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Pour une sémiologie fonctionnelle Author(s): Jeanne Martinet Source: Cahiers Ferdinand de Saussure, No. 45, Cahier Dédié à Luis J. Prieto (1991), pp. 223-234 Published by: Librairie Droz Stable URL: http://www.jstor.org/stable/27758448 . Accessed: 23/06/2014 05:23 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Librairie Droz is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Cahiers Ferdinand de Saussure. http://www.jstor.org This content downloaded from 194.29.185.209 on Mon, 23 Jun 2014 05:23:29 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Cahier Dédié à Luis J. Prieto || Pour une sémiologie fonctionnelle

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Pour une sémiologie fonctionnelleAuthor(s): Jeanne MartinetSource: Cahiers Ferdinand de Saussure, No. 45, Cahier Dédié à Luis J. Prieto (1991), pp. 223-234Published by: Librairie DrozStable URL: http://www.jstor.org/stable/27758448 .

Accessed: 23/06/2014 05:23

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CFS 45 (1991), pp. 223-234

Jeanne martinet

POUR UNE S?MIOLOGIE FONCTIONNELLE

La s?miologie telle que nous la concevons d?coule directement du pro pos d'appliquer ? des syst?mes de faits, d'objets ou de comportements, autres que les langues proprement dites, les m?thodes d'?tude et d'analyse ?labor?es en linguistique ? partir de la phonologie d'origine praguoise. Ce sont donc les concepts fondamentaux et les crit?res d?gag?s par la lin

guistique fonctionnelle, tels qu'ils sont expos?s principalement dans

l' uvre d'Andr? Martinet, qui sont ? la base de la r?flexion et des re

cherches en s?miologie fonctionnelle. En effet, Luis Prieto, aussi bien que Georges Mounin ou l'auteur de ces lignes, ont ?t? les auditeurs ou les

disciples de Martinet. Partant de la th?orie de la double articulation, on retient la communication comme fonction centrale en s?miologie au

m?me titre qu'en linguistique. On parle alors de s?miologie de la com

munication. A celle-ci s'opposera une s?miologie de la signification qui se

veut plus ambitieuse et plus riche, se targuant de traiter de signes ?dou?s d'une v?ritable profondeur sociologique? dont Roland Barthes, en parti

culier, se fera le champion.

On ne reviendra pas ici sur la pol?mique qui aurait oppos? Prieto et Barthes et qui me semble close par l'article ?Communication et significa

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tion? de Prieto1 o? l'on trouvera, en particulier, un expos? des bases sur

lesquelles peuvent se fonder les d?limitations des champs respectifs de l'une et de l'autre. En outre, Prieto souligne, ? juste titre, l'int?r?t, pour une s?miologie de la signification, ? passer par la s?miologie de la com munication plut?t que de s'inspirer directement de la linguistique pour constituer son appareil conceptuel et terminologique2.

En ce qui me concerne, je pense que la communication, qui est au c ur

de la s?miologie, s'?tablit au moyen de signes qui ont donc une significa tion. D'autre part, l'int?r?t que les indices et les signaux pr?sentent pour les hommes r?side dans leur potentiel ? fournir de l'information et, par tant, ? ?tablir la communication au sens large du terme. C'est pourquoi

j'ai choisi d'op?rer avec une s?miologie fonctionnelle o? communication

et signification trouvent leur place. Ce faisant, je ne fais que retrouver

Eric Buyssens qui titrait le premier chapitre de son ouvrage fondamental, Les langages et le discours*, ?S?miologie et linguistique fonctionnelles?.

En effet, c'est ? Buyssens qu'on doit le premier ?essai de r?aliser le v u de Saussure?4. Il a jet? les bases de la discipline qu'ont d?velopp?e, entre autres, Prieto, Mounin, moi-m?me. Il a d?gag? des notions fondamen

tales, celles d'intention de communication, d'acte s?mique, de s?me et de

s?mie, et particuli?rement bien ?tudi? l'opposition 'radicale' entre indices et signaux. Il se place au point de vue de la communication, tout comme

Martinet qui, ? la m?me ?poque, ?laborait la th?orie de la double articu lation. Mais Buyssens ne semble pas avoir connu les travaux du Cercle

linguistique de Prague d'orientation s?miologique, ? moins que ceux-ci ne

lui aient pas sembl? devoir retenir son attention. ?Apr?s Saussure, ?crit

il, il n'y eut, ? ma connaissance, qu'un essai de s?miologie d?passant les banalit?s qu'on trouve au d?but de tout ouvrage sur le langage, c'est Le

parall?lisme logico-grammatical de Charles Serrus (Paris, Alean, 1933)?.

