155
2013 : LA VEILLÉE D’ARMES ÉCONOMIQUE

Brunot colmant 3

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Brunot colmant 3

2013 : LA VEILLÉE D’ARMES ÉCONOMIQUE

500_VEILDAR.indd 3 30/01/13 13:30

Page 2: Brunot colmant 3

© 2013, Anthemis s.a.Place Albert I, 9 B-1300 LimalTél. 32 (0)10 42 02 96 – [email protected] – www.anthemis.be

Toutes reproductions ou adaptations totales ou partielles de ce livre, par quelque pro-cédé que ce soit et notamment par photocopie, réservées pour tous pays.

Dépôt légal : D/2013/10.622/10 ISBN : 978-2-87455-595-4

Mise en page : CommunicationsImprimé en BelgiqueImpression : Ciaco

500_VEILDAR.indd 4 30/01/13 13:30

Page 3: Brunot colmant 3

2013 : LA VEILLÉE D’ARMES ÉCONOMIQUE

Bruno Colmant

Membre de l’Académie royale

de Belgique

Textes rassemblés

500_VEILDAR.indd 5 30/01/13 13:30

Page 4: Brunot colmant 3

PRINCIPAUX OUVRAGES (INDIVIDUELS ET COLLECTIFS) DE L’AUTEUR

Les nouveaux instruments financiers, Bruxelles, Kluwer Éditions Juridiques, 1994.Gestion du risque de taux d’intérêt, Bruxelles, Kluwer Éditions Juridiques, 1995.Le droit comptable dans la société, Bruxelles, Ced.samsom, 1996.Les nouveaux instruments financiers, Bruxelles, Kluwer Éditions Juridiques, 1998.Le droit comptable belge applicable aux instruments financiers, Bruxelles, Larcier, 2001.Les stock-options, Cahiers financiers, Bruxelles, Larcier, 2002.Les instruments financiers optionnels, Cahiers financiers, Bruxelles, Larcier, 2002.Les obligations, Cahiers financiers, Bruxelles, Larcier, 2002.Efficience des marchés, Cahiers financiers, Bruxelles, Larcier, 2003.La décote des holdings belges, Cahiers financiers, Bruxelles, Larcier, 2003.Les normes IAS/IFRS 32 et 39, Cahiers financiers, Bruxelles, Larcier, 2003.Les stock-options - Édition 2004, Cahiers financiers, Bruxelles, Larcier, 2004.Les obligations - Édition 2004, Cahiers financiers, Bruxelles, Larcier, 2004.Les obligations convertibles, Cahiers financiers, Bruxelles, Larcier, 2005.Les Accords de Bâle II pour le secteur bancaire, Cahiers financiers, Bruxelles, Larcier, 2005.Les normes IAS/IFRS 32 et 39 – 2005, Cahiers financiers, Bruxelles, Larcier, 2005.Les stock-options - Édition 2006, Cahiers financiers, Bruxelles, Larcier, 2006.Les intérêts notionnels, Cahiers financiers, Bruxelles, Larcier, 2006.L’image fidèle en droit comptable belge, Cahiers financiers, Bruxelles, Larcier, 2007.Les normes IAS/IFRS 32 et 39 et IFRS 7, Cahiers financiers, Bruxelles, Larcier, 2007.La suppression des titres au porteur, Louvain-la-Neuve, Anthemis, 2007.Les déductions fiscales à l’impôt des sociétés, Cahiers financiers, Bruxelles, Larcier, 2008.Économie européenne : l’influence des religions, Louvain-la-Neuve, Anthemis, 2008.Les normes IFRS, collection Synthex, Paris, Pearson, 2008.2008 : l’année du krach, Bruxelles, Larcier, 2008.L’efficience des marchés, Cahiers financiers, Bruxelles, Larcier, 2009.La bourse et la vie, dialogue avec l’abbé Éric de Beukelaer, Louvain-la-Neuve, Anthemis, 2009.La crise économique et financière de 2008-2009, Bruxelles, P.I.E. Peter Lang, 2010.Les éclipses de l’économie belge, Anthemis, 2010.Le capitalisme d’après, dialogue avec Axel Miller, Larcier, 2010.2010, l’année fracturée, Anthemis, 2010.L’impôt en Belgique après la crise, dialogues avec Étienne de Callataÿ, Larcier, 2010.2011-2013 : les prochaines conflagrations économiques, Larcier, 2010.Des temps provisoires, une année imprécise, Anthemis, 2011.Les dialogues de la fiscalité, Larcier, 2011.Les sentinelles de l’économie, Anthemis, 2012.Les agences de rating, actes d’un colloque de l’U.L.B., 2012.Cinquante ans de fiscalité, actes d’un colloque de l’E.S.S.F., 2012.La déflagration monétaire, Anthemis, 2012.La mélancolie d’une charmille, Anthemis, 2012.Voyage au bout d’une nuit monétaire, Académie royale de Belgique, 2012.

500_VEILDAR.indd 6 30/01/13 13:30

Page 5: Brunot colmant 3

La vie de la plupart des hommes est un chemin mort et ne mène nulle part.Mais d’autres savent, dès l’enfance, qu’ils vont vers une mer inconnue.

Déjà l’amertume du vent les étonne,déjà le goût du sel est sur leurs lèvres,

jusqu’à ce que, la dernière dune franchie,cette passion infinie les soufflette de sable et d’écume.

Il leur reste de s’y abîmer ou de revenir sur leurs pas.

François Mauriac (1885-1970),

Les Chemins de la mer (1939)

Les passionnés vivent, les résignés durent.

Charles de Gaulle (1890-1970)

500_VEILDAR.indd 7 30/01/13 13:30

Page 6: Brunot colmant 3

500_VEILDAR.indd 8 30/01/13 13:30

Page 7: Brunot colmant 3

9

anthemis

Vers une nationalisation insidieuse de nos économies

Le véritable risque de l’économiste est de s’assurer qu’il prend la bonne distance focale par rapport aux événements qu’il circonscrit et tente de qualifier. Or le temps et la distance lui manquent toujours, le recul historique aussi, souvent.

Au reste, en économie, il faut s’éloigner des explications détermi-nistes ou séquentielles. Il faut aussi écarter les enchaînements systéma-tiques, les invariants, les ressemblances et les répétitions de scénarios. Il n’y a jamais de référents parfaits, et encore moins de lois économiques intangibles.

Au mieux, l’économiste peut-il trouver des affinités électives ou des congruences liées à certains contextes. Il lui faut alors les étançonner de manière empirique et donc réfutable. Il court néanmoins le risque de confondre un problème avec ses symptômes, illustrant le sophisme post hoc ergo propter hoc qui consiste à confondre un antécédent avec une cause. En économie, il y a moins de séquences de causes à effets que d’événements complexes qui s’entrelacent et s’entrechoquent.

Notre recueil de chroniques, essentiellement publiées entre l’été 2012 et l’hiver 2012-2013, n’échappe pas à cette réalité. Ces chro-niques sont rédigées à l’aune d’une intuition. Cette dernière porte sur un choc qui nous semble inéluctable, compte tenu des déséquilibres majeurs accumulés dans nos économies. Cette intuition ne découle pas d’un sentiment de déclin, mais plutôt de la prise de conscience qu’une économie globalisée, caractérisée par des mobilités inconnues des facteurs de production (travail, capital et information), sera imman-quablement soumise à d’amples volatilités, d’une envergure inconnue. Le choc que nous anticipons est aussi lié au pressentiment de l’impos-sibilité de maintenir les inégalités (sociales, économiques, alimentaires, etc.) dans un monde au sein duquel les facteurs de production sont d’une stupéfiante fluidité.

500_VEILDAR.indd 9 30/01/13 13:30

Page 8: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique10

anthemis

Cette volatilité anticipée alimente notre sentiment d’un monde au sein duquel le rapport à l’histoire devient instantané. Notre environne-ment économique est devenu instable. La nature liquide de notre éco-nomie est la norme. Tout ceci conduit à un rapport au temps différent : la liquidité et sa transposition temporelle, l’instantanéité, débouchent sur un monde plus volatil. Cette économie est en suspension, en impermanence.

Au fur et à mesure que nos économies discernent les effets de la crise économique, c’est un scénario de stagflation (c’est-à-dire de sta-gnation de la demande intérieure et d’inflation) qui semble se dessiner, couplé à une hétérogénéité croissante entre les pays de la zone euro. En temps normaux, il est possible d’échapper à la stagflation par une politique de déficit public. Malheureusement, ce n’est plus possible : jamais, sauf en période de guerre totale, la dette des pays développés n’a été aussi élevée.

Ce n’est pas la crise bancaire qui a fait exploser les dettes publiques, mais bien les déficits courants des États, eux-mêmes activés par les stabilisateurs économiques. Ces stabilisateurs économiques alimentent une politique budgétaire contracyclique : en période de récession, les recettes fiscales diminuent, tandis que les transferts sociaux augmen-tent. Ce ne sont pas non plus les marchés financiers qui ont créé la dette publique, mais nos gouvernements qui ont capturé, au travers de l’endettement, la croissance et la démographie des prochaines généra-tions. Les États ont profité de la financiarisation de l’économie, grâce à laquelle ils ont trouvé des créanciers complaisants.

L’inflation suscitée par la création monétaire sera la manière que les États choisiront pour se soustraire aux marchés. Elle n’est pas un choix économique idéal, mais elle sera un scénario résigné, destiné à éviter de trop fortes tensions sociales. En effet, l’ordre social n’a pas de prix : il passe toujours avant l’ordre monétaire.

La Belgique n’échappe pas à cette réalité, avec une dette publique démesurée (bientôt aggravée par le coût du vieillissement de la popu-lation) et son corollaire de coût du travail excessif. Pendant des années, nous avons construit un système d’État-providence qui a empêtré les

500_VEILDAR.indd 10 30/01/13 13:30

Page 9: Brunot colmant 3

vers une nationalisation insidieuse de nos économies 11

anthemis

finances publiques et la fiscalité du travail dans un inextricable mélange de pseudo-assurance collective. La compétitivité du pays en est affectée.

Par ailleurs, l’impôt et l’inflation sont deux moyens de renationa-liser la dette publique. Ceci nous amène à une intuition plus globale : une dette publique excessive n’est-elle pas la négation de l’économie de marché et de la propriété privée des moyens de production ? La dette, remboursée par l’impôt et l’inflation, fait, en effet, planer un risque de confiscation sur les revenus du travail et du capital. Dès lors, une dette publique outrancière s’assimile, pour partie, à une nationali-sation pernicieuse de toute l’économie.

La logique de création monétaire abusive à laquelle nous assistons constitue peut-être le ferment de cette nationalisation dérobée. En effet, les États ont recapturé la création monétaire afin de financer leurs dettes, au risque de dévaloriser la monnaie et de mettre en péril la pérennité de l’étalon monétaire. Si cette orientation était confirmée, cela signifie que la dette publique et la création monétaire convergent vers une expropriation partielle de l’économie privée.

Le problème de la dette publique, c’est qu’elle confisque le débat démocratique. La dette est, en effet, une hypothèque sur la prospérité des générations futures, ce qui constitue un incontestable déni de démocratie.

Nos communautés européennes seront donc immanquablement confrontées à de robustes débats idéologiques qu’une conjoncture bienveillante avait permis de camoufler depuis trente ans.

Les prochaines années seront affectées d’une tension croissante entre le capitalisme individuel et des forces collectivistes caractérisées par une répression financière, fiscale et inflationniste. Ces frictions seront accentuées par des tensions sociales, elles-mêmes alimentées par des dislocations générationnelles, qu’on constate déjà dans de nombreux pays. Car, dans tous les scénarios envisagés, la jeunesse est sacrifiée, ne pouvant pas accepter l’héritage de la dette publique sous bénéfice d’inventaire.

La vraie question centrale sera désormais de savoir quelle majorité ou génération va imposer sa loi à quelle minorité ? Qui sera le garant de la propriété privée ? Comment les marchés vont-ils composer avec les pouvoirs souverains ? Le chemin sera sinueux entre le libéralisme

500_VEILDAR.indd 11 30/01/13 13:30

Page 10: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique12

anthemis

de l’économie de marché et le socialisme redistributif, mais l’instant de vérité de notre modèle social est proche. À un moment, il faudra se débarrasser des vieux réflexes idéologiques des années septante et admettre que la compétitivité de notre économie passera par l’accepta-tion d’un modèle d’économie de marché

La mondialisation n’a exprimé que ses effets préalables.Elle n’a pas encore intégré l’histoire réelle.

500_VEILDAR.indd 12 30/01/13 13:30

Page 11: Brunot colmant 3

13

anthemis

2013 : l’année des vérités socioéconomiques

Cinq ans après le début de la crise bancaire, 2013 sera l’année du reflux économique, qui terrassera le modèle industriel de l’après-guerre. Plusieurs crises atteindront leur paroxysme. Pourtant, toutes n’ont pas la même portée.

Il y a, bien sûr, un ralentissement généralisé du rythme de croissance mondiale. C’est un phénomène classique de tassement conjoncturel qui succède aux périodes d’expansion, comme celle qui a caractérisé la période 2001-2007. L’économie progresse par cycles qui alternent les contractions et les dilatations.

Mais la véritable crise, en partie révélée par la récession, concerne l’endettement excessif de nos États. Dans les pays de la zone euro, le niveau d’endettement public atteint près de 90 % du P.I.B. (qui cor-respond à la création de richesse nationale annuelle) auxquels il faut ajouter le déficit prévisible du coût de vieillissement de la population. La dette publique totale doit donc approcher 130 % du P.I.B.

Cette dette publique est totalement impossible à rembourser de manière ordonnée. De surcroît, elle constitue un obstacle à la pros-périté économique pour deux raisons. Tout d’abord, elle oblige l’État à divertir une partie de l’épargne publique vers le financement de sa propre dette, au détriment de l’économie productive. Ensuite, le coût d’intérêt de cette dette entraîne un prélèvement significatif des recettes fiscales.

Adossée à des systèmes sociaux généreux, mais rigides, l’Europe a échoué, car elle n’a pas suffisamment alimenté ses moteurs de crois-sance et la mobilité des facteurs de production. Alors que le monde s’immergeait dans l’économie de marché, de nombreux pays européens ont accru le poids de l’État dans l’économie, ce dernier intervenant souvent jusqu’à 50 % du P.I.B. Nous avons emprunté le confort finan-cier de nos descendants. Le coût de cet emprunt de prospérité était lointain. Il devient aujourd’hui dangereusement circonscrit. Dans cette

500_VEILDAR.indd 13 30/01/13 13:30

Page 12: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique14

anthemis

perspective, la crise a rapproché la confrontation avec l’avenir d’une génération. Le modèle d’État-providence et nos systèmes fiscaux et sociaux n’en sortiront pas indemnes.

La contrainte de l’endettement public est aggravée par la cohésion budgétaire liée à l’euro. En effet, la monnaie unique exige une homo-généité des paramètres des économies des États membres. Or ces paramètres divergent dangereusement, faute d’avoir réussi, pendant les premières années d’existence de la monnaie unique, à construire une zone de libre-échange suffisamment fluide. Aujourd’hui, l’euro est une monnaie trop forte pour certaines économies européennes chancelantes.

Écartelés entre une récession, des dettes publiques insoutenables et une monnaie inadaptée, comment s’extirper de cette situation ? Il faut, bien sûr, subir un appauvrissement collectif pour libérer les futures forces productives de l’économie. Il s’agit donc d’une dévaluation interne. Deux voies se dessinent : la solution budgétaire et l’aboutisse-ment monétaire.

La solution budgétaire conduit à mettre en œuvre des politiques d’austérité, malgré l’évidence historique que cette dernière alimente la récession et le chômage. C’est la situation qu’on constate dans les pays méditerranéens, dont certains sont au bord de l’insurrection, puisque l’austérité s’exerce au détriment de la jeunesse. Qui peut d’ailleurs croire que les objectifs de retour à l’équilibre budgétaire en 2015 pos-sèdent le moindre fondement ?

Mais alors, quelle est la solution résiduelle ? À l’intuition, c’est la solution monétaire qui se traduira par une combinaison de répression financière et d’inflation.

La répression financière correspond au contrôle étatique des banques et du niveau des taux d’intérêt afin de canaliser d’autorité l’épargne populaire vers le financement des dettes publiques.

Quant à l’inflation, elle est alimentée par la création monétaire que les banques centrales mettent en œuvre afin de refinancer des dettes publiques. En d’autres termes, c’est la création monétaire qui va financer le gouffre financier des États-providence. La plupart des économistes réputés recommandent d’ailleurs de relever les objectifs

500_VEILDAR.indd 14 30/01/13 13:30

Page 13: Brunot colmant 3

2013 : l’année des vérités socioéconomiques 15

anthemis

d’inflation de la Banque centrale européenne, actuellement fixés à 2 %, puisqu’il est impossible d’absorber les endettements publics tout en conservant le maintien du pouvoir d’achat.

Au reste, la question n’est plus de savoir si l’inflation s’imposera ou non : elle infiltre déjà insidieusement nos économies, alors que la récession aurait plutôt dû conduire à une déflation, c’est-à-dire une baisse des prix. Nous sommes entrés dans la stagflation, c’est-à-dire une chimie perverse de stagnation et d’inflation.

Mais l’inflation ne résout rien en tant que telle, si elle est reflétée dans un ajustement permanent du coût du travail et du capital. Elle n’est opératoire que si elle est absorbée par les agents économiques qui en subissent l’appauvrissement. En d’autres termes, il faut subir l’inflation par une diminution de la rémunération de son travail et de son épargne.

Ceci étant, la véritable question est savoir si nous aurons le temps d’utiliser l’arme de l’inflation pour ajuster l’endettement public dans un contexte de récession. Certains économistes considèrent que des chocs sociaux perturberont une sortie de crise ordonnée et que des phénomènes plus graves, tels des rééchelonnements de dettes massifs, seront inéluctables. D’aucuns parlent même de défaut généralisé de la zone euro, d’une envergure comparable à l’opération Gutt de 1944. Cette vision dantesque de l’économie est-elle envisageable ? Elle est difficile à imaginer, mais elle n’est pas exclue, car l’ordre monétaire ne résiste jamais aux forces sociales.

Si l’avenir donne raison à ces prévisions effroyables, ce serait un aggiornamento financier majeur qui aura consommé un mode de crois-sance fondé sur l’endettement et le report démographique de son rem-boursement sociétal. Des ruptures sociales conduiraient alors à l’aban-don de l’économie marchande et à une nationalisation généralisée de nos communautés.

Une course contre le temps a commencé, car l’année 2013 verra plusieurs paramètres s’ajuster : les rapports sociaux et la répartition des richesses, la juxtaposition des intérêts collectifs et individuels et la valeur de la monnaie.

500_VEILDAR.indd 15 30/01/13 13:30

Page 14: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique16

anthemis

La crise rappelle que les hommes qui se laissent porter par les consensus flous et dominés par les peurs collectives ne sont ni des acteurs des ruptures, ni des facteurs de progrès. L’année 2013 consom-mera la finitude des modes de pensée anciens. Elle sera décisive.

L’Écho, novembre 2012

500_VEILDAR.indd 16 30/01/13 13:30

Page 15: Brunot colmant 3

17

anthemis

1933-2013 : les mêmes grandes dépressions ?

L’histoire ne se répète pas, mais parfois, elle bégaie.C’est ainsi que pendant très longtemps, j’ai cru que la meilleure

référence historique de la crise économique se situait dans les années 1978-1982. Il y a trois décennies, ces quatre années furent celles de l’ef-farement politique. L’économie mutait d’une logique industrielle à une société de services, et le grincement de cette charnière sociétale fut assourdissant. Pourtant, les gouvernements de l’époque, confondant une mutation structurelle de nos communautés avec un choc conjoncturel, plombèrent scandaleusement l’État à coups de déficits, suscitant une inflation à deux chiffres et un endettement public dont nous sommes les lointains débiteurs. La Belgique était sortie gravement appauvrie de la décolonisation, deux chocs pétroliers avaient signé la mort de nom-breuses entreprises consommatrices d’énergie et les centres de crois-sance migraient progressivement vers d’autres cieux. Malgré cela, cer-tains crurent bon de chercher dans l’endettement public une source de richesse, alors que l’endettement ne représente jamais qu’un acompte sur des impôts futurs.

Dans les années 1980, la Belgique vivota dans un marécage keynésien, alimenté par des transferts sociaux massifs et des soutiens publics aux entreprises moribondes. Mais, à l’époque, la plupart des leviers écono-miques, dont la monnaie, étaient sous le contrôle des autorités publiques. C’est ainsi que la Belgique put s’extraire partiellement des désastreuses erreurs de jugement de Léo Tindemans grâce à la dévaluation de 1982.

Aujourd’hui, force est de reconnaître que la balise de l’histoire est probablement plus lointaine. Nous ne sommes plus en 1982, mais, par un saut temporel, nous sommes revenus en 1933, aux abords de la terrible dépression. En quatre ans d’égarements économiques et poli-tiques, nous avons dégringolé d’un demi-siècle. Un demi-siècle, c’est beaucoup. Et surtout, cela révèle que les leçons de l’histoire sont mal retenues.

500_VEILDAR.indd 17 30/01/13 13:30

Page 16: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique18

anthemis

Pourquoi ce retour en arrière dans les années noires ? Parce qu’au-delà des chiffres feutrés fournis par les instances officielles, l’écono-mie est véritablement en train de s’effondrer. Certes, les entreprises sont, pour la plupart, désendettées et extraites du krach boursier de 2008. Mais, en même temps, lorsqu’on examine les statistiques euro-péennes de l’économie industrielle de base, c’est-à-dire la production de ciment, l’immobilier, les ventes de véhicules, les transports, etc., tout s’effondre dans des proportions ahurissantes. C’est une déferlante de faillites. Les carnets de commandes s’assèchent de plusieurs dizaines de pour cent. On ne parle plus de quelques rides négatives sur une ten-dance de croissance, mais d’un véritable décrochage économique qui porte les germes d’une profonde vague de chômage.

Nous sommes aussi en 1933, parce l’euro s’assimile désormais à un système d’étalon-or dont la rigidité empêche tout État membre d’ajus-ter sa compétitivité extérieure. En réalité, l’euro présente un danger pire qu’une référence à l’or, dont on peut se distancer à tout moment. C’est d’ailleurs ce qu’ont fait les Européens dans les années 1930. C’est donc plus grave : notre situation économique est pire que celle de 1933, puisque la référence de la monnaie est devenue… la monnaie elle-même et plus une parité flexible avec l’or. La monnaie est devenue un danger, parce que son extraction n’est plus possible, sauf au prix de chocs économiques et sociaux d’une envergure incalculable. C’est ainsi que l’euro n’est plus une monnaie adaptée aux pays du sud de l’Europe, mais la sortie de ces pays s’effectuerait au prix d’une hyperinflation incalculable. En d’autres termes, la seule dévaluation possible, c’est la dévaluation interne, soit une chute de la consommation intérieure qui entraîne elle-même la récession.

L’évidence est devant nos yeux : l’euro est un échec, puisque la monnaie est le seul paramètre qui reste figé alors que toutes les don-nées fondamentales des pays participants divergent : déficits et dettes publiques, compétitivité, chômage, inflation, taux de croissance, etc. D’ailleurs, sur la base des données fondamentales des économies, per-sonne ne songerait, aujourd’hui, que les pays européens puissent envi-sager une monnaie commune. Nous traversons une période ahuris-sante où la monnaie est postulée comme un aboutissement intangible, alors que ses soubassements se fissurent gravement. L’euro n’est plus

500_VEILDAR.indd 18 30/01/13 13:30

Page 17: Brunot colmant 3

1933-2013 : les mêmes grandes dépressions 19

anthemis

non plus adapté, car nous rentrons dans la stagflation, c’est-à-dire un mélange de récession domestique et d’inflation rampante alors que nos gouvernants veulent imposer austérité et rigueur monétaire, soit l’inverse de ce que nous ont enseigné les années 1930.

Nous sommes donc en 1933, dans le creux de la réplique sismique du krach de 1929. Dans quelques mois, la question se posera de savoir si nous sommes à Berlin ou à Washington.

À Berlin, où une Allemagne vaincue en 1914, ruinée par l’hype-rinflation de Weimar de 1923 et au chômage à cause de la déflation salariale insensée du chancelier Brüning amena, avec l’aide du patronat allemand, un homme qui assassina le XXe siècle ?

Ou à Washington, dans le pays du capitalisme prédateur, où le pré-sident démocrate Roosevelt tenta péniblement de convaincre que la politique de rigueur de son prédécesseur, Hoover, pétri de certitudes monétaires désuètes et des vertus salvatrices de l’austérité, était vaine ?

Huit ans plus tard, Berlin et Washington s’affronteraient au milieu d’années de cendres et de clous. Le constat de l’Histoire est d’ailleurs désabusé et implacable : ce fut la guerre qui mit fin à la déflation et à la récession des années 1930, des deux côtés de l’Atlantique.

En 1933, tout aurait pu être différent si certains hommes politiques avaient compris que les contraintes monétaires et les rigueurs budgé-taires sont subordonnées à la réalité de l’économie productive, à savoir le travail.

Aujourd’hui, tout pourrait être différent si on reconnaissait que les logiques d’État-providence nous ont piégés dans une dette publique insupportable qui a consisté à anticiper la consommation sur la produc-tion. Tout pourrait être différent si on sortait des réflexes idéologiques conduisant à ne pas admettre que l’ordre marchand est l’état naturel de l’économie et que le monde a basculé dans le capitalisme. Et tout pourrait aussi être différent si certains comprenaient que le pire choix, c’est d’essayer de résorber les déficits publics alors que nous plongeons dans le plus profond trou d’air économique depuis près d’un siècle.

2013 ne sera pas 1933 si les responsables politiques admettent les erreurs d’une rigueur budgétaire imposées à des pays qui s’effondrent sous le chômage et la dépression, et si les autorités monétaires com-

500_VEILDAR.indd 19 30/01/13 13:30

Page 18: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique20

anthemis

prennent que l’euro est devenu un piège d’inflexibilité dont on ne sortira que par une politique plus laxiste et inflationniste.

2013 ne sera pas 1933 si l’intuition reconnaît que des chocs sociaux sont imminents et que les taux de chômage de 50 %, atteints par la jeunesse dans les pays du Sud, pourraient, le cas échéant, muter d’une contestation résignée à des facteurs déstabilisateurs, voire insurrection-nels.

2013 ne sera pas 1933 si on se rappelle que, lors de ces années téné-breuses, des deux côtés de l’Atlantique, des colonnes de chômeurs s’ali-gnaient dans les rues ou devant les soupes populaires, quand ce n’était pas dans les salles d’émigration.

Ceux qui, aujourd’hui, prônent l’austérité, la taxation et la rigueur pour sortir d’une situation récessionnaire sont gravement dans l’erreur. Non seulement l’erreur historique, mais aussi dans l’erreur d’apprécia-tion. À partir du moment où la dette publique atteint des sommets que la croissance économique ne peut plus éroder, c’est seulement par la perte de valeur de la monnaie, c’est-à-dire l’inflation, qu’une économie peut retrouver ses marques et éviter la suffocation sous l’impôt et les charges d’intérêt de la dette publique. Le risque de l’erreur de juge-ment des prophètes de la rigueur obstinée, c’est que l’ordre social soit, à un moment, perturbé et conduise à des discontinuités politiques. Fina-lement, c’est plutôt le démon de la récession de 1933 que le spectre de l’hyperinflation de 1923 que l’Allemagne doit craindre.

L’Écho, octobre 2012

500_VEILDAR.indd 20 30/01/13 13:30

Page 19: Brunot colmant 3

21

anthemis

Endettement public

Divagation estivale

Depuis l’embrasement de la crise souveraine, la ligne de démarca-tion entre les secteurs étatique et privé devient floue.

Les banques, par exemple, se sont rapprochées des États qui les placent sous une tutelle de plus en plus forte.

En d’autres termes, la monnaie, fondement de l’économie privée, est mise en cause par les dettes des États, puisque ces dernières doivent être monétisées, c’est-à-dire escomptées, par la Banque centrale européenne !

Mais ce n’est pas tout : la croissance de la dette publique (dont tout économiste sérieux sait qu’elle a atteint un niveau de non-retour dans une économie sans croissance) constitue une hypothèque fiscale et monétaire sur toute l’économie productive.

En effet, à partir du moment où l’État est trop endetté, il doit pro-céder à une levée d’impôt qui grève l’économie privée productive ou déprécier la valeur de la monnaie (pour rembourser ses dettes avec de l’argent déflaté) ; ce qui obère l’investissement.

Dans les deux cas, le poids de l’État augmente, comme il le fait d’ailleurs inéluctablement depuis treize ans.

D’où une inquiétude : et si toute notre économie glissait vers la nationalisation généralisée ? Et si l’état naturel de l’économie n’était pas justement la nationalisation, que seule la recherche du profit peut et doit contrarier ?

Et si l’économie de marché, qui constitue pourtant le vecteur de croissance des zones de progrès du monde (Asie et Amérique du Nord et du Sud) se contractait en Europe ?

Les dettes des États n’auraient-elles pas déjà confisqué la péren-nité de la monnaie, dont le seul attribut d’existence est justement la confiance en ces mêmes États trop endettés ?

L’Écho, blog, juillet 2012

500_VEILDAR.indd 21 30/01/13 13:30

Page 20: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique22

anthemis

Une leçon de Jacques Rueff

On observe une situation qui conjugue des taux d’intérêt extrême-ment bas et un endettement public qui s’élève à une vitesse inquié-tante. Cette situation est-elle tenable ? Certainement pas, et aucun éco-nomiste sérieux n’osera prétendre le contraire.

Si tant est que l’étude des phénomènes économiques passés apporte un éclairage, même diffus, à l’analyse de la situation cruelle, cette der-nière ne connaîtra pas d’aboutissement ordonné. En effet, on ne com-bine généralement pas l’escalade de l’endettement public et la spéléo-logie des taux d’intérêt sans ajustement à la hausse des taux d’intérêt, et surtout sans inflation.

De plus, des taux d’intérêt trop bas surévaluent la valeur des actifs. Les politiques monétaires non conventionnelles risquent de porter en elles l’inéluctabilité de l’inflation. Cela précède les ajustements, parfois brutaux.

À notre estime, l’inflation sera donc une des principales variables d’ajustement aux déséquilibres que nous traverserons. Au reste, décon-necter la création de monnaie de la création de richesse conduit d’ha-bitude à des poussées inflationnistes. Elle aura des conséquences défa-vorables pour les rentiers, mais permettra aux États de diminuer la valeur de leur endettement.

Les banques, qui constituent l’interface entre les créanciers et les débiteurs, devront identifier leur rentabilité, mais les marges seront étroites. L’inflation suscitera aussi des rééquilibrages générationnels.

Kenneth Rogoff continue d’ailleurs à recommander deux ou trois années d’inflation suffisante pour dégonfler l’ensemble des dettes, sur-tout si les systèmes politiques, juridiques et les autorités de contrôle prudentiel sont trop paralysés. Le prix Nobel Stiglitz ne dit rien d’autre en préconisant la poursuite des politiques monétaires accommodantes. Une poussée d’inflation sera donc une des probables solutions, avec l’inconnue de savoir quelle en sera le phénomène déclencheur et les correctifs sociaux.

Et, finalement, l’inflation est l’avertissement que le bien-être futur sera plus onéreux. Croire, comme certains économistes, que les pro-

500_VEILDAR.indd 22 30/01/13 13:30

Page 21: Brunot colmant 3

endettement public 23

anthemis

chaines années seront caractérisées par une situation de croissance morne avec une inflation quasiment nulle nous semble relever plutôt du postulat de principe que d’une étude empirique de l’économie.

La poussée d’inflation pourrait bien sûr induire un krach obliga-taire, si elle est trop brutale, ce à quoi les autorités monétaires seront très attentives. Cette situation sera confortée par plusieurs facteurs convergents : l’impossibilité que les taux d’intérêt baissent beaucoup plus, la perception inflationniste liée aux politiques monétaires accom-modantes, l’exigence d’un rendement plus important sur les obligations d’État afin d’intégrer les risques de défaut, les besoins de financement à court terme des États, etc.

Lorsqu’on examine la typologie des crises financières, on constate que les sorties de crises sont toujours douloureuses : la croissance baisse de manière prolongée, l’immobilier chute, le chômage augmente et ne revient que très péniblement à son niveau initial, s’il le fait jamais. Le marasme s’installe.

La raison en est simple : outre l’appauvrissement lié à la chute des valeurs, les krachs découlant des crises déplacent latéralement les dettes entre agents économiques. C’est donc la réduction de l’endet-tement, souvent excessif, un processus long et pénible, qui constitue le dommage collatéral d’une crise financière. Les sauvetages bancaires actuels illustrent à merveille cette situation : ce sont les États européens qui refinancent indirectement les dettes immobilières impayées des ménages américains.

Et lorsque la dette est publique, c’est l’impôt qui sert au rembourse-ment. Mais l’impôt doit rester tolérable. L’inflation est aussi un moyen commode d’évaporer l’endettement public. La hausse des prix allège le remboursement des dettes par l’érosion monétaire. Le coût réel du remboursement et du paiement des intérêts en est donc soulagé. L’in-flation transfère le patrimoine des épargnants vers les débiteurs.

À cet égard, il convient de souligner que, dans le domaine de l’émergence de l’inflation, une comparaison avec la crise de 1929 est incorrecte, car contrairement à la Grande Dépression, la crise actuelle a éclaté dans un contexte de croissance économique forte et d’expansion des moyens de paiement d’une ampleur inconnue.

500_VEILDAR.indd 23 30/01/13 13:30

Page 22: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique24

anthemis

L’histoire économique instruit d’ailleurs que les liquidités qui sont créées pendant les crises ne sont jamais asséchées lorsque la situation est stabilisée. Il en résulte un phénomène de déflation inversée, parfois qualifié de réflation. La raison en est que l’absorption des liquidités doit aller de pair avec une contraction des transferts sociaux, ce qui risque de susciter des troubles, des tensions sociales. L’inflation est donc est un substitut à l’évitement de tensions sociales. De plus, des États ne se mettent jamais, à long terme, en situation de faiblesse et de dépendance monétaire.

C’est l’économiste français Jacques Rueff (1896-1978), ferme opposant à Keynes et dénonciateur des conséquences du keynésia-nisme sur la stagflation, qui assimilait les plans de relance monétaire à « des plans d’irrigation pendant le déluge ». C’est, en effet, le danger de la monnaie purement fiduciaire, qui exige des autorités monétaires suffisamment fortes pour que les gouvernements ne soient pas incités à utiliser l’inflation.

L’Écho, blog, octobre 2012

Une restructuration massive des dettes publiques ?

À l’instar d’un travail qui doit être achevé avant de pouvoir enfin partir en vacances d’été, le sommet européen de Bruxelles donne l’im-pression du devoir politique accompli et d’une conscience monétaire en paix.

Certes, ce sommet a clarifié un ensemble de dispositions destinées à améliorer la recapitalisation des banques et le financement des États. Mais rien de structurel n’est réglé, puisque les dettes publiques conti-nuent à croître et que l’Europe se prépare à traverser deux ou trois ans de stagnation économique qui contribueront à alimenter ces mêmes dettes publiques. Et, depuis le sabordage des accords de Bretton Woods par Nixon en août 1971, le huitième mois de l’année est souvent le théâtre des ajustements monétaires (quasi-implosion du SME en août 1993, crise souveraine d’août 2011, etc.). L’été 2012 reste donc celui de tous les dangers.

500_VEILDAR.indd 24 30/01/13 13:30

Page 23: Brunot colmant 3

endettement public 25

anthemis

De surcroît, le grand absent du sommet de Bruxelles reste la Banque centrale européenne (B.C.E.). Son président avait clairement dit que les États membres devraient d’abord trouver un accord politique pour résoudre les problèmes urgents avant que la B.C.E. n’intervienne. On peut donc désormais s’attendre à une baisse du taux directeur de la B.C.E., qui passerait de 1 % à 0,75 %. La mesure serait évidemment symbolique, puisque le coût du crédit central est déjà tellement réduit qu’une baisse ultérieure est insignifiante. L’arme du taux d’intérêt est inutile lorsque l’économie est empêtrée dans ce que Keynes appelait le « piège de la liquidité », c’est-à-dire que les agents économiques expri-ment une préférence absolue pour la liquidité. Une politique moné-taire de baisse du taux d’intérêt est alors totalement inefficace dans le cadre d’une relance. D’ailleurs, le taux d’intérêt n’a jamais été aussi bas en Europe alors que le chômage est au plus haut depuis des décennies.

Quelles sont les leçons importantes à tirer de ce sommet ? Il y en a plusieurs, extrêmement importantes.

Il y a les bonnes nouvelles. Celles-ci recouvrent le déploiement d’investissements de l’ordre de 120 milliards, résultant de prêts de la B.C.E. et d’utilisation de fonds structurels. Le montant n’est pas signi-ficatif, mais la démarche est constructive, car elle correspond à une réalité d’intégration industrielle et de recherche et de développement.

