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Francis RICARD Pierre JOURDE IL SUFFIRAIT Cahier des Passerelles N°8 2014

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Francis RICARD Pierre JOURDE

IL SUFFIRAIT

Cahier des Passerelles N°8 2014

Francis RICARD Pierre JOURDE

IL SUFFIRAIT

Cahier des Passerelles N°8 2014

Ouvrez-moi le ventre vous verrez toute la peine qu’il y a dedans

au chien blessé qui lèche sa plaie au fond de sa niche réfugié j’ai porté une écuelle d’eau

de quoi manger il a gémi quand je l’ai caressé le dernier regard

éperdu d’effroi conscience des larmes de la dernière fois

le couteau tremble au cœur du pain les horloges gémissent au crépuscule le grand soleil

que j’ai déployé dans le jardin ne réchauffe pas mon front contre la vitre froide

le feu mûr qui fait fondre le plomb endeuille la vie la nuit avance tes larmes blondes à tes lèvres

je les voudrais exténuer pourquoi repousser l’insensé le désert se suffit à lui-même pourquoi y semer

ces ronces barbelées j’écris dans le noir en lettres capitales

à la dernière personne

les fourmis de verre

dévorent les étoiles les morts font des rêves liquides dans la copulation des crapauds

il y a une vieille femme nue à la fenêtre le passé a une odeur de cadavre décomposé qui n’en finit pas de pourrir

le soleil joue aux cartes avec un enfant aveugle au rond point de la nuit

un réverbère fuit les trottoirs ont laissé pousser leur barbe les filles ont des jambes de réglisse

les nuages en déshérence déchiquètent les parapets à grands coups de serpes

dans ce silence de girafe je t’aime d’un amour infracassable

la surface de l’étang s’est refermée comme un volet roulant il y a ce matin

des nuages aux arbres sertis un feu de Saint-Elme a pris à leurs racines

le pré patine sur le lac gelé

sous le plus haut le plus bas se tient chaque jour est une autre nuit

les heures se fissurent d’éblouissants éboulis à l’imprimerie du coq les rotatives élastiques

tournent autour des petites filles chiffonnées d’encre et de papier je t’écris du fond des pierres aux veines bleues

habitées du silence des dieux la lune brève s’abreuve à la fontaine le vent coud les ronces à la terre

le soleil titube entre deux montagnes les bancs s’étirent la table baille où sont les grands majestueux des jours enfuis

j’ai cloué la porte à la vie je n’entends plus le bruit du chemin yau

tiau rau dit le crapaud solitaire

je me suis hissé sur la pointe des pieds

pour voir le jour se lever j’avais hâte la nuit s’attardait

à mon cerveau hâte toi soleil j’ai crié hâte toi il fait trop noir on est pressé

parfois tant il fait noir de voir le jour

se lever sur la pointe des pieds

entomologiste de l’obscur que de temps perdu à torturer des plaies

au risque de propager le mal histoire sans queue ni tête qui ne satisfait rien vide gluant que seules distraient

les pauvres histoires qu’on s’invente mascarade qui ne renvoie qu’au mystère désenchanté de l’énigme

la morsure de l’ombre endeuille la forêt même pas mal dit l’enfant qui retient ses larmes

bien sûr qu’il souffre mais à qui le dire puisque c’est celui qu’il aimait qui l’a blessé

puisque c’est celui qu’il croyait son ami qui lui a fait mal ce n’est pas qu’on meurt c’est que tout s’éteint

que tout disparaît et qu’on ne voit plus rien de ce que le soleil montrait on gaspille ses nuits

ivres et gluantes à se fracasser le crâne comme un fou de Bassan se jette parfois

la nuit sur la lumière d’un phare parce qu’il a perdu le cap de l’espérance

même pas mal dit l’enfant qui retient ses larmes

ces dates

ces traces ces marques cochées qui restent

de l’ampleur de l’étiage quand la crue se retire

comment croire qu’elle ait pu jusque là si haut

s’élever je demeure vide tremblant de ce retrait

il n’y a plus aujourd’hui que désert il y eut donc

un jour une crue

si immense

la mer immense s’est retirée

un christ pend à une croix de clous rouillés les têtes des morts ont quitté leurs drapeaux à cloche-pied la douzième lame du tarot mène le bal nous n’irons plus au bois les lauriers sont coupés…