1 Emdes de linguistique et de s?miologie g?n?rales, Gen?ve/Paris, Droz, 1975, p. 125 141. 2 Voir ?galement Georges Mounin, Introduction ? la s?miologie, Paris, Minuit, 1970: ?S?miologie de la communication et s?miologie de la signification?, p. 11-15. 3 Sous-titr? Essai de linguistique fonctionnelle dans le cadre de la s?miologie, Bruxelles, Office de publicit?, 1943. 4 Ibid, ?6, p. 6.

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_J. Martinet, Pour une s?miologie fonctionnelle_225

Une citation de Troubetzkoy, toutefois, une seule: ?On peut dire que le

phon?me est l'ensemble des caract?ristiques phonologiquement fonction

nelles d'un son?5.

De Martinet, on re?oit le crit?re de l'articulation qui permet ? Mounin de marquer la sp?cificit? de la communication linguistique humaine (doublement articul?e) face ? la communication animale non articul?e. Ce

crit?re est aussi ? la base d'une typologie des s?mes esquiss?e par Prieto et

d?velopp?e par moi-m?me. Est exploit?e aussi, par notre s?miologie, la

notion martinettienne d'?conomie6 qui rend compte d'un ?quilibre tou

jours remis en question, dans une vision dynamique des faits, d'une part, entre les ?l?ments constitutifs des syst?mes de communication et, d'autre

part, dans les processus m?me de communication7.

Cependant, ce qui domine tout le fonctionnalisme, c'est le principe de

pertinence, ?nonc? dans les ann?es trente par Karl B?hler et repris et ex

ploit? par Martinet tout le long de son uvre, central ?galement chez Prieto, comme l'atteste le titre m?me, Pertinence et pratique, de son essai

de s?miologie. On rel?vera ici l'association de ce terme ? celui de

'pratique' qui manifeste l'attachement ? un r?alisme que l'on retrouve

aussi chez Mounin dans Semiotic Praxis*- C'est la pertinence, ou, plus exactement, la possibilit? d'op?rer avec des pertinences, qui permettra

d'analyser, de hi?rarchiser les donn?es et, en pr?sence d'un amas plus ou

moins confus ou d'une masse a priori informe, de d?celer le d?tail cru

cial.

De l'?cole de Prague, ? travers Martinet, on conna?t essentiellement la

phonologie et la contribution de Troubetzkoy. C'est la phonologie qui reste l'id?al de la recherche fonctionnaliste. On y a pris le go?t d'une ri

5 Ibid., ? 43. 6 Economie des changements phon?tiques. Trait? de phonologie diachronique, Berne, Francke, 1955. 7 Voir ?galement Buyssens, ibid., ? 50, et Luis J. Prieto, Messages et signaux, Paris, P.U.F., 1966, Deuxi?me partie, ?Economie?. 8 Sous-titr? Studies in Pertinence and in the Means of Expression and Communication, New York/Londres, Plenum Press, 1985.

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226_Cahiers Ferdinand de Saussure 45 (1991)_

gueur th?orique et m?thodologique dont on gardera la nostalgie quand on

abordera des domaines o? il est difficile de d?gager avec nettet? des classes d'unit?s et de parvenir ? un traitement exhaustif des faits.

Or, en reprenant l'ensemble des Travaux du Cercle linguistique de

Prague depuis les premiers textes de 1928, on constate l'impact qu'a eu le Cours de Saussure sur les chercheurs d'Europe centrale et le d?veloppe ment des ?tudes dans deux directions: d'une part, la phonologie qui prend le devant de la sc?ne avec Troubetzkoy, Karcevski et son lancement re

tentissant par Jakobson au Congr?s de La Haye, en 1928; d'autre part, un

mouvement s?miologique, d'inspiration saussurienne, qui s'oriente vers le

folklore, les arts et la litt?rature. On retrouve l? Bogatyrev, Muka?ovsky,

Veltrusky et bien d'autres. Un certain nombre de leurs contributions, en

version anglaise, ont ?t? r?unies et compl?t?es par des ?crits plus r?cents dans Semiotics of Arts9. Cette s?miologie peut ?tre qualifi?e de fonction nelle en ce que les auteurs s'emploient ? d?gager des fonctions, et j'ai re

trouv? chez eux certaines de mes pr?occupations, certaines convergences avec mes propres vues. Je n'avais pas eu connaissance de leurs travaux au

moment o? j'ai engag? mes recherches dans des directions plus ?tendues et plus hasardeuses que dans mes Clefs10.

