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136 c) Des inégalités injustes ? - Principales théories de la justice (en complément voir articles sur blog) Aristote dans l’Ethique à Nicomaque identifie 3 conceptions de la justice 1) la justice commutative qui repose sur l’égalité arithmétique entre éléments de même valeur, par ex l’échange de biens de valeur égale 2) la justice distributive (parfois appelée différentialiste) fondée sur l’égalité proportionnelle entre éléments de valeur différente, « à chacun selon son dû », par ex une rémunération différente selon les niveaux d’ effort 3) la justice corrective modifie une situation initiale jugée injuste ou répare un tort infligé à un individu par un autre La question de l’égalité dans les sociétes modernes : Pour Tocqueville, les sociétés démocratiques fondées sur l’égalité des droits des individus, l’inégalité devient une préoccupation et la justice sociale fait débat. Il distingue ainsi - l’égalité des droits ou des conditions (tous les individus sont égaux devant la loi) - l’égalité des chances (la situation de chacun ne dépend pas de sa position sociale héritée, c’est un idéal démocratique) - l’égalité des situations ou l’égalité de fait Pour lui la croyance en la méritocratie est une fiction nécessaire pour justifier l’existence d’inégalités « justes ». Mais Marx en distinguant l’égalité formelle (des lois, des valeurs démocratiques par ex) de l’égalité réelle (celle qui viendrait de positions économiques égales) critique l’idéal démocratique des sociétés capitalistes qui reposent sur l’exploitation d’une classe par une autre. L’utilitarisme Il se fonde sur l’approche de Jeremy Bentham (1748-1832) qui vise le plus grand welfare (= plaisir) pour le plus grand nombre, chaque individu comptant de la même manière qu’un autre (approche égalitariste). Le but est de maximiser la somme des utilités individuelles. JSMill l’a repris en remplaçant le plaisir par le bonheur. La production obéit à des les lois naturelles tandis la répartition, l’égalité des chances, la régulation sociale relèvent des lois morales et politiques: « Au contraire des lois de la production, celles de la distribution sont en grande partie d'institution humaine » in Principes d'économie politique, (1848). Mill pose les bases d’une justice sociale. Mais 3 critiques de van Parijs à cette conception utilitariste : 1) difficulté à comparer les utilités individuelles 2) la question de la répartition compte, pas seulement le bonheur collectif 3) le bien-être matériel n’est pas la seule dimension à prendre en considération L’économie du bien être A partir de la définition de l’optimum par Vilefredo Pareto, les travaux de ACPigou et LRobbins conduisent aux deux théorèmes de l’économie du bien-être, raisonnent sur une utilité cardinale (et non ordinale comme chez Pareto) et identifient la possibilité d’optimum de second rang. Hayek et les libertariens Pour Hayek (La Route de la servitude 1944), la liberté individuelle prime, elle est une fin en soi, dès lors la justice sociale n’a pas de sens : le marché est le seul ordre économique et social (spontané : catallaxie) compatible avec la liberté, toute action politique menée au nom de la justice sociale réduit la liberté individuelle et peut conduire au totalistarisme. « Un simple fait ou état de choses que personne ne peut changer (comme la répartition qui résulte du fonctionnement spontané d'une économie), peut être bon ou mauvais mais non juste ou injuste » in Droit, législation et liberté. (Le titre du Tome 2 de son ouvrage Droit, Législation et Liberté n’est autre que Le mirage de la justice sociale.)

