costume-l. Il s'obligea carter cette pense et dcida que, de toute faon, il mettrait le costume. Il ta ses vtements de tous les jours et se dirigea vers la salle de bain voisine pour se rafrachir un peu. Lorsqu'il sortit de la douche, il passa dans la salle de schage. Et l, tandis qu'une douce chaleur aspirait l'humidit de son corps, il se planta devant le miroir grandeur nature et se regarda pensivement. Te voici, se dit-il. Voici Derry Horn l'ge de vingt-deux ans. Il vit un jeune homme brun la peau blanche et aux yeux d'un bleu fonc. Les contours deseslvrespleiness'affaissaientvisiblement.Lachairdesesbrasetdesescuissestait molle. Chacun de ses mouvements la faisait trembloter. La pleur de sa peau et la noirceur desachevelures'associaientpourfaireparatresesjouesetsonmentonpresquebleus, comme du lait mouill. Le dpilatoire le plus nergique ne parvenait pas bout des racines de sa barbe. Ilpassalamainsursajouegauche.Ilsedemandaitparquelatavismebienancrles hommes considraient encore comme une preuve de non-virilit le fait de ne pouvoir avoir de barbe... alors qu'ils passaient tant de temps s'efforcer de l'empcher de pousser ! Peut-tre tait-ce parce qu'il leur fallait quelque chose qui s'oppost leur volont. Il ne restait certes pas grand-chose d'autre, en ce monde disciplin, qui rsistt leurs caprices. Ils'aperutqu'iltaittoutfaitsecetquittalapice.Lorsquesespiedscessrentde peser sur le sol du schoir, le souffle d'air chaud s'arrta de siffler. Quand il regagna sa chambre, le costume qu'il avait choisi lui parut encore plus ridicule qu'auparavant.Maislorsqu'iljetauncoupd'ill'armoireencoreouverte,ilnevitrien quiluiplaisedavantage.Encorenu,ilsejetasurunsigerembourr.Puisilallumaune cigarette, un de ces petits tubes de plastique commande lectro-magntique dans lesquels tait emprisonne de la fume de tabac. Il n'y avait pas dire... Pour un premier soir de carnaval, il tait frais ! Soudain il lui vint l'esprit qu'il se sentirait peut-tre mieux s'il buvait quelque chose. Il appela un garon qui arriva rapidement. L'htel offrait le meilleur service qui soit au monde et, puisque le monde en question tait la Terre, le meilleur service de toute la galaxie. Nullement gn par la nudit du jeune homme, le robot vint se planter devant le sige de Horn. D'ailleurs aucun vtement ne recouvrait son propre corps de plastique, mince et luisant. Jeveuxquelquechosequimesorted'unaccsdedpression,fitHornavec brusquerie. Que me conseilles-tu ? Le robot hsita. Je n'ai pas t prvu pour donner des conseils en cas de maladie, monsieur, s'excusa-t-il. Mais peut-tre... JOHN BRUNNER9 Jenesuispasmalade !AboyaHorn.Jeveuxtoutsimplementuneuphorisant quelconque. Le meilleur que vous ayez. Je pourrais vous apporter le plus coteux, suggra le garon. Je suppose que ce serait lemeilleur.Bienque,pourtrefranc,denombreuxclientsm'aientaffirmqued'autres euphorisants moins onreux leur plaisaient davantage. BonDieu !Leschosesiraientquandmmemieuxsiladirectionemployaitdes androdes au lieu de robots ! Tonna Horn. Du moins ceux-l ont-ils une ide du got des boissons qu'ils servent ! Le robot eut un vague ton de protestation : Si vous me permettez de vous contredire, monsieur, cela ne faciliterait pas du tout les choses.Commevouslesavezsrement,ilestinterditauxandrodesdeconsommerdes boissons alcoolises. Horn avait l'air d'un homme qui peut faire des entorses bien des rglements. Et c'tait exact.Car,dansunepriodedeprospritinoue,safortunetaitconsidrecomme fabuleuse. Cegenredetrucpourraittoujourss'arranger,fit-ilngligemment.Tandisquechez toi l'effet de l'alcool serait simple et radical. a te ferait sauter les plombs. Soudain, le ridicule de la situation le frappa. Il tait en train de discuter avec un robot ! Il clata de rire. Le garon fit un geste vers l'avant. Mais Horn l'carta. Vous ne m'avez pas dit quel euphorisant vous dsiriez. a ne fait rien. Horn se leva : C'tait une ide idiote. Oublie-la. Je suis physiquement incapable d'oublier quelque chose ! dit firement le garon. En fait, il leur a fallu un temps fou pour m'apprendre le sens du mot oublier. Puis il pensa soudain que ce dernier aveu pouvait lui faire du tort. Il hsita nouveau et se dirigea vers la porte. Ses pieds de plastique glissaient silencieusement sur le tapis pais. Lorsqu'ilfutparti,Hornrevtitsondguisementetjetaundernierregardlapice. C'taitlsonquartiergnralpourlasemaine.Oui...Hbienentoutcas,c'taitun changement. Peut-tre ce changement allait-il rellement changer quelque chose. Horn haussa les paules. D'une faon ou d'une autre, il fallait qu'il s'amuse ! Il n'y avait pas sortir de l. S'il ne rveillait pas sa capacit de s'amuser, peut-tre la perdrait-il tout jamais... et sa vie toute entire serait noye dans ce mortel ennui dont il cherchait sortir. Le carnaval de l'anne prcdente avait t si peu stimulant, si terne, si diffrent de tous les carnavals de son enfance. Cetteanne,ilsetrouvaitdansunevillediffrente.Quandilrentreraitsecoucher,ce serait dans une chambre d'htel, et pas dans sa maison. Il n'avait pas de parents moins de quinzecentskilomtres.Carc'taitpeut-trea,latendressetouffantedesafamille,qui avait gch son plaisir l'anne prcdente... Peut-tre. 10LES NEGRIERS DU COSMOS Derry Horn dtestait penser ce que serait son avenir s'il tait prouv que ce n'tait pas son entourage qui tait fautif. Si le fautif tait lui-mme, il lui faudrait alors affronter cent ans d'existence. Cent ans au cours desquels une journe grise succderait une autre journe grise... Aprs tout, peut-tre aurait-il mieux fait de prendre cet euphorisant ! 2 MORT D'UN ANDRODE Horn alla machinalement vers l'ascenseur priv reli son appartement. Il appuya sur le boutond'appel.Maisrienneseproduisit.L'ascenseurrestaaurez-de-chausse.Lejeune hommes'apprtaittempterlorsqu'ilsesouvint :lecarnavalavaitofficiellement commenc ! En effet, une voix suave sortit du mur pour annoncer gaiement : C'estlasemaineducarnaval,monsieur !Pourfavoriserlabonnecamaraderieetles heureusesrencontres,l'htelasupprimleservicedesascenseursprivsauprofitdes ascenseurs principaux. Veuillez donc quitter votre appartement et tourner gauche dans le couloir afin de rejoindre l'ascenseur public le plus proche. Nous esprons que vous vous y trouverezensympathiquecompagnieavantmmedevousjoindrelajoyeusefouledu dehors ! Lorsqu'il avait seize ou dix-sept ans, Horn qui passait le carnaval avec un groupe d'amis tudiants avait dcouvert cette coutume de la direction des htels. Sescopainsetluiavaientemployunebonnemoitidelanuitveillercequeles rsidents de l'htel se trouvent effectivement en bonne compagnie dans leurs ascenseurs. Lesjeunesgenss'taientmaquillsdemanire ressembler des cadavres trangls. Le visagebleui,lesmainsgonfles,deslentillesdecontactblanchessurlesyeux,ilss'taient allongs sur le plancher des ascenseurs vides pour attendre les rsultats. Le tableau de chasse avait comport quatre crises cardiaques aigus dont l'une mortelle. Ils s'taient royalement amuss. 12LES NEGRIERS DU COSMOS Mais curieusement, maintenant qu'il y repensait, tout cela ne paraissait plus si drle. Il esprait mme que personne ici n'ait eu cette ide. Ou tout au moins que personne ne l'ait mise en pratique ds le premier jour du carnaval. Depuis son arrive, le jeune homme n'tait jamais pass par ce couloir qui menait son appartement.Lesrobotsquiavaientapportsesbagagesl'avaientsansdouteutilis.Mais lui,iltaitmontparl'ascenseurpriv. C'est d'ailleurs ce quetoutlemondefaisait.Aussi lescorridorsavaient-ilsunaspectdsol,sinistre.C'taitindfinissable.Carilnes'agissait pas de quelque chose de tangible, comme de la poussire, ou comme un cho. Non. C'tait tout simplement l'absence de passage humain. Derry marcha d'un pas rapide vers l'ascenseur. Ce trajet lui tait dsagrable. Il appuya sur le bouton d'appel et jeta un regard inquiet le long des passages. Il y en avait deux, qui se rejoignaient angle droit prs de la cage de l'ascenseur. Quelquespasplusloin,danslecouloirqu'iln'avaitpaspris,unepiledebagages attendait.Derrirelesmallesentasses,ilseproduisitunmouvementsubitauniveaudu sol.Unbrasapparutbrusquement,commeprojetparunhommecouchsurledos.Au mme instant, Derry entendit un sourd gmissement. Il eut l'impression que le type avait dit au secours ! Quelqu'unavaitdonceulammeidequeses amis et lui cinq ans auparavant. Quelle importance !Aprstout,c'taituneblagueclassique.Ilappuyadenouveausurlebouton d'appel, souhaitant que l'ascenseur arrive vite. Le bras disparut. Une jambe fut lance violemment en l'air et s'abattit sur le plancher du couloiravecunclaquementsec.Laviolencedugestetaitinsense.Ilyeutunesortede craquement ml au bruit du choc, comme si un os s'tait bris. Puis un hurlement. La souffrance qu'on devinait sous ce cri fit changer Derry d'avis. Il ne s'agissait pas d'une blague de carnaval. Ce cri prenait ses racines dans la souffrance physique la plus aigu. Malgr lui, Horn fit quelques pas dans la direction de la pile de bagages. La main qu'il aperut par terre avait la peau bleue. Il s'agissait donc d'un androde. Mais un androde peut souffrir. Derry se pencha sur le bless. On avait empil sur lui des caisses qui paraissaient lourdes. Il n'avait repouss que celles qui pesaient sur ses jambes. Centimtreparcentimtre,Derryvitsereplierlajambelibrecommesil'androdese prparait un nouveau spasme. Service ! hurla Horn. Son appel se perdit dans les profondeurs du couloir. Le jeune homme se baissa pour dplacer les caisses qui crasaient le bless. Elles taient pluslgresqu'ellesneleparaissaient.MaisDerryn'taitpashabitumanipulerdes objets, mme lgers. Car il y avait sur la Terre, pour tous les travaux manuels, des robots ou des androdes. Derrytranspiraitavantmmed'avoircartunedemi-douzainedecaisses.Cequ'ilvit alors lui souleva le cur. Il crut qu'il allait vomir. Dansl'ombre,lapeaudel'androdesemblaitgrise,commecelled'unhumainmalade. videmment, ses traits taient humains. Ou plutt, ils l'avaient t. Car quelqu'un lui avait JOHN BRUNNER13 frapplevisagejusqu'cequesesyeuxclatent.Leneztaitcompltementcrassurles pommettes.Lesdentsbrisessortaientdeleurscavits.Maisc'taitencorelespupilles clates qui avaient l'aspect le plus repoussant. Horn ne s'tait jamais senti aussi inutile. Il avait envie de prendre la fuite. Et, en mme temps, il souhaitait ardemment soulager la douleur que devait endurer l'androde bless. En fait, il ne savait pas par quel bout commencer, ni mme s'il tait possible de faire quelque chose. Il