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D IRLANDE C ONTES Mike Burns « Paroles »

C dIrlande · 2018-04-13 · Chanson If All the Fair Maidens ... bien c’est les « maudits » Anglais qui nous ont volé ce conte-là. Moi, je voudrais vous en donner la vraie version,

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d’IrlandeContes

Mike Burns

« Paroles »

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Collection « Paroles »

Les Éditions Planète rebelle remercient le Conseil des arts du Canada de l’aide accordée à leur programme de publication, ainsi que la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC) et le «Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC ». Nous reconnaissons également l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du « Fonds du livre du Canada » pour nos activités d’édition.

En couverture : huile sur toile, Dooega, Achill Island, Paul Henry, 19XX, © Henry Estate, IVARO, 2014Révision : Janou GagnonTranscription du verbatim : Joanne Dessureault Design graphique : Marie-Eve NadeauCorrection d’épreuves : Marie-Claude Masse

© Planète rebelle, 2014

Dépôt légal : 3e trimestre 2014Bibliothèque et Archives nationales du QuébecBibliothèque et Archives Canada

ISBN : 978-2-924174-35-7www.planeterebelle.qc.ca

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Table des matières

Introduction••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••5Tóraíocht Diarmuid Agus Gráinne•••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 7

Les bols en bois•••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 19

La couverture•••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 23

La longue cuillère en bois•••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 27

La musique de ce qui est...•••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••31

Le prince silencieux••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 34

Chanson If All the Fair Maidens•••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••49

Le Gobán Saor•••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••51

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Introduction

La vieille culture gaélique en était une de tradition orale. Ainsi, les conteurs et les poètes étaient respectés en tant que dépositaires des coutumes et de l’histoire de leur peuple – la notion de seanchas et le mot gaélique seanchaí qui désigne le conteur ont une portée beaucoup plus large et profonde que le simple divertissement.

Après la défaite, en 1602, de la noblesse gaélique aux mains des armées d’Elizabeth I, à l’occasion de la bataille de Kinsale, les bardes et les seanchaí ne bénéficièrent plus du mécénat des grands lords. Durant la période de plus de 200 ans qui suivit, soit au cours de la répression extrême déclenchée en vertu des Penal Laws et dans la foulée du régime de sauvagerie instauré par Oliver Cromwell, la culture et la langue gaéliques souffrirent beaucoup.

La Grande Famine de 1845-1847 faillit asséner son coup de grâce à cette culture, entraînant la mort de plus d’un million d’Irlan-dais, à laquelle vient s’ajouter l’émigration d’un million et demi de plus (sur une population totale de 8 millions à l’époque). Mais en dépit de ses malheurs, le peuple irlandais fit preuve d’une remar-quable résilience et, dans l’ouest de l’Irlande, la langue et les contes survécurent.

Au regard d’un peuple dépouillé de tout et pratiquement sans espoir, le monde de l’imaginaire constituait l’un des derniers biens que l’on ne pouvait ni lui ravir ni anéantir. C’est d’ailleurs ce

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qui explique qu’une si petite île ait fourni au monde un si grand nombre de prix Nobel de littérature au cours du dernier siècle.

Les Irlandais adorent parler et jouer avec la musicalité des mots. Ils valorisent les jeux de mots et les calembours, les locutions mémorables, sortes de chorégraphies verbales que l’on peut consi-dérer comme un trait distinctif au sein de la culture européenne.

L’insulte ou l’éloge passent habituellement par la bande, tandis que l’exagération et une certaine élasticité de la vérité sont omniprésentes. On adopta la langue anglaise comme un nouvel objet ludique, que l’on se plaît à déformer et à remodeler selon de nouvelles formes syntaxiques étranges, qui n’ont plus rien à voir avec le sens originel. Joyce fut sans doute la meilleure vengeance de l’Irlande contre son vieil ennemi.

Mes contes sont issus de mon enfance et relatent des histoires transmises depuis des siècles, que l’on racontait au coin du feu et dans des noces et veillées, dans les bateaux des pêcheurs attendant un changement de marée pour haler les filets remplis de saumons. Ce sont de petits joyaux longuement polis et ciselés avec amour par une culture paysanne, au fil du temps.

Bien qu’ils soient passés du gaélique à l’anglais, et maintenant à mon français approximatif, ces contes conservent toute leur vitalité, leur pouvoir d’impressionner et de semer l’émerveillement, toute leur beauté sauvage. Selon un vieux dicton irlandais, la seule façon de conserver un conte, c’est de le donner. Donc, n’hésitez pas : apprenez ces contes, et racontez-les pour qu’ils restent bien vivants. Ils témoignent de la puissance de l’esprit humain et du besoin de tous les peuples de nourrir l’âme des êtres pour la survie de la culture.