Pour tout observateur, il est clair que les humains ne r?agissent pas ? la nature strictement physique de ce qui peut affecter leurs sens, mais ? la valeur qu'ils peuvent attribuer ? ces r?alit?s, ? leur signification. On est donc amen? ? consid?rer que, dans toute activit? humaine, qu'il s'agisse de r?actions ? autrui ou aux circonstances, de comportements ou de pro ductions diverses, apparaissent des ?l?ments qui rel?vent de conditionne ments s?miologiques. Le s?miologue estime donc qu'il lui appartient, qu'il est m?me de son devoir de rechercher et d'?tudier ces ?l?ments. Or, ils se trouvent coexister avec d'autres ?l?ments auxquels on ne saurait attribuer

de valeur proprement s?miologique, et la premi?re t?che du chercheur

consistera ? les extraire d'une r?alit? complexe. Il doit donc se donner les

9 Sous-titr? Prague School Contributions, ed. by Ladislav Matejka and Irwin Titunic, Cambridge, Mass./Londres, the M.I.T. Press, 1976. 10

Clefs pour la s?miologie, Paris, Seghers, 1973; voir la postface ? l'?dition de 1982.

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_J. Martinet, Pour une s?miologie fonctionnelle_227

outils qui lui permettront de d?m?ler le s?miologique du non-s?miolo

gique. Il s'agira d'abord de pr?ciser la conception plus ou moins restric tive du s?miologique que l'on adopte en r?f?rence aux crit?res fondamen

taux: communication, convention, syst?me11. D'autre part, ayant pos? l'existence d'une fonction s?miologique

? ou de fonctions s?miologique^ ?

toujours pr?sente(s), on s'efforcera de d?terminer en quoi consiste le

non-s?miologique. C'est ainsi que, dans nos tentatives pour p?n?trer dans

le domaine des arts, nous avons pos? la coexistence, en proportions va

riables, de trois types de fonctions12. Nous les avons d?sign?es arbitrai

rement comme Fi, fonctions utilitaires, F2, fonctions s?miologiques, F3,

fonctions 'esth?tiques', sur lesquelles nous reviendrons ci-apr?s.

Une conception stricte de la s?miologie est celle que nous avons adop t?e dans nos Clefs. Elle est bien illustr?e par le sch?ma de l'acte s?mique selon lequel, pour reprendre les termes de Buyssens et de Prieto, un rap

port social est ?tabli entre un ?metteur et un r?cepteur au moyen d'un

s?me, le s?me ayant la caract?ristique du signe saussurien d'?tre une unit?

? deux faces, message (ou sens), et signal (ou forme). Le sens est donc

toujours pr?sent, contrairement ? ce qui se passe dans le ?syst?me g?n?ral de communication? de Shannon et Weaver13 o? le message pr?lev? dans

une source d'information est trait? pour produire un signal selon les be

soins de la transmission d'information. Message et signal ne coexistent

donc pas, mais correspondent ? des ?tapes de la transmission, et les au

teurs, bien qu'admettant la possibilit? pour les messages d'avoir un sens ? alors que, ? partir de Buyssens et Prieto, le message est le sens ?,

consid?rent que ?les aspects s?mantiques de la communication n'ont pas de pertinence du point de vue des probl?mes techniques?. Il y a donc chez

11 Voir ma discussion avec S?ndor Hervey, Actes du 4?me Colloque international de

linguistique fonctionnelle, Universidad de Oviedo, 1978, Th?me N? 5, ?Les syst?mes compl?mentaires du langage doublement articul??, p. 124-125. 12 D'abord, dans ?L'analyse s?miologique?, Fundamenta Scientiae, N? 92, Strasbourg,

Universit? Pasteur, 1979, p. 5-20, puis dans Linguistique et s?miologie fonctionnelles, Istanbul, Ecole sup?rieure des langues ?trang?res de l'Universit?, N? 2850/5, 1981 (?La s?miologie et les arts?, p. 66-77), et dans ma contribution ?Pour quoi la s?miotique?, au

Congr?s international de s?miotique de Perpignan, en 1987. 13 The Mathematical Theory of Communication, Urbana, 1949, fig.l p. 5 et p. 98.