fixait le bless en essayant de contenir ses nauses lorsqu'une voix l'appela. Dites donc ? C'est vous qui avez demand l'ascenseur ? Ilseretournaetvitunhommetrapu,d'gemoyen,vtud'uncostumedepolichinelle auxcouleursvives.L'hommesortaitsattedel'ascenseur.Ilavaitds'arrterpour rpondre l'appel fait quelques instants auparavant par Derry. Oui, c'est moi. Mais venez ici, voulez-vous ? L'homme trapu gloussa joyeusement. Vousavezdjcommenclesblagues ?Qu'est-cequ'ilyaderrirecettepilede bagages ? Une attrape ? Il haussa les paules. Eh bien, j'en suis ! Vive le carnaval ! Ils'approchaentrottinantetsepenchapar-dessusl'pauledeHorn.Enl'entendant retenir sa respiration, ce dernier comprit qu'il avait chang d'avis sur les attrapes . BonDieu !Iln'estpasbeau,fitl'hommetrapuvoixbasse.Jemedemande pourquoi les robots du nettoyage ne l'ont pas encore dblay. Iltaitcachsouscescaisses,expliquaHorn.Ondiraitqu'ilatfrappjusqu' perdreconscience.Etiln'estrevenuluiquepourrepousserlesbagagesetappelerau secours au moment o je passais. L'homme trapu recula de quelques pas. Il semblait fascin par le spectacle. Je crois qu'il faut... Euh... le laisser l, mon vieux, conseilla-t-il. Le service des ordures l'enlvera. Mais comment un truc pareil a-t-il pu se produire ? demanda Derry. L'homme trapu lui lana un regard finaud. Vous tes jeune, n'est-ce pas ? Mais, moi, je crois... Ilglissadanscemoitoutel'expriencedel'hommedumondequienavubien d'autres. Jecroistoutsimplementqu'unsadiqueacommencsoncarnavaldebonneheure ! J'espre qu'il s'en tiendra aux androdes ! Et j'avoue que je n'aimerais pas tre aiguill sur le circuit du type qui a fait a et me voir oblig de participer ce genre de distractions ! Horn rflchit un moment cette explication. Puis il dit : Nous ne pouvons tout de mme pas laisser ce pauvre type couch l ! 14LES NEGRIERS DU COSMOS Que pouvons-nous faire d'autre ! Si j'avais une pe sur moi, vous pourriez l'achever si cela vous chantait. Mais je ne suis pas du genre bretteur. Et apparemment vous non plus. Le service est excellent dans cet htel. Croyez-moi, ils s'en dbarrasseront rapidement. Une voix sortit soudain d'un haut-parleur et annona : Messieurs, on rclame l'ascenseur. Si un passager ne monte pas d'ici trente secondes, l'ascenseur ira un autre tage. Excusez-moi,murmural'hommetrapu.Etilrepartit.Ileutjusteletempsdesauter dans l'ascenseur avant que la porte ne se refermt. Hornsentitdeslarmesluimonterauxyeux.L'androdetaitapparemmentassez conscientpouravoirentendudesvoixprsdelui.Ilessayaitdesouleversesmainsetde s'accrocher ce monde extrieur qu'il ne pouvait plus voir. Sa bouche avait t littralement dchiquete.Lemalheureuxtentad'articulerquelquesmots.Maistoutcequ'ilpronona tait informe, incomprhensible. Surmontantsarpugnance,Horns'agenouillaetpritlamainbleuedanslasienne. L'androdegmitcommeunenfantetserrafaiblement.Ilsemblaittrouverunpeude rconfort dans ce contact. Pourquoidiablelesrobotsn'taient-ilspasaccouruslorsqueDerryavaitappel ? Furieux, il se retourna pour appeler nouveau et fut surpris de trouver quelqu'un debout deux pas de lui. Vous avez t trs bon de lui prendre la main, fit une voix douce. Je crains qu'il n'y ait pas grand-chose d'autre faire. Horn retira sa main de celle de l'androde agonisant et se leva. Vous faites partie du personnel de l'htel ? Questionna-t-il. Son ton tait plus sec qu'il ne l'aurait voulu. Mais il avait peur de trahir son motion. L'androdelapeaubleue,auvisagesrieux,acquiesadelatte.D'ailleurs,lefait mmequ'ilportaitencoredesvtementsordinairesalorsqu'untrehumainauraitt dguis pour le carnaval, aurait de toute faon rpondu la question de Derry. Jesuislesecrtairedudirecteurdel'htel,rponditl'androde.Considronsdonc pourl'instantquejesuisledirecteur.Monchefestpartisejoindrelafteilyadix minutes. Que s'est-il pass ? Horn le lui expliqua. Le regard du secrtaire ne quittait pas son visage. Je veux bien vous croire, fit-il enfin. Je ne vous aurais pas cru si je ne vous avais pas vu lui tenir la main quand je suis arriv. Du reste, cela n'aurait fait aucune diffrence. Son ton rvla soudain une hostilit voile. Que voulez-vous dire ? Repartit vivement Horn, sur la dfensive. L'tre la peau bleue haussa les paules. Tuer un androde n'entrane aucune consquence. Ce n'est pas un crime, vous savez. On peut nous faire n'importe quoi. Il termina schement : JOHN BRUNNER15 Nous sommes remplaables ! Mais tout de mme... Horn se refusait le croire. Oh, ce malheureux tait comptent et utile pour l'htel. En fait, c'tait le surveillant d'tage. Si on l'avait tu en temps ordinaire, la direction de l'htel aurait pu poursuivre le responsableetrcuprerlecotdel'instructiondesonemploy.Avec,peut-tre,des dommagesetintrtspar-dessuslemarch,pourlaprivationdeservice...Maisc'estle carnaval. Mon chef m'a confi la direction pour la semaine. D'ici qu'il soit revenu et qu'il aitrcuprsuffisammentpourseproccupernouveaudesesaffaires,ilneresteraplus d'espoir de retrouver le coupable. Alors ? Qu'allez-vous faire ? Rien. Mettre un remplaant pour s'occuper de l'tage. Et faire dblayer par les robots du nettoyage. Le ton de l'androde tait devenu presque insolent. Vous devez tre boulevers par cette mort, murmura Horn sans trop de conviction. Il ne voulait pas se trouver impliqu dans cette histoire. Mais il se sentait comme pouss s'en mler malgr lui. Eneffet.Etjevousremerciedeluiavoirtenulamain.Laplupartdeshumainsne l'auraient pas fait. Horn se rappela l'homme trapu. Saisi d'une inspiration soudaine, il suggra : Vous n'en auriez pas dit autant devant la plupart des humains, n'est-ce pas ? Il se sentit bizarrement flatt lorsque l'androde sourit et secoua la tte : Non.Jenel'auraispasfait.Lagrandemajoritdesgenss'enseraitsouvenuet m'aurait signal mon chef la fin du carnaval. Et alors, 'aurait t la fin de tout en ce qui me concerne. Nous autres androdes devons nous surveiller trs troitement, vous savez. Il n'y a rien d'autre que je puisse faire ? demanda Horn. Rien,merci.Jevaism'enoccupermaintenant.Jesupposequevousavezenviede sortir et d'aller vous amuser. Horn secoua la tte. Je ne crois pas que je pourrai beaucoup m'amuser. Tout cela est encore trop rcent. Je vais regagner ma chambre et essayer de me remettre. Il sentit le regard de l'androde pos sur sa nuque tandis qu'il repartait dans le couloir. Il avait fait une vingtaine de pas lorsqu'il ralisa qu'il s'tait tromp de direction. Contrari par sa propre stupidit, et dcid se secouer, Derry s'arrta et revint sur ses pas. Une porte d'appartement tait entrouverte. En passant, le jeune homme jeta un coup d'il l'intrieur... Avalant prcipitamment sa salive, il ouvrit la porte en grand et appela l'androde. Eh ! Venez par ici ! Lespectaclequ'ilavaitsouslesyeuxn'taitpasaussiatrocequeceluiqu'ilavaitvu quelques secondes auparavant. Cependant ses nauses le reprirent. 16LES NEGRIERS DU COSMOS Le secrtaire du directeur le rejoignit rapidement. Qu'y a-t-il ? Cettefois,vousavezunechancedefaireprendreletypequiafrappvotreami mort. Il a commis un autre crime. Et celui-l intressera la police. Horn franchit le seuil de l'appartement qui tait identique au sien. Il y a des chances pour que ce soit le mme homme qui ait commis les deux meurtres, insista-t-il.Etjesupposequelapolice,mmependantlecarnaval,s'occupedumeurtre d'un humain. Cette fois, en effet, la victime n'tait pas un androde. Le mort avait les cheveux roux. Et sa peau blanche tait, sans contestation possible, une peau humaine. Iltaittendusurledos.Letapiss'taitunpeufroisssoussonpoids,commede l'herbe.Sesyeuxtaientouvertsetfixaientleplafondsanslevoir.Unmincecouteau manche de bois sortait de sa poitrine, juste l'endroit du cur. Dans un dernier sursaut, il avaitdtenterderetirerl'arme.Carsesmainsreposaientsursapoitrinecommesielles avaient t replies par une infirmire compatissante. 3 LE CITOYEN DE LA GALAXIE Lapolicenemitpasd'empressementvenir.Maisfinalementquatreandrodes dbarqurentsouslaconduite d'un inspecteur bien humain et dont chaque geste semblait demander pourquoi il tait de service alors que tout le monde s'amusait au dehors. L'inspecteurs'appelaitCoolin.C'taitunhommeirritablequifumaitcigarettesur cigarette. Il commena par dployer ses hommes dans le couloir et autour de l'ascenseur. Les flics prirent des photos en colorelief des deux cadavres. Lesgmissementsdel'androdeavaientcessquelquesminutesavantl'arrivedela police.Lespoliciersnepurentdoncrecueillirde sa bouche mutile aucun son intelligible. Coolindcidaquecelasuffisaitpourl'androdeetramenatoutesonquipeautourde l'homme roux, toujours tendu sur son tapis. Alors ? grogna-t-il. Il faut que je comprenne. Qui tait ce type ? L'androde qui remplaait le directeur et qui portait le nom de Dordy haussa les paules. Lorsqu'ilestarriv,iladonnlenomdeWinch.Maiscen'estpeut-trepassa vritableidentit.Jel'aivujusteaprsqu'ilaitremplisafiche.Jem'efforcetoujours d'accueillirmoi-mmenosclientsetdeleurdemanders'ilssontsatisfaitsdenosservices. C'tait hier, vers midi, j'ai remarqu qu'il parlait avec brusquerie. Il avait un accent que je n'ai pas identifi. Coolin marqua un semblant d'intrt professionnel. 