Mike Burns

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Tóraíocht diarmuid agus GráinneJe n’sais pas si vous connaissez l’histoire d’Arthur et Guenièvre ou de Tristan et Yseult, bien c’est les « maudits » Anglais qui nous ont volé ce conte-là. Moi, je voudrais vous en donner la vraie version, celle que j’ai eue de ma grand-mère, dans sa cuisine à côté du feu à tourbe. L’histoire s’appelle en irlandais Tóraíocht Diarmuid Agus Gráinne.

Ça fait longtemps de ça. Ça fait tellement longtemps que si vous y étiez, vous n’seriez pas ici maintenant. Ou si vous êtes ici maintenant, c’est parce que vous n’y étiez pas. Ou si vous avez été capable d’être dans les deux places en même temps, par le temps d’en avant ou le temps d’en arrière, ou le temps le plus en arrière de votre tête pour vous servir de canne à marcher. Dans ce temps-là, les rues étaient pavées avec de l’or, les maisons étaient bâties avec des briques de beurre et les oiseaux faisaient leurs nids dans les barbes des vieil-lards.

Dans ce temps-là, il y avait tellement de rois en Irlande que tu pouvais pas pitcher 1 une roche sans faire lever une bosse sur la tête d’un roi. Mais parmi tous ces rois-là, il y en avait un qui était le roi des rois, Ard Rí na hÉireann. Comme on dit : the High King of All Ireland. Puis, il avait une fille. Dans le temps que je vous conte, c’était le

1 Pitcher : lancer (emprunté à l’anglais).

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temps de Fionn agus na Fianna hÉireann : c’est eux qui gardaient le pays. Et laissez-moi vous dire que c’était pas une affaire simple de rentrer dans cette gang-là : ça prenait un méchant guerrier. Il y en avait un, Caoílte mac Rónáin il s’appelait. Ça, c’est le bonhomme le plus vite à courir qui ait jamais existé sur terre. Ben Johnson sur les stéroïdes, il était pas là-dedans. Pour vous donner une idée de combien il était vite, ce gars-là, ben eux autres, quand ils s’traî-naient les pattes et qu’y avait pas de guerre à faire, bien souvent ils se trouvaient dans un endroit qui s’appelle Beann Éadair. Lui, il se levait le matin et se mettait à brasser le gruau pour les autres, puis il faisait le tour de la côte entière d’Irlande et il était de retour avant que ce soit nécessaire de le brasser une deuxième fois.

Y’avait un autre gars dans cette gang-là, c’était un bonhomme qui s’appelait Goll Mac Morna. On a entendu parler de tantôt quelqu’un qui était laitte2 ; mais laissez-moi vous dire que lui, il était rien qu’une p’tite verrue sur l’orteil gauche de ce bonhomme-là. Il était tellement laid que s’il avait été un objet, il serait bien pratique s’il fallait que t’enlèves la peinture sur ta maison. Juste à le regarder, le lait des corn flakes le matin devenait de la crème sûre, c’est garanti. Pour vous donner une idée, tous les vêtements qu’il portait étaient tissés avec la laine qu’on coupait sur son propre dos.

Puis y’avait aussi dans cette gang-là un bonhomme qui s’appelait Diarmuid Donn Ui Daoine. Nous autres, on a un autre nom pour lui : Diarmuid na mBan. Ça veut dire : Diarmuid des femmes, parce que lui, il avait une affliction particulière ; il avait un petit grain de beauté sur le front et on disait que les femmes qui voyaient ce

2 Laitte : laid (régionalisme québécois).

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grain de beauté tombaient follement amoureuses de lui. Et qu’y’au-rait plus un bonhomme sur la terre qui leur plairait. Je sais qu’il y a bien des bonshommes ici qui tueraient pour avoir une patente 3 de même. Mais lui, il en était bien écœuré ! Il gardait son cap 4 ben tight 5 par-dessus pour cacher ça, parce qu’il était écœuré d’avoir une gang de groupies qui le suivaient partout quand il partait à la chasse, quand il partait à la guerre, peu importe où il s’en allait.

Le capitaine de cette gang-là, c’était un dénommé Fionn mac Cul. Fionn, ça veut dire : celui qui a des cheveux blonds. Mais dans le temps que je vous conte, ben il était en train de grisonner quelque chose de rare ! Ça faisait un an que sa femme était morte. Son fils Oisín et son petit-fils Oscar lui ont suggéré qu’il serait peut-être temps qu’il pense à se remarier. Il a dit :

— Ben voyons donc, qui voudrait d’un vieux comme moi ? Les deux jeunes ont avancé l’idée que la fille du roi,

Gráinne, ce serait peut-être une bonne idée. Ben maudit, l’idée lui plaisait ! Ça fait qu’il a dispatché 6 les deux boys jusque Teamhair na Rí, Tara comme on dit de nos jours, dans Chondae na Mí, où le roi d’Irlande avait sa résidence. Question de lancer les pourparlers pour voir si le roi serait peut-être d’accord. Et le roi a trouvé que ce serait une méchante bonne affaire s’ils arrivaient à faire un genre de liaison entre sa famille à lui et celle de Fianna Éireann. Ce qui fait que les deux boys sont revenus. Puis Fionn était tout content. Ce qui fait qu’il est parti avec sept fois sept brigades du Fianna. Et quand

3 Patente : chose, truc.4 Cap : casquette, bonnet, ou tout autre chapeau masculin (mot anglais).5 Ben tight : bien serré (mot anglais). 6 Dispatcher : envoyer, dépêcher (emprunté à l’anglais).