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c) Des inégalités injustes ? - Principales théories de la justice (en complément voir articles sur blog) Aristote dans l’Ethique à Nicomaque identifie 3 conceptions de la justice 1) la justice commutative qui repose sur l’égalité arithmétique entre éléments de même valeur, par ex l’échange de biens de valeur égale 2) la justice distributive (parfois appelée différentialiste) fondée sur l’égalité proportionnelle entre éléments de valeur différente, « à chacun selon son dû », par ex une rémunération différente selon les niveaux d’ effort 3) la justice corrective modifie une situation initiale jugée injuste ou répare un tort infligé à un individu par un autre La question de l’égalité dans les sociétes modernes : Pour Tocqueville, les sociétés démocratiques fondées sur l’égalité des droits des individus, l’inégalité devient une préoccupation et la justice sociale fait débat. Il distingue ainsi - l’égalité des droits ou des conditions (tous les individus sont égaux devant la loi) - l’égalité des chances (la situation de chacun ne dépend pas de sa position sociale héritée, c’est un idéal démocratique) - l’égalité des situations ou l’égalité de fait Pour lui la croyance en la méritocratie est une fiction nécessaire pour justifier l’existence d’inégalités « justes ». Mais Marx en distinguant l’égalité formelle (des lois, des valeurs démocratiques par ex) de l’égalité réelle (celle qui viendrait de positions économiques égales) critique l’idéal démocratique des sociétés capitalistes qui reposent sur l’exploitation d’une classe par une autre. L’utilitarisme Il se fonde sur l’approche de Jeremy Bentham (1748-1832) qui vise le plus grand welfare (= plaisir) pour le plus grand nombre, chaque individu comptant de la même manière qu’un autre (approche égalitariste). Le but est de maximiser la somme des utilités individuelles. JSMill l’a repris en remplaçant le plaisir par le bonheur. La production obéit à des les lois naturelles tandis la répartition, l’égalité des chances, la régulation sociale relèvent des lois morales et politiques: « Au contraire des lois de la production, celles de la distribution sont en grande partie d'institution humaine » in Principes d'économie politique, (1848). Mill pose les bases d’une justice sociale. Mais 3 critiques de van Parijs à cette conception utilitariste : 1) difficulté à comparer les utilités individuelles 2) la question de la répartition compte, pas seulement le bonheur collectif 3) le bien-être matériel n’est pas la seule dimension à prendre en considération L’économie du bien être A partir de la définition de l’optimum par Vilefredo Pareto, les travaux de ACPigou et LRobbins conduisent aux deux théorèmes de l’économie du bien-être, raisonnent sur une utilité cardinale (et non ordinale comme chez Pareto) et identifient la possibilité d’optimum de second rang. Hayek et les libertariens Pour Hayek (La Route de la servitude 1944), la liberté individuelle prime, elle est une fin en soi, dès lors la justice sociale n’a pas de sens : le marché est le seul ordre économique et social (spontané : catallaxie) compatible avec la liberté, toute action politique menée au nom de la justice sociale réduit la liberté individuelle et peut conduire au totalistarisme. « Un simple fait ou état de choses que personne ne peut changer (comme la répartition qui résulte du fonctionnement spontané d'une économie), peut être bon ou mauvais mais non juste ou injuste » in Droit, législation et liberté. (Le titre du Tome 2 de son ouvrage Droit, Législation et Liberté n’est autre que Le mirage de la justice sociale.)