18LES NEGRIERS DU COSMOS Mais vous devez tre habitu une clientle assez cosmopolite, dans un htel comme celui-ci. Il doit venir des gens de partout. DetoutelaTerre,acquiesaDordy.Cependant,j'ail'impressionqueceWinch arrivait d'une autre plante. Coolin se laissa tomber sur une chaise bien rembourre et regarda le corps. Uncouteauordinaire,murmura-t-il.C'estcurieux.Ilfallaitquelemeurtriersoit rudementpressdesedbarrasserdecetype.C'estlasemaineducarnaval.Ilauraitpu attendre ce soir et l'affronter en duel. Ou bien lui filer du poison. Bizarre, qu'il l'ait attaqu de front avec un couteau... Son regard fit le tour de la pice, s'arrtant un moment sur le visage contract de Horn. Entoutcas,cetassassinn'estpasuntrouillard,continual'inspecteur.Cequiest drle, c'est qu'il n'y ait pas eu lutte. Je me demande si Winch a cri. Probablement,remarquaDordy.Etsescrisontdattirernotresurveillantd'tage. C'estpourquoicelui-ciattrouvmourantdanslecouloir.Votremeurtrierestun costaud, monsieur, un malabar. Parce qu'il a cras le visage de votre employ de cette faon ? Hum... Coolin regarda sa cigarette. Le petit tube de plastique tait vide. Il le jeta et se leva. Ce couloir ? demanda-t-il. Les clients ne l'utilisent pas beaucoup ? Sauf pendant le carnaval, personne ne l'emprunte. Chaque appartement comporte un ascenseur priv. Les robots du nettoyage prennent le couloir lorsqu'ils font leur service entre dixheuresetmidi.Etaussi,naturellement,lorsqu'onlesappelle.Monpersonnell'utilise galement. Autrement, personne. Desortequelemeurtrierapuarriveretrepartirsanstrevu.Al'heurequ'ilest,il doit se promener au milieu de la foule, dguis en Martien du Canal Infrieur ou quelque chose de ce genre. Coolin eut un large geste du bras. Cesalaudachoisilebonmomentpourcommettreuncrime.Jeferaimonenqute aussi bien que possible. Mais a se prsente mal. Il ordonna l'un de ses assistants androdes : EnregistreladpositiondeHorn.PrendsaussicelledeDordy,bienquejenecroie pasqueletmoignaged'unandrodeseraretenuparletribunal.Maisonnesaitjamais ! D'ailleurs, qui sait, l'assassin aura peut-tre une crise et fera des aveux ! L'inspecteur jeta un dernier regard autour de lui. Bon.asuffit.Vousautres,dbarrassez-vousdescorpsetrejoignez-moila rception.Dordy,prvenezlechefderceptionquej'arrive.Etdites-luidesetenirma disposition. Dordy acquiesa de la tte. L'enregistrementdestmoignagesfutrapidementtermin.Ensuitelescadavresfurent dverssdansunhlicoptrequivints'arrterlahauteurdesfentresdel'appartement. JOHN BRUNNER19 Avec un grand calme, Dordy expliqua que rien n'tait plus mauvais pour la rputation d'un htel que les transports de cadavres dans les couloirs Et tout fut termin Horn n'avait pas boug de la chaise o il tait assis depuis l'arrive de Coolin. Il fixait les taches de sang sur le tapis. Bizarrement, c'tait le cadavre de l'androde mort dans d'atroces souffrances qu'il revoyait malgr lui Derry savait que pour certaines gens rien n'est plus fascinant que le spectacle de la mort violente.Ehbien,aprssonpremiercontactavecelle,Horncompritqu'ilnefaisaitpas partie de ces gens-l. Il avait trouv toute l'affaire sordide et curante Laportedel'appartementglissanouveauetDordyrevint,accompagncettefoisde deuxrobotsquitaientdesspcialistesdunettoyage.L'androdesaluaHornavecunair d'gal gal qui, en d'autres temps, aurait paru insolent au jeune homme Dordy donna des ordres aux robots et attendit que leur travail soit bien en train avant de s'adresser Derry Vous voyez que vous vous tes bien tromp, fit-il d'un ton monocorde Horn se tortilla sur sa chaise Sur quoi ? Sur mes chances de trouver le type qui a commis les deux crimes Dordy haussa les paules : A moins que je ne calomnie le commissaire Coolin Coolin n'a pas l'habitude des meurtres, fit Horn. Nous respectons tous si bien les lois surlaTerrequelapolicenepeutpasacqurird'exprience;Touteslestendances antisocialesquenouspouvonsavoir,nouslesdfoulonspendantlecarnaval.Jeme demande sur combien de crimes les flics font d'enqutes dans une seule anne... Deuxtroisassassinatsparmilliardd'habitants,rponditdistraitementDordyqui grattait du pied le tapis pour voir si les robots avaient nettoy tout le sang. Naturellement, dans cette statistique, je ne compte pas les androdes. On en tue beaucoup. Horn remua de nouveau sur sa chaise d'un air gn. Cela doit tre assez pnible d'tre... l'un de vous, risqua-t-il. En effet. Le regard de Dordy tait fix sur le visage du jeune homme. Voulez-voussavoirquelpointc'estdifficile ?Continua-t-il.Noussommesdansla semaine du carnaval, la saison de la rigolade et de la gentillesse. Alors, trouvez de la teinture etenduisez-vousdebleu,mettezvosvtementsordinairesetsortezdanslarue.Celavous instruira. Soudain, il rit sans contrainte. Jem'excuse,monsieurHorn.Votregestedetoutl'heurem'aencourag.Jeferais quand mme mieux de me taire. 20LES NEGRIERS DU COSMOS Hornselevaetmarchaverslafentre.Ilregardalamer.Danslabaie,desbateaux roues peints de couleur sombre fouettaient les vagues phosphorescentes. On entendait, trs faiblement, venant de l'autre faade de l'htel, les bruits confus du carnaval. Jemedemandecequetoutcelaveutdire !fitbrusquementDerry.Cetinspecteur Coolin avait l'air de se ficher perdument de trouver ou de ne pas trouver le meurtrier de... Comment avez-vous dit que s'appelait ce type ? Il a prtendu s'appeler Winch. Mais je n'ai pas l'impression que ce soit vrai. Vousn'avezpasremarququesiCoolinsedsintressaitcompltementdela question,lesandrodeseux,taienttrsanxieuxdetrouverl'assassindevotresurveillant d'tage ? Bizarre, non ? Il jeta Dordy un regard interrogateur. Bizarre ? Parce que nous n'avons pas de famille, pas d'amis ? Parce que nous sortons d'une cuve chimique et non des entrailles d'une femme ? Dordy eut une grimace sarcastique. Au contraire, monsieur Horn. Cela nous rend tous frres. Tous. Je vous crois sur parole, bredouilla Horn. Ilavaitdumals'exprimer.Iltaiteneffetd'unepoqueetd'unegnrationoule moindre sentiment passait pour un vice ridicule. Il ajouta cependant : J'aimerais bien que nous autres hommes nous en fassions autant. Vous voulez remonter le courant de milliers d'annes d'histoire, fit Dordy. Les robots nettoyeurs vinrent lui et lui demandrent s'ils avaient bien fait leur travail. Dordyrponditparl'affirmativeetilsquittrentlapice.Dsqu'ilsfurentpartis,Dordy marcha vers l'armoire et l'ouvrit d'un ordre bref. Horn le regarda, vaguement surpris. Tiens ! Toutes les affaires de Winch sont encore l ! Pourquoi n'avez-vous pas suggr Coolin de les examiner ? Je me suis fait une opinion sur Coolin ds que je l'ai vu, rpondit Dordy en regardant Derrypar-dessussonpaule.Pourquoil'inspecteurn'a-t-ilpaspenslui-mmefouiller l'armoire ?Parceque,commevousl'avezditfortjustement,ils'enfichait.Jemesuis rapidementfaituneopinionsurvousaussi.C'estunehabitudequ'ilfautsedpcher d'acqurir,dansmonmtier.Jedoisvaluerunclientlaminuteojeposelesyeuxsur lui. Je dois deviner s'il est du genre causer des ennuis, tre difficile sur le service et ainsi de suite. Tout en parlant, l'androde continuait ouvrir portes et tiroirs. Il le faisait la main. La plupart des compartiments taient vides. Dsquej'aivuWinch,j'aicomprisqu'ilnevoulaitpasattirerl'attentionsurlui. C'tait normal, puisqu'il tait pist par un tueur. Lesecrtaireremitportesettiroirscommeilstaientauparavantetsedirigeaversla sortie. Sur le seuil, il se retourna : MonsieurHorn,c'estlemomentdevouscomportercommesivouspensiezceque vous avez dit. JOHN BRUNNER21 Ce que j'ai dit ? Oui. Vous avez eu l'air de trouver aussi criminel le fait d'craser le visage de l'un de nous que celui de planter un poignard dans le cur d'un homme. L'androdepassasamainbleuel'intrieurdelatuniquenoiredesoncostumede travail. Il en tira un objet plat qu'il lana vers Horn. Celui-ci l'attrapa machinalement. Le mort ne s'appelait pas Winch, dclara Dordy. Il s'appelait Lars Talibrand. Et l'androde sortit. * * * PendantunlongmomentaprsledpartdeDordy,Hornrestaplantsursachaise, tournantetretournantentresesdoigtsl'objetquel'androdeluiavaitlanc.Ils'agissait d'untuidemtal,unbizarremtal d'un grismat.Cettuipouvaitfacilementtenirdans une poche. Derry l'ouvrit et en retira un passeport. Jamais le jeune homme n'avait vu de passeport qui ressemble celui-l. Illefeuilletarapidement.Ilaperutlestamponsappossparlesservicesd'immigration d'une quantit incroyable de plantes dont certaines lui taient parfaitement inconnues. Il ne parvenait d'ailleurs pas toujours dchiffrer les tranges caractres de bon nombre de ces tampons. Il n'eut pourtant aucun mal lire l'inscription figurant la premire page du passeport. Etelleluicausauneviolentesurprise.Eneffetcedocuments'ouvraitparcetteincroyable dfinition : Citoyen de la Galaxie. La seconde page comportait une photographie en colorelief. Elle devait tre de celles qui ontuneidentitbiochimiqueaveclapersonnephotographieetquis'effacentaprsla mort.Eneffetlescouleursduvisages'estompaientdjdansunesortedegrisaille.Etles yeuxtaientferms.Onenvoyaitcependantencoreassezpourtrecertainqu'ils'agissait bien de l'homme roux qui avait t poignard dans cette pice. En face de la photographie se trouvait une page de texte en une langue inconnue. Page aumilieudelaquelleDerryputdchiffrerunnompropre :LarsTalibrand.Lapage suivante,enfin,taitrdigedansunlangageconnuparlejeunehomme.Elletaitsans doutelatraductiondelapageprcdente.Onydclaraitque,teljour,telleanne,le gouvernementd'uneplanteappeleCreewnDithavaitlevLarsTalibrandla distinctiondecitoyendelagalaxie.Au-dessous,encaractresunpeudiffrents,on indiquaitqu'unautremonde,appelVernier,avaitapprouvcettenomination.Puis,en caractres encore diffrents, on ajoutait qu'un monde nomm Ligos l'avait ratifie. Dans les pages suivantes, Derry dcouvrit une liste de cinq autres univers diffrents qui, de la mme faon, tmoignaient leur reconnaissance pour les services que leur avait rendus Lars Talibrand. Horn sentit un frisson de crainte lui courir le long de l'chine. 22LES NEGRIERS DU COSMOS Quellesorted'hommepouvaitbientreceluiquiavaittrouvlamortdanscette chambre ? Quelle uvre extraordinaire avait-il accomplie pour que plante aprs plante lui vouent une pareille gratitude ? Commentuntelhommeavait-ilpuconnatrecettefinsordide ?Commentavait-ilpu mourir un couteau plant dans le cur ? Horn se leva. Et, d'un air dcid, il se mit examiner les objets pars dans la chambre. Il inspecta les vtements de rechange, soigneusement entretenus mais qui rvlaient une lgre usure. Les articles de toilette taient neufs. Talibrand les avait sans doute achets depuis son arrive. Derry ne trouva rien d'autre. Peut-tre le meurtrier avait-il fouill la pice ? Mcontent,lejeunehommefeuilletanouveaulepasseport.Ilcomptaaumoinsdeux centsentresetsortiesplantaires,cequireprsentaitunevingtainedesystmessolaires diffrents. Cette pense lui donna le vertige. Quel voyageur, cet homme ! Avec curiosit, Derry examina la dernire page pour y trouver le tampon d'entre sur la Terre. Il n'y en avait pas. Il replaa le carnet dans l'tui et sortit la recherche de Dordy. Maintenant, il avait un certain nombre de questions poser l'androde. 