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LES COLEMAN-MILLAIRE-FORTIN-CAMPBELL — FANNY ET ALEXANDRE — LASCAUX — UNE MAISON DE POUPÉE LA SOCIÉTÉ DES POÈTES DISPARUS — HARMATTAN - POUR QU’IL Y AIT UN DÉBUT À VOTRE LANGUE — LE SCRIPTARIUM 2019 CAHIER 102 — HIVER 2019 CAHIER D’HIVER THÉÂTRE DENISE-PELLETIER

CAHIER D’HIVER - Denise-Pelletier · 2019-02-22 · Ulysse del Drago L’IMAGINATION RÈGNE J’emprunte ici le magnifique titre de Claude Gauvreau parce que c’est ce que je vois

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LES COLEMAN-MILLAIRE-FORTIN-CAMPBELL — FANNY ET ALEXANDRE — LASCAUX — UNE MAISON DE POUPÉE LA SOCIÉTÉ DES POÈTES DISPARUS — HARMATTAN - POUR QU’IL Y AIT UN DÉBUT À VOTRE LANGUE — LE SCRIPTARIUM 2019

CAHIER 102 — HIVER 2019

CAHIER D’HIVER

THÉÂTRE DENISE-PELLETIER

Des cinéphiles aguerris éclairent ce Cahier d’hiver marqué par nos adaptations d’œuvres phares du septième art. Mathieu Li-Goyette réfléchit au phénomène du film-culte pendant que Nicolas Gendron souligne ce qu’il en coûte de transformer l’écran en rideau de scène. Tristan Malavoy lit pour nous les mémoires d’Ingmar Bergman. Les comédiens Alex Bergeron et Gabrielle Côté consacrent un Abécédaire entier à l’Académie Welton et à sa société des poètes mal-aimés.

Antoine Laprise voit dans les traces de Lascaux la naissance du geste artistique, et Gabrielle Chapdelaine prête sa plume libre à l’instant présent, entre Carpe diem et Yolo ! En coulisses, Pierre Robitaille vante les vertus de la marionnette face à l’acteur. Félix-Antoine Boutin et Sophie Cadieux, quant à eux, jonglent avec celles de la mise en scène à deux têtes. En guise de témoignages, Mani Soleymanlou décortique son rapport trouble avec la maladie, et Stéphanie Boulay revisite pour nous le sien, plus lumineux, avec sa capacité d’émerveillement. Mathieu Gosselin, lui-même grand voyageur, nous entraîne aux confins des rêves à venir comme des poèmes oubliés.

Et retrouvés.

Bonne lecture de l’hiver au printemps, et passez nous voir souvent.

Claude Poissant

Mathieu Gosselin, commissaire de ce Cahier, ne peut si bien dire quand il affirme que le travail de l’artiste transforme et perpétue le territoire de nos rêves. Ces artistes, qui ont façonné l’impossible à travers leurs créations, nous font vivre au bord de cet irréel avec une liberté qui toujours nous met face à notre conscience morale, à nos valeurs apprises, et à nos jardins secrets faits de préjugés comme d’idéaux. Ce sont d’ailleurs souvent ces idéaux qui nous font vibrer et nous permettent d’atteindre notre plaisir de spectateur.

Pour trouver et retrouver les Scandinaves Ingmar Bergman (Fanny et Alexandre) et Henrik Ibsen (Une Maison de poupée) jusqu’aux poètes disparus de Tom Schulman, le souffle de l’harmattan jusqu’à la grotte de Lascaux, ce Cahier accueille des collaborateurs, écrivains de toute forme, qui ont fouillé leurs âmes, leurs souvenirs et leurs opinions pour que les pistes élaborées soient, en peu de mots, devenues fécondes. Du théâtre argentin que nous situe Ximena Ferrer jusqu’à la nordicité suédoise que Julie Gagné met en relation avec la nôtre, on avale les kilomètres pour mieux digérer la matière. Catherine Vidal en profite au passage pour entrouvrir la boîte de Pandore de ce que le théâtre étranger révèlerait sur le Québec ! Quelques liens intimes se tissent avec les œuvres: la révolte de Nora vue par Eveline Mailhot, Madame Ekdahl essaimant la culture chez Alain Farah, le puissant romancier Sylvain Trudel épié par Jean-Pierre Thomas.

RETROUVER.

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L’IMAGINATION RÈGNE

J’emprunte ici le magnifique titre de Claude Gauvreau parce que c’est ce que je vois poindre à travers les spectacles de l’hiver et du printemps du Théâtre Denise-Pelletier. L’imagination qui règne sous des visages multiples.

L’imagination qui sauve la vie parce qu’elle permet de prolonger la réalité, d’en changer la couleur, d’y augmenter la lumière.

L’imagination qui confère la capacité de suivre des chemins qui bifurquent.

L’imagination qui construit le langage, les rêves, les familles.

Nous avons un devoir d’imagination parce qu’elle nous construit autant que l’expérience.

Pendant tout le temps qu’aura duré l’élaboration de ce Cahier, j’aurai eu la chance d’être le vecteur de l’imagination des auteurs formidables qui y collaborent.

Je vous laisse à la parole précieuse de ces femmes et de ces hommes d’imagination.

ISSN 2369-5374 / BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DU CANADA INC

Théâtre Denise-Pelletier 4353, rue Sainte-Catherine Est, Montréal (Québec) H1V 1Y2

Administration : 514 253-9095 Billetterie : 514 253-8974 denise-pelletier.qc.ca

Les Cahiers du Théâtre Denise-Pelletier sont publiés sous la direction de Julie Houle, avec le soutien de Valérie Desautels. La rédaction de ce Cahier est coordonnée par Mathieu Gosselin. Nous remercions les équipes de production, auteurs et metteurs en scène qui ont facilité la réalisation de ce numéro des Cahiers.

MOT DE MATHIEU GOSSELIN Coordonnateur invité pour le Cahier d’hiver 2019

Le Théâtre Denise-Pelletier est membre des Théâtres associés inc. (TAI) et de l’Association des diffuseurs spécialisés en théâtre (ADST).

Partenaires médiaPartenaire de saisonLe Théâtre Denise-Pelletier (TDP) tient à remercier

Mathieu Gosselin

Depuis qu’il est sorti du Conservatoire d’art dramatique de Montréal en 2001, Mathieu Gosselin a participé à la création de plusieurs productions du Théâtre de la Pire Espèce, notamment Persée, Gestes impies et Futur intérieur. On a également pu le voir avec le Théâtre de la Banquette arrière dans Autobahn, Les mutants, Le Timide à la cour et Amour et information. Avec le Théâtre Le Clou, il a co-écrit Éclats et autres libertés et était de la distribution de Romances et karaoké. Il a aussi fait partie des productions Chante avec moi, Trois, La genèse de la rage et Des souris et des hommes, pour ne nommer que celles-là. On peut le voir également dans J’aime Hydro.

Il est l’auteur de La fête sauvage, de Mélodie dépanneur et de Province, et le co-auteur de Ils étaient quatre avec Mani Soleymanlou.

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TABLE DES MATIÈRES

LES COLEMAN-MILLAIRE-FORTIN-CAMPBELL

PETIT PORTRAIT DU THÉÂTRE ARGENTIN

QU’EST-CE QUE LE THÉÂTRE ÉTRANGER NOUS DIT SUR NOUS-MÊMES?

FANNY ET ALEXANDRE

METTRE EN SCÈNE À DEUX

LATERNA MAGICA : LUMIÈRE INTÉRIEURE

INCARNER LE FROID

DE L’ÉCRAN COMME RIDEAU DE SCÈNE

DANS MON VENTRE

LASCAUX

LA GROTTE DE LASCAUX, NAISSANCE DU LANGAGE ARTISTIQUE

DES MARIONNETTES ET DE LA DRAMATURGIE

LASCAUX - COMPLÉMENTS

UNE MAISON DE POUPÉE

LA LAMPE ALLUMÉE

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LA SOCIÉTÉ DES POÈTES DISPARUS

PAR LÀ OU PAR ICI

ABÉCÉDAIRE

DE CARPE DIEM À YOLO

FILM D’HAUTEUR

CURIOSITÉS POÉTIQUES

HARMATTAN – POUR QU’IL Y AIT UN DÉBUT À VOTRE LANGUE

JOURNAL D’UN AVANT ET D’UN APRÈS

SYLVAIN TRUDEL SUR LES PLANCHES ?

LE SCRIPTARIUM 2019

JE SUIS UNE RÊVEUSE

LE TERRITOIRE DU RÊVE

RÊVES D’ADOLESCENTS ANONYMES

ÉQUIPE ET C.A. DU TDP

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LES COLEMAN- MILLAIRE- FORTIN- CAMPBELL

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Avec trois générations sous un même toit, les conflits sont légion chez les Coleman-Millaire-Fortin-Campbell, et l’eau chaude vient à manquer. Mais lorsque la grand-mère vacille, sa chambre d’hôpital devient leur deuxième maison, et là, c’est l’implosion. Que cache cette famille improbable, étrange reflet de nos contradictions ?

Après Buffles, un texte catalan, le Théâtre à l’eau froide fait une incursion chez l’Argentin Claudio Tolcachir, offrant au metteur en scène Louis-Karl Tremblay de creuser la veine de la cruauté ordinaire.

TEXTE CLAUDIO TOLCACHIR

TRADUCTION ET ADAPTATION CATHERINE BEAUCHEMIN

MISE EN SCÈNE LOUIS-KARL TREMBLAY

PRODUCTION THÉÂTRE À L’EAU FROIDE

ÉQUIPE

AVEC CATHERINE BEAUCHEMIN LOUISE CARDINAL LUC CHANDONNET DANIEL D’AMOURS MURIEL DUTIL KARIANE HÉROUX-DANIS SIMON LANDRY-DÉSY OLIVIER TURCOTTE

ASSISTANCE ET RÉGIE GABRIELLE GIRARD

CONCEPTION CAROL-ANNE BOURGON SICARD LEÏLAH DUFOUR FORGET GABRIELLE GIRARD ROBIN KITTEL-OUIMET

DIRECTION DE PRODUCTION SUZIE BILODEAU

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PETIT PORTRAIT DU THÉÂTRE ARGENTINPAR XIMENA FERRER

Buenos Aires est une grande foire du théâtre où cohabitent de nombreux styles : théâtre grotesque, classique, costumbrismo1, littéraire, absurde… tous en constante mutation. Pour illustrer cette grande diversité théâtrale, mentionnons simplement qu’il s’y présente annuellement environ 2000 spectacles différents, tant sur la scène officielle (autrement dit commerciale) qu’alternative. Pour aider les gens à s’y retrouver et approfondir leurs expériences, il y a même une école du spectateur permettant de débattre et de s’informer sur les œuvres qu’ils iront voir ou ont vues.

Les changements vécus par le théâtre argentin furent souvent provoqués par de grandes crises sociales. L’adversité qu’elles engendrèrent fut une source d’inspiration et un riche moteur de création. La dictature militaire des années 70 (1976-83) constitua l’une de ces crises majeures. Le régime répressif et autoritaire força le théâtre à devenir un

LES COLEMAN-MILLAIRE-FORTIN-CAMPBELL

ARTICLE

1 Mouvement artistique s’inspirant des mœurs et coutumes d’une culture.

Théâtre Dictadura

POURQUOI ?

J’ai approché Ximena pour écrire sur le théâtre argentin parce qu’elle en a fait l’expérience intime et parce qu’elle travaille à créer des ponts entre les cultures québécoise et sud-américaines.

– M. Gosselin

lieu de résistance et de dénonciation. Le théâtre est ainsi devenu un refuge pour les auteurs, les acteurs et les metteurs en scène.

Plus récemment, la grande crise financière et politique de 2001 ébranla la classe moyenne argentine et eut un impact considérable sur la création artistique. Alors que les théâtres fermaient les uns après les autres, les créateurs cherchèrent une façon de se regrouper pour continuer à présenter leurs œuvres. Les appartements, les maisons, les garages se transformèrent donc en scènes, avec des productions aux moyens financiers limités ce qui poussa les créateurs à tout centrer sur le travail

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des acteurs, reflétant l’absurdité et la décadence sociale du moment. Aujourd’hui à Buenos Aires, il y a des centaines d’espaces de rencontre créés par des artistes ainsi que des festivals nationaux et internationaux à toutes les périodes de l’année. Le théâtre n’est pas qu’un événement sur scène, il est devenu par la force des choses un prétexte à la rencontre, avant et après ce qui se passe sur scène. Claudio Tolcachir fut l’un des pionniers de ces espaces alternatifs. Il a présenté la première version de La Omisión de la familia Coleman2 dans le salon de son propre appartement, accueillant un groupe de 20 spectateurs. Ces derniers sonnaient à la porte de l’appartement numéro 4, qui est devenu la désormais célèbre salle de théâtre Timbre 4 (sonnette #4) pour assister à un théâtre des plus intimes.

La programmation porteña3 offre aujourd’hui une gamme de productions allant du théâtre classique à un théâtre d’auteurs argentins, tels qu’Eduardo Pavlovsky, Roberto Arlt, Griselda Gambaro, Daniel Veronesse ou Javier Dualte. Aux auteurs s’ajoutent des artistes dramaturges, metteurs en scène et enseignants qui sont devenus des théoriciens et presque des philosophes de la scène, tels que Mauricio Kartun, Ricardo Bartis et Rafael Spregelburd. Le travail cumulatif de tous ces artistes

UN TREMBLAY ARGENTIN

À l’instar de Michel Tremblay, Claudio Tolcachir s’inspire de ce qui est près de lui et témoigne de son peuple à travers sa dramaturgie. Campée en Argentine, en pleine crise économique (1998-2002), cette pièce relate la précarité financière dans laquelle les Argentins ont traversé cette période et les moyens qu’ils ont dû mettre de l’avant pour mieux survivre, vivant entassés sous un même toit. C’est une œuvre riche à l’humour acérée qui traite de thèmes tels que la famille moderne reconstituée, ses relations humaines complexes, le désir d’affranchissement et d’émancipation, les inégalités sociales et la maladie. Cette adaptation reflète bien l’urgence dans laquelle les personnages sont plongés, face à une réalité qu’ils préféreraient éviter. Il s’agit d’une excellente pièce pour prendre contact avec une œuvre étrangère de littérature contemporaine !

a transformé les mises en scène en situant l’acteur au premier plan et en développant une narration poétique émergeant des corps, donnant naissance à la dramaturgie actuelle.

Comme tant d’autres avant eux, une nouvelle génération s’affaire aujourd’hui à transformer le théâtre de Buenos Aires; Mariano Tenconi Blanco ou Maruja Bustamente, pour ne nommer que ces deux créateurs, font de la capitale argentine un lieu de mutation, questionnement et réflexion.

Actrice originaire de l’Uruguay, Ximena Ferrer habite Montréal depuis 2013. Elle est diplômée de l’École Mario Galup du Théâtre El Galpón. Elle a joué divers rôles dans des œuvres classiques au Théâtre El Galpón et dans des pièces expérimentales sur la scène indépendante uruguayenne. Ximena s’est ensuite installée à Buenos Aires. Elle s’est notamment perfectionnée avec des metteurs en scène de renom tels que Ricardo Bartis, Juan Carlos Genet et Alejandro Catalan. Elle a joué plusieurs rôles et a collaboré à la création de nombreuses pièces sur le circuit indépendant de Buenos Aires.

Avec Julie Vincent, elle codirige la compagnie théâtrale Singulier Pluriel. Elle y travaille comme actrice et a initié le projet La Mondiola, notamment en remportant la bourse DémART du Conseil des arts de Montréal en 2016. Elle a notamment participé à Un Monde qui s’achève-Lola (Ondinnok), Identités, la pièce bilingue Soledad au Hasard et Des belles-sœurs polyphoniques.

LES COLEMAN-MILLAIRE-FORTIN-CAMPBELL

2 Titre original de Les Coleman-Millaire-Fortin-Campbell.

3 Porteño/a est un adjectif courant désignant les habitant(e)s de Buenos Aires.

Mauricio Kartun Théâtre

Pour en savoir plus sur l’auteur, Claudio Tolcachir

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QU’EST-CE QUE LE THÉÂTRE ÉTRANGER NOUS DIT SUR NOUS- MÊMESPAR CATHERINE VIDAL

Je pourrais répondre par ce qui me vient immédiatement à l’esprit et qui demeure vrai : de tout temps, l’art n’a jamais eu besoin de passeport pour traverser les frontières. L’universalité d’un sujet, d’une histoire ou d’un personnage donnent raison à ce vers célèbre : « Je suis homme et rien de ce qui est humain ne m’est étranger. »1 Il n’est évidemment pas question de faire fi ou d’évacuer toutes les différences entre les sociétés comme la détermination culturelle ou les réalités sociopolitiques et géopolitiques. Ce sont justement ces points possibles de concomitance et d’étrangeté qui sont recherchés lorsqu’on aborde le répertoire dramaturgique étranger, car ils permettent une reconnaissance ainsi qu’une possibilité d’apprentis-sage sur les mécanismes humains. Le théâtre étant dans sa plus simple expression, une étude des comportements et des relations de notre espèce.