Par ailleurs, le sommet de Bruxelles reconnaît implicitement que les politiques d’austérité et de rigueur imposées aux économies du sud de l’Europe sont vaines. Imposer une contraction brutale des dépenses publiques au milieu d’une grave récession et des contorsions des mar-chés financiers (auxquels les États doivent avoir un accès fluide) est la plus grave erreur de jugement que nos dirigeants aient commise. Leur motivation était probablement établie sur l’idée que l’équilibre budgétaire était nécessaire pour assurer la cohésion monétaire des États membres. C’est l’inverse qui s’est produit. Cet échec était prévu et donc prévisible.

Mais il y a aussi les mauvaises nouvelles, et elles sont très nombreuses.Tout d’abord, ce sommet consomme définitivement le refus de

certains pays de forger une union budgétaire et fiscale plus affirmée. À terme, le refus d’une intégration fiscale consacre la finitude de la

500_VEILDAR.indd 25 30/01/13 13:30

Page 24: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique26

anthemis

monnaie unique. C’est la raison pour laquelle les eurobonds, qui auraient dû être fondés sur une mutualisation des fiscalités nationales, resteront lettre morte. Il en est de même pour un utopique système de garantie des dépôts européens qui aurait dû être bâti sur une solidarité euro-péenne restée inexistante.

Il est aussi attesté que l’Italie a un grave problème de financement de sa dette publique. Cet aveu suit la même séquence de pathétique déni qu’avait adoptée l’Espagne, avant de demander une aide euro-péenne pour recapitaliser ses banques. Ce sont donc aujourd’hui les troisième (Italie) et quatrième (Espagne) économies européennes qui sont gravement fragilisées. La question se posera inévitablement pour la France, dont l’état de l’endettement public et de la balance des paie-ments se traduira probablement par une hausse du taux d’emprunt souverain. Les paramètres macroéconomiques de la France sont plus proches de ceux de l’Italie que de l’Allemagne, avec laquelle l’associa-tion économique relève plutôt d’un postulat incantatoire de Sarkozy que d’une quelconque réalité.

Le départ d’un pays de la zone euro semble aussi devenu soudaine-ment une préoccupation accessoire. On ne parle plus de la Grèce, qui ne fut jamais qu’un problème secondaire et destiné à le rester. Ceci ne veut pas dire que la zone euro restera homogène. Ma conviction est que l’hétérogénéité des économies européennes est plus accentuée qu’en 1999, et qu’à terme il faudra redessiner les contours géographiques d’une union monétaire différente. Il y aura une zone mark dont le tropisme sera juxtaposé sur le bassin de la Ruhr, et à laquelle seront associés les principaux partenaires géographiques de l’Allemagne, dont le Benelux. D’autres pays du sud de l’Europe ne formeront pas une seconde zone euro ordonnée, mais retrouveront une indépendance fondée sur un retour à des monnaies nationales. D’ailleurs, une zone monétaire entre les pays méditerranéens serait insensée : ces pays sont plutôt des concurrents que des compléments économiques.

Il y a aussi le problème de la consanguinité croissante entre les banques et les États. Pour bien comprendre cette problématique, il faut réaliser que jour après jour, les dettes publiques remigrent vers leur pays d’origine. L’euro avait permis aux États européens d’accéder à

500_VEILDAR.indd 26 30/01/13 13:30

Page 25: Brunot colmant 3

endettement public 27

anthemis

des sources de financement auparavant inaccessibles, puisque le risque de change avait disparu dans l’euro et que les taux d’intérêt européens s’étaient alignés sur le rating de l’Allemagne.

La crise souveraine a mis un terme à ces années heureuses. Elle a aussi révélé que le mélange des dettes publiques aggravait le risque sys-témique, c’est-à-dire le risque d’implosion monétaire, un peu comme lorsque le dévissage du premier de cordée d’alpinistes entraîne tous les autres dans sa chute. Pour cette raison, la B.C.E. a prêté de l’argent aux banques des pays faibles afin que ces banques rachètent la dette de leur propre pays. C’est ainsi que les banques espagnoles et italiennes ont racheté la dette de leur propre État, auparavant détenue par des investisseurs étrangers.

Quel est l’effet principal de cette renationalisation des dettes publiques, observable aussi en Belgique ? Elle place les banques dans une situation proche de l’étatisation, puisque les États sont désormais les garants, les actionnaires et les emprunteurs des banques. Il s’agit d’une situation de répression financière destinée à canaliser l’épargne des particuliers vers le financement de la dette publique au travers des banques. Mais ce n’est pas tout : comme certains États doivent être financés par la B.C.E., cette dernière exercera désormais un rôle de superviseur bancaire. Le contrôle bancaire passe du domaine prudentiel et national au niveau monétaire et international.

Lorsqu’on juxtapose toutes ces mesures, on est saisi par l’effroi d’une terrifiante réalité : alors que la plupart des banques européennes sont solvables et robustes, les États les instrumentalisent progressivement pour financer leurs dettes publiques. Ce mouvement est aggravé par la mise en œuvre d’une supervision bancaire orchestrée par la B.C.E. Tout le circuit (privé et public) de la création monétaire se rapproche de l’étatisation. Ceci s’effectue au bénéfice des déposants bancaires, dont la sécurité des dépôts est assurée. Par contre, ces mesures entraî-neront une déperdition de l’attrait actionnarial des banques. En effet, pourquoi des actionnaires privés investiraient-ils de l’argent frais dans un secteur qui devient hyperrégulé à leur détriment ?

Mais dans l’angle mort de cette étatisation se profile l’ombre d’un très grave danger. Une étatisation des banques, combinée à une redo-

500_VEILDAR.indd 27 30/01/13 13:30

Page 26: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique28

anthemis

mestication des dettes publiques, ouvre timidement la porte à une res-tructuration massive (c’est-à-dire un rééchelonnement) de ces mêmes dettes publiques dans les pays faibles.

Si on regarde plus loin que l’avenir immédiat, il faut poser deux questions.

À court terme, il faut s’interroger sur le rôle de la B.C.E., qui devra inéluctablement procéder à des injections massives d’argent pour financer des dettes publiques dont les niveaux sont insoutenables. C’est le seul moyen de commencer à gommer quatre décennies d’excédent d’endettement public.

À moyen terme, il s’agit de savoir si la zone euro est encore viable, optimale et/ou souhaitable et si sa réoxygénation permanente est un acte utile, alors qu’il s’exprime dans le rejet d’une véritable union bud-gétaire et fiscale.

Par contre, si on s’oriente vers une zone monétaire intacte, sans inflation ni création monétaire massive, alors il faudra accepter que les dettes publiques de certains pays méditerranéens soient massivement réaménagées. Ce réaménagement prendra la forme d’un rééchelonne-ment ou d’un défaut, selon le scénario grec.

L’Écho, juillet 2012

Le protestantisme monétaire de la B.C.E.

Un des nœuds de la crise de l’euro est lié au mandat de la Banque centrale européenne (B.C.E.).

Cette dernière, déclarée indépendante des autorités gouvernemen-tales, poursuit inexorablement un mandat de contrôle de l’inflation, dont le seuil de tolérance a été fixé à 2 %. La poulie que la B.C.E. utilise pour maîtriser le niveau d’inflation est son taux directeur, dont les modifications se répercutent dans la structure des taux d’intérêt de toute l’économie.

Le mandat de la B.C.E. diffère singulièrement de celui de la Réserve fédérale américaine (FED) qui pilote, de manière plus interventionniste et simultanée, le niveau des prix et l’activité économique, elle-même

500_VEILDAR.indd 28 30/01/13 13:30

Page 27: Brunot colmant 3

endettement public 29

anthemis

reflétée par le niveau de chômage. La Fed est un instrument de politique économique plus actif que la B.C.E.

Pourquoi une telle différence de mandat entre deux établissements comparables ?

La raison tient essentiellement en la crainte (sans doute justifiée) qu’avait l’Allemagne de voir son Mark, transformé en euro, faire l’ob-jet de dévaluations successives par un appel régulier à la B.C.E. Cette dernière aurait dû régulièrement augmenter la masse monétaire pour répondre aux déficits budgétaires et commerciaux des partenaires plus faibles de la zone euro.

Mais, au-delà de cette exigence politique allemande, il y a autre chose : pour les Allemands, une dette publique doit être financée par l’épargne qui doit elle-même garder son pouvoir d’achat. Au contraire, les États-Unis considèrent qu’un endettement public peut se financer par la création monétaire.

Cette opposition reflète l’antagonisme entre le luthérianisme alle-mand et le paganisme monétaire américain. La monnaie allemande se thésaurise, tandis que le dollar n’est que transactionnel. Depuis l’infla-tion de Weimar (1923) et la confiscation de 94 % de leurs avoirs lors du remplacement du Reichsmark par le Deutsche Mark en 1948, les Allemands exigent une monnaie forte, désinflatée et disciplinante. Par contre, pour les Américains, la valeur de la monnaie n’est qu’un fac-teur secondaire à la création d’emploi. Outre-Atlantique, l’impression monétaire en est donc plus opératoire et moins sacrée. D’ailleurs, entre fin 2000 et mi-2009, le dollar s’est presque déprécié de 100 % par rap-port à l’euro.

Mais, aujourd’hui, la B.C.E. fait face à de sérieux défis. Est-il accep-table que la B.C.E. se limite à la lutte contre l’inflation alors que l’éco-nomie européenne est tombée en récession et que les États faibles, aux-quels on impose une austérité mortifère, n’arrivent plus à se financer à des conditions soutenables ? Pourquoi ne décide-t-on pas que la B.C.E. serve à financer une amorce de croissance (on parle de réflation ou de réinflation), à l’instar des États-Unis qui réindustrialise leur économie en monétisant leur dette publique ? Derrière ces interrogations, plu-sieurs questions sont posées.

500_VEILDAR.indd 29 30/01/13 13:30

Page 28: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique30

anthemis

La première question porte sur l’indépendance de la B.C.E. Cette autonomie est tellement ancrée dans le postulat de l’euro qu’on la considère comme inviolable. Or, depuis quatre ans, la porosité entre les dirigeants européens et la B.C.E. a dénaturé cette indépendance factice. Au reste, elle ressortit presque à l’imposture lorsque le président de la B.C.E. met en cause le modèle social européen. Tout au plus faut-il voir cette indépendance comme un état politique imprécis, en sachant qu’après toutes les crises, les banques centrales sont normalement replacées sous contrôle étatique. Il faudrait donc préciser, de manière transparente, la dépendance de la B.C.E. plutôt que de la laisser évoluer dans des zones décisionnelles opportunistes.

Une seconde question, notablement plus importante, porte sur la compatibilité entre le niveau des dettes publiques et le rôle de la B.C.E. En l’absence de croissance, les dettes publiques sont devenues impos-sibles à rembourser avec une monnaie qui garde son pouvoir d’achat. Cette réalité est indépendante de l’existence de l’euro, mais la monnaie unique renforce cet antagonisme, puisqu’elle est commune à des éco-nomies qui sont de plus en plus divergentes.

Liés par une monnaie unique, les pays européens faibles ne peuvent plus déprécier leur devise, alors qu’une dévaluation est un sain facteur d’ajustement. Il ne reste plus alors que l’austérité et la rigueur qui sont des dévaluations « internes », c’est-à-dire réductrices de pouvoir d’achat. Or ces dévaluations internes sont assassines dans des écono-mies centrées sur la consommation intérieure, puisque cette dernière se contracte, aggravant la spirale infernale de la dette publique.

Ceci souligne l’inadéquation entre le niveau des dettes publiques et le mandat de la B.C.E. Cette dernière devrait être autorisée, voire forcée, à refinancer directement des États, moyennant l’engagement de ces derniers de retrouver une trajectoire budgétaire acceptable. Or ce refinancement est interdit par les statuts de la B.C.E. C’est une erreur fatale que l’histoire des vingt prochaines années jugera très sévèrement.

D’aucuns avanceront que le bilan de la B.C.E. s’est déjà gonflé pour absorber des refinancements de dettes publiques. Ce n’est pas incorrect, mais il y a un leurre : les deux derrières opérations de refi-nancement (LTRO) de la B.C.E. ont consisté à prêter 1.000 milliards

500_VEILDAR.indd 30 30/01/13 13:30

Page 29: Brunot colmant 3

endettement public 31

anthemis

d’euros à des banques. Une partie de cet argent est immédiatement revenue sous forme de dépôts auprès de la B.C.E., tandis qu’une autre partie a été utilisée par les banques italiennes et espagnoles pour rache-ter la dette publique de leur pays, confortant le postulat allemand que l’épargne nationale doit financer la dette nationale. Cette orientation diminue le risque systémique de la zone euro (puisque la détention des dettes publiques remigre vers leur pays d’origine et s’entrelace moins dans le système bancaire européen), mais aggrave la fragilité de chaque pays considéré individuellement.

Enfin, il y a le problème de la crédibilité du projet européen. L’euro reste une devise homogène, mais pour combien de temps encore ?

Pour les investisseurs étrangers, les taux d’intérêt départagent déjà une zone « Euro-Deutsche Mark » étendue et des économies périphé-riques qui dérivent lentement vers un retour à des devises nationales. Si la B.C.E. ne procède pas à des refinancements massifs de ces économies périphériques, c’est qu’elle a aussi choisi la voie de la fissuration de l’euro. Mais alors, il faut aller au bout des réalités ! Il s’impose de prépa-rer cette fragmentation plutôt que d’espérer discipliner des économies faibles sous des plans d’austérité qui s’avéreront finalement inutiles et socialement déstabilisants.

La plus grave erreur en économie est de s’enferrer dans un pos-tulat et de croire que les agencements monétaires sont irréversibles. Ils ne le sont jamais : l’histoire fourmille de monnaies devenues caduques. L’euro est presque devenu une contre-nature à la réa-lité de l’économie. Une chose est certaine : la monnaie ne domes-tique jamais une communauté, car on ne peut pas imposer un étalon monétaire inadapté à une population qui le réfute. C’est exactement ce qui se passe dans les économies périphériques. C’est à cette réalité que la B.C.E. doit être confrontée, car sa légitimité démocratique est devenue questionnable.

L’Écho, juillet 2012

500_VEILDAR.indd 31 30/01/13 13:30

Page 30: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique32

anthemis

Le grand soir du capitalisme ? Vraiment ?

Ne nous leurrons pas : cette crise est un face-à-face avec l’économie de marché.

Elle n’est aucunement induite par un indéfinissable « néo-libéra-lisme », mais par la mondialisation. Elle est animée par de terrifiantes forces qui constituent le déplacement des centres de gravité du monde, de l’Atlantique vers le Pacifique.

Rien ne se stabilisera. Les prochaines années apporteront la preuve que nos économies subiront un ajustement sans précédent.

Ceux qui croient que cette crise apporte une preuve de l’échec du capitalisme se trompent lourdement : cette crise, comme les précé-dentes, est consubstantielle à l’économie de marché. En fait, l’écono-mie de marché est une crise permanente.

L’obstacle à l’ajustement économique, c’est l’endettement public dont le remboursement a été, année après année, repoussé, jusqu’à le rendre insupportable. Il n’y a plus de marges de manœuvre budgétaires, car la dette publique est trop importante et que l’euro nous impose une politique d’austérité totalement contre-productive. Cet endettement public aurait, en des temps anciens, été soulagé par la dévaluation de la monnaie. Ce n’est plus possible aujourd’hui : la cohésion de la monnaie exige l’austérité et risque d’autoentretenir la récession.

Ceci étant, il faut aller au bout des raisonnements. Si l’économie financière s’est libéralisée depuis trois décennies au travers de la mobi-lité des hommes et des capitaux, c’est le reflet de la liberté que nos structures politiques nous ont apportée. Mais c’est précisément grâce à cette libéralisation que les États ont pu outrancièrement s’endetter, puisque le champ de leurs créanciers est devenu mondial.

Je crois même que les États ont été les premiers bénéficiaires de la financiarisation de l’économie.

Au reste, qui peut oser affirmer que l’endettement de l’État, qui dépasse allègrement 100 % du P.I.B. lorsqu’on tient compte du coût du vieillissement de la population, aurait été possible sans une financia-risation de nos économies ?

500_VEILDAR.indd 32 30/01/13 13:30

Page 31: Brunot colmant 3

endettement public 33

anthemis

L’endettement public belge est, aux yeux de nombreux écono-mistes, la preuve que notre modèle d’État-providence était fondé sur un report de son financement sur les générations futures. Nous n’avons donc pas redistribué la croissance, mais emprunté celle des générations suivantes qui refuseront bien sûr d’honorer ces dettes.

L’erreur, c’est de n’avoir pas compris qu’il aurait fallu rembourser cette dette publique lorsque la conjoncture était favorable.

L’Écho, blog, octobre 2012

La tragédie d’une économie malheureuse

La difficulté à établir un plan d’économies budgétaires pour l’année 2013 reflète la réalité de la déliquescence des modèles d’État-provi-dence européens.

Ce problème n’est pas que belge : il reflète une réalité européenne.

Que s’est-il passé ?

Depuis la fin des années 1970, c’est-à-dire la dilution des effets du plan Marshall et du redéploiement industriel d’après-guerre, nos éco-nomies ont progressivement financé leur croissance par un recours à l’endettement public.

D’abord conjoncturel, ce recours à l’endettement s’est avéré structurel.

Il a gangréné, année après année, les finances publiques au point d’atteindre des niveaux insoutenables.

Certaines années, des effets d’aubaine, tels l’introduction de l’euro, une bouffée de croissance américaine ou le démarrage de la mondiali-sation, ont semblé minimiser la réalité de l’endettement public.

Pourtant, cette dette grandissante est restée dans l’angle mort des trente dernières années.

Aujourd’hui, l’occultation ne nous est plus autorisée : le reflux de la croissance nous confronte à une épouvantable réalité : la croissance démographique et économique, ainsi que la démographie future, ne permettent plus le report incessant de cette hypothèque sur les pro-chaines générations.

500_VEILDAR.indd 33 30/01/13 13:30

Page 32: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique34

anthemis

C’est la fin de l’État-providence, que l’endettement public, plus que l’économie de marché, a gangrené.

Que faire, dès lors ?Réduire les dépenses ? C’est contre-productif en période de réces-

sion.Lever des impôts, c’est-à-dire caboter dans un marécage de prélève-

ments fiscaux qui rendent l’entrepreneuriat visqueux ? La Belgique est déjà un des pays les plus imposés et son coût du travail ne respecte plus les normes de compétitivité.

Stimuler la croissance ? Cela ne se postule pas et les réflexes idéolo-giques de certains s’y opposent.

Quel est, alors, la voie de sortie ?Paradoxalement, ce sera le maintien d’un endettement très élevé, qui

est rendu indispensable par la récession, puisque la rigueur est caduque.Mais, mois après mois, nous allons prendre la mesure de l’aboutis-

sement de cette crise.Il sera monétaire et pas budgétaire. En effet, puisque la monnaie

est désormais mise en joue par un endettement public insoutenable, ce sera l’unité monétaire du remboursement de ces mêmes dettes publiques qui sera altérée.

Quel sera précisément cette modalité de sortie de crise ? L’inflation, la répression financière et sans doute une étatisation latente de nos économies.

Il y a quelque chose de tragique, c’est-à-dire d’exceptionnel, mais de malheureux, lorsqu’on observe ces phénomènes.

L’Écho, blog, novembre 2012

Modèle belge : une spirale infernale ?

Quand on observe attentivement les négociations budgétaires, on réalise l’envergure du piège dans lequel la Belgique est tombée.

Notre État est lourdement endetté. Notre système de pensions et de coût du vieillissement ne résistera pas aux réalités de l’économie de

500_VEILDAR.indd 34 30/01/13 13:30

Page 33: Brunot colmant 3

endettement public 35

anthemis

marché. En même temps, la complaisance nous a conduits à poursuivre une logique de taxation afin de financer un État-providence devenu inégalitaire.

Mais il y a pire : la logique de l’euro nous oblige à imposer une politique d’austérité d’autant plus lourde que la croissance est faible.

Qu’on comprenne bien ce que cela signifie : l’Europe nous impose un retour à l’équilibre budgétaire en 2015.

Cet objectif, parfaitement irréalisable au niveau continental et qui porte en lui les germes d’une scission économique de la zone de l’euro, conduit à augmenter les impôts et à diminuer les dépenses publiques alors que le manque de croissance exigerait le contraire.

Plus notre économie suffoque sous le manque de croissance, plus les finances publiques contribuent à cette contraction.

Qu’on soit de droite, du milieu, de gauche, d’ici ou là-bas, cette réa-lité laisse perplexe. À juste titre, certains chefs d’entreprises annoncent des chocs sociaux et le président de la C.S.C. prévient de ruptures sociétales.

En même temps, notre gouvernement doit répondre aux réalités monétaires : les autorités de la B.C.E. et les pays forts de l’euro veulent limiter le recours à l’arme monétaire et à la monétisation des dettes publiques, au motif (correct) que cela crée de l’inflation (qu’à titre per-sonnel, je vois comme une voie résignée de sortie de crise)

En clair, cela signifie que nous ne pouvons plus utiliser l’arme de la dévaluation pour oxygéner notre économie, car nous avons épousé une monnaie probablement trop forte pour notre économie.

Dans un récent article du Vif (26 octobre 2012), le ministre d’État Philippe Maystadt est clair : il ne faut pas laisser, au niveau européen, les talibans de l’austérité gouverner. À un moment, le centre de gravité de l’Europe devra basculer : vers le rigorisme allemand ou vers l’assouplis-sement monétaire et budgétaire exigé par les pays du Sud et la France.

L’Écho, blog, novembre 2012

500_VEILDAR.indd 35 30/01/13 13:30

Page 34: Brunot colmant 3

500_VEILDAR.indd 36 30/01/13 13:30

Page 35: Brunot colmant 3

37

anthemis

Les stations de croix de l’euro

La paix franco-allemande

L’euro n’a pas signé la paix franco-allemande.L’histoire de l’euro est une profonde et instructive plongée dans les

profondeurs sociologiques de notre continent.Cette monnaie unique fut forgée pour sceller la paix en Europe

entre deux ennemis héréditaires, la France et l’Allemagne.Tout oppose ces deux grandes nations : c’est Luther contre la fille

aînée de l’Église, Goethe contre Voltaire, l’industrie contre l’agricul-ture, le germain contre le latin.

En deux siècles, ces peuples se sont battus quatre fois (sous Napo-léon Ier et III, et lors des deux guerres mondiales).

Au reste, on fête trop souvent la réconciliation franco-allemande, signée par de Gaulle et Adenauer, pour ne pas trouver suspect qu’on doive célébrer une paix qui devrait aller d’elle-même.

Il reste une lointaine trame de conflit.Lors de la négociation de la monnaie unique, Kohl voulait la réu-

nification des Allemands. Il n’obtint que celles des deux Allemagnes et dut accepter l’unification monétaire.

Aujourd’hui, la pierre d’achoppement, c’est justement la monnaie.Pour les Allemands, la monnaie est le ciment de la reconstruction

nationale. Un déficit se finance donc par l’épargne. C’est la logique luthérienne.

Pour les Français, par contre, la monnaie est un attribut régalien. Dans cet État colbertiste, la monnaie peut donc être imprimée à la discrétion de l’autorité centrale. L’histoire monétaire française est d’ail-leurs une longue succession de dévaluations.

Le nœud gordien de l’euro est là : les Allemands exigent un finan-cement des dettes publiques par l’effort épargné, tandis que les Français penchent pour leur monétisation par la planche à billets.

500_VEILDAR.indd 37 30/01/13 13:30

Page 36: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique38

anthemis

Aujourd’hui, les Allemands sont gagnants, puisque les impres-sions monétaires de la B.C.E. sont destinées à renationaliser les dettes publiques qui sont progressivement financées par l’épargne nationale. Mais ces mêmes Allemands savent que cette voie est sans issue à long terme, pour des économies faibles.

Pour cette raison, l’euro ne sera jamais un fait stable et abouti.S’il subsiste en l’état, il reflétera toujours la fragilité de siècles d’in-

compréhensions.

L’Écho, blog, juillet 2012

Clémenceau, Mitterrand et l’euro

Il y a près d’un siècle, au sortir de la Grande Guerre, Clemen-ceau avait déclaré, sur le ton définitif des vérités assumées : l’Allemagne paiera. Mais l’Allemagne n’a pas payé. Elle traversa une vague d’hype-rinflation (1923) avant de plonger dans la dépression (1930-1932) et de s’échouer dans la folie guerrière.

Ce ne furent pas les problèmes monétaires qui firent sombrer l’Al-lemagne, mais bien les troubles sociaux : après une guerre qui avait décimé la population active, le pays dut faire face au mouvement révo-lutionnaire spartakiste qui conduisit à l’inflationniste République de Weimar, avant de tomber dans la récession mortifère du chancelier Brüning.

Les pères étaient morts au combat, les grands-pères furent ruinés par l’hyperinflation et les fils mis au chômage avant qu’Hitler n’en-traîne le pays dans la plus grande folie du XXe siècle.

Aujourd’hui, l’Allemagne dit : l’Europe paiera l’euro par l’austérité. Mais à 3.000 kilomètres de Berlin, des populations s’enfoncent dans une grave récession et dans le chômage. On leur explique que l’austé-rité est un préalable à la croissance, mais personne n’indique d’où vien-dra cette croissance, dont le postulat est plus incantatoire qu’opératoire.

Les Allemands font face à un terrible dilemme. Ils ont raison de vouloir exorciser une économie européenne au sein de laquelle les États-providence se développent. Ce qui anéantit l’Europe n’est d’ail-

500_VEILDAR.indd 38 30/01/13 13:30

Page 37: Brunot colmant 3

les stations de croix de l’euro 39

anthemis

leurs pas le manque de croissance (toujours conjoncturel), mais le niveau insupportable des dettes publiques qui ont empiré au cours des trente dernières années pour financer un modèle social révolu. Ils ont pourtant tort de croire que la rigueur monétaire est plus puissante que la rue. Celle-ci n’a pas toujours raison, mais on n’a pas raison contre la rue, surtout dans les pays démocratiques.

Au reste, lorsque les dirigeants européens décidèrent de créer la monnaie unique, Mitterrand utilisa subtilement la culpabilisation de l’Allemagne, confrontée à sa réunification alors qu’elle avait, par deux fois, fait déferler ses troupes sur le reste du continent. Cette même Allemagne dut accepter l’abandon de sa souveraineté monétaire contre une souveraineté territoriale reconstituée. Mitterrand voulait aussi diluer la puissance économique de l’Allemagne en l’empêtrant dans une union monétaire dont il savait qu’elle constituait un point de non-retour.

Mais l’Allemagne ne fut pas dupe : elle utilisa le même spectre d’Hitler pour rappeler que c’était l’hyperinflation de 1923 qui l’avait amené au pouvoir et qu’il fallait donc assurer la pérennité de l’impres-sion monétaire en la déléguant à un institut d’émission indépendant localisé sur son territoire.

Les arguments français et allemands étaient spécieux : personne n’imagina un instant qu’une Allemagne réunifiée se réarmerait comme après le Traité de Versailles, et l’Allemagne savait que c’était la déflation du chancelier Brüning en 1933 et non l’hyperinflation de 1923 qui menait au nazisme.

Quoi qu’il en soit, les actes furent posés.

Et vingt ans plus tard, on assiste à un curieux retournement de l’Histoire : c’est l’Allemagne qu’on supplie de sauver la monnaie unique qu’on lui a imposée. La France est, quant à elle, écrasée sous une dette publique. Mais Mitterrand, le Mazarin du XXe siècle, avait raison : les pays sont aujourd’hui condamnés à trouver une solution, c’est-à-dire éteindre la mèche de la machine infernale monétaire qu’ils ont allumée le 1er janvier 1999.

Trends, octobre 2012

500_VEILDAR.indd 39 30/01/13 13:30

Page 38: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique40

anthemis

L’euro engage une question morale

L’euro survivra-t-il, dans sa formulation actuelle, à la crise qui trans-perce ses fondements ? Ma réponse est, pour partie, désabusée et néga-tive. L’euro contemporain n’existe plus que dans les illusions de cer-tains qui, le nez sur l’événement, devraient sortir de leur torpeur.

Il y a bien sûr les phénomènes techniques qui sous-tendent cette intuition. Ils sont connus : la mondialisation, la migration des centres de croissance vers l’Asie et les États-Unis, la divergence grandissante entre les économies du nord et du sud de l’Europe, les gigantesques dettes publiques, la fin d’États-providence qui ne créent plus de richesses et l’aboutissement d’une croissance artificiellement gonflée par l’emprunt.

Ces éléments constituent un gâchis. Pourtant, il y a autre chose de plus grave : c’est l’absence de projet unificateur, c’est-à-dire de concept supérieur qui, au-delà des valeurs monétaires, suscite une adhésion morale collective.

Réalisons-nous que la crise de l’euro est désormais rythmée, dans une cacophonie politique complète, par les propos sibyllins du pré-sident de la B.C.E., aux lèvres duquel les marchés sont suspendus ? Pre-nons-nous conscience du manque de hauteur que certains dirigeants européens démontrent en se limitant à chercher l’effet d’aubaine médiatique ? Pourtant, le moment est grave : qui aurait pu imaginer que des drapeaux nazis puissent être brandis à Athènes ou qu’un jour-nal italien fasse référence au quatrième Reich ?

La confiance dans l’idée européenne s’effrite. Le postulat d’une monnaie unique qui entraînerait une homogénéité des politiques éco-nomiques s’avère être un leurre. En fait, la monnaie ne cimente pas les peuples. Au contraire, son uniformisation fait rejaillir des particularités (politiques, culturelles, raciales, etc.) que différentes devises nationales avaient pu, avant 1999, cantonner derrière les frontières de chaque pays. Les régionalismes et les populismes s’affichent d’autant plus facilement qu’ils ne sont plus confinés par la défense d’une devise nationale.

Il ne faut pas s’y tromper : c’est l’élément politique qui est le princi-pal facteur de désagrégation de l’euro. Malgré le fait que les gouverne-ments individuels évoquent la nécessité d’avancées constitutionnelles,

500_VEILDAR.indd 40 30/01/13 13:30

Page 39: Brunot colmant 3

les stations de croix de l’euro 41

anthemis

un renouveau des structures communautaires n’a pas émergé. Seul le corps administratif de l’Europe a été renforcé, au risque de l’avoir rendu pléthorique et détestable.

En réalité, les États individuels restent plus puissants que les métas-tructures européennes. Ils ne sont jamais soumis à un quelconque aban-don de souveraineté, consacrant l’approche westphalienne de l’Europe. Les structures européennes ont toujours été escamotées par l’alliance franco-allemande, dont le ciment est la véritable origine politique de la monnaie unique. Les autres pays sont, au mieux, des passagers clan-destins et, au pire, des contingences. Il y a donc une dissociation entre le pouvoir nominal (médiatiquement présenté par les responsables des structures européennes) et le pouvoir réel (effectivement exercé par les États dominants). Cela pose de graves questions citoyennes de repré-sentativité politique.

Aujourd’hui, l’Europe croit sauver son économie et sa monnaie dans la vertu budgétaire. Elle les perdra peut-être dans les heurts sociaux. La démarche européenne néglige le facteur social qui peut conduire à des embrasements soudains, sans qu’ils ne soient d’ailleurs parfois stériles. L’histoire économique regorge de ces incidents.

D’ailleurs, ce n’est pas la première fois que le rêve monétaire est gommé au profit d’un retour aux réalités nationales. Combien de fois l’avènement de la paix et de la prospérité ne furent-ils pas annon-cés par le libre-échange et des accords monétaires avant que l’Histoire ne se retourne brutalement ? L’Union monétaire latine de la fin du XIXe  siècle ne résista pas aux différentiels de modèles européens et s’échoua dans la guerre de 1914-1918. Il en fut de même entre les deux guerres mondiales, au cours desquelles les accords monétaires espéraient créer l’harmonie des peuples.

Finalement, j’ai une crainte. Celle que le dessein européen, porté par des hommes qui avaient conservé la conscience de la guerre, ne se soit essoufflé au profit de nationalismes économiques puissants.

Les économistes doivent poser au passé des questions qui inté-ressent le présent. Au début de la crise, certains d’entre eux rappelaient qu’il ne faut jamais sous-estimer la volonté et le pouvoir politique. Cinq ans plus tard, c’est la désunion politique qui leur répond. Sauver

500_VEILDAR.indd 41 30/01/13 13:30

Page 40: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique42

anthemis

la monnaie unique ne signifie pas que tous les pays y restent affiliés. La monnaie unique traversera des cahots et des sabordages.

Ce qui doit être formulé, c’est un message d’union, de générosité et de confiance dans la jeunesse et la compréhension entre les peuples. D’aucuns trouveront ces idées naïves. Après tout, il n’est peut-être d’États que d’intérêts particuliers. Pourtant, les dirigeants européens actuels qui, par manque de grandeur ou opportunisme, ne passeront pas à leurs successeurs le flambeau de Mitterrand et de Kohl, porteront une lourde responsabilité devant l’Histoire.

Non publié

Quatre ans de crise

En ce mois d’octobre 2012, cela fait quatre ans que la crise a débuté. Elle a muté viralement, transformant une crise bancaire en déconfiture souveraine. La monnaie commune, l’euro, est en joue.

L’euro survivra-t-il à cette crise ? C’est peu probable à long terme. En effet, aujourd’hui, l’hétérogénéité des économies de la zone euro est telle que jamais une monnaie commune n’aurait pu être envisagée.

Mais alors, que fut l’euro ? Un effet d’aubaine ? Un alignement monétaire astral heureux ? Ce n’est pas exclu.

Et que penser du maintien de l’euro en le justifiant par le coût insupportable de son démantèlement ?

Aujourd’hui, certains recherchent dans l’euro la vertu disciplinante d’une monnaie forte. Après tout, si l’euro est un échec monétaire, qu’il serve au moins de cravache budgétaire. D’autres exigent désormais une quasi-nationalisation du secteur bancaire pour instrumentaliser ce sec-teur au profit des États défaillants.

Mais c’est une erreur pour les économies faibles, car la pression sociale réfutera cette vision. Après tout, la monnaie n’est qu’un postulat de confiance.

Si la monnaie ne suscite pas l’adhésion populaire par ses valeurs morales et la conviction de la prospérité future, des pressions s’expri-meront pour son abandon.

500_VEILDAR.indd 42 30/01/13 13:30

Page 41: Brunot colmant 3

les stations de croix de l’euro 43

anthemis

Pour les économies du sud de l’Europe, l’euro est devenu un piège infernal, qui broie des économies entre des politiques d’austérité impo-sées de l’extérieur, des dettes publiques croissantes, une monnaie trop forte et une révulsion populaire due à un chômage croissant.

L’Écho, blog, octobre 2012

Une zone optimale ?

Il apparaît que la zone euro n’est pas ce que les économistes qualifient de « zone monétaire optimale », c’est-à-dire caractérisée par une fluidité des facteurs de production suffisante. C’est le cas du travail, qui reste cris-tallisé dans les pays pour des raisons linguistiques et socioéconomiques, d’autant que les systèmes de protection sociale sont restés domestiques.

Contrairement à ce qui avait été anticipé, l’Europe économique ne s’est pas homogénéisée, mais spécialisée. Depuis l’introduction de la monnaie unique, certains pays sont devenus plus industrialisés et d’autres moins. Cette spécialisation singularise des économies fortes et faibles, aux différences croissantes.

L’euro a fourni aux pays faibles des conditions d’emprunts caracté-ristiques d’une monnaie forte, ce qui a, dans un premier temps, permis à certains États d’emprunter à des conditions anormalement favorables. L’Allemagne a prêté son rating pour développer son marché extérieur sans devoir réévaluer sa monnaie, tandis que les pays du sud de l’Europe ont pu accroître leur endettement public à des conditions apparem-ment indolores

Aujourd’hui, l’euro n’est plus homogène, puisque le risque des États membres sublime l’unicité de l’étalon monétaire. Il n’y a plus un euro, mais des euros aux valeurs d’investissement différentes, conditionnées par les pays concernés. Si cette situation perdure, il faudra considérer une sécession monétaire.

Pour sauver l’euro (et je m’interroge sur le fait de savoir si le pos-tulat de maintien de la subsistance de l’euro est encore fondé et, à vrai dire, j’en doute parfois), il faudrait une monétisation de dettes publiques mise en œuvre, à large échelle, par la B.C.E. Or cette der-

500_VEILDAR.indd 43 30/01/13 13:30

Page 42: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique44

anthemis

nière s’y oppose, car elle assimilerait cette orientation à un dévoie-ment de la monnaie, contraire à l’esprit de la substitution du Deutsche Mark par l’euro. Il faudrait aussi une recentralisation (on devrait dire une relution) du pouvoir européen, mais celle-ci serait contraire au morcellement croissant des pouvoirs qu’on constate dans tous les pays, et que la globalisation économique autorise. En effet, plus le système d’économie de marché se banalise, plus la fragmentation des centres de décision devient optimale.

On sous-estime gravement le risque social associé aux politiques de rigueur et d’austérité que l’Europe impose à des économies faibles. Des taux de chômage stratosphériques, associés à l’absence d’espoir de croissance, sont intenables. Comment imaginer que des postulats monétaires vont enchanter des populations appauvries ?