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ils sont arrivés, ben maudit, c’était le beau festin qui était là et qui les attendait dans la grande salle du roi !

Y’avait, comme on dit par chez nous, nua gacha bí agus sean gacha dí : la bouffe la plus fraîche et la boisson la plus vieille. Le roi a mis Fionn à sa droite, il a mis Gráinne à sa gauche et, à côté d’elle, il avait mis Oisín. Et tous les bataillons de la Fianna étaient assis là. Pendant qu’ils mangeaient, Gráinne regardait le vieillard qu’elle était censée épouser. Disons qu’il était pas de son goût. Puis, elle s’est promenée pendant qu’ils mangeaient, et elle a demandé à Oisín, pis à Oscar, qui c’était le capitaine de cette gang-là, assis à cette table-là. Puis à un autre et à un tel. Et quand ses yeux sont tombés sur Díarmuíd Donn, ah ! Oisín a vu le regard qu’elle avait. Elle lui a écrit une p’tite note et a dit :

— Pourrais-tu lui apporter ?

Oisín est allé dans la salle et il a apporté la p’tite note. Quand Diarmuid a ouvert ça, il a compris que Gráinne lui demandait de la sortir de cette place-là. Et quand il a regardé la fille, il a vu le désespoir dans ses yeux. Puis l’amour qu’elle avait envers lui. Il était mal pris. Il savait plus par où tourner. Il savait que ce qu’il était pour faire, c’était ce qu’il était censé faire comme chevalier : sauver l’honneur de cette femme-là. Mais il savait qu’il était pour se mettre à dos tous ses compagnons de chasse et de guerre avec qui il avait fait toute sa vie. Il savait qu’il était pour gagner corps et cœur de Gráinne, mais qu’il serait chassé et pourchassé partout à travers l’Irlande.

Gráinne a fait appel à un de ses serviteurs qui lui a apporté un flacon de vin. Et dans le flacon, elle a versé une potion qu’elle a

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fait circuler dans le grand calice qu’ils étaient pour boire. Et tout le monde a bu de ça. Tous sauf Oisín, Oscar, Gráinne et Diarmuid. La potion les a tous endormis, et quand ils ont été endormis, elle s’est levée et elle a demandé, d’une voix franche, à Diarmuid :

— Sors-moi d’ici. Je te demande, sur ton honneur de cavalier, de me sortir de cette place. Je ne peux pas me marier avec ce vieillard-là. Mon père m’utilise comme une marchandise.

Diarmuid a regardé le fils de Fionn. Il a regardé son petit-fils. Il leur a demandé ce qu’il devait faire. Oisín et Oscar, tous les deux, lui ont dit que c’était ça qui fallait qu’il fasse. C’est avec le cœur lourd qu’il a franchi le seuil de la porte et qu’il est sorti. À ce moment-là, ils sont partis dans le bois. Et chaque soir, là où ils posaient leurs têtes, c’était pas la place où ils se levaient le lende-main matin.

Partout encore en Irlande, tu vas trouver ce qu’on appelle des dolmens. Ils sont souvent nommés Leaba Diarmuid Agus Gráinne : le lit de Diarmuid et Gráinne. Les endroits où ils ont couché pendant qu’ils étaient chassés et pourchassés par les hommes de Fionn qui, furieux et enragé, engageait du monde pour les chasser. Et ils ont sillonné l’Irlande au complet, ils ont même pris abri dans les îles d’Écosse pendant un bout de temps, jusqu’à ce que finalement Diarmuid, fatigué de cette vie errante, décide d’aller jusqu’à une forêt qui était en plein milieu de l’Irlande, tout près d’un endroit qui s’appelle AthLuain. Personne s’y aventurait parce que dans le centre de ce bois-là, il y avait un géant. Il n’avait qu’un œil et cet œil-là était devenu tellement lourd qu’il utilisait un poteau pour le garder ouvert. Et on disait que si quelqu’un le regardait droit dans l’œil, c’était la mort certaine. Il avait été placé là par An Sí, c’est ce qu’on

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les bols en boisDans un temps qui n’est pas le vôtre et qui n’est pas le mien, mais c’était le temps de quelqu’un. Dans le temps que je vous raconte, y’avait un homme qui habitait avec sa bonne femme et leur petite fille qui avait huit ou neuf ans, quelque chose par là, dans la paroisse de Lohar, dans la baronnie du Iveragh.