Mais je voudrais par une autre réponse ouvrir ce vieux débat qui concerne particulièrement le théâtre québécois et qui repose sur la composante essentielle et incontournable de la mise en scène du texte étranger : celle de la traduction. Au Québec, le dramaturge à qui on demande de traduire un texte étranger pose toujours cette question au début du projet : traduit-on en français normatif ou en québécois ? Je ne parle pas ici des textes écrits dans une forme littéraire affirmée, mais bien des textes contemporains destinés à être rendus dans un style direct, oral. Si l’option du québécois est chose acquise lorsqu’il s’agit du théâtre de pays anglophones, c’est une toute autre histoire lorsqu’il s’agit d’un texte venant d’un autre pays

LES COLEMAN-MILLAIRE-FORTIN-CAMPBELL

OPINION

1 Vers 77 de la pièce latine Heautontimoroumenos de Térence, écrite vers 163 av. J.-C.

POURQUOI ?

Je sais que l’esprit de Catherine n’est jamais au repos sur la question du théâtre étranger; j’avais envie de l’entendre sur ce sujet. J’aime sa véhémence réfléchie et ses questionnements précis.

– M. Gosselin

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comme l’Espagne, la Russie ou la Norvège. Les réticences de traduire en québécois ont souvent comme arguments que c’est moins beau, moins noble, plus pauvre comme langage. Le québécois permet pourtant un spectre très large : du plus littéraire au plus vernaculaire. Quelle est la source de ces réponses ? Du fait que la plupart des textes étrangers non anglophones nous parviennent par le prisme de la France, car ce pays traduit un très grand nombre de textes de théâtre étranger et que le syndrome du colonisé se met à l’oeuvre ? J’ose espérer une réponse plus complexe et nuancée quand ce débat s’ouvre. Débat qui finit toujours par soulever cette éternelle question sans réponse précise : d’où vient ce français normatif dans notre

histoire théâtrale ? Le « bon parler » français imposé sur les scènes théâtrales québécoises du début du 20e siècle ? Cette question mériterait qu’on s’y penche davantage afin de savoir en toute conscience qu’est-ce que l’on perpétue. Car actuellement, c’est une réponse bien troublante qui me vient à l’esprit quand je me pose cette question : qu’est-ce que la traduction du théâtre étranger nous dit sur nous-mêmes…

Diplômée du Conservatoire d’art dramatique de Montréal en interprétation, Catherine Vidal se consacre désormais à la mise en scène. L’adaptation théâtrale du Grand Cahier d’Agota Kristof, lui vaut à elle et son équipe une grande reconnaissance publique et critique et marque les débuts de sa pratique.

Quelques travaux: au théâtre Prospero, Des couteaux dans les poules de David Harrower (prix de l’Association québécoise des critiques de théâtre 2013 pour la mise en scène) et Je disparais de l’auteur norvégien Arne Lygre. Le miel est plus doux que le sang, de Simone Chartrand et Philippe Soldevila au Théâtre Denise-Pelletier. Mise en scène de deux adaptations d’Étienne Lepage: pour le jeune public, Le coeur en hiver, d’après La Reine des neiges d’Andersen au Théâtre de l’Œil (prix Louise-Lahaye) et L’Idiot de Dostoïevski au TNM. Elle vient de cosigner une mise en scène avec Marc Beaupré au Théâtre de Quat’Sous : Chapitres de la chute, Saga des Lehman brothers de Stefano Massini.

LES COLEMAN-MILLAIRE-FORTIN-CAMPBELL

Le cas de la famille Coleman – France

La Omisión de la familia Coleman – Argentine

Les Coleman-Millaire- Fortin-Campbell – Québec

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FANNY ET ALEXANDRE

Dans un petit village, Émilie et Oscar Ekdahl dirigent un théâtre, sur scène comme en coulisses. Alors que réalité et fiction se croisent, le bonheur est palpable tout autour des Ekdahl. Mais bientôt, Oscar meurt. La vie change dès lors, l’austérité prend les rênes.

Cette œuvre phare d’Ingmar Bergman est imprégnée de l’enfance du cinéaste alors qu’il observait, fasciné, le monde des adultes. Alexandre, le fils de 10 ans, accompagné de sa petite sœur Fanny, scrute l’âme humaine pour faire apparaître le jeu de la douleur et comprendre le pouvoir de l’art. Fanny et Alexandre, c’est donc la naissance d’un créateur dont le regard allumé débusque la cruauté, la morale, les désirs et les peurs d’une famille ébranlée.

Les créateurs, Félix-Antoine Boutin (Koalas, Petit guide pour disparaître doucement) et la prolifique Sophie Cadieux, mettent en scène une troupe de neuf interprètes pour raconter les plus troublants chapitres de cette fresque, traçant les justes sentiments qui voyagent entre mensonge et vérité, et qui créent la vie.

TEXTE INGMAR BERGMAN

TRADUCTION LUCIE ALBERTINI CARL GUSTAF BJURSTRÖM

MISE EN SCÈNE FÉLIX-ANTOINE BOUTIN SOPHIE CADIEUX

PRODUCTION THÉÂTRE DENISE-PELLETIER

ÉQUIPE

AVEC LUC BOURGEOIS ROSALIE DAOUST ANNETTE GARANT ARIEL IFERGAN RENAUD LACELLE-BOURDON STEVE LAPLANTE PATRICIA LARIVIÈRE ÈVE PRESSAULT GABRIEL SZABO

ASSISTANCE ET RÉGIE STÉPHANIE CAPISTRAN-LALONDE

SCÉNOGRAPHIE ROMAIN FABRE

COSTUMES CYNTHIA ST-GELAIS

LUMIÈRES JULIE BASSE

CONCEPTION SONORE CHRISTOPHE LAMARCHE-LEDOUX

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ENTRETIEN

METTRE EN SCÈNE À DEUXENTREVUE À DISTANCE DE SOPHIE CADIEUX ET FÉLIX-ANTOINE BOUTIN, COUPÉE, MONTÉE ET MIXÉE PAR MATHIEU GOSSELIN

MATHIEU GOSSELIN – Est-ce parce que le film Fanny et Alexandre est un très grand film que son adaptation au théâtre exige deux metteurs en scène ?

SOPHIE CADIEUX – Ha ! Ha ! Ha ! Pas de pression, n’est-ce pas ?

FÉLIX-ANTOINE BOUTIN – Le théâtre en lui-même exige de la collaboration, je crois beaucoup au travail d’équipe, et pour moi, la plus belle chose est de construire ensemble quelque chose qui nous dépasse tous.

SC – Félix-Antoine et moi avons élaboré ensemble

des spectacles où nous confectionnions le texte, l’espace scénographique, l’expérience du spectateur et assumions conjointement la direction d’acteur. Notre complicité nous permet de réfléchir de façon active en étant toujours propulsé par l’autre.

FAB – Fanny et Alexandre parle beaucoup des choses intangibles, de la place de l’art dans nos vies, de l’invisible et du métaphysique. Notre collaboration aide à atteindre cet intangible. Nos idées se mêlent, elles ne nous appartiennent plus, elles se créent dans l’espace invisible entre nous. On côtoie alors un peu les fantômes de Fanny et Alexandre.

FANNY ET ALEXANDRE

POURQUOI ?

Je voulais que la passion pour cette œuvre de Bergman soit transmise directement par les créateurs qui, par leur regard singulier et l’originalité de leur collaboration artistique, feront exploser la force et la puissance de ce texte.

– M. Gosselin

Sophie Cadieux et Félix-Antoine Boutin

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MG – Est-ce qu’on se prépare différemment quand on s’attaque à un chef d’œuvre ?

SC – Première chose, on ne se dit pas que l’on s’attaque à un chef d’œuvre.

FAB – Chaque projet emmène des questions complexes et puisque le théâtre est un art de transposition, chaque œuvre présente ses défis.

SC – Je crois que ce qui guide notre travail est sans contredit ce sentiment de la première lecture, ce sentiment de l’empreinte du film sur nous.

FAB – On veut créer de nouveaux codes sans dénaturer l’œuvre, on veut qu’elle soit nôtre, qu’elle ne soit pas muséale, tout en gardant l’essence formelle et philosophique qui fait de cette œuvre une grande œuvre.

SC – Pourquoi avons-nous tant aimé cet Alexandre qui ment, pourquoi nous avons encore peur de l’évêque, pourquoi nous y voyons encore une célébration de la vie et du théâtre ?

FAB – Il ne faut pas rester en face du monument, sinon on ne peut rien faire, il faut pénétrer dans cet

univers étrange avec sensibilité, et voir comment notre regard peut le transformer.

MG – Quels sont les défis que représentent le passage du cinéma au théâtre ?

FAB – Il y a un gros défi dans la construction des scènes entre elles. Au cinéma, on peut se permettre des aller-retours rapides d’un lieu à un autre, au théâtre c’est plus difficile. Il faut réarranger l’ordre des scènes pour qu’il y ait un souffle théâtral.

SC – Il y a évidemment la notion de gros plan et de cadre qui est si importante chez Bergman et qui au théâtre change de perspective complètement. On doit alors utiliser l’aspect magique du théâtre, celui de voir se construire une image devant nos yeux et d’y croire complètement.

FAB – Nous avons la chance que l’œuvre de Bergman soit déjà très théâtrale.

SC – Fanny et Alexandre est un film sur le théâtre et nous racontons au théâtre un film.

FAB – Par contre, il a fallu se questionner : il est intéressant de parler de théâtre au cinéma, mais comment traduire ce choc des médiums au théâtre ? Nous avons choisi de mettre Alexandre dans une perspective où il serait l’enfant qui deviendrait Bergman. Dans cette pensée, Alexandre construit le langage qui fera de lui un cinéaste avec l’univers du théâtre dans lequel il est plongé.

MG – À quel duo célèbre pourriez-vous comparer votre duo de mise en scène ?

FANNY ET ALEXANDRE

Pierre et Gilles, duo d’artistes

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SC – J’hésite entre Les Demoiselles de Rochefort ou Thelma et Louise. Des sœurs jumelles qui refondent le présent ou des sœurs cosmiques qui aiment l’aventure et les couleurs pastel.

FAB – Pierre et Gilles, parce que, comme eux, il y a quelque chose d’artisanale dans notre travail. Ce duo d’artiste forme un tout, on ne peut pas savoir comme spectateur qui a fait quoi. Avec Sophie, nous voulons que nos imaginaires s’embrassent pour en fabriquer un nouveau.

MG – Qu’est-ce que Fanny et Alexandre nous raconte sur le Québec et sur les Québécois d’aujourd’hui ?

SC – Nous ne tissons pas de liens à proprement parler mais le passé religieux pas si ancien du Québec trouve un écho dans Fanny et Alexandre.

FANNY ET ALEXANDRE

Artiste multidisciplinaire, Sophie Cadieux a fait son propre chemin dans le milieu théâtral montréalais, en alignant plus d’une trentaine de titres. Femme réfléchie et audacieuse, c’est au cours d’une résidence de trois ans à Espace Go que la comédienne a posé un regard sur son rôle d’artiste, sur sa vie de femme et sur la trace qu’elle laisse à travers les traces des autres, ainsi que pour faire vibrer des projets artistiques qui lui tiennent à cœur. C’est aussi à Espace Go, en mars 2014, qu’elle a signé sa première mise en scène, d’une pièce intitulée Tu iras la chercher de Guillaume Corbeil. Elle poursuit depuis cette discipline et met en scène Gamètes (2017) de Rébecca Déraspe. En 2016, elle est récipiendaire du Prix de la critique de l’AQCT – Meilleure interprétation féminine pour la pièce 4:48 Psychose, présenté cet automne à Paris avec succès. Récemment, nous avons pu la voir sur les planches de différents théâtres, notamment dans La Fureur de ce que je pense d’après des textes de Nelly Arcand, Toccate et fugue d’Étienne Lepage, ainsi que Des arbres de Duncan Macmillan. Elle mène aussi une carrière florissante au cinéma et au petit écran, nous donnant récemment le bonheur de la voir dans le rôle principal de Lâcher prise, qui lui vaut un prix Gémeaux dans la catégorie Meilleur premier rôle féminin – comédie. Elle est aussi cofondatrice du Théâtre de la Banquette arrière.

Diplômé en interprétation de l’École nationale de théâtre du Canada en 2012, Félix-Antoine Boutin fonde à sa sortie Création Dans la Chambre, avec la scénographe Odile Gamache et l’éclairagiste Julie Basse, auxquelles s’ajoutent en 2017 Gabriel Plante en tant que codirecteur artistique. Ce collectif a créé plusieurs spectacles depuis sa fondation : Un animal (mort), Koalas, Message personnel, Le sacre du printemps (Tout ce que je contiens), Les dévoilements simples (strip-tease), Archipel (150 Haïkus avant de mourir encore) et Orphée Karaoké. Félix-Antoine Boutin est en résidence de recherche à L’L (Bruxelles) en partenariat avec Montevideo (Marseille) depuis mars 2015. La dernière création de la compagnie, Petit guide pour disparaître doucement, est issue de cette recherche. Le metteur en scène a aussi plusieurs fois collaboré avec le CEAD, en créant les Théâtre à relire de Claude Gauvreau et de Réjean Ducharme.

Les Demoiselles de Rochefort

FAB – Pour moi la pièce parle de résistance face à la norme, c’est une ode à la pensée marginale, au refus des doctrines morales qui nous régissent. Bergman démontre que l’art est puissant, qu’il peut défaire le réel tel qu’on le conçoit pour y laisser pénétrer l’invisible. C’est un dieu multiple, vaste et libre qui a la force de tout détruire et tout reconstruire.

MG – Quel est le plus grand avantage à travailler une mise en scène à deux ?

SC – Nous avons une énergie sans relâche. Nous pouvons avoir plusieurs conversations en même temps avec notre précieuse assistante Stéphanie ou avec Romain Fabre au sujet d’un détail de scénographie et donner des notes de jeu. Tout ça grâce à notre cerveau partagé et tentaculaire.

FAB – Aussi, je dirais que ça fait évoluer les idées de manière inattendue. Puisqu’il faut beaucoup discuter en amont des répétitions et pendant l’adaptation, donc nos idées évoluent beaucoup à l’oral, ce qui fait une belle différence sur la circulation de notre créativité.

SC – C’est une expérience qui propulse, déstabilise.

FAB – Il faut aimer discuter et confronter ses idées. Il faut avoir une synergie forte, pour ne pas que l’équipe se sente prise entre deux chaises. Mais quand ça fonctionne, il y a des possibilités de dépassement infinies.

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Ingmar Bergman était trop libre-penseur pour assujettir ses mémoires à une chronologie rigide. Devant Laterna magica, il faut sans doute parler plutôt d’anti-mémoires, tant le va-et-vient entre souvenirs d’enfance et anecdotes professionnelles procède ici par analogie, de façon organique et décloisonnée.

Paru en 1987, ce texte est l’occasion pour le créateur de renouer avec le petit garçon qu’il a été, dans la frange conservatrice de la Suède des années 1920. Petit garçon marqué pour toujours par la relation complexe entretenue avec une mère malheureuse, adepte de chantage émotif, et un père rigide, pasteur luthérien obsédé par le projet de donner à sa communauté le bon exemple.

RAPPORT DE LECTURE

Si le regard de cet enfant est souvent assombri par les pesanteurs du quotidien, il est aussi plein de l’invention et de la sensibilité qui vont faire la réputation de l’artiste à venir. Une bagarre avec Dag, son grand frère, son amour pour une jeune femme engagée pour le surveiller ou sa complicité avec l’oncle Carl, à la fois pauvre d’esprit et inventeur doué, doublé d’un urinomane (parfois, Carl ne peut résister à la tentation d’uriner dans son pantalon) : tout est matière à questionner un itinéraire singulier, jalonné de petites et de grandes blessures, et nous donne accès à une thématique de l’enfance somme toute assez peu présente dans l’œuvre, mis à part, notamment, dans le scénario de Fanny et Alexandre.

LATERNA MAGICA : LUMIÈRE INTÉRIEUREPAR TRISTAN MALAVOY

FANNY ET ALEXANDRE

POURQUOI ?

Je trouve que Tristan a une plume magnifique, un esprit fin et pénétrant, et il est aussi éditeur; qui de mieux pour se prêter au jeu du rapport de lecture ?