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228 Cahiers Ferdinand de Saussure 45 (1991)

eux un rejet du sens et ce rejet a pu ?tre attribu? ? tort ? tous ceux qui se r?clament de la communication. Il est ?vident que la communication elle

m?me n'est pas du tout envisag?e sous le m?me angle par les uns et par les

autres. Chez les fonctionnalistes, il s'agit de communication humaine

impliquant ?metteurs et r?cepteurs humains, selon l'id?e que, pour com

muniquer, il faut ?tre deux. C'est d?j? le point de vue saussurien tel qu'il appara?t dans le sch?ma de l'acte de parole qui met en pr?sence deux in terlocuteurs A et B. On a l'impression que Saussure op?re implicitement avec une situation de dialogue

? serait-ce l? un optimum de communica

tion? ? puisqu'il sugg?re tout de suite la r?ponse de B ? A, donc la r? versibilit? des r?les de locuteur et d'auditeur.

L'observation qu'en fait il n'y a jamais sym?trie entre les protagonistes d'un acte s?mique conduit ? s'interroger sur ce que peuvent ?tre les com

portements s?miologiques des uns et des autres lorsqu'on accuse la dissy m?trie jusqu'? imaginer l'?limination de l'un ou de l'autre.

Le comportement d'un sujet qui s'exprime sans se soucier d'atteindre

ou non une cible peut ?tre consid?r? comme un acte s?mique tronqu?. Cette fonction expressive du langage est reconnue par Andr? Martinet qui la fait figurer en bonne place dans ses El?ments14, bien qu'elle

n'apparaisse pas dans sa d?finition d'une langue. En effet, ce n'est pas elle

qui conditionne la structure linguistique et c'est l'outil de communication

qui est utilis? ? des fins expressives. Il n'est pas exclu que ces utilisations entra?nent certaines d?rives. Il n'en sera pas moins justifi? de se r?f?rer ? la communication dans l'?tude des comportements et des cr?ations de type

expressif afin de d?terminer dans quelle mesure ils rel?vent de la s?mio

logie.

On reconna?tra aussi un comportement s?miologique chez le sujet qui

pr?l?ve et interpr?te des indices au nom d'une pertinence15, tout comme il

le fait quand il s'agit de signaux. Certes, on ne saurait parler, dans le cas

14 El?ments de linguistique g?n?rale, Paris, Armand Colin, ?d. 1980, ? 1-4. 15 Cf. Jeanne Martinet, ?Du domaine de la s?miologie fonctionnelle?, La linguistique,

vol. 13, fase. 1, 1977, p. 47-61.

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_J. Martinet, Pour une s?miologie fonctionnelle_229

de l'indice, de convention et de syst?me, en particulier lorsqu'il s'agit de

ph?nom?nes naturels. On ne saurait parler non plus d'intention de com

muniquer de la part d'un ?metteur potentiel. Pourtant, on retrouve, sinon

la convention, du moins la culture dans la capacit? humaine ? se servir des indices. Les identifier, c'est-?-dire les reconna?tre, suppose qu'est d?j? connue la relation ?tablie, ? tort ou ? raison, entre un indiquant et un in

diqu?. Pour cela, il faut qu'il y ait eu apprentissage, soit au cours

d'exp?riences ant?rieures qui ont permis d'observer la r?currence de cette

relation, soit du fait d'un enseignement, dans le cadre d'un domaine

d'activit? donn?, professionnel, scientifique ou m?me religieux. Toute

discipline, depuis les travaux les plus humbles jusqu'aux recherches les

plus 'pointues', r?clame l'acquisition d'un savoir reconna?tre et mettre ?

profit les indices pertinents pour la discipline. Il appartient donc ? chaque discipline de d?terminer quels indices la concernent et d'?laborer les sys t?mes qu'ils constituent du fait de leur pr?sence, de leur absence, de leur

co-pr?sence, de leur successivit?. A la s?miologie revient la seule t?che

d'?tudier comment fonctionnent de tels processus. C'est ce qu'on trouve

chez Luis Prieto sous le titre de M?canisme de l'indication16.