De nombreux économistes américains avaient prévu que l’euro était une incongruité monétaire, bien avant la décision de fondre les monnaies européennes. On ne les avait pas écoutés, les suspectant de vouloir assassiner une monnaie qui aurait pu devenir un concurrent à la devise de référence incontestable, à savoir le dollar. On a sans doute balayé un peu vite leurs observations. On a fait de même avec certains économistes, essentiellement français, qui avaient émis des doutes. Là aussi, on les avait qualifiés d’esprits chagrins et de pisse-vinaigre alors qu’une heureuse révolution monétaire se mettait en place.

Ceci illustre ma conviction qu’un ordre monétaire ne se postule pas rapidement et politiquement, mais se structure de manière spontanée, très lente et centrifuge, et uniquement si l’adhésion de tous les acteurs économiques est acquise. Si cette dernière n’est pas acquise, les lende-mains qu’on promettait voir chanter déchantent.

L’Écho, blog, juillet 2012

500_VEILDAR.indd 44 30/01/13 13:30

Page 43: Brunot colmant 3

les stations de croix de l’euro 45

anthemis

Une cause à la crise ?

On s’interroge souvent sur les causes profondes de cette crise. Il serait présomptueux de répondre à cette question complexe, polymorphe et mutante. Il est d’ailleurs presque impossible de distinguer l’influence mouvante des différents acteurs privés et institutionnels. Mais il me semble qu’une plongée en apnée dans l’essentiel de l’explication relève du dévoiement de la monnaie. En effet, depuis l’abandon de l’étalon-or de Bretton Woods, la discipline d’impression de la monnaie a disparu, permettant aux États de s’endetter (concomitamment aux excès du sec-teur privé) dans des proportions incompatibles avec le niveau de crois-sance anticipé. À l’intuition, une dette publique de 40-60 % du P.N.B. est raisonnable en période de croissance. Une dette publique de 100 % du P.N.B. dans un environnement économique atone est insoutenable.

Tout se passe comme si les États étaient trop alourdis par leur passif.Mais lorsque le passif d’un État est trop lourd, ce sont les Banques

centrales qui sont sollicitées.Or le passif de ces dernières est constitué de la monnaie créée par elles.C’est la raison pour laquelle la B.C.E. a gonflé son bilan.Si les États étaient restés disciplinés budgétairement et avaient

contrôlé leur endettement, tout en contraignant le champ d’activité de certaines banques privées, on n’en serait pas là.

C’est pour cela qu’à force de recherches, lectures et débats, je crois que la sortie de crise sera monétaire.

La dette publique et privée sera remboursée (je devrais écrire devra être remboursée) avec de l’argent au pouvoir d’achat diminué par de l’inflation.

L’Écho, blog, juillet 2012

Un coup pour rien ?

Finalement, que reste-t-il de ces sommets européens, sinon l’aveu d’une impuissance non pas politique, mais d’alignement politique ?

Je suis convaincu que les États européens comprennent tous l’am-pleur des égarements budgétaires et le prix de la pusillanimité.

500_VEILDAR.indd 45 30/01/13 13:30

Page 44: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique46

anthemis

Mais, inéluctablement, ils sont confrontés à deux phénomènes : tout d’abord, l’indépendance de la B.C.E., et ensuite l’accord idéologique sur son utilisation.

Il y a un désaccord entre les pays du Nord et du Sud sur l’arme monétaire.

Pourtant, tout est clair : la B.C.E. doit agir lourdement.Pas avec une baisse des taux qui serait insignifiante, et même dange-

reuse, car elle épuise une des dernières munitions.Que pourrait une baisse d’un quart de pour cent lorsqu’on com-

pare le caractère dérisoire de ces quelques centimes de pour cent avec des dettes publiques qui dépassent une année de P.N.B. ?

Mais avec une injection monétaire massive, de l’ordre de 750 mil-liards, comme celles qui furent mises en œuvre, à deux reprises, en décembre 2011 et février 2012.

La solution est là, encore que ce soit sans doute le prix d’un simple attentisme avant que la véritable question existentielle de l’euro soit posée : notre devise commune est-elle encore viable ?

Une injection monétaire massive est la seule garantie de survie éventuelle de l’euro.

Mais cela signifierait une monétisation des dettes publiques et donc la négation de l’architecture financière.

Mais, finalement, l’enjeu du débat est celui-là.

L’Écho, blog, juin 2012

Le pétillant Roger Bootle

Les Anglais sont des gens espiègles.Ils ont inventé Cromwell, la Mini, le casse du train Glasgow-

Londres et les Beatles, mais aussi l’« Eurogeddon » (combinaison d’euro et Armageddon), c’est-à-dire un terme destiné à qualifier l’implosion inéluctable de la zone euro.

Et comme ils possèdent un sens de l’humour incontesté, ils ont lancé un prix destiné à récompenser la meilleure manière de mini-

500_VEILDAR.indd 46 30/01/13 13:30

Page 45: Brunot colmant 3

les stations de croix de l’euro 47

anthemis

miser le chaos financier entraîné par la sécession monétaire d’un pays. Ce prix, doté d’une récompense de 25.000 livres, vient d’être décerné à un certain Roger Bootle, chroniqueur apparemment connu outre-Manche.

L’idée de cet économiste primé est assez simple : il s’agit d’intro-duire, du jour au lendemain, une nouvelle devise dans un rapport 1 pour 1 avec l’euro et de procéder à une redénomination instantanée de tous les prix et contrat dans cette nouvelle devise.

Comme la nouvelle devise devait être imprimée, il faudrait effec-tuer les transactions par cartes de crédit avec la possibilité d’utiliser les petites coupures d’euro pendant six mois (on suppose que, selon la loi de Gresham, les grosses coupures seraient thésaurisées, car la mauvaise monnaie chasse la bonne).

Concomitamment, le pays annoncerait un blocage des prix et salaires afin d’éviter l’hyperinflation. La dette extérieure serait, quant à elle, réexprimée en la nouvelle devise, entraînant une perte pour les créanciers.

On le voit : l’idée de Monsieur Bootle est limpide.

Il y a ce qu’il comprend, et puis le reste, c’est-à-dire le plus compliqué.

Et là c’est wagon !

Car il reste à gérer les problèmes d’effondrement bancaire, de défaut sur la dette, de fuite des capitaux, de troubles sociaux, d’approvision-nement énergétique et alimentaire et de contrôle des changes, tout en imaginant qu’un pays puisse limiter le prix de ses importations. Il est évident que pendant les six mois, toute l’économie productive se déli-terait, et qu’un exode massif de personnes et de capitaux ne pourrait pas être empêché sans un régime autoritaire.

On le voit, Monsieur Bootle a vite gagné 25.000 livres (apparem-ment préférable à 25.000 euros dans sa vision).

À l’intuition, il est clair que des pays vont quitter l’euro, mais la seule manière de l’effectuer serait d’introduire une nouvelle devise qui serait liée, par un rapport fixe, à la moyenne pondérée du commerce exté-rieur de ce pays, tout en exerçant un strict contrôle des changes. Mais il est évident qu’un départ monétaire ne pourrait s’effectuer qu’avec

500_VEILDAR.indd 47 30/01/13 13:30

Page 46: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique48

anthemis

l’aide des autorités européennes et du F.M.I. Il serait, dans tous les cas de figure, chaotique.

En conclusion, la théorie de Monsieur Bootle respecte un adage bien connu, à savoir que l’essentiel (du génie) est invisible pour les yeux (du lecteur de sa théorie).

L’Écho, blog, juillet 2012

Une pandémie virale monétaire

La crise étatique et bancaire mute comme une pandémie virale.Il y a trois ans, la crise était d’origine américaine, immobilière, et

probablement liée à une politique monétaire trop complaisante, c’est-à-dire caractérisée par des taux d’intérêt trop bas. Les causes de cette orientation monétaire, décidée en 2000-2001 sont connues : il s’agissait d’une réponse à l’éclatement boursier de la bulle internet, à l’affaire Enron et aux attaques terroristes.

Les autorités monétaires auraient pu corriger la baisse des taux d’in-térêt, mais elles ne l’ont pas fait assez tôt et de manière suffisamment décisive. Les raisons de cette pusillanimité sont nombreuses, mais nous en retiendrons deux.

Tout d’abord, le phénomène de globalisation conduisit à devoir mobiliser d’immenses masses financières afin de déployer des investisse-ments sur une base planétaire. Cette vague d’investissements n’aurait pas pu s’effectuer sans des taux d’intérêt faibles. Ensuite, dans le cas particu-lier de l’Europe, la création de la monnaie unique permit de mutualiser l’épargne européenne, devenue moins cloisonnée, tout en permettant de maintenir des taux d’intérêt bas, puisque le risque de change ne devait plus être rémunéré. Cette alliance de taux d’intérêt bas et d’effets d’aubaine liés à la mondialisation et à la création de la monnaie unique engendra une augmentation importante des dettes publiques.

Cette aggravation de l’endettement, accélérée par la crise 2007-2008, avait déjà été amorcée au milieu de la première décennie du millénaire, tant dans les pays du nord que du sud de l’Europe. La cause de cet embrasement de dette était, et reste liée aux coûts du vieillis-sement de la population. Dans l’Europe des douze premiers pays de

500_VEILDAR.indd 48 30/01/13 13:30

Page 47: Brunot colmant 3

les stations de croix de l’euro 49

anthemis

la zone euro, le rapport dette/P.N.B. est, par exemple, passé de 60 % à 70 % entre 1992 (année de la signature du Traité de Maastricht) et 2007 (dernière année avant la crise).

Le reflux conjoncturel de ces deux dernières années révèle désor-mais cet excès d’endettement public, devenu le problème central de la zone euro. Cet endettement insoutenable entraîne trois effets conco-mitants : il met en péril la cohésion des économies de la zone, il ali-mente – à travers des taux d’intérêt très élevés – la récession des pays du sud de l’Europe et il fragilise les banques.

Cela aboutira immanquablement à exiger une injection massive d’argent de la Banque centrale européenne. Au-delà des restrictions théoriques et idéologiques, cette création de monnaie est incontour-nable. En effet, dès le moment où les dettes publiques sont impossibles à rembourser à un rythme raisonnable au travers de l’impôt et de la croissance, elles finissent par être monétisées, c’est-à-dire financées par de la création monétaire ex nihilo. Cela entraîne l’impression de billets dont le pouvoir d’achat se déprécie progressivement. S’ensuivent de l’inflation et un horizon inconnu.

En conclusion, les États européens sont arrivés au bout de leurs ambiguïtés monétaires. Eu égard aux tensions sur les taux d’intérêt, la monnaie n’est plus unique, les dettes publiques sont stratosphériques et les banques fragilisées dans une conjoncture atone. Il faut renforcer les capitaux bancaires et procéder à une injection massive d’argent frais afin d’immerger la crise étatique dans un déluge de monnaie. Le pou-voir d’achat n’en sortira pas indemne, mais ce sera un moindre mal par rapport à une dislocation désordonnée de l’euro.

Trends, octobre 2012

Sommet de Bruxelles : le jour d’après

Il est difficile à dire si le Sommet de Bruxelles apporte la moindre solution structurelle à la crise de la zone euro.

Le plan de relance, orchestré par la Banque européenne d’investis-sement, est utile, mais marginal.

500_VEILDAR.indd 49 30/01/13 13:30

Page 48: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique50

anthemis

Le contrôle européen des banques est, quant à lui, plus important. Mais il révèle ce dont nous traitons souvent dans ce blog : la nationalisa-tion progressive du secteur bancaire.

En effet, à part des cas de bulles immobilières, ce sont les dettes des États qui alourdissent les bilans bancaires et les fragilisent gravement. Ce qui est en cause est donc la supervision étatique, et non bancaire. Et le problème est bien là : si des instances européennes supervisent les banques, au-delà des instances de régulation nationale, c’est faute d’avoir pu contrôler l’endettement des États.

C’est d’autant plus vrai que nous assistons à un incroyable phéno-mène de renationalisation des dettes publiques, dont le financement migre, de manière centripète, vers les banques des pays qui les ont émises. Exprimé sous une autre forme, les banques d’un pays vont être supervisées par des instances européennes au motif qu’elles financent les mêmes États que ceux qui vont les superviser…

Comment ne pas voir dans ces signes une étatisation progressive du secteur du crédit ?

En d’autres termes, comment imaginer que des actionnaires privés vont injecter des capitaux frais dans des banques dont le risque et le contrôle sont désormais étatiques ?

Il faut être lucide : la crise est très loin d’être terminée.

Et, en économie, il faut se méfier des lumières au bout du tunnel.

Parfois, c’est un train qui arrive en face.

Ce train, c’est celui de l’incontournable injection monétaire que la B.C.E. devra effectuer en complément de cette étatisation crois-sante du secteur du crédit. D’ailleurs, c’est intuitif : si l’État contrôle les banques, il est logique que les banques centrales les alimentent.

L’Écho, blog, juin 2012

500_VEILDAR.indd 50 30/01/13 13:30

Page 49: Brunot colmant 3

les stations de croix de l’euro 51

anthemis

La multiplication des pains

Comme une portée scrupuleusement suivie, chaque jour apporte sa mesure à la mauvaise symphonie européenne, qui en devient une cacophonie.

Les pays du Sud annoncent à la fois des déficits et des chutes de P.N.B. plus graves que prévus, tout en s’imposant des mesures budgé-taires de plus en plus récessionnaires.

Ces mêmes pays du sud de l’Europe pressent les pays du nord à accélérer le rythme d’application des décisions du Sommet de Bruxelles, tandis que l’Allemagne subordonne une aide financière à l’Espagne à une supervision bancaire de la B.C.E. applicable en 2013.

Tout ceci montre bien que l’euro devient un postulat, voire une imposture, à partir du moment où la croissance, nécessaire pour rem-bourser les dettes publiques, a disparu.

Jour après jour, un fait apparaît une évidence : il n’y a pas de solu-tion à l’équation qui consiste à conserver une monnaie commune avec des économies divergentes, vacillantes sous des dettes publiques impossibles à rembourser et des programmes d’austérité qui aggravent la récession, tout en refusant de faire fonctionner la planche à billets et d’accepter l’inflation salutaire qui permettra de fluidifier le système bancaire.

Et, ne l’oublions pas, une variable est restée anormalement stable dans cette déliquescence économique : c’est la revendication sociale.

Dans une précipitation qui lui est peu commune, un homme poli-tique européen important avait qualifié l’année monétaire 2011 de « miraculeuse ».

À mon intuition, il faudra effectivement un miracle pour sauver l’euro, c’est-à-dire une sacrée multiplication des pains plutôt que des miettes d’un accord politique peu ambitieux.

L’Écho, blog, juillet 2012

500_VEILDAR.indd 51 30/01/13 13:30

Page 50: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique52

anthemis

Prisonnier de bulles

J’ai un mauvais sentiment sur l’état de l’économie au cours des prochains mois. L’alignement astral devient troublant : la croissance asiatique s’affaisse (d’autant que de sérieux doutes sont légitimement exprimés sur les chiffres officiels chinois et que l’économie indienne se tasse), les dettes et déficits publics s’aggravent, les plans d’austérité des pays européens s’avèrent caducs et, de manière coordonnée, les banques centrales baissent les taux et injectent de l’argent.

L’état d’endettement de l’économie s’aggrave, tant dans les pays développés qu’en développement. En Europe et aux États-Unis, c’est la dette publique qui pose problème, tandis que c’est la dette privée qui gonfle dangereusement dans les pays en développement.

Bien sûr, la dette d’un agent économique est la créance d’un autre… sauf si c’est le secteur bancaire qui est la contrepartie créditrice, car sa capacité d’absorption des pertes de crédit est limitée.

À cause du surendettement public ou privé, les banques privées vont inéluctablement se tourner vers leur banquier en dernier ressort, c’est-à-dire les banques centrales.

Il est donc plausible que nous nous orientions vers une gigantesque création monétaire conduisant, de manière plus ou moins coordonnée, à déprécier la valeur des monnaies.

Nous serons immanquablement confrontés à un phénomène de stagflation.

Je continue à essayer de ne pas y croire et pourtant, par bouffées, je me demande si la plausibilité du Weimar planétaire prédit par Attali n’a pas augmenté.

Ce qui est certain, c’est que notre bulle de bien-être a explosé.On voit aussi des bulles se créer, par réaction mécanique à la baisse

des taux d’intérêt, dans certaines classes d’actifs, tels l’immobilier ou l’or.

Serions-nous, comme dans la série « Le prisonnier », entourés de bulles ?

L’Écho, blog, juillet 2012

500_VEILDAR.indd 52 30/01/13 13:30

Page 51: Brunot colmant 3

les stations de croix de l’euro 53

anthemis

Marche arrière ?

Au fur et à mesure que les problèmes de dettes étatiques appa-raissent avec le reflux de la croissance, une conclusion s’impose : il est impossible que ces dettes soient remboursables en maintenant intact le pouvoir d’achat de la monnaie (c’est-à-dire l’euro) dans laquelle elles ont été émises.

Bien sûr, on peut imaginer de subir théoriquement leur rembour-sement par une fiscalité renforcée et étalée sur plusieurs décennies, mais le problème n’est pas là. Outre le fait que l’impôt sera peut-être réfuté par les nouvelles générations (dont il ne faut jamais oublier que l’émigration est une option), il faut admettre l’incongruité d’un tel niveau de dettes avec l’immersion dans une économie de marché qui exige souplesse, adaptation et entrepreneuriat.

Cette dette est un héritage de l’État-providence. Malheureusement, la providence ne nous aidera plus.

Dans les prochaines années, il n’est donc pas exclu que les dettes publiques soient réaménagées pour en étaler le remboursement. Cer-tains États devront immanquablement faire aveu de faillite. La Belgique ne sera pas concernée par ces réaménagements de dettes ou ces faillites, car sa compétitivité devra être alignée sur celle de l’Allemagne. On peut même avancer que notre pays appartient déjà à une zone euro-mark étendue qui la protège

Mais il est évident que les autorités monétaires seront interpellées pour financer ces mêmes dettes par la création monétaire. Au reste, on peut se demander quelle est, au-delà du pur juridisme, la légitimité du pouvoir régalien de la Banque centrale européenne qui contraint la politique socioéconomique à un environnement d’inflation basse.

Il arrivera donc un moment où la question de la représentativité des autorités monétaires sera posée, alors que les orientations socio-politiques ont été déléguées à un niveau supranational. Nous voyons un problème dans ce constat, parce qu’il est admis que l’euro aurait dû être accompagné d’une union budgétaire et fiscale. Pourquoi, dès lors, renforcer l’autonomie des autorités monétaires en leur subordonnant les orientations politiques nationales ?

500_VEILDAR.indd 53 30/01/13 13:30

Page 52: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique54

anthemis

Peut-être parce que le processus monétaire est trop engagé pour faire marche arrière. C’est là que se situe le problème, car les diver-gences et l’hétérogénéité des pays européens sont peut-être deve-nues trop grandes pour ne pas être obligés de faire marche arrière ou à tout le moins pour repenser ce qui n’a pas fonctionné dans la zone euro.

L’Écho, blog, juillet 2012

Le rideau du temple monétaire

Le ministre des Finances allemand vient d’annoncer que l’euro serait stabilisé ou scindé. Finalement, les Allemands viennent de consommer leur Pentecôte monétaire et faire l’aveu de leur vision de l’euro.

Mais comme la stabilisation monétaire passe par une adaptation des statuts de la B.C.E. et une monétisation des dettes publiques, il n’y a pas d’alternative : l’euro finira par être scindé.

Ce sera un processus chaotique, mais qui nous semble désormais inéluctable.

Les Allemands n’ont plus confiance en cette monnaie qu’ils savent devoir dévoyer pour la sauver. À leurs yeux, le sauvetage de l’euro devrait passer par une création monétaire inflationniste, et ils n’en veulent pas.

La Belgique devrait être du bon côté, c’est-à-dire dans la zone mark.

Aux lecteurs qu’un tel message étonnera, je répondrai que les marchés ont déjà formulé le scénario de scission au travers des taux d’intérêt.

Rien ne dit qu’on n’assistera pas à un retour des peuples et des États-nations du XIXe  siècle, sous une forme acceptable à l’écono-mie de marché. Ceci ramènerait aux conceptions westphaliennes de la souveraineté. Dans ce contexte, l’identité, le fait national et la culture sont associés à une délimitation territoriale. En même temps, les États mettront sans doute en œuvre des politiques plus autoritaires (c’est-à-

500_VEILDAR.indd 54 30/01/13 13:31

Page 53: Brunot colmant 3

les stations de croix de l’euro 55

anthemis

dire des économies administrées, à l’instar des capitalismes d’État ou des socialismes de marché), comme c’est d’ailleurs le cas après chaque crise économique majeure.

L’Écho, blog, juillet 2012

Comme un galet poli par la mer

Prenons un peu de recul par rapport à la situation mondiale.Qu’est-ce qui a vraiment changé depuis une dizaine d’années, au-

delà de la création de l’euro et de la crise bancaire et étatique ?C’est la mondialisation, combinée à la croissance démographique,

qui a ouvert des opportunités de commerce, de travail et d’enrichis-sement probablement comparables aux opportunités suscitées par les grandes découvertes et la révolution industrielle.

Cette croissance pose le problème aigu de la finitude des ressources de la nature et des inégalités sociales. Ces deux contraintes sont d’ail-leurs traitées de manière scandaleusement accessoire.

À une échelle plus immédiate, cette globalisation, combinée à un changement de polarité du monde, révèle l’inanité d’un modèle de croissance fondé sur l’endettement.

Je reste stupéfait qu’il n’y ait pas un nombre croissant d’économistes qui ne souligne pas que c’est le problème de nos communautés, et probablement la plus grande injustice par rapport aux futures généra-tions… dont on s’inquiète en même temps qu’elles ne pourraient pas bénéficier du même niveau de vie que nous.

Bien sûr, on peut, à court terme, divertir le débat public en s’inquié-tant des dérives du capitalisme, mais – sans minimiser la question de la justice sociale, fondamentale à mes yeux – cette problématique est accessoire aux réalités dominantes d’endettement collectif et désho-nore les commentateurs qui en confondent les causes et les symptômes.

J’ai d’ailleurs décidé de ne jamais rentrer dans ce type de débats secondaires et qui sont instrumentés à des buts politiques. Ceci étant, je reconnais incidemment, comme cela m’est régulièrement reproché, d’avoir contribué au phénomène d’aveuglement qui a consisté à ne pas

500_VEILDAR.indd 55 30/01/13 13:31

Page 54: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique56

anthemis

tirer profit des premières années heureuses de l’euro pour revendiquer un désendettement public en Belgique

Ma question centrale, tournée comme un galet qui roule dans une vague, posée dans ce blog et mes écrits, se résume toujours à l’inter-rogation centrale de savoir comment libérer les futures générations de cette dette publique.

Si on écarte les solutions simplistes, relevant de l’annulation de la dette, de la confiscation et des idioties idéologiques surannées, que reste-t-il, sinon la dilution de cette dette dans la création monétaire ? Cela ira de pair avec de l’inflation dont les gouvernements tireront profit en plaçant les banques sous une forte tutelle de répression finan-cière.

Si mon intuition se confirme, alors nos communautés glisseront lentement vers l’étatisation généralisée. Et pourtant, il faudra s’extraire de cette dérive pour continuer, en superposition de la création moné-taire, à stimuler l’envie du futur et encourager la création et l’entrepre-neuriat.

Je crois que les prochaines années vont être accompagnées de chocs sociaux et de tensions idéologiques très marquées.

L’Écho, blog, août 2012

Lénine et Lennon, même combat ?

Il est difficile de stabiliser un seul scénario pour l’évolution bancaire européenne, mais on peut en esquisser les contours : ce sera un mélange d’étatisation et d’injection monétaire.

L’étatisation se traduira par une forte tutelle des gouvernements sur leurs banques domestiques afin que ces dernières canalisent l’épargne des particuliers vers le financement de leurs dettes publiques. Cette articulation, déjà consommée, traduit un phénomène conjoint de domestication des dettes publiques et de répression financière.

L’injection monétaire sera indispensable pour sauver la monnaie unique, si tant est que sa survie soit encore souhaitable et possible.

500_VEILDAR.indd 56 30/01/13 13:31

Page 55: Brunot colmant 3

les stations de croix de l’euro 57

anthemis

On en arrive irrémédiablement à ce que la création monétaire (de la B.C.E. et des États) sera instrumentalisée pour rembourser les dettes publiques.

D’ailleurs, de manière cynique, on peut se demander si les États n’ont pas fait un calcul en deux, voire trois temps, qui consiste à baisser les taux d’intérêt au plus bas, afin de refinancer leurs dettes à des condi-tions exorbitantes tout en pouvant les escompter auprès des banques centrales, avant de voir l’inflation déprécier ces mêmes dettes et/ou permettre leur rachat à des conditions avantageuses, et d’appauvrir ses citoyens par un impôt inflationniste lancinant. Ceci ramène à l’acerbe postulat de Lénine qui avançait que « pour détruire le régime bour-geois, il suffit de corrompre sa monnaie ». Est-ce un scénario impro-bable ? Il ne faut pas l’exclure, d’un point de vue strictement théorique.

Lennon chantait aussi avec Georges Harrison, dans la chanson « Taxman » :

Let me tell you how it will be

There one for you, nin’teen for me

Cause I’m the taxman

Should five percent appear too small

Be thankful I don’t take it all

À méditer…

L’Écho, blog, août 2012

Des taux d’intérêt négatifs : une mauvaise nouvelle

Les taux d’intérêt négatifs auxquels certains pays de l’Europe du Nord empruntent semblent être une bonne nouvelle.

Et pourtant, c’est, à l’intuition, un enseignement exactement inverse qu’il faut en tirer. Pourquoi ?

Si ces taux sont bas, c’est plutôt par antagonisme, au sein de l’Eu-rope, avec des pays d’Europe du Sud qui sont plus risqués. Les taux d’intérêt bas résultent plutôt d’un « renvoi dos à dos » de certains pays

500_VEILDAR.indd 57 30/01/13 13:31

Page 56: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique58

anthemis

ressortissant à la monnaie unique que d’une amélioration structurelle de nos économies.

Ensuite, des taux d’intérêt bas conduisent à masquer la réalité des endettements publics, que normalement les taux d’intérêt disciplinent.

Par ailleurs, des taux d’intérêt bas devraient promouvoir le finan-cement des projets publics d’infrastructure, mais l’Europe bride cette orientation, au motif que cela entraînerait une dégradation des endet-tements publics, et donc un renchérissement du taux d’intérêt.

Enfin, des taux d’intérêt réels négatifs sont souvent un signe de récession et conduisent à un manque d’efficience dans l’allocation du capital. C’est une illustration du « piège de la liquidité » de Keynes.

Les taux vont bien sûr remonter, car l’argent a un coût, et l’écono-mie retrouve toujours des bases stabilisées.

L’Écho, blog, juillet 2012

Une discrétion embarrassante

Comment jugera-t-on les orientations économiques de ces deux dernières années, dont on ne peut exclure le fait qu’au-delà des inté-rêts particuliers, elles sont motivées par le désir authentique de certains d’éviter une implosion économique ?

Très mal, comme le furent – trop tard – les premières années de la quatrième décennie du XXe siècle, lorsque certains cherchèrent dans la rigueur budgétaire et la vertu monétaire l’espoir de discipliner l’éco-nomie.

Ce qui serait loyal, c’est que les fondateurs de l’euro expriment, de manière publique, ce qu’ils feraient aujourd’hui pour sauver leur projet, afin de nous assurer de leurs explications quant aux déviances par rap-port au projet originel.

Leur mutisme est, pour ma génération d’économistes, embarrassant. Leur parole serait, au contraire, enrichissante.

L’Écho, blog, juillet 2012

500_VEILDAR.indd 58 30/01/13 13:31

Page 57: Brunot colmant 3

les stations de croix de l’euro 59

anthemis

Leurres et malheurs des taux d’intérêt

Un des effets pervers de la monnaie unique est les biais qu’elle a entraînés sur son coût, c’est-à-dire le taux d’intérêt. Ces travers sont nombreux, et nous nous limitons à en citer quelques-uns.

Tout d’abord, tous les pays de la zone euro ont pu, grâce à la réfé-rence allemande, emprunter à des conditions homogènes qui ont masqué les réalités individuelles de leur solvabilité. Cet effet s’est super-posé à un contexte de taux d’intérêt anormalement bas qui avaient été imposés à la suite de l’éclatement de la bulle internet et de la nécessité de financer l’expansion commerciale associée à la globalisation. C’est ainsi que l’endettement public grec a pu atteindre des sommets qu’une drachme n’aurait pas autorisés, puisque les prêteurs étrangers auraient exigé une prime d’intérêt destinée à se protéger contre le risque de change.

Ensuite, par effet de cascade, les taux d’intérêt des pays périphé-riques sont restés trop bas, entraînant des bulles d’actifs. C’est typi-quement le cas de l’Espagne, dont la bulle immobilière n’aurait jamais pu apparaître si les taux d’intérêt de l’État espagnol n’avaient pas été déflatés par l’introduction de l’euro.

Enfin, cette politique de taux d’intérêt bas a permis aux États euro-péens de renforcer leur poids dans l’économie à coût réduit, puisque ces derniers ont vu leur coût d’emprunt allégé et leur indiscipline budgétaire débarrassée de la contrariété des taux d’intérêt élevés que les marchés financiers leur auraient imposés. C’est d’autant plus vrai que les pays européens ont pu étendre le sceptre de leurs créanciers sans plus devoir canaliser l’épargne domestique vers le financement de leur dette publique nationale.

Mais si la création de l’euro a biaisé les taux d’intérêt, son sauvetage engendre un biais encore plus profond, puisque la B.C.E. doit adopter une politique monétaire extrêmement expansionniste (et devra le faire d’autant plus que la volonté politique est de sauver la monnaie unique dans sa configuration actuelle). À titre d’exemple, les pays du nord de l’Europe peuvent probablement emprunter à des taux d’intérêt réels

500_VEILDAR.indd 59 30/01/13 13:31

Page 58: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique60

anthemis

(c’est-à-dire inflation déduite) négatifs, parce que d’autres pays voient le coût de leur endettement atteindre des sommets.

Mais alors, serait-il possible que des bulles d’actif soient en for-mation, sinon déjà formées ? À l’intuition, la réponse est positive. Il y a probablement une bulle obligataire et aussi une bulle de « bien-être public ». Cette dernière provient du fait que le niveau de prestation émanant de l’État ne pourra certainement pas être maintenu si les taux d’intérêt réels retrouvent un niveau normal. C’est pour cette raison qu’il ne faut pas se réjouir trop vite des équilibres budgétaires atteints dans le contexte particulier que nous traversons.

En d’autres termes, la réduction des déficits budgétaires est un leurre, tant pour les pays du nord de l’Europe (qui y sont aidés par des taux d’intérêt anormalement bas) que pour les pays du Sud (auxquels on impose une austérité qui contracte leur P.N.B. et aggrave leurs déficits).

L’Écho, blog, juillet 2012

Que fait la B.C.E. ?

Dans un billet récent, nous avions mis en évidence les dangers de taux d’intérêt négatifs. Ceux-ci le sont d’ailleurs à double titre, non seulement en termes nominaux, mais aussi réels, c’est-à-dire après déduction de l’inflation.

Cette situation est un terrible désaveu pour la B.C.E. et les autorités politiques, puisque les résultats du Sommet de Bruxelles de fin juin se sont estompés en moins d’une semaine.

D’aucuns pourraient assimiler des taux d’intérêt négatifs à un signal positif, voire à une récompense, associé à une bonne tenue des finances publiques. Il n’en est bien sûr rien : les taux sont négatifs parce que les marchés anticipent une scission de la zone euro. Les taux d’intérêt sont donc négatifs par défaut de crédibilité de la zone euro.

Ils pourraient aussi l’être parce que les marchés pressentent une déflation, c’est-à-dire une inflation négative. C’est un scénario épou-vantable auquel le F.M.I. associe une probabilité de 25 %.

500_VEILDAR.indd 60 30/01/13 13:31

Page 59: Brunot colmant 3

les stations de croix de l’euro 61

anthemis

Mais la vraie question est de savoir ce qui va se passer dans les pro-chains mois, et plus précisément ce que la B.C.E. va faire.

Tous les économistes avertis, ainsi que de nombreux dirigeants poli-tiques, la Fed et le F.M.I. pressent la B.C.E. d’assouplir la politique monétaire par un rachat d’obligations souveraines. Il est incompréhen-sible que les dirigeants de Francfort, à la légitimité démocratique de plus en plus contestée, ne réagissent pas à ces demandes.

Si la B.C.E. n’intervient pas, la viabilité de la zone euro est évidem-ment compromise.

Si, par contre, la B.C.E. intervient, ce sera bénéfique à l’homogé-néité de la zone et les taux d’intérêt se détendront, tant pour les pays aux taux négatifs que positifs.

La création monétaire de la B.C.E. aura, à terme, des effets infla-tionnistes qui contrarieront les risques de déflation.

Si la B.C.E. n’intervient pas ou plus, ses dirigeants réitéreront les erreurs, pourtant tellement évidentes, des dirigeants qui avaient cher-ché la rédemption de la crise de 1929 dans la rigueur monétaire et budgétaire. Ceux-ci se nommaient Hoover (1929), Brüning (1930) et Laval (1935).

L’Écho, blog, juillet 2012

L’infaillibilité monétaire et une explosion sociale ?

Le président de la B.C.E. vient d’affirmer l’irréversibilité de l’euro.

Cela a le mérite de la clarté et du courage, puisque ce message n’est plus entendu par les marchés qui consacrent une zone euro éclatée entre les pays du Nord, les pays semi-périphériques (dont la Belgique et la France) et les pays faibles.

Mais si l’euro est irréversible, et donc infaillible, alors il faut savoir comment en assurer la pérennité. En effet, les résultats du Sommet de Bruxelles sont plus qu’annihilés, malgré que les décisions consacrèrent, comme nous l’avions écrit dans ce blog, le dernier effort allemand.

500_VEILDAR.indd 61 30/01/13 13:31

Page 60: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique62

anthemis

Ceci étant, le message de M.  Draghi laisse peut-être présager la mise en œuvre de nouvelles mesures, tels un assouplissement monétaire supplémentaire et des taux d’intérêt négatifs sur les dépôts bancaires auprès de la B.C.E.

Mais le véritable problème n’est pas là : l’irréversibilité de l’euro exige des décisions politiques structurelles. Il faudrait une mutualisa-tion plus aboutie des politiques fiscales et budgétaires, qui est contraire à l’intuition économique que des pays n’arriveront pas à se maintenir dans la zone euro.

Il faudrait aussi être capable d’expliquer comment on peut conti-nuer à imposer une monnaie trop forte et des politiques d’austérité à des économies dont le taux de croissance du P.N.B. devient négatif.

Mon intuition est que si l’euro ne correspond plus à des réalités socioéconomiques, alors il faut se débarrasser du biais cognitif et avoir la lucidité de s’interroger sur le bien-fondé des décisions monétaires prises il y a une quinzaine d’années.

Finalement, une monnaie n’est que le reflet éphémère d’un ordre étatico-social. Une monnaie reproduit l’équilibre circonstanciel de la tension entre les facteurs de production. La monnaie n’est même, peut-être, qu’un archétype sociopolitique.

Mais nous l’avons souvent écrit : ce ne seront pas des axiomes poli-tiques qui assureront la survie de l’euro. Des événements inattendus s’annoncent. Le président allemand du Parlement européen ne vient-il pas d’avertir d’une explosion sociale ? Il faut avoir rencontré et discuté avec M. Martin Schulz pour comprendre que c’est tout sauf un plai-santin ou un gai luron farceur.

L’Écho, blog, juillet 2012

Terre brûlée et jeunesse

Jour après jour, une chose me frappe : le monde évolue à une vitesse fulgurante, mais l’Europe semble rester ancrée dans une téta-nie politique et monétaire. Bien sûr, des métastructures de décisions sont élaborées, mais pour quels résultats ? La Grèce est tombée dans

500_VEILDAR.indd 62 30/01/13 13:31

Page 61: Brunot colmant 3

les stations de croix de l’euro 63

anthemis

une grave récession malgré les plans de soutien, l’Espagne s’effondre dans une banqueroute publique et des pertes bancaires, le Portugal est sous perfusion et la France a un défi surhumain à surmonter. Nous venons de traverser trois années de crise bancaire et étatique, que n’importe quel pays aurait fini par résoudre de manière holistique et, au contraire, nous tentons de conserver l’acquis et de modifier à la marge les postulats au lieu de les repenser. C’est ainsi que le P.N.B. européen va baisser cette année, que des millions de jeunes s’entassent au chômage et que la seule réponse semble être le cloi-sonnement intellectuel.

Les foyers de croissance du monde se recomposent, avec une zone européenne à la croissance autonome très faible, à la suite d’un manque de capacité d’innovation et de la finitude d’un capitalisme d’endette-ment et d’accumulation. Au cours des dix dernières années, les éco-nomies occidentales se sont limitées à croître grâce à une politique monétaire expansionniste, aux conséquences artificielles et éphémères. Comme l’expansion monétaire atteint ses limites, la croissance de l’Eu-rope continentale va en être durablement affectée.

Les prochaines années signeront la fin de l’État-providence et des modèles de stimulation étatique à crédit. Plus tard, les auteurs de cette supercherie seront confrontés à la réalité de l’économie, dont ils ont mystifié la pédagogie, car la mondialisation s’en chargera.