– M. Gosselin

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Laterna magica révèle l’authentique talent d’un Bergman écrivain, volontiers autocritique, particulièrement attentif à ses contradictions et qui n’hésite jamais à faire se côtoyer le féroce et l’amoureux, le trivial et le spirituel, les problèmes intestinaux dont il a tant souffert et les idéaux esthétiques. Parce qu’il y a aussi beaucoup de ça, dans ces pages, le metteur en scène et cinéaste remontant aux sources de sa passion pour le théâtre, qui était au cœur de sa vie, et pour le septième art, lequel représentait selon lui, lorsque toutes les conditions étaient réunies, la quintessence du geste artistique. « Le cinéma en tant que rêve, le cinéma en tant que musique. Aucun art ne traverse, comme le cinéma, directement notre conscience diurne pour toucher à nos sentiments, au fond de la chambre crépusculaire de notre âme. »

Éd. Gallimard, coll. « Folio », 384 p. Trad. du suédois par Lucie Albertini et Carl Gustaf Bjurström.

PROUESSES ET ÉPOUVANTABLES DIGESTIONS DU REDOUTÉ PANTAGRUEL

Tristan Malavoy a fait paraître des poèmes, des nouvelles et des disques à la croisée de la chanson et de la littérature orale, dont le remarqué L’école des vertiges (Audiogram/L’Hexagone, 2018). Il est aussi l’auteur du roman Le Nid de pierres (Boréal, 2015) et de Feux de position (Somme toute, 2017), un recueil de ses meilleures chroniques parues dans les pages de Voir et L’actualité.

INGMAR BERGMAN FANNY ET ALEXANDRE

POUR LES CURIEUX

La vie et l’œuvre d’Ingmar Bergman, racontées par Rafaël Ouellet

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Au théâtre, il est difficile de faire vivre une expérience immersive du froid. De brûlants projecteurs éclairent généralement l’aire de jeu et la température de la salle préserve le confort du public, assis et immobile. Pourtant, le froid est bien présent sur scène. Cette sensation thermique, cet état de la matière, cette essence du Nord et de l’hiver, s’y manifestent par la matérialisation de ses effets dans l’espace. En s’appropriant les éléments mis en scène, le public construit le froid. Dans l’adaptation théâtrale de Fanny et Alexandre d’Ingmar Bergman, les traces de nordicité et d’hivernité ancrent l’action dans un Nord froid. Lorsqu’il s’inscrit au sein d’une réplique, le mot « froid » n’attend plus qu’à revêtir une charge symbolique pour dévoiler le territoire intérieur des personnages.

FANNY ET ALEXANDRE

Les marques de la nordicité

Conçue dans les années soixante par le linguiste et géographe Louis-Edmond Hamelin, la notion de « nordicité » se situe à la frontière du réel et de l’imaginaire, du paysage tangible et de la représentation artistique. C’est l’état réel, perçu, vécu et inventé d’un espace froid à l’intérieur de l’hémisphère boréal. Comme le territoire marque l’imaginaire, que l’imaginaire s’inspire du territoire et que le territoire peut être créé de toutes pièces par l’imaginaire, la nordicité nourrit les artistes, qui la (re)définissent par le truchement de leurs créations. Truffée de composantes propices au déploiement d’un Nord scandinave, la pièce Fanny et Alexandre n’est pas sans rappeler les origines suédoises de Bergman. Le spectateur y explore une facette de la nordicité, tantôt étrangère, tantôt familière. Dès les premiers tableaux, les références culturelles campent le décor : un théâtre suédois. Le hareng mariné, les boulettes de viande, le pain trempé dans le jus de jambon le soir de Noël, la chanson Nu är det jul igen, le nom de famille Ekdahl, qui fait référence à la famille éponyme dépeinte par le dramaturge norvégien Henrik Ibsen dans Le canard sauvage, la scène de la nativité et les rituels donnent à voir une Suède sous le joug de la religion. Au contact de l’évêque Edvard Vergérus, Fanny et Alexandre se confrontent à un environnement ascétique et rigoriste, qui fait écho à la Grande Noirceur. Le Nord apparait alors comme le lieu de la préservation des traditions. Ainsi, le jeune Alexandre raconte que sa grand-mère « a fondu en larmes » quand son père a tenté de la persuader d’ « installer le chauffage central », car elle croyait que « son fils ne l’aimait plus ». L’avènement du chauffage, de la modernité, aurait altéré les mœurs et, implicitement, fait disparaitre le « froid », symbole de l’identité nordique.

INCARNER LE FROIDPAR JULIE GAGNÉ

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Les signes de l’hivernité

Dans la pièce, la nordicité côtoie l’hivernité. Ce terme, datant de 1991, correspond, selon Hamelin, à une « nordicité saisonnière ». L’hivernité permet d’expérimenter temporairement le Nord. En effet, durant l’hiver, le froid agit sur le territoire et le « nordifie ». Lors d’une bataille, Maj, Fanny et Alexandre font neiger les oreillers. Il s’ensuit une « danse des flocons », qui évoque la joie enfantine liée à la neige. Les matériaux nordiques et, par association, la saison froide peuvent aussi se faire décor du malheur. Alexandre rappelle que « la neige n’en finit pas de tomber » quand « un insupportable chagrin » l’envahit, puis que « c’est l’hiver » que « la mort frappe ». Même si le printemps laisse poindre l’espoir du dégel, le froid s’accroche, glissant de l’extérieur à l’intérieur pour devenir métaphore du ressenti.

Une fenêtre sur le territoire intérieur des personnages

Véritable marque de subjectivité dans le langage, pour reprendre les termes de la linguiste Catherine Kerbrat-Orecchioni, le froid révèle l’intériorité des personnages en mettant des mots sur leur mal-être. Alexandre partage sa solitude quand Maj le quitte : « Alexandre sent une douleur au creux de son estomac, il a froid, mais ce froid n’est pas parce qu’il fait froid dans la chambre, c’est à cause d’un frisson au fond de son thorax […]. » Fanny précise qu’elle a « tellement froid » à l’instant où elle se glisse dans le lit d’Alexandre, en quête de chaleur humaine. Le jeune garçon dit qu’il « tremble également de froid » quand la peur l’ébranle. De plus, la froidure véhicule la charge émotive liée à la perte : « Alexandre ferme les yeux. Quand il les ouvre de nouveau, son père a disparu. La lumière de l’aube est froide. Il a froid. » Le froid transcende l’inconfort physique pour traduire l’indicible malaise qui se terre au creux des personnages transis.

D’après Daniel Chartier, spécialiste de l’imaginaire du Nord, la nordicité et l’hivernité sont des « éléments d’identification identitaires ». Avec Fanny et Alexandre, le spectateur s’identifie au froid ressenti par les personnages pour le faire sien. L’adaptation touche les sensibilités nordiques, tissant ainsi des liens intimes entre la Suède et le Québec.

FANNY ET ALEXANDRE

Julie Gagné enseigne le français au collégial. Ses recherches portent sur l’imaginaire et les usages du froid dans les pratiques scéniques et dramaturgiques du théâtre québécois contemporain. Son plus récent article à caractère théâtral, « La cartomancie du territoire | Redessiner sa vision du monde au contact de l’autre », basé sur des entretiens avec Philippe Ducros et Kathia Rock, est publié dans le treizième numéro de la revue Littoral.

POURQUOI ?

Je suis tombé par hasard sur le nom de Julie Gagné en faisant des recherches sur le théâtre et la nordicité, j’ai tout de suite senti son amour profond pour la dramaturgie et le froid, la candidate parfaite !

– M. Gosselin

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ARTICLE

FANNY ET ALEXANDRE

Art multimillénaire, à défaut d’être multimillionnaire, il y a longtemps que le théâtre se fait son cinéma. Et le septième art n’a pas tardé, avant d’emprunter les mille et une avenues technologiques qu’on lui connaît, à s’approprier les codes du théâtre : Georges Méliès était d’abord illusionniste avant d’être cinéaste et on transposa Shakespeare à l’écran dès 18981 ! Mais la grâce inhérente à ces deux arts majeurs peut-elle facilement traverser de l’un à l’autre ? Pour analyser pareille aventure, permettez-moi de me camper exclusivement en sol québécois.

Nos dramaturges adaptés au cinéma se comptent presque sur le bout des doigts. Normal, vu la relative « jeunesse » de notre théâtre. De Gratien Gélinas

DE L’ÉCRAN COMME RIDEAU DE SCÈNEPAR NICOLAS GENDRON

POURQUOI ?

Il est rare d’avoir sous la main un spécialiste du théâtre, doublé d’un critique de cinéma avec une intelligence pointue comme Nicolas; j’ai sauté sur l’occasion.

– M. Gosselin

(Tit-Coq) à Evelyne de la Chenelière (Au fil de l’eau, Monsieur Lazhar), de René-Daniel Dubois (Being at home with Claude) à Wajdi Mouawad (Incendies), sans oublier le plus adapté d’entre tous, Michel Marc Bouchard (Lilies, Les Muses orphelines, Tom à la ferme, The Girl King), nos auteurs naviguent rarement de la scène à l’écran. À moins de passer soi-même derrière la caméra, tels Mouawad (Littoral) et surtout Robert Lepage (Nô, La Face cachée de la lune, Triptyque)2. Alors imaginez le chemin inverse !

Et pourquoi serait-on aussi frileux à adapter un film sur les planches ? D’abord, il y a l’ancrage du temps. Plus l’adaptation théâtrale sera distanciée de la création de l’œuvre originale, plus elle pourra soit

Les Bons Débarras, d’après le film de Francis Mankiewicz, adaptation et mise en scène de Frédéric Dubois, joué au Trident à l’automne 2016

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jouir du statut de « classique » de son inspiration, soit s’en affranchir davantage et déjouer les attentes, se délester du poids de la comparaison récente. Si le théâtre privé n’hésite pas à tabler sur des histoires drôles et/ou rassembleuses, issues majoritairement du cinéma français (Le dîner de cons, Les choristes, Tanguy), d’autres créateurs osent s’emparer de films d’ici qui ont fait leurs marques autrement, qui par une tension implacable (Martin Genest avec son Octobre 70, d’après Octobre de Pierre Falardeau), qui par l’esprit de ses dialogues affûtés (Le déclin de l’empire américain de Denys Arcand, revisité par Patrice Dubois et Alain Farah) ou par les émotions à vif d’une langue ducharmienne3 (Frédéric Dubois adaptant Les bons débarras de Francis Mankiewicz). Pas de fresques historiques ni de déluge d’effets spéciaux en vue. Priment la force d’une histoire et l’imaginaire au pouvoir !

On mise donc d’emblée sur ce qui lie théâtre et cinéma. Des personnages uniques au potentiel cathartique, un puissant squelette dramatique, et la machine à rêves qu’ils incarnent tous deux, chacun à leur manière. Mais sur les planches, la tension naît soudain d’un public placé en plongée de l’action (Octobre 70), les dialogues d’origine sont revus au goût du jour (Le déclin…) ou un homme se transforme en voiture le temps d’une balade (Les bons débarras). L’écran de cinéma devient cadre de scène; l’œil du spectateur est le monteur en chef; et la troupe d’interprètes peut rivaliser de sueur pour vous convaincre que l’instant présent ne s’usine pas à Hollywood. Libérées du réflexe de l’hyperréalisme, les images reprennent leur plein droit de symboles : la poésie s’impose comme productrice déléguée. Et alors, si et seulement si le théâtre ne tente pas de faire recette, la magie traverse l’écran.

FANNY ET ALEXANDRE

1 On parle ici d’un court métrage évoquant The Life and Death of King John, pas la pièce la plus connue du « barde de Stratford ». Mais les adaptations plus ou moins libres de son œuvre défileront ensuite par centaines au septième art, chez les Laurence Olivier, Orson Welles, Akira Kurosawa, Franco Zeffirelli, Jean-Luc Godard, Kenneth Branagh, Peter Greenaway, Baz Luhrmann, Julie Taymor ou… Yves Desgagnés !

2 Quoique les dernières années créeront peut-être une nouvelle tendance, entre Le vrai du faux d’Émile Gaudreault, d’après Au champ de Mars de Pierre-Michel Tremblay, Montréal la blanche de Bachir Bensaddek, d’après sa pièce éponyme, et le King Dave de Podz, d’après le texte primé d’Alexandre Goyette. À surveiller en 2019 : les adaptations cinématographiques des œuvres de Marie-Christine Lê-Huu (Jouliks) et François Archambault (Tu te souviendras de moi).

3 En effet, rappelons que le scénario original de ce film de 1980 était signé par le dramaturge Réjean Ducharme, mais nullement inspiré d’une de ses pièces de théâtre.

Comédien, auteur et metteur en scène, Nicolas Gendron participe à une trentaine de productions théâtrales, depuis sa formation à l’École de théâtre professionnel du Collège Lionel-Groulx. Directeur artistique d’ExLibris (Et au pire, on se mariera, L’Enfance de l’art – Doigts d’auteur de Marc Favreau), il collabore avec plusieurs compagnies, dont le Théâtre Parminou, le Théâtre la Catapulte, On a tué la une!, La Bordée, Le Choix de la présidente et Ondinnok. Aussi journaliste et critique de cinéma, on peut le lire, entre autres, dans Ciné-Bulles et VOIR. En parallèle, depuis l’été 2017, il est conseiller artistique au Théâtre Denise-Pelletier.

Le Déclin de l’empire américain, d’après le film de Denys Arcand, adaptation d’Alain Farah et Patrice Dubois, créé à Espace GO par le PÀP en 2017, et repris en 2018

Octobre 70, d’après le film de Falardeau, adaptation et mise en scène de Martin Genest, créé à La Caserne en 2010 par le Théâtre Blanc, puis repris au FTA en 2011

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RÉCIT

DANS MON VENTREPAR ALAIN FARAH

J’écris Fanny, j’écris Alexandre, mais si je sais que le cinéma existe, c’est grâce à Madame Ekdahl.

Madame Ekdahl, c’était au collège ma professeure de latin, ma professeure de lettres classiques. J’avais douze ans quand elle m’a enseigné pour la première fois, elle avait émigré d’Uppsala, en Suède, deux décennies plus tôt, presque en même temps que mes parents. Elle nous racontait les guerres puniques, César, le Rubicon, elle nous parlait des dieux grecs et du Panthéon comme de sa propre famille, elle nous parlait de littérature, elle nous parlait de cinéma.

FANNY ET ALEXANDRE 22

Ces fictions m’ont appris la nécessité d’inventer des mondes à mon tour, des mondes où je serais le plombier, le farfadet, la chasseuse de primes, des mondes dont la légitimité se résumerait à mon désir de survivre et de raconter.

Si elle avait écrit des livres, si elle avait fait des films, madame Ekdahl serait-elle encore vivante ? Que se passe-t-il dans la tête d’une professeure pour qu’elle se pende, en plein été, dans la palestre où, un mois plus tôt, jouaient ses élèves ?

Pourquoi la littérature, qui a de curieux pouvoirs, n’a pas su la sauver ?

Je repense à Ekdahl, pas seulement à cause de son patronyme improbable, mais car elle a été la première à me mettre de la littérature entre les mains, c’est-à-dire un vrai livre, c’est-à-dire un livre intense, Une saison en enfer, ce livre écrit, m’avait-t-elle dit, par un grand poète, un garçon à peine plus vieux que je ne l’étais alors. Le titre à lui seul m’avait d’abord troublé : je traversais une grande période de crise. Sans madame Ekdahl, sans Rimbaud, sans Fanny et Alexandre, je n’aurais pas, si tôt dans ma vie, mis les mots sur mon plus grand secret, mon plus grand talent, ma plus grande faiblesse.

J’ensevelis les morts dans mon ventre.

FANNY ET ALEXANDRE

Alain Farah est écrivain. En 2013, il a fait paraître son deuxième roman, Pourquoi Bologne (Le Quartanier) de même qu’un essai, Le Gala des incomparables (Classiques Garnier). Farah est aussi l’auteur de Matamore no 29 (Le Quartanier, 2008) et de Quelque chose se détache du port (Le Quartanier, 2004). Professeur à l’université McGill, il enseigne la littérature française contemporaine et la création littéraire. On peut l’entendre, depuis 2011, à l’émission Plus on est de fous, plus on lit sur les ondes de ICI Radio-Canada Première. En 2016, il a publié un roman graphique, La ligne la plus sombre (La Pastèque). Cette année, un extrait de son prochain roman est paru dans le numéro 141 de Granta sous le titre Life of the father. Son travail, toujours autobiographique, questionne la frontière poreuse entre la réalité et la fiction.

POURQUOI ?

Je voulais absolument aborder comment le personnage d’Alexandre grandit, se construit grâce aux fictions qu’il s’invente; et l’écrivain Alain Farah explore cette frontière entre la réalité et la fiction d’une manière tout à fait singulière et sensible.

– M. Gosselin

Je la respectais, je l’aimais. Je me demande encore comment elle a pu en arriver là.

Ekdahl, je le réalise aujourd’hui, est la première à m’avoir fait comprendre l’importance de se bâtir une culture singulière, intime, une culture qui ne réponde pas nécessairement aux exigences d’un canon mais qui soit sentie, sensible, qui puisse se coller à nous comme une deuxième peau. L’importance des grandes œuvres ne se vérifient pas dans les dictionnaires. Si Bigelow ou Bergman sont importants, c’est pour ce que leurs films font dans notre corps.