Un matin d’été, comme ça, y dit à sa bonne qu’il allait grimper sur la montagne avec la p’tite pour aller travailler à la tourbière. Ça fait qu’ils sont partis avec un bannock 11 de pain. Ils se sont jamais arrêtés, pas avant d’arriver à la tourbière ; pis il s’est mis à travailler avec les mottes de tourbe, c’est-à-dire qu’il faut les placer – nous on appelle ça footing : tu fais une pyramide avec trois mottes de tourbe pour que ça puisse sécher. Et la p’tite jeune, ça se comprend, elle voulait aider son papa. Ça fait qu’elle s’y est mise bravement, mais à huit ou neuf ans, avec un travail dur de même, on tough 12 pas longtemps. Ça fait que peu de temps après, ben elle, elle est partie chasser les papillons et jouer avec les ceannabhan 13. Mais le père, lui, continuait à travailler. C’était un travail dur : t’es penché, pis y faut jamais que tu te relèves, tu fais un p’tit footing, pis un autre, pis un autre, pis tu peux jamais lâcher prise jusqu’à ce

11 Bannock : galette d’avoine mince, de forme généralement carrée (emprunté de « bannach », mot gaélique écossais).

12 Tough : tenir le coup, endurer (directement emprunté à l’anglais). 13 Ceannabhan : vivace de berge nommée linaigrette à feuilles étroites, dont le joli

plumet ressemble au coton (bog cotton).

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que le soleil soit à son apogée dans le ciel, à son point le plus haut. Quand il est arrivé ce moment-là, il a appelé la jeune et y a dit :

— Tiens, on va prendre une p’tite pause, on va manger quelque chose.

Ça fait qu’ils se sont installés, le dos contre la haie, et y se sont mis à manger. Je ne sais pas ce qu’il y avait à manger dans le temps, c’était avant même que la patate arrive en Irlande. Mais je peux vous dire que quand ils ont eu fini, y a demandé à la jeune de prendre les deux bols en bois qu’ils avaient ; dans le temps, le monde était tellement pauvre, y’avait même pas de poterie, rien que des bols en bois. Y a dit à la jeune de prendre les deux bols en bois, pis d’aller les laver dans le poll portaigh ; ça veut dire un trou rempli d’eau dans la tourbière. Lui-même, il a sorti le duidín, c’est une sorte de longue pipe en terre cuite. Il l’a nettoyé, pis y a mis un p’tit peu de tabac dedans, y a tassé ça bien solide comme il faut, y a allumé, pis y s’est senti bien. Il tire sur sa pipe et pis y regarde là-bas dans la baie Ba Baile na Scealg, la baie de Ballinskelligs. C’est un croissant, plutôt trois quarts de cercle, ça fait vingt kilomètres du Ceann Bolus à un boutte 14 jusqu’à Ceann Dolus à l’autre boutte.

C’était une belle journée d’été, pas de brise, pas de vent, pas de nuages dans le ciel. Mais qu’est-ce qu’y voit-tu pas arriver ? Un bateau, un bateau espagnol trois-mâts ! Dans le temps, c’était la famille Sigerson qui était responsable de ce terroir-là. Parce que nous autres, on avait l’habitude d’exporter le stock 15 qui garde chaud à l’extérieur, et d’importer le stock qui garde chaud à l’inté-

14 Boutte : bout, extrémité (régionalisme québécois).15 Stock : marchandise (mot anglais).

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la couvertureC’était dans le mauvais temps, c’est ce que nous autres on appelle le Droch Aimsir, quand le monde était tellement pauvre qu’il était riche en pauvreté. Dans le temps que je vous raconte, il y avait une femme qui avait hérité de quelques acres, pas la grosse richesse, un bord de montagne, plus de roches que de terre. Mais elle a trouvé l’amour, pis elle a marié un homme. L’homme était ce que nous autres on appelle un claoin isteach ; ça veut dire quelqu’un qui se marie et qui arrive à la ferme avec le mariage. Et avec lui est venu son père, un vieillard qui était plus capable de travailler. Alors ils étaient pauvres comme Job. Mais ça allait ben quand même, ils étaient capables, avec du grand travail, d’arracher de quoi manger. Mais la bonne femme, elle avait de la misère avec le beau-père parce qu’elle, autant elle travaillait dur, autant lui, le beau-père, y était pas capable de travailler. Ça fait que tout ce qu’y faisait, c’était d’être assis au bord du feu ; pis y fumait du tabac quand y pouvait, et y mangeait. Et elle avait toujours plus de la misère à les nourrir. Je te dis que la tension montait entre les deux.