les vêtements amis ont déserté le perroquet blanc il faudrait égorger un cochon et se baigner dans son sang où sont les petits trains de bois et les chevaux à bascule ? toutes ces nuits de silex à dépecer les os du rébus insondable

dans l’épaisseur de la matière toutes ces nuits à s’écorcher les doigts pour donner à manger aux vivants et aux morts la mer immense s’est retirée ma déchirante

j’explore à pieds secs les cargaisons d’or des bateaux engloutis il suffirait de défoncer les malles et les caisses de fer la soustraction serait une multiplication d’avenir

elle pourrait enchanter le présent il suffirait… c’est toi que je cherche en vain dans cette vase froide le timide faisceau de ma lampe fatiguée

éclaire des millions de poissons qui sèchent aux hampes des algues des hippocampes pris en flagrant délit de copulation espèrent leur délivrance un cierge allumé indique « maison à vendre chantier interdit au public »

un chien garde un cadavre en attendant l’arrivée des hommes noirs un orchestre de guimbardes joue un requiem oublié un taureau noir conduit un long cortège de veaux vers l’abattoir l’écho de la prière des morts résonne dans les grottes de sel

l’amitié affronte le désamour dans un combat inégal perdu d’avance des serpents de verre engloutissent des brochettes de corbeaux des chenilles géantes vomissent par tous leurs orifices un jus jaune comme du pus

j’invoque les dieux des océans qu’ils engloutissent cette apocalypse la mer se referme .comme un sexe après l’amour tout doit disparaître tout est à recommencer

les cercles noirs de mes yeux rougis portent le deuil de ce qui fut je ne respire plus le grondement sourd d’un troupeau de chevaux

frappe le sol comme un tambour il se rapproche il est là je ferme les yeux et puis plus rien

drame tu des dimanches

de silence cacher encore taire cette enfance de corbeau

dire le dire s’efforcer la porte de la mine bat

plus rien ne tient au fond s’extraire dans la confiance des étais il suffirait la porte noire que personne ne pousse

il suffirait si on pouvait je sais la force des haleurs à haler le filet

je sais la résistance des formes et des fonds noirs je sais l’insupportable perte sans fin

le cercueil des mots de mots cloué la langue cloutée à la croix

je sais aussi la gratitude des tournesols pourquoi s’amenuiser ? naître c’est donner le jour

vivace est la rose sous les pétales morts sois torrent vers l’aval débonde le vin cerclé

hâte ta transparence que ton poème soit la pierre de la fronde

surtout ne pas regarder

caresser effleurer s’avancer pas à pas

présence par l’absence réserve être seulement

pris de court par la profondeur de la peau les peintres disent

frais sur frais quand ils caressent la toile quand sous la peau

on retrouve la chair vivante vibrante ne pas regarder

sentir effleurer seulement ce qui va jaillir

jusqu’à l’explosion

certains jours on avance à tâtons

les larmes comme seule ponctuation bras ouverts sur le vide

on s’éloigne à reculons déraciné mots bribes

inaudibles aveuglé d’évidence défait

comme sanglot il pleut des pierres de lave

yeux gris de la pâque à trébucher dans les hoquets

qu’avons nous fait de cette trinité la vie donnée ce stupéfiant cadeau

à quels dieux sacrifiée il suffirait d’un tour de clé à lyre pour remettre en eau

les fontaines du délire les grandes eaux du désir les mains pleines épuisent les bras tendus

un jour nous toucherons terre un jour nous prendrons des chemins qui marchent nous aurons des mains dans nos doigts

des pieds à nos cous et nous irons loin des hommes exténuer le gâchis

les mots manquent les mots qui restent qu’on ne dit plus les mots inaudibles

désormais les mots qu’on ne sait plus dire les mots qu’on voudrait redire encore redire redire encore

assèchement tarissement des sources eau vive eau sauvage

tout juste ce filet clair encore qui se souvient et voudrait tant encore

le lit attend endormi dans la torpeur asséchante des crues égarées

Association Les Passerelles. 3, Rue des Foisses. 63170 AUBIERE. Edition originale 2014: Porte-folio n° I à IV. Tirage sur papier Pop’ Set en 90 exemplaires. Textes de Francis RICARD Linogravures de Pierre JOURDE

Les Cahiers des Passerelles. 3, rue des foisses. 63170 AUBIERE [email protected]

ISBN : 978-2-9539042-7-7 Prix : 4 euros