Je me souviens avoir confié à Madame Ekdahl que je ne lisais pas, que je ne connaissais rien à la littérature, que je ne connaissais rien au cinéma. Je n’oublierais jamais sa réponse : avec son accent scandinave, elle m’avait dit que ces jeux vidéos conçus au Japon qui me passionnaient, Zero Wing, Zelda, Metroid, ces jeux que je me dépêchais d’aller louer le vendredi après-midi, dès la sortie des classes, eh bien, c’était ça, mes classiques.

La rencontre de cette professeure a débloqué quelque chose en moi. Je pouvais être moi-même, celui que j’étais, tout en commençant à être un autre.

À cette époque, je m’évadais de ma tristesse en me plongeant dans des mondes où des plombiers italiens pourchassaient des champignons sur des nuages, des royaumes où un jeune garçon costumé en farfadet parvenait, en traversant le miroir, à passer de l’ombre à la lumière. Je découvrais des planètes où une chasseuse de primes intergalactique luttait contre un cerveau géant.

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Fuyant le danger, Madeleine se retrouve prisonnière d’une caverne occupée par Dordogne, une tortue millénaire. C’est dans cet univers hostile qu’elle accouche de Lascaux. Dans l’espoir que son fils connaisse un jour le monde extérieur, elle lui transmet tout ce qu’elle sait : la parole, l’art et l’écriture. Et un jour, Lascaux découvre une issue. A-t-il ce qu’il faut pour survivre ?

Jeu d’acteur, théâtre d’ombres et marionnette, voilà ce que marient Jasmine Dubé et Pierre Robitaille et leurs deux compagnies aguerries, pour ce spectacle qui nous entraîne à l’origine de l’humanité, là où la lumière est à naître.

TEXTE JASMINE DUBÉ

MISE EN SCÈNE JASMINE DUBÉ PIERRE ROBITAILLE

COPRODUCTION THÉÂTRE BOUCHES DÉCOUSUES ET PUPULUS MORDICUS

AVEC ÉVA DAIGLE JULES RONFARD MARJORIE VAILLANCOURT

ÉQUIPE

MARIONNETTES PIERRE ROBITAILLE

OMBRES MARCELLE HUDON

ASSISTANCE LAURENCE CROTEAU LANGEVIN

RÉGIE GABRIEL DUQUETTE

CONCEPTION THOMAS GODEFROID CHRISTOPHE PAPADIMITRIOU ERICA SCHMITZ

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ARTICLE

LASCAUX

LA GROTTE DE LASCAUX : NAISSANCE DU LANGAGE ARTISTIQUEPAR ANTOINE LAPRISE

« Dans ces cris, ce vacarme, ces immenses assemblées, ces lumières, dans ces mécanismes, dans ces déclarations, ces armes, ces armées, dans ces déserts, dans ce soleil méconnaissable, commence la nouvelle préhistoire. »

Pier Paolo Pasolini, La Rage.1

Notre espèce, homo sapiens, est apparue il y a environ 200 000 ans, mais il semblerait que nous n’ayons maitrisé la gravure et le dessin il y a seulement 40 000 ans. Qu’avons-nous fait entretemps ? Sûrement beaucoup de choses ! « En matérialisant son image, la sienne propre ou celle d’un autre être, réel ou imaginaire, l’artiste utilise, comme dans le langage, un support pour ses représentations mentales et prend ainsi du recul par rapport à elles. »2

1 Trouvé en exergue de l’étrange récit utopique de François Bizet, Dans le mirador (Les presses du réel, Dijon, 2018), qu’on pourrait à juste titre qualifier de « miroir de la préhistoire ». 2 Demoule, J.-P., Naissance de la figure, p. 48.

POURQUOI ?

J’ai toujours partagé avec Antoine une réelle passion pour notre préhistoire et pour la naissance de l’homo sapiens. Esprit curieux, je savais que lui faire écrire ce texte, c’était un peu lui faire un cadeau !

– M. Gosselin

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Au bout de millénaires, fier de sa capacité à faire des analogies, l’humain se met donc au dessin sur des parois de grottes. C’est dire à quel point le développement de notre esprit en rapport avec le monde s’est fait progressivement. Ensuite, bien sûr, la superposition des savoirs mènera à une incroyable accélération. Cependant la culture a pris des millénaires à se bâtir. La moindre avancée, patiemment acquise. Et la première chose que nous ayons illustrée, quelle est-elle ? D’un bout à l’autre de l’Eurasie, des grottes du Kalimantan à celles de la Dordogne, une constante : nous avons d’abord représenté des animaux, avant de nous représenter nous-mêmes.

Que le premier geste graphique qui nous soit parvenu de nos ancêtres soit la reproduction d’un animal, il y a de quoi réfléchir... Que notre peau de bête soit notre véritable berceau montre à quel point nous avons émergé de notre animalité, pour progressivement nous en différencier. Sur quoi, sur qui prendre appui pour nous singulariser ? Sur notre presque semblable : l’animal. Comme pour poser ces questions : Sommes nous ceux-là ? En quoi sommes-nous différents ? Notre émergence a donc pris appui sur le règne animal, à l’aide des animaux. Pas étonnant que Jasmine Dubé ait convié dans sa pièce une tortue – sortie tout droit d’un mythe iroquoien ! Voilà ce que semblent nous dire les peintures rupestres de Lascaux, qui ne sont pas les plus anciennes – elles n’ont que 19 000 ans – mais qui sont représentatives de l’art du paléolithique.

Quant à la première représentation humaine, il semble que ce fut le calque d’une main. Autrement, pas de figures humaines sur les parois des grottes, ou alors quelques exceptionnelles créatures hybrides, mi-hommes, mi-bêtes...

Mais, me demanderez-vous, cet art paléolithique, qu’est-ce qu’il raconte ? Presque rien, selon l’anthropologue Alain Testart : « tout y est tranquille; les mammouths défilent paisiblement, et le galop des chevaux est joyeux. »3 Pour lui, Lascaux « représente l’état du monde au temps du mythe, dans cette période intermédiaire pendant laquelle la différenciation entre espèces animales est accomplie, mais celle entre hommes et animaux encore inachevée [...] »4 Comme quoi, encore une fois, on ne sait pas très bien si ce sont les hommes qui sont des animaux ou les animaux qui sont des hommes...

Aujourd’hui, pourtant, le dialogue ininterrompu entre l’humain et l’animal est menacé. Nos frères et

sœurs d’origine, en péril. En ce qui nous singularise, notre distinction, notre fierté, résiderait donc notre perdition ? À qui nous adresserons-nous désormais ? Sur quelle paroi ?

POUR LES CURIEUX PS : Cliquez ici pour une visite en détail de la grotte de Lascaux.

LASCAUX

Comédien, auteur, metteur en scène et réalisateur, Antoine Laprise est diplômé du Conservatoire d’art dramatique de Québec (1990). Il fonde en 1995, avec Lorraine Côté, le Théâtre du Sous-marin jaune, animé par le désormais célèbre Loup bleu (Candide; La Bible; Discours de la méthode; Les Essais d’après Montaigne; Kanata; Guerre et paix). En 1996, il participe à la Course Destination Monde puis travaille comme réalisateur pour Pixcom (Bons Baisers d’Amérique) et Radio-Canada (RDI, La Vie d’Artiste). Il réalise deux documentaires : Le Dernier mot (2006) sur le critique Robert Lévesque et La Bête volumineuse (2009) sur le musicien Fred Fortin. Il se consacre principalement à la mise en scène de théâtre (Le Mahabharata, Tom Sawyer, La Nature même du continent, La Bonne âme du Setchouan, Les Cercueils de Zinc, Pedro Paramo, Double suicide à Amijima, Dans le petit manoir, Le Dragon) ou de musique (Le Voyage d’hiver de Keith Kouna). Son premier spectacle solo, Otomonogatari / L’Éveil d’une oreille (2015), aborde l’univers de la musique expérimentale japonaise. Il a été professeur invité à l’École supérieure de théâtre de l’UQAM pour l’année 2017-2018.

3 Testart, Alain, Art et religion de Chauvet à Lascaux, Gallimard, 2016, p.93.

4 Testart, Alain, Avant l’histoire, Gallimard, 2012, pp.269-270.

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DES MARIONNETTES ET DE LA DRAMATURGIEPAR PIERRE ROBITAILLE

Maintenant quarante ans que Pierre Robitaille se commet avec ses amies articulées. Véritable passionné, il adore sortir de ses zones de confort et expérimenter sans cesse de nouvelles voies expressives pour son médium. En 1995, il a cofondé le Théâtre Pupulus Mordicus, en compagnie notamment de Martin Genest, Marie-Christine Lê-Huu, Philippe Soldevila et Sylvie Courbron et, depuis, œuvre presque exclusivement pour le public adulte. Cette compagnie a créé quinze spectacles qui ont été présentés au Québec, au Canada et en tournée internationale. Les scènes institutionnelles de Québec accueillent régulièrement les productions de la compagnie qui est reconnue pour son inventivité, sa poésie et, souvent, son irrévérence.

Outre le travail sur son esthétique et sa manipulation, une recherche continue sur l’intégration de la marionnette dans la dramaturgie fait partie des enjeux des créations de la compagnie.

Quelques spectacles marquants : Faust, Pantin du diable de Marie-Christine Lê-Huu, Les Enrobantes, cabaret décolleté pour psychanalyste plongeant de la même auteure, Jacques et son maître de Milan Kundera et Cabaret Gainsbourg (idée originale de Martin Genest).

Pourquoi la marionnette ?

Je commence par vérifier quelques grands principes assez simples :

1. Si un comédien peut le faire, on le privilégie. Toujours.

2. Si la marionnette peut donner une dimension supplémentaire au spectacle du point de vue dramaturgique :

- Sigmund Freud (marionnette) se faisant psychanalyser (et manipuler) par lui-même (en chair et en os)

- Des vieux en marionnettes avec des préposés aux soins (marionnettistes)

3. Si elle permet de réaliser des effets de mise en scène, par exemple :

- Un plan très large comme une scène de bataille

- Un dragon-comédien combat un mini-chevalier (marionnette)

- Un univers onirique ou surréaliste

- Un personnage qui vole

- Qui explose, se démembre

- Qui change littéralement de tête

Bref, les possibilités sont infinies…

Dans le cas de Lascaux, on suit le personnage de sa naissance à l’âge de quinze ans; le représenter en marionnette tout juste né et pendant sa petite enfance s’avérait une bonne idée. Quant à Dordogne, tortue imaginaire et immémoriale, la marionnette s’imposait. Et plutôt que d’illustrer une tortue, pourquoi ne pas être à l’intérieur d’elle : la grotte, sa carapace. Le décor tout entier acquiert alors le statut de personnage : il respire, parle, ressent. Ceci multiplie les couches de sens du spectacle.

Ainsi, la marionnette fait beaucoup plus qu’imiter le vivant; elle le magnifie !

LASCAUX

POURQUOI ?

Pierre Robitaille est une sommité de la marionnette, une sommité simple, drôle, humaine, accessible, gourmande, folle. Si j’ai la chance de travailler avec lui, je la saisis toujours.

– M. Gosselin

POUR LES CURIEUX Pour en apprendre plus sur Pierre Robitaille et la marionnette pour adultes

Entrevue avec Pierre Robitaille

Théâtre Pupulus Mordicus

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UN UNIVERS POÉTIQUE OÙ SE FUSIONNENT LE JEU D’ACTEUR, LA MARIONNETTE ET LE THÉÂTRE D’OMBRES

L’HISTOIRE

Fuyant un monde apocalyptique, Madeleine tombe dans une caverne occupée par Dordogne, une mystérieuse tortue, métaphore de la Terre. C’est dans cet univers hostile qu’elle accouche d’un enfant, qu’elle appelle Lascaux. Avec urgence, elle lui transmet la parole, l’art, l’écriture, la survie et lui confie la mission de travailler à la reconstruction d’un monde meilleur. Lascaux trouvera-t-il une issue ? Y a-t-il encore au moins quelqu’un là-haut ? Et si l’espoir de l’humanité était enfoui au fond de cette caverne ?

LES THÈMES

La transmission

Livrée à elle-même dans cette caverne inhospitalière, Madeleine place tout son espoir en Lascaux, son fils. Le seul outil qu’elle possède pour assurer sa survie est la transmission. Elle lui enseigne donc avec urgence le langage, l’écriture, la survie, l’art.

La caverne comme symbole

À l’heure du numérique, alors que nous vivons dans un monde de plus en plus immatériel, Lascaux nous ramène à l’essence même de l’Homme. Comment ont vécu les premiers humains ? Qu’ont-ils peint sur les parois des cavernes ? Lascaux, le garçon né sous terre, n’a jamais connu le monde extérieur. Est-il « enchaîné » comme le croyait Platon dans son allégorie de la caverne ?

L’état du monde

Madeleine atterrit dans la caverne en fuyant un cataclysme. Que se passait-il là-haut ? Au fond de la grotte, nous nous trouvons plongés à l’origine du monde, alors qu’au dehors c’est la fin d’un monde. La pièce pose des questions sur l’état de la Terre, ce qu’elle pourrait devenir si nous continuons dans cette voie, mais donne aussi l’espoir d’une reconstruction possible par les générations futures.

J’arracherai tous les piquants, les tranchants

Je ferai pousser de la mousse pour ne pas que tu t’abîmes

Je t’apprendrai la parole.

Et, sur l’ardoise, je te montrerai l’écriture et la sculpture.

– Madeleine

LASCAUX – COMPLÉMENTS

LASCAUX 29

UNE MAISON DE POUPÉE

Dans cette Maison de poupée moderne, pas de corsets ni de domestiques. Le secret de Nora, mère de trois enfants au bonheur apparent, risque d’être dévoilé au grand jour. Elle se bute alors à ce constat : et si elle ne voyait le monde depuis tout ce temps que par le regard des hommes qui l’entourent ? Qui est Nora ? Sa douloureuse lucidité concourt-elle à son désir d’indépendance ?

Après le succès de la pièce Je crois ?, La Shop Royale et le metteur en scène Benoit Rioux invitent l’auteure de Gamètes, Rébecca Déraspe, à s’approprier le chef-d’œuvre d’Ibsen dans une langue d’ici et des échos d’aujourd’hui.

TEXTE HENRIK IBSEN

ADAPTATION RÉBECCA DÉRASPE

MISE EN SCÈNE BENOIT RIOUX

PRODUCTION LA SHOP ROYALE

ÉQUIPE

AVEC KIM DESPATIS MARIE-PIER LABRECQUE SIMON PIERRE LAMBERT MATHIEU LEPAGE JEAN-PHILIPPE PERRAS

ASSISTANCE ET RÉGIE ANDRÉE-ANNE GARNEAU

CONCEPTION JULIE BASSE XAVIER MARY

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La maison est bien entretenue. Les enfants y sont joyeux, la bonne est à son affaire. L’homme travaille, la femme dépense. Les amis s’y réfugient en passant. La lumière vertueuse du maître de maison irradie, se reflète sur l’entourage. Helmer calcule, jouit, accueille, condamne, pardonne. Il rêve d’un sacrifice qui ferait de lui un héros. Il voudrait même que son sang coule pour sauver sa femme Nora, pour la posséder davantage.

À l’approche de Noël, la brise du succès anime les cœurs d’une légèreté effervescente. Consécrations professionnelle et sociale sont aux portes de la demeure. Nora célèbre le confort à venir. Elle est cette jolie femme, pureté joyeuse d’obéissance, qui s’étourdit dans les emplettes de Noël. Pourtant la menace plane. Nora a des secrets. Un, surtout. Elle a dévié du code pour sauver son mari, pour construire sa maison. Ce code tacite qui départage le décent de l’inadmissible, le beau du laid. Une transgression qui est sa fierté et sa croix. Depuis des années, Nora trimballe ce poids en cachette en poursuivant sa danse, sans trébucher.

Mais le passé rôde et ressurgit. Le geste de Nora sera connu. Son mari saura. Les gens sauront. Nora tremble, mais espère. Le miracle surviendra. Il l’aime tant, il prendra le blâme, il la sauvera. Nora prévoit sa propre mort pour éviter le sacrifice de son mari, pour sauver sa maison. Mais le miracle n’aura pas lieu. La vérité éclate et illumine les fondations de la demeure. La façade ne repose pas sur le socle inébranlable que Nora imaginait. Le moteur d’Helmer n’est pas « Comment protéger ceux que j’aime ? ».

UNE MAISON DE POUPÉE

ANALYSE

LA LAMPE ALLUMÉEPAR EVELINE MAILHOT

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À la racine de ses gestes, une obsession plutôt : « Qu’est-ce que la société dira de moi ? ». La maison est en carton. Helmer n’est pas un héros, c’est un étranger. Nora est une poupée.