Nos communautés continueront à traverser un profond change-ment de modèle, touchant à la trame de nos valeurs collectives. Car, au-delà de l’adoption du modèle, un fait s’impose, au même rythme que la disparition des référentiels supérieurs : ce sera la confiance en l’individu et donc sa responsabilisation au titre d’acteur de l’économie de marché, qui prévaudra. Ceci ramène à un des grands défis de nos communautés occidentales : la répartition des richesses, c’est-à-dire l’alignement des intérêts privés et des bénéfices sociaux.

Pourtant, il faut se préparer à une décennie économique de terre brûlée. Mais cette réalité ne signifie ni résignation, ni prophétie déses-pérée. C’est cela, peut-être, le message de cette crise : il faut repenser

500_VEILDAR.indd 63 30/01/13 13:31

Page 62: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique64

anthemis

la pensée, sortir de nos réflexes idéologiques et culturels, et redéfinir ensemble la prospérité économique.

Et il faut, absolument, aider les jeunes, car leur impossibilité à ren-trer dans le marché du travail, surtout au sud de l’Europe, entraîne des dégâts irréversibles.

L’Écho, blog, juillet 2012

Le pouvoir nominal et réel en Europe

Force est constater que quelque chose n’a pas fonctionné dans la compréhension de la situation économique européenne, puisque les marchés sont dans un état de décomposition pire qu’avant le Sommet de Bruxelles.

C’est une situation apocalyptique.

Les autorités politiques imposent une convergence budgétaire qui conduit les pas du Sud à s’enfoncer dans une récession dont les effets – il faut s’en convaincre – sont irrécupérables et ferments de troubles sociaux. La conjoncture s’est négativement retournée en Europe, et les cénacles politiques imposent une politique de rigueur, alors que c’est exactement l’inverse qui devrait être mis en œuvre.

Cette politique de rigueur est confortée par la B.C.E., qui dit conco-mitamment que le problème budgétaire doit être réglé par les États (ce qui est théoriquement vrai), mais que l’euro est irréversible (ce qui est un postulat très fragile) sans vouloir intervenir de manière claire.

La question qui se pose est de savoir où se situe le véritable pouvoir économique ?

Aux marchés, bien entendu, qu’on ne leurre jamais très longtemps.

Au-delà de ces derniers, le pouvoir politico-économique ressortit normalement aux autorités politiques européennes.

Pratiquement, le véritable pouvoir est aux mains de la B.C.E.

C’est un phénomène d’allégeance du pouvoir nominal (la prési-dence européenne) au pouvoir réel (la B.C.E.).

500_VEILDAR.indd 64 30/01/13 13:31

Page 63: Brunot colmant 3

les stations de croix de l’euro 65

anthemis

C’est la B.C.E. qui, par défaut, devra intervenir pour sauver l’euro, par un refinancement des États, par des modifications des taux d’intérêt, etc.

Mais de cela, les autorités politiques ne veulent pas non plus, et pour trois raisons. Tout d’abord, cela révélerait leur impuissance décision-nelle. Ensuite, les autorités politiques ne sont pas prêtes à accepter les conséquences d’une intervention massive de la B.C.E., car cette der-nière sera inflationniste. Enfin, une intervention massive de la B.C.E. pourrait s’avérer un échec, ce qui signifierait que le constat de la fin politique et monétaire de l’euro est dressé.

Il y a quelques semaines, les dirigeants qui avaient signé le Traité de Maastricht en 1992 ont célébré les vingt ans de ce choix monétaire. Qu’ils l’aient fait avec discrétion et modeste triomphe se comprend. Qu’ils restent silencieux aujourd’hui est difficilement acceptable, sauf à admettre leur manque d’anticipation des chocs que nous traversons et de leurs remèdes.

L’Écho, blog, juillet 2012

Épitaphe monétaire ou résurrection politique ?

Force est constater que quelque chose n’a pas fonctionné dans la compréhension de la situation économique européenne, puisque les marchés sont dans un état de décomposition pire qu’avant le Sommet de Bruxelles.

Les repères s’estompent : on ressent un profond malaise.

C’est presque une exaspération.

On voit, en France, un pouvoir politique qui tente, comme en 1981-1983, de domestiquer l’économie, mais, au niveau européen, une économie qui terrasse les structures politiques.

Tout semble contredit.

Les gouvernements européens veulent-ils encore de ce qu’ils ont construit il y a moins de quinze ans ? Je commence à en douter.

Les autorités politiques imposent une convergence budgétaire qui conduit les pas du Sud à s’enfoncer dans une récession dont les effets

500_VEILDAR.indd 65 30/01/13 13:31

Page 64: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique66

anthemis

– il faut s’en convaincre – sont irrécupérables et ferments de troubles sociaux. La conjoncture s’est négativement retournée en Europe, et les cénacles politiques imposent une politique de rigueur, alors que c’est exactement l’inverse qui devrait être mis en œuvre.

Cette politique de rigueur est confortée par la B.C.E., qui dit concomitamment que le problème budgétaire doit être réglé par les États (ce qui est théoriquement vrai), mais que l’euro est irréversible (ce qui est un postulat très fragile) sans vouloir intervenir de manière claire.

La question qui se pose est de savoir où se situe le véritable pouvoir économique ?

Aux marchés, bien entendu, qu’on ne leurre jamais très longtemps.Au-delà de ces derniers, le pouvoir politico-économique ressortit

normalement aux autorités politiques européennes.Pratiquement, le véritable pouvoir est aux mains de la B.C.E.C’est un phénomène d’allégeance du pouvoir nominal (la prési-

dence européenne) au pouvoir réel (la B.C.E.).C’est la B.C.E. qui, par défaut, devra intervenir pour sauver l’euro,

par un refinancement des États, par des modifications des taux d’inté-rêt, etc.

Mais de cela, les autorités politiques ne veulent pas non plus, et pour trois raisons. Tout d’abord, cela révélerait leur impuissance décision-nelle. Ensuite, les autorités politiques ne sont pas prêtes à accepter les conséquences d’une intervention massive de la B.C.E., car cette der-nière sera inflationniste. Enfin, une intervention massive de la B.C.E. pourrait s’avérer un échec, ce qui signifierait que le constat de la fin politique et monétaire de l’euro est dressé.

Qu’avez-vous fait alors qu’il en était encore temps ? demandera la prochaine génération à ses aînés.

Qu’avez-vous fait, il y a quinze ans ? demandent aujourd’hui les peuples d’Europe qui avaient imposé une monnaie unique, aujourd’hui effritée.

L’Écho, blog, août 2012

500_VEILDAR.indd 66 30/01/13 13:31

Page 65: Brunot colmant 3

les stations de croix de l’euro 67

anthemis

La politique monétaire à la corbeille ou au parlement ?

De plus en plus de voix s’élèvent pour exiger un changement de mandat de la B.C.E., qui est actuellement essentiellement centré sur le contrôle de l’inflation.

Il y a quinze ou vingt ans, cette orientation était logique : l’Europe sortait d’une période d’inflation, réalimentée par la réunification alle-mande, et les Allemands exigeaient légitimement un euro fort comme le Mark, dont la robustesse avait discipliné l’économie germanique pendant quatre décennies.

Mais aujourd’hui, comment est-il possible de ne pas pouvoir débattre de ce postulat ancien, alors que la substance de la monnaie, c’est-à-dire l’homogénéité de l’euro, est mise en joue ? C’est un débat important (et plus politique qu’économique), qui ne peut pas être escamoté par quelques mouvements de marchés ou décisions secon-daires de la B.C.E.

C’est un débat qui mérite mieux que quelques confidences du pré-sident de la B.C.E. ou conclaves entre les dirigeants des grands pays européens : il s’agit, en effet, du phénomène monétaire, qui est à la base des rapports sociopolitiques.

Certes, de Gaulle disait que la politique de la France ne se faisait pas à la corbeille (ancienne technique boursière), mais il ne faudrait pas que le sentiment de marché se substitue désormais aux débats sémi-naux : de quel euro voulons-nous ?

Si les objectifs d’inflation restent bas et que la politique monétaire se rigidifie, la charge de la dette sera reportée aux générations suivantes, avec un risque de frictions sociales dans les pays du sud de l’Europe.

Par contre, si la B.C.E. s’engage dans une politique monétaire plus laxiste qui autorise une inflation acceptable, la charge de la dette sera plus équilibrée en termes de dispersion générationnelle.

Bien sûr, les économistes sérieux savent qu’un rachat massif d’obli-gations souveraines par la B.C.E. n’est pas indolore. Cela peut même s’avérer contre-productif si l’économie est empêtrée dans un piège de la liquidité. On parle de piège de la liquidité lorsqu’une banque cen-

500_VEILDAR.indd 67 30/01/13 13:31

Page 66: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique68

anthemis

trale injecte des liquidités dans l’économie sans parvenir à relancer la croissance. Les acteurs économiques absorbent les liquidités, les thésau-risent et ne les dépensent pas.

Mais, d’un point de vue macroéconomique, la B.C.E. sera respon-sable de fixer le gradient social de la génération qui devra acquitter la dette publique. Ce sera la B.C.E. qui déterminera, plus qu’auparavant, le modèle social et de compétitivité du continent. Concrètement, plus la B.C.E. se concentrera sur son objectif d’inflation, plus elle va favori-ser les rentiers au détriment des jeunes travailleurs, et vice versa.

Les Américains l’ont bien compris : ils continueront à injecter des liquidités dans l’économie domestique (sous forme d’un quantitative easing, par exemple) afin de faire décroître le chômage, dont on estime que le taux s’affaissera à 7,7 % fin 2013 (contre 11 % en Europe).

Mais attention, l’important est de ne pas se limiter à des effets médiatiques d’aubaine. Invoquer une intervention de la B.C.E. n’a aucun sens sans volonté politique de renforcer la construction d’une Europe politique. Cette poursuite d’une Europe fiscale et budgétaire est la question structurelle qui conditionne l’avenir de l’euro. Ne pas être capable d’y répondre rend les avis politiques, aussi importants tentent-ils d’être, totalement superfétatoires.

L’Écho, blog, août 2012

Scission de l’euro : mode d’emploi

Depuis novembre 2009, le message politique européen est fondé sur l’intangibilité de l’euro. Le président de la B.C.E. a même affirmé son irréversibilité. Au terme de l’année passée, les autorités politiques européennes avaient aussi qualifié 2011 d’annus mirabilis (année mira-culeuse). Pourtant, force est de constater que la Providence se fait attendre. Jour après jour, les économies européennes divergent de manière croissante et l’euro se disloque. Si un réajustement monétaire était autorisé, il conduirait à une dévaluation drastique de la plupart des devises européennes par rapport à un Deutsche Mark réinstauré.

500_VEILDAR.indd 68 30/01/13 13:31

Page 67: Brunot colmant 3

les stations de croix de l’euro 69

anthemis

Un basculement monétaire devient plausible lorsqu’on recense les biais qui affectent les taux d’intérêt réels, devenus négatifs pour cer-tains pays. Tout d’abord, les pays du sud de la zone euro ont pu, grâce à la référence allemande, emprunter à des conditions lucratives qui ont masqué les réalités de leur solvabilité. C’est ainsi que l’endettement public grec a pu atteindre des sommets qu’une drachme n’aurait pas autorisés. En effet, les prêteurs étrangers auraient exigé une prime de risque destinée à se protéger contre le risque de change. Ensuite, par effet de cascade, les taux d’intérêt des pays périphériques sont restés trop bas, entraînant des bulles d’actifs. C’est typiquement le cas de l’Es-pagne dont la bulle immobilière n’aurait jamais pu apparaître si les taux d’intérêt de l’État espagnol n’avaient pas été déflatés par l’introduction de l’euro. Enfin, cette politique de taux d’intérêt bas a permis aux États européens de renforcer leur poids dans l’économie à coût réduit. En effet, ces États ont vu leur coût d’emprunt allégé et leur indiscipline budgétaire débarrassée de la contrariété des taux d’intérêt élevés que les marchés financiers leur auraient normalement imposés.

Mais si la création de l’euro a biaisé les taux d’intérêt, son sauvetage engendre un travers encore plus profond, puisque la B.C.E. doit adop-ter une politique monétaire extrêmement expansionniste. Mécanique-ment, l’euro est à l’origine de nombreuses bulles qui finissent toutes par éclater. Le prochain éclatement est sans doute celui d’une bulle obligataire dans les pays d’Europe du Nord.

Existe-t-il un moyen d’échapper à une sécession monétaire ? Bien sûr, et il faut l’espérer, car le projet européen est porteur des valeurs morales d’un idéal politique. Mais, pour l’éviter, il faudrait accepter une monétisation (c’est-à-dire un escompte permanent) des dettes publiques des pays faibles auprès de la B.C.E. et un relèvement des objectifs d’inflation de cette institution.

Dans son dernier ouvrage (bientôt traduit en français), Paul Krug-man confirme, comme tous les autres économistes et prix Nobel de renom, que la voie de sortie d’une zone euro homogène est infla-tionniste. Même le F.M.I. plaide désormais pour une politique moné-taire encore plus souple. Tous plaident donc pour la voie de la création monétaire et un euro beaucoup plus faible. Il faudrait aussi mettre fin

500_VEILDAR.indd 69 30/01/13 13:31

Page 68: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique70

anthemis

aux objectifs de retour à l’équilibre budgétaire, à tout le moins pour les économies du sud de l’Europe, déjà asphyxiées sous l’austérité. Il fau-drait aussi formuler une véritable union fiscale et budgétaire. Mais de ces transferts de souveraineté, les autorités monétaires et politiques ne veulent pas, parce que c’est une vision fédérale de l’Europe qui prévaut.

Pour les pays qui seront expulsés ou qui choisiront de rompre leur ancrage monétaire, la rupture sera gravement chaotique. Pourtant, les contours de l’opération sont discernables. Comme une dévaluation drastique, elle exigera des contrôles de change, un aide d’urgence aux banques, un gel des prix et des salaires afin d’éviter des phénomènes d’(hyper)inflation, des restrictions aux mouvements des capitaux et un support des instances internationales, tel le F.M.I. La conversion moné-taire sera d’abord effectuée en compte avant d’être réalisée en pièces et billets. Il faudra aussi apaiser les inévitables troubles sociaux, car une répudiation monétaire n’entraîne pas de changement de régime.

J’énumère ci-après quelques points de repère de cette métamor-phose monétaire qu’à nouveau, personne ne souhaite, mais qui pour-rait s’imposer.

Tout d’abord, il n’y aurait pas deux euros, mais un euromark, géo-graphiquement centré sur la Ruhr et des devises périphériques au flottement contrôlé. On pourrait imaginer un retour à la drachme, la lire, la peseta et l’escudo. Avec ces devises, il faudrait immédiatement réinstaurer un système de couloir de variations, comparable au Serpent monétaire (1974-1978) ou au Système monétaire européen (ou S.M.E. de 1979 à 1999) afin de stabiliser le commerce intracommunautaire et l’inflation. En d’autres termes, les devises sortantes devraient évo-luer dans un système de cours-pivots, dont l’euromark serait l’axe de référence, assorti de marges de fluctuations. D’ailleurs, la zone euro est déjà revenue au S.M.E. avec des spreads souverains qui remplacent les marges de fluctuations et des dévaluations qui sont transformées en défauts.

Le problème résiderait dans la formation du cours de change de ces nouvelles devises. Les résidents des pays sortants recevraient, en effet, une quantité de monnaie nationale en lieu et place de leurs avoirs en euros. L’euro ne serait donc pas remplacé par un panier de devises. Ceci

500_VEILDAR.indd 70 30/01/13 13:31

Page 69: Brunot colmant 3

les stations de croix de l’euro 71

anthemis

s’appliquerait aussi aux comptes de ces résidents ouverts à l’extérieur de leurs pays.

Le cours de change de la nouvelle devise serait déprécié de 20 à 30 %, voire plus pour la Grèce, par rapport à celui de 1999. Mais fixer un cours de change est complexe : les pays sortants seraient partagés entre le désir d’un cours de change excessivement déprécié (pour sti-muler leurs exportations) et une contrainte de crédibilité (pour éviter que leur nouvelle devise les empêche d’accéder au marché extérieur des capitaux).

L’intérêt d’une sécession monétaire, c’est de répudier ses dettes. Il faut donc convertir les dettes et créances existantes d’un pays qui quitte la zone euro (et qu’on suppose dénominées en euro) dans la nou-velle devise nationale. Il faudrait donc formuler un cours de change de départ et ensuite reconnaître que les créances du pays sortant expri-mées en euro sont converties, avec pertes, dans cette nouvelle devise. Il en est de même pour les dettes du pays sortant, ce qui va entraîner une perte pour les créanciers étrangers, dont l’exemple grec est illustratif. Croire que les dettes et créances étrangères exprimées en euro d’un pays sortant garderaient une parité par rapport à leur contre-valeur en euro serait évidemment totalement naïf.

Afin de minimiser les pertes des créanciers étrangers, il faut que les dettes d’un pays sortant soient, tant que faire se peut, domestiques, c’est-à-dire financées par des créanciers nationaux. Un exemple sim-plifié illustre cette situation. Si la dette souveraine d’un pays est déte-nue intégralement par des créanciers étrangers et qu’elle est d’autorité convertie en une nouvelle devise dépréciée de 30 %, cela se traduit par une perte de 30 % à charge des créanciers étrangers. Si cette même dette est domestique à 80 %, cela n’entraîne une perte globale pour les créanciers étrangers que de 20 % fois 30 %, soit 6 %. C’est exactement ce à quoi la B.C.E. s’est employée depuis huit mois, avec le concours des banques des pays faibles. Les prêts de la B.C.E. ont été essentielle-ment utilisés par des banques espagnoles et italiennes pour racheter la dette publique de leur pays.

Pour minimiser les pertes de la sécession monétaire, il vaut mieux un euro plus faible afin d’atténuer le choc du décrochage de certaines

500_VEILDAR.indd 71 30/01/13 13:31

Page 70: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique72

anthemis

devises, ainsi que pour tempérer la réévaluation inévitable de l’euro-mark, devenu une devise forte, et donc pénalisé en termes de compé-titivité extérieure. Singulièrement, un euro plus faible diminue aussi la probabilité d’un décrochage d’un pays comme l’Italie ou l’Espagne.

Échapperons-nous à ce scénario menaçant ? Les prochains mois nous l’enseigneront, mais l’absence d’ambition politique pour une structure européenne repensée n’en exclut pas l’issue. Ce serait, certes, une mauvaise nouvelle pour l’euro, mais pas pour les pays qui quitte-raient la zone, si la seule perspective économique qu’on leur impose avec un euro trop fort, c’est le chômage, l’austérité et une contraction de leur P.N.B. Au reste, le dernier rapport du F.M.I. est très explicite. Pour sauver la zone euro, il faut accepter une relance budgétaire et une politique monétaire plus souple.

L’Écho, juillet 2012

En dernier ressort ou le dernier ressort ?

À la fin du mois de juin, le Sommet de Bruxelles prenait un ensemble de décision afin de sauver l’euro. Malheureusement, ce fut un terrible désaveu pour nos gouvernants, puisqu’en quelques jours, la situation d’endettement de l’Espagne et de l’Italie s’est encore davantage dété-riorée. Cette dégradation fut-elle la conséquence d’un manque d’enver-gure des mesures envisagées par les gouvernements européens ou du retard que certains ont perçu à leur application ? Nul ne le saura jamais.

Mario Draghi est intervenu fin juillet en déclarant que la B.C.E. ferait ce qu’il faut pour sauver l’euro et que le choix de la monnaie unique était irréversible.

Subitement, les marchés se sont calmés, sans doute temporairement, dans l’espoir que la B.C.E. reprenne ses achats d’obligations négociées sur le marché secondaire et que le F.E.S.F. soit transformé en banque.

Monétairement, la Banque centrale donne le bon signal.Mais n’est-ce pas une inquiétante nouvelle que ce soit elle qui doive,

par défaut, intervenir afin d’apaiser l’hétérogénéité de notre monnaie commune ? Faut-il y voir un désaveu politique ?

500_VEILDAR.indd 72 30/01/13 13:31

Page 71: Brunot colmant 3

les stations de croix de l’euro 73

anthemis

Pire, n’est-ce pas l’anticipation que l’action de la B.C.E. (sauf à ima-giner qu’elle soit accompagnée de modifications politiques coperni-ciennes relatives à une union budgétaire et fiscale) s’éteindra à brève ou moyenne échéance ?

Et existe-t-il un consensus politique qui finira par déboucher sur le constat que les politiques d’austérité sont vaines en période de réces-sion et qu’il faut absolument reflater (c’est-à-dire réinjecter de l’infla-tion dans) nos économies ?

Il importera expliquer un jour la cohérence entre l’imposition d’une austérité récessionnaire à certains pays (Espagne, Portugal, etc.) et la nécessité de devoir faire appel à la B.C.E. pour financer leurs dettes qui ne le sont plus par les marchés. Soit ces derniers sont aveugles (ce qui est peu probable), soit la récession est néfaste (ce que le bon sens et l’intuition indiquent), soit encore l’euro n’est plus considéré comme un agrégat politique suffisamment crédible et autonome.

Il est normal que la B.C.E. agisse comme le prêteur en dernier ressort.

Mais elle ne peut pas être le dernier des ressorts.

L’Écho, blog, août 2012

Une économie de Brocéliande

Toute la difficulté, dans l’analyse économique, est de garder stabilité et rigueur dans la compréhension des événements.

Or, au gré des vagues médiatiques et de leurs intuitions précipitées, certains économistes oscillent entre différents scénarios, parfois contra-dictoires. Le danger pour l’économiste, c’est celui de se laisser bercer par une perception évanescente des phénomènes qui conduit à des conclusions hâtives.

À sa décharge, il faut reconnaître que le travail de l’économiste n’est pas simple, d’autant qu’il n’existe que par la place que les espaces médiatiques lui consacrent. Sa science n’est qu’une sous-branche de la sociologie et la reconnaissance professionnelle (à court terme) provient

500_VEILDAR.indd 73 30/01/13 13:31

Page 72: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique74

anthemis

plutôt de sa médiatisation et de sa « pipolisation » que de ses publica-tions académiques et de la justesse de ses prédictions.

Ce n’est donc pas facile : l’économiste oscille en permanence entre l’analyse et l’extraction d’une solution, mêlant elle-même des pressentiments et des sensibilités diverses. L’économiste doit aussi être prudent dans son message, car il est hasardeux de projeter des scénarios qui ne sont pas greffés sur l’analyse de la situation actuelle. Il est aussi souvent accusé de servir des intérêts particuliers, lorsqu’il travaille pour le secteur financier, ou d’être un vecteur d’un certain mode de pensée.

Ceci étant, quelles sont les grandes lignes du champ économique : nous orientons-nous plutôt, à moyen et long terme, vers la déflation ou l’inflation ?

Réfléchissons quelques secondes dans le champ du réel et non pas dans une économie de Brocéliande.

Imaginons qu’une déflation durable s’installe en Europe, c’est-à-dire une contraction des prix.

Il en résulterait un report de la consommation et un tassement brutal de l’activité économique.

Les déficits budgétaires s’aggraveraient et les dettes publiques ver-raient leur valeur de remboursement augmenter.

Que feraient alors les autorités monétaires ?

La réponse est simple : elles décideraient d’une politique expan-sionniste, visant à augmenter la masse monétaire afin de combattre la déflation.

Il en résulterait, à terme, des pressions inflationnistes.

C’est pour cette raison que la déflation, si tant est qu’elle soit théo-riquement possible, ne sera jamais un état stabilisé de l’économie, et que l’inflation finira par s’installer.

Cette inflation est nécessaire. Elle ne correspondra pas à une raré-faction des biens et services, mais à une dépréciation de l’étalon moné-taire, indispensable pour que le poids du remboursement des dettes publiques soit allégé.

500_VEILDAR.indd 74 30/01/13 13:31

Page 73: Brunot colmant 3

les stations de croix de l’euro 75

anthemis

Le pire serait incidemment l’absence d’inflation, qui ferait reposer sur l’impôt le remboursement des dettes, en pleine décroissance éco-nomique.

L’Écho, blog, août 2012

Réflexion… en passant

Je partage une réflexion qui m’anime depuis le début de cette crise.Celle-ci concerne les vociférations de ceux qui se révoltaient

contre la dictature des marchés et les agences de rating, au motif que ces mêmes acteurs pervertissaient le système financier. Or que constate-t-on aujourd’hui ? Les pays fragilisés qui n’ont plus accès au finance-ment des marchés doivent tenter de canaliser l’épargne de leurs propres citoyens afin de financer les dettes publiques. Ils doivent aussi, les uns après les autres, demander l’aide de la B.C.E. afin de se financer. Le prix de cette démarche finira par alimenter l’inflation qui sera supportée par les citoyens européens.

Morale de l’histoire : les marchés étrangers, combinés à l’effet d’au-baine des taux d’intérêt de l’euro, ont permis de financer des dettes publiques qui, en temps normaux, auraient été contraintes (c’est-à-dire limitées) par des taux d’intérêt plus élevés. Ce ne sont pas les marchés qui ont perverti les États, mais l’euro qui a permis à des économies faibles d’emprunter à des conditions allemandes.

Une illustration de ce phénomène concerne la Belgique : com-ment peut-on croire sérieusement que des taux d’intérêt de 2,6 % à dix ans sont compatibles avec une dette publique qui dépasse une année de P.I.B. ? C’est une situation temporaire qui reflète une per-ception de désagrégation de l’euro et une recherche d’actifs de qua-lité. Cette situation ne pourra pas persister très longtemps, sauf à s’engouffrer dans une situation de déflation, mais qui sera, elle aussi, temporaire.

L’Écho, blog, juillet 2012

500_VEILDAR.indd 75 30/01/13 13:31

Page 74: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique76

anthemis

Les Américains ont raison

Tant aux États-Unis qu’en Europe, un phénomène bancaire aty-pique est constaté.

Il s’agit d’une combinaison de croissance importante des dépôts d’épargne (au passif du bilan des banques) et d’un tassement des prêts à l’économie réelle (à l’actif du bilan des mêmes banques), résultant en une augmentation du financement des États par les banques. Tout se passe comme si l’absence de demande de crédits privés conduisait à un refinancement par défaut des États au travers des bilans bancaires. Les États sont évidemment gagnants, puisqu’ils ont accès à un financement domestique et bon marché.

Cette redomestication des dettes publiques constituerait le moment idéal pour les refinancer à des taux d’intérêt peu élevés. Idéalement, ce contexte se prête opportunément à une politique de stimulation par le déficit public, dans la mesure où le coût de financement de ce déficit est faible et les bilans bancaires disponibles pour le financer.

Les Américains l’ont parfaitement compris.Les Européens sont, quant à eux, empêtrés dans une politique de

rigueur et d’équilibre budgétaire qui est à l’opposé de ce que Keynes, pourtant évoqué si souvent, aurait recommandé. L’Europe s’évertue à exiger un rétablissement à l’équilibre budgétaire, ce qui inhibe des politiques de déficit destinées à stimuler l’activité économique.

Finalement, cette crise est un double désaveu pour les gouvernants européens. Elle révèle un problème d’endettement public structurel tout en empêchant son remboursement par la politique monétaire, au motif que seule une politique budgétaire restrictive permet d’assurer l’homogénéité de la monnaie unique.

Pourtant, tous les économistes sérieux le savent : une politique bud-gétaire restrictive est exactement l’inverse de ce qu’il convient de faire en période de récession.

L’Écho, blog, août 2012

500_VEILDAR.indd 76 30/01/13 13:31

Page 75: Brunot colmant 3

les stations de croix de l’euro 77

anthemis

Keynes et Marx

Chaque jour qui passe confirme l’intuition d’une lente dérive éco-nomique européenne. L’économie des pays du sud de l’Europe s’effrite progressivement : la Grèce rachète les banques étrangères actives sur son territoire pour se préparer à un décrochage monétaire, les régions espagnoles tombent en faillite comme un jeu de cartes qui s’écroule et le Portugal constate un gouffre de déficit public.

S’il subsiste encore un doute qu’une monnaie forte n’est plus adap-tée à ces économies du Sud, il devrait être désormais levé chez les plus sceptiques.

La meilleure illustration est que ces pays du Sud sont soumis à des plans d’austérité effrayants, alors qu’ils sont en récession. Nul doute que cette austérité aggravera la récession. L’exemple de l’Espagne est, à cet égard, très révélateur : ce pays subit un choc de la demande intérieure et les exigences européennes conduisent à augmenter la T.V.A. de 3 %, ce qui est antinomique à une stimulation de la demande…

Mais ce n’est pas tout : au-delà de sa dualité économique, l’Europe fait face à une faille de croissance sans précédent. Le chômage euro-péen augmente chaque mois (il est au-delà de 11,3 %) et un quart des jeunes sont au chômage.

Cette situation est une bombe à retardement. Elle explosera.

Il est évident qu’une telle situation exigerait une stimulation bud-gétaire, c’est-à-dire une politique d’incitation publique par la demande, d’autant que le taux d’intérêt des emprunts publics est au plus bas depuis la Seconde Guerre mondiale.

On sait que ce n’est pas possible, parce que nos pays sont grave-ment endettés, à cause des erreurs de visions de ceux qui brandissaient Marx et Keynes (sans les avoir lu, ni compris) en vociférant dans des congrès surchauffés dans années 1970. Ceux-là mêmes qui croyaient en la perpétuation d’un État-providence industriel sans comprendre le basculement capitalistique dans l’économie de service.

Nous nous préparons à des années dures qui seront caractérisées par des mécontentements populaires, dont nous ne cessons de répéter que

500_VEILDAR.indd 77 30/01/13 13:31

Page 76: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique78

anthemis

c’est la variable la moins prévisible de cette crise. C’est un immense rééquilibrage générationnel auquel il faut s’attendre.

Il faudra aussi que l’Europe comprenne qu’il faut suivre l’exemple des États-Unis, c’est-à-dire une injection monétaire et une politique temporaire de déficit budgétaire d’une envergure non conventionnelle.

L’Écho, blog, septembre 2012

Un bruit de siphon

Si vous entendez un bruit de siphon, ne cherchez pas : il vient d’ Espagne. Ce pays est en train de traverser un immense bank run, c’est-à-dire de fuite des dépôts que leurs titulaires, inquiets d’un retour à la peseta ou d’un contrôle des changes, déplacent à l’étranger.

Depuis le début de l’année 2012, près de 400 milliards d’euros ont quitté le pays, soit un stupéfiant 18 % des dépôts bancaires espagnols. Ceux-ci se retrouvent dans des banques du nord de l’Europe ou dans d’autres pays extraeuropéens, après conversion ou non dans d’autres devises que l’euro.

Pour bien comprendre l’envergure de ce mouvement, c’est comme si 40 milliards d’euros avaient quitté les banques belges pour se réfugier à l’étranger.

Les déposants espagnols ont adopté un comportement compré-hensible : après tout, l’euro est un choix d’économie de marché qui a donné aux citoyens l’option de la mobilité monétaire.

Mais cette réalité contrarie toute l’action de la B.C.E., qui essaie de redomestiquer les dépôts d’épargne et les dettes publiques des pays faibles.

La B.C.E. s’y est (très) mal prise : à force de menacer les pays médi-terranéens de cataclysmiques plans d’austérité, nos autorités centrales ont déclenché le plus grand exode financier qu’on puisse imaginer.

Que fallait-il faire ? Prendre la mesure de la crise et inonder le marché d’une création monétaire, plutôt que de chercher dans la disci-pline budgétaire un hypothétique salut.

L’Écho, blog, septembre 2012

500_VEILDAR.indd 78 30/01/13 13:31

Page 77: Brunot colmant 3

les stations de croix de l’euro 79

anthemis

De la monnaie à la récession

À force de banaliser la crise de l’euro et d’essayer de voir quel sera l’aboutissement de son homogénéité, s’est-on suffisamment demandé s’il doit être sauvé ?

Bien sûr, j’entends déjà ceux qui déclarent qu’il ne faut pas y penser.

Et pourtant, il faut y penser, puisque les initiateurs de la monnaie unique se sont manifestement lourdement fourvoyés.

D’ailleurs, ceux qui cherchent dans le passé la justification de la per-pétuation de l’euro sont désormais affectés d’un sérieux déficit de cré-dibilité.

La question est alors de savoir quel est l’obstacle de sa perpétuité.La réponse est facile : c’est l’importance des dettes publiques, ou

plutôt des divergences de vues quant à leur financement par l’épargne ou, au contraire, par la création monétaire.

Ceux qui ont créé l’euro ont formulé un postulat politique et n’ont pas compris qu’une monnaie stable est incompatible avec la croissance des dettes publiques, amorcée dès l’an 2000.

Pire même, certains ont trouvé dans l’euro un alibi pour renforcer le poids de l’État dans l’économie, puisque le financement de ce poids, à savoir le taux d’intérêt, baissait grâce à l’euro.

Sans ces dettes publiques, l’économie pourrait bénéficier d’une relance keynésienne par une stimulation de la demande.

Or, sans relance, le chômage va s’aggraver. Cela conduira imman-quablement à des remises en question sociales du modèle monétaire.

La situation est donc extrêmement préoccupante, car elle révèle l’incomplétude de la monnaie unique. Il faudrait maintenant conver-ger vers une union budgétaire et fiscale, mais personne ne le voudra jamais (et cela porte en soi les germes de la fin du projet européen).

Une injection monétaire et un assouplissement des programmes d’austérité, dont les thuriféraires des pays du nord de l’Europe ne veulent pas, seraient indispensables.

L’Écho, blog, septembre 2012

500_VEILDAR.indd 79 30/01/13 13:31

Page 78: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique80

anthemis

Une grave stagflation

Pendant que dans les salons feutrés de Francfort certains s’inter-rogent sur le sens de la monnaie, le chômage atteint des proportions effrayantes.

Cette situation est gravissime. Elle porte en elle les semences de troubles sociaux.

Le scénario intuitif de l’économie européenne que je retiens pour l’horizon du moyen terme est celui de la stagflation, c’est-à-dire une combinaison de stagnation économique, affectée d’un chômage persis-tant et d’inflation, que nous anticipons de modérée à élevée.

Même non formulée comme choix politique, la stagflation serait un mélange de mesures économiques et monétaires, à savoir respecti-vement des plans d’austérité et de l’inflation.

L’histoire instruit que les pays qui sont à l’épicentre d’une crise bancaire subissent ensuite une période de croissance faible avec un chômage élevé. De surcroît, lorsqu’une crise financière se produit, elle est souvent suivie par une crise des dettes publiques.

Dans certains pays, cette stagflation sera conjuguée à une crise éta-tique dont les prémisses sont déjà visibles. Cet élément aggravant dif-fère des années 1970, ce qui laisse subodorer que la stagflation des pro-chaines années entrera en résonance avec des problèmes de solvabilité de certains États.

Quels seraient les attributs de cette empreinte de stagflation que nous entrevoyons ? Ils sont les mêmes que le constat des années 1970 : un taux de croissance faible de l’économie, combiné à une décrois-sance marginale des gains de productivité, un chômage structurel et élevé (caractéristique des dislocations structurelles de l’économie), une sous-utilisation des capacités de production, des anticipations de béné-fices des entreprises faibles (à tout le moins dans une perspective de moyen terme), des dépenses d’investissement faibles à modérées, des déficits publics importants entraînant des taux d’intérêt élevés, ainsi qu’une raréfaction du crédit bancaire pour des investissements privés, des déficits de la balance commerciale et un phénomène généralisé de désindustrialisation.

500_VEILDAR.indd 80 30/01/13 13:31

Page 79: Brunot colmant 3

les stations de croix de l’euro 81

anthemis

L’inflation n’est aucunement une solution souhaitable, puisqu’elle fait peser un risque d’autoalimentation et d’augmentation nominale des dépenses de l’État. Mais elle nous paraît s’imposer comme une conséquence, voire un débouché, inéluctable de l’endettement public.

Une autre manière d’appréhender la stagflation est de la considérer comme une combinaison de déflation sous-jacente et d’une inflation importée, scénario que nous retenons comme plausible, voire prévi-sible. C’est pour cette raison que le scénario « à la japonaise » n’est pas exclusif d’une situation inflationniste.

L’Écho, blog, septembre 2012

Pistolet à eau ou bazooka ?

Un ancien secrétaire américain au Trésor, Hank Paulson, avait dit en 2008 : « Si vous possédez un pistolet à eau, il est probable que vous deviez le sortir. Si vous possédez un bazooka, et qu’on le sait, il n’est pas nécessaire de le montrer ».

Est-ce que Mario Draghi a sorti un bazooka ? Ce n’est pas impos-sible. Au-delà du fait que la B.C.E. dit vouloir neutraliser la créa-tion monétaire, la zone euro vient de décider de monétiser les dettes publiques, c’est-à-dire de créer de la monnaie pour refinancer les États.

C’est une bonne chose.Mais ne nous leurrons pas : ceci a un coût. Ce dernier sera une

dépréciation progressive du pouvoir d’achat de la monnaie, c’est-à-dire de l’inflation.