Les arts ? ou le probl?me de ce qui fait la qualit? artistique d'un ob

jet, d'une r?alisation, d'un comportement ? ouvrent un vaste champ ? la

r?flexion et la recherche s?miologiques. Pour d?cider dans quelle mesure ils participent bien du s?miologique, il convient d'examiner les donn?es sous l'angle des pertinences et des fonctions. La premi?re question qui se

pose est de savoir quelle place y tiennent la communication et

l'expression. Un autre probl?me est celui de leur fonction sociale. A quoi servent-ils? ou du moins, de quelle utilit? premi?re, de la satisfaction de

quels besoins peuvent-ils d?couler dans l'histoire et l'?volution de

l'humanit? et des cultures? Par quel d?passement de cette utilit? premi?re acc?de-t-on ? un niveau esth?tique qui serait le propre de l'art? Enfin,

quelle composante s?miologique, n?cessaire ou accidentelle, doit ?tre

prise en compte? C'est ainsi que j'ai ?t? amen?e ? poser les trois types de fonctions mentionn?es ci-dessus, Fi, fonctions utilitaires, F2, fonctions

16 Messages et signaux, chap. II.

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230 Cahiers Ferdinand de Saussure 45 (1991)

s?miologiques, F3, fonctions esth?tiques, mon objectif ?tant de proc?der par ?limination de tout ce qui pouvait relever de Fi et F3, pour d?gager F2. Enfin, sur la base des fonctions et de l'ensemble des crit?res s?miolo

giques, on pourra tenter les principes d'un classement des arts.

Dans ce qui suit, nous appellerons 'objet' tout ce qui est produit d'une activit? suppos?e artistique, aussi bien donc l'objet d'art au sens courant

du terme, peinture, sculpture, etc., que le comportement d'un chanteur ou

d'une danseuse.

L'intention de communiquer un message donn? n'appara?t pas comme

le mobile n?cessaire ? la production artistique. Interrog?s par moi, un

musicien d?clare ne pas se soucier d'atteindre ou non un auditoire, un

peintre se d?fend de vouloir ?mettre un message. Ind?pendamment du fait

que musique et peinture peuvent ?tre leurs moyens d'existence ? et de

fortune ?, ce qui compte pour l'un comme pour l'autre, c'est l'exercice

d'une activit? par laquelle ils s'expriment. C'est donc un besoin

d'expression qui est ainsi satisfait. De m?me, un ?b?niste interview? ? la

t?l?vision dit s'exprimer en travaillant le bois, et Marie Claude Gracia,

dans La cuisine de Passion11, ?crit: ?La cuisine a toujours ?t? pour moi

n?cessaire! C'est un de mes moyens d'expression, parfois m?me ma th?

rapie. Gr?ce ? la cuisine o? l'on se projette d'une mani?re inexplicable, on se 'sort de soi' et l'on se conna?t mieux.? Rempla?ons 'cuisine' par

musique, peinture, sport, n'importe quel type d'activit?, et nous voyons en quoi chacun s'exprime dans ce qu'il fait par choix et avec enthou

siasme.

Qu'il y ait ou non intention de communiquer au d?part, c'est-?-dire de

s'adresser ? un autre, d?s le moment o? il y a eu expression, l'objet qui en

est le produit se trouve ipso facto expos? ? l'interpr?tation que peut en

donner quiconque veut y voir une signification. Il entre ainsi dans un cir

cuit de communication et l'on peut alors observer comment il est appr? hend?, re?u et compris ou rejet? par un individu, les membres d'une cha

pelle ou tout un public ?tfans.

17 Tol?de, Artes gr?ficas, 1989.

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J. Martinet, Pour une s?miologie fonctionnelle 231

A la base de toute activit?, vulgaire ou artistique, on trouve une utilit?. ?En effet, ?crivions-nous en 198118, les uvres de l'homme ont pour rai

son premi?re d'?tre la satisfaction de certains besoins vitaux, comme se

nourrir, se v?tir, se prot?ger, abriter sa famille, ses pr?tres, ses institu

tions, se d?placer, transporter ses biens au moyen de routes et de v?hi

cules, traverser les rivi?res, affronter les mers, se d?fendre contre les at

taques de la nature ou des hommes, construire des outils, coordonner, par

le rythme, des activit?s communes, comme la marche des soldats, les pro

cessions; ?galement, stimuler les hommes ? un certain type d'action.? On

pourrait ajouter: communiquer avec les autres hommes, se concilier la

bienveillance de puissances surnaturelles, s'il croit ? leur existence, et,

pourquoi pas, se distraire. Faire un inventaire exhaustif de ces 'utilit?s'

n'est pas ici notre ambition. On s'en tiendra donc ? ces quelques exemples qui illustrent notre fonction utilitaire Fi.