Nora n’a pas eu à se tuer. Elle se révolte. « Et vous n’avez pas honte maintenant que la lampe est allumée ? », demande Nora à son ami le docteur Rank qui vient de lui déclarer son amour. Non, Rank n’a pas honte. Il possède cette sagesse précieuse du mourant : il va disparaître, il sait que les gens l’oublieront. Mais dans la maison de poupée, l’honneur règne sur les gestes. Nora reçoit cet aveu d’amour sans même se questionner sur ses sentiments. Elle allait demander l’aide de cet ami, lui révéler son secret, mais l’amour avoué si égoïstement, le viol du code, empêche la confidence.

Car Nora a hérité du code de son mari, de son père, de la société. Lorsqu’elle contemple l’idée de la mort, elle tremble de se demander si ses propres enfants se souviendront d’elle; elle reste sans voix face au chantage de l’avocat qui dispose de sa mémoire. Helmer gère sa vie en fonction de l’approbation de l’entourage. Nora fait la même chose : être une bonne fille pour que papa et Helmer m’aiment, une bonne mère pour que mes enfants ne m’oublient pas. Face à la crise, Nora comprend que ce code préservé depuis toujours repose ultimement sur le fantasme que l’homme se fait de ses hommages posthumes. Saigner, oui. Être humilié, jamais.

Personne ne sacrifierait son honneur pour l’être qu’il aime, affirme Helmer. Les femmes le font depuis des siècles, rétorque Nora. Celle qui gardait secrètes ses opinions divergentes face au père, celle qui mangeait les macarons en cachette de son mari, celle qui s’est dit toute sa vie, « si je fais tout ce qu’il faut, ils ne m’oublieront pas », cette personne comprend maintenant que le code n’est pas là pour protéger ce qu’elle croyait. Agir dans la crainte du

malheur des siens ne vaut rien dans cet édifice de valeurs. La loi, la morale, ne tiennent pas compte des intentions. Si le crime restait secret, alors le geste d’amour de Nora serait une charmante insouciance, mais dévoilé au grand jour, il est cause de honte et de rejet. Nora est une criminelle. On doit en protéger la maison.

Le consentement à ce code était implicite. Nora ne l’avait jamais questionné, jamais reconnu. Tout s’effondre pour elle: Qui es-tu ? Qui suis-je ? Qu’est-ce que l’amour ? Qu’est-ce que la vie ? Je ne peux pas respecter et transmettre un code qui contredit ma vie. Je ne peux pas aimer un étranger. Je ne veux pas risquer d’empoisonner mes enfants. Je ne me fais pas confiance. Je m’en vais.

La révolte est profonde. C’est la mort imminente qui donne à Rank l’audace de défier la morale. Nora quitte la maison pour arriver dans la vie, pour se donner naissance, pour devenir une personne. Elle ne craint pas la médisance, car à ses yeux pour l’instant, le code social est invalide. Ils raconteront ce qu’ils voudront, je ne sais même pas si nous croyons aux mêmes choses, je ne sais même pas si je crois, je ne sais pas de qui ils parleront. Nora s’en va chercher, comprendre, choisir. Raconter sa propre histoire, la lampe allumée.

UNE MAISON DE POUPÉE

Formée en philosophie, Eveline Mailhot se consacre à l’écriture depuis une dizaine d’années. Elle a publié un recueil de nouvelles, L’amour au cinéma, aux éditions Les Allusifs, et un roman, Deux jours de vertige, chez Notabilia. Ses textes s’intéressent à la complexité des relations intimes et aux rêves qui nourrissent et entravent les parcours individuels et collectifs. Au quotidien, Eveline anime des ateliers de philosophie avec les enfants dans les écoles de Montréal.

POURQUOI ?

Je croise Eveline depuis quelques années maintenant et nos discussions à propos de littérature ont toujours été marquantes pour moi. Je sais qu’elle aime explorer la zone riche entre la philosophie et la fiction, alors il fallait impérativement l’entendre sur Nora et sa révolte.

– M. Gosselin

POUR LES CURIEUX Sur la figure de Nora et la suite de l’histoire imaginée par Elfriede Jelinek

Nora Helmer, une poupée qui dit non

« Ce qui arriva après que Nora eut quitté son mari ou les soutiens des sociétés »

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LA SOCIÉTÉ DES POÈTES DISPARUSDE TOM SCHULMAN*

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En 1959, dans la prestigieuse Welton Academy, Monsieur Keating, un professeur de littérature, surprend les étudiants avec une pédagogie anticonformiste. Invités par l’homme de lettres à trouver leur propre voix, les adolescents recréeront alors la « Société des poètes disparus », une sorte de club clandestin pour esprits libres dont Keating a autrefois été l’un des membres influents. La découverte d’une dimension hors norme du monde, guidée par la prise de parole et la poésie, en plein cœur d’une Amérique conservatrice, transformera à jamais les vies du réservé Todd Anderson, de l’exemplaire Neil Perry, et de leurs amis Knox, Charlie, Steven et Richard.

Le metteur en scène et auteur Sébastien David (Les morb(y)des, Les Haut-parleurs et Dimanche napalm, gagnant du Prix du Gouverneur général en 2017) s’attaque ici à une œuvre qui le hante depuis l’adolescence, celle du dramaturge Tom Schulman et du réalisateur Peter Weir. La Québécoise Maryse Warda signe la traduction de la pièce récemment tirée du scénario original et dont les dialogues nous habitent depuis 30 ans.

TEXTE TOM SCHULMAN

TRADUCTION MARYSE WARDA

MISE EN SCÈNE SÉBASTIEN DAVID

PRODUCTION THÉÂTRE DENISE-PELLETIER

ÉQUIPE

AVEC MUSTAPHA ARAMIS JEAN-FRANÇOIS CASABONNE PATRICE DUBOIS MAXIME GENOIS STÉPHANE JACQUES SIMON LANDRY-DÉSY ÉTIENNE LOU ANGLESH MAJOR ALICE MOREAULT ÉMILE SCHNEIDER

ASSISTANCE ET RÉGIE KARYNE DOUCET-LAROUCHE

SCÉNOGRAPHIE JEAN BARD

COSTUMES LINDA BRUNELLE

LUMIÈRES DAVID-ALEXANDRE CHABOT

CONCEPTION SONORE ANTOINE BÉDARD

MAQUILLAGES AMÉLIE BRUNEAU-LONGPRÉ

MOUVEMENT CAROLINE LAURIN-BEAUCAGE

*DEAD POETS SOCIETY BY TOM SCHULMAN BASED ON THE TOUCHSTONE PICTURES MOTION PICTURE / WRITTEN BY TOM SCHULMAN ORIGINALLY PRODUCED AT CLASSIC STAGE COMPANY / BY SPECIAL ARRANGEMENT WITH ADAM ZOTOVICH / ARTISTIC DIRECTOR : JOHN DOYLE / MANAGING DIRECTOR : JEFF GRIFFIN

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À 12 ans, je découvre La Société des poètes disparus dans mon cours d’anglais. Je me souviens du sourire sur le visage de Miss Murphy, ma professeure, quand elle a mis la cassette dans le VHS. Elle savait que nous allions vibrer et elle en était toute excitée. Et c’est ce qui est arrivé : nous avons bel et bien vibré collectivement. D’ailleurs, durant l’année, les « Carpe diem » et les « Ô capitaine, mon capitaine » ont fusé partout dans l’école. Keating avait ouvert le chemin d’un monde invisible, un monde empreint de poésie certes, mais aussi d’irrévérence, de pulsions et surtout de nuances. Le dénouement tragique du film nous avait appris, à travers nos larmes, que tout n’était pas noir ou blanc.

Puis, le temps a passé. Les « Carpe diem » se sont faits plus rares. J’ai bourré mon crâne d’adolescent de tout ce qu’on voulait y enfoncer, j’ai grandi et je n’ai pas revu le film.

L’année dernière, Claude Poissant me propose de mettre en scène ce classique du cinéma. Dès qu’il prononce le titre, je suis catapulté 23 ans en arrière en une seconde. Il me donne un paquet de feuilles, toutes chaudes sorties de l’imprimante, et je cours dans un café pour relire. Pendant ma lecture, ce n’est pas seulement mes souvenirs du film qui sont revenus, mais aussi ceux de mon adolescence. Dans

TÉMOIGNAGE

PAR LÀ OU PAR ICIPAR SÉBASTIEN DAVID

l’écho des « carpe diem » hurlés dans les corridors de l’école secondaire, je me revois dans mon premier cours de théâtre à découvrir un nouveau monde, invisible et fascinant, je me revois jouer Tremblay à 14 ans et Molière à 15 ans, je me revois avec les amis de la troupe à développer des liens forts, à cultiver notre unicité, à assumer notre marginalité, je me revois avec eux un soir dans un parc (à défaut d’avoir une grotte), enivrés de vodka jus d’orange et d’espoir, à réciter la fin de La cantatrice chauve de Ionesco. « C’est pas par là, c’est par ici », hurlions-nous à pleins poumons ! Puis, je me revois, à la fin de mon secondaire, cocher la case « art dramatique » sur le formulaire d’études collégiales malgré toute l’insécurité que me procure cette décision de presque-adulte.

Après ma lecture, dans le café, ça m’a sauté au visage… J’avais écouté Keating.

Je ne suis pas romantique au point de dire que son discours a changé ma vie, mais il a sans doute, agrémenté des encouragements d’autres professeurs et de mes parents, contribué à ce que je prenne ce fameux chemin moins fréquenté. J’aurais pu aller par là, mais j’ai choisi ici et j’en suis ravi.

Merci, ô capitaine, mon capitaine !

Diplômé de l’École nationale de théâtre en interprétation (2006), Sébastien David est aussi auteur, metteur en scène et directeur artistique de la compagnie de création La Bataille. Auteur primé, il a écrit T’es où Gaudreault précédé de Ta yeule Kathleen (2011), Les morb(y)des (2013), Les haut-parleurs (2015) et enfin Dimanche napalm (2016), qui a obtenu le prestigieux Prix du Gouverneur général en 2017. Ses textes sont tous publiés chez Leméac Éditeur. Il fait partie du corps professoral de l’École de théâtre du Cégep de Saint-Hyacinthe et siège sur plusieurs conseils d’administration d’organismes culturels.

POURQUOI ?

Des témoignages comme celui de Sébastien, il y aurait pu en avoir des centaines et des centaines tellement ce film a été marquant pour un nombre incalculable de personnes. J’ai demandé à Sébastien d’écrire ce texte pour bien faire sentir cet élan à l’origine du projet.

– M. Gosselin

LA SOCIÉTÉ DES POÈTES DISPARUS 36

ABÉCÉDAIRE

ADAPTATION

Quand une œuvre épouse une forme nouvelle, elle abandonne son état originel pour rencontrer la pensée d’un créateur. La transposition de la langue, du médium ou de l’époque implique de faire des choix artistiques et donc d’avoir un ascendant sur l’œuvre. L’adaptation est donc un mot qui désigne à la fois ce qui se perd et ce qui se crée.

ABÉCÉDAIRE LA SOCIÉTÉ DES POÈTES DISPARUSPAR ALEX BERGERON ET GABRIELLE CÔTÉ

LA SOCIÉTÉ DES POÈTES DISPARUS

POURQUOI ?

Parce que Gabrielle et Alex sont des amoureux de la poésie, parce qu’ils sont tannants, irrévérencieux et parce qu’ils conservent pour moi le bon côté de l’adolescence, celui qui remet les choses en question, celui qui n’obéit pas aveuglément.

– M. Gosselin

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BOVARYSME / BEATNIK

À chaque époque ses rebelles, ses dissidents, ses marginaux. Ses poètes, surtout. Malgré les siècles qui les séparent, ils ont en commun le malaise ressenti au cœur d’une société qui ignore leurs valeurs. L’insatisfaction des bovarystes1 les pousse à s’évader dans l’imaginaire pour se concevoir autre qu’ils ne sont. La révolte des beatniks2 les amène à rompre avec la société de consommation et à mener une vie dépouillée de tout superflu.

CARPE DIEM

Contrairement au tatouage d’une génération, la locution latine Carpe diem est vouée à être éphémère. Elle signifie cueillir le jour, vivre le moment présent. À ne pas confondre avec d’autres expressions galvaudées qui invitent à la spontanéité telles : Pura Vida, Hakuna Matata et YOLO.

LA SOCIÉTÉ DES POÈTES DISPARUS

Lawrence Ferlinghetti, poète associé au mouvement Beatnik

Armoiries de l’Académie Welton

1 Adjectif dérivé du nom du personnage éponyme du roman de Gustave Flaubert, Madame Bovary. Les bovarystes ressentent l’état d’insatisfaction caractéristique de Emma Bovary.

2 En référence au mouvement littéraire et artistique de la Beat Génération, dont faisaient partie notamment Jack Kerouac, Lawrence Ferlinghetti, William S. Burroughs et Allen Ginsberg.

3 Dans La Société des poètes disparus, les élèves vont à une école qui s’identifie par quatres mots fondateurs. Ces mots sont transmis de génération en génération pour former la devise de l’académie prestigieuse. Discipline / Excellence /Honneur/ Tradition.

DISCIPLINE / DÉCADENCE

Comme il n’y a pas de fumée sans feu, il n’y a pas de discipline sans disciples ! Discipline est le premier grand pilier de l’Académie Welton3. La discipline est un ensemble de règles et de lois communes à un ensemble d’individus. Mais alors ? Qui rédige ces lois ? Et sur quels principes ? Et si le respect de ces lois allait contre le respect des individus ? Ne glisserions-nous pas lentement, presque imperceptiblement, vers la décadence; cette perte progressive de force et de liberté qui fait toute la beauté d’une société ?

EXCELLENCE / EXCRÉMENT

Un autre des mots piliers de la devise de Welton3, Excellence désigne la pression mise sur ces jeunes écoliers pour ne viser rien d’autre que la perfection. On comprend sans peine leur besoin de désacraliser ces armoiries, afin de rendre leur expérience entre les murs de cette institution plus humaine. Excrément est donc la version ironique de ce pilier inventé par les élèves de l’école; c’est aussi un slogan infiniment plus drôle à scander.

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IDÉE

Arme puissante et redoutable qui à elle seule peut changer le monde ou le réinventer. Souvent sous-estimées, les idées, comme les mots ou la poésie, sont l’arsenal des libres-penseurs.

JOIE

La joie désigne le plaisir des sens, la volupté, un bonheur intense qui nous prend là, au plexus et qui réchauffe nos tempes. La joie naît souvent de choses triviales qui se déploient lorsqu’on les partage. La joie est donc souvent synonyme d’être ensemble.

LA SOCIÉTÉ DES POÈTES DISPARUS

FÉMININ

Le genre féminin présent dans cette oeuvre est un reflet de la place donnée aux femmes dans la société : limitée, onirique et érotisée.

GRÉGAIRE

Qui pousse instinctivement à se regrouper. Pour que la Société des poètes disparus existe, encore faut-il qu’il y ait Société. Elle prend vie parce que nous nous rassemblons. Le théâtre est un acte grégaire, comme la messe, le sport et les manifestations. Tous naissent de la nécessité de se rassembler pour regarder dans une même direction; que ce soit une scène, ou l’avenir.

HONNEUR / HORREUR

L’Honneur est généralement un mot noble qui dicte les actions d’un individu en fonction de sa fierté, de sa dignité et de son appartenance à un groupe, à un système de valeur ou à une idée. Dans l’œuvre, on sent plutôt l’Honneur comme une épée de Damoclès permettant d’avoir le contrôle sur la liberté des étudiants. Comme troisième pilier de la devise de Welton3, les élèves ont plutôt choisi Horreur, et il est intéressant de constater que l’un mène souvent à l’autre s’il n’est basé que sur l’orgueil.

3 Voir note 3 en page 38.

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LA SOCIÉTÉ DES POÈTES DISPARUS

PUCK

Puck est ce personnage extravagant tiré du Songe d’une nuit d’été de Shakespeare; il permet entre autres de faire le lien direct entre le public et la représentation. Être de plaisir et de perversion, on ne lui connaît aucune limite, aucun cadre. Il a surtout le courage d’être lui-même sans compromis et invente le monde à sa guise pour mieux s’inscrire dans celui-ci. Puck invente lui-même les règles du jeu, ainsi il n’est pas surprenant de le voir surgir dans une pièce dans laquelle il n’avait à priori aucun rôle.

LANGAGE

Origine du monde.

Le mot poésie est une longue dérive du grec ancien « poiein », qui signifie « faire, créer, fabriquer ».

Le verbe, porteur de vie.

Mieux, il en est la source.