4 DERRY S'AMUSE Cettefois,l'espritducarnavalrgnaitvraimentdansl'ascenseurpublic.Unejeune femmetrsmince,quiportaitpourtoutvtementunecouchedepeintureiridescente, s'efforadeconvaincreDerryd'essayerl'euphorisantspcialqu'elleavaitdcouvert.Un garon d'environ seize ans monta dans l'ascenseur au premier tage et annona avec le plus grandsrieuxqu'ilemportaitausous-solunecaissedeptardspourfairepartageraux robots la joie de vivre du carnaval. Heureusement, la femme la couche de peinture parvint lui faire avaler de son euphorisant avant qu'il ne quitte l'ascenseur. Horn se retourna deux outroisfoisetvitfinalementl'adolescent,assissurleplancher,ledosaumur, compltement perdu dans une crise de fou-rire hystrique. Un robot, intrigu de voir au sous-sol un client en vtement de carnaval, s'empressa de venirsarencontrepourluidemanders'ils'taitperdu.Hornsecoualatteetexpliqua qu'il cherchait le bureau de Dordy. D'unairdereproche,lerobotluifitremarquerqu'illuisuffisaitdefaireappelerle directeur dans son appartement. Je sais ce que je fais, rtorqua aigrement Horn. O est son bureau ? La troisime porte droite, rpliqua le robot. Mais je crois qu'il n'est pas l. Eneffet,lebureautaitvide.Hornentra,s'assitsurunechaiseassezdureetsortitune cigarette. Elle tait demi vide lorsque Dordy arriva. L'androde n'eut pas l'air surpris en dcouvrant son visiteur. Il ferma soigneusement la porte et fit un petit salut. 24LES NEGRIERS DU COSMOS Jeregrettequevousayezdattendre,dit-il.Jeviensseulementdevoirpartirle dernier des policiers androdes. Ils ont t un peu plus mticuleux que Coolin. On dirait que vous vous attendiez ma visite, fit remarquer Horn. Je crois que oui. Dordy s'assit et croisa les jambes. Il paraissait tout fait dtendu. Voyant Derry sortir le fameux tui de mtal gris, il demanda : Vous voulez sans doute me poser des questions ce sujet ? Derry Horn hocha la tte : Je voudrais savoir ce que c'est que ce truc-l. Je l'ai lu et je suppose que c'est une sorte depasseport.Maisjen'enaijamaisvudesemblable.Etjen'aijamaisentenduparlerde citoyens de la galaxie. C'est un terme bien mlodramatique. LaTerrenereconnatpasletitredecitoyendelagalaxie,rponditDordy.C'est normal. Notre plante est trs provinciale . Mais la galaxie reprsente autre chose que ce petit monde terrien. Jem'endoute,fitDerry.Jesuisalll'cole.J'aitudilagalactographie.Onm'a apprisreconnatrelesastres.Etj'aircit,commetouslesgosses,lalistedesplantes habites.Touslesjoursjemesers comme tout le monde de produits de luxe importsdu restedelagalaxie.Mais,videmment,an'voque pas grand-chose de familier. Les autres plantes, a reste vague. Apparemment. Le ton de Dordy n'tait-il pas un peu sarcastique ? Et de quel droit ? Horn tait indign l'ided'treconsidrcommeinfrieurparcettrelapeaubleue.Ensomme,Dordy n'tait mme pas un homme, mais une copie, ne d'une solution de matires organiques et fabrique dans une usine. Infrieur un androde ? C'tait impossible puisque les androdes avaient t invents par les hommes ! Hornserassuraensilence.Peut-trel'androdeavait-ilhrituncerveauquiluifaisait un esprit plus vif et plus curieux que le sien. Comment tes-vous arriv avoir ce document, Dordy ? demanda le jeune homme. Talibrand me l'a remis son arrive. C'tait son bien le plus prcieux aprs sa vie. Il ne s'en sparait que parce qu'il se savait en grand danger. Le fait de le trouver sur lui aurait signifi son arrt de mort et ananti toutes les prcautions qu'il avait prises pour couvrir sa trace. Mais pourquoi vous le remettre vous ? Horn ne comprenait pas : Le connaissiez-vous bien ? Je ne l'avais jamais vu. Alors... Non, cela n'avait aucun sens. Il essaya une autre piste. Qui fuyait-il ? Comment savait-il qu'il tait en danger ? Et si vous le savez, pourquoi n'avoir rien dit Coolin ? Dordy sourit : Pour la mme raison pour laquelle je n'ai pas l'intention de vous rpondre. JOHN BRUNNER25 Alors vous savez. Je sais... vaguement. Je pourrais donner un nom et tre sr de ne pas me tromper. Et pourtant je ne pourrais rien prouver. Jecroisquevousessayezdegagnerdutemps !fitHornbrusquement.Vousessayez dem'excitersurcetteaffairedanslaquellejen'airigoureusementrienvoir.Vousavez besoin de quelqu'un qui fasse pression sur la police. En fait, ce qui vous intresse, c'est de fairepiquerletypequiatuvotresurveillantd'tage.Vousvousfichezperdumentde Talibrand. Je ne marche pas dans l'histoire qu'il vous avait confi son passeport. Vous avez dexaminerrapidementsesaffairesavantl'arrivedeCoolinetdesonquipe ?Etvous avez rafl cet tui parce qu'il vous paraissait important. Il lana sur la table l'tui gris avec son surprenant passeport. Et il se leva. De toute faon, j'en ai marre. Je sors. Et je vais rigoler. Il tait sur le point de quitter la pice quand Dordy, qui n'avait pas ragi, l'appela. Monsieur Horn ! Il se retourna. Mais ne rpondit pas. Vous avez tort de dire que Talibrand ne m'intressait pas. C'tait un type bien. C'est ce que dit ce document. Mais un type bien aux yeux de qui ? Il n'tait rien pour la Terre. Vous vous trompez l-dessus aussi. De plus, il n'y a aucune raison pour que vous me laissiez ce passeport. Je ne peux rien en faire. Moi non plus, rtorqua Horn durement. Et il sortit. * * * Une fontaine roulante passait lentement devant l'entre de l'htel lorsque Horn atteignit larue.Ilsehtadelarattraper.Etill'immobilisaassezlongtempspourdgusterdeuxou trois gorges d'un euphorisant parfum aux fruits que dbitaient une douzaine de robinets. Une gaiet folle lui monta aussitt la tte. Il acheta un masque un vendeur qui passait et le mit sur son visage. - Des taxis-bulles taient rangs le long du trottoir. Il y en avait de toutes les couleurs. Des bleu ciel, des verts, des roses et des jaune citron. Les robots bourdonnaient patiemment en attendant les clients. Horn s'avana sans hte pour faire son choix. A ce moment prcis, un taxidescenditetatterritenqueuedelafile.Ilcontenaituncouplepassionnmentenlac. Les jeunes gens se sparrent tout surpris, car le chauffeur-robot les avait arrts l sans les prvenir. Envoyantleurminedconfite,desmasquess'attrouprentetmanifestrent bruyamment, poussant de grands clats de rire. Lesamoureuxdurentdescendreaumilieudugroupemoqueuretallerchoisirunautre vhicule dans lequel ils pourraient continuer se peloter. Derry, en souriant, leur abandonna celui dans lequel il tait sur le point de monter. La jeunefilleleremerciad'unregardcomplice.Elletaitextrmementjolie.Derrylasalua 26LES NEGRIERS DU COSMOS gravement.Puisilsuivitletrottoiretgrimpadansletaxiquelejeunecouplevenaitde quitter. Levhiculedcolladoucementetoscillacommeuneplumeens'levant.Lessiges avaient gard la chaleur des occupants prcdents. Et un lger parfum flottait encore dans la cabine. Horn croisa les jambes, posa ses pieds sur le rebord avant du vhicule et se renversa en arrire pour regarder les toiles. On apprend reconnatre celles autour desquelles gravitent des plantes habites... Oui, mais on oublie ensuite ! se dit-il. Ilauraittbienincapablededirequelstaientcesastresouleursunivershabits.Il auraitpuretrouverlaplupartdesnoms,auboutdequelquesminutesd'effort.Maisil n'auraitsrementpaspulesplacerexactementsurlespointsbrillantsquitincelaientau-dessus de sa tte. Agac,ilposasespiedssurleplancheretsepenchapourexaminerd'autreslumires, celles qui brillaient au-dessous de lui. On distinguait nettement le terrain de foire, l'arc de la plage,et,surlamer,quelquestranesd'organismesphosphorescentsemportsloindela terre par les changements de courant. Letaxi-bulledcrivitunelargecourbeau-dessusdelaville.Derryentendaittanttle vacarmeduchampdefoire,tanttleschursquivenaientdupontd'unbateauquise baladait un mille de la rive. a commence ressembler vraiment au carnaval, songea-t-il avec satisfaction. Ilespraitqueletaxi-bulleledposeraitprsdelafoireafinqu'ilpuissesemlerla foule. Son espoir fut exauc. Le taxi, lger comme une graine de chardon, se posa sur un talus verdoyant, deux pas des baraques. Derrysortitettapotaridiculementlevhiculesurleflanc,commes'iltaituntre vivant. Puis il lana ses bras au-dessus de sa tte, se mit pousser des cris de joie et pntra sur le champ de foire. Deuxfillesvenaientensensinverse.Ellesmarchaientbras-dessusbras-dessous.Elles tentrentdesesparerd'unsautrapidepourlelaisserpasserentreelles.Maisellesne s'cartrentpasassezviteet,uninstantplustard,ilsseretrouvrenttoustroistalspar terre, secous d'un rire hystrique comme l'est toujours le rire du carnaval. Quel idiot ! Gloussa l'une d'elles. Elle attrapa un serpentin en plastique et le lana de manire ce qu'il s'entortille dans la chevelure brune de Horn. Vous avez tap dans le mille ! Je suis vraiment un idiot ! approuva Horn. Le carnaval est ouvert depuis trois heures et j'arrive seulement. Alors soyez chic, aidez-moi rattraper le temps perdu. Elles voulaient bien. Elles ne demandaient mme que a. Bras-dessusbras-dessous,Hornentrelesdeuxfilles,ilsseperdirentdanslafte.Un orgue lectronique jouait un air sans queue ni tte sur lequel chacun des jeunes gens mit JOHN BRUNNER27 son tour des couplets. Les filles riaient encore plus fort des paroles inventes par Horn que de celles qu'elles trouvaient. Enchant, le jeune homme partit d'un rire qui dpassait encore celui de ses compagnes. Unmangelesattira.Dessphresd'argents'levaientetretombaientenunelgre colonnedelumire.Al'intrieurdechaquesphre,undispositifmodifiaitlapesanteur. Entasss dans la mme sphre, ils passrent de folles minutes tourbillonner, lancs en l'air, retombant, bras et jambes emmls. Ils commenaient avoir soif et arrtrent une fontaine de rafrachissements. Derry avala trois doses d'euphorisant. Lerestedelasoires'embrumacommeunrve.Letrioentranad'autrespersonnesen chemin.Derrysetrouvafinalementlatted'unedouzainedeftards.Ilsessayrent attractions sur attractions, comptitions sur comptitions. FinalementlagaietdesescompagnonsparutfaiblirtandisquecelledeDerry augmentait encore. La nuit tait trs avance. Il restait peine une heure avant l'aube. Des gens dormaient dj sur le sol. C'tait habituel la premire nuit du carnaval. Le lendemain, lesgensseraientrestscouchstoutelajourne,serveilleraienttoutfraisaucoucherdu soleil et tiendraient le coup jusqu'au matin. Mais, en ce premier jour, ils avaient veill plus de dix-huit heures dj. Venez ! Appela Horn d'une voix toute excite. Il nous faut encore voir le... Il se tut et se retourna d'un air ahuri. Il parlait dans le vide. Son groupe s'tait, semblait-il, vanoui dans l'air. L'examen des baraques avoisinantes lui fournit la cl du mystre. Un criteau indiquait simplement : Lits deux places ! IlnerestaitmmepluspourtenircompagnieDerrylesdeuxfillesaveclesquellesil avait commenc la soire. Dsol, il se mit en marche la tte basse. Il sifflotait. Soudain il se prit le pied dans un piquet de tente et s'tala tout de son long. Les restes de l'euphorisant qu'il avait bu provoqurent en lui un bref accs de fou-rire. Il dcida qu'il ferait aussi bien de rester couch l o il tait et de se reposer un moment. Quelquesminutess'taientcouleslorsqueHornsentitquel'ontiraitdoucementsur unbilboquetqu'ilserraitdanssamain.Ilrsistadanssondemi-sommeil.Ontira nouveau.Ilouvritlesyeuxetfutsurprisdevoirlevisagegrisd'unDpossd,undeces clochardsquel'onnerencontraitjamaisdanslesendroitsciviliss.L'tre,vtud'une combinaison sombre, avait ramp depuis sa cachette sous le pan d'une tente. Horn s'assit et le Dpossd, effray, disparut dans l'ombre. Tiens,appelaHornd'unevoixmorose.Prendscetrucsituenasenvie.Jetele donne. L'individu saisit le bilboquet et disparut dansson univers crpusculaire en gloussant de bonheur. Cependant, quelqu'un s'approchait. Un grand homme mince, masqu, revtu d'or et de blanc. Son costume tait parsem de taches humides. On avait d lui jeter des fruits. 