Tout objet peut ?tre investi d'une signification et donc fonctionner comme signe. C'est ainsi que beaucoup estiment devoir poss?der des ob

jets qui ont peu d'utilit? pour eux, mais qui manifestent un statut dans la

soci?t?: un diplomate fran?ais ? l'?tranger doit au prestige de la France de

circuler dans une voiture de cylindr?e assez forte. Parmi bien d'autres

exemples, le v?tement port? offre l'?ventail des multiples valeurs s?mio

logiques explicitement conventionnelles: uniformes divers, ou implicites: v?tements civils, qui peuvent s'y attacher19. Or, il est des objets qui ont

pour fonction utilitaire d'?tre des instruments de communication: les

langues et tous les syst?mes imagin?s pour transmettre des messages. Ils

sont donc susceptibles d'assumer deux fonctions s?miologiques: au niveau

1, le message proprement dit, qui fait r?f?rence ? l'exp?rience communi

qu?e; au niveau 2, les significations qui peuvent d?couler des choix qui ont pr?valu dans l'?laboration du message et du signal qui en est le v?hi

18 Cf. note 12, Linguistique et s?miologie fonctionnelles, p. 64. 19 Cf. Jeanne Martinet, ?Du s?miologique au sein des fonctions vestimentaires?,

L'ethnographie, 1984, p. 141-151, et Petr Bogatyrev, ?Costume as a Sign?, dans Semiotics of Arts, cf. note 9.

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232 Cahiers Ferdinand de Saussure 45 (1991)

cule, choix id?ologiques comme celui d'une langue B et non de la langue A dans des circonstances donn?es, choix stylistiques parmi les moyens

qu'offrent la langue ou le m?dium adopt?s. Les objets autres que les

langues et les syst?mes s?miologiques ne peuvent ?tre investis s?miologi quement qu'au niveau 2.

D?s le moment o? l'appr?ciation de l'objet se fonde sur d'autres cri

t?res que son ad?quation ? une utilit?, d'autres types de fonction se font

jour. Le chef-d' uvre r?alis? par un artisan n'?tait pas destin? ? servir

comme objet utilitaire, mais ? manifester l'acc?s de l'artisan ? la ma?trise

dans sa corporation. A ce titre, il avait une fonction s?miologique, tout

comme un dipl?me encadr? et pendu au mur. Mais, du fait de l'admiration qu'il suscitait, il en avait une autre, de type esth?tique. Ce

sont les fonctions esth?tiques, F3, qui vont nous retenir. Dans l'usage cou

rant, le terme d'esth?tique, d'introduction relativement r?cente dans notre

langue, ?voque la beaut? li?e ? l'art et le plaisir qu'on en ?prouve. Mais, ?

l'origine, Yaisthesis est la facult? de percevoir par les sens.20 Il s'agit donc de l'impact que peut avoir sur l'homme ce qui frappe ses sens. Sera

donc esth?tique tout ce qui, touchant les sens de l'homme, sera apte ?

?veiller ses ?motions et stimuler ses app?tits, voire ses passions. Ce qui, dans une pr?paration culinaire, d?veloppe la palatabilit? des aliments a une fonction ap?ritive de type esth?tique. Et l'art culinaire consiste en

majeure partie ? amplifier et affiner cette palatabilit?, se donnant pour cible le gastronome et non le quelconque mangeur. La fonction esth?tique n'est pas l'apanage d'arts 'majeurs' tels que la peinture, la musique ou la

po?sie. Il ne saurait y avoir art sans esth?tique.

Sch?matiquement, l'objet artistique (je rappelle que cet objet peut ?tre un comportement comme le chant, la danse, le jeu d'un acteur, etc.,) est

per?u comme une cr?ation de l'artiste dou?e de fonction esth?tique, et, du

fait qu'il est cr?ation, porteur d'information nouvelle. Cette nouveaut?

peut r?sider dans une forme donn?e ? une mati?re brute, model?e dans

20 Au sujet de Yaisthesis, voir Luis J. Prieto, ?The Concept of Human Nature in Chomsky?, Quaderni di semantica, 2/81, Bologne, p. 254-260.

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_J. Martinet, Pour une s?miologie fonctionnelle_233

l'argile, taill?e dans la pierre, sculpt?e dans le bois. Elle peut r?sulter du

rapprochement inattendu de ce qui n'avait pas ?t? rapproch? dans la tra dition ou par les pr?d?cesseurs: des couleurs, des sons, des mots, des

gestes.