MÉMOIRE

La mémoire désigne ce qui consciemment ou non construit notre identité et inspire nos actions. Elle permet d’éviter les erreurs, d’insuffler de l’audace et de prendre appui sur les anciens pour progresser. La mémoire ne devrait, par contre, être prise individuellement, elle se doit de côtoyer la fougue, l’ouverture et l’imaginaire, sans quoi elle risque de paraître passive et rétrograde. La mémoire collective s’applique de son côté à une société plutôt qu’à un individu, elle n’appartient donc à personne, mais tout le monde a un peu le devoir d’y participer.

NOUVEAU MONDE

Lorsque les Treizes colonies d’Amérique gagnent la Guerre d’indépendance à la fin du XVIIIe siècle, la Nouvelle-Angleterre dédouble la figure de Nouveau Monde. Non plus seulement au sens de nouveau territoire, mais désormais aussi au sens politique. Elle devient territoire de tous les espoirs, promesse d’une vie meilleure, souveraine; un sol où tout est à bâtir en son propre nom. Ici, nous attrapons les élèves de Welton en pleine guerre d’indépendance, plus intime celle-là; l’adolescence, une période houleuse où l’infini des possibles se révèle.

OH CAPITAINE, MON CAPITAINE

Le capitaine comme figure de proue, maître du navire et responsable de ses passagers. Seul celui qui a des responsabilités peut agir de façon irresponsable. Celui qui assume la position de capitaine s’engage du même coup à veiller, dans la limite de ses compétences, au bien-être de ses sujets, à leur émancipation et à leur pérennité. Le sujet qui absorbe la leçon et la fait sienne finit par se détacher et assumer sa propre responsabilité. Il devient alors seul capitaine à bord; c’est dans les remous de ce passage que certains hommes se retrouvent parfois à la mer.

Puck, interprété par Dany Boudreault dans Le Songe d’une nuit d’été au Théâtre Denise-Pelletier

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PEUR

La peur est créée par l’ensemble des préjugés et des mises en garde qu’on nous enseigne dès le plus jeune âge. Elle est ce qui paralyse, ce qui permet de contrôler l’individu comme la masse. La peur de décevoir est une forme de crainte très puissante qui pousse les individus aux prises avec cette sensation à cesser de se questionner, à abandonner leur désir et à se conformer à l’opinion dominante.

QUALITÉ

Point de rencontre de l’esprit et de la matière. La qualité d’un travail, d’une œuvre, ou même du temps, n’est ni tout à fait une affaire d’objectivité, ni tout à fait une affaire de subjectivité, mais bien de la zone grise qui les unit. La qualité n’est pas un objet nommable et définissable, mais un événement. C’est ce frétillement de l’âme qui n’appartient pas à la raison.

ROMANTISME ANGLAIS

« Parlez avec l’accent de Milton et Byron et Shelley et Keats », disait Michèle Lalonde dans Speak White. Les poètes romantiques anglais sont devenus les symboles de toute une culture. Ils célèbrent les traditions nationales, le peuple et la nature anglaise à partir desquels le phénix peut toujours renaître. Poésie de la célébration de l’imagination comme moteur universel de la soif de libération, le romantisme anglais est une affaire de ténacité; il se tient debout au milieu du désespoir.

SACRIFICE

La notion de sacrifice représente les choix déchirants* qui devront être faits pour atteindre un idéal. À première vue le sacrifice peut sembler destructeur ou stérile, mais il est plus souvent l’élément déclencheur de réflexions fertiles menant à une définition plus limpide de nos aspirations.

*Se référer au mot Adaptation.

LA SOCIÉTÉ DES POÈTES DISPARUS

ShelleyMilton

ByronKeats

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TRADITION / TRAVESTI

Les traditions regroupent l’ensemble des doctrines qui se sont transmises à travers les époques. Souvent rassembleuses, elles sont l’incarnation des actions que l’on fait machinalement sans remettre en question leur origine et leur signification réelle. Elles ont un pouvoir de persuasion immense puisqu’elles ont survécu à plusieurs printemps de révolution. La Tradition est, dans cette pièce, le quatrième et dernier pilier de la devise de Welton3. Les élèves ont pour leur part troqué ce mot de leur écusson pour Travesti, peut-être justement parce qu’ils éprouvent ce besoin de s’approprier les coutumes et de se sentir partie prenante de l’histoire qui s’écrit.

UNIVERSITÉ

État d’esprit, héritage culturel et intellectuel, transmis de siècle en siècle et de génération en génération. L’université n’est pas un lieu, mais l’acte humain, charnel, de la passation du savoir.

VIE (DANS LES BOIS)

Ou la nécessité de se retirer, parfois, pour obtenir la précieuse distance qui permet l’analyse et la réflexion. Henry David Thoreau, membre de la Société des poètes disparus et père de la Désobéissance civile, se réfugia dans la forêt lorsqu’il vit les premières grandes usines s’ériger et devenir les nouveaux clochers du paysage. C’est seul, au bord du lac Walden, qu’il écrivit un des plus beaux livres sur la vie en société.

LA SOCIÉTÉ DES POÈTES DISPARUS

3 Voir note 3 en page 38.

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WALT WHITMAN (1819-1892)

« Le génie des États-Unis n’est ni meilleur ni plus grand dans son corps exécutif ou législatif ni parmi ses ambassadeurs ou ses auteurs, dans ses collèges, ses églises ou ses salons, ni même dans ses journaux ou parmi ses inventeurs… mais toujours plus grand chez les gens du peuple. Leur façon d’être, de parler, de s’habiller, de se lier d’amitié – la fraîcheur et la candeur de leur physionomie – la désinvolture pittoresque de leur maintien… leur attachement indéfectible à la liberté – leur aversion pour tout ce qui est inconvenant ou timoré – la reconnaissance de fait d’un citoyen d’un état par les citoyens de tous les autres états – leur violence quand on a provoqué leur colère – leur curiosité et l’accueil fait à la nouveauté – leur respect de soi et leur merveilleuse solidarité – leur susceptibilité devant l’affront – leur air de ceux qui n’ont jamais su ce qu’on ressent quand on se tient en présence de supérieurs – leur facilité à s’exprimer – le plaisir qu’ils prennent à la musique, signe infaillible d’une sensibilité virile et d’une élégance innée de l’âme… leur bon caractère et leur générosité – l’importance extrême de leurs élections – le président se décoiffe devant eux et non eux devant lui – tout cela aussi est poésie sans rimes. » – Le poète américain (1855)

LA SOCIÉTÉ DES POÈTES DISPARUS

Au théâtre, Gabrielle Côté s’est jointe à Pour réussir un poulet de Fabien Cloutier, Le reste vous le connaissez par le cinéma, une tragédie de Martin Crimp, mise en scène par Christian Lapointe, et Logique du pire, une pièce d’Étienne Lepage et Frédérick Gravel. Au cours de la saison 2014-2015, Gabrielle signe la co-mise en scène de la pièce Attentat au Quat’Sous et au Carrefour international de théâtre de Québec. Au Théâtre Denise-Pelletier, elle joue dans Javotte de Simon Boulerice, qui a connu une revue de presse fort élogieuse pour son jeu d’actrice. Elle y a également interprété Hermia dans Le Songe d’une nuit d’été au printemps 2018. Au Théâtre du Trident, elle signera la co-mise en scène de Je me soulève avec Véronique Côté au printemps 2019. À la radio, elle fait partie des collaborateurs de Faites du bruit, animé par Nicolas Ouellet et diffusé sur ICI Radio-Canada Première. Au petit écran, vous avez pu la voir dans Hubert et Fanny, Au secours de Béatrice, Unité 9, Mensonges, Camping de l’Ours et Patrice Lemieux 24/7.

Diplômé de l’École nationale de théâtre du Canada en 2014, Alex Bergeron s’est rapidement taillé une place sur les scènes théâtrales; peu de temps après avoir été diplômé, il joue entre autres dans la pièce Grande écoute, mise en scène par Claude Poissant; s’ensuivent La logique du pire, mise en scène par Étienne Lepage et Frédérick Gravel, Five Kings, mise en scène par Frédéric Dubois, et plus récemment Hurlevents, mise en scène de Claude Poissant.

Walt Withman, entre 1855 et 1865

DÉSAXER

Tordre les conventions. Bouleverser les habitudes. Provoquer l’insoupçonné. Incliner la tête, et poser sur ce qui nous entoure un regard neuf, oblique, qui révèle cette autre réalité que nous côtoyons quotidiennement sans jamais la voir. Montez sur votre bureau, allongez votre regard.

YAWP!

Cri barbare destiné à être hurlé sur tous les toits du monde, selon Whitman.

DÉZOBÉIR.

© M

athe

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rady

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TEXTE LIBRE aujourd’hui nous n’allons pas performer le moment présent

aujourd’hui nous allons vivre le moment présent pour nous à nous de nous

on ne vit qu’une seule fois et ça nous semble déjà si long et si vivre est un luxe trouver ça long vivre est une abomination et tout le monde meurt partout et nous devrions nous compter chanceux de ne pas mourir

nous nous souvenons d’une prof qui nous avait donné un truc pour écrire le mot « mourir » elle nous avait dit « un seul r puisqu’on ne meurt qu’une seule fois » et nous nous demandons si nous devrions modifier l’orthographe du mot pour toutes les personnes qui passent leurs journées à mourir

les personnes qui disparaissent des conversations qui disparaissent des journaux qui disparaissent de leur classe lorsqu’ils n’osent pas poser cette question qu’ils aimeraient poser et qui disparaissent même de leur propre miroir de salle de bain leur reflet préférant un autre lieu et un autre regard que le leur

nous parlons avec nos pères et nous ne disons pas ce que nous voulons dire pour une raison quelconque qui doit être le point culminant d’un manque de confiance et d’une apathie certaine et nous mourons un peu à ce moment-là et nous pouvons affirmer sans aucun doute qu’en se fermant la bouche nous vivons le moment présent comme jamais nous ne l’avons vécu

carpe diem et hop nous nous prenons en main nous buvons de l’eau chaude avec du citron

nous googlons des vidéos de gens bons au basketball parce que c’est quelque chose qui nous échappe complètement comment on peut sauter si haut comment on peut naître si grand comment on peut échapper à la gravité un instant et savoir bien retomber sur ses pattes

LA SOCIÉTÉ DES POÈTES DISPARUS

DE CARPE DIEM À YOLOPAR GABRIELLE CHAPDELAINE

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LA SOCIÉTÉ DES POÈTES DISPARUS

Autrice dramatique et scénariste, Gabrielle Chapdelaine est née à Sorel et a presque connu les années quatre-vingt. En télévision, elle fait partie de l’équipe de scénarisation de Les invisibles, l’adaptation québécoise de la série française Dix pour cent / Appelez mon agent qui sera en ondes dès 2019. Elle est récipiendaire du prix Gratien-Gélinas 2018 pour sa pièce Une journée. Elle a terminé, en 2017, sa formation en écriture dramatique à l’École nationale de théâtre du Canada. Elle a participé à diverses plateformes pour la relève telles que Zone Homa, en 2015, et Vous êtes ici / You are here en 2017. Lors de son parcours scolaire, elle a pu voir son travail mis en scène, entre autres, par Philippe Cyr, Véronique Côté, Michel-Maxime Legault et Jean-Philippe Lehoux.

POURQUOI ?

Gabrielle a une écriture unique, à la fois drôle, excentrique et touchante. J’avais envie de la lancer sur un sujet et de lui laisser le champ libre. J’avais la sensation que ce thème l’inspirerait.

– M. Gosselin

nous comprenons toutes les vedettes qui font la file dans leurs tenues vainement décontractées pour être assises sur le terrain en périphérie de ces miracles et si la pomme ne tombe jamais bien loin de l’arbre qu’est-ce qu’on fait des pommes qui ne tombent pas

gather ye rosebuds while ye may parfois c’est aussi donner un baiser sur un front aller à l’aquarium goûter quelque chose de tellement bon sentir la peau de quelqu’un que nous aimons se perdre au détour d’un coin de rue et avoir l’impression d’être ailleurs se rendre compte qu’on est en train de sourire en même temps qu’on pleure

ainsi nous allons mourrir

puis nous allons naîtrre

chaque jourr

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Ni les films ni les cinéastes qui les font ne peuvent décider du culte que le public leur consacrera. Le statut prisé de film culte n’appartient en effet qu’au public qui voudra bien se rassembler autour de lui, y voir quelque chose qu’il décidera d’intégrer à son tour dans sa vie : des dialogues, un grand geste, une trame sonore, les éléments qui font le culte d’un film culte en sont les éléments les plus reconnaissables, ceux par lesquels le film se grave dans notre mémoire à la manière d’un refrain visuel et sonore. Qu’est-ce qu’un film culte ? Pris au sens propre, c’est de l’amour collectif envers des images mouvantes, un amour si fort qu’il procède ensuite chez le spectateur en l’invitant au mimétisme ; le film culte nous invite à y habiter, à en prendre possession, s’inscrivant dans le corps et l’esprit qui cherchent, en se costumant, en apprenant les répliques par cœur, en faisant des personnages des modèles, une façon d’atteindre cette Scène imaginaire.

C’est le souvenir que l’on garde par exemple du célèbre professeur John Keating, interprété brillamment par Robin Williams dans Dead Poets Society (Peter Weir, 1989). Sa manière de se recroqueviller en pleine classe, d’attirer les élèves vers lui pour qu’il leur confie le secret chuchoté de la poésie : « On ne lit pas ni écrit de la poésie parce que c’est joli. On lit et écrit de la poésie car on fait partie de l’humanité. Et l’humanité est faite de passion. » Entouré par des étudiants captivés, Keating chamboule l’enseignement à hauteur de professeur, enseignement d’une fermeté absolue dans cette prestigieuse académie pour garçons qui les dompte à devenir les froids leaders de demain. Cherchant au contraire à réchauffer leurs ardeurs, il varie les postures de son enseignement : au sol ou sur son bureau, ce qui compte c’est de convaincre une classe (et les spectateurs par la même occasion) qu’enseigner n’est pas une affaire de limpidité monotone ou de rhétorique asservissante.

LA SOCIÉTÉ DES POÈTES DISPARUS

POURQUOI ?

Je ne connaissais pas Mathieu Li-Goyette avant la coordination du Cahier. C’est par son collègue Nicolas Gendron que j’ai fait sa rencontre. J’ai vu par la façon dont il présente son travail et ses champs d’intérêt que le sujet des films culte risquait de l’intéresser.

– M. Gosselin

ARTICLE

FILM D’HAUTEUR OU COMMENT LES FILMS CULTE JOUENT DE LA HAUTEUR DU FILM ET DE CELLE DU SPECTATEUR PAR MATHIEU LI-GOYETTE

Dead Poets Society

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Enseigner, c’est conduire l’autre devant soi à sa propre émancipation intellectuelle, qui implique nécessairement un dynamitage subversif des institutions qui prodiguent cet enseignement. Cet idéal que défend Dead Poets Society, il passe d’abord et avant tout par ce geste, devenu culte, de l’enseignant qui joue avec la hauteur imposée par la salle de classe et qui a fait rêver des cohortes d’étudiants qui espéraient, à la première semaine de la rentrée, voir arriver devant eux un professeur qui ne serait pas qu’un instituteur, et qui escaladerait son bureau pour déclamer du Shakespeare.

Ainsi, le film culte, pris dans son sens fort, n’est pas qu’un film que nous portons dans notre cœur au point que nous en connaissons toutes les scènes sur le bout des doigts. Le film culte, comme toute œuvre culte au demeurant, a l’effet d’un mantra, d’une sagesse qui se décline dans le plaisir esthétique d’un instant donné, voire dans la direction qu’il donne à notre pensée : l’œuvre culte, elle aussi, enseigne à son public. Désir de folie, comme dans le culte kitsch du Rocky Horror Picture Show (Jim Sarman, 1975), désir d’étrangeté dans le culte aliénant de Eraserhead (David Lynch, 1977), désir de déhanchement rythmé dans le culte romantique de Dirty Dancing (Emile Ardolino, 1987), désir de puissance dans le culte illicite de Fight Club (David Fincher, 1999), désir d’autodétermination dans le culte identitaire de C.R.A.Z.Y. (Jean-Marc Vallée, 2005), différents cultes qui nous aident à nous axer, à « se faire une idée » comme on dit. Pas tout à fait une idée sur le monde, mais surtout une idée sur notre rapport à l’art, l’œuvre culte devenant la mesure de notre propre sens esthétique, car c’est notre amour à son égard qui structure ce que nous espérons de la culture en tant que force du monde.