28LES NEGRIERS DU COSMOS L'individu s'arrta, se pencha sur Horn et le fixa travers son masque d'or. Vous vous appelez Derry Horn, dclara-t-il. Derry eut l'impression d'avoir dj entendu cette voix. Machinalement il tendit la main pour s'assurer qu'il portait toujours son propre masque. Mais il s'aperut qu'il l'avait enlev. La face de plastique pendait autour de son cou au bout d'une ficelle. C'est exact, je suis bien Derry Horn, rpondit-il. Pourquoi ? Leregardfixedel'trangerluisaitdanssonmasque.Ilfourrasouslenezdujeune homme la garde d'une pe. J'ai l'intention de vous tuer, dclara-t-il. 5 LE DUEL Pendant un long moment, Derry resta muet, incapable de rpondre. Il avait l'impression que tout tournait autour de lui. Comme s'il se trouvait dans l'un des gyrodromes qu'il avait visits quelques heures plus tt. Il secoua la tte. Vous tes fou ! dit-il enfin. Je ne vous connais pas. Je ne vous ai jamais rien fait qui motive un duel ! Vousavezlechoix,rpliqual'hommeenblancetord'unevoixglace.Uncombat rgulier dans une salle d'armes. Ou une vilaine mort ici, sur l'herbe. Comme par magie, l'pe avait chang de sens dans la main de l'inconnu de sorte qu'il la tenait maintenant par la garde, et qu'il posait la pointe sur la poitrine du jeune homme. Si je vous tue o vous tes, personne n'y verra rien. Sauf mes amis. Derry s'aperut alors que des silhouettes silencieuses mergeaient de l'ombre tout autour de lui. Il dcouvrit en mme temps que le coin tait maintenant dsert. Le bruit de la foire s'taitaffaibliavecl'approchedel'aube.Ildevaitpourtantyavoirencoredesbaraques ouvertes. D'accord, dit-il avec lassitude. Battons-nous. Il se leva. L'homme en blanc et or recula d'un pas. Comme si l'acceptation du dfi l'avait surpris. Mais il retrouva vite son sang-froid. 30LES NEGRIERS DU COSMOS Parfait. La salle la plus proche est quelques pas. Je vois que vous n'avez pas d'pe. Mais vous pourrez en louer une l-bas. Horn ne releva pas cette remarque. Il s'avana vers un distributeur de boissons glaces et de sucreries. Il trempa ses mains dans un jet de limonade. Il arrosa sa nuque de liquide frais. Puis il prit pleine mainun sorbet de couleur vive, couvert de fruits confits. Il l'crasa sur sonfrontcommes'ils'agissaitd'unecompresseglace.aavaitunctdsagrable.Son visage ruisselait de sirop et de crme. Mais au moins il avait russi s'claircir le cerveau. Unecolresourdes'taitallumequelquepartenlui.Peut-treDerryavait-il inconsciemment reconnu son provocateur. Et pourtant, au niveau de la mmoire normale, il n'arrivait pas l'identifier. Bon.Allons-y !dclara-t-ilenessuyantsursonvisagelapulpedefruitglacl'aide ducorsagequ'unefilleavaitenlevavantmmed'entrerauxLitsdeuxplacesetqui tranait l, par terre. II haussa les paules : Alors ? O est-elle, votre salle d'armes ? Le provocateur fit un geste vers la droite et se mit en marche. Horn accorda son pas au sien. Lesombressuivaient.Ellesrestaient distance respectueuse.Mais elles taient toujours l, aux aguets. Vousm'aveztoutl'aird'unprofessionneldudfi,remarquaHornauboutd'un moment. Vous pratiquez beaucoup ce genre de sport ? Les yeux de l'autre tincelrent. Depuis l'ge de vingt ans, j'ai tu tous les carnavals. Enchoisissantsoigneusementdesadversairesquinesesontjamaisbattus,conclut Horn d'un ton aussi provoquant qu'il le pouvait. L'homme en blanc et or parut offens par cette insinuation. Celanem'estarrivqu'unefois.Uneseulefois !Alors,sijecomprendsbien,vous, vous ne vous tes jamais battu en duel ? Horn lui jeta un regard de ct et secoua la tte. Puis il prit plaisir complter son geste par cette information : Cependantj'airemportlepremierprixd'escrimedansmavillenatalel'anne dernire. Le provocateur ne rpondit pas. Et,bienentendu,songeaHorn,quandj'aireuceprix,toutlemondeacruqueles juges avaient t soudoys par ma famille... Ils parcoururent en silence le reste du chemin. La salle d'armes tait vide. Le propritaire commenait s'assoupir derrire le bureau de larception.Danslescoinsdelasalle,desrobotsattendaient,prtsbalayerlasciurede bois ensanglante et la remplacer par de la sciure frache. Les yeux gonfls de sommeil, le propritaire les accueillit avec une profonde indiffrence. JOHN BRUNNER31 Vous avez des pes ? demanda-t-il. Le provocateur acquiesa, tirant son arme et la faisant tournoyer dans sa main. Quant Horn, il alla inspecter le ratelier des armes louer. Avez-vous une Double-Champion ? LepropritairefitsignequeouietentendituneDerry.Lejeunehommesoupesa l'pe, la passa dans un affutoir et lima quelques grammes dans l'paisseur du manche pour parfaire l'quilibre de l'arme. Le propritaire se carra alors dans son sige. Battez-vous o vous voulez, messieurs, fit-il en billant. Je ne pense pas qu'il vienne quelqu'un avant la fermeture. UnelgrenervositembuaitlesyeuxdeDerry.Pourtant,unefoisl'pelamain,il retrouvaitinstinctivementdevieuxrflexes,desposturesfamilires.Jusque-l,iln'avait tenu de fleuret que pour faire du sport. Cette fois, sa vie tait en jeu. Il prit la dcision d'en finirvite,avantqueleprovocateurpuisseraliserqu'ilavaitaffaireunescrimeur expriment. Lesdeuxduellistespassrentdansl'arneetsesalurentenfaisanttoucherleurslames. Puis ils firent une succession d'assauts, de parades et de feintes, essayant de se mesurer l'un l'autre. L'homme en blanc et or lana une attaque furieuse. Mais il alla trop loin de quelques centimtres. En un clair, profitantque son adversaire se trouvait en surextension, Horn balaya de son pe le tronc de l'homme, allant de bas en haut et de droite gauche. Il remontadel'ainelacagethoracique.Puis,quandl'pefutfindecourse,Derryse fendit et l'enfona profondment dans la poitrine du provocateur. C'tait fini. Le costume blanc et or avait peine commenc se teinter de rouge lorsque Horn abandonna son arme et tourna les talons. Le propritaire de la salle, debout, les yeux hors de la tte, hurla en demandant qui allait le payer. C'est lui qui m'avait provoqu, dclara Horn en haussant les paules. Prenez l'argent sur lui. S'il en a, je n'en sais rien, je ne le connais pas... UnepensefrappasoudainDerry.Ilrevintsursespas.Aufait,quitaitcetype ?Le jeune homme s'agenouilla dans le sang et la sciure de bois. Et il souleva le masque d'or. Pastonnantquelavoixluiaitrappelquelquechosebienqu'elleaittdguisepar une locution dlibrment affecte ! Le type qu'il venait de tuer, il avait fait sa connaissance quelques heures plus tt. C'tait l'inspecteur Coolin, de la police criminelle. * * * Les lits de cet htel comptaient parmi les plus confortables que l'on puisse trouver dans toutelagalaxie.EtpourtantDerryn'arrivaitpasdormir.Dsqu'ilfermaitlesyeux, d'pouvantables visions le rveillaient en sursaut. L'androde mourant le fixait avec ses yeux clats. Des reproches sortaient de sa bouche dchire. Il avait la voix de Dordy. L'homme 32LES NEGRIERS DU COSMOS roux qui avait t poignard se transformait lentement en un masque blanc et or, transperc par une pe. C'tait un vritable dlire. Le passeport obsdait aussi Derry. Il voyait continuellement tourner les pages avec leurs tampons rvlant un univers aprs un autre. Renonantdormir,Derryessayadesereprsentercequ'avaitputrel'existenced'un hommetelqueLarsTalibrand.Lejeunehommenetrouvaitriendanssonexprience personnellequipuisseprsenteruneanalogiequelconqueaveccelled'uncitoyendela galaxie. Derryallongealebrasetpritunecigarette.Puisilsedemandaquellesseraientles ractions des diffrents membres de la famille Horn s'ils taient mis au courant des rcentes aventures de l'hritier du nom. Le jeune homme eut un sourire amer en pensant l'attitude que prendrait le chef de la famille, le grand-pre Horn. Ilestvraiqu'onimaginaitdifficilementcevieilautocraterecevantuntitredecitoyen galactiquepourservicesrendusquiquecesoit.Desavieentire,iln'avaitjamaispens qu' sa fortune, et sa famille qu'il gouvernait avec une rgle de fer. Cinquante ans auparavant, le grand-pre Horn avait russi s'attribuer en mme temps une fortune colossale et le monopole de la fabrication des robots dans la galaxie. Horn avait conu un prototype de robot qui l'emportait radicalement sur tout ce qu'on avaitfaitjusque-l.Pourfabriquercenouveaumodle,ilavaittobligdeprendreun risque norme, de renouveler tout loutillage de ses usines. Lorsque ses concurrents, au bout de quelque temps, dcidrent de l'imiter, il tait trop tard. Horn avait pris une telle avance la vente que ses rivaux se trouvrent ruins. Ainsi la famille Horn possdait-elle depuis le monopole galactique du robot. Unsouvenird'enfancerevintsoudainl'espritdeDerry.Uneconversationcoute distraitementquandiltaitgosse.Songrand-preavaitparldefabriqueraussides androdes. Mais Derry ne pouvait pas se rappeler si ce projet tait rest l'tat de projet ou si quelque chose de pratique en tait sorti. Aucundoute,legrand-prenerisquaitpasdetmoignerlamoindresympathieson petit-fils pour s'tre compromis dans l'affaire Lars Talibrand. Si Derry lui racontait tout ce qui s'tait pass, il pouvait prvoir coup sr que, d'abord, le vieux serait scandalis qu'un fils Horn se soit intress, ft-ce une seconde, un fait-divers qui commenait par la mort d'un androde. Quelle importance pouvait prsenter la mort d'un androde ? Quant aux vnements qui avaient suivi, la seule conclusion qu'en tirerait le grand-pre, c'taitqu'ildevaitprendrecontactimmdiatementavecuncertainnombrede fonctionnaires haut-placs. Il suffirait de leur graisser la patte pour qu'ils touffent jusqu'au moindre cho de l'affaire. Et mon pre ? se demanda Derry. Comment ragira-t-il ? Il conclut que tout ce qui l'intresserait, ce serait le duel. Sans aucun doute, il fliciterait son fils de s'tre montr excellent escrimeur. JOHN BRUNNER33 Aprs quoi, il ira trouver grand-pre. Il le suppliera d'agir au plus vite pour viter que la mort de Coolin ne trane le nom de la famille dans la boue. Quant maman... Derry sourit tristement. Sa mre