Bien sûr, d’aucuns argumenteront que cet argent peut être, un jour, retiré du circuit bancaire et que comme cela porte sur le refinancement d’emprunts existants, ce n’est pas vraiment de la création monétaire, mais une injection temporaire de liquidités.

On verra…

L’Écho, blog, septembre 2008

500_VEILDAR.indd 81 30/01/13 13:31

Page 80: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique82

anthemis

L’histoire nous échapperait-elle ?

Sommes-nous conscients du retard économique que prend l’ Europe ?La crise souveraine et la fissuration de l’euro occultent peut-être

cette question fondamentale.Par un étrange biais cognitif qui anime les adeptes de la répétition

de scénarios, certains croient que des temps meilleurs nous attendent passivement et que cette crise est passagère et conjoncturelle.

Il n’en est bien sûr rien : cette crise est structurelle.C’est une rupture.Mais pas celle du « grand soir » que certains nous prédisent et

chantent. Ni la crise de la décroissance. Encore moins celle de l’éco-nomie verte.

Cette crise, c’est celle de la mondialisation, de l’expansion du com-merce, de la mobilité des facteurs de production et de l’inventivité.

Nous traversons des temps de dislocation d’une envergure proche de celle des différentes révolutions industrielles.

Les pays en développement ont adopté une posture d’économie de marché et misé sur la technologie en matière d’énergie, d’informa-tique, de transmission des connaissances, etc.

Le choix qui nous offert est clair : ou bien nous choisissons de rendre notre économie ultracompétitive en embrassant un modèle d’économie de marché qui devient une norme mondiale, ou bien nous nous enfonçons dans une croissance molle, source de chômage et de frustrations sociales.

Comment faire pour atteindre cet objectif ?Commencer par un message politique d’une posture combative

qui promeuve l’apprentissage, l’éducation (d’ailleurs d’excellente qua-lité dans notre pays), c’est-à-dire un message qui stimule l’envie de la formation et du futur, en acceptant l’échec, mais en récompensant la réussite.

Nos économies européennes vieillissent mal.L’histoire est en train de nous échapper.

L’Écho, blog, octobre 2012

500_VEILDAR.indd 82 30/01/13 13:31

Page 81: Brunot colmant 3

les stations de croix de l’euro 83

anthemis

Un mauvais alignement astral

Avec un peu d’intuition, on imagine que cette crise économique va s’aggraver. En effet, c’est un mauvais alignement astral qui se précise, puisqu’il ordonne un chômage croissant (et effrayant chez les jeunes), une totale absence de croissance et des dettes publiques en croissance insoutenable.

Certes, l’économie retrouve toujours des bases stabilisées… mais pas celles d’avant. Et c’est souvent un événement imprévu qui suscite des chaînes de déséquilibres.

D’où viendra donc le prochain choc alors que nous nous enfonçons dans une stagflation visqueuse ?

D’un choc ou ajustement monétaire ? Oui, au travers d’une impres-sion monétaire inflationniste qui conduit la B.C.E. à animer un marché interbancaire moribond et à financer des dettes publiques

D’un immense ajustement des dettes publiques dans certains pays faibles du sud de l’Europe ? Probablement, à terme

De chocs sociaux qui révèlent des inégalités inacceptables et un chômage désespérant chez les jeunes ? Certainement.

L’Écho, blog, octobre 2012

Une histoire de dentifrice

Dans un article récent du Financial Times, un éditorialiste s’interro-geait sur l’avenir des obligations d’État détenues par les banques cen-trales.

Ces achats de titres souverains ont été effectués pour soutenir le marché bancaire, apporter de la liquidité aux banques et faire baisser les taux d’intérêt des États fragilisés afin de faciliter leur financement.

Mais après, que fait-on ?

Plus concrètement, si les banques centrales se délestent de leurs titres souverains, cela va avoir l’effet inverse à leur acquisition, à savoir une hausse des taux d’intérêt et une contraction de l’économie.

500_VEILDAR.indd 83 30/01/13 13:31

Page 82: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique84

anthemis

La vérité est que quand des banques centrales commencent à finan-cer des États au travers d’un portage de leurs dettes, elles sont condam-nées à le faire à très long terme. Un retour en arrière est presque impos-sible, car cela entraîne des effets déflationnistes, alors que c’est par une probable inflation que nos économies sortiront de la crise.

L’adage est connu : l’inflation, c’est comme le dentifrice.

Une fois qu’il est sorti du tube, c’est difficile de le faire rentrer.

Pourrait-il se passer d’autres choses ?

On peut imaginer de nombreux scénarios, comme celui qui consiste à ce que les dettes d’État détenues par les banques centrales soient, d’une manière ou l’autre, transformées en dettes à très long terme (voire perpétuelles) afin que les banques centrales ne doivent jamais les revendre. Il s’agirait donc d’une consolidation ou d’un réé-chelonnement.

Qui sait, d’ailleurs, si on ne s’oriente pas vers une restructuration massive des dettes publiques dans certains pays ?

Avec des dettes publiques d’un niveau supérieur à 110 % du P.N.B. dans les économies développées (voir graphique du Financial Time), il ne faut pas s’attendre à une sortie de crise ordinaire. La solution devra être monétaire et constituer à diminuer le poids relatif des dettes publiques héritées des années de fausse croissance économique.

L’Écho, blog, octobre 2012

Un message politique

Philippe Maystadt est un des artisans de l’euro. Il était le ministre des Finances au moment de la signature du Traité de Maastricht.

Sa voix est donc légitime. Et que nous dit aujourd’hui Philippe Maystadt ?

Que les politiques d’austérité sont contre-productives en période de récession et conduisent à une spirale récessionnaire. Il plaide donc pour un assouplissement du carcan budgétaire imposé par le retour à l’équilibre budgétaire en 2015.

500_VEILDAR.indd 84 30/01/13 13:31

Page 83: Brunot colmant 3

les stations de croix de l’euro 85

anthemis

Prudent, Philippe Maystadt précise qu’un tel assouplissement devrait s’articuler au niveau européen.

Je crois que ses propos sont très sages, et ce pour plusieurs raisons :

Les théories économiques, mais aussi l’observation des phéno-mènes passés et contemporains, instruisent qu’une politique de rigueur aggrave la récession. Si Keynes revenait parmi nous, il serait pétrifié de constater que l’Europe choisit la rigueur au milieu de la plus grave récession depuis près d’un siècle.

L’équilibre budgétaire de 2015 est hypothétique, voire complète-ment irréaliste. Comment imaginer une seule seconde que des pays qui n’ont jamais réussi à atteindre cet objectif pendant des années (ou temporairement au prix d’artifices comptables) puissent, alors que la croissance économique est absente, miraculeusement retrouver des équilibres des finances publiques ?

Mais il y a plus grave : parce que nous savons tous que l’objectif de retour à l’équilibre est inatteignable pour certains pays, la rigueur bud-gétaire va à l’encontre de la cohésion européenne.

C’est tellement vrai qu’un des arguments utilisés pour justifier la rigueur en Belgique est de continuer à appartenir aux pays « forts » de l’euro. Cela signifie explicitement que la rigueur s’inscrit dans une Europe à deux vitesses. Il faut donc réaliser que l’idée d’une rigueur des pays du Nord est l’aveu implicite d’une perte d’homogénéité de l’euro, qui est désormais politiquement énoncée.

Mais alors, comment revendiquer la cohésion de la monnaie unique si l’Europe s’engage sciemment dans une logique asynchrone, avec des pays forts et d’autres qui resteraient structurellement faibles ?

En filigrane de l’interpellation de Philippe Maystadt, je vois le risque, désormais non nul, d’une érosion ou d’une fragmentation de la zone euro, avec son corollaire de chômage et de troubles sociaux.

En effet, la rigueur n’est pas la voie de sortie de crise. La seule arti-culation est un assouplissement monétaire et budgétaire temporaire.

L’Écho, blog, novembre 2012

500_VEILDAR.indd 85 30/01/13 13:31

Page 84: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique86

anthemis

Euro : la monnaie au nord, la rue au sud ?

Les chocs sociaux qui frappent les pays du sud de l’Europe ne peuvent pas être sous-estimés.

Qu’on y réfléchisse : on leur impose des plans draconiens liés à une monnaie d’évidence trop forte (sans possibilité de dévaluation, sinon l’appauvrissement collectif) qui, combinés à un choc de croissance et à des dettes publiques (avec leur corollaire de charge d’intérêt) insoute-nables, autoalimentent la récession.

Bien sûr, la rue n’a pas toujours raison, mais on n’a pas raison contre la rue, mais comment ne pas comprendre ces expressions sociales, puisqu’il n’y a aucun projet positif derrière l’équilibre budgétaire ?

Quand 25 % d’une population active est au chômage (et 50 % des jeunes) et que le seul projet est de lever des impôts au motif qu’il faut défendre le pouvoir d’achat d’une monnaie devenue inadaptée, il y a de quoi s’interroger.

Si la démocratie survit à de tels tourments (et il faut ardemment le souhaiter), il n’est pas exclu que des peuples appauvris cherchent leur salut dans des retours aux monnaies nationales.

On le constate aujourd’hui : l’extension précipitée à l’euro à des économies faibles fut une grave erreur. Elle répondit au désir de super-poser une monnaie sur l’Union européenne. Mais une monnaie unique suppose une fluidité des facteurs de production, ce qui ne fut pas réa-lisé. En fait, l’euro a singulièrement grippé un mécanisme naturel des cours de change, à savoir que la monnaie d’un pays systématiquement exportateur s’apprécie et que la monnaie d’un pays importateur net se déprécie.

Cette monnaie unique aurait-elle existé si les mécanismes sponta-nés du marché avaient été libres de conduire aux ajustements naturels ? Pas du tout.

Certes, on entend aujourd’hui des repentances tardives des archi-tectes de l’euro qui s’essaient, à coup de conférence et d’interviews, à prophétiser le passé plutôt que d’admettre leurs propres erreurs de jugement. Leurs auditeurs les écoutent avec miséricorde et empathie, mais combien de temps encore ?

500_VEILDAR.indd 86 30/01/13 13:31

Page 85: Brunot colmant 3

les stations de croix de l’euro 87

anthemis

Mais ceux qui manifestent se trompent en partie de cible : ils réfutent l’austérité aveugle (et temporaire, puisqu’il faudra finalement y renon-cer) et le libéralisme, alors que l’économie de marché aurait prévenu, par des monnaies restées nationales et des ajustements de cours de change, les problèmes actuels.

Le libéralisme, au-delà de ses outrances, possède un caractère autos-tabilisateur en matière de cours de devises. Au reste, ce n’est évidem-ment pas le libéralisme qui a créé les dettes publiques, mais l’étatisme, qui a construit un État-providence fondé sur l’emprunt systématique de la croissance des prochaines générations.

Et finalement, que ferons-nous ?

Nous financerons le reliquat d’État-providence par des dettes supplé-mentaires pour réduire la valeur de la monnaie au travers de l’inflation.

C’est le moindre mal que nous pouvons nous souhaiter : relâcher la pression budgétaire et assouplir la politique monétaire pour espérer pou-voir rembourser la dette de notre État-providence de manière acceptable.

De toute manière, nous le savons bien : ce sera ou l’inflation ou la croissance qui remboursera nos dettes publiques, et nous savons que la croissance et l’innovation sont essentiellement situées en Asie et aux États-Unis.

Restera donc la probable inflation, comme solution résignée.

Et il faudra ramener l’État-providence à des proportions plus modestes et congrues, afin que ceux qui en ont vraiment besoin en soient les bénéficiaires légitimes.

L’Écho, blog, novembre 2012

The Economist, l’euro et l’ombre de Mitterrand

Lorsque The Economist qualifie la France de maillon faible de l’euro, il faut s’interroger.

Certes, on admettra que la France reste un état colbertiste et carac-térisé par un certain immobilisme social.

Il serait pourtant naïf de la qualifier d’économie en déliquescence.

500_VEILDAR.indd 87 30/01/13 13:31

Page 86: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique88

anthemis

Je vais même m’essayer à une analyse sommaire et iconoclaste : lors de la réunification allemande, Mitterrand avait une crainte portant sur la reconstitution d’une économie germanique prédatrice en termes économiques (et non plus militaires).

Comme le général de Gaulle (avec lequel il partageait une germa-nophilie sans égal), il savait que l’Allemagne unifiée redeviendrait puis-sante et incontournable, le « grand peuple » qui fascinait le fondateur de la Ve république.

Mitterrand a donc subtilement empêtré l’Allemagne dans la zone euro, dont la France s’est dépêchée d’accroître le nombre d’États parti-cipants afin que la puissance allemande soit neutralisée.

Certes, les Allemands ont obtenu que la B.C.E. dispose d’un statut d’indépendance équivalent à celui de la Bundesbank. Ils se sont aussi mis un point d’honneur à rendre leur modèle économique ultracom-pétitif afin de s’extraire de la viscosité de l’euro. Autrement dit, Schrö-der a dû essuyer les plâtres de Kohl, ce qu’il a fait avec un succès incontestable.

Mais aujourd’hui, les Allemands sont embarrassés par une monnaie unique, qui leur a offert un marché intérieur sans réévaluation moné-taire, mais avec la conséquence d’une accumulation d’euros (corres-pondant à un solde positif de leur balance commerciale) sur les autres pays européens. Ils plaident la rigueur et l’austérité, mais savent que ces suppliques s’échoueront contre la digue du refus social.

Lors de ses derniers vœux télévisés, Mitterrand avait dit : « Je crois aux forces de l’esprit et ne vous quitterai pas ».

Il avait raison : son ombre plane sur l’euro et Hollande, un de ses collaborateurs, est le président des Français.

L’Écho, blog, novembre 2012

500_VEILDAR.indd 88 30/01/13 13:31

Page 87: Brunot colmant 3

89

anthemis

Économie monétaire

Les banques et l’alchimie monétaire

Depuis le choc financier de 2008, les banques sont au centre de débats intenses. Il est incontestable que la crise bancaire a révélé de graves lacunes concernant la concentration de certains risques (dans l’immobilier américain, par exemple). Cette crise était incompatible avec une gestion prudente de l’épargne populaire.

En quatre ans, de nombreuses leçons ont été tirées et la tutelle des autorités publiques sur le secteur financier s’est légitimement alourdie. Au reste, les banques restituent désormais aux États l’aide qu’elles ont reçue en 2008 et les rémunèrent pour les garanties. Elles financent aussi les États en canalisant l’épargne des déposants vers le financement des dettes publiques.

Ceci étant, la problématique de la gestion bancaire est extrême-ment complexe, car les banques commerciales créent la monnaie. En d’autres termes, elles sont des entreprises qui fabriquent elles-mêmes leur matière première. En effet, contrairement à une opinion largement répandue, ce ne sont pas les banques centrales qui créent la monnaie, mais bien les banques commerciales. Bien sûr, la monnaie n’est pas un phénomène spontané et il faut l’amorce des banques centrales. Ces dernières fournissent une indication en matière de taux d’intérêt et permettent aux banques commerciales de se refinancer auprès d’elles, raison pour laquelle elles sont qualifiées de « prêteurs en dernier res-sort ». Les banques centrales créent donc de la monnaie, mais unique-ment à titre supplétif. D’ailleurs, la création monétaire de ces banques est infime par rapport à celle des banques commerciales.

La création monétaire des banques commerciales fonctionne grâce à ce que les économistes qualifient de « multiplicateur des crédits » ou de ce que les Anglais désignent par l’adage « loans make deposits ». Ce mécanisme conduit à ce qu’un dépôt auprès d’une banque commerciale soit reprêté par cette dernière à un autre agent économique. Celui-ci

500_VEILDAR.indd 89 30/01/13 13:31

Page 88: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique90

anthemis

utilisera la monnaie empruntée pour effectuer des transactions qui fini-ront par devenir des dépôts dans d’autres banques, lesquelles reprêtront l’argent à de nouveaux emprunteurs, etc. Le multiplicateur de crédit est de l’ordre de 10 : un euro en devient 10.

Cette multiplication des opérations de crédit crée un flux moné-taire instantané dont la vitesse peut augmenter ou ralentir en fonc-tion de différentes exigences réglementaires. Le rôle des banques com-merciales consiste d’ailleurs, de manière contre-intuitive, à accélérer la déthésaurisation de la monnaie qui leur est confiée. En incitant à la déthésaurisation, les banques transforment un stock de monnaie en un flux qui traverse l’économie.

La création de monnaie a besoin d’une communauté de banques commerciales pour fonctionner : une banque seule ne pourrait l’activer. Chaque banque contribue donc à la création monétaire, ce qui conduit certaines institutions à devenir systémiques, c’est-à-dire à jouer un rôle incontournable dans la création monétaire. La faillite de banques systé-miques s’assimilerait à une rupture du flux monétaire, ce qui aurait des effets immédiats sur l’économie réelle.

Comme les banques commerciales n’existent que par le réseau qu’elles constituent, on comprend pourquoi il importe d’entretenir une concurrence suffisante dans ce secteur, pourtant naturellement oligopolistique. Si le nombre de banques se rétrécissait excessivement, cela conduirait à faire reposer progressivement la création monétaire sur les banques centrales. Ces dernières dépasseraient alors le rôle de prêteur en dernier ressort pour devenir l’animateur d’un marché inter-bancaire. Cette situation correspondrait à une nationalisation du crédit et de la création monétaire, qui ne serait plus tempérée par les règles de l’économie marchande de l’offre et de la demande de crédit.

La base monétaire dépend donc de la variation du crédit bancaire. Un des freins au dispositif est le niveau des capitaux propres des banques commerciales qui oblige, chaque fois qu’un crédit est octroyé, à en geler une quote-part. Mais comme les banques ne doivent pas geler de capi-taux propres pour des crédits au secteur public (c’est-à-dire lorsqu’elles détiennent des obligations d’État), elles sont naturellement devenues le prolongement des États dans le cadre de la création de monnaie.

500_VEILDAR.indd 90 30/01/13 13:31

Page 89: Brunot colmant 3

économie monétaire 91

anthemis

La logique de création monétaire abusive à laquelle nous assistons constitue d’ailleurs peut-être le ferment de cette nationalisation déro-bée. En effet, les États ont recapturé la création monétaire afin de finan-cer leurs dettes, au risque de dévaloriser la monnaie et de mettre en péril la pérennité de l’étalon monétaire.

Si cette orientation est confirmée, cela signifie que la dette publique et la création monétaire convergent vers une expropriation partielle de l’économie privée. C’est incidemment une des nombreuses raisons pour lesquelles la nationalisation bancaire (ou un actionnariat public à long terme) est extrêmement malsaine : en exigeant des banques qu’elles les financent, les États créent de la monnaie en monétisant leurs emprunts et orientent le crédit à leur avantage.

Les actionnaires privés des banques sont quant à eux des passagers « clandestins » de la création monétaire. Ils prennent le risque d’absorber les premières pertes du système bancaire avec l’espoir d’en engranger une fraction des bénéfices. En même temps, si les actionnaires privés supportent les premières pertes, ils ne sont jamais obligés de combler le passif, c’est-à-dire d’apporter des capitaux propres complémentaires en cas d’insuffisance. En effet, ce n’est que lorsque les actionnaires auront perdu l’entièreté de leur patrimoine que les déposants en subiront néga-tivement l’impact, pour ne récupérer qu’une partie de leur épargne. C’est le principe de la société de capitaux à responsabilité limitée.

Les actionnaires privés sont donc indispensables, car ils amortissent les pertes du crédit accordé au secteur privé. Ils savent également que leur véritable risque consiste en la dilution de leur action suivant une nationalisation. En conséquence, une banque doit posséder des capi-taux propres suffisants pour éviter que les épargnants ne subissent un impact négatif en cas de perte majeure. Tout en appartenant aux action-naires, ces capitaux propres agissent comme un absorbeur de choc de la création monétaire.

À l’aune de ce qui précède, on comprend pourquoi les États ont contribué à la recapitalisation des banques afin d’éviter une disconti-nuité dans le flux de monnaie. Inversement, la faillite de Lehman Bro-thers n’entraîna pas d’effets désastreux, car c’était une banque d’affaires, qui récoltait un nombre très limité de dépôts.

Non publié

500_VEILDAR.indd 91 30/01/13 13:31

Page 90: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique92

anthemis

L’épargnant piégé par la crise de l’euro

Nous avons souvent écrit que l’inflation sera l’aboutissement rési-gné de cette crise souveraine, et donc monétaire. Les événements éco-nomiques démontrent, en effet, que la monnaie est mise en joue par les marchés, parce que les dettes publiques, qui sont des traites sur la croissance (et donc la valeur de la monnaie) future, sont impossibles à rembourser dans des circonstances économiques atones. Et quand bien même une hypothétique croissance réelle de 3  % reviendrait, des pressions populaires s’opposeraient au remboursement des dettes publiques. C’est d’ailleurs ce que les premières années du millénaire ont démontré.

Au reste, le constat de l’Histoire est invariant : les États trop endettés sont génétiquement inflationnistes.

Et – je le répète – cette inflation n’est pas un choix optimal, mais résigné (et un peu désabusé). C’est pour cela que mes collègues écono-mistes, parmi les meilleurs, qui plaident pour des politiques de rigueur, d’austérité et de taxation à marche forcée, ne mettent pas leur siège dans le sens intuitif de l’Histoire de l’économie.

On voit aussi où nous ont menés les erreurs des quelques hommes qui ont dirigé l’Europe à la fin des années 1970 et au début des années 1980. En Belgique, ce fut le sommet de la myopie économique lorsqu’on superposa des déficits publics indécents avec le maintien d’industries moribondes. On discerne également les erreurs des hommes qui, vite satisfaits d’eux-mêmes, ont emprisonné des pays dans une monnaie unique qui fait chuter gravement des économies faibles.

Et aujourd’hui, en bonne logique, les banques centrales font tour-ner la planche à billets.

De manière ultrasimplifiée et agrégée, la monnaie que nous possé-dons, et qui est un actif pour nous, est un passif des banques centrales dont l’actif devient des dettes publiques qui constituent notre passif commun.

Le système monétaire n’est donc qu’une immense circulation et reproduction de dettes.

500_VEILDAR.indd 92 30/01/13 13:31

Page 91: Brunot colmant 3

économie monétaire 93

anthemis

Si nous n’arrivons pas à rembourser les dettes publiques, il faudra imprimer de plus en plus de monnaie qui perdra son pouvoir d’achat par l’inflation.

En Europe (pas aux États-Unis), nous sommes dans le piège de la liquidité de Keynes, où l’offre de monnaie ne semble plus stimuler l’activité économique. Un piège de la liquidité se termine par de l’in-flation. Le piégé est donc celui… qui détient trop d’encaisses liquides non productives, car son épargne est – et sera – rognée par l’inflation.

L’Écho, blog, octobre 2012

Le multiplicateur du crédit

Nous avons souvent traité de la « répression financière » qui frappe les banques.

Cette dernière correspond à une conjugaison de contrôle pru-dentiel accru destiné à convaincre les banques de financer les États à un taux d’intérêt réduit, moyennant une faible rémunération (parfois négative en termes de rendement réel).

Cette répression financière s’inscrit dans le cadre d’une redomesti-cation des dettes publiques qui conduit à faire progressivement repo-ser le financement des dettes d’un État X sur les banques localisées par/localisées dans l’État X, elles-mêmes financées par les dépôts de la population de l’État X.

Les rôles de contribuables et de déposants se confondent.

Quelles sont les conséquences de cette situation ? Elles sont nom-breuses : une plus faible rentabilité actionnariale bancaire prospective, une inflation qui devra être absorbée par de faibles rendements octroyés aux déposants et un effet d’éviction c’est-à-dire d’accès au crédit aux entreprises privées plus restreint (encore que ce problème ne semble pas se poser en Belgique)

Il y a aussi un effet induit, moins connu et qui porte sur la création monétaire. Cette dernière est alimentée par les banques centrales, mais aussi par les banques commerciales : un dépôt auprès d’une banque crée

500_VEILDAR.indd 93 30/01/13 13:31

Page 92: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique94

anthemis

un prêt à quelqu’un qui finira par en faire un dépôt auprès d’une autre banque, etc.

Ce flux crée un phénomène monétaire qui est intitulé le « multiplica-teur du crédit ». Ce dernier est bien sûr freiné si l’État absorbe une partie importante des actifs bancaires. Un même frein est incidemment exercé si les exigences en capitaux propres sont relevées pour les banques.

Cela grippe le multiplicateur du crédit et neutralise la création monétaire qui devient de plus en plus dépendante de la B.C.E. … qui doit elle-même aider au financement des États.

On le voit : cette situation est singulière et correspond à une natio-nalisation tacite. C’est évidemment navrant. En même temps, nous sommes confrontés à une réalité incontournable : le rating des États repose désormais sur leur capacité à canaliser l’épargne nationale vers le financement de leur propre dette.

À notre intuition, cette évolution est malsaine, car les États auront beaucoup de mal à se détacher des banques, dont l’avenir ne passe pourtant pas par l’étatisation.

Ces dettes publiques sont, pour les banques, le sparadrap du capi-taine Haddock.

L’Écho, blog, juillet 2012

L’inconnue monétaire

La monnaie est le fondement de notre système d’économie mar-chande. Ses fonctions principales sont connues : c’est un étalon de mesure des transactions et une unité de compte. Elle possède un rôle transactionnel, puisqu’elle permet de remplacer l’échange direct de biens et de services par une marchandise intermédiaire, à savoir la monnaie elle-même. Dans cette perspective, elle mesure l’utilité du temps consacré à la fabrication d’un bien ou à la production d’un service. Mais ce n’est pas tout : elle sert aussi d’instrument de thésau-risation. En conservant une quantité de monnaie, il est possible de différer sa consommation dans le temps. En effet, l’argent épargné sert principalement à couvrir d’éventuelles dépenses futures.

500_VEILDAR.indd 94 30/01/13 13:31

Page 93: Brunot colmant 3

économie monétaire 95

anthemis

La monnaie s’est imposée au rythme de la division du travail, c’est-à-dire lorsque le troc ne permettait plus d’assurer un fonction-nement des communautés marchandes. Au cours de  l’histoire, elle a revêtu de nombreuses formes. À l’origine, elle était un bien consommé (un animal, par exemple) pour devenir progressivement un bien non consommable. Progressivement, son monopole a souvent été capturé par les pouvoirs publics, car la monnaie est un des attributs de l’auto-rité et permet de payer l’impôt. Les droits de lever l’impôt et de battre monnaie correspondent d’ailleurs aux deux privilèges régaliens.

Au fil de l’histoire, la monnaie est devenue papier, fiduciaire (c’est-à-dire fondée sur la confiance) et scripturale (transmissible par des écritures manuelles ou informatiques). Aujourd’hui, la monnaie est au mieux un bout de papier et au pire des électrons qui apparaissent épi-sodiquement sur l’écran d’un ordinateur. Elle n’est plus gagée par des métaux précieux, comme c’était le cas dans le cadre des cours de change fixes de l’étalon-or du système de Bretton Woods, abandonné en 1971.

La monnaie n’a donc plus de valeur, mais se limite à la représenter. Comment est-il dès lors possible de réconcilier le manque de substance intrinsèque de la monnaie avec la valeur qu’on lui attribue ? Il faut que quelque chose garantisse la monnaie tout en lui étant supérieure. Or quel est ce « quelque chose » ? C’est la confiance. Tout se passe donc comme si la monnaie était garantie par des unités « psychiques » de confiance individuelle qui, assemblées collectivement, assurent sa pérennité. La question est alors de savoir en quoi la confiance doit se placer. C’est à ce niveau que le raisonnement tourne court : il faut que la monnaie soit garantie par la confiance en… les institutions qui émettent la monnaie.

En d’autres termes, la substance de la monnaie est indéfinissable, puisqu’elle est garantie par elle-même. C’est un concept en suspension, car il faut une réciprocité de la qualité de la confiance et de la quan-tité de monnaie. En même temps, c’est un phénomène plus ou moins conscient d’adhésion forcée, puisque son cours légal est imposé par les États. On pourrait même avancer que la monnaie est un artefact, c’est-à-dire un phénomène créé de toutes pièces, dépourvu de toute signification théorique.

500_VEILDAR.indd 95 30/01/13 13:31

Page 94: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique96

anthemis

L’économiste français Jean-Baptiste Say énonçait que « la mon-naie est un voile », portant sans doute sur la crédibilité des États qui la frappent et sur la santé des échanges commerciaux. Aujourd’hui, on pourrait avancer que la discipline « morale » de la B.C.E. garantit la pérennité de l’euro, c’est-à-dire que l’indépendance des autorités monétaires investit ses dirigeants d’une conservation de la confiance associée aux signes monétaires.

Ceci étant, on admettra donc que le statut de ce phénomène monétaire est précaire. Cela explique peut-être l’origine étymologique du terme « monnaie », qui correspond au verbe latin monere, c’est-à-dire « avertir ». À Rome, le palais de la Moneta, l’endroit où les pièces étaient frappées, se situait là où les oies du Capitole avaient prévenu les Romains de l’imminence de l’attaque gauloise, au quatrième siècle avant Jésus-Christ.

De plus, comme la monnaie est garantie par elle-même, elle trans-porte une certaine vision de l’organisation politique. C’est à ce niveau qu’il faut faire intervenir l’État. Ce dernier possède le droit de lever l’impôt et de battre monnaie, mais aussi d’endetter la collectivité.

La plupart des États sont endettés, car ils consomment anticipative-ment la croissance et la démographie futures. Ils posent donc l’hypo-thèse que le niveau de vie futur sera suffisamment élevé pour com-penser l’endettement public. Pourtant, la quantité de monnaie devrait normalement être proportionnelle à la démographie et à la producti-vité. Malheureusement, l’endettement public anticipe démographie et productivité. Cela conduit au constat incontournable qu’un endette-ment public excessif entraîne généralement le dévoiement de la mon-naie (inflation, confiscation, etc.).

C’est d’ailleurs exactement ce qui se passe dans la zone euro : les pays devaient respecter certains critères d’endettement, dont une dette publique inférieure à 60 % du P.N.B., ce qui constitue déjà un pourcen-tage très élevé. Or, aujourd’hui, la dette publique européenne moyenne dépasse 88 % du P.N.B. Cela mènera immanquablement à devoir faire tourner la planche à billets en dépréciant la valeur de la monnaie. Ce sera donc, à terme, l’inflation qui remboursera l’acompte de prospérité

500_VEILDAR.indd 96 30/01/13 13:31

Page 95: Brunot colmant 3

économie monétaire 97

anthemis

que nous avons emprunté aux futures générations, sans n’avoir jamais eu l’intention de leur restituer.

Au reste, le risque que fait peser l’endettement public sur la mon-naie (et donc la confiance qui y est attachée) est illustré par la diffé-rence sociologique entre les conceptions américaine et allemande du phénomène monétaire.

Pour les Allemands, une dette publique doit être financée par l’épargne, devant elle-même garder son pouvoir d’achat. Au contraire, les États-Unis considèrent qu’un endettement public peut se finan-cer par la création monétaire. Cette opposition reflète l’antagonisme entre le luthérianisme allemand et le paganisme monétaire américain. La monnaie allemande se thésaurise, tandis que le dollar n’est que tran-sactionnel. Dans Faust, Goethe écrivait d’ailleurs que l’inflation, c’est-à-dire la dépréciation monétaire, est le diable.

Un autre contraste concerne la relation entre différents pays de la zone euro. Cette monnaie unique fut forgée pour sceller la paix en Europe entre deux ennemis héréditaires, la France et l’Allemagne. Or tout oppose ces deux grandes nations : c’est Luther contre la fille aînée de l’Église catholique, Goethe contre Voltaire, l’industrie contre l’agri-culture, le germain contre le latin. Il reste une lointaine trame de conflit dont la pierre d’achoppement est justement la monnaie. Les Allemands estiment que la monnaie est le ciment de la reconstruction nationale. Un déficit se finance donc par l’épargne. C’est la logique luthérienne. Pour les Français, en revanche, la monnaie est un attribut régalien. Dans cet État colbertiste, elle peut donc être imprimée à la discrétion de l’autorité centrale. L’histoire monétaire française est d’ailleurs une longue succession de dévaluations.

En résumé, la monnaie est un concept singulier. C’est même un archétype, une idée qui sert de modèle à une autre. La monnaie porte en elle son caractère éphémère : elle se déprécie, se remplace, se confisque et se nationalise au gré des chocs de l’évolution des com-munautés humaines. Elle ne protège de l’avenir que de manière très temporaire, c’est-à-dire aussi longtemps que les hommes décident de la stabilité de leur futur.

500_VEILDAR.indd 97 30/01/13 13:31

Page 96: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique98

anthemis

Certains croient que la monnaie est synonyme de protection contre les aléas de la vie, mais c’est bien naïf : la fortune est fragile. La plus grave erreur en économie est de croire que les agencements moné-taires sont irréversibles. Or ils ne le sont jamais : l’histoire fourmille de monnaies devenues caduques. Une monnaie ne domestique jamais une communauté et on ne la postule pas par autorité. On ne peut pas non plus imposer un étalon monétaire inadapté à une population qui le réfute. C’est sans doute l’avertissement que véhicule la monnaie.

Non publié

Une monnaie, deux euros

Qu’est-ce que la monnaie ou plutôt le phénomène monétaire ?Un actif, bien sûr.Un étalon de mesure aussi.Mais c’est surtout une formulation de l’échange et un accumula-

teur de valeur.La fonction d’intermédiaire des échanges est transactionnelle.La fonction d’accumulation de valeur (ou de thésaurisation) corres-

pond au contrat étatico-social de la monnaie : la valeur de la monnaie est fixée par l’État pour réguler l’emprunt ou le report de la consom-mation. C’est donc l’État qui fixe indirectement la stabilité temporelle de l’épargne, et donc le prix de l’utilité du temps.

Or ces deux fonctions, qu’on, peut qualifier de transactionnelle et d’accumulatrice, ne sont pas consubstantielles.

On peut très bien imaginer une monnaie transactionnelle sans qu’elle corresponde à un instrument d’accumulateur d’épargne. C’est le cas d’un chèque, par exemple. Inversement, une monnaie peut servir à la thésaurisation sans être transactionnelle. C’est, par exemple, le cas de l’or.

Lorsqu’une monnaie devient précaire, le rôle transactionnel prime, car la monnaie n’est plus thésaurisée.

Par contre, lorsque le pouvoir d’achat de la monnaie est perçu comme stable, la monnaie peut être thésaurisée.

500_VEILDAR.indd 98 30/01/13 13:31

Page 97: Brunot colmant 3

économie monétaire 99

anthemis

À mon intuition, la crise de l’euro révèle un antagonisme entre ces deux fonctions de la monnaie.

Le sud de l’Europe attribue essentiellement une valeur transaction-nelle à la monnaie, qui doit circuler, au prix d’une certaine inflation et/ou d’une dépréciation du pouvoir d’achat, pour stimuler l’échange. Le nord de l’Europe veut, quant à lui, conserver la pérennité du caractère de thésaurisation de la monnaie.

La monnaie a donc désormais deux significations, ou, à tout le moins, deux perceptions selon la géographie d’une zone monétaire commune. Le sud de l’Europe a besoin d’une impression monétaire pour faire tourner l’économie, tandis que le nord de l’Europe veut maintenir le pouvoir d’achat de l’épargne accumulée.

Cette confrontation est plus que sémantique. Elle porte en elle les germes de la dislocation de l’euro.

L’Écho, blog, juillet 2012

Krugman : l’apôtre de Keynes

Dans quelques semaines, le livre de Paul Krugman, prix Nobel d’économie 2008, End this depression now, sera traduit en français.

Sans déflorer cette riche analyse économique, que penser de sa ver-sion rédigée en anglais ? À son passif, le livre est vite écrit. Parfois, on dirait même qu’il a été dicté et à peine retouché. On est donc loin des analyses magistrales de Rogoff et autres historiens de l’économie. Mais ce n’est qu’un léger désagrément, car, à son actif, les idées de l’ouvrage sont claires et pertinentes. La contribution de son bilan à la compré-hension de la situation économique est donc largement positive.

Dans cet opus, on discerne ce que Krugman aime, à savoir Keynes, Roosevelt, un peu Stiglitz et Obama. Et puis, il y a le reste. Et là, c’est wagon : il y a les auteurs libéraux (Smith, Ricardo, etc.), les libéraux contemporains, les néolibéraux, Friedman, Bush, les banquiers, Trichet, Bernanke, et tous les autres économistes qui n’ont, selon Krugman, rien compris. L’auteur se plaît d’ailleurs à citer des citations, contredites par les faits subséquents, de ses pairs. Je crois même que Krugman, qui

500_VEILDAR.indd 99 30/01/13 13:31

Page 98: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique100

anthemis

est un tribun télévisuel vivace, pourrait être assimilé à un « libéral » aux États-Unis, dont la traduction contre-intuitive est « gauchiste ». Au reste, Krugman est souvent opposé, dans des débats télévisuels, aux caciques du parti républicain américain, dont on comprend que les velléités d’un retour à l’étalon-or s’opposent violemment aux propositions de laxisme économique de Krugman.