LA SOCIÉTÉ DES POÈTES DISPARUS

L’œuvre culte, qu’elle soit célèbre ou anonyme, participe alors à rapprocher la culture et le monde, à nous rappeler, fondamentalement, qu’il y a dans l’art des puissances qui sommeillent. Ne suffit que d’un alignement, comme celui d’un comédien, Robin Williams, qu’on imagine toujours en comique hystérique et qu’on retrouve là en érudit passionné ; d’une mise en scène, comme celle de Peter Weir, l’Australien fasciné par l’utopie et ses mystères (Picnic at Hanging Rock, Witness, The Truman Show) ; et enfin d’un texte, celui de Tom Schulman, qui a, plus que n’importe quel autre au cinéma, donné le goût de la littérature, de la poésie et du théâtre à des générations de jeunes étudiants. « Nous étions des romantiques, dit Keating. Les vers fondaient dans nos bouches comme du miel. Nos âmes s’élevaient, les femmes se pâmaient, les dieux naissaient. » Les films culte grandissent à partir de ces alignements, de ces rôles à contre-emploi, de cette mise en scène du secret qu’on se partage ensuite entre cultistes bienheureux. Ce sont ces choses bien gardées qui nous accompagnent, qui nous montrent par l’exemple comment trouver dans la parole, les gestes et la présence, une image de soi qui puisse être à la hauteur de notre amour pour l’art.

Mathieu Li-Goyette est critique de cinéma et rédacteur en chef de la revue en ligne Panorama-cinéma. Il est aussi chargé de cours à l’Université de Montréal et coordonnateur du Laboratoire sur les récits du soi mobile. Il mène actuellement un projet de thèse sur l’ontologie du désir et du rythme dans la bande dessinée.

Rocky Horror Picture Show, Fight Club, C.R.A.Z.Y., Eraser Head

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CURIOSITÉS POÉTIQUES D’AVANT LA RÉVOLUTION TRANQUILLEPAR MATHIEU GOSSELIN

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2Liminaire d’Alfred DesRochers1, 1929 Alfred DesRochers est « un fils déchu de race surhumaine2 » scandant avec force son appartenance à ces géants fondateurs qui ont arpenté et façonné le territoire avant lui. Le poète a la nostalgie sportive et férocement vivante. La douce lumière de sa colère rejaillit sur le paysage simple qui l’entoure. DesRochers, comme Walt Whitman, fait résonner des « voix longtemps muettes3 », voix des ancêtres multipliées par l’écho des bois.

POURQUOI ?

Comme l’action de la pièce se situe en 1959, j’ai eu envie d’imaginer quels poètes et quelles poétesses auraient pu être étudiés, si le texte de La Société des poètes disparus avait été écrit au Québec.

– M. Gosselin

Metropolitan museum de Robert Choquette4, 1931 Alors que ses contemporains plongent leurs plumes dans l’encrier noueux du terroir et puisent leur inspiration dans le bénitier, Robert Choquette, lui, s’enivre à la ville. Il la goûte, l’avale. « La ville était en moi comme j’étais en elle !5 » écrit-il, au milieu du « torrent des hommes et des choses6 ». Cette œuvre importante et singulière est une déclaration d’amour à l’art, à la modernité et au génie humain.

J’abdique tout de Jovette Bernier, 1932 Je ne suis plus qu’un peu de chair qui souffre et saigne. Je ne sais plus lutter, j’attends le dernier coup, Le coup de grâce et de pitié que le sort daigne Assener à ceux-là qui vont mourir debout.7

Poème d’amour aux mille déchirures, l’espérance s’y assèche doucement. Il y a dans ce texte la force vive de l’entêtement et la lucidité du désespoir.

LA SOCIÉTÉ DES POÈTES DISPARUS 48

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1 DESROCHERS, Alfred. À l’ombre de l’Orford. BQ. Montréal : Bibliothèque québécoise, 1997, 172 p.

2 DESROCHERS, Alfred. Liminaire. In À l’ombre de l’Orford. BQ. Montréal : Bibliothèque québécoise, 1997, p 21

3 WHITMAN, Walt. Chant de moi-même. In Poèmes : NRF\Gallimard, 1918, p.10

4 CHOQUETTE, Robert ; avec bois de HOLGATE H., Edwin. Metropolitan museum. [sn]. Montréal : 1931, 29 p.

5 CHOQUETTE, Robert ; avec bois de HOLGATE H., Edwin. Metropolitan museum. [sn]. Montréal : 1931, p.21.

6 CHOQUETTE, Robert ; avec bois de HOLGATE H., Edwin. Metropolitan museum. [sn]. Montréal : 1931, p.23.

7 BERNIER, Jovette. J’abdique tout. In Les masques déchirés. Éditions Albert Lévesque : 1932, 142 p.

8 NARRACHE, Jean. J’parl’ pour parler…poésies. Éditions Bernard Valiquette, Montréal : Les éditions de l’Action canadienne-française, 1939, 129 p.

9 CHABOT, Cécile. Vitrail. Éditions Bernard Valiquette, Montréal : 1940, 127 p.

10 CHABOT, Cécile. Je ne suis qu’une enfant. In Vitrail. Éditions Bernard Valiquette, Montréal : 1940, 127 p.

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4 J’parl’ pour parler de Jean Narrache8, 1939 Poète véritablement populaire, Jean Narrache, de son vrai nom Émile Coderre, mélange avec cœur la satire, la chanson et l’humour dans la langue fleurie du quotidien. Dans ce poème, peut-être son plus connu, composé au lendemain de la grande crise, il prête sa voix aux travailleurs, aux chômeurs et aux laissés-pour-compte. C’est un hymne à la compassion et un appel à la conscience qui résonne encore aujourd’hui.

Vitrail de Cécile Chabot9, 1940 Ce recueil vibre à chaque mot, dans chaque poème, à chaque virgule, dans chaque silence, d’un amour qui vient se loger profondément en nous, tellement il se consume d’une façon sincère et naïve. Un antidote contre le cynisme et la morosité.

Je ne suis qu’une enfant solitaire et sauvage Qui m’en vais dans la vie avec un cœur d’oiseau10

POUR LES CURIEUX

Pour découvrir Jean Narrache autrement

Pour lire, écouter ou regarder la poésie québécoise

Pour s’amuser avec la poésie

La poésie québécoise d’aujourd’hui par ses oeuvres et ses auteurs

Les Éditions de l’Écrou

Passeport 2017

Prix littéraires du Gouverneur général

LA SOCIÉTÉ DES POÈTES DISPARUS 49

HARMATTANPOUR QU’IL Y AIT UN DÉBUT À VOTRE LANGUE

Écoutez l’entrevue / récit de voyage de l’auteur et metteur en scène Steve Gagnon au retour de son périple en Afrique pour écrire Harmattan, à l’émission On dira ce qu’on voudra sur Ici Radio-Canada Première.

Feu, fièvre et foi

2010, banlieue québécoise. Frédéric et Odile, 17 ans, rencontrent Wilson Lialo, un jeune garçon d’origine maasaï adopté par des parents québécois. Ils se lient immédiatement d’amitié puisqu’ils portent le même inconfort, le même désir: la vie autour d’eux est trop banale, triste et décevante, rien ne répond à leur besoin de sens, de grandeur. Ils rêvent d’un ailleurs grandiose, d’une terre d’exil pour les accueillir.

2018, chambre d’hôpital en soins palliatifs. Frédéric a 25 ans. Et pourtant, il attend la mort dans sa chambre. Parce qu’il refuse de mourir dans la langue de ses parents qu’il trouve vide, il ne parle plus à personne.

À cette époque surchargée de bruits insignifiants, se taire devient acte de résistance. Dans la fièvre qui le conduit lentement vers la mort, le temps et l’espace s’embrouillent. Défilent à son chevet une succession de morts et de vivants: une mère qui ne croit plus en rien, un père silencieux, une infirmière belle comme le jour, des amis d’enfance disparus. Jusqu’à ce que la mort prenne des airs de tempête de sable au milieu de la savane africaine. C’est finalement une procession bruyante d’éléphants, de rhinocéros, d’autruches et de girafes qui mènera Frédéric bien loin de sa banlieue natale.

TEXTE ET MISE EN SCÈNE STEVE GAGNON

INSPIRÉ PAR L’OEUVRE DE SYLVAIN TRUDEL

PRODUCTION THÉÂTRE SHAKESPEARE, JÉSUS ET CAROLINE

ÉQUIPE

AVEC JEAN-MICHEL GIROUARD LINDA LAPLANTE NATHALIE MALLETTE DANIEL PARENT PASCALE RENAUD-HÉBERT CLAUDIANE RUELLAND JONATHAN ST-ARMAND RICHARD THÉRIAULT

ASSISTANCE ET RÉGIE ADÈLE SAINT-AMAND

CONSEIL DRAMATURGIQUE CHANTAL POIRIER

CONCEPTION JULIE BASSE MARIE-RENÉE BOURGET HARVEY JULIE BRETON UBERKO

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HARMATTAN

TÉMOIGNAGE

JOURNAL D’UN AVANT ET D’UN APRÈSPAR MANI SOLEYMANLOU

*Prière de noter que les évènements et personnages relatés dans ce texte ont été modifiés et dramatisés pour le bien-être de l’exercice. Un peu.

JOUR 1

8 février 07, hôpital Hôtel-Dieu, Montréal.

Visite A.M. : Vic et Matt

J’attends les réponses : kyste ou abcès

Visite P.M. : Eric, Hubert, Chaumont

J’apprends que j’ai : une tumeur / grosseur d’un citron.

Peut-être cancer (peut-être pas !!!!)

Nuit : Matt vient passer du temps avec moi. J’appelle Nima. Il décide de descendre à Mtl.

À suivre…

*un peu mal...

*je ne joue pas Titus… fuck !

JOUR 2

8 février, même hôpital, même ville.

Visite A.M. : —

J’attends une bronchoscopie.

Mon frère et Michelle.

(Ma mère n’est pas au courant)

À suivre…

*j’espère que j’ai pas un cancer.

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JOUR 3

*fuck

JOUR 4297 17 novembre 2018, Montréal.

J’ouvre mon ordi, je double-clique, ouvre un document vierge et j’écris les mots :

« Journal d’un avant et d’un après »

Ça fait 4297 jours depuis que j’ai mis les pieds à l’hôpital Hôtel-Dieu.

4297 jours depuis le jour où une ligne s’est tracée dans le temps. Un avant et un après.

9152 jours avant, 4297 jours depuis.

Depuis, quand je veux dire hôpital, je dis souvent aéroport. Drôle de lapsus. Ceux qui me connaissent feront sûrement un lien. Pour les autres, je vous laisse penser à ça.

Me souviens d’une discussion que j’ai eue jour 6. Un ancien cancéreux, appelons-le Michel, un ami d’une amie, alors et toujours en rémission, exige de me voir. Rendez-vous à la brasserie Laurier, coin Drolet. Je rentre, le barman me prend dans ses bras, triste.

On y allait souvent à cette brasserie. Je vois Michel. Je m’assois.

Michel me dit que quand tout cela sera fini, parce que lui était convaincu que j’allais m’en sortir, moi moins, il me dit, je vais être content d’avoir eu un cancer. Je ne comprenais pas trop ce qu’il voulait dire.

Aujourd’hui, oui. Jour 6, moins.

Aujourd’hui, 4297 jours depuis la nouvelle, je pense être un autre homme.

Chose certaine, je l’ai été pendant plusieurs jours, un autre homme.

Pendant plusieurs années.

Tout me semblait clair, simple, évident, limpide, doux, beau.

Les fleurs du tapis me foutaient la paix.

La vie me souriait la plupart du temps. Le reste du temps, je me disais que c’était pas grave, que même la vie avait besoin de se reposer.

Je vous le dis, je me sentais comme un genre de bouddha.

J’étais capable de m’asseoir des heures à rien faire, regarder devant moi, assis sur le perron du 1901, avenue Laurier Est, je restais là, je réfléchissais, je disais bonjour aux passants, toujours les mêmes, ils finissaient par me dire bonjour, j’étais sur leur chemin, tous les jours, le même rendez-vous, les mêmes gens, comme la voisine, appelons-la Stéphanie, qui un jour m’a demandé ce que je faisais dans la vie pour pouvoir rester là, assis sur le perron à rien faire jour après jour.

J’ai répondu : « Rien. Je fais rien. Je suis artiste. Toi ? » Et on s’est mis à parler. Je lui ai expliqué le pourquoi du rien qui était devenu mon quotidien et alors elle s’est mise à me partager sa vie, ses angoisses et même des secrets.

J’étais devenu un genre de psy, les gens se livraient, me racontaient des choses que personne d’autre ne savait et moi, j’écoutais, j’étais disponible, présent.

Après tout j’avais frôlé la mort.

Je l’avais questionnée :

Qui allait être présent à mes funérailles ?

Est-ce que j’allais faire une fête ? Préparer mes funérailles ? Organiser un genre de happening ?

Où est-ce que j’avais envie de mourir ? Dans quelle ville ? Quel pays ?

Est-ce que j’allais un jour revoir mon père ?

Est-ce que j’allais un jour revoir mon pays de naissance ?

Est-ce que j’allais un jour avoir un enfant ?

Pourquoi ? Comment ? Quand ? Qui ? Où ?

C’était normal que les gens se confient à moi. J’avais presque vu la lumière ! Le fameux tunnel me semblait plus concret…

Le voyage que j’avais fait à l’intérieur de moi-même m’avait ouvert les yeux, le cœur, les bras. Michel avait raison.

HARMATTAN 53

Depuis sa sortie de l’École nationale de théâtre du Canada en 2008, Mani Soleymanlou est très actif sur la scène montréalaise. En 2011, il fonde Orange Noyée, une compagnie de création théâtrale, avec laquelle il écrit, met en scène et joue UN, DEUX et TROIS. L’intégrale de sa fabuleuse trilogie a été présentée à Paris au printemps 2017, en compagnie de 40 interprètes. En 2015, Mani entame un nouveau cycle de création en montant et en écrivant Ils étaient quatre et Cinq à sept, suivis de Huit et de Neuf (Titre provisoire).

À l’écran, on a pu le voir dans les séries Marche à l’ombre, En famille, Hubert & Fanny et Lâcher Prise. Il est également de la distribution du long métrage Malek réalisé par Guy Édoin et de La femme de mon frère, réalisé par Monia Chokri.

JOUR 4298 18 novembre 2018

Relire ce que j’ai écrit la veille.

Réaliser qu’il reste peu du bouddha que je pensais être devenu à l’époque.

Réaliser que quelque part entre 2007 et 2018, j’ai oublié…

J’ai oublié la discussion avec Michel, j’ai oublié le perron du 1901, j’ai oublié Stéphanie, j’ai oublié les pourquoi et les comment qui semblaient m’avoir ouvert les yeux.

J’ai oublié le voyage intérieur que j’avais fait.

J’ai oublié le recul.

J’ai oublié que tout pouvait s’arrêter.

Je me suis fait bouffer.

Je me suis fait avoir.

Je glisse.

Je trébuche.

Je ferme les yeux.

Je cours.

Les fleurs du tapis me jouent des tours.

Des fois, je me dis que je serais dû pour une autre visite à l’aéroport… euh, pardon, je veux dire à l’hôpital.

Juste pour me rappeler… que j’ai un peu oublié.

JOUR 4299 19 novembre 2018.

Relire ce que j’ai écrit la veille.

Trouver ça beaucoup trop intense.

POURQUOI ?

Comme Frédéric, le héros du roman Du mercure sous la langue de Sylvain Trudel, Mani a été malade. Il n’en parle pas beaucoup, pas souvent. S’il en parle, il n’en parle pas longtemps. Je lui ai demandé s’il voulait en parler, s’il voulait partager ce qu’il avait appris de la maladie. C’est drôle, il m’a dit qu’il venait de retomber sur son carnet d’hôpital.

– M. Gosselin

HARMATTAN 54

ARTICLE

Sylvain Trudel au théâtre. L’idée est incongrue, argueront certains, prétextant que la complexité qui sous-tend l’univers romanesque créé par l’auteur risque au cours de l’exercice de s’amenuiser, et les nuances qui en font un trésor littéraire, de se dissiper. Cela dit, Trudel se complaît dans son œuvre à mettre en scène des situations ordinaires tirées de la vie de tous les jours, qu’il semble aisé de transposer à la scène. Aux yeux d’un lecteur distrait, ces situations peuvent paraître banales, voire insignifiantes. Ici un garçon rêve de redonner à son ami le grand-père abandonné dans son pays d’origine; là un gourou en mal de grandeur s’imagine changer le monde

HARMATTAN

SYLVAIN TRUDEL SUR LES PLANCHES?PAR JEAN-PIERRE THOMAS

autour de lui; ailleurs l’angoisse dont souffre un personnage l’empêche de dormir tranquille la nuit; ou encore un malade se résigne à succomber à une affection inaltérable. Sylvain Trudel présente ces situations avec une certaine désinvolture, d’où l’impression qu’elles sont composées de simples faits. C’est là que nous nous leurrons : le romancier choisit toujours ses mots avec soin, il s’applique à les nantir d’un relief envoûtant, de manière à guider son lecteur vers un ailleurs insoupçonné – car Trudel cavale sur des routes sombres, peu fréquentées. Surtout : ces situations en apparence anodines, que l’auteur expose depuis plus de trois décennies,

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HARMATTAN

sont aussi celles dont la portée nous échappe le plus souvent, et qui ne révèlent leur teneur qu’après coup. Elles en appellent à l’innommable. À l’indicible. Pourquoi pas au transcendant – ce que philosophes et historiens des religions nomment le numineux. Comment mettre en mots ce qui ne se dit pas ? En prenant des détours. Chez Trudel, la rencontre avec l’autre – face-à-face à la fois fascinant (car porteur d’un savoir neuf) et difficile (l’agent, en tant que vecteur de différence, dérange) – s’avère révélatrice. N’est-ce pas ici que le romancier rencontre le dramaturge ? Il s’agit pour Trudel de rendre palpables ces rapports intangibles à l’autre tout en s’assurant qu’ils conservent leur caractère ineffable. Le dire s’apprête dès lors à céder le pas au faire, et la scène s’ouvre toute grande au spectacle d’une identité en train de se constituer. Certes, Sylvain Trudel affiche dans son entreprise de mise en mots du numineux les qualités d’un dramaturge en puissance. La parole se fait et se défait chez lui à mesure que ses personnages la disent et la vivent. Mettre des mots sur ce qui ne se dit pas : voilà l’art du romancier d’exception, celui dont l’œuvre est ouverte à toutes les interprétations, et qui se déploie comme sur une scène où le quotidien prend des proportions magistrales.