Avec le temps, ben c’est arrivé qu’elle est tombée enceinte. Le bon Dieu leur a donné la grâce et la bénédiction d’avoir un enfant, un beau p’tit gars. Oh ! qu’il était beau ! Un ti-gars tout beau, tout curieux, tout petit ! Mais maintenant, ils étaient quatre. Et autant qu’elle avait de la misère à nourrir le vieillard auparavant et qu’elle maudissait après son homme, maintenant je te dis que ça allait mal en s’il vous plaît. Elle parlait tout le temps avec son

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Cahirsiveen, mon village natal

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le Gobán SaorI

Le temps que je vous conte, ce n’est pas votre temps, ce n’est pas mon temps non plus, mais c’est bien celui de quelqu’un. Dans ce temps-là, il y avait en Irlande un maçon, il s’appelait Gobán Saor.

C’était le meilleur maçon qui n’avait jamais habité sur cette terre, ça en était effrayant, tellement il était bon ! Un bonhomme qui pouvait vous tailler une pierre aussi bien qu’il pouvait vous tailler un conte. C’est lui qui avait fait toutes les tours rondes en Irlande, du temps où les Vikings venaient terroriser les faisans, les paysans ou je ne sais quoi encore. Après ça, il avait décidé d’entreprendre la construction de châteaux. Il faut dire que chaque château qu’il construisait était mieux que celui qu’il avait fait avant.

Le Gobán Saor était reconnu à travers l’Europe. Pas étonnant que le roi d’Angleterre ait entendu parler du bonhomme. Il s’était même dit que ce serait une maudite bonne idée s’il pouvait faire venir le Gobán Saor en Angleterre pour qu’il lui construise le plus beau château du monde. Ce que le roi avait en tête, par contre, c’est qu’aussitôt le château terminé, ça en serait aussi terminé de Gobán, de manière à ce que jamais personne ne puisse plus avoir un aussi beau château que le sien.

Le roi envoie donc sa parole en Irlande. Gobán Saor reçoit le courrier, le regarde, réfléchit et se dit :

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— Sais-tu une affaire 29, ça me tente !Gobán va voir sa bonne femme et lui dit :— J’vais partir pour l’Angleterre avec le jeune, là ; il peut

mixer le mortier pour moi, pis il peut charrier le sable pis tout ça. Elle, elle dit pas grand-chose.Le lendemain matin, Gobán et son fils se lèvent et s’en vont

au puits pour se laver. Ils remontent à la maison pour déjeuner avec du gruau – ben une espèce de croissant irlandais.

Pour le voyage, la femme de Gobán leur avait fait un petit bannock de pain. Elle avait pris soin de faire le signe de la croix dessus et de mettre sa bénédiction dedans.

Les deux hommes prennent enfin la route, mais ils ne sont pas allés bien loin. Arrivé au Fish Market Cross, Gobán se tourne vers son fils et lui dit :

— Peux-tu me raccourcir le chemin ?Le jeune regarde son père et répond :— Raccourcir le chemin ? Ben comment tu voudrais que je

fasse ça ? Peu importe la façon que je le prends, il va toujours être la même maudite distance.

— Ben si c’est de même, aussi bien de retourner, rétorque Gobán.

C’est ce qu’ils ont fait. Les voyant revenir à la maison, la mère ne dit rien, continuant à popoter 30 et à s’occuper de ses chaudrons.

Le lendemain matin, les hommes se lèvent, s’en vont au puits et mangent leurs « croissants irlandais ». La mère boulange un

29 Une affaire : sais-tu une chose ; sais-tu quoi.30 Popoter : cuisiner ou encore manger.

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pain, met le signe de la croix dessus, sa bénédiction dedans et salue ses deux hommes.

Comme la veille, ils ne sont pas partis bien loin. Quand ils arrivent au Fish Market Cross, le père se tourne vers son fils et lui dit :

— Pis, vas-tu me le raccourcir, le chemin ?— Comment tu voudrais que je raccourcisse le chemin ?

Ça va être la même maudite distance, peu importe qu’est-ce que je fais !

— Eh ben, si c’est de même, aussi bien de retourner tout de suite.

Ils reprennent donc le chemin de la maison.Les voyant revenir, la mère ne dit rien. Elle attend que

Gobán monte au lit, puis elle demande à son fils :— Qu’est-ce qui lui prend, à ton père, de revenir comme

ça tous les jours ? Vous allez jamais arriver en Angleterre si vous continuez comme ça !

— Ben maudit, il me demande une affaire, pis je comprends pas qu’est-ce qu’il veut. Il me demande de lui raccourcir le chemin.

— Ah ben, simonac 31 ! répond la mère. Ça se peut-tu ! C’est assez simple ! Et toi avec. Ce qu’il faut que tu fasses, c’est que quand tu arrives et qu’il te le demande, ben tu y contes une histoire. Et quand t’as terminé celle-là, ben tu lui en donnes une autre, pis une autre après, et vous allez même jamais sentir le chemin jusqu’à ce que vous soyez rendus là-bas.