Ceci étant, Krugman confirme une intuition que nos gouver-nants devraient intégrer, à savoir que l’histoire économique indique que les politiques d’austérité budgétaire sont suivies de contractions et d’aggravations du chômage. Selon Krugman, l’Europe est donc dans l’erreur totale en imposant une contorsion budgétaire, dont il rappelle qu’elle est toujours récessionnaire. Les résultats de la politique écono-mique imposée aux pays méditerranéens en sont l’illustration. Krug-man cite d’ailleurs un nom, qu’il moque, pour expliquer l’affaissement de la zone euro : Jean-Claude Trichet, qui a cru discipliner la monnaie unique à coup de cravaches budgétaires alors que notre continent s’en-fonçait dans la récession.

L’amplitude de la crise est, selon Krugman gravement sous-estimée. Mais alors, que faire, selon le lauréat du prix Nobel, pour s’extraire de cette dépression ?

Krugman préconise une relance keynésienne par la stimulation de la demande. Il faut une politique de déficit budgétaire expansionniste, c’est-à-dire fondée sur des investissements productifs. Krugman pense à un New Deal, comme sous Roosevelt. Selon l’auteur, le message des marchés est d’ailleurs très clair : si les taux d’intérêt sont si bas, c’est qu’ils indiquent que, malgré le niveau des dettes publiques, ces der-nières peuvent être augmentées pour stimuler l’économie. Selon le prix Nobel, plus de dettes publiques résoudra l’excès de dettes actuel, si le produit des dettes est affecté à des projets de croissance. La crois-sance économique et l’inflation diminueront ensuite le coût de ces dettes supplémentaires.

Concomitamment, Krugman recommande une politique moné-taire allégée, avec un assouplissement quantitatif conduisant à ce que la Banque centrale fixe un taux d’inflation cible, plus élevé, de l’ordre de 3 ou 4 %, et des achats d’actifs au sein desquels les dettes privées

500_VEILDAR.indd 100 30/01/13 13:31

Page 99: Brunot colmant 3

économie monétaire 101

anthemis

seraient éligibles. Krugman recommande aussi d’utiliser la création monétaire pour financer les déficits budgétaires. Il s’agit donc d’une monétisation des dettes.

Krugman pense que la monétisation des dettes n’entraînera pas immédiatement d’inflation, car l’économie est engluée dans un piège de la liquidité, c’est-à-dire un moment où la stimulation monétaire est inopérante. C’est peut-être correct, à moyen terme, mais l’extrac-tion d’un piège de la liquidité par la création monétaire finit pourtant toujours par l’inflation. Krugman ne le conteste pas, et c’est la raison pour laquelle il anticipe de devoir rehausser les objectifs d’inflation des banques centrales.

En bon adepte de Keynes, Krugman reprend les arguments de l’éco-nomiste néo-zélandais Phillips (1914-1975) qui opposa une politique de plein emploi et une basse inflation. Krugman privilégie la mise à l’emploi à l’inflation, en écho à la phrase prophétique de Keynes qu’il est « plus grave, dans un monde appauvri, de provoquer le chômage que de décevoir le rentier ».

Je crois que l’analyse de Krugman est correcte dans la recomman-dation d’une stimulation budgétaire et monétaire, plutôt que dans des politiques de contraction et d’austérité. Certes, aux yeux de certains, il semble préconiser ce qui s’assimilerait à une course en avant, mais tout économiste sérieux sait que cette crise se terminera par une déprécia-tion monétaire, qu’il faut supporter pour stimuler la mise à l’emploi et le remboursement des dettes. En d’autres termes, Krugman nous dit que la crise n’est pas le moment de discipliner l’économie, et qu’il vaut mieux chercher la preuve de la croissance future dans une stimulation budgé-taire que dans des vertus budgétaires contre-cycliques. En annexe de son ouvrage, Krugman illustre d’ailleurs ce propos en rappelant qu’une analyse précise des années qui ont précédé les guerres (comparables à des chocs économiques) disqualifie les politiques d’austérité.

Quand on achève cet ouvrage, on comprend que la politique de contraction budgétaire imposée pour garder la cohésion de l’euro sous le mode allemand est probablement la plus grande erreur d’appréciation économique des premières années de ce siècle. Sans se prétendre être un spécialiste de la zone euro, Krugman recommande d’ailleurs une poli-

500_VEILDAR.indd 101 30/01/13 13:31

Page 100: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique102

anthemis

tique assouplie de la B.C.E., la stimulation de la demande intérieure par les pays forts (c’est-à-dire une politique de déficit budgétaire, à l’opposé des règles d’or et autres retours à l’équilibre à marche forcée) et une remise en ordre des systèmes fiscaux de certains pays faibles. Sans mettre en œuvre ces étapes, on comprend que nous porterons longtemps les stigmates de la politique européenne en termes de chômage et ses consé-quences, à savoir des chocs sociaux, qui n’en ont pas encore été révélés.

L’Écho, août 2012

Le travail, c’est la monnaie

À part les ressources naturelles, qu’est-ce que la monnaie, si ce n’est du travail accumulé ?

Mais alors, quand une banque centrale imprime de la monnaie ex nihilo, quel travail cette monnaie peut-elle bien représenter ?

Les écoles d’économistes se disputent cette question depuis longtemps.La théorie keynésienne (qui nous reste fort obscure) laisse penser

que la variation de l’offre de monnaie peut stimuler l’activité écono-mique de manière transitoire et sous certaines conditions.

L’école des économistes quantitatifs voit, quant à elle, une relation plus directe entre l’offre de monnaie et le niveau des prix.

Une compréhension intermédiaire, empruntée à la théorie marxiste conduirait à fournir la réponse que la monnaie créée ex nihilo permet d’alléger le poids du travail futur, si cette monnaie créée permet, grâce à de l’inflation, d’atténuer les dettes publiques, qui devraient normale-ment être financées par l’impôt.

En d’autres termes, la monnaie créée sans contrepartie soulage le prix du travail futur et déprécie le prix du travail passé.

Cela recoupe l’évidence que l’inflation est favorable au travail, mais défavorable au capital, qui est, pour une bonne part, du travail accumulé.

C’est ainsi que l’inflation est un facteur du gradient de la lutte des classes.

L’Écho, blog, septembre 2012

500_VEILDAR.indd 102 30/01/13 13:31

Page 101: Brunot colmant 3

économie monétaire 103

anthemis

L’avertissement monétaire

Le sujet du phénomène monétaire est obscur. Il est même téné-breux. L’absence de clarté du phénomène monétaire a même conduit à susciter autant d’écoles qu’il y a d’époques et de communautés d’éco-nomistes. Même la psychiatrie s’est chargée de formuler une théorie aussi générale que celle que Keynes avait esquissée.

Le signifiant de la monnaie est insaisissable. Depuis que la monnaie est découplée d’un garant métallique, elle est probablement un artefact, c’est-à-dire un phénomène créé de toutes pièces par les conditions expé-rimentales, dépourvu de toute signification théorique. Cela expliquerait incidemment la subordination de l’ordre monétaire à l’ordre social.

Par ailleurs, la monnaie renvoie à ce qui la garantit. Elle doit s’adosser à un niveau de confiance qui excède ce qu’elle garantit. Il faut une réciprocité de la qualité de la confiance et de la quantité de monnaie. C’est un concept en lévitation dont l’application est, par exemple, la discipline « morale » de la B.C.E., qui garantit la pérennité de l’euro. En conclusion, la monnaie est une idée qui sert de modèle à une autre : un empiriste la qualifierait probablement d’archétype sociopolitique.

Dans cet immense dédale conceptuel, l’origine étymologique de la monnaie est peut-être un indice intéressant. La monnaie ramène au palais de la Moneta où les pièces romaines étaient frappées. La légende véhicule que ce palais fut construit à l’endroit où les oies du Capitole étaient parquées et dont les cacardements auraient prévenu de l’inva-sion de Rome par les Gaulois, au IVe siècle avant Jésus-Christ.

La contraction sémantique conduirait alors à savoir de quoi la mon-naie, comme les oies du Capitole, avertit. C’est le fil directeur de notre raisonnement, esquissé à l’aune du fait que la monnaie est une conven-tion socioétatique ?

De quoi la monnaie avertit-elle ?

Pour le sociologue, la monnaie est un moyen d’impersonnaliser l’association entre des personnes inconciliables et donc une sublima-tion des rapports sociaux. C’est une abstraction au-dessus des structures sociales, si ce n’est la structuration des agrégats sociaux eux-mêmes. La

500_VEILDAR.indd 103 30/01/13 13:31

Page 102: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique104

anthemis

monnaie est alors un postulat par son adhésion spontanée ou forcée, ce qui suscite deux questions : la spontanéité de l’adhésion monétaire est-elle un signe d’autorégulation ? Et l’imposition d’une monnaie est-elle un indice de sujétion et de cohésion sociale ?

Pour l’économiste, l’avertissement est plus clair. La monnaie est un phénomène monétaire éphémère et circonstanciel. C’est une formu-lation simplifiée de l’utilité du temps, ou plutôt « l’ombre du temps » ou « le voile » de Jean-Baptiste Say. Un monopole d’émission sur une monnaie non gagée est un instrument de tutelle publique sur les faits de commerce qui reflète l’équilibre relatif et la primauté d’un facteur de production (travail ou capital).

L’Écho, blog, octobre 2012

Le bruit du silence

Les librairies américaines croulent sous les livres de conjoncture millénariste prédisant un effondrement des devises, un tsunami d’hype-rinflation et des cataclysmes géopolitiques à côté desquels la crise sys-témique de 2008 fait figure de trou d’air conjoncturel.

Tous ces ouvrages conduisent à la conclusion que l’or reste la seule valeur refuge, une fois que toutes les devises se seront annihilées.

Cela n’a bien sûr aucun sens : l’or n’a de valeur que s’il est librement transformable dans une unité de compte à usage commercial.

Mais une chose semble évidente : le cours de l’or monte à cause de sa fonction de protection patrimoniale contre l’inflation plutôt que par sa rareté utilitariste, puisqu’il n’a plus d’usage industriel.

Il existe d’autres manières de se protéger de l’inflation, plus pro-ductives et en harmonie avec l’économie réelle, à savoir des actions d’entreprises dont la marge bénéficiaire reste stable en période de hausse de prix (actions de biens alimentaires, par exemple), pour autant que les sociétés correspondantes ressortissent à une économie de marché.

Il est évident que nous entrons en période d’inflation.

500_VEILDAR.indd 104 30/01/13 13:31

Page 103: Brunot colmant 3

économie monétaire 105

anthemis

Elle sera, bien évidemment, adoucies par des indices appropriés, mais elle sera (et est déjà) bien là. Les autorités monétaires créent des électrons qui se transforment en monnaies injectées dans l’économie.

Les rotatives sont silencieuses, mais productives.

Les Américains appellent cela la création monétaire à partir de l’air (« make money out of thin air »). Je pense plutôt au bruit du silence, rappe-lant cette étrange chanson de Simon et Garfunkel, « The sound of silence ».

L’Écho, blog, septembre 2012

L’Union bancaire : un acte de foi

Je suis troublé par cette Union bancaire qui vient d’être adoptée dans la douleur par les autorités européennes.

Je ne croyais pas que les États européens puissent adopter une mesure d’une telle envergure. Cela illustre qu’on peut se tromper et qu’il ne faut jamais sous-estimer la force du pouvoir politique.

Les autorités communautaires ont voulu donner un message auto-ritaire portant sur la tutelle qu’elles peuvent exercer sur le secteur ban-caire, et donc sur l’intangibilité de l’euro.

L’Union bancaire permet, en effet, de mutualiser le coût de recapi-talisation des banques en difficulté. Elle contribue à découpler le sau-vetage bancaire de leurs États de tutelle. Il s’agit donc de trancher le nœud gordien de voir des États et leur banques domestiques s’effon-drer concomitamment.

Pourtant, je m’interroge quant au bien-fondé d’un contrôle pru-dentiel des banques par les autorités monétaires, c’est-à-dire la B.C.E.

Certes, ce sont les autorités monétaires qui détiennent la clé de la sortie de la crise. C’est la valeur de la monnaie qui devra être ajustée pour résoudre le remboursement des infernales dettes publiques. Les autorités monétaires ont donc toute légitimité pour mettre en œuvre un contrôle régulateur.

Mais au-delà de cette réalité, il n’est pas habituel que les autorités publiques s’escamotent au profit des autorités monétaires de la B.C.E.

500_VEILDAR.indd 105 30/01/13 13:31

Page 104: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique106

anthemis

En effet, cela s’assimile à une intégration verticale, qui consiste à rap-procher les producteurs des stocks et des flux de monnaie, à savoir les banques privées et la B.C.E. Les banques privées perdent ainsi un degré de liberté, puisqu’elles se rapprochent de leur fournisseur de matière première, savoir la monnaie.

Le problème, c’est que la stabilité de la monnaie est mise en péril par l’envergure des dettes publiques, dont on sait qu’elles finiront par être remboursées avec l’aide de la planche à billets, et donc de l’infla-tion.

Je suppute que le contrôle des banques par la B.C.E. conduise à réguler les institutions financières qui sont supposées porter les dettes publiques des États que la B.C.E. se refuse à refinancer directement. En d’autres termes, les autorités monétaires vont contrôler les créanciers des États.

Cela ressemble à une instrumentalisation des banques condui-sant à en faire des agents auxiliaires des autorités monétaires afin de financer les dettes publiques. Car, quand on y regarde de plus près, on remarque que la supervision bancaire suit de quelques mois un immense refinancement par la B.C.E. des banques des États fragiles, afin que ces mêmes banques puissent racheter les dettes des États dont elles dépendent.

L’Union bancaire est peut-être un pas supplémentaire vers un dirigisme généralisé des banques européennes. Ceci aboutirait à une étrange collectivisation, mise en œuvre par des autorités monétaires (et non politiques) au travers des actifs des banques (c’est-à-dire les dettes publiques que les banques portent) plutôt que par les capitaux propres.

Les banques européennes quittent, chaque jour davantage, la sphère privée de l’économie de marché pour se rapprocher d’une étatisation de fait.

Je crains qu’un acteur soit oublié dans toute cette restructuration des banques : l’actionnaire privé. Or c’est ce dernier qui fixe le coût du capital et absorbe, au travers de sa mise de capital à risque, les chocs conjoncturels.

L’Écho, blog, octobre 2012

500_VEILDAR.indd 106 30/01/13 13:31

Page 105: Brunot colmant 3

économie monétaire 107

anthemis

Le mauvais génie monétaire

Que représente la monnaie ?C’est un concept indéfinissable, puisque sa durée de vie et ses modes

de garantie sont évolutives. Mais, de loin en loin, la monnaie représente du travail accumulé dans le passé, qui se négocie désormais sous forme de signes monétaires. Cette monnaie peut être son propre travail ou celui d’un autre, qu’on a réussi à valoriser.

Que se passe-t-il dès lors, lorsqu’on fait tourner la planche à billets, comme c’est le cas actuellement ?

On favorise le travail à venir, puisque l’impression monétaire conduit à ce que chaque unité de travail future sera représentée par plus de billets que le travail accumulé.

Inversement, le capital qui est le reflet du travail passé et accumulé se déprécie.

C’est pour cette raison que tant Marx que Keynes reconnaissent qu’en période d’inflation, l’impression monétaire excessive nuit au rentier et est globalement (et indirectement) favorable au travail.

Mais cette réflexion (dont je reconnais qu’elle est très approxima-tive) en suscite une autre : si le coût de la monnaie, c’est-à-dire son taux d’intérêt, devient nul, comme c’est le cas actuellement au travers des injections monétaires, alors que le travail garde son coût (c’est-à-dire le salaire), ne risque-t-on pas d’exproprier le travail qui devient, en termes relatifs, plus coûteux ?

Cela pourrait conduire à un rééquilibrage favorable au capital et défavorable au travail, puisque la création monétaire (comme les dettes publiques que cette création monétaire finance) est dissociée de la pro-duction.

La monnaie en perd son sens.C’est donc très compliqué : des taux d’intérêt bas qui ne reflètent

pas l’inflation favorisent l’appel au capital, tandis que de l’inflation favorise, en termes relatifs, le travail futur.

Je me demande si le mauvais génie monétaire n’est pas en train de sortir de sa lanterne ?

L’Écho, blog, octobre 2012

500_VEILDAR.indd 107 30/01/13 13:31

Page 106: Brunot colmant 3

500_VEILDAR.indd 108 30/01/13 13:31

Page 107: Brunot colmant 3

109

anthemis

Gestion fiscale et comptable

Les intérêts notionnels, inventés en 1999, décédés en 2012

La crise exige de revoir les axiomes fiscaux de l’impôt des socié-tés (ISOC). Lors de la première décennie du millénaire, au moment de l’expansion de l’économie, la stimulation fiscale a légitimement été mise sur la recapitalisation des entreprises au travers, notamment, de la déduction des intérêts notionnels. Mais près de sept ans après leur introduction et une contestation politique qui n’a cessé de saper leur attractivité, il s’impose peut-être de revoir cette mesure fiscale. Que le lecteur ne se méprenne pas : il ne s’agit pas de renier une disposition qui est la transposition exacte d’une mesure fiscale que j’avais publiée dans les colonnes de ce journal, il y a treize ans (L’Écho, 7 septembre 1999).

Il s’agissait – et il s’agit toujours – d’une révolution fiscale. Mais, aujourd’hui, le reflux de la conjoncture exigerait de faire basculer l’in-citation fiscale du passif du bilan, c’est-à-dire de la subsidiation des capitaux propres au travers des intérêts notionnels, vers l’actif du bilan des entreprises. Il conviendrait désormais de promouvoir les investisse-ments productifs. Nous parlons donc d’imposer les profits plutôt que les facteurs de production.

Pourquoi envisager une telle approche ? Les raisons en sont nom-breuses. Même si l’accès au crédit est plus difficile pour les entreprises, les taux d’intérêt sont bas, voire négatifs, après déduction de l’inflation. Le financement des entreprises n’est donc plus économiquement des-tructeur. D’ailleurs, le taux de déduction des intérêts notionnels, soit 3 %, est supérieur au taux des O.L.O. à dix ans. Ceci constitue une hérésie économique, raison pour laquelle nous avions préconisé un ali-gnement du taux de déduction des intérêts notionnels sur le Bund alle-mand. Par ailleurs, ces entreprises sont mieux capitalisées en capitaux propres. Ensuite, la relance de l’économie passe plutôt par la demande (et donc les actifs) que l’offre (et donc les passifs) au sens keynésien.

500_VEILDAR.indd 109 30/01/13 13:31

Page 108: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique110

anthemis

Enfin, il est important de protéger les entreprises contre l’inflation qui altère le capital.

L’idée consisterait à mettre en place un système d’amortissement accéléré pour les immobilisations corporelles neuves. Différentes modalités pourraient être envisagées, tel que ce fut le cas lors de la fin des années 1970, au moment où l’économie industrielle s’essoufflait. La mesure peut être modulée de différentes manières : amortissements anticipés des immobilisations, dotations basées sur leur prix de rem-placement, etc. On pourrait aussi imaginer que la déductibilité des amortissements porte sur plus que 100 % de la valeur de celles-ci, afin de protéger la reconstitution du capital écornée par l’inflation. Il s’agit donc d’anticiper la déduction d’amortissements, pour autant que la base taxable des entreprises soit suffisante. Cette mesure ne coûte à l’État que le financement de l’impôt, dont l’enrôlement est retardé dans le temps. La mesure est donc un simple renvoi temporel d’imposition.

Cette piste serait un stimulant naturel et indirect à la création d’emploi.

Pour mesurer, de manière grossière, l’impact d’une telle mesure, je prends l’exemple d’une entreprise « normalisée », d’un pied de bilan de 1.000, financée à concurrence d’un tiers par des capitaux propres (333) et aux deux tiers par de la dette (666). Je suppose que l’entreprise acquiert une immobilisation corporelle de 1.000 normalement amor-tissable sur cinq ans.

Chaque année, l’application des intérêts notionnels fait gagner à l’entreprise un montant de 333 (capitaux propres) × 33,99 % (taux ISOC) × 3 % (taux des intérêts notionnels), soit 3,4. Sur une période de cinq ans, l’avantage fiscal s’élève, à paramètres inchangés, à 15.

Si l’entreprise amortit l’immobilisation corporelle de manière linéaire, elle déduit chaque année une dotation aux amortissements de 200. Il en résulte un abattement de l’impôt des sociétés de 200 (dota-tion aux amortissements) × 33,99 % (taux ISOC), soit 67. En suppo-sant que le taux d’intérêt en vigueur est de 3 %, la valeur actualisée de cet amortissement (c’est-à-dire la valeur des amortissements ramenée au jour de l’acquisition de l’immobilisation) est de 305.

Si l’entreprise pouvait amortir le bien de 1.000 sur 2 ans et demi, soit la moitié de la durée de vie économique du bien, l’amortissement

500_VEILDAR.indd 110 30/01/13 13:31

Page 109: Brunot colmant 3

gestion fiscale et comptable 111

anthemis

s’élèverait à 400 les deux premières années et à 200 la troisième année. En conservant un taux d’intérêt de 3  %, la valeur actualisée de cet amortissement est de 315.

Dans ce cas particulier, un amortissement accéléré entraînerait un gain fiscal de 10 à l’entreprise, à comparer avec le montant légèrement plus élevé pour la déduction des intérêts notionnels. L’avantage de ce gain de 10 est qu’il est directement affecté à l’investissement productif plutôt que diffusé sur le financement de l’entreprise.

Est-ce à dire que les intérêts notionnels pourraient être rempla-cés par une déduction accélérée des amortissements ? Pourquoi pas. Eu égard à la baisse spectaculaire des taux d’intérêt, le coût de finan-cement des entreprises a chuté. De surcroît, les incessantes critiques énoncées à leur égard ont contribué à les disqualifier, en créant un halo de scepticisme portant sur la pérennité de la mesure. Enfin, leur rem-placement par une déduction fiscale des amortissements permettrait de désamorcer les critiques d’un détournement des intérêts notionnels à des motifs purement fiscaux, sans création d’emplois dans l’écono-mie réelle. Cette critique était-elle justifiée ? Bien sûr que non. Les économistes savent qu’il ne faut jamais lier des réductions d’ISOC à des créations d’emplois, car cela brouille deux objectifs de politique économique. Cela peut même être totalement contre-productif. Par exemple, cela conduirait à disqualifier les investissements d’automatisa-tion et de robotique, qui rendent notre pays compétitif.

Il faut aussi se rappeler que les intérêts notionnels ont, dès leur application, servi de substitut aux centres de coordination, dont les avantages fiscaux avaient été interdits par la Commission européenne. Ils n’ont donc jamais eu d’autre fonction que de diminuer, voire de gommer, l’ISOC pour les entreprises fortement capitalisées. Les inté-rêts notionnels ont aussi conduit à résoudre un problème de cohérence fiscale. En effet, lorsqu’une entreprise se finance par l’endettement, les intérêts en sont déductibles, tandis que les dividendes, qui rétribuent le capital à risque (et plus exposé aux aléas de la conjoncture), sont taxés à l’ISOC. Les intérêts notionnels conduisirent ainsi à réduire la taxation si une entreprise met plus de capitaux propres à risque. Ils allégèrent l’impôt à la condition d’une mise de capitaux à risques plus importante.

500_VEILDAR.indd 111 30/01/13 13:31

Page 110: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique112

anthemis

La baisse des taux d’intérêt, entraînée par la fissuration de l’euro et la récession économique exigent, à regret, de tourner une page fis-cale. Il faudra passer à des incitants directs en matière d’investissements, s’inscrivant dans la réindustrialisation du pays, et à une baisse du taux nominal de l’ISOC.

L’Écho, septembre 2012

Les azimuts de la fiscalité belge

L’impôt est une obligation individuelle, mais aussi un bien public, en ce qu’il reflète les valeurs collectives d’une société. Il scelle un contrat de confiance entre une population et ses gouvernants. Il doit assurer la redistribution des richesses entre citoyens, mais aussi se cal-quer sur la courbe de variation des situations économiques de chaque contribuable.

L’impôt a revêtu des significations très différentes dans l’histoire économique de notre pays. Il fut tout d’abord un indice de sujétion et d’asservissement. Il acquit ensuite un caractère commutatif, c’est-à-dire qu’il ne devint légitime qu’à la condition d’avoir des contreparties satisfaisantes. Ce n’est qu’au cours du XXe siècle qu’il s’est transformé en un outil de réaménagement des richesses nationales.

Depuis la rédaction de ses textes fondateurs en 1962, l’impôt des personnes physiques a connu de nombreuses mutations. Certaines furent fondamentales, d’autres plus circonstancielles, voire d’inspiration exclusivement budgétaire.

L’impôt des personnes physiques a progressivement perdu sa faculté redistributive pour devenir incitatif. L’équation fiscale, qui avait été formulée dans le sillage de l’effet d’aubaine de la croissance d’après-guerre, s’est adaptée à l’ordre marchand dans nos économies. Dans le prolongement de cette évolution ayant embrassé la modification socio-économique de nos sociétés, la notion de capacité contributive s’est progressivement diluée au profit d’une déglobalisation des revenus et d’une individualisation de l’impôt. Ce dernier est devenu mieux adapté à la situation personnelle de chaque contribuable.

500_VEILDAR.indd 112 30/01/13 13:31

Page 111: Brunot colmant 3

gestion fiscale et comptable 113

anthemis

Mais pourtant, l’impôt a mal vieilli, puisque sa formulation redistri-butive (malgré qu’elle soit plus incitative qu’auparavant) a été établie dans le creuset de la solidarité d’une économie industrielle d’après-guerre en reconstruction. Nos communautés ont quant à elles basculé dans l’économie tertiaire et la mondialisation, qui exigent une mobilité des facteurs de production et une fiscalité adaptée. La fiscalité n’a pas suivi : les revenus sont trop vite taxés, l’épargne à risque est pénalisée et le recyclage professionnel à peine déductible. La fiscalité est donc paralysante, comme si elle refusait d’épouser la fluidité et la mobilité du travailleur du XXIe siècle, sans compter le fait que la propension mar-ginale à travailler est découragée : il n’existe qu’une différence infime de revenu net entre un revenu professionnel de départ et un revenu de remplacement.

Au cours des prochaines années, une question fondamentale va conditionner la fiscalité des personnes physiques : selon quel gradient l’impôt des personnes physiques doit-il conserver son caractère d’outil de solidarité ?

Ceci plaide pour une vision fiscale repensée des revenus du travail et du capital, car la fiscalité qui s’y rapporte est proche de 50 %, ce qui est excessif. Les rôles de la parafiscalité et de la fiscalité en seraient aussi altérés. La première se verrait confirmée dans son rôle de redis-tributif, tandis que la seconde deviendrait plus incitative en matière de création et d’allocation d’épargne. En même temps, il faudra répartir plus harmonieusement l’impôt sur la vie d’un contribuable. Il sera, plus qu’aujourd’hui, prélevé sur la consommation.

La question est désormais de savoir sur combien d’années et selon quelle logique l’effort fiscal va être reformulé. L’équation est extrê-mement complexe. Il serait schizophrénique de réamorcer la consom-mation et l’investissement et, simultanément, de lever des impôts, car l’austérité fiscale conduirait à l’anémie économique.

Il est donc urgent de définir les nouveaux azimuts de la fiscalité. La situation budgétaire engendrera probablement des hausses d’impôts. Mais notre gouvernement devra faire face à un dilemme : la crise exige de stimuler la consommation, mais l’endettement de l’État conduira à stimuler l’épargne. Or ce qui est épargné n’est pas consommé, et vice

500_VEILDAR.indd 113 30/01/13 13:31

Page 112: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique114

anthemis

versa. La crise rendra l’impôt redistributif alors qu’elle devrait en faire un outil incitatif.

Pour cette raison, il faut faire le pari audacieux de la stimulation économique, en réduisant progressivement l’impôt qui correspond à la prise de risque. Un alourdissement de la fiscalité du travail ou des reve-nus mobiliers risqués (actions, etc.) est donc insensé, car cela conduit à stériliser l’économie.

En revanche, faire évoluer modiquement la fiscalité vers la consom-mation ou les revenus de l’épargne non productive devrait être envi-sagé.

Admettons aussi que même si des glissements de fiscalité sont opérés, le poids de l’État sur l’économie est trop important (et il est même en croissance). Nos économies doivent sortir de la dérive de l’étati-sation croissante et de la stimulation publique inefficace, puisqu’elle a entraîné, en Belgique comme dans d’autres pays, une dette publique devenue impayable. Les orientations fiscales conditionneront notre paysage fiscal pour la génération suivante, avec la contrainte que les égarements des années 1980 ne nous seront plus pardonnés.

L’Écho, octobre 2012

Progressivité catholique ou flat tax protestante ?

Un des piliers de la plupart des systèmes fiscaux européens est la progressivité des barèmes par tranches. La logique en est assez simple : l’impôt est prélevé selon des tranches à un taux plus élevé, jusqu’à atteindre un maximum de 50 %.

De manière plutôt contre-intuitive, cette progressivité vise à taxer la formation de l’épargne. En effet, au fur et à mesure que le revenu d’une personne physique croît, sa consommation se stabilise ou, à tout le moins, ne progresse pas aussi rapidement que son revenu lui-même. Ces deux paramètres ne sont donc pas proportionnels. Il arrive un niveau de revenu où un contribuable épargne. Mais comme les barèmes d’impôts sont progressifs, la taxation des revenus destinés à être épargnés augmente marginalement. Chaque euro épargné est ainsi

500_VEILDAR.indd 114 30/01/13 13:31

Page 113: Brunot colmant 3

gestion fiscale et comptable 115

anthemis

affecté d’une charge fiscale croissante, qui se stabilise au taux marginal maximal de 50 %.

La progressivité de l’impôt des personnes physiques pénalise donc la formation d’épargne, ce que les économistes nomment la propension marginale à épargner. Cette formulation correspond aussi à une théo-rie fiscale appelée « l’égalité du sacrifice ». Selon cette dernière, le degré d’utilité d’un bien diminue à mesure que son volume grandit. L’impôt doit donc puiser dans les tranches de revenus affectées à des besoins non vitaux, voire moins indispensables.

Partant de l’hypothèse que l’épargne commence à être constituée à partir du moment où le barème maximal est atteint, soit environ 35.000 EUR, la formation d’épargne est taxée à environ 55 %, si on tient compte des additionnels communaux. C’est d’ailleurs ce haut niveau de taxation des revenus (et donc de la formation d’épargne) qui explique que la Belgique n’impose pas – à juste titre – le capital. Cela correspondrait en effet à un contestable double prélèvement sur les revenus.

Une réflexion accessoire découle de cette taxation de la forma-tion du capital. On pourrait avancer, a contrario, que si la formation d’épargne est pénalisée par la progressivité de l’impôt, la propension à consommer est, par complémentarité, favorisée. Sous l’influence de Keynes, certains auteurs ont même avancé que le plein emploi (décou-lant de la consommation) ne pourrait pas être atteint sans progressivité de l’impôt. L’argument, fragile, est sans doute correct pour une faible progressivité, mais il est dénaturé par les taux élevés que nous connais-sons en Belgique.

En ces temps de disette budgétaire, il serait d’ailleurs improbable que quiconque mette en question le principe de progressivité de l’im-pôt. Celui-ci est d’ailleurs fondé par de nombreuses théories fiscales, dont une qui consiste à exiger des citoyens une participation fiscale correspondant à leurs facultés contributives.

Pourtant, certains théoriciens fiscaux mettent en cause la progressi-vité au motif qu’elle est arbitraire, pénalisante pour l’épargne et qu’elle conduit à des abus de prélèvements fiscaux.

500_VEILDAR.indd 115 30/01/13 13:31

Page 114: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique116

anthemis

Au reste, depuis quelques années, certains économistes anglo-saxons plaident en faveur d’une flat tax (ou « impôt plat »), c’est-à-dire un impôt linéaire pour les personnes physiques. Ce système consiste en un nombre limité (1 ou 2) de taux d’impôt, peu élevés et appliqués à une base imposable large, sans déductions ni abattements. Dans une telle métrique, il existe un revenu minimum non imposable dont tous les contribuables bénéficient.

La flat tax est caractérisée par la platitude de ses taux. C’est un impôt proportionnel (donc constant en pourcentage) au revenu. Il dif-fère donc du système belge, déterminé par une augmentation du taux d’impôt par barèmes progressifs.

Pourquoi alors la flat tax recueille-t-elle tant d’adeptes ? Les réponses sont multiples. Tout d’abord, la flat tax est typique des pays protestants et anglo-saxons qui stimulent l’épargne afin d’inciter à la prise de risque actionnarial, tandis que dans nos économies catholiques, l’égalitarisme social prévaut au détriment de l’entrepreneuriat. Sous cet angle, la flat tax est de fait plus incitative que redistributive. De surcroît, elle répond à un objectif de simplification fiscale.

Le parallèle religieux peut paraître osé, et pourtant il est théologi-quement fondé. La théorie du sacrifice mentionnée ci-avant, s’inscrit sans le sillage de Thomas d’Aquin (1225-1274) qui s’inspira de l’évan-gile de Matthieu pour confirmer la dissociation entre négoce et profit, et par conséquent la légitimité des autorités civiles à lever l’impôt. Ce casuiste introduisit la notion de prélèvement « juste ». Pour qu’un impôt soit juste, il faut qu’il soit ordonné conformément au bien commun, qu’il n’excède pas le pouvoir des contribuables et soit distribué entre ces derniers selon une égalité de proportion.

La Réforme, animée par Luther et Calvin, distingue plus nettement encore la légalité de la moralité. Avec une référence claire à l’impôt : le refus des indulgences s’assimile à un refus des « pardons tarifés », comme l’impôt. Pourtant, les fondateurs du protestantisme ne s’expriment pas en faveur des contribuables, puisque selon ces penseurs, la légalité de l’impôt en fonde la légitimité. Le consentement contraint des contri-buables est un symbole de la souveraineté. Cela a conduit à la flat tax. Au reste, la parabole des talents est souvent interprétée par les protes-

500_VEILDAR.indd 116 30/01/13 13:31

Page 115: Brunot colmant 3

gestion fiscale et comptable 117

anthemis

tants comme un principe de responsabilité : il faut faire fructifier ce que Dieu a confié à l’homme. Celui qui a reçu davantage a une plus grande responsabilité de faire fructifier le talent. Le désir d’être pauvre est condamnable, et il n’y a pas de sanctification par les œuvres.

Mais il y a une autre raison, beaucoup plus subtile : la flat tax a pris racine dans les théories américaines. Là-bas, le taux d’épargne des ménages est quasiment nul. Depuis quelques années, les ménages amé-ricains consomment en effet l’entièreté de leur revenu. Leur propen-sion à épargner est donc inexistante. Taxer la formation d’épargne au moyen de barèmes progressifs (comme en Belgique) est donc dénué de sens. Ceci conduit naturellement, pour le revenu et la consommation, à un impôt proportionnel, à savoir la flat tax, puisque l’entièreté du revenu est consommée.

Cela signifie-t-il que les pays européens, dont le taux d’épargne des ménages diminue structurellement, vont adopter la flat tax dans quelques années ? C’est peu probable, mais cela n’exonérera pas le législateur belge d’une réflexion globale portant entre autres sur le choix des barèmes, exonérations et déductions. Elle interpellera aussi le financement de la sécurité sociale qui est déjà, contrairement à l’impôt, proportionnel au revenu.

L’Écho, novembre 2012

Les dangers d’une taxation du capital

Au fur et à mesure de la diffusion de la crise, la question de l’équi-libre budgétaire prend une tournure inquiétante. Dans les premiers mois du séisme, le déficit budgétaire paraissait conjoncturel. Mais – on le sait aujourd’hui – les choses sont beaucoup plus graves. Nettement plus graves, car le déficit est structurel.

La crise n’a servi que de révélateur d’une immense dette publique, héritée des années 1970, augmentée d’une explosion des dépenses de santé et de pensions. Pendant des décennies, le pays s’est acheté des années d’immobilisme, en demandant crédit aux générations suivantes.

500_VEILDAR.indd 117 30/01/13 13:31

Page 116: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique118

anthemis

La dette publique des précédentes décennies n’a jamais été rem-boursée. Elle a été soulagée par une baisse des taux d’intérêt et une croissance économique artificielle, elle-même entraînée par l’effet d’aubaine de l’euro. L’effet « boule de neige » a été suspendu par une politique d’équilibre budgétaire. Mais, en même temps, au lieu de réduire la dette fédérale en termes absolus, c’est-à-dire en euros, les gouvernements se sont limités à la réduire en termes relatifs, c’est-à-dire par rapport au P.I.B.

Le remboursement de cette dette sera prélevé au prix d’un risque de tension générationnelle, dès lors que la vague du coût du vieillis-sement va submerger les finances publiques. Or rien ne dit que les générations suivantes pourront payer nos dettes. Il y a un risque (très sérieux) que les futures générations ne voudront pas servir de variable d’ajustement aux pensions de celles qui les ont précédées. Il pourrait même en résulter une désolidarisation générationnelle.

Face à ces réalités accablantes, la solution est intuitive : il faut réduire le poids de l’État dans l’économie. Mais ce n’est pas aussi simple. Tout d’abord parce que peu d’entre nous sont conscients des biens publics dont nous jouissons. Politiquement, c’est aussi délicat. Mais surtout, nos communautés ont choisi une équation sociale qui attribue à l’État un rôle important, surtout en période de crise. Postuler qu’un État est trop imposant revient à poser la question des répartitions sociales. Or, dans ce domaine, seuls les choix collectifs sont pertinents.