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Robert Nozick (Anarchie, Etat et utopie 1974) va dans le même sens en dénonçant toute forme d’Etat-providence au nom du respect du droit de propriété (consubstantiel à la liberté) et de la liberté individuelle. La Théorie de la justice de Rawls La thèse avancée par John Rawls, est la suivante : une société doit être juste avant d’être égalitaire. La Théorie de la Justice (1971) s’interroge sur les moyens de concilier justice, liberté et intérêt collectif en remettant en cause l’approche utilitariste. Rawls propose une méthode pour établir des principes de justice légitimes, qu’il appelle la « position originelle » ou « voile d’ignorance ». Rawls postule que les individus sont égoïstes, ce qui implique que l’individu choisira ce qui semble avantageux pour lui. Le voile d’ignorance est une expérience de pensée qui consiste à mettre les individus dans la position de choisir les principes de justice sans connaître sa future position dans la société (sexe, race, handicaps physiques, classe sociale, …). De cette façon, puisque les individus sont rationnels, ils ne voudraient pas appartenir à une race ou un sexe potentiellement victimes de discrimination, donc les principes seront opposés à toute forme de discrimination. De même, une personne rationnelle ne voudrait pas appartenir à une génération dont les ressources sont inférieures à la précédente. Ils défendraient donc le principe suivant : “Chaque génération doit disposer de ressources à peu près égales”. Cette expérience permet donc d’améliorer le sort des défavorisés puisque chacun imagine pouvoir l’être. Rawls soutient que les individus derrière le voile de l’ignorance choisiraient deux principes de justice : 1. Principe de liberté et d’égalité : « chaque personne doit avoir un droit égal au système le plus étendu de libertés de base égales pour tous qui soit compatible avec le même système pour les autres. » 2. Principe de différence: les inégalités sociales et économiques doivent être agencées de sorte qu’elles soient à la fois au plus grand bénéfice des moins favorisés, et que les positions soient ouvertes à tous dans des conditions d’égalité des chances (ie principe de justice comme équité). Rawls soutient l’idée que la justice ne devrait pas s’intéresser au bien-être des individus en tant que tel, mais devrait plutôt chercher à fournir aux individus des biens particuliers qu’il appelle biens premiers. Il établit une liste comprenant cinq catégories de biens premiers : (a) les libertés fondamentales; (b) les opportunités offertes aux individus; (c) les pouvoirs et privilèges; (d) les revenus et la richesse; (e) les bases sociales du respect de soi. De plus, ces principes sont hiérarchisés : la liberté (1) prévaut sur l'égalité des chances qui prévaut elle-même sur l'efficacité. La théorie de la justice de Rawls récuse donc tout à la fois l'égalitarisme en ce qu'il est souvent attentatoire aux libertés et en ce qu'il risque de ne pas améliorer dans l'absolu la situation des plus défavorisés, et l'utilitarisme pour sa logique sacrificielle et injuste : l'augmentation du bien-être pour le plus grand nombre (de Bentham) ne saurait s'obtenir par la dégradation de la situation du plus mal loti. Rawls justifie les interventions de l'Etat qui éliminent les inégalités non profitables aux plus démunis : celles qui ne maximisent pas le minimum ("principe du maximin"). Cela signifie qu’il ajoute à sa théorie des principes, une théorie de leur réalisation qui met au jour les institutions fondamentales de l’Etat juste et rationnel. Le principe de différence assume l’idée que la société ne peut être égalitariste (stricte égalité de fait, sur le plan matériel), mais qu’elle doit être ouverte, faire place à la mobilité sociale, selon le principe du mérite (affirmative action, ou discrimination positive en français). Les capabilities (et functionings) de Sen Sen défend l’idée que ce ne sont ni le bien-être, ni les biens premiers (au travers d’un indice) qu’il convient d’égaliser afin d’asseoir l’idée de justice, mais plutôt les opportunités de

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réalisation offertes aux individus, concept résidant à mi-chemin entre les biens et le bien-être et qu’il appelle capacités. Selon lui (dans « Equality of What? » 1979, L’idée de justice 2009) les fonctionings (« fonctionnements ») sont les manières d’agir valorisées par les individus. Une « capabilité » ou « liberté substantielle » est une évaluation de la liberté dont un individu jouit effectivement de choisir une façon de vivre dans une situation donnée. Selon lui, « il ne suffit pas de supprimer les obstacles qui s’opposent à l’exercice des libertés, il convient aussi de créer les conditions permettant aux individus de les exercer effectivement », il faut donc porter attention à tout ce qui restreint la liberté d’être ou d’agir et aux institutions publiques en tant qu’elles peuvent apporter des ressources complémentaires (aides, formations, activités culturelles). Une société juste est une société qui assure l’égalité des capabilités : accent mis sur les opportunités, l’autonomie (la liberté de pouvoir choisir sa vie). Michael Walzer et l’égalité complexe : la démocratie repose sur le pluralisme, la pluralité et la séparation des ordres (ou sphères de justice). Car dans chaque ordre (ou sphère) prévaut un principe de distribution des biens qui s’y obtiennent, admis comme légitime. L’égalité complexe consiste à obtenir qu’aucun individu, aucune classe d’individus ne puisse s’approprier les moyens de la domination, c’est-à-dire les moyens d’obtenir, grâce aux biens acquis dans une sphère, davantage que ceux qui s’obtiennent dans une autre. « En termes formels, écrit Michael Walzer, l'égalité complexe signifie que la position qu'occupe un citoyen au sein d'une sphère ou relativement à un bien social ne peut pas être réévaluée par sa position à l'intérieur d'une autre sphère, relativement à un autre bien » (Sphères de justice,1997). Le pluralisme des formes de vie est une des valeurs les plus profondes de la démocratie, et doit être articulé à l'égalité. Aussi faut-il résister aux différentes forces qui menacent ce pluralisme : le péril totalitaire, mais aussi la loi du marché, lorsqu'elle vient régir la distribution de biens qui ne sont pas de nature marchande (l'éducation, la santé, voire la citoyenneté elle-même). La grande vertu du libéralisme, selon Walzer, c'est d'avoir su construire des séparations solides entre les différentes sphères d'activités humaines (commerce, politique, religion, culture). L'injustice suprême, à ses yeux, naît de l'empiètement de l'une de ces sphères sur les autres. L’approche de Ronald Dworkin En 1981 (dans “What is Equality? Part 2: Equality of Resources »), il propose d’égaliser non pas les ressources des individus, en considérant non seulement les ressources matérielles mais celles qui ne sont pas transférables (comme le patrimoine génétique par ex). Il conçoit un système fictif d’assurances qui permettrait aux individus de dévoiler les transferts nécessaires pour compenser les inégalités de ressources. Voir aussi en 1989 Richard Arneson sur l’objectif d’égalisation des chances et non des ressources et Gerald Allan Cohen sur ce qui relève de la responsabilité de l’individu. Pour approfondir : https://www.cairn.info/revue-economique-2002-2-page-165.htm d) Lutter contre les inégalités 1- de revenu et de patrimoine : La politique des revenus : action de l’Etat sur les revenus primaires par le salaire minimum, un système de prix garantis par ex pour les agriculteurs. Cette politique particulièrement développée pendant les Trente Glorieuses est passée au second plan. La redistribution verticale pour réduire les écarts de revenus : l’impôt sur le revenu (IR) décidé en 1914 est progressif (voir ci-dessous), la CSG (contribution sociale généralisée instituée en