pousserait de hauts cris l'ide que son fils avait t en danger.Ensuiteelleseprcipiteraitcheztoutessesamiespoursevanterdesexploitsde Derry. Restaitlajeunesurdecelui-ci.Elle,elleferaitprobablementunhrosdesongrand frre. Pas longtemps, jusqu'au moment o quelque chose de plus excitant se prsenterait. Quant au restant de la famille, aux douzaines d'oncles, de tantes et de cousins parpills un peu partoutla plante, ils cancaneraient avec dlices et se rpandraient en lamentations jubilantes sur la perversit de la jeune gnration. Derryabandonnalesujetdelafamille.C'taitunsujetvraimenttropennuyeux. D'ailleurs,touttaittropennuyeux.Lejeunehommetaitpeuprscertainqu'ilne s'amuserait pas au carnaval. Une fois de plus. Comme toujours. Il tait peu prs certain de ne plus jamais rien trouver de drle dans la vie. Aprss'tretournetretourndanssonlit,tandisquelesoleilmontaitdansleciel,il commanda aux fentres de s'obscurcir. Et il parvint s'endormir. Lorsqu'il se rveilla, il eut l'impression que quelque chose avait chang dans la chambre. Pourtant, premire vue, rien n'a boug, se dit-il au bout d'un moment. Bah ! Aprs tout,cequimefaitceteffetbizarre,cedoittredemerveillerl'hteldansuneville trangre pendant le carnaval alors que j'ai l'habitude d'tre la maison. Son inquitude persista cependant. Il dut s'asseoir sur son lit et inspecter soigneusement la pice. Il comprit alors ce qui s'tait pass. Pendant son sommeil, quelqu'un tait entr dans l'appartement. Dordy sans doute. Sur lapetitetablectdulit,oDerryn'avaitlaissqu'unmouchoiretunebotede cigarettes, se trouvait l'tui de mtal gris qui avait appartenu Lars Talibrand. Le jeune homme ordonna aux fentres de s'ouvrir, alluma une cigarette et feuilleta une fois de plus le mystrieux passeport. AquoiressemblaientcesplantestrangressurlesquellesTalibrandavaittle bienvenu ?Derryavaitdl'apprendrelorsqu'iltaittudiant.Fronantlessourcils,il chercha pniblement rassembler des faits et des noms. Creewn Dith ! Quelque chose dans ce mot voquait des vagues se brisant sur une grve interminable, Derry voyait de l'cume blanche sur du sable blanc. Surces plantesinconnues, des hommes rgnaient, obissaient, aimaient, hassaient.Ils faisaient tout cela comme les Terriens. Et, pourtant, d'une faon toute diffrente. Horn avait l'impression que tout avait chang dans sa perspective mentale. On aurait dit quequelqu'un,l'intrieurdesoncrne,avaitcontraintsaconsciencesortirdesa passivithabituelle.IlvoyaitmaintenantlaTerre,samre-patrie,souslaformed'une douairire frivole qui ne pensait qu' se dtendre et jouer avec un petit chien tandis que ses fils partaient ailleurs, sur d'autres plantes, la recherche d'autres conqutes. Ce Talibrand, par exemple... 34LES NEGRIERS DU COSMOS Hornregardalaphotographieenreliefquisetrouvaitlasecondepagedupasseport. Elle tait maintenant devenue compltement grise. Direquecethommes'taitrendusiimportantquedesennemisl'avaientchassde mondeenmonde.Direqu'ilsl'avaientsuivijusquesurlaTerreosonsauf-conduitde citoyen de la galaxie ne l'avait plus protg... Un homme aussi important n'avait pas eu que des ennemis. Il avait d possder des amis qui maintenant devaient le regretter. UnedcisioncommenaitprendreformedanslecerveaudeDerry.Ilcherchala dernirepageutilisedanslepasseport.CellequireprsentaitladerniretapedeLars avant la Terre. Il trouva le nom de Newholme. Newholme. Un nom agrable, solide. Il n'avait pas la rsonance romantique de Creewn Dith,d'ArthworldoudeLygos.Maisilsonnaitmieuxquecemotplacideetsanscho : Terre. La dcision du jeune homme s'affermit. Il se de demanda un moment si Dordy n'avait pasdevincettedcisionl'avance.Etsicen'taitpascelaquil'avaitfaitparlerd'une manire aussi trange la veille. Peut-tre. Mais cela ne tirait pas consquence. Il irait Newholme. 6 PREMIERS EFFETS D'UNE DECISION Uneagrableexcitations'emparadeDerryHorn.Iltaitsurpris,etmmeunpeu effray, devant sa propre audace. Et en mme temps, il prouvait une grande impatience. Il avaitl'impressionquechaquesecondepassedepuisqu'ilavaitprissadcisiontaitune occasion perdue de quitter la Terre. Le jeune homme sauta de son lit, appela un robot et lui demanda de lui envoyer Dordy. Ilavaitdjprissadoucheetiltaitentraindenouersacravatelorsquelesecrtaire-directeur la peau bleue s'annona et fit son entre. Vous m'avez fait demander, monsieur Horn ? C'est exact. Horn s'carta du miroir, satisfait de l'arrangement de sa cravate. Je quitte l'htel. Dordy acquiesa. Vousaveztrouvunendroitquivousplatdavantagepourypasserlerestedu carnaval ? Chez des amis, peut-tre ? Ou chez une amie ? J'en ai marre, du carnaval. Horn pronona ces mots avec un calme impressionnant. J'en ai marre, des gens qui ftent le carnaval. J'en ai marre, des choses qu'ils font. Je fous le camp. Dordy inclina nouveau la tte : 36LES NEGRIERS DU COSMOS N'oubliez pourtant pas que c'est toujours la semaine du carnaval. Horn ralisa soudain ce que voulait dire l'androde. Bien sr ! La semaine du Carnaval ! Pendant six jours encore, il serait impossible d'aller oquecesoit.Onn'taitpascensvoyagercettepriode.Ontaitsupposemployer toute son nergie s'amuser. Lejeunehommesedtenditsoudain.Iltrouveraitbienunmoyendetournerle problme. Il y avait toujours un moyen de tourner les problmes. a doit pouvoir s'arranger, fit-il. A propos, Dordy, cela vous intressera peut-tre de savoir que quelqu'un m'a provoqu en duel la nuit dernire. Et que je l'ai tu. Il n'y avait donc pas assez de morts comme cela ! fit Dordy. Horn ngligea le reproche contenu dans cette phrase. Pas assez pour mon adversaire, apparemment, rpondit-il. Je lui ai enlev son masque aprs le duel. C'tait Coolin, l'inspecteur de police. Voil qui explique bien des choses, remarqua tranquillement Dordy. Vous trouvez ? Cela ne m'explique rien du tout moi. Unrobotentra.Ilapportaitleplateaudupetit-djeuner.Hornapprochaunechaiseet s'assit. Il fut surpris de son apptit. coutez, Dordy, fit-il entre deux bouches, si vous vous asseyiez en face de moi et si vous me disiez en quoi la mort de Coolin est sense expliquer les choses ? Dordy refusa de s'asseoir en secouant brivement la tte. Tout ce que je peux faire, c'est vous donner un avertissement, dit-il. Vous n'avez pas eudechancedevoustrouvermlaumeurtredeLarsTalibrand.Par-dessuslemarch, vousauriezdvousconduirecommen'importequi.Vousauriezddonnervotre tmoignage au minimum. Vous montrer impatient de vous joindre au carnaval et d'oublier cequis'taitpass.Alorsonvousauraitprobablementlaissdansuneignorancerelative. Seulementvousavezagitoutautrement.Vousavezfaitduzle.Etvoustesdevenuun danger en puissance pour des gens extrmement dangereux eux-mmes. Horn tiqua : On dirait un mlodrame historique ! Vous trouvez ? Il est dramatique, en effet, qu'un homme ait t pourchass de plante en plante, pouss hors des rgions o sa rputation le protgeait, jusqu' la Terre, o son immunit n'existait plus... et enfin assassin. Comment en savez-vous aussi long sur Lars Talibrand ? demanda Horn. Vousposezmalvotrequestion,monsieurHorn.Cequivousintrigue,c'estqu'un androde remplissant un emploi subalterne en sache plus que vous sur ce qui se passe dans lagalaxie.Maispourquoimecroiresurparole ?Voustrouverezbiensuffisamment d'explications et de preuves si vous vous donnez la peine de les chercher. C'est exactement ce que je vais faire, dcida Horn. Il y a trop de mystre l-dedans. Je n'aurai pas un instant de paix tant que je n'aurai pas la solution. Dordy ricana sans gaiet. JOHN BRUNNER37 Vousnecroyezpassibiendire !Jen'aipasl'impressionquevousaurezbeaucoup d'instants de paix dans l'avenir. A moins qu'en vous faisant tuer vous ne trouviez une paix que personne ne troublera. Dordy changea soudain de ton pour reprendre le rle du secrtaire de directeur. Vosbagagesserontprts.Vouspourrezlesprendreaussittquevousaurezrussi trouver un moyen de transport. J'espre que vous y parviendrez rapidement. En raison des circonstances, monsieur Horn, je crois que vous avez raison de quitter la ville. Il s'inclina et sortit. Horn posa les coudes sur la table, de part et d'autre de son assiette, et se replongea dans ses penses. * * * L'enthousiasme du jeune homme pour ses projets de voyage commena faiblir ds qu'il serenditcomptequ'illuifaudraitd'abordrentrerchezlui.Iltaitmmencessaired'y arriver au plus vite. La famille serait furieuse d'tre drange au beau milieu du carnaval. Ils demanderaient pourquoi Derry voulait quitter la Terre. Et surtout pourquoi il les embtait pendant qu'ils taient en train de s'amuser. Malheureusement,lejeunehommen'avaitpaslechoix.Ils'taitmunidel'argent ncessairepourpayertouslesplaisirsdontilpourraitavoirenviependantlasemainedu carnaval. Il avait mme son billet de retour. Mais ce billet ne lui servait rien si aucun vhicule ne quittait la ville. Derrytrouvadeuxoutroispersonnesquipossdaientdesfusautosoudeshlicoptres. Maiscesgensneparvinrentmmepascomprendrequequelqu'uns'intressedes questions de transport pendant le carnaval. Dsesprment,Derryoffrittoutl'argentdontildisposaitencore.Iln'intressait personne. Les gens ne voulaient mme plus discuter avec lui. La soire s'avanait. C'tait le moment de retourner sur la plage, la foire et dans les cabarets pour la nuit. Horn regagna l'htel d'un air morose. Il maudissait le carnaval et tout ce qu'il signifiait. Il avait la fois trop d'argent, n'ayant aucun dsir de le dpenser quoi que ce soit, et trop peu puisqu'il pourrait peine payer un billet simple pour quitter la Terre. Toutes les agences de voyages avaient ferm boutique, bien entendu. Tous les transports publicstaientinterrompus.Sonhlicoptrepersonneldanslequeliltaitvenutaitdans un garage public qui ne rouvrirait que le lendemain de la fin du carnaval. Peut-tre l'htel consentirait-illuiprterdel'argent.Alorsilpourraitessayerlelendemaindevoirsi,en doublant ses prix, il obtiendrait un meilleur rsultat. Ildemandadoncauvalet-robotdechercherDordy.Celui-cidevaitattendrecetappel. Car il s'annona presque aussitt que le robot eut quitt la chambre. Vous n'avez rien trouv ? demanda Dordy. Je n'ai pas encore fait enlever vos bagages. Horn secoua la tte : Bon Dieu ! Tout le monde se fout de tout sauf de ce carnaval de cingls ! On croirait que la vie doit s'arrter. 