— Ah ben, j’vais l’essayer !

31 Simonac ! : nom d’un chien ! ( juron québécois).

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II

Ça fait longtemps, tellement longtemps de cela que si vous y étiez, vous ne seriez pas ici maintenant. Et si vous êtes ici maintenant, c’est bien parce que vous n’y étiez pas. Mais si vous étiez capable d’être dans les deux places en même temps, par le temps d’en avant ou le temps d’en arrière, ou le temps le plus en arrière de votre tête pour vous servir de canne à marcher.

Dans ce temps-là, les rues étaient pavées avec de l’or, les maisons étaient bâties avec des briques de beurre et les oiseaux faisaient leurs nids dans les barbes des vieillards.

Dans ce temps-là, il y avait tellement de rois en Irlande que tu ne pouvais pas pitcher une roche sans faire lever une bosse sur la tête d’un roi.

Mais parmi tous ces rois-là, il y avait un qui était le roi des rois. Árd Rí na h-Éireann, comme on dit. Ce bonhomme-là avait sa résidence et son château à Teamhair na Rí – Tara, comme on l’appelle de nos jours –, à Chondae na Mí. C’était un roi qui adorait les contes. Le seul problème, c’est qu’il les avait tous entendus, au point qu’il en était écœuré. Tellement écœuré qu’il a décidé de faire une proclamation où il annoncerait que le premier qui raconterait quelque chose qui lui ferait dire « Ça, c’est une menterie ! », à celui-là, il donnerait la moitié de son royaume et sa fille en mariage.

Dans le temps que je vous conte, il y avait dans la province de Munster, dans le comté de Kerry, dans la baronnie d’Iveragh, dans la paroisse de Prior, dans le village de Dungegan, une veuve. Elle n’avait qu’un fils. Je ne vous dirai pas que c’était un menteur, mais disons qu’il avait une définition de la vérité assez élastique. Tellement élastique qu’il aurait pu faire un méchant bon premier

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ministre du Québec. La proclamation royale l’intéressait, si bien qu’il dit à sa mère :

— Sais-tu, m’man, j’vais l’essayer. Et elle de lui répondre :— Je savais que tu avais un destin devant toi, mon homme ! Elle lui boulange un pain, elle met le signe de la croix

là-dessus, pis sa bénédiction là-dedans. Le fils prend le chemin jusqu’à Mí. Il ne quitte jamais ce chemin jusqu’à ce qu’il arrive juste devant la porte du roi. Il cogne à la porte… C’est le roi lui-même qui lui ouvre. Il était là, et sa bonne femme était dans le fin fond de la cuisine en train de couper des navets et de préparer le souper. Il faut que je vous dise que dans ce temps-là – et c’est toujours le cas en Irlande –, si tu frappes à la porte de quelqu’un et que tu demandes un abri ou à manger, eh ben ! les gens vont t’inviter.

Le roi le laisse entrer, ils s’assoient à côté du foyer – comme on le fait nous autres ce soir – et il lui demande d’où il vient.

— Je viens de Chondae Chiarraí, le royaume, comme on l’appelle.

Le roi l’écoute encore.— Tu sais, par chez nous, c’est des montagnes, pis des

tourbières, pis du vent, pis la mer, pis des roches. C’est la dernière place que l’bon Dieu a faite. C’est assez évident, cristie ! Il a laissé toutes sortes de morceaux de roches partout, le chantier, il l’a jamais clairé 32, avec ça.

Le roi se retourne vers sa bonne femme qui était en train de tailler ses navets dans le fin fond de la cuisine, et il dit au jeune homme :

32 Clairé : fini [le chantier, le travail] (emprunté à l’anglais).

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III

Quand il a eu fini ce conte-là, le fils de Gobán a décidé d’en raconter un autre. Ben son père, y était game 52. Le conte commençait comme ceci…

Il y avait dans ce temps-là un gars qui aimait bien les champignons. C’était vers la fin de septembre. Notre bonhomme allait se promener dans les champs, pieds nus à l’aube pour les cueillir. Il était bien content, mettant ses champignons dans son cap. Mais voilà qu’un bon matin, il sent quelque chose de rond sous ses pieds. Il se penche, ramasse ça… C’est une petite balle en or. Il se dit : « Ça, ça va être parfait pour la retraite, cette affaire-là ! » Il met la balle dans sa poche, puis finit sa cueillette et s’en retourne chez lui.

Dans le temps que je vous conte, il avait fait pas mal de mauvais temps, pis il y avait eu des gros vents. Si bien qu’un maçon travaillait à réparer la cheminée de la maison. Je ne sais pas si vous savez ça, mais dans toutes les cuisines irlandaises, juste à côté du foyer, en fait dans la cheminée, il y a un genre de creux. C’est la place où la femme de la maison mettait son argent des poules. Peut-être que le vieillard, lui, y mettait son tabac et son píopa 53.