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1990 l’est très faiblement alors que la CRDS (contribution au remboursement de la dette sociale depuis 1996) ne l’est pas du tout car c’est un impôt proportionnel.

NB : les taux d’imposition présentés sont des taux marginaux L’analyse de C.Landais, E.Saez et T.Piketty en 2012 concluait à une dégressivité du système fiscal pour les très fortunés (les 1% et surtout les 0,001% les plus riches) d’où leur appel à une révolution fiscale :

Voir https://www.revolution-fiscale.fr Outre les PO, les transferts, monétaires (allocations logement, prestations familiales, minima sociaux,etc.) et en nature (services fournis gratuitement aux ménages, par ex services

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d’éducation) participent à la réduction des inégalités de revenus. Noter qu’il est plus difficile de mesurer précisément l’effet des transferts en nature. Ainsi d’après les données de 2015, la redistribution divise par deux le rapport entre le niveau de vie des 20% les plus aisés et celui des 20% les plus modestes :

Noter que la réduction des inégalités s’explique pour 36,6% par les prélèvements et pour 63,4% par les transferts en 2018 :

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Voir article sur blog

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La dernière étude de l’INSEE (Portrait social, novembre 2019) montre la réduction des inégalités permise par la redistribution :

Pour approfondir : https://www.insee.fr/fr/statistiques/4238443?sommaire=4238781#onglet-1 Critiques des politiques de lutte conte les inégalités de revenu et de patrimoine : - les détracteurs du SMIC (déjà vu précedemment) - la taxation des revenus du capital désinciterait à l’investissement ou inciterait à déplacer l’épargne à l’étranger - la taxation des hauts revenus et patrimoines conduirait à l’exode fiscal (vote avec les pieds) : voir argument invoqué pour supprimer l’impôt de solidarité sur la fortune et le transformer en impôt sur la fortune immobilière - l’argument selon lequel la taxation désinciterait au travail ne semble pas validé empiriquement pour les hauts revenus Réflexion sur les inégalités de revenu et de patrimoine : le dernier ouvrage de T.Piketty Capital et idéologie présenté ici : http://ses.ens-lyon.fr/articles/conference-de-thomas-piketty-capital-et-ideologie 2- lutter contre les inégalités sociales - la redistribution horizontale a pour but de réduire les inégalités économiques entre des ménages touchés touchés différemment par les risques sociaux à savoir les risque santé, famille, emploi, vieillesse, logement, exclusion. Voir la partie de ce chapitre sur l’Etat-providence. Noter que cette redistribution horizontale peut aussi jouer verticalement par ex quand les prestations sociales sont distribuées sous condition de ressources.