38LES NEGRIERS DU COSMOS Cette remarque le laissa songeur et il se caressa le menton. Celanepeuttoutdemmepastre ?Ildoitquandmmeyavoirdesservicesqui fonctionnent pendant ce carnaval ? L'lectricit, l'eau, le chauffage et les taxis-bulles, et les fontaines boisson, et tout le reste. Et la police aussi. Il y a bien quelqu'un qui fait marcher les choses, non ? Qui ? Qui croyez-vous ? fit Dordy avec une certaine lassitude. Il leva son poing bleu, pointant son pouce vers sa poitrine. Excusez-moi,fitHornaprsunepause.Jen'auraispasdposerunequestionaussi grotesque. Ne vous excusez pas. Nous avons t invents pour cela. Les robots sont trs efficaces dansleurgenre.Maislorsqueseproduitunesituation complique, dans laquelle il y a un choix faire, c'est nous qui prenons le volant. Horn s'assit et fit signe Dordy de s'installer galement sur un sige. Vous fumez ? demanda-t-il en lui tendant une bote de cigarettes. Dordy refusa les petits cylindres d'un geste. Nousn'enavonspasledroit,expliqua-t-il.D'ailleursnoussommesconditionns contre le tabac et l'alcool. Dites-moi,Dordy,demandaHorn,croyez-vousqu'ilseraitpossibledetrouverun androdequimeramnechezmoi ?Oummedemednicherunhli,parexemple ?Je paierais bien, vous savez. Dordy eut un sourire un peu ironique. Laquestiondepaiementneseposepas.Nousn'avonspasledroitdedpenserde l'argent. Alors, en ce qui nous concerne l'argent ne signifie rien. J'imagine qu'un androde pourrait tre plus riche qu'un autre androde. Mais a ne l'avancerait pas grand-chose. Je ne sais pas quoi vous offrir d'autre, fit Horn dsempar. Un vague souvenir de manuel d'histoire ancienne lui traversa l'esprit et il proposa : Etcetruc...oui...l'affranchissement.Voussavez,cetteespcedelibration ?Ma familleestassezriche.Jepourraisarrangercelasilachoseestfaisable.Oubienest-ce purement thorique ? C'estpurementthoriqueeneffet,rponditDordy.Notreseulaffranchissementest lamort.Qu'arriverait-ilsiquelqu'unvenaitmedire :Dordyvouspouvezlchervotre travail,vousn'aurezplusjamaisbesoindetravailler ?Jeremercieraissincrementcette personne. Et je refuserais son offre. Que ferais-je, si je n'avais pas mon travail ? Rester assis dans une caserne d'androdes et lire les classiques ? L'androdeavaitl'airdes'ennuyer.Commesilesujetabordtaitparfaitement acadmique, sans plus. Dites-moi, monsieur Horn, reprit-il. Qu'esprez-vous faire si vous quittez la ville ? Eh bien, je ne sais vraiment pas, rpliqua Horn avec franchise. Je pourrais dcouvrir qui a tu Lars Talibrand et pourquoi. Et aussi qui a tu votre surveillant d'tage. Je pourrais livrerlescriminelslajustice.Jesaisquetoutcelaparatridicule.Ondiraitquecelasort JOHN BRUNNER39 d'un roman dmod. Et pourtant je vais le faire. Je veux foutre le camp de la Terre. Je veux savoir ce que les gens font de l'autre ct de notre ciel. Il hsita un moment et conclut : Je veux savoir ce qu'un homme a pu faire pour devenir citoyen de la galaxie. Pour le devenir vous-mme ? Questionna Dordy. Comment le saurais-je tant que je ne sais pas ce que cela implique ? Oui, c'est ce que cela implique qui est important, reconnut Dordy qui fixait le mur de la chambre. D'aprs ce que l'on m'a dit, vous ne trouverez pas partout le mme confort quesurlaTerre.J'aimeautantvousprvenir.Remarquezque,surlaTerre,toutn'estpas toujours confortable. Mais vous ne vous en tes jamais aperu. Et alors ? Horn se leva et se mit arpenter la pice de long en large. J'ai tout le confort possible. Je suis riche. Je suis absolument certain que mon grand-pre va me dire que je suis un imbcile et que je ne ralise pas mon bonheur. Mais si la vie ne doit rien m'apporter d'autre, je finirai par me trancher la gorge. Dordy semblait en proie une lutte intrieure. Au bout d'un moment, il se leva lui aussi et se mit tirer sur sa tunique avec de petits gestes nerveux. Trs bien, monsieur Horn. Je pense que a n'a pas d'importance que vous laissiez vos bagagesici,n'est-cepas ?Ilspourrontattendrelafinducarnaval.Parceque,sivoustes toujours d'accord, j'ai un moyen de transport qui vous ramnera chez vous ce soir. 7 DEPANNAGE Dans le bureau de Dordy se tenait un gros androde taciturne au menton carr. Il portait lacombinaisondestechniciensappartenantunservicepublic.LorsqueHornentra, l'androde l'inspecta du haut en bas d'un regard scrutateur. Puis il se tourna vers Dordy. C'est lui ? fit-il d'un ton gal mais o perait une note critique. C'est lui, confirma Dordy. Monsieur Horn, je vous prsente Berl. Il est employ des servicesmunicipaux.J'avaisprvuque,pendantlecarnavalvousn'arriveriezpastrouver un moyen de transport normal. J'avais donn la consigne mes amis de chercher quelqu'un qui serait libre ce soir et qui aurait sa disposition un hli, ou un camion, ou quelque chose dummegenre.Berln'estpasdeservicecettenuit.Ilm'aditqu'ildnicheraitunhli disponible et qu'il vous piloterait jusque chez vous. Quelque chose dans le regard fixe de Berl gnait Derry. Ce n'est pas la peine qu'il m'accompagne ! fit-il vivement. S'il me fournit un hli, je peuxlepiloter.J'auraisbienpilotlemien.Maisilestaugarage.Etlegarageestferm comme vous le savez. Vous piloterez alors que tous les faisceaux de guidage du continent sont coups pour rvision ? demanda Berl qui lui adressait la parole pour la premire fois. Mais non, je veux dire... Ils sont coups ? Je n'avais pas pens cela. Biensr,qu'ilssontcoups !Lecarnavalestnotreseuleoccasionderviser proprement le matriel des services publics. Et mme en travaillant vingt-quatre heures sur vingt-quatre, a reprsente un fichu boulot ! JOHN BRUNNER41 Le regard de l'androde alla de Horn Dordy. Nous devrions peut-tre nous grouper et lancer un mouvement pour faire doubler la dure du carnaval acheva-t-il. Soudainunlgersifflementsefitentendrederrirelaporte.Ilfutsuivid'uneviolente dtonation. Puis d'un bruit trange, comme si on venait de casser une pile de vaisselle. Excusez-moi, fit Dordy d'une voix lasse. L'androde sortit pour voir ce qui s'tait pass. Il ne tarda pas revenir : C'est encore ce petit imbcile qui trimbale une caisse de ptards. Derry hocha la tte : Je l'ai rencontr dans l'ascenseur, hier soir. Oui,ehbien,ilcontinuerpandrel'espritducarnaval.Cettefois-ci,ila dchiquet le pied d'un robot. Et tu parles de prolonger a pendant deux semaines au lieu d'une, Berl ? Lesdeuxhommespeaubleuechangrentdesregardschargsdecomprhension mutuelle. Horn se sentit trangement exclu de cette entente. Puis Berl haussa les paules. Enfin,fit-il,c'estlavie !Partons,monsieurHorn.Vousnetrouverezpasmonhli aussiconfortablequelevtre.Jel'aiempruntpourlanuitauservicededpannagedes vhicules accidents. Mais, c'est vous qui voulez partir, pas vrai ? Horn fit un signe affirmatif et se tourna gauchement vers Dordy. Jenesaispascommentvousremercier.Ya-t-ilquelquechosequejepuissefaire ? Vous m'avez dit que l'argent ne vous servait rien. Berlmitunsonbizarrequitaitmoitigrognementmoiticlatderire.Ilsedirigea vers la porte. Les remerciements ne nous servent pas grand-chose non plus, expliqua Dordy. Pas aux androdes. Croyez-moi, je n'aurais rien fait de plus que mon travail de secrtaire si vous n'aviez pas dit que vous vouliez poursuivre la mission de Talibrand. Est-ce que j'ai dit cela ? pensa Derry. Ou bien est-ce que c'est la consquence invitable de ma dcision de quitter la Terre ? J'ai peut-tre fait une promesse idiote sous l'influence des euphorisants... Horn se sentait troubl. Un instant, Dordy, s'il vous plat. Quelle tait cette mission de Talibrand sur laquelle vous semblez si bien renseign ? Vous tes dj dans ce truc jusqu'au cou, rpondit Dordy avec calme. Que cela vous plaise ou non. Et j'espre que vous vous en sortirez entier. Au revoir, monsieur Horn. Derry avait l'impression de glisser sur une pente sans trouver rien quoi se raccrocher. Il eutd'abordtrspeur.Puisuncalmetrangel'envahit.IltenditlamainDordyet remarqua avec fiert que cette main ne tremblait pas. Aprsuninstantd'hsitation,Dordylaserra.Berlmitunnouveaugrognementqui, cette fois, ressemblait une approbation mle de surprise. 42LES NEGRIERS DU COSMOS * * * L'hlicoptredeBerltaitbiendiffrentdesmodlespourpassagersdontHornavait l'habitude.Immensmentpuissant,ventru,l'appareilfonalourdementdansleciel,ses rouescartesdepartetd'autred'unsystmemagntiquededpannagedigned'unegrue gante. Horn souffrait du manque de confort. Il tait assis sur une simple banquette mtallique. Soussespiedssetrouvaituncoffreoutilsdontlecontenus'entrechoquaitetcliquetait sans arrt avec un bruit exasprant. A sa droite, la porte qui donnait sur le vide tait d'une fragilitinquitante.Elletaitmunied'undispositifd'ouvertureautomatique.Berlavait bien recommand son passager de ne pas y toucher, mme du bout du doigt, sans quoi il risquait de se trouver ject en moins de deux. Le bord de la banquette sciait les mollets de Derry. Il avait des crampes. Une infecte odeur d'huile se dgageait du rotor au-dessus de sa tte. Mon appareil n'est pas prvu pour passagers, fit Berl d'un ton rigolard au bout d'une heure de vol. L'androdeavaitremarquleseffortsdsesprsdeHornpourtrouveruneposition confortable. Et des petites rides de rire touff plissaient le tour de ses yeux. C'tait la premire fois depuis le dpart qu'il daignait adresser la parole Derry. Jusque-l,ilavaitcompltementignorlestentativesqu'avaitfaitescedernierpourengagerla conversation. A quoisertexactementcetappareil ? Se hasarda demander le jeune homme. Vous m'avez parl de dpannage, de vhicules accidents. Berl acquiesa d'un signe de tte. Leseulclairagel'intrieurdelacabinevenaitdestoilesetdelafaiblelueurdu tableau de bord. Le ton bleu de la peau de Berl tait indiscernable. En fait, il paraissait tre d'un gris aussi neutre que le teint de Horn. Ils'agitd'unhlicoptre-grue,pourl'arrachagedespaves,fitl'androde.Letrain d'atterrissage encadre un dispositif magntique d'accrochage universel. Ma turbine est assez puissante pour soulever, deux, trois ou mme quatre voitures accidentes. Le mois dernier, j'ai emport une fuse spatiale lgre. Et je peux transporter le tout cinq cents kilomtres. Berl risqua un regard interrogateur vers son passager : Vous ne nous avez jamais vus au travail ? Horn fit un geste de dngation : Je me suis dj trouv sur les lieux d'un accident. Mais le dblaiement tait toujours termin avant mon arrive. Une pense le traversa et il ajouta : Vos gars doivent travailler joliment vite ! Berl eut un bon gros rire. Nous essayons. Pendant le carnaval, naturellement, on n'a pas besoin des appareils de rcuprationlourde.Pastonnant,puisqu'ilnecirculequedestaxis-bulles.S'ilyenaun qui tombe en panne, tout ce qu'il lui faut, c'est un lectronicien. JOHN BRUNNER43 Ils passaient l'est d'une ville que Horn ne put identifier. Vue de l'hlicoptre, on