Notre gars se dit donc : « Ce serait une méchante 54 bonne place pour aller mettre la petite balle. » Il enferme la balle en or dans une motte de glaise, la cache au fin fond du foyer et s’en va chercher le maçon :

52 Game : d’accord, consentant (mot anglais).53 Píopa : pipe (mot gaélique).54 Méchante : fichue, très [bonne place].

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— Écoute, pourrais-tu me boucher ce trou-là ? Ça donne rien, j’ai pas de bonne femme dans ma maison pour mettre l’argent des poules pis moi, je fume pas, j’ai pas de tabac, j’ai pas de pipe. Est-ce que… Tu pourrais-tu me boucher ça ?

Ben, aussi vite que ça te prendrait pour sortir ta main de ta poche, il y avait une pierre taillée et bien installée.

Peu de temps après ça, on est rendus vers la mi-octobre, c’était une bonne soirée, comme ils disent par chez nous, « une journée ben molle » – traduction : « c’était la saison des moissons ». L’eau pissait du ciel tant et tellement que tu te demandais si c’était pas d’un sous-marin dont t’avais besoin au lieu d’une maison. Tout à coup, on frappe à la porte. Notre homme ouvre et se retrouve devant une petite jeune femme, belle comme ça se peut pas. Mais maudit, elle avait l’air noyée comme un rat ! Il lui dit :

— Rentre, rentre, réchauffe-toi, sèche-toi à côté du foyer. La belle s’est approchée du foyer, s’est mis les mains à

sécher, son châle à sécher. Il lui a donné à manger et ils se sont parlé. Il lui a demandé qui elle était.

Elle a dit qu’elle était une orpheline, que sa mère venait de mourir et qu’elle s’en allait vers le Val d’Or pour chercher un travail comme servante chez les grands fermiers, là-bas.

— Écoute, il lui dit. Moi, j’ai pas de bonne femme dans la maison ; pis j’ai la ferme à moi tout seul ; ce serait pratique : je pourrais t’engager moi-même, ça te sauverait de t’éloigner tant de tes racines. 

— Oui ! elle lui dit.C’est quand elles ne sont pas là qu’on réalise tout le travail

que font les femmes dans une maison. Parce que cette maison-là, elle a été toute transformée. Et Paddy, ben sais-tu une chose, il se

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IV

Quand ce conte-là a été fini, le Gobán Saor a dit à son fils :— T’en as-tu un autre ?— Ben oui ! a dit le fils…Dans ce temps-là, les rues étaient pavées avec de l’or, les

maisons étaient bâties avec des briques de beurre et les oiseaux faisaient leurs nids dans les barbes des vieillards. Dans ce temps-là, il y avait tellement de rois en Irlande que tu ne pouvais pas pitcher une roche sans faire lever une bosse sur la tête d’un roi.

Mais parmi tous ces rois-là, il y avait un roi qui était le roi des rois : Árd Rí na h-Éireann, qui avait sa demeure dans un endroit qui s’appelle Teamhar na Rí – ou Tara, comme on l’appelle de nos jours. Ce roi-là avait un fils qui était curieux de nature. Et quand il est devenu homme, il a décidé de partir à l’aventure.

Son cheval l’a conduit à travers l’Irlande jusqu’à un soir venu, où ils sont arrivés à une place qui s’appelle Loch Léin, dans le comté de Kerry. On nomme ça les lacs de Killarney de nos jours. Il y avait là une espèce de géant. Câline ! une affaire immense ! Mais cristie ! tu te ramasserais avec un coup de soleil à l’intérieur de la bouche, tellement il était grand, si tu voulais le regarder jusqu’en haut. Le géant se penche et demande au prince s’il ne voulait pas jouer aux dés avec lui.

Le prince était game. Ce qui fait qu’ils ont roulé les dés, mais cristie ! le prince a gagné. Le géant lui a donné tellement d’or que le lendemain, quand ils ont repris le chemin du retour, son cheval était à peine capable de marcher.

Quand il est rentré chez lui, son père était bien content et il lui a dit :

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— Écoute, là, t’as assez fait d’aventures, tu resteras ici.— P’pa, j’ai à peine commencé ! a répondu le jeune.Le lendemain matin, le prince repart sur le dos de son

cheval et, encore, son chemin l’a mené jusqu’à Loch Léin. Mais le même maudit géant était là et il lui demande de nouveau s’il voulait jouer aux dés avec lui.

— Ben pourquoi pas ! Ça m’a pas fait de mal la dernière fois, hein !