Jean-Pierre Thomas est professeur agrégé au Collège universitaire Glendon, campus externe de l’Université York à Toronto, où il enseigne la littérature québécoise et la langue française depuis 2005. Il est spécialisé dans la recherche et l’étude de traces de mythes au sein des œuvres de la littérature québécoise des XIXe et XXe siècles et a publié des articles sur le sujet dans des revues nord-américaines et européennes.

POURQUOI ?

En faisant des recherches sur l’oeuvre de Sylvain Trudel, j’ai eu le bonheur de lire plusieurs textes de Jean-Pierre Thomas. Sa connaissance profonde du romancier et son approche mythologique de la littérature me semblaient toutes indiquées pour parler de cette adaptation au théâtre.

– M. Gosselin

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LE SCRIPTARIUM 2019

En 2018, Le Scriptarium voyait le jour sous l’influence de Stéphane Crête et son goût pour l’échange épistolaire. Pour marquer l’an deux de ce laboratoire d’écriture pour adolescents, le Théâtre Le Clou convie Didier Lucien à guider les jeunes auteurs sur le territoire du rêve, celui qui hante nos nuits, transcende l’impossible, rejette toute censure et nous révèle à nous-mêmes.

En comptant les vastes aventures collectives que sont Les Zurbains et Le Scriptarium, l’indispensable Théâtre Le Clou laisse courir sa liberté textuelle, formelle et plastique par-delà 35 créations, dont Assoiffés, Le garçon au visage disparu et la toute récente Je suis William.

TEXTES AUTEURS ADOLESCENTS

COMMISSAIRE INVITÉ DIDIER LUCIEN

MISE EN SCÈNE SYLVAIN SCOTT

PRODUCTION THÉÂTRE LE CLOU EN COLLABORATION AVEC LE THÉÂTRE JEUNESSE LES GROS BECS

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Je suis une rêveuse. Des fois, je pense que je le suis trop. Des fois, je me fais croire que les rêveurs et rêveuses sont des gens naïfs dont on se moque et dont on tire avantage. Quand on rêve, il faut le dire, on court le risque que nos rêves se brisent. J’essaie donc de rêver moins, souvent. De faire en sorte que mon cœur se durcisse, n’attende plus rien, se revire de bord et parte loin loin tout seul. J’essaie de ne plus m’émerveiller, de ne plus me chavirer la chaloupe des émotions. J’essaie de ne plus pleurer quand je vois un bébé, ou quand quelqu’un réussit quelque chose de grand. J’essaie de ne plus aimer les gens qui sont beaux et impressionnants. De ne plus me faire mal. J’essaie de me dire que si je n’arrive pas à être heureuse, c’est qu’il faudrait bien que j’arrête d’essayer. Que je comprenne que la vie, ce n’est pas quelque chose de magique du tout, et qu’on devrait s’y habituer. Et puis, je m’attarde à ceux qui ne croient plus. Qui n’ont pas peur de jeter les choses par la fenêtre. De gaspiller. De salir, de souiller, au dehors comme au dedans d’eux. Ceux qui disent qu’il est trop tard et que rien ne sert de faire attention. J’essaie, comme eux, de me faire à l’idée que tout est fichu.

JE SUIS UNE RÊVEUSEPAR STÉPHANIE BOULAY

LE SCRIPTARIUM 2019

RÉCIT

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Puis, quelque chose attire mon attention. Un homme qui sourit dans le vide, un enfant dans les bras. Un couple d’amoureux qui se quitte et se dit à bientôt, des larmes plein les yeux. Un petit garçon qui aide une vieille dame à traverser la rue. Un groupe de gens qui rit aux éclats, en plein milieu du trottoir. Une adolescente qui se penche pour ramasser et jeter un déchet qu’on a abandonné. Un mot gentil dans ma boîte de réception. Des fleurs qui poussent encore en plein cœur du mois de novembre. Un beau poème écrit par une amie. Et, au fond, je réalise combien je suis chanceuse, d’être le genre de rêveuse dont les yeux savent voir toutes ces choses. Qui savent les savourer, s’en délecter avec passion; qui ont envie de s’en inspirer. Combien je suis chanceuse, d’être le genre de rêveuse qui croit encore en la beauté, en la bienveillance. Qui fait des efforts, pour des raisons plus grandes qu’elle. Le genre de rêveuse qui n’a pas encore abandonné. On me fera peut-être beaucoup de mal, on me décevra, on me brisera, peut-être, mais on ne pourra jamais m’enlever mes rêves et l’envie de les réaliser. Pour la suite du monde.

L’auteure-compositrice-interprète et autrice Stéphanie Boulay a décidé, faute d’arriver à choisir quel chapeau porter au quotidien, de ne plus essayer de se définir et, surtout, de se contraindre. Après ses études en musique, puis en littérature, on l’a lue (À l’abri des hommes et des choses, Anatole qui ne séchait jamais, en plus de quelques collectifs et blogues), on l’a entendue dans les médias, mais on l’a surtout connue comme « la moitié blonde » du duo Les sœurs Boulay, décoré d’un disque d’or et maintes fois récompensé par l’industrie. Sur son prochain album, Stéphanie se sépare momentanément de la musique de sa « moitié », Mélanie, pour confectionner un long jeu aux contours étoffés, aux échos lointains, riches, aux orchestrations qui s’envolent. C’est donc tout juste avant de reprendre le flambeau du groupe avec sa sœur que Stéphanie Boulay se fait le cadeau d’essayer d’exister (presque) seule et souveraine, fragile peut-être, dans le paysage de la musique.

LE SCRIPTARIUM 2019

POURQUOI ?

J’avais envie d’approcher quelqu’un qui n’était pas directement relié au milieu du théâtre pour écrire ce texte. Le nom de Stéphanie Boulay m’est venu spontanément, car il m’a semblé évident dans les textes de ses chansons et dans ses livres qu’elle avait un grand potentiel de rêveuse.

– M. Gosselin

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RÉFLEXION Quand on parle de rêve aujourd’hui, on y associe à peu près toujours le nom de Freud et sa méthode d’interprétation psychanalytique. Selon Freud, le rêve est un ensemble de messages codés, envoyé par notre subconscient et le décryptage de ces codes nous fournit une des clefs de la connaissance de soi, en nous révélant une névrose latente, une sexualité infantile réprimée ou une déviation enfouie très creux dans notre psyché.

J’aimerais m’attarder aujourd’hui à une vision plus fondamentale et plus poétique du rêve, celle que les aborigènes d’Australie nomment le temps du rêve. Le temps du rêve est la période qui a précédé la création du monde et qui continue à évoluer parallèlement à notre réalité, c’est un monde peuplé de créatures, d’animaux, d’esprits, de démons et de dieux, qui nous ouvre ses portes uniquement pendant notre sommeil.

Ce territoire du rêve se retrouve, sous des costumes différents, chez les premiers peuples ainsi que chez les premières civilisations.

Les premiers peuples de Sibérie croyaient qu’une personne était en fait constituée de deux corps, un corps physique destiné à régner dans la réalité et un corps spirituel servant à voyager et à grandir dans le monde des rêves. Pour les Égyptiens, le mot « rêver » signifiait « s’éveiller », comme pour illustrer qu’au moment où l’on s’abandonne au sommeil, on se réveille simultanément dans l’autre réalité, celle du rêve. Même après l’invention des dieux, comme il fallait bien loger ces nouvelles puissances mi-animales, mi-humaines, on ne fit qu’agrandir les frontières de ce territoire imaginaire. Pour les Grecs et les Romains, les destinées étaient révélées par le dialogue constant entre les Dieux peuplant les géographies oniriques et les ambassadeurs humains, c’est-à-dire les devins et les oracles.

LE TERRITOIRE DU RÊVEPAR MATHIEU GOSSELIN

LE SCRIPTARIUM 2019 61

Pour les Premières Nations, les Innus et les Iroquois par exemple, le territoire du rêve ne se positionnait pas en parallèle du territoire physique, il lui était enchevêtré, si intimement lié que la survie de l’un dépendait de la compréhension de l’autre. Les visites dans le monde rêvé, arpenté par les esprits-guides et peuplé d’êtres malins ou bienveillants, avaient des conséquences résolument concrètes sur le quotidien. Les émissaires de l’autre monde montraient aux Innus où trouver le gibier au cœur de l’hiver, ils désignaient aux Iroquois quels peuples constituaient des menaces et avec qui il fallait sceller des alliances.

Peut-être que le sous-sol du monde des rêves est formé de la terre de nos esprits malades, comme le pense Freud, mais il me semble que c’est le vider d’une grande partie de ses richesses.

J’aime m’imaginer que nous les humains, à force de parcourir ce territoire du rêve, d’en cartographier les plus infimes détails, d’en topographier les rugosités, avons inscrit ce lieu en nous avec une si furieuse passion, que nous nous acharnons à le recréer. Ce que nous appelons l’art, sont ces tentatives de réinventer un éclat de ce territoire imaginaire.

POURQUOI ?

Comme je participerai en tant que dramaturge à la création du texte du Scriptarium 2019, il a fallu que je m’intéresse de près au monde du rêve. J’ai voulu par ce texte faire un survol historique de la conception du rêve pour les êtres humains, en y incluant mes petites hypothèses poétiques.

– M. Gosselin

LE SCRIPTARIUM 2019 62

COLLECTION PARTICULIÈRE

J’ai deux frères identiques, mon vrai frère et un imposteur. Je dois tuer l’imposteur car il va m’enlever. Je ne sais pas quand ni où, mais il va m’enlever. Ils sont identiques. Ils me suivent tous les deux et essaient de me convaincre qu’ils sont le vrai frère. C’est limite du harcèlement et ça me fait paniquer. On est à la maison, mais elle n’est pas du tout comme la vraie.

RÊVES D’ADOLESCENTS ANONYMESTEXTES ÉCRITS PAR DES ÉLÈVES DU SECONDAIRE À MONTRÉAL

Je suis avec ma sœur et ma mère, on est quelque part qui ressemble à la Plaza St-Hubert mais à Paris. On entre dans un magasin et les mannequins bougent. Quand tu regardes un vêtement et que tu le touches, le mannequin bouge. Tous les mannequins font un geste différent. Ma mère s’est fait frapper par un mannequin.

Je suis sur un bateau avec des gens que j’aime. Le bateau cale subitement et je suis le seul qui sait nager. Je ne peux pas sauver tout le monde. Je les regarde tous mourir, les yeux plein d’eau et la conscience remplie de regrets.

La rivière était bleu clair. Nous étions couchés sur un rocher, main dans la main. C’était paisible et apaisant.

LE SCRIPTARIUM 2019 63

Je suis dans un avion avec des gens qui ont des têtes d’animaux. L’avion s’écrase sur une île en forme de banane. Sur cette île, les habitants sont des portes. Je leur demande de l’aide pour rentrer chez moi, une des portes me sourit et je vois ma maison. J’y entre.

J’étais un psychopathe qui mangeait ses victimes avant de les tuer. Pour éviter les suspicions, j’étais le gardien du cimetière mais aussi la personne qui les enterrait. Alors, j’avais le champ libre…

J’ai rêvé que j’étais en Russie et que j’étais encerclé de Russes qui portaient seulement du linge Adidas. Ils buvaient de la vodka en s’accroupissant comme s’ils faisaient un rituel pour accepter quelqu’un en tant que Russe.

J’étais à Rome, près du Colisée, avec ma famille. Tout à coup, j’ai entendu un bruit catastrophique et j’ai vu les pieds d’un dinosaure à côté de moi. Le dinosaure était énorme. Je ne pouvais même pas voir son visage car il touchait les nuages. Le dinosaure courait pour atteindre le Colisée, il était suivi par plusieurs autres. Un dinosaure m’a vu et il a commencé à courir dans ma direction. Je me suis mis à courir vers le Colisée mais il me chassait. J’ai vu le premier dinosaure écraser le Colisée et je me suis réveillé.

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LE SCRIPTARIUM 2019

POUR LES CURIEUX

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Président

Monsieur Pierre-Yves Desbiens * CPA, CA, CF, MBA Vice-président Finance et administration Institut NEOMED

Vice-présidente

Madame Myriam Houde Directrice, communications internes, particuliers et entreprise Banque Nationale du Canada

Trésorier

Sylvain Boucher * Associé, services de certification Ernst & Young s.r.l. / S.E.N.C.R.L.

Secrétaire

*Rémi Brousseau Directeur général Théâtre Denise-Pelletier

Administrateurs

Lynn Bellocq, Adm.A. Conseillère indépendante en gestion des technologies de l’information

Maxime Brault Architecte MAXIME BRAULT ARCHITECTE

Frédéric Jacques Directeur de projet MCKINSEY CANADA

Tania Kontoyanni Comédienne, animatrice et réalisatrice

Nathalie LeClair Stratège, expert-conseil, Directeur de projets, Expérience client, Marketing, Gestion, changement

Jean Leclerc Comédien et metteur en scène

Samuel Noël Co-fondateur TUNGSTEN VISUEL INC

*Claude Poissant Directeur artistique Théâtre Denise-Pelletier

Sylvie Ratté Économiste principale, Recherche et analyse économique BANQUE DE DÉVELOPPEMENT DU CANADA

Directeur artistique Claude PoissantConseiller à la direction artistique Nicolas GendronDirecteur général Rémi BrousseauAdjointe à la direction générale Nathalie GodboutDirectrice de production Shelley DupasquierDirecteur technique Victor LamontagneAssistant à la direction technique Rémy Girard-ChénierResponsable des infrastructures Guy Caron

Secrétaire de production Edwige DelcourtDirectrice des communications Julie HouleAdjointe aux communications Valérie DesautelsAttachée de presse (Salle Denise-Pelletier) Isabelle BleauRelations de presse (Salle Fred-Barry) RuGicommResponsable des services scolaires Claudia DupontAdjointe aux services scolaires Stéphanie Delaunay

Gérant Marc-André Perrone

Préposée au guichet Alexe Bernard

Chef machiniste Pierre Léveillé

Chef éclairagiste Michel Chartrand

Chef sonorisateur Claude Cyr

Chef habilleuse Louise Desfossés

Chef cintrier Pierre Lachapelle

Techniciens Anthony Cantara Patrice D’Aragon Steve Dieudonné Laurent Duceppe Mathieu Dumont Martin Dussault Karl-Émile Durand

L’ÉQUIPE DU THÉÂTRE DENISE-PELLETIER

Sébastien Fillion Alexandre Gohier Rafael Gonzalez-Mora Marie-Frédérique Gravel Raphaelle Grenier Pierre-Olivier Hamel Ève Léveillé Abraham Munoz Jonathan Pape Serge Pelletier Carlos Diogo Pinto Guillaume Remus Martha RodriguezResponsable de l’entretien Patrice JolinPréposé à l’entretien Éric Belleau

Accueil Alexe Bernard Jean-Daniel Bélanger Ghislain Blouin Benjamin Charrette Félix Dubé-Pache Vincent Dubuc Laurence Falcon Julie Godin Charles-Aubey Houde Tommy Joubert Marc-André Langevin Cédrick Lepage Benjamin Mazin Marcie Michaud-Gagnon Megan Parent Adam Provencher Karmen Prud’homme Étienne Raymond Alexandre Ricard Geneviève Santerre Barbara Terrisse

Bénévoles Lucette Bernèche Gratia Dumas Aline Gauthier Andrée Hassel Carmen Lebrun Janine Limoges Nicole Poulin * Membres du comité exécutif

CONSEIL D’ADMINISTRATION – SAISON 18-19

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Disponible dans les kiosques et les librairies dès le 9 janvier 2019.

www.revuejeu.org

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