La question qui se pose désormais est de savoir quelles orientations fiscales le Royaume va adopter. La marge de manœuvre de nos gou-vernements est évidemment très fine, puisque toute démarche doit être harmonieuse avec la fiscalité des pays adjacents, qui sont d’ailleurs nos principaux partenaires commerciaux. Une augmentation de la fiscalité sur le travail, aggravant une situation déjà préoccupante, signifierait que la Belgique renonce à tout espoir de remontée dans l’échelle de la compétitivité.

C’est à ce niveau que d’aucuns préconisent une taxation du capital ou des plus-values sur actions.

L’impôt sur le capital consiste à capturer le capital accumulé par les personnes physiques. Ce serait, bien sûr, un pur choix de double taxa-

500_VEILDAR.indd 118 30/01/13 13:31

Page 117: Brunot colmant 3

gestion fiscale et comptable 119

anthemis

tion, totalement contraire aux affirmations politiques récentes visant à attirer et à transmettre le capital (D.L.U., abaissement des droits de succession et de donation, promotion de l’épargne-pension).

Cela fragiliserait à nouveau l’épargne, pourtant déjà affaiblie par la crise financière. Cela pourrait même induire une grande inquiétude dans la population, qui perdrait confiance dans les capitaux différés (épargne-pension et assimilés) qui sont justement censés compléter les engagements de pension dont le financement devient de plus en plus fragile. Taxer l’épargne pourrait donc devenir extrêmement contre-productif. Cela pourrait même entraîner ce que notre ancien premier ministre, Herman Van Rompuy, soulignait souvent, à savoir le paradoxe de Pareto. Selon ce dernier, la population commence à épargner si elle pressent des hausses d’impôt. Ce paradoxe relève de la schizophrénie si l’impôt frappe justement l’épargne. Au reste, il y a pire : une taxation du captal conduirait immanquablement à poser la question de sa pro-tection contre l’inflation, désormais inéluctable.

Certains, dès lors, imaginent taxer les plus-values sur actions. Peu importe que la taxation des dividendes ait déjà été alourdie depuis plu-sieurs mois (augmentation du précompte mobilier, de la T.O.B., taxa-tion des plus-values à l’ISOC, etc.) : c’est maintenant qu’il faut retaxer !

Pourtant, la réponse à une taxation des plus-values doit être fondée sur un examen des principes fondateurs de la fiscalité belge. Toute entreprise est in fine détenue, directement ou indirectement, par une personne physique, car il vient immanquablement un moment où le bénéfice d’une société atteint le patrimoine d’une personne phy-sique, c’est-à-dire où la chaîne de distribution s’achève. Une entreprise n’existe pas pour elle-même : elle constitue un être économiquement abstrait.

Par ailleurs, les bénéfices des sociétés sont soumis à une double imposition, à savoir l’impôt des sociétés et ensuite, en cas de distribu-tion de dividendes, le précompte mobilier.

Cette réalité explique pourquoi les plus-values sur actions ne sont pas imposées. Lorsqu’un actionnaire réalise une plus-value, cette dernière n’altère pas le patrimoine collectif de l’entreprise, mais en transfère une quote-part vers un autre actionnaire. En d’autres termes,

500_VEILDAR.indd 119 30/01/13 13:31

Page 118: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique120

anthemis

l’exonération des plus-values n’efface pas une matière imposable, mais la déplace latéralement, de manière intacte, vers un autre contribuable. En effet, les plus-values constatées sur des actions constituent, par tran-sitivité, des bénéfices passés ou futurs de l’entreprise. Ces bénéfices ont été ou seront eux-mêmes frappés de l’impôt des sociétés. En d’autres termes, une taxation des plus-values sur actions entraînerait une double imposition des bénéfices de l’entreprise et conduirait à taxer, en cas d’inflation, le pouvoir d’achat du capital.

D’aucuns argumenteront que certaines plus-values sont spécu-latives, donc circonstancielles, et s’offrent plus naturellement à une imposition particulière. Il convient pourtant d’être circonspect. Une telle orientation exigerait de préciser le caractère spéculatif des tran-sactions sur actions sur la base d’éléments codifiables, restant à définir. Ensuite, d’autres interrogations élémentaires se présentent : un impôt sur les plus-values conduirait-il à imposer les plus-values réalisées ou simplement exprimées ? Les moins-values seraient-elles déductibles ? Et si oui, selon quelle métrique ? Qui tiendrait la comptabilité de ces plus et moins-values ? Qu’en serait-il des titres non cotés et de sociétés étrangères, eu égard aux effets de devises ? Comment une O.P.A. serait-elle considérée ?

En conclusion, une taxation du capital ou des plus-values semble une idée efficace. Mais c’est plus incantatoire qu’opératoire, car cela contrarierait toute l’architecture de la fiscalité belge, tout en aggra-vant la taxation des investissements productifs. Le risque de ce type de mesure n’est d’ailleurs pas tant la fuite des capitaux que la négation de l’esprit d’entreprise, pourtant déjà déficitaire dans notre pays. Le risque est, en effet, de canaliser l’épargne des Belges vers les seuls placements à long terme sans plus-values, à savoir les bons d’État. L’État détournerait alors l’épargne vers des investissements étatiques plutôt que de stimu-ler le risque d’entreprise. Mieux vaut conserver la logique en vigueur depuis un demi-siècle dans notre pays : plutôt taxer les revenus du capi-tal que le capital lui-même ou les plus-values sur actions.

Le Soir, septembre 2012

500_VEILDAR.indd 120 30/01/13 13:31

Page 119: Brunot colmant 3

gestion fiscale et comptable 121

anthemis

Un impôt minimum à l’ISOC ? Vraiment ?

Au gré des idées du conclave budgétaire, certains plaident pour l’examen d’un taux d’imposition minimum des sociétés (ISOC). Comme il n’y a pas de minimum non imposable à l’ISOC et que le premier euro de bénéfice est déjà taxé à près de 25 %, il faut appro-fondir l’idée. Elle consiste apparemment à assurer que des entreprises ne puissent pas, par diverses déductions, réduire leur base imposable en dessous d’une certaine fraction de leur résultat.

L’idée est loin d’être iconoclaste. Elle est d’ailleurs appliquée dans d’autres pays. Les États-Unis, par exemple, disposent d’un système optionnel d’Alternative Minimum Tax, une sorte d’impôt forfaitaire.

Concrètement, un impôt minimum supposerait de modifier tout le système d’imputation des pertes reportables, des exonérations de divi-dendes et des immunisations de plus-values. Ce serait donc une refonte complète de l’ISOC qui s’effectuerait au détriment des grands groupes, holdings et conglomérats.

C’est donc très compliqué. Imaginons en effet qu’on souhaite introduire cette progressivité à l’ISOC. Comment l’organiser ?

Évidemment, on ne peut pas répliquer des barèmes comme pour les personnes physiques. Le résultat des entreprises se mesure non pas en termes absolus, mais par rapport au montant de ses capitaux propres. À titre d’illustration, un résultat taxable d’un million d’euros est diffi-cilement obtenu pour une P.M.E. faiblement capitalisée, mais aisément réalisable par une entreprise internationale. Dans une logique de pro-gressivité, ce million d’impôts ne peut donc pas être taxé au même taux.

C’est donc le rapport résultat/capitaux propres qui pourrait déter-miner les barèmes d’un ISOC progressif. En d’autres termes, plus une entreprise fait un résultat élevé grâce à une mise de capitaux à risque réduite, plus elle devrait payer d’impôts. Cela reviendrait à ce que pour un résultat imposable donné, une entreprise qui possède peu de capi-taux propres soit plus taxée qu’une entreprise qui a moins de capi-taux propres. En d’autres termes, un ISOC progressif sur le résultat

500_VEILDAR.indd 121 30/01/13 13:31

Page 120: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique122

anthemis

reviendrait au même qu’un ISOC dégressif sur le montant des capitaux propres.

Est-ce le résultat recherché ?

L’Écho, blog, novembre 2012

Adapter les notionnels et l’impôt des sociétés

La fiscalité à l’impôt des sociétés fait l’objet de multiples débats, tant de nature technique qu’idéologique. En particulier, la déduction des intérêts notionnels a suscité d’intenses critiques portant sur son impact insuffisant sur l’économie productive belge.

Quand on résume ces critiques, on en discerne trois, dont deux sont fondées. La première critique, qui me semble justifiée, mais assumée dès la mise en œuvre de la mesure, fut l’effet d’aubaine qu’elle suscita. En effet, l’ensemble des capitaux propres bénéficia de la mesure, sans que la déduction des intérêts notionnels ne soit confinée aux apports de capitaux propres frais (ce qui était le cas pour les actions A.F.V. des années 1980). Le second débat porte sur des structures singulières dont de grands groupes auraient profité. Cette critique n’est fondée que pour partie : sans déduction des intérêts notionnels, ces montages n’au-raient pas pu être, pour la plupart, construits. Les intérêts notionnels n’ont pas entraîné de déperditions fiscales, mais plutôt des manques à gagner qui, sans cette disposition, n’auraient, de toute manière, pas été encaissés. On peut même supputer que le perdant de ces montages fut moins l’État belge que des pouvoirs taxateurs étrangers. La dernière critique porte sur l’absence de relation avec le niveau d’emploi dans les entreprises. Ce reproche est infondé : la fiscalité du travail et du capital répondent à des stimulants différents. Une chimie d’incitant au capital et de coercition en matière d’emploi est vouée à l’échec. Tous les éco-nomistes et les fiscalistes savent cela.

Au mois de septembre, nous avions défendu dans les colonnes de L’Écho l’idée d’une modulation de cette déduction des intérêts notion-nels afin d’épouser de manière plus harmonieuse le renversement de la conjoncture économique.

500_VEILDAR.indd 122 30/01/13 13:31

Page 121: Brunot colmant 3

gestion fiscale et comptable 123

anthemis

En effet, les intérêts notionnels ont été mis en œuvre en période de croissance et de déploiement de l’économie afin de renforcer la solva-bilité des entreprises. Il s’agissait donc de raffermir les moyens de finan-cement des entreprises, c’est-à-dire leur passif. Aujourd’hui, la récession est profonde et la nécessité de besoins de financement des entreprises s’est réduite : la demande de capital est faible, les projets d’investisse-ments peu nombreux et surtout, les taux d’intérêt sont historiquement bas. Cette réalité est tellement frappante que la déduction des intérêts notionnels s’effectue à un taux de 3 % alors que le taux d’emprunt à dix ans de l’État belge y est devenu inférieur.

L’économie est d’ailleurs probablement immergée dans ce que Keynes appelait le piège de la liquidité, c’est-à-dire une circonstance au sein de laquelle la monnaie est conservée sous forme d’encaisses plutôt qu’utilisée dans des projets d’investissement ou de consommation.

La réalité est désormais incontournable : ce n’est donc plus le passif des entreprises, mais bien l’actif, qui doit faire l’objet de stimulations fiscales. Une réflexion conceptuelle doit être déployée pour adapter le système des intérêts notionnels. Nous voyons plusieurs pistes.

Une première piste consisterait à maintenir les intérêts notion-nels pour les P.M.E., mais avec un taux de déduction augmenté. En effet, l’accès au crédit bancaire reste délicat pour les P.M.E., même s’il est avéré qu’il n’y a pas d’effondrement de l’offre de crédit (ce qu’on appelle un credit crunch). On pourrait imaginer que la déduction soit portée à 4, voire 5 % (plutôt que 0,5 %). Ce taux pourrait être favo-rablement modulé pour certains secteurs innovateurs (énergie verte, recherche et développement, etc.)

Une deuxième idée consisterait à réduire le taux des intérêts notionnels pour les grandes entreprises afin de refléter le contexte des taux en vigueur sur les marchés internationaux. On pourrait imagi-ner une déduction des intérêts notionnels à 2 % plutôt que 3 %. La question est de savoir si l’État belge doit permettre une déduction fiscale qui intègre son propre risque de crédit (c’est-à-dire le spread qu’on constate sur les O.L.O. par rapport au Bund). À mon intuition, la réponse à cette question, qui ne se posait pas pendant les premières années de l’euro, est négative.

500_VEILDAR.indd 123 30/01/13 13:31

Page 122: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique124

anthemis

Concomitamment à ces deux pistes, il serait concevable de limiter le bénéfice des intérêts notionnels à l’autofinancement des entreprises, c’est-à-dire à la quote-part du résultat qui est conservée au sein de l’entreprise plutôt que distribuée sous forme de dividendes. Cela per-mettrait de lier le bénéfice de la mesure fiscale à l’accroissement de la capitalisation des entreprises. C’était incidemment une modalité qui existait dans la première mouture des textes législatifs en 2005, avant qu’elle n’en disparaisse pour des motifs obscurs.

Enfin, on pourrait imaginer que la déduction des intérêts notionnels devienne facultative, et qu’il soit autorisé d’y renoncer au profit d’une déduction des nouveaux investissements. L’idée consisterait à mettre en place un système d’amortissement accéléré pour les immobilisations corporelles neuves. Différentes modalités pourraient être envisagées, tel que ce fut le cas lors de la fin des années 1970, au moment où l’écono-mie industrielle s’essoufflait. La mesure peut être modulée de différentes manières : amortissements anticipés des immobilisations, dotations basées sur leur prix de remplacement, etc. On pourrait aussi imaginer que la déductibilité des amortissements porte sur plus que 100 % de la valeur de celles-ci, afin de protéger la reconstitution du capital écornée par l’infla-tion. Il s’agit donc d’anticiper la déduction d’amortissements, pour autant que la base taxable des entreprises soit suffisante. Cette mesure ne coûte à l’État que le financement de l’impôt, dont l’enrôlement est retardé dans le temps. La mesure est donc un simple renvoi temporel d’imposition.

En conclusion de ces quelques lignes, il nous semble important de repenser un système qui a fait ses preuves dans un certain contexte économique, mais qui s’avère moins efficace, voire moins pertinent, dans le climat récessionnaire que nous traversons.

Il faut conserver la déduction des intérêts notionnels, mais restituer trois réalités, à savoir qu’il faut favoriser les P.M.E., stimuler la rétention des résultats plutôt que les dividendes, et inciter les entreprises à effectuer des investissements productifs. En termes de géométrie comptable, il s’agit d’un glissement de la stimulation fiscale du passif vers l’actif bilantaire.

L’expérience a déjà été menée avec succès : lors de la mise en œuvre de l’ancêtre des intérêts notionnels, c’est-à-dire les actions A.F.V. émises en 1982 et  1983, des conditions en matière d’investissement étaient attachées aux avantages fiscaux. Ces mesures avaient conduit à une

500_VEILDAR.indd 124 30/01/13 13:31

Page 123: Brunot colmant 3

gestion fiscale et comptable 125

anthemis

recapitalisation des entreprises de plus de 300 milliards de francs belges (soit 8 milliards d’euros) avec un impact favorable pour l’emploi. Les pistes que nous esquissons s’inscrivent dans cette logique et surtout dans le besoin de réindustrialisation du pays, invoqué avec insistance depuis l’effritement de l’emploi manufacturier de ces dernières années.

L’Écho, décembre 2012

Tous comptes faits…

Ce qui m’inquiète le plus dans la gestion des affaires de l’État, c’est que contrairement à une entreprise, il n’existe pas de budget à long terme.

La comptabilité de l’État s’articule sur une base d’encaissements et de décaissements, sans mention des engagements à long terme, comme les pensions, ou de prévisions de recettes comme les impôts.

Bien sûr, on argumentera que les engagements positifs ou néga-tifs pour l’État sont modifiables au gré des accords politiques, mais il n’empêche : il serait intéressant de savoir à quel rythme, selon différents scénarios, la dette publique pourra être remboursée.

Le vrai problème est là, car dans ce domaine, il serait moralement correct que nous sachions à quel rythme les futures générations seront contraintes (si elles l’acceptent) de rembourser notre dette collective ou de financer nos pensions.

Cela permettra de voir qui, lorsque les comptes se solderont, aura financé notre État-providence.

Et de nous responsabiliser.

L’Écho, blog, novembre 2012

La taxation des plus-values, à nouveau…

Depuis que l’idée d’une taxation des plus-values mobilières à court terme a été formulée, la réflexion fiscale prend une nouvelle dimen-sion. En effet, il s’agit d’un impôt sur le capital. Ce serait incongru : la taxation des plus-values existe essentiellement dans les pays où les

500_VEILDAR.indd 125 30/01/13 13:31

Page 124: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique126

anthemis

impôts directs sont plus faibles, ce qui n’est justement pas le cas de la Belgique qui ne taxe que les revenus et, seulement très exceptionnel-lement, les plus-values.

Qu’en penser ? L’impôt sur le capital se justifie, d’un point de vue macroéconomique, dans des circonstances particulières, telles des guerres. À partir du moment où l’État s’est endetté et qu’une quote-part de cet endettement se situe dans des accumulations de biens par des particuliers, on peut aussi concevoir que l’État veuille rembourser sa dette en capturant une partie du patrimoine de ces mêmes par-ticuliers. Certains en déduisent alors qu’il faut taxer les plus-values mobilières.

Ce serait pourtant une décision très lourde de conséquences. Pour le comprendre, il faut rappeler le fondement du régime d’exonération des plus-values sur actions. La taxation des résultats d’une entreprise est fondée sur deux faits générateurs. Le premier, qui donne lieu à l’impôt des sociétés, est la constatation d’un accroissement, par les résultats de l’entreprise, de son patrimoine, par essence collectif. Le second fait générateur, qui entraîne la soumission à l’impôt des personnes phy-siques, est fondé sur la sortie d’un patrimoine collectif (celui de l’entre-prise) vers un patrimoine individuel (celui de l’actionnaire) sous forme de dividendes.

Par contre, une cession d’action, assortie de la constatation d’une plus-value, n’altère pas le patrimoine collectif, mais transfère une frac-tion de sa propriété vers un autre actionnaire. En termes fiscaux, l’exo-nération des plus-values n’efface pas une matière imposable, mais la déplace latéralement, de manière intacte, vers un autre contribuable. Une taxation de la plus-value est donc discutable, puisqu’elle affecte un flux, sans que ce dernier crée un accroissement de richesse. Elle ressortit aux mêmes billevesées que la taxe Tobin.

La taxation des plus-values serait un impôt additionnel sur le revenu, puisqu’elle taxerait le simple déplacement de propriété d’une action. Elle reviendrait pour l’État, à encaisser, un impôt sur les dividendes futurs. En effet, la valeur d’une action est exactement égale à la valeur actuali-sée de ses dividendes futurs. La question consiste à savoir quelle section de temps un impôt doit frapper : une chronologie de revenus passés

500_VEILDAR.indd 126 30/01/13 13:31

Page 125: Brunot colmant 3

gestion fiscale et comptable 127

anthemis

(dividendes) ou l’anticipation de revenus futurs (plus-values). Jusqu’à ce jour, l’État taxait les revenus passés. Une taxation des plus-values fiscali-serait les revenus passés et futurs. C’est une hérésie scientifique.

Illustrons ceci par un exemple extrêmement simplifié (à rendement du capital constant) : un investisseur A achète une action qui vaut 100 et produit un dividende brut de 10, soumis au précompte mobilier de 2,5 (c’est-à-dire au taux de 25 %). Après quelques années, le dividende de l’action passe à 20 et, concomitamment, la valeur du titre passe à 200, comme si le potentiel bénéficiaire de l’entreprise doublait instan-tanément. L’investisseur A vend alors l’action à l’investisseur B. Il réa-lise une plus-value de 100. Celle-ci n’est pas imposée, mais elle le sera indirectement dans le chef du contribuable B. En effet, les dividendes de l’action seront soumis à un précompte qui s’établira à 5, c’est-à-dire 25 % d’un dividende qui s’établit désormais à 20. Si la plus-value de 100 réalisée par l’investisseur A était taxée, cette taxation conduirait à taxer anticipativement des dividendes qui le seront ultérieurement dans le chef de l’investisseur B.

Par ailleurs, la charge fiscale qui affecte un dividende s’élève, à l’heure actuelle, à 34 % (impôt des sociétés) plus 25 % du montant dis-ponible, soit 50 %. Ce taux de taxation est comparable, au taux margi-nal, à celui des revenus professionnels. Ce n’est pas une coïncidence. En effet, l’impôt des sociétés, cumulé à la retenue du précompte mobilier sur les dividendes, doit conduire à un taux d’imposition global proche du niveau de taxation des revenus d’un indépendant. Il s’impose, en effet, de conserver une neutralité entre une activité d’indépendant, exercée par une personne physique, et sa localisation dans une société.

On le voit : une taxation des plus-values pénaliserait donc le capi-tal à risque, diminuerait la circulation de l’épargne et découragerait l’investissement. Une telle démarche obligerait aussi à revoir la fiscalité de tous les produits d’épargne, tant bancaires que d’assurances, dont les modalités révèlent de subtils équilibres superposés. De plus, un tel impôt taxerait l’inflation, c’est-à-dire la préservation élémentaire du pouvoir d’achat.

L’Écho, blog, novembre 2012

500_VEILDAR.indd 127 30/01/13 13:31

Page 126: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique128

anthemis

Une idée fiscale accessoire

Une des idées débattues à la table des négociations budgétaires est l’instauration d’un impôt des sociétés minimum correspondant aux paiements de dividendes.

À première vue, l’idée est étrange : pourquoi lier l’affectation du résultat d’une entreprise à la ponction fiscale qui y est attachée ?

Mais à y réfléchir, il y a peut-être une logique qui sous-tend cette association et un concept focal, à savoir les intérêts notionnels.

En effet, la déduction des intérêts notionnels est attribuée indépen-damment de l’affectation du résultat de l’entreprise, à savoir qu’il soit mis en réserve ou distribué.

On pourrait donc imaginer qu’au lieu d’imposer un impôt mini-mum qui frapperait les dividendes (ce qui romprait tout l’équilibre de la fiscalité), les intérêts notionnels ne soient attribués que pour la quote-part du résultat de l’entreprise mise en réserve.

En effet, un simple impôt minimum briserait l’architecture fiscale belge, tandis qu’une altération marginale des intérêts notionnels n’en-traînerait pas de rupture logique.

On pourrait imaginer que, pour de multiples raisons techniques, l’absence de déduction d’intérêts notionnels ne soit appliquée qu’aux dividendes versés à des personnes physiques.

Cette solution n’est pas idéale, notamment dans les groupes d’entre-prises, mais elle est un substitut à la plus grande lacune de notre impôt des sociétés : l’absence de consolidation fiscale, pourtant mille fois mise sur l’ouvrage, mais qui n’a pas trouvé de relais politiques suffisants.

L’Écho, blog, novembre 2012

L’inflation sera notre dévaluation interne

Quel est le point commun entre les taux d’intérêt réels négatifs associés aux comptes bancaires, les débats politiques sur l’indexation des salaires, les sauts éventuels d’index (car le débat est loin d’être clos) et les modalités de calcul de l’indice des prix à la consommation ?

500_VEILDAR.indd 128 30/01/13 13:31

Page 127: Brunot colmant 3

gestion fiscale et comptable 129

anthemis

L’inflation.Jour après jour se dessine la certitude que l’endettement excessif

de nos économies trouvera sa solution partielle dans la déperdition de pouvoir d’achat de la monnaie (affectant tant l’épargne que le travail).

Il n’y a plus que les économistes aveugles qui réfutent cette évidence.Est-ce un mal ?Non, c’est un moindre mal.L’endettement de nos communautés doit trouver une solution, et

c’est l’ajustement monétaire qui s’impose. L’inflation permet une déva-luation interne, c’est-à-dire un appauvrissement de la population afin de rééquilibrer favorablement le déficit et l’endettement public, ainsi que la compétitivité des entreprises.

Bien sûr, cette réalité doit être accommodée par des discours apai-sants, car l’inflation ne peut pas être énoncée comme une orientation politique délibérée. En revanche, ce qui est acceptable, c’est d’admettre une moindre protection contre l’inflation, car les mesures d’aujourd’hui ne déploient leurs effets qu’au cours des années suivantes.

Dès maintenant, le vrai débat politique porte sur le partage de l’éro-sion du pouvoir d’achat entre les épargnants et les travailleurs. C’est ainsi que – de manière simpliste – une taxation des plus-values ou un impôt sur le capital ampute la protection des épargnants, tandis qu’un saut d’index ou une modification des paramètres de calcul de l’index s’effectue au détriment des travailleurs.

Une illustration de la complexité de ce débat concerne les hésita-tions du gouvernement lors du conclave budgétaire. Il ne faudrait pas assimiler à de la pusillanimité les nombreuses pistes imaginées, puis écartées. Il est très sain qu’une recension des différentes orientations fiscales soit effectuée.

L’Écho, blog, novembre 2012

500_VEILDAR.indd 129 30/01/13 13:31

Page 128: Brunot colmant 3

500_VEILDAR.indd 130 30/01/13 13:31

Page 129: Brunot colmant 3

131

anthemis

Prospectives diverses

Les choristes du marxisme

Depuis la polémique lancée par Luc Bertrand, il faut s’interroger : et si, sans caricature, mais discernement, nos économies évoluaient vrai-ment vers un ersatz de marxisme ? Cette question paraîtra imperti-nente et maladroite. Elle mérite pourtant d’être posée.

Bien sûr, encore faut-il savoir ce que l’on entend par marxisme. Malgré les « Internationales » religieusement chantées dans certains congrès politiques, peu de ses choristes ont lu Marx et l’ont encore moins compris.

Or Marx est un extraordinaire théoricien de l’économie. Mieux que Smith et Keynes, Marx a décodé les théories du capital et de la monnaie avec une lucidité qui laisse pantois. C’est même une lecture pour tout économiste qui se respecte.

Dès lors qu’on confine Marx à son rôle, à savoir celui de théoricien, la question est de savoir si nos communautés ne glissent pas inéluc-tablement vers une collectivisation, voire une nationalisation latente généralisée.

Au fur et à mesure que nos économies discernent les effets de la crise économique, c’est un scénario de stagflation (c’est-à-dire de sta-gnation de la demande intérieure et d’inflation) qui semble se dessiner. En temps normaux, il est possible d’échapper à la stagflation par une politique de déficit public. Malheureusement, ce n’est plus possible : jamais, sauf en période de guerre totale, la dette des pays développés n’a été aussi élevée.

Ce n’est pas la crise bancaire qui fait exploser les dettes publiques, mais bien les déficits courants des États, eux-mêmes activés par les stabilisateurs économiques. Ces stabilisateurs économiques alimentent une politique budgétaire contre-cyclique : en période de récession, les recettes fiscales diminuent, tandis que les transferts sociaux augmen-

500_VEILDAR.indd 131 30/01/13 13:31

Page 130: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique132

anthemis

tent. Ce ne sont pas non plus les marchés financiers qui ont créé la dette publique, mais nos gouvernements qui ont capturé, au travers de l’endettement, la croissance et la démographie des prochaines généra-tions. Les États ont profité de la financiarisation de l’économie, grâce à laquelle ils ont trouvé des créanciers complaisants.

L’inflation suscitée par la création monétaire sera la manière que les États choisiront pour se soustraire aux marchés. L’inflation n’est pas un choix économique idéal, mais elle sera un scénario résigné, destiné à éviter de trop fortes tensions sociales. En effet, l’ordre social n’a pas de prix : il passe toujours avant l’ordre monétaire.

La Belgique n’échappe pas à cette réalité, avec une dette publique démesurée (bientôt aggravée par le coût du vieillissement de la popu-lation) et son corollaire de coût du travail excessif. Pendant des années, nous avons construit un système d’État-providence qui a empêtré les finances publiques et la fiscalité du travail dans un inextricable mélange de pseudo-assurance collective. La compétitivité du pays en est affectée.

Par ailleurs, l’impôt et l’inflation sont deux moyens de renationa-liser la dette publique. Ceci nous amène à une intuition plus globale : une dette publique excessive n’est-elle pas la négation de l’économie de marché et de la propriété privée des moyens de production ? La dette, remboursée par l’impôt et l’inflation, fait, en effet, planer un risque de confiscation sur les revenus du travail et du capital. Dès lors, une dette publique outrancière s’assimile, pour partie, à une nationali-sation pernicieuse de toute l’économie.

La logique de création monétaire abusive à laquelle nous assistons constitue peut-être le ferment de cette nationalisation dérobée. En effet, les États ont recapturé la création monétaire afin de financer leurs dettes, au risque de dévaloriser la monnaie et de mettre en péril la pérennité de l’étalon monétaire. Si cette orientation était confirmée, cela signifie que la dette publique et la création monétaire convergent vers une expropriation partielle de l’économie privée.

Le problème de l’endettement public, c’est qu’il confisque le débat démocratique. La dette est, en effet, une hypothèque sur la prospé-rité des générations futures, ce qui constitue un incontestable déni de démocratie.

500_VEILDAR.indd 132 30/01/13 13:31

Page 131: Brunot colmant 3

prospectives diverses 133

anthemis

Nos communautés européennes seront donc immanquablement confrontées à de robustes débats idéologiques qu’une conjoncture bienveillante avait permis de camoufler depuis trente ans.

Les prochaines années seront affectées d’une tension croissante entre le capitalisme individuel et des forces collectivistes caractérisées par une répression financière, fiscale et inflationniste. Ces frictions seront accentuées par des tensions sociales, elles-mêmes alimentées par des dislocations générationnelles, qu’on constate déjà dans de nombreux pays. Car, dans tous les scénarios envisagés, la jeunesse est sacrifiée, ne pouvant pas accepter l’héritage de la dette publique sous bénéfice d’inventaire.

La vraie question centrale sera désormais de savoir quelle majorité ou quelle génération va imposer sa loi à quelle minorité ? Qui sera le garant de la propriété privée ? Comment les marchés vont-ils com-poser avec les pouvoirs souverains ? Le chemin sera sinueux entre le libéralisme de l’économie de marché et le socialisme redistributif, mais l’instant de vérité de notre modèle social est proche. À un moment, il faudra se débarrasser des vieux réflexes idéologiques des années 1970 et admettre que la compétitivité de notre économie passera par l’accepta-tion d’un modèle d’économie de marché.

L’Écho, blog, octobre 2012

Les lendemains qui déchantent

Lorsqu’on voit les images des manifestations de la jeunesse en Grèce et en Espagne, dans des pays matraqués par l’austérité, le retour à l’équilibre budgétaire, l’absence de croissance et un chômage qui atteint des niveaux comparables à ceux de la grande dépression, force est de s’interroger.

D’aucuns argumenteront que ces ajustements économiques sont des épiphénomènes typiques des crises qui opposent une jeunesse en désarroi à un ordre économique qu’elle conteste.

D’autres invoqueront les injustices sociales au travers de filtres idéo-logiques plus ou moins objectifs.

500_VEILDAR.indd 133 30/01/13 13:31

Page 132: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique134

anthemis

Mais un élément reste en suspens : est-ce que l’euro n’est pas res-ponsable, pour partie, de cette situation, qui conduit à imposer une monnaie trop forte à des pays faibles ? Au-delà du fait que ces mêmes pays faibles ont profité d’un effet d’aubaine de taux d’intérêt bas et d’une monnaie stable, sans ajuster leurs économies et transmuter leur modèle social, l’euro est aujourd’hui une contrainte qui est incompré-hensible pour une jeunesse sacrifiée, dont les parents ont bénéficié des dévaluations successives de leur devise domestique, en vigueur avant l’euro.

Cette situation va placer ces économies faibles dans un terrible bouillonnement social : faute de croissance et de déficit budgétaire, c’est le partage interne des revenus et patrimoines qui va faire l’objet de tensions très fortes, voire violentes.

L’euro confronte les populations à elles-mêmes, dans un déchire-ment qui risque d’être générationnel.

Qu’il est loin le temps où l’euro était fêté comme le premier des jours qui allaient chanter.

C’est Mario Monti qui a raison : le risque des populismes et des tensions sociales est très sérieux.

Cet homme est un sage. Il doit être écouté, car je reste convaincu que certains ne prennent pas la mesure des réalités sociales futures.

L’Écho, blog, octobre 2012

Un capitalisme de coopération

Souvent, au-delà des vicissitudes du temps qui court, je me demande quelle est l’organisation optimale d’un monde caractérisé par la globali-sation des échanges et la fluidité des idées, des capitaux et des hommes.

Normalement, cet état d’interdépendance devrait équilibrer le monde vers une succession de déséquilibres vertueux, car il appartient à tout le monde et à personne. Dans ce monde, l’articulation politique devrait théoriquement muter vers un état de partage afin d’atteindre un optimum de bien-être.

500_VEILDAR.indd 134 30/01/13 13:31

Page 133: Brunot colmant 3

prospectives diverses 135

anthemis

Bien sûr, il ne faut pas faire preuve de naïveté. En effet, la conver-gence vers un modèle de marché stimule les comportements préda-teurs. Peut-être est-il même possible que la globalisation – parce qu’elle est unificatrice et essentiellement centrée sur des attributs mercantiles – exacerbe les différences supérieures à l’enrichissement comme les appartenances raciales, religieuses et culturelles et que ces dernières constituent des ferments de frictions.

Pourtant, ces nouvelles réalités font converger le monde vers un capitalisme de « coopération concurrente ou de concurrence coopé-rative », c’est-à-dire un mode d’organisation par réseaux entrecroisés dont la fluidité et le caractère éphémère stimulent la créativité. Géo-métriquement, nous passons peut-être d’une économie de stocks à une économie de flux, ou plutôt d’un système d’accumulation verticale à un mode d’échange horizontal.

Nos communautés continueront à traverser un profond change-ment de modèle, touchant à la trame de nos valeurs collectives. Car, au-delà de l’adoption du modèle, un fait s’impose, au même rythme que la disparition des référentiels supérieurs : ce sera la confiance en l’individu et donc sa responsabilisation au titre d’acteur de la communauté qui devra prévaloir. Ceci ramène à un des grands défis de nos communau-tés occidentales : la répartition des richesses, c’est-à-dire l’alignement des intérêts privés et des bénéfices sociaux.

L’Écho, blog, juillet 2012

À New York, la terre vibre à nouveau

Un court séjour aux États-Unis confirme l’intuition donnée par les statistiques économiques : l’Amérique est sur le chemin de la crois-sance. À New York et Washington, la terre vibre.

Mes activités professionnelles me conduisent très souvent outre-Atlantique, mais c’est la première fois que j’y ai retrouvé l’optimisme que j’avais connu lorsque j’obtenais mon MBA, il y vingt-cinq ans, et qui est une expérience transformationnelle pour tous les Européens qui ont suivi ce chemin.

500_VEILDAR.indd 135 30/01/13 13:31

Page 134: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique136

anthemis

Il y a six ans, cette économie était frappée par un choc immobilier et l’éclatement d’une bulle de crédit dont les répliques sismiques ont fait tomber les banques européennes et révélé la fragilité des États et de notre monnaie commune.

Aujourd’hui, à coups d’injections monétaires, l’économie se remet au travail, faisant décroître le taux de chômage, alors que l’Europe s’en-lise dans la contraction, l’austérité et la dépression.

Bien sûr, les jours heureux de la première décennie du millénaire sont loin : les fluences de l’esprit entrepreneurial sont conditionnées par la confiance cyclothymique des consommateurs.

Pourtant, en arpentant les rues, on ressent à nouveau cette rési-lience économique qui est l’héritière de l’esprit pionnier et protestant. Entraînée par le déferlement technologique, l’économie vibrionne, promouvant l’étude, la recherche et le développement.

À la lecture de la presse américaine, on réalise que l’élection prési-dentielle de novembre formulera un choix idéologique d’une enverge comparable à celle de l’élection de 1980. Le programme républicain est reaganien, tandis que les démocrates ont de la peine à établir le bien-fondé (pourtant incontestable) de la politique socioéconomique d’Obama.

Dans tous les cas de figure, les Américains n’auront aucun scrupule à faire tourner la planche à billets pour continuer à relancer leur éco-nomie. Dans quelques années, ils seront autosuffisants d’un point de vue énergétique et désengagés des conflits militaires extérieurs. L’éco-nomie et le bien-être seront leur seule préoccupation dans le cadre d’une intégration réussie de l’immigration. D’ailleurs, la compassion superficielle qu’ils montrent pour le problème de l’euro n’est que le reflet de l’embarras que crée l’ancien continent pour un redéploiement global de l’économie, puisqu’à leurs yeux, l’Europe n’est plus un acteur important.

En un mot comme en cent, l’économie américaine est sur le chemin de la croissance.

Vu d’Europe, on ne comprend pas assez que les États-Unis puisent leur énergie dans l’effort, le travail, la formation universitaire, l’entre-preneuriat, la prise de risque, même si le confort matériel ne constitue

500_VEILDAR.indd 136 30/01/13 13:31

Page 135: Brunot colmant 3

prospectives diverses 137

anthemis

pas un destin. On ne comprend pas assez que nos États-providence sont sans doute plutôt un héritage du XIXe siècle qu’un contexte adapté au troisième millénaire.