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- la lutte contre les discriminations : à travers par exemple des politiques qui selon D.Schnapper peuvent soit mettre en oeuvre des mesures pour compenser les handicaps sociaux tout en conservant le principe de l’égalité formelle (donner plus à ceux qui ont moins) pour assurer l’égalité des chances ex : bourses au mérite soit rompre avec l’égalité formelle et imposer la représentation égale des groupes particuliers : loi sur la parité de 2000 = politique de discrimination positive au sens strict. Née aux EU dans la ligée des travaux de J.Rawls, l’affirmative action s’est d’abord concentrée sur la lutte contre les inégalités subies par les Noirs, puis les minorités ethniques. En France, du fait du refus de tout critère ethnique au nom de l’égalité republicaine, les politiques proches de la discrimination positive sont définies relativement à un territoire : ex typique des ZEP (zones d’éducation prioritaires). - les services publics : ils correspondent à ce que l’on a nommé plus haut les « transferts (sociaux) en nature » à savoir les services de santé, d’éducation, le logement social. Le plus étudié en France : l’éducation. D’une part la massification scolaire (à la fin du XIXè siècle avec les lois Ferry pour le primaire, entre les années 1970 et 1990 pour le secondaire) se justifie économiquement (accumulation de capital humain source de croissance) mais l’école est dénoncée comme lieu de reproduction des inégalités par P.Bourdieu (Les héritiers co-écrit avec Passeron 1964, La reproduction 1970) et la démocratisation scolaire vue comme incapable de lutter contre les stratégies scolaires différenciées selon les milieux selon R.Boudon (L’inégalité des chances, 1973). Plus récemment, de nombreuses études soulignent l’élitisme du système français, dans lequel les élèves et étudiants ont des résultats trop corrélés à leur milieu d’origine, bien plus que la plupart des pays de l’OCDE… Voir les travaux de C.Baudelot et R.Establet, de Marie Duru-Bellat, de P.Merle Voir https://www.avise.org/articles/en-france-les-inegalites-scolaires-saggravent Et https://www.inegalites.fr/L-ecole-francaise-ne-fait-pas-assez-pour-reduire-les-inegalites-sociales Voir article sur blog Pour conclure sur les inégalités : bien comprendre que les différentes politiques de lutte contre les inégalités mais aussi les réglementations (prix plancher comme le SMIC, prix plafond comme loi d’encadrement des loyers, barrières à l’entrée sur certains marchés, numerus closus, etc.) renvoient à des préférences collectives en matière d’inégalités ; autrement dit, les institutions diffèrent d’un pays à l’autre et sont plus ou moins défavorables aux inégalités. Dans l’optique de la théorie de la régulation, Bruno Amable a proposé une typologie des capitalismes vus du début des années 2000 (Les cinq capitalismes. Diversité des systèmes économiques et sociaux dans la mondialisation, 2005) qui met au jour des complémentarités institutionnelles différentes : le « capitalisme européen-continental (France, Allemagne) » est moins inégalitaire que le « capitalisme fondé sur le marché (RU, EU) » mais plus que les « économies sociales démocrates (Suède, Danemark) ». De manière générale, le modèle social européen est nettement moins inégalitaire que celui qui prévaut dans les pays anglo-saxons. Voir article sur blog

