Cahier_de_LHerne_n°_49_Guénon

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L'Hernel e s Cahiers de l'Herne paraissent sous la direction de CONSTANTIN TACOU

Ren GunonCe cahier a t dirig par Jean-Pierre Laurant avec la collaboration de Paul Barbanegra

dit avec le concours du Centre National des Lettres

Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation rservs pour tous pays. O ditions de l'Herne, 1985 41, rue de Verneuil, 75007 Paris

Sommaire

11 Jean-Pierre Laurant 15 Jean-Pierre Laurant 23 Ren Gunon

Avant-propos : a Nous ne sommes pas au monde ... B Repres biographiques et bibliographiques Pomes de jeunesse

La crise du monde moderne29 Jean BisRen Gunon, hraut de la dernire chance Sciences et tradition, la place de la pense traditionnelle au sein de la crise pistmologique des sciences profanes. Gunon, lsotrisme et la modernit. Puissance et spiritualit dans le traditionalisme intgral Le problme du mal dans luvre de Ren Gunon Extraits de lettres Hillel

44 Michel Michel

71 Victor Nguyen 92 Daniel Cologne 102 Jean Robin 112 Ren Gunon

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Des sources pour savoir?117 Nicolas Sd 136 Jean Reyor 144 Pierre GrisonLes notes de Palingnius pour n lArchomtre n De quelques nigmes dans luvre de Ren Gunon LExtrme-Asie dans luvre de Ren Gunon

Laxe doctrinal155 Giovanni PonteRflexions la lumire de luvre de Gunon concernant lunit principielle, lsotrisme, lexotrisme et les risques de la voie initiatique Mtaphysique et ralisation La rponse Henri Massis, une aventure inacheve Lindiffrence et linstant, lecture dyn chapitre des tats multiples de lEtre. Ren Gunon contre les Messieurs de Port-Royal Lettre A. K. Coomaraswamy Une lettre Ren Gunon

166 Alain Dumazet 176 Alain Gouhier 182 Andr Conrad