Ils ont joué, et c’est le jeune qui a gagné ; il était tout content :

— Qu’est-ce que j’ai gagné ?Cette fois, le géant lui dit :— J’vais te faire construire un château comme t’en as

jamais vu, et où tu voudras.— Ben, je voudrais un beau château juste à côté de chez

mon père, ça pourrait être là où je vais rester moi-même.Quand il est retourné chez lui sur le dos de son cheval, ben

il y avait deux châteaux là où il n’y en avait qu’un auparavant. Le père était bien fier du fils, mais il voulait qu’il reste là,

maintenant en plus qu’il avait une maison. Mais le jeune, lui, il était game pour partir encore. Ce qui fait qu’il est remonté sur le dos de son cheval, et ça l’a mené jusqu’à Loch Léin.

Pour la troisième fois, le géant lui demande de jouer aux dés avec lui ; le jeune était d’accord.

Ils ont joué, mais, cette fois-là, c’est le jeune qui a perdu : — Qu’est-ce qu’il faut que j’te donne pour avoir perdu ?— Il faut que tu m’accompagnes. Et c’est pas garanti que

tu en sortiras vivant, dit le géant.

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V

Au bout de cette histoire, le Gobán Saor a réalisé qu’ils étaient rendus en Angleterre. Alors ils se sont dépêchés pour aller direct au château du roi, qui leur a expliqué ce qu’il voulait : le château le plus beau, le plus fin, le plus magnifique. Il leur a pas raconté la petite partie à propos de les tuer tous les deux après. Il leur a dit seulement qu’il était prêt à les payer leur poids en or.

Ils se sont serré la main là-dessus. Le lendemain, le Gobán Saor était là avec le fils. Pis ils étaient en train de travailler avec le plumb-bob – c’est une patente pour deviner la perpendicularité des murs. Ben ! dans un rien de temps, les murs étaient en train de monter et tous les jours, le roi d’Angleterre venait voir le chantier, pis il regardait le travail, et il a dit :

— On est-tu loin, les gars ?Et le Gobán se demandait ce qui se passait. Il savait bien

qu’il devait y avoir quelque chose dans la tête du roi. On dit qu’il y a trois affaires auxquelles tu peux pas faire confiance : le sabot d’un cheval, la corne d’un taureau, et la parole d’un Anglais. Alors, il s’est dit : « Y doit y avoir quelque chose qu’il mijote, lui. » Il a pesé le pour et le contre, il a rien dit, et il a continué à travailler, jusqu’à ce que finalement, ils étaient en train de faire les petits travaux de finition. Pis le roi arrive, et il dit :

— On est-tu loin, les boys ?Le Gobán le regarde du haut de l’échafaudage, et il lui dit :— Ben, sais-tu une maudite affaire ! J’suis en train d’oublier

l’outil dont j’ai besoin, je l’ai laissé chez nous, à Kerry. Cristie ! je peux pas épargner le jeune parce qu’il est nécessaire pour mixer le mortier. Faudrait que t’envoies ton fils parce que je ferais pas

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confiance... un outil de même, c’est le seul qui existe dans le monde. Mais ton fils aîné, tu pourrais l’envoyer le chercher.

Ce qui fait que le roi est allé chercher son fils aîné. Et le Gobán lui a expliqué ce qu’il en était, et qu’il devrait aller en Irlande pour chercher un outil qui s’appelle : an casadh in aghaidh an cam. Ce qui veut dire : le p’tit twist 78 contre la méchanceté. Mais il a pas pris la peine de traduire pour le fils du roi d’Angleterre…

Le jeune part pour l’Irlande et, dans un rien de temps – moins de temps que ça me prendrait pour vous le conter, pis la moitié du temps que ça vous prendrait pour me le conter –, il est arrivé devant la maison du Gobán.

Il cogne à la porte, et c’est la bonne femme du Gobán qui ouvre la porte. Le fils du roi lui dit :

— Ben moi, je viens de là-bas. — C’est assez évident, à te regarder les oreilles ! Qu’est-ce

tu cherches ?— Ben, c’est ton mari, il a oublié un outil, ça s’appelle un

an casadh in aghaidh an cam.— Pas de problème ! a dit la bonne femme. Il faudrait que tu manges un sac de sel pour être aussi vite

qu’elle ! Elle dit :— Viens-t’en, viens-t’en, checke ça, y est là-bas. Elle ouvre la porte du dresser 79 ; il se penche — ben cristie !

y a jamais travaillé de sa vie… y sait pas quoi il cherche : — J’le vois pas !— Ben, penche-toi plus, y est au fond !

78 Twist : tour (mot anglais).79 Dresser : garde-robe, penderie (mot emprunté à l’anglais).

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Nil agam ach mar a chuala, níor chuala ach mar duaradh is níor duaradh fairíor ach bréag.

(Je ne connais rien de plus que ce que j’ai entendu. J’ai entendu rien que ce qui a été conté et, la plupart du temps, ce qui m’a été conté n’était rien d’autre que des menteries !)

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