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A propos de la politique fiscale Les prélèvements obligatoires se distinguent par - leur assiette (ce qu’ils taxent : la conosmmation, le revenu, les émissions polluantes, etc.) - leur taux - l’administration qui les perçoit (APUC, APUL, ASSO) - leur caractère progressif (le rapport entre les sommes payées et le revenu augmente avec le revenu), régressif, ou proportionnel Les PO se composent - des prélèvements ou impôts directs (taxe un revenu ou un bien possédé) : l’impôt sur le revenu (IR), les taxes foncières, l’impôt sur les sociétés (IS), les cotisations sociales employeurs et salariés - des prélèvements ou impôts indirects (quand le ontribuable utilise son revenu) : la TVA, la TIPP devenue taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) NB : l’impôt négatif est une forme de redistribution. L’idée a été formulée par G.Stigler en 1946 puis reprise par M.Friedman et J.Tobin. Elle est appliquée aux EU en 1975, c’est l’EITC (earned income tax credit) mais ne concerne que les ménages dont au moins un membre travaille. Depuis le milieu des années 1980 et surtout les années Clinton, il est devenu un des principaux instruments de lutte contre la pauvreté. Le RU en instaure une autre forme en 1999, modifiée en 2003. En France, la prime pour l’emploi apparaît en 2001pour les travailleurs à bas salaires, elle a fusionné avec le RSA activité en 2015 pour devenir la prime d’activité. Le but de la poli fiscale est 1) fournir les ressources nécessaires à la production de services publics 2) inciter à l’activité éco 3) corriger la répartition des revenus (redistribution verticale). Comme on l’a déjà signalé, la politique fiscale peut à la fois particper de la politique structurelle et de la politique conjoncturelle : elle relève à la fois de la fonction - d’allocation : elle modifie les prix relatifs et donc crée des distorsions (sauf si l’impôt se résumait à une taxe forfaitaire par individu - taxe à la capitation-) - de répartition : elle modifie la répartition du revenu entre les plus modestes et les plus aisés, mais aussi entre les générations, entre les familles et les célibataires. NB : en France le principe d’une fiscalité proportionnelle ou progressive remonte à la Déclaration des droits de l’homme de 1789 - de stabilisation : elle peut être pro-cyclique (par ex les mesures de baisse d’impôts sur les entreprises de Trump en 2018) ou contra-cyclique (par ex augmenter les impôts en période d’expansion pour freiner la demande et l’inflation) On a déjà vu au début de ce chapitre la progression du poids des PO au cours du temps. Noter 3 choses : - la diversité des taux de PO selon les pays (poids bcp plus élevé en Europe continentale car assurances sociales) - les différences de structure des PO selon les pays dépendent aussi des choix d’organisation de la protection sociale (modèles biscmarckien et beveridgien même si tendance à la convergence) - la faiblesse des PO dans les PED (entre autres difficulté de collecte de l’impôt). La théorie fiscale étudie - l’incidence fiscale = identifier qui paie l’impôt. En équilibre partiel, le principal résultat est qu’une taxe est principalement payée par l’agent qui est le moins sensible au prix. (cf complément micro sur taxe, prix plafond et prix plancher). - la perte sociale liée à la fiscalité = triangle de Harberger car du fait de la taxe la quantité échangée est moindre et le prix plus élevé. La règle de Ramsey énonce que pour minimiser la perte sociale il faut taxer là où offre et demande sont les moins sensibles au prix (où leur