Faut-il s'employer ? rechercher les traits d?finitoires des arts, identi fi?s par les noms connus de peinture, musique, architecture, etc., et les

possibilit?s de classement que cela entra?ne? Par exemple, en s'en tenant ?

l'opposition manifestant/manifest?, la substance du manifestant (peinture), le mode de production (sculpture), le mode de perception (arts visuels), le contenu du manifest?, la relation espace-temps, etc.

Luis Prieto part du principe de la double pertinence, expos? dans son article reproduit dans ses Etudes de linguistique et de s?miologie g?n? rales11, pour r?partir les arts en trois groupes, selon que Io l'op?ration de

base est communicative, arts litt?raires et figuratifs, 2? non communica

tive, arts architecturaux, ou 3? n'entre pas dans le cadre de cette opposi

tion, arts musicaux et non figuratifs. A ce sujet, il ?crit: ?Nous dirions

peut-?tre, ? titre provisoire, qu'il existe ? la base du ph?nom?ne musical une op?ration communicative portant, non pas comme dans les arts litt?

raires, sur un univers objectif, mais sur l'univers subjectif?. De fa?on assez proche, Jan Muka?ovsky22 oppose les arts figuratifs ?

contenu informatif ?vident, ou subject arts, aux arts non figuratifs, sub

jectless arts, mais en reconnaissant ? ces derniers un ? informational po wer consisting in the virtual semiotic character of their formal consti

tuents ?.

Or, il me semble que les arts ne se laissent pas enfermer dans ces clas

sifications, mais que tout art, dans telle ou telle de ses manifestations,

pourrait trouver place dans l'une ou l'autre classe: il y a une musique imitative reproduisant les chants d'oiseaux ou les grondements de l'orage; il y a des utilisations tout ? fait s?miologiques de la musique, telle la petite

21 Etudes, cit., ?La double pertinence sur le plan du contenu?, p. 169-177 et, pour la

r?partition des arts en trois groupes, Pertinence et pratique, Paris, Minuit, 1975, chap. 2, ?S?miologie de la connotation?, p. 72-74. 22 Jan Mukafovsky, Semiotics of Art, cf. note 9, ?Art as a Semiotic Fact?, p. 1-9.

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234 Cahiers Ferdinand de Saussure 45 (1991)

phrase, dans la s?rie t?l?vis?e des Brigades du Tigre, qui signale les mo

ments d?cisifs de l'action. A l'inverse, peintures et sculptures peuvent ?tre

des jeux de couleurs et de formes sans valeur significative23. Il m'appara?t donc qu'il est assez vain de tenter une classification des

arts, mais qu'en revanche, il est int?ressant d'inventorier les moyens aux

quels les arts, quels qu'ils soient, peuvent avoir recours pour produire de

l'esth?tique. Je m'appuierai, pour ce faire, d'une part sur la th?orie de la

double articulation, d'autre part sur ma typologie des signes fond?e sur

l'arbitraire saussurien. Je distinguerai donc Io les moyens artistiques qui

reposent sur la mise en relation d'un manifestant et d'un manifest?, rela

tion 'arbitraire': la petite phrase des Brigades du Tigre, ou motiv?e et

particuli?rement iconique: peinture figurative, musique imitative, mais aussi symbolique: buste de Brigitte Bardot ou de Catherine Deneuve sym bolisant la R?publique, all?gories, etc., et 2? les moyens qui se situent au

niveau de la seule face manifestante, comme les phon?mes d'une langue, laissant le r?cepteur dans l'incertitude quant ? l'existence m?me d'une face

manifest?e. Ils jouent de la mati?re pour elle-m?me et des rapports g?o m?triques ou arithm?tiques qui r?gissent la structure de ce manifestant24.

Ecole pratique des hautes ?tudes,

Sorbonne, Paris

23 II s'agit ici, bien entendu, d'un niveau 1 s?miologique, ce que Prieto et d'autres appelleraient d?notatif, mais, personnellement, je r?pugne ? identifier figuratif et d?notatif. 24 Cf. note 12, L'analyse s?miologique, p. 19 et ma citation de Karen Blixen, La ferme africaine, o?, parlant de ses plantations de caf?iers, elle dit que les figures g?om?triques ?r?pondent ? un besoin de l'esprit?.

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