aurait dit la tache de lumire brumeuse d'une nbuleuse extra-galactique, telle que ces nbuleuses apparaissent travers un tlescope gant. Derry communiqua ses impressions Berl qui grommela : J'aipasidedecequ'onpeutvoirdansuntlescope.Monboulot,c'estla rcupration des paves. J'aifaitunegaffe,pensaHorn.J'oubliequec'estunandrode.Direquej'taisen train de lui poser des questions sur un travail tout simple que j'aurais pu observer dix fois si je m'en tais jamais donn la peine. Il rflchit en silence un moment. Puis il s'adressa de nouveau Berl. Il faut avouer qu'il y a sur la Terre des tas de trucs que je ne connais pas. Je devrais peut-tre fourrer un peu mon nez dans les affaires de cette plante avant de passer sur une autre. L'androde ne rpondit pas. Horn ralisa soudain que l'hli perdait de l'altitude. Le groupe de lumires vers lequel ils descendaient lui parut familier. C'tait le domaine Horn. Ils allaient atterrir. Derry se souvint alors qu'il aurait voulu prparer ce qu'il dirait sa famille, prvoir des rponses leurs objections. Aprs tout, il en aurait peut-tre le temps. L'allure de l'hlicoptre avait t assez lente. Mais la nuit n'tait pas trs avance. Il s'coulerait encore une heure ou deux avant que la famille ne revienne du carnaval pour dormir. L'hlifitunatterrissageimpeccable.Berltenditunbrasmusclverslecrochetqui fermaitlaportedeHorn.Elles'ouvritaussittenformantunerampejusqu'ausol.Les jambes raides, le jeune homme descendit et se retourna. Berl se penchait vers lui. Dordy m'a pri de vous remettre ceci, dclara-t-il en jetant un objet oblong et plat. Avantmmedel'attraper,Hornsutqu'ils'agissaitdel'tuiquiavaitappartenu Talibrand. Dites donc, monsieur Horn, vous parliez de rester sur la Terre pour fourrer votre nez dans les affaires de cette plante ? Ne perdez pas votre temps. Laissez les androdes s'occuper du dpannage des paves. Et faites votre boulot vous. Au revoir. La porte de l'appareil se referma. Le souffle du rotor se transforma en tourbillon vertical. L'hlis'levagauchementdansleciel.Hornlesuivitduregardavantdesedirigerversla maison, soupesant pensivement le petit tui dans sa main. L'arrive du voyageur n'avait pas pu passer inaperue. Le gros hli faisait beaucoup plus debruitqu'unappareildetourisme.Toutenmontantlapentequiconduisaitduterrain d'atterrissage aux jardins en terrasses, Derry s'attendait tout moment voir les lumires de la maison s'allumer. Il n'en fut rien. Le jeune homme foulait l'herbe frache de la pelouse et sentait le parfum familier des fleurs lorsque jaillit la lueur d'une lampe de poche. Une voix paisible lui dit : Bonjour, monsieur Derry. Quel plaisir de vous voir de retour. 44LES NEGRIERS DU COSMOS Merci, Rowl. Tu n'as pas l'air surpris de me voir. Rowltaitl'androdevaletdechambrequiservaitlafamilledepuislanaissancede Derry. Lejeunehommeavaittoujoursentendusafamillediscuteravecrageproposde l'emploid'unandrodedanslamaisonduplusimportantfabriquantderobotsdela plante.Ladiscussionseterminaittoujoursdelammefaon :toutlemondetombait d'accord sur le principe qu'un androde d'importation comme Rowl ajoutait au prestige des Horn. Cependant, Rowl tait rest le seul androde du personnel. Tous les autres domestiques taient des robots de confection placs sous ses ordres. Jen'aipastsurpris,monsieurDerry,repritlavoixdoucedel'androde.Le directeurdel'hteldanslequelvoustiezdescendu,ouvraidirelesecrtairedece directeur, m'a prvenu de votre retour. Vraiment ? fit Horn avec une certaine surprise. Lejeunehommepntradanslegrandpatioquiprcdaitlamaison.Lesmurs transparentsdonnaientl'impressionqu'iln'yavaitaucunesolutiondecontinuitentrele jardinetlessalons.Derryconstataqu'iln'yavaitpersonnel'intrieur.Seulslesrobots domestiques s'affairaient comme toujours. Rowl teignit sa lampe de poche. Ce faisant, son regard tomba sur l'tui mtallique que tenait Horn et il s'y attarda. Derry se demanda comment faire parler l'androde. Toute la famille est en ville, je pense ? demanda-t-il. Oh, oui ! Monsieur votre pre a t absent toute la journe. Madame Lu a dit de ne pasl'attendre.Monsieurvotregrand-preaffirmequelecarnavalnel'amuseplusautant qu'autrefois. Il tait de trs mauvaise humeur en rentrant hier. Et je suppose qu'il en sera de mme aujourd'hui. Et ma sur ? Miss Via se trouve clans les jardins avec un groupe d'tudiants sous la surveillance de votre cousine, Mme Ladora. A propos, monsieur Derry, je me permets de vous rappeler que toute cette branche de la famille est en visite ici pour la dure du carnaval. Bon Dieu ! Je l'avais compltement oubli ! Tant pis, a ne m'empchera pas de faire mon devoir. Rowl, crois-tu qu'il y ait cent mille crdits en liquide dans le coffre ? L'androde fit une moue. Probablementoui,monsieurDerry.Maisiln'enresteraplusquecinqoudixmille d'ici la fin du carnaval. Au fait, le directeur de votre htel m'a dit que vous aviez l'intention dequitterlaTerre.Est-cevrai ?Sitoutefoisvousmepermettezdeposerunepareille question... Ou bien est-ce un prtexte dont vous vous tes servi pour quitter l'htel ? C'est parfaitement exact, Rowl. Je dcolle ds que je le pourrai. C'est d'ailleurs pour cela qu'il me faut cent mille crdits. Derry entra dans la maison. JOHN BRUNNER45 Apporte-moidoncquelquechoseboire.Avecquelquessandwiches,Rowl.J'ai besoin de prendre des forces si je veux discuter avec grand-pre. 8 L'ART D'ETRE GRAND-PERE Hornmangeaseuldanslegrandsalonquis'tendaitd'unboutl'autredurez-de-chausse. Un mur entirement transparent sparait cette pice du patio. Sur le mur qui lui faisaitface,desdessinslumineuxchangeaientcontinuellementdetonsetdemotifs, modifiantperptuellementledcordelapice.Untapisancien,vieuxdemilleans,tait accrochaumurdansuncoffrageremplid'hliumdestinempchersalente dcomposition. Derry avait termin son repas et commenait aspirer le contenu d'une cigarette quand sasurViafitsonentredanslesalon.Elletaitentoured'unehordeglapissantede jeunesgensdeseizedix-huitans.LacousineLadoraessayaitvainementd'tablirun semblant d'ordre. Rowl, selon son habitude, rdait quelque part dans le fond de la pice. Ds qu'elle aperut son frre, Via poussa un hurlement d'horreur : Derry, espce de chameau, tu m'as fait perdre mon pari ! Quelpari ?demandaHornavecaigreurtoutendtachantlesbrasquelajeunefille avait passs autour de son cou. J'aipariavecSampidge,lepetitblondfrisquetuvoisl-bas.Jecroyaisquetu t'amuseraistellementmieuxtoutseulaucarnavalque tu ne rentrerais pas. Lui, il tait sr quetureviendraisparcequ'ilprtendqu'ons'amusebeaucoupmieuxaveclesgensqu'on connat. Et voil que tu lui donnes raison ! Tuasperdutonpari.Etluiaussi,dclaraHornenselevant.Jenesuispasrevenu pour le carnaval. J'en ai marre du carnaval et de tout ce qu'il reprsente. Je suis revenu pour JOHN BRUNNER47 demandergrand-precentmillecrdits.Aprsquoijeprendraiunspationefpour Newholme.Etmmepeut-treplusloin.MaisjecroisqueNewholmesuffirapour commencer. O est-ce ? demanda Via dconcerte. C'est loin ? Il y eut un silence soudain dans la pice. Et tout le monde entendit la rponse de Horn. Oui, c'est loin. Mais je n'irai jamais assez loin de la Terre. Touslesvisagessetournrentverslui.LejeuneSampidgesedtachadugroupeet s'approcha de Horn. Ce dernier le fixa d'un air maussade. J'ai cru entendre que vous vouliez quitter la Terre, fit Sampidge. Pourquoi s'en aller en plein carnaval ? C'est un drle de moment pour prouver qu'on a l'esprit pionnier. Je suis malade de la comdie que nous jouons tous, dclara Derry. Cettediscussionennuyaitundesjeunesgens.Illanauncoussindel'autrectdela picedansladirectiondeSampidge.LeprojectilevintfrapperHornenpleinefigure.Il perdit l'quilibre et tomba par terre sans aucune dignit. En un instant, la pice se remplit des hurlements d'une bataille. Tout n'tait que rires, cris de terreurs et bousculade. Soudain, une grosse voix enroue domina le tintamarre. Qu'est-ce qu'il se passe ici ? Rowl, vide-moi tout de suite ce tas de voyous. a suffit comme a ! Lesilencetombacommelanuitsuruneplantesansatmosphre.Lesjeunesgens posrent leurs coussins d'un air contraint. Ils murmurrent : Bonsoir, monsieur ! Tout le groupe disparut comme une ombre, entranant Via et Sampidge. Legrand-preHornlesregardas'loignerenfronantlessourcils.Puisilrevint lourdement dans la pice : Rowl, donne-moi de quoi boire ! Commanda-t-il. Rowls'excuta.Levieillardgagnaungrandfauteuiletplialentementlesjambespour s'asseoir. Ce fut alors seulement qu'il vit son petit-fils en train de se relever. Derry !Qu'est-cequetufabriquesl ?Jecroyaisquetunetrouvaispasnotre compagnie assez bonne pour toi pendant le carnaval ? Hornsemontraithabituellementtrsrespectueuxenverssongrand-pre,commele faisaitd'ailleurstoutlerestedelafamille.Maisilavaitdciddeneplussesoucierdes consquencesdecequ'ildiraitoudecequ'ilferait.Aussisarpliquefut-ellefaitesurle mme ton que celui de la question : J'ai dcid qu'aucun genre de compagnie ne me convient. En tout cas sur la Terre. Je suisvenutedemanderdemedonnercentmillecrditssurl'argentquimerevient.Aprs quoi, je quitte cette plante. Le vieillard, ahuri, se pencha pour fixer Derry. Rowl s'approcha avec un plateau charg de boissons. Mais le vieux l'carta impatiemment d'un geste de la main. Tu es devenu compltement fou, mon pauvre garon... Ah ! J'y suis ! Le grand-pre se renfona dans son sige en ricanant. 48LES NEGRIERS DU COSMOS Qui est-ce ? Une fille que tu as rencontre au carnaval ? Elle devait tre bougrement jolie pour que tu sois dans cet tat-l. Cen'estpasunehistoirede femme, rectifiaHorn.J'enaimaclaque,c'esttout.Du carnaval. De la Terre De tout. Et du reste. En plus, j'ai affaire ailleurs. Malgrsesquatre-vingt-dixans,legrand-preHornaffectaitvolontiersdeparleren copain avec son petit-fils. Il tapota le bras du fauteuil proche du sien : Vienst'asseoir,Derry.J'auraitoujoursletempsdem'occuperdesproblmesdema famille. Horn secoua la tte et resta debout o il tait. Son grand-pre haussa les paules. Faiscommetuvoudras.Maisparlonsdetondpart.C'estvraimentgrave,labtise que tu as faite ? J'ai tu un homme la nuit dernire, commena Horn. Un inspecteur de police. Le grand-pre sursauta : Pas fameux, a ! Je pensais bien qu'il y avait une anguille sous roche. Mais enfin, un inspecteur de police... ce n'est pas le diable ! Que s'est-il pass ? Il m'a provoqu. Il m'a emmen de force dans une salle d'armes. Tu l'as tu en duel rgulier ? Bon Dieu ! Mon petit, c'est le carnaval ! On ne peut pas te condamner pour cela ! Tu ne le savais pas ? Le grand-pre ava