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élasticité-prix est la plus faible) = 1ère règle de fiscalité optimale (mais cette règle conduit à taxer plus ceux qui supportent effectivement la taxe …) - la courbe de Laffer : elle a le mérite de souligner le fait que la fiscalité peut changer les comportements des agents et produire des effets de substitution en plus des effets de revenu. Même si elle a eu une influence importante sur la politique fiscale américaine au début des années 1980 (voir réformes Reagan et Bush), elle n’est qu’une généralisation inuitive de comportements microéconomiques. Elle est récusée par Piketty qui calcule l’élasticité du revenu imposable au taux marginal d’imposition et défend qu’elle est faible. - la fiscalité optimale : la règle de Ramsey obéit au seul principe d’efficacité mais conduit à une répartition inéquitable de la charge fiscale, d’où l’idée d’introduire un objectif de redistribution en plus de celui d’efficacité. Feldstein (1978) montre qu’il vaut mieux taxer moins les biens qui sont fortement substituables au loisir pour ne pas décourager le travail : par ex, réduire la fiscalité sur les travaux à domicile (jardinage, petites réparations, etc). Les travaux de James Mirlees (1971) conduisent à la conclusion que plus le loisir est substituable aux biens, moins le taux d’imposition doit être élevé (pour que le travail ne soit pas trop taxé) et que plus la redistribution compte, plus le taux d’imposition doit être élevé. Mais cette théorie n’est pas vraiment opérationnelle car il est difficile de mesurer l’élasticité de l’offre de travail ou la substitution entre loisir et consommation, mais aussi parce qu’elle confond individu et ménage et ne tient pas compte des coûts de collecte et de contrôle fiscal. Autrement dit, la théorie fiscale ne permet pas de définir réellement un taux d’IR optimal. En matière de fiscalité optimale, les théories récentes ont mis en évidence un arbitrage efficacité-équité qui conduit à une courbe en U ; il est présenté de la manière suivante par Jacques Le Cacheux (2006) : « Pareto nous a induit en erreur pour presque un siècle en essayant de distinguer analytiquement les deux grandes fonctions : celle qui consiste à prélever et celle qui consiste à redistribuer. Globalement, sa théorie disait que, si l’on a des impôts forfaitaires qui permettent de redistribuer sans modifier les prix relatifs, cela ne modifiera pas les incitations et l’on peut donc modifier les deux. Dans un premier temps, on a l’objectif de maximiser la « taille du gâteau » et, dans un deuxième temps, complètement indépendamment de la première opération, l’objectif de « partager le gâteau ». C’est « l’illusion parétienne de la redistribution forfaitaire », c’est-à-dire l’idée que l’on pourrait distinguer les deux opérations et que l’une n’influerait pas sur l’autre... Evidemment, cette idée est totalement fausse et toute la théorie moderne de la microéconomie et de l’analyse de la fiscalité s’attache à montrer précisément le contraire. Depuis la théorie de la fiscalité optimale qui s’est développée depuis une trentaine d’années, il existe un arbitrage entre efficacité et équité La théorie de la fiscalité optimale dit que le barème optimal, si l’on veut faire un arbitrage entre efficacité et équité, est un barème en U... Selon cette théorie, il faut des taux marginaux très élevés « en bas », parce qu’il y a beaucoup de monde « en bas » de la répartition des revenus mais, comme ces individus ne sont pas très productifs, il n’est pas très grave de les dissuader de travailler, du moins du point de vue de la production nationale. C’est la même chose « en haut », mais pour la raison opposée : il y a très peu de monde, mais les individus concernés sont très concernés. Cela ne coûte donc pas très cher non plus de les dissuader. Globalement, il faut donc imposer relativement peu tous ceux qui se trouvent au milieu, où les individus sont nombreux et relativement productifs, et assez fortement ceux qui se trouvent en haut et en bas de la fourchette ». Dans le cas d’une économie ouverte avec concurrence fiscale, l’élasticité de la recette fiscale augmente beaucoup pour le capital et les revenus des salariés les plus qualifiés, il faut alors aplatir la courbe en U si bien que le système devient moins progressif. - la fiscalité correctrice : les taxes pigouviennes en cas d’externalités négatives. Le pb de telles taxes est de connaître le coût social des dommages et la réaction des comportements des agents