Bien sûr, le modèle américain n’est pas parfait, loin de là. Il est prédateur. Les injustices sont criantes et inacceptables pour un esprit humaniste. Mais ce n’est pas une raison pour le rejeter en bloc. Ceux qui ont la critique facile doivent se rappeler qu’il n’y a pas de crois-sance économique européenne sans croissance américaine et que le modèle européen est en train de s’échouer dans un chômage largement supérieur à celui des États-Unis.

C’est de New York qu’on comprend que les États-Unis sont encore le prolongement anthropologique de l’Europe, mais en sont en même temps la complète négation.

C’est aux États-Unis qu’on réalise combien l’Europe, procrastinée monétairement et politiquement, a scandaleusement gaspillé sa jeu-nesse et humilié ses élites, notamment académiques, au lieu de les pro-mouvoir. Elle a aussi dénaturé la vocation de la fonction publique.

L’Écho, blog, août 2012

Modération salariale ou réindustrialisation ?

La crise économique fait ressurgir le débat de l’indexation auto-matique des salaires. Ce dernier est complexe et mutant, car il ne peut pas être dissocié du contexte économique dans lequel notre économie évolue. Salutaire à certaines périodes et toxiques à d’autres, l’indexation est une problématique qui ne sera jamais stabilisée.

Pour comprendre la controverse, il faut rappeler que l’indexation répond à un besoin légitime d’adaptation des contrats de travail à l’évo-lution des prix à la consommation. Il ne s’agit de rien d’autre que d’un maintien du pouvoir d’achat, sans lequel un salarié ou un ouvrier subirait une déperdition de la contrepartie de son apport de travail. Dans notre pays, caractérisé par un encadrement collectif des relations de travail, l’indexation est souvent automatique, c’est-à-dire qu’elle est mécaniquement déclenchée par des paramètres qui sont objectivés.

500_VEILDAR.indd 137 30/01/13 13:31

Page 136: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique138

anthemis

La revendication syndicale d’un maintien de l’indexation est com-préhensible. En effet, l’augmentation des prix est indépendante d’une relation de travail.

En ces temps de création monétaire, il ne serait pas équitable qu’un travailleur subisse les conséquences d’une politique monétaire expan-sionniste décidée à Francfort et destinée à faciliter le financement des dettes souveraines des pays du sud de l’Europe. Par ailleurs, nos écono-mies subissent une contraction de la demande intérieure que l’indexa-tion contribue à combattre utilement. Enfin, l’indexation des salaires est effectuée sur une base probablement sous-évaluée, alors que les rotatives à billets des banques centrales tournent à plein régime, laissant anticiper une inflation croissante.

De surcroît, les syndicats associent l’indexation automatique à un outil de solidarité sociale. En effet, le financement de la parafiscalité (sécurité sociale, etc.) est fondé sur un principe assurantiel. Celui-ci conduit à ce que les cotisations de chacun soient proportionnelles aux revenus indexés, c’est-à-dire à la capacité contributive des travailleurs. C’est ainsi que, de manière paradoxale et contre-intuitive, les syndicats s’opposent à plafonner l’indexation, au motif que cela conduirait à réduire les cotisations sociales des travailleurs les plus aisés, alors que l’indexation du salaire de ces mêmes personnes excède l’augmentation des sommes consacrées aux biens de première nécessité.

L’exigence patronale d’un débat de fond sur l’indexation est, quant à elle, parfaitement fondée.

En effet, l’automaticité de l’indexation nuit à la compétitivité des entreprises qui voient, au travers de ce mécanisme, leurs coûts de revient augmenter sans pouvoir les transférer au consommateur final, belge ou étranger. Cette réalité est d’autant plus grave que notre éco-nomie évolue dans un contexte de stagflation, c’est-à-dire une mau-vaise chimie d’inflation et de récession.

Dans ce contexte de stagflation, l’indexation automatique est d’au-tant plus funeste que la récession contracte l’activité économique, ren-dant impossible pour les entreprises le transfert de l’indexation automa-tique de salaires sur leur prix de vente. La Belgique importe et exporte près des deux tiers de son P.N.B. : l’inflation frappe donc doublement

500_VEILDAR.indd 138 30/01/13 13:31

Page 137: Brunot colmant 3

prospectives diverses 139

anthemis

les entreprises, au travers du renchérissement du coût des biens impor-tés et d’une extrême exposition à la concurrence internationale dans des exportations qui sont, trop souvent, des biens trop peu sophistiqués. Cela conduit à une incontestable perte internationale de compétitivité.

Mais il y a autre chose : le problème de l’indexation des salaires est trop souvent confondu avec le débat du partage des gains de produc-tivité. La productivité est une mesure de la valeur ajoutée du travail et du capital dans la production des biens et services.

La productivité a indéniablement augmenté ces dernières années grâce, notamment, au développement de l’échange d’information et des progrès technologiques. La question est de savoir à qui reviennent ces gains de productivité, car ils sont conjointement engendrés par la capitalisation des entreprises et les performances des travailleurs.

Ces dernières années, il semble qu’en Belgique, la hausse des salaires ait été supérieure aux gains de productivité. En d’autres termes, la valeur ajoutée relative croissante des entreprises a été capturée par l’adaptation grandissante des salaires, alors qu’elle aurait dû être partagée entre les différents intervenants à la vie de l’entreprise : apporteurs de capitaux, travailleurs, mais aussi clients et fournisseurs.

La comparaison avec l’économie allemande – qu’on peut difficile-ment qualifier d’échec industriel – est frappante. Dans ce pays, le gou-vernement social-démocrate de Gerhard Schröder (1998-2005) avait mis en œuvre une modération salariale qui conduisit à conserver les gains de productivité dans les entreprises afin d’améliorer leur posi-tion concurrentielle. L’Allemagne récolte aujourd’hui les fruits de cette politique mise en œuvre pendant les années de croissance conjonc-turelle. En Belgique, par contre, l’augmentation stupéfiante des coûts salariaux est devenue un handicap majeur qu’on ne peut plus, comme par le passé, compenser par une dévaluation de la monnaie. Notre pays subit donc de plein fouet ce que les économistes appellent une dété-rioration des termes de l’échange, c’est-à-dire de son pouvoir d’achat international.

Il y a donc deux débats à examiner conjointement : celui de l’in-dexation automatique des salaires et celui du partage des gains de pro-ductivité. Ces deux éléments ne peuvent pas être escamotés, car un

500_VEILDAR.indd 139 30/01/13 13:31

Page 138: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique140

anthemis

problème générationnel est tapi dans leur angle mort. En effet, si le coût du travail est trop important en Belgique, notre force productive sera progressivement escamotée par des délocalisations d’entreprises ou une immigration de travailleurs payés selon des normes allemandes. Au travers d’un refus du débat sur l’indexation, c’est donc l’avenir qu’on sacrifierait au profit du bien-être immédiat.

En juin de cette année, la Banque nationale a procédé à un examen préliminaire des pistes de modifications de l’indexation. De cette rigou-reuse étude, deux pistes intéressantes émergent, à savoir une indexation qui serait basée sur une valeur fixe (par exemple, 2 %) et une indexa-tion qui serait plafonnée afin de répondre à son véritable objet social de protection des bas salaires. Il s’agirait donc d’éviter que les hauts salaires épargnent l’indexation, dans la mesure où elle est supérieure à l’augmentation des prix. Concrètement, une indexation de 2 % sur un salaire mensuel de 2.000 ou de 7.500 EUR conduit à 40 ou 150 EUR, c’est-à-dire trop peu ou trop pour couvrir l’ajustement des prix de première nécessité. Cette piste avait été évoquée par l’ancien gouver-neur socialiste de la Banque nationale, Guy Quaden. Elle devrait donc pouvoir rassembler un consensus.

On l’a compris : la modulation de l’indexation des salaires est cru-ciale, surtout en cette période de stagflation. Il faut articuler la poli-tique salariale entre la récession et les pressions inflationnistes. Le sou-tien de la consommation intérieure par une certaine indexation est indispensable. Mais une adaptation du système, pourtant recommandée par le F.M.I. et l’O.C.D.E., conduirait immanquablement à une érosion de la position concurrentielle de notre pays, déjà en plongée constante.

Sous cet angle, imaginer qu’on puisse réindustrialiser notre écono-mie avec des coûts salariaux 30 % plus élevés qu’en Allemagne, notre principal partenaire commercial, relève d’une coupable naïveté, voire d’un grossier mensonge. Il faudra donc faire un choix entre une poli-tique industrielle compétitive et la calcification d’une politique sala-riale qui devient un archaïsme au niveau mondial.

Mais il y a bien pire : dans les prochaines années, les accords inter-professionnels se régionaliseront. L’accord interprofessionnel de 2012 est probablement le dernier d’envergure véritablement nationale. Dès

500_VEILDAR.indd 140 30/01/13 13:31

Page 139: Brunot colmant 3

prospectives diverses 141

anthemis

2014, la concurrence industrielle régionale suscitera de fortes tensions. Et, à partir de 2022, le sud du pays aura beaucoup plus à perdre que le nord dans un statu quo du débat sur la compétitivité.

L’Écho, octobre 2012

Une réflexion de place pour la Bourse de Bruxelles

La Bourse de Bruxelles subit un assèchement du nombre de ses cotations et un désintérêt marqué pour son utilité sociétale. C’est un risque que j’avais subodoré lorsque j’assurais la présidence de cette ins-titution, entre 2007 et 2009. En effet, déjà à l’époque, les mêmes symp-tômes que ceux qui avaient conduit à la désertification morbide de la Bourse de Bruxelles en 1981 étaient discernables. Mon prédécesseur, Olivier Lefebvre, avait pressenti le même constat, ce qui l’avait conduit à créer Euronext et à promouvoir la fusion entre Euronext et la Bourse de New York. Il lui a été rendu insuffisamment hommage pour ces deux actes décisifs, sans lesquels la Bourse de Bruxelles aurait, depuis longtemps, été transformée en pittoresque archaïsme du Royaume.

Plusieurs solutions ont été imaginées pour relancer la Bourse, mais aucune n’est, à titre exclusif, salvatrice, puisque c’est un faisceau de mesures qui doit être envisagé.

Ceci étant, il faut s’interroger lucidement sur le fait de savoir si la Bourse de Bruxelles a un autre avenir qu’un glissement progressif vers une place de cotation accessoire, destinées à certaines entreprises locales. Les temps glorieux de la Belgique sont derrière nous, et la mondialisation a passé un coup de torchon sur les ambitions financières de notre pays.

Je suis conscient que ce type de constat est, pour partie, désabusé et pourrait être assimilé à du déclinisme, mais il existe un arrière-plan de facteurs qui sont incontestables : disparition de la cotation de grands groupes belges, étouffement du capital à risque coté sous des contraintes réglementaires, prudentielles et fiscales insupportables, développement d’une aversion au risque et de certaines postures idéologiques néfastes à l’entrepreneuriat, disparition du support des banques belges à l’ani-

500_VEILDAR.indd 141 30/01/13 13:31

Page 140: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique142

anthemis

mation de la Bourse (près de 95 % des ordres négociés sur la Bourse de Bruxelles proviennent de l’étranger), etc.

De surcroît, certains responsables politiques ont confondu la cota-tion d’une entreprise avec sa tutelle publique. C’est ainsi que la cota-tion, qui n’est qu’une modalité de négociation des titres, est assimilée à de la spéculation, qui mérite, pour des esprits raidis, un traitement punitif de ses actionnaires. On se demande, par exemple, quel achar-nement anime quelques idéologues à vouloir régenter outrancière-ment la vie des entreprises cotées, alors qu’elles ressortissent à la sphère de l’économie de marché et qu’elles sont détenues, sauf exceptions notoires (de type Belgacom) par des actionnaires privés.

Récemment, deux idées ont été soulevées pour revitaliser notre institution financière.

La première concerne la réactivation des dispositions Monory-Cooreman de 1982-1983. C’est une idée que le sénateur Cooreman et moi avions ressuscitée en janvier 2008, sans qu’elle déchaîne un enthousiasme délirant. Aujourd’hui, le CEO et le président de BNPP-Fortis la reprennent, et il faut s’en féliciter. Mais attention, la mesure des années 1980 recouvrait deux volets : des déductions fiscales à l’im-pôt des sociétés (désormais remplacées et étendues au travers des inté-rêts notionnels) et la déduction fiscale d’achat de titres à concurrence d’environ 1.000 EUR. Ce second volet est intéressant. Encore fau-dra-t-il s’assurer de sa compatibilité avec les dispositions européennes. Une idée serait de pouvoir, comme en France, déduire l’acquisition de titres de sociétés de croissance, pour autant qu’elles soient détenues à long terme. Le système des Arkimedes flamand est, à cet égard, une référence utile.

L’autre concerne la cotation d’obligations. L’idée, là aussi, est très intéressante (elle a été défendue par le secrétaire général de la F.E.B.), mais ne sera pas décisive en termes de redéploiement de Bruxelles. En effet, les obligations d’entreprises cotées sont rares et leur volume de négociation est extrêmement faible, car leurs détenteurs les gardent souvent jusqu’à maturité. Un bon exemple est la Bourse de Luxem-bourg, qui cote des dizaines de milliers de titres, mais aux volumes

500_VEILDAR.indd 142 30/01/13 13:31

Page 141: Brunot colmant 3

prospectives diverses 143

anthemis

homéopathiques. La solution unique n’est donc pas à chercher dans cette voie, pourtant pertinente.

En conclusion, il faut accepter que les temps rayonnants de la Bourse de Bruxelles soient derrière nous et qu’il faille imaginer un autre modèle d’organisation. Ce n’est pas uniquement dans la répé-tition de scénarios que l’avenir se trouve, mais dans une formulation différente de l’architecture boursière. Des pistes existent : le crowdfun-ding, la cotation de sicav, comme en Hollande, la cotation de sociétés à durée de vie limitée fondées sur le private equity, la réactivation d’une Bourse codétenue par des institutions financières locales, la scission de la Bourse en des entités distinctes, voire la création de nouvelles bourses, l’esquisse d’une bourse qui serait organisée sur internet, etc. Il s’agit donc de creuser des solutions iconoclastes et non explorées dans le cadre d’une réflexion de place qui devrait idéalement être organisée sous la direction du ministre des Finances.

L’Écho, blog, octobre 2012

Bourse de Bruxelles : une plate-forme, deux modèles

La Bourse de Bruxelles traverse des moments extrêmement péril-leux : les volumes de négoce se concentrent sur quelques grosses capi-talisations qui sont, de facto, des entreprises progressivement étrangères (GDF Suez, AB Inbev, etc.), les mises en bourse sont homéopathiques et les récentes mesures fiscales, annoncées ou invoquées, légitimement décriées par son président, Vincent van Dessel, constituent autant de nœuds coulants qui garrottent le capital à risque.

Cette situation se calque sur les profondes cicatrices de la crise de 2008 et une peur compréhensible de la prise de risque, conjuguée à un contexte politique qui, au-delà des postulats publics, est contraire à l’entrepreneuriat.

La survie de la Bourse de Bruxelles est désormais en jeu, et c’est un problème collectif majeur, car cela concerne le système financier de notre Royaume.

500_VEILDAR.indd 143 30/01/13 13:31

Page 142: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique144

anthemis

Cette situation est sans doute aussi liée au fait que la Bourse ait rejoint le secteur privé. La Bourse de Bruxelles est une entreprise cotée au travers de NYSE-Euronext.

Cette privatisation répondait à un indiscutable besoin d’investis-sements informatiques que ses actionnaires originels (les banques et compagnies d’agents de change) refusaient de faire.

C’est Olivier Lefebvre, président de la Bourse de Bruxelles à la fin des années 1990 et au début des années 2000, qui sauva son institution en mutualisant son existence dans celle d’Euronext, ce qui permit des économies d’échelle. L’apport subséquent de NYSE Euronext au déve-loppement de la Bourse de Bruxelles fut, et reste, incontestable : faute d’avoir rejoint un groupe international, la Bourse de Bruxelles serait, au-delà de la création d’Euronext, morte. La décision des dirigeants d’Euronext de rejoindre NYSE fut le second trait de vision d’Olivier Lefebvre. En effet, la survie d’une bourse est (presque) exclusivement liée à la capacité et à l’excellence opérationnelles de son système infor-matique, dont celui du NYSE est l’étalon mondial.

Mais, aujourd’hui, il convient de repenser le modèle, car la Bourse de Bruxelles est inéluctablement destinée à une marginalisation ou au confinement à une bourse locale de P.M.E. Elle n’emploie d’ailleurs plus qu’une dizaine de personnes.

Comment résoudre cette équation ?

Les solutions sont nombreuses et convergentes, notamment dans le domaine fiscal. Le CEO de BNPP-Fortis plaide – comme nous l’avions également suggéré à de nombreuses reprises – pour de nou-velles mesures Monory-Cooreman.

Mais cela ne suffira pas : il faut peut-être s’attaquer à la structure organique de la Bourse. Concrètement, une idée (mais il y en a cer-tainement d’autres) consisterait à scinder la Bourse en deux entités distinctes, caractérisées par un actionnariat différent, mais le support opérationnel commun du NYSE.

Il y aurait un marché de grandes capitalisations, essentiellement ali-menté par des ordres étrangers et regroupant les vingt plus grosses entreprises belges, avec un système de cotation continue.

500_VEILDAR.indd 144 30/01/13 13:31

Page 143: Brunot colmant 3

prospectives diverses 145

anthemis

Les autres actions seraient regroupées avec celles d’Alternext et les principales sociétés du marché libre dans une nouvelle Bourse belge, destinée aux P.M.E. et dont les banques belges seraient actionnaires. Ces banques auraient donc un incitant à mettre des sociétés en bourse, à les suivre et surtout à jouer un rôle de teneur de marché en alimen-tant des ordres pour compte de leurs clients. La cotation serait faite au fixing, une ou deux fois par jour. Cette nouvelle bourse continuerait à utiliser le système informatique de NYSE-Euronext, dont l’excellence opérationnelle est incontestable. Les plus petites sociétés, totalement illiquides, devraient faire l’objet d’un retrait de la cote par leurs action-naires de contrôle.

En résumé, le temps est peut-être venu d’imaginer le meilleur de deux mondes, à savoir une plate-forme commune, celle de NYSE Euronext, qui servirait deux bourses, une de grande valeur et une de petites valeurs, dont les banques domestiques, peut-être rejointes par d’autres institutionnels, seraient les actionnaires. Cela permettrait de conjuguer la force d’un groupe mondial avec la nécessité de stimuler l’attrait du capital à risque pour les plus petites capitalisations.

L’Écho, blog, septembre 2012

Banques et États : une fusion impure

Il existe un dénominateur commun à l’effondrement des cours des actions bancaires et à l’intervention des pouvoirs publics : il s’agit des capitaux propres des établissements de crédit.

Pour bien comprendre cette problématique, il est utile de revenir sur le financement des banques. Ces dernières font intervenir deux types de pourvoyeurs de fonds : des investisseurs (actionnaires et déten-teurs de dette subordonnée assimilée à du capital) et des déposants (ou épargnants). Ces deux catégories d’intervenants sont dans une relation asymétrique.

Les investisseurs apportent les capitaux propres. Ils sont les copro-priétaires de l’entreprise, dont ils espèrent dividendes et plus-values en cas de revente de leurs titres. Mais en contrepartie de ces espoirs de

500_VEILDAR.indd 145 30/01/13 13:31

Page 144: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique146

anthemis

rendement, ils sont les premiers à en absorber les pertes. Ce n’est que lorsque les investisseurs perdent l’intégralité de leur patrimoine que les déposants commencent à subir un impact négatif, c’est-à-dire ne récupèrent qu’une partie de leur patrimoine épargné.

Techniquement, les investisseurs supportent un risque de perte lorsque les choses tournent mal et protègent les déposants, qui ne viennent qu’en second rang, après que le capital de la banque a été entamé. C’est d’ailleurs aussi pour protéger les épargnants que les États se substituent aux actionnaires des banques en cas de perte de solvabilité.

Le capital d’une banque sert, entre autres, à absorber les pertes afin que ces dernières n’affectent pas les dépôts. Celle-ci doit donc pos-séder des capitaux propres suffisants. Leur importance est condition-née par différentes réglementations strictes (Accords de Bâle II, etc.) puisqu’ils constituent un « coussin » dont disposent les banques. Ce coussin est d’autant plus important que les défaillances de certaines grandes banques risquent d’entraîner des risques systémiques, c’est-à-dire des effets d’écroulement en cascades (ou effets domino). En effet, les banques ne sont pas des entreprises ordinaires, car elles contribuent à la création de monnaie en transformant des dépôts en crédits, qui eux-mêmes deviennent des dépôts, etc.

Au cours des prochaines années, les États et les banques entre-tiendront mutuellement leur solvabilité dans une relation impure qui confond les rôles d’actionnaire, de débiteur et de créancier. Les enga-gements bancaires et étatiques seront désormais croisés.

Mais le pire serait de développer une doctrine d’actionnariat d’État. Les autorités n’ont ni vocation, ni compétence à demeurer actionnaires des banques. Pour autant, les banques ne doivent se faire aucune illu-sion : elles seront interpellées par les États, qui ne pourront pas se passer de leur capacité de financement. Les États pourront, quant à eux, légiti-mement opposer aux banques qu’ils ont dû sauver le système bancaire et ont naturellement le droit de continuer à le contrôler.

Et ce n’est pas la fin des difficultés. Dans l’angle mort des sauvetages bancaires, un autre phénomène se dessine. Lorsque les États se déga-geront du capital des banques (ou retireront leurs garanties) – à une échéance probable de deux à cinq ans – ils céderont leurs participations

500_VEILDAR.indd 146 30/01/13 13:31

Page 145: Brunot colmant 3

prospectives diverses 147

anthemis

à des actionnaires de référence. Ces nouveaux actionnaires devront non seulement racheter les participations des États, mais aussi apporter des capitaux propres frais.

Pourquoi ? La raison est simple : les nouveaux actionnaires bénéfi-cieront d’une responsabilité limitée. Ils devront compenser la capacité théorique illimitée de financement des États. Il en résultera une dilution actionnariale supplémentaire, d’autant plus vraisemblable que les exi-gences en capitaux propres bancaires ont entre-temps été rehaussées par les Accords de Bâle III, qui exigent une augmentation du niveau et de la qualité du capital bancaire jusqu’en 2018. L’augmentation des capitaux propres aura incidemment un prix : une moindre rentabilité pour les actionnaires des banques et donc une moindre valeur intrinsèque des banques, même si le profil de risque du capital bancaire pourrait s’en trouver amélioré.

Quoi qu’il en soit, la configuration des banques et leur supervision publique s’infléchiront au cours des prochaines années et l’abstention politique ne sera plus de mise. Les États devront financer leurs déficits vertigineux et s’appuieront sur les banques. Les dépôts seront protégés, mais au prix de la supervision des crédits et d’investissements bancaires en obligations d’État émis pour financer les gigantesques endettements étatiques. La création monétaire va donc réintégrer la sphère étatique, puisque les banques vont monétiser les emprunts d’État.

Le secteur bancaire européen est confronté à de véritables problèmes existentiels, qui se situeront entre la nationalisation et la contraction des crédits au secteur privé.

Et il faudra s’extraire de cette situation

L’Écho, blog, octobre 2012

L’activisme actionnarial

Certains se plaignent du fait que le caractère « spéculatif » des mar-chés est un obstacle à la croissance pérenne de nos entreprises.

C’est ainsi que les mêmes trouvent anormal que des actionnaires détiennent des actions dans une perspective de court terme.

500_VEILDAR.indd 147 30/01/13 13:31

Page 146: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique148

anthemis

Mais… réfléchissons quelques secondes.Le négoce boursier des actions n’est que l’expression (fugace et

temporaire) de la valeur d’une entreprise.Cela n’altère en rien les capitaux qui y sont investis.Donc affirmer qu’on doit détenir des actions à long terme pour

assurer la perpétuation de nos entreprises relève d’une erreur intellec-tuelle.

Au reste, que pourrait entraîner la cession ou l’acquisition de posi-tions minoritaires dans une société cotée ?

Au contraire, le négoce boursier formule la valeur et apporte la liquidité à l’entreprise, tout en lui exprimant la perception utile du marché. C’est la réalité de l’économie de marché, dont la mobilité des facteurs de production est le fondement.

Si tout le monde gardait ses actions à long terme, il n’y aurait plus de marché, et donc de possibilité d’appel à l’épargne publique.

Il faut donc plutôt se réjouir de la vélocité du capital boursier, qui ne constitue que le déplacement latéral de la propriété, sans création ou destruction de richesse (sauf activisme actionnarial).

L’Écho, blog, novembre 2012

Indexation et stagflation

On parle beaucoup d’indexation, ces derniers jours.Donc d’inflation… puisque sans inflation, il n’y a pas d’indexation.Or, bizarrement, de nombreux économistes continuent à affirmer

que l’inflation n’est pas un scénario plausible.Outre le fait que ce sera le scénario silencieux de sortie de crise,

l’inflation sera sans doute conjuguée à une phase de stagnation, notam-ment industrielle, liée à l’absence de croissance organique de nos éco-nomies. Ce sera donc une stagflation (qui est une contraction des mots stagnation et inflation) qui sera sans doute le scénario attendu.

Cette stagflation sera alimentée par l’inéluctable croissance des taux d’intérêt qui va accompagner l’intégration des anticipations d’inflation.

500_VEILDAR.indd 148 30/01/13 13:31

Page 147: Brunot colmant 3

prospectives diverses 149

anthemis

Certes, dans la théorie keynésienne, la stagflation, c’est-à-dire la coexistence de chômage et d’inflation est suspecte, car les deux fac-teurs sont antinomiques. Cette perspective est basée sur la courbe de Phillips (du nom de son inventeur néo-zélandais) illustrant une relation empirique négative entre le taux de chômage et d’inflation.

L’idée de cette courbe est qu’au-delà d’un certain niveau de chô-mage, les salariés ne sont plus en position de force pour exiger une hausse de salaire. Le partage des gains de productivité s’effectue alors en faveur de l’entreprise.

Outre le fait que cette théorie, imaginée en 1958, semble n’être conceptuellement validée qu’à court terme, elle a bien sûr été démentie par la stagflation des années 1970, au cours de laquelle un chômage élevé et une forte inflation ont coexisté pendant une période assez longue.

De surcroît, on peut s’interroger sur le fait de savoir si la relation inverse entre le taux de chômage et l’inflation présente la moindre per-tinence dans un modèle de croissance qui est délibérément fondé sur la croissance à crédit, tel que c’est le cas de nos économies.

Mais il faut peut-être pousser le raisonnement plus loin, ou à tout le moins l’aborder sous un autre angle. La courbe de Phillips illustre une thèse keynésienne fondamentale, à savoir que l’injection de pouvoir d’achat est génératrice d’activité supplémentaire, donc de résorption du chômage. En conséquence, si les autorités publiques souhaitent réduire le chômage, elles doivent accepter une hausse des prix conséquente.

Selon cette théorie, l’endettement de l’État aurait dû, à un cer-tain moment, déboucher sur une poussée d’inflation. Or, malgré des dettes publiques stratosphériques, cette situation n’a pas débouché sur de l’inflation, à la suite des capacités d’importation de biens en provenance des pays en développement. Les pays développés ont endetté leurs économies sans susciter d’inflation en profitant de la modération salariale des pays en développement. Cette situation, typique des États-Unis, va-t-elle perdurer ? Ou, au contraire, l’infla-tion va-t-elle retrouver une relation inverse avec le taux de chô-

500_VEILDAR.indd 149 30/01/13 13:31

Page 148: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique150

anthemis

mage ? Ou bien, finalement, l’inflation (qui trouve son origine dans l’expansionnisme monétaire) et le chômage vont-ils, un temps, per-durer, ce qui conduirait à la situation de stagflation envisagée ? Cela constitue, à mes yeux, le scénario probable.

L’Écho, blog, novembre 2012

500_VEILDAR.indd 150 30/01/13 13:31

Page 149: Brunot colmant 3

151

anthemis

Conclusions provisoires

Après la crise du crédit, les écroulements bancaires et les banque-routes latentes de certains États, l’Histoire enseigne que les troubles sociaux et militaires prennent le relais. En d’autres termes, après l’ébranlement de la monnaie, c’est la rue qui se manifeste. Cela n’a d’ailleurs rien d’étonnant : l’ordre monétaire est toujours escamoté par l’ordre social.

Les prochaines années seront peut-être le témoin de bouleverse-ments sociaux, militaires, culturels et religieux inattendus. L’écono-miste Roubini (dont on ne peut pas mettre en cause la pertinence des prévisions) anticipe une année 2013 difficile. Elle serait caractérisée par un euro qui reste trop fort, des mesures d’austérité qui accentuent la récession dans de nombreux États membres, un resserrement du crédit à la périphérie et les prix élevés du pétrole. Mais ce n’est pas tout, Rou-bini avertit d’un risque majeur de confrontation militaire au Proche-Orient.

L’histoire des crises sévères suggère trois impacts successifs, plus ou moins équidistants du choc originel du printemps 2008. Ceux-ci seraient alors constatés à l’automne 2011, en 2014 et en 2018. Sera-ce le cas ? Et comment ? Par vagues, répliques sismiques ou de manière plus linéaire, monotone et graduelle ? En une fois ou au terme d’une longue agonie économique ? Quel est l’événement, peut-être infime, qui déclenchera des effets en chaîne ?

Cela n’a pas vraiment d’importance. La crise, état naturel de l’éco-nomie, est en formulation permanente et ne fait donc que commencer. Elle sera une séquence de ruptures et de déséquilibres, tellement durs qu’on pourra parler de guerre économique.

Une chose nous semble certaine : la décennie prochaine aura l’ari-dité stérile et l’infécondité économique d’une terre brûlée. Depuis l’année 2008 et la crise financière mondiale, nous avons réalisé que nous vivons une période charnière qui se situe entre le modèle de l’État-providence et la mondialisation, ce lent et incontournable réé-quilibrage des forces du monde.

500_VEILDAR.indd 151 30/01/13 13:31

Page 150: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique152

anthemis

Les foyers de croissance du monde vont s’ancrer de manière perma-nente, après s’être déplacés vers l’est sous l’effet de la mondialisation et de la démographie. Elles n’en reviendront jamais. La zone européenne sera caractérisée par une croissance autonome très faible, à la suite d’un manque de capacité d’innovation, à une démographie insignifiante, voire déclinante, et à la finitude d’un capitalisme d’accumulation.

Au cours des dix dernières années, les économies occidentales se sont limitées à croître grâce à une politique monétaire expansionniste, ce qui en souligne le caractère artificiel et éphémère. Comme l’expan-sion monétaire atteint ses limites, la croissance de l’Europe continentale va durablement en être affectée. En termes géopolitiques, l’Europe va subir un déclassement croissant.

Quelles sont les solutions pour trancher le nœud gordien des finances publiques ? L’histoire en recense huit, d’ailleurs contradic-toires : la croissance, l’impôt, la réduction des dépenses publiques, des taux d’intérêt qui restent bas, une inflation non anticipée, une guerre, un séquestre ou une banqueroute.

Si on exclut la guerre, le séquestre et une banqueroute, qu’on admet qu’une modification des recettes fiscales et des dépenses budgétaires est fragile, que la croissance et donc les taux d’intérêt seront faibles, ce sera l’inflation qui s’imposera, dans un contexte récessionnaire. Le scénario prévisible sera donc celui de la stagflation.

La monétisation de la crise suscitera des probables poussées d’infla-tion. La déflation sera évitée par une croissance des transferts sociaux. L’hyperinflation sera évitée, car elle serait trop déstabilisatrice pour l’économie mondiale globalisée. Incidemment, le revers d’une hype-rinflation planétaire serait un moratoire général portant sur les dettes publiques des dettes des pays développés, ce qui n’est pas une situation plus enviable.

Quelles seront les sources de cette inflation, déjà esquissées dans l’introduction de l’ouvrage ? Elles seront multiples, car elles conjugue-ront des facteurs démographiques, alimentaires et énergétiques. Tant les prix des matières premières que des produits finis s’envoleront. Il en résultera un choc sur les marchés obligataires, qui subiront une pression

500_VEILDAR.indd 152 30/01/13 13:31

Page 151: Brunot colmant 3

conclusions provisoires 153

anthemis

baissière due à l’intégration de ces facteurs d’inflation, constatée ou anticipée, dans les taux d’intérêt.

À notre intuition, cette inflation sera, avec le vieillissement de la population, la trame commune de tous les scénarios économiques des prochaines années. L’abandon du système monétaire de l’étalon-or a permis au gouvernement de nombreux pays de s’affranchir de toute discipline monétaire, et même de se soustraire au contrôle démocra-tique, la dette étant un report permanent sur les générations suivantes, c’est-à-dire les électeurs à venir plutôt qu’actuels.

En abandonnant une référence monétaire stricte, les banques cen-trales et les États se sont attribué un pouvoir discrétionnaire. Pendant trop longtemps, la création monétaire (elle-même féconde en inflation par la demande) a été utilisée pour maintenir artificiellement le prix de nombreux actifs, entretenant par cette démarche politique, une exu-bérance irrationnelle qui devra un jour aboutir dans une dépréciation monétaire, qui nous semble inévitable.

500_VEILDAR.indd 153 30/01/13 13:31

Page 152: Brunot colmant 3

500_VEILDAR.indd 154 30/01/13 13:31

Page 153: Brunot colmant 3

155

anthemis

Table des matières

Vers une nationalisation insidieuse de nos économies . . . . . . . . . 9

2013 : l’année des vérités socioéconomiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13

1933-2013 : les mêmes grandes dépressions ? . . . . . . . . . . . . . . . . . 17

Endettement public . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21

Divagation estivale. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21Une leçon de Jacques Rueff . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22Une restructuration massive des dettes publiques ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24Le protestantisme monétaire de la B.C.E. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28Le grand soir du capitalisme ? vraiment ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32La tragédie d’une économie malheureuse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33Modèle belge : une spirale infernale ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34

Les stations de croix de l’euro . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37

La paix franco-allemande . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37Clémenceau, Mitterrand et l’euro . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38L’euro engage une question morale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40Quatre ans de crise . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42Une zone optimale ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43Une cause à la crise ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45Un coup pour rien ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45Le pétillant Roger Bootle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46Une pandémie virale monétaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48Sommet de Bruxelles : le jour d’après . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49La multiplication des pains . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51Prisonnier de bulles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52Marche arrière ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53Le rideau du temple monétaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54Comme un galet poli par la mer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55Lénine et Lennon, même combat ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56

500_VEILDAR.indd 155 30/01/13 13:31

Page 154: Brunot colmant 3

2013 : la veillée d’armes économique156

anthemis

Des taux d’intérêt négatifs : une mauvaise nouvelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57

Une discrétion embarrassante . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58

Leurres et malheurs des taux d’intérêt. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59

Que fait la B.C.E. ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60

L’infaillibilité monétaire et une explosion sociale ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61

Terre brûlée et jeunesse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62

Le pouvoir nominal et réel en europe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64

Épitaphe monétaire ou résurrection politique ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65

La politique monétaire à la corbeille ou au parlement ? . . . . . . . . . . . . . . . . . 67

Scission de l’euro : mode d’emploi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68

En dernier ressort ou le dernier ressort ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72

Une économie de brocéliande . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73

Réflexion… en passant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75

Les Américains ont raison. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76

Keynes et Marx . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77

Un bruit de siphon. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78

De la monnaie à la récession . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79

Une grave stagflation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80

Pistolet à eau ou bazooka ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81

L’histoire nous échapperait-elle ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82

Un mauvais alignement astral . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83

Une histoire de dentifrice . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83

Un message politique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84

Euro : la monnaie au nord, la rue au sud ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86

The Economist, l’euro et l’ombre de Mitterrand . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87

Économie monétaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89

Les banques et l’alchimie monétaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89

L’épargnant piégé par la crise de l’euro. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92

Le multiplicateur du crédit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93

L’inconnue monétaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94

Une monnaie, deux euros. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98

Krugman : l’apôtre de Keynes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99

Le travail, c’est la monnaie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102

L’avertissement monétaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103

Le bruit du silence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104

L’union bancaire : un acte de foi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105

Le mauvais génie monétaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107

500_VEILDAR.indd 156 30/01/13 13:31

Page 155: Brunot colmant 3

table des matières 157

anthemis

Gestion fiscale et comptable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109

Les intérêts notionnels, inventés en 1999, décédés en 2012 . . . . . . . . . . . . 109

Les azimuts de la fiscalité belge . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112

Progressivité catholique ou flat tax protestante ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114

Les dangers d’une taxation du capital . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117

Un impôt minimum à l’ISOC ? Vraiment ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121

Adapter les notionnels et l’impôt des sociétés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122

Tous comptes faits… . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125

La taxation des plus-values, à nouveau… . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125

Une idée fiscale accessoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 128

L’inflation sera notre dévaluation interne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 128

Prospectives diverses. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131

Les choristes du marxisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131

Les lendemains qui déchantent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133

Un capitalisme de coopération. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 134

À New York, la terre vibre à nouveau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135

Modération salariale ou réindustrialisation ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137

Une réflexion de place pour la Bourse de Bruxelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141

Bourse de Bruxelles : une plate-forme, deux modèles . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143

Banques et États : une fusion impure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145

L’activisme actionnarial . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 147

Indexation et stagflation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 148

Conclusions provisoires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151

500_VEILDAR.indd 157 30/01/13 13:31