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aux coûts, autrement dit l’Etat fait face à un pb d’information. Le produit de telles taxes peut être redistribué aux pollueurs pour ne pas changer la pression fiscale sur le secteur tout en modifiant les comportements, elle peut aussi servir à réduire d’autres taxes distorsives (on parle alors de double dividende) ou financer la production de biens publics. Exemples de questions d’actualité : - d’après Diamond et Mirlees (1971) si on taxe directement les facteurs, on observe des distorsions dans le choix des facteurs des entreprises, c’est un mauvais choix car conduit à une perte de productivité du fait de mauvaises allocations. Par ex, la taxe professionnelle qui était assise sur les équipements professionnels a été remplacée en 2010 par une taxe sur la TVA tout en gardant une taxe sur l’immobilier, elle ne dépend donc pas des facteurs choisis et son taux est désormais national. Le facteur travail est très particulier : très faible élasticité de l’offre ; ainsi quand on compare les entreprises avant et après le CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, créé 2013, supprimé au 1er janvier 2019), on n’observe pas de modification du comportement d’emploi de travail, mais une hausse des salaires pour les cadres et professsions intermédiaires. - la question de la flat tax (ou impôt. linéaire) : dans les années 1980, elle est présentée par les économistes de l’offre comme le meilleur système fiscal pour inciter à l’épargne et à l’investissement. Elle a été appliquée d’abord en Russie puis entre autres en Estonie, Pologne, et Slovaquie dans les années 2000 pour l’impôt sur le revenu (13% en Russie). La France a décidé en 2018 d’appliquer une flat tax (Prélèvement forfaitaire unique) de 30% sur les revenus des capitaux mobiliers pour suivre l’exemple de la Suède (dès 1991). Les défenseurs et les opposants de cette mesure analysent différemment ses vertus et ses effets voir blog. - la concurrence fiscale : si on raisonne sans évasion ni optimisation fiscales, on a quelque chose comme un dilemme du prisonnier = chaque pays baisse son taux d’imposition pour attirer les entreprises, mais si tout le monde le fait, tout le monde est perdant : équilibre avec imposition sous-optimale et faibles investissements publics. Pour l’école du Public choice (Brennan et Buchanan 1977, 1980) au contraire, les gouvernants visent leurs intérêts personnels et poussent les Etats à trop dépenser car la maximisation de leur pouvoir passe par la maximisation des budgets. La concurrence internationale est une incitation à choisir des dépenses publiques utiles, elle oriente vers de bonnes dépenses publiques. - en cas d’évasion et d’optimisation fiscale : les agents bénéficient des biens publics (éducation, services publics, santé pour les ménages, infrastructures, effets de réseaux, qualification de la main d’œuvre pour les entreprises) mais vont se faire taxer ailleurs. Ainsi on observe partout une baisse de l’IS : en Irlande d’abord, en Allemagne, au RU, aux EU en 2018, en cours en France. On remarque que les grands pays peuvent résister davantage à la baisse que les petits du fait d’effets d’agglomération. Mais cette baisse réduit les possibilités d’investissements publics et peut donc ralentir la productivité. Les méthodes de profit shifting (transfert des profits) : 1) les transferts de profits via des prêts intra-groupe 2) la tarification des consommations intermédiaires entre filiales (prix de transfert) selon une étude de Vicard (2008) cela représenterait une perte de 8MM de $ d’IS 3) création d’une filiale commerciale : selon Laffite et Toubal (2019) les multinationales déplaceraient entre 24% et 29% de leurs profits totaux par l’intermédiaire des plateformes dans les paradis fiscaux 4) localiser la propriété intellectuelle dans un paradis fiscal et faire payer des royalties, particulièrement vrai dans le numérique. Proposition de solutions :

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- limiter les déductions pour intérêts d’emprunt en imposant des plafonds aux prêts intra-groupes - uniformiser les conventions bilatérales ie adopter les mêmes convetions fiscales pour éviter les structures hybrides (= quand la nationalité des firmes diffère selon l’application du droit du pays, ce qu’on l’on nomme le double Irish-Dutch sandwich) - imposer un impôt minimal : le GILTI (global intangible low-taxed income) aux EU = si une filiale d’une entreprise américaine fait des profits dépassant 10% de ses dépenses, ils sont considérés comme des revenus de la propriété intellectuelle et taxés au niveau de la maison-mère ie aux EU. Les EU proposent de mondialiser ce système, ce qui revient à répartir le profit mondial en profit routinier et profit résiduel, ce dernier renvoyant aux revenus de la propriété intellectuelle serait réparti au niveau mondial en fonction des dépenses de R&D et de l’image de marque (markets intangibles). Noter que les EU sont très concernés par cet enjeu car les GAFAM comptent pour une très grosse part dans le profit mondial mais paient peu d’impôts aux EU. - proposition de Gabriel ZUCMAN : arrêter de chercher où se crée la valeur, attribuer aux pays le profit en fonction du chiffre d’affaires réalisé dans le pays. Peut techniquement se faire unilatéralement, mais politiquement ? - L’ACCIS = uniformiser la comptabilité des entreprises dans UE (déjà vu dans le chapitre 3) Actualité ouvrage de G.Zucman et E.Saez Le triomphe de l’injustice. Richesse, évasion fiscale et démocratie, 2020. A écouter : https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-idees/doit-reinventer-limpot-pour-sauver-la-democratie A consulter : https://www.economie.gouv.fr/igpde-seminaires-conferences/90-minutes-pour-le-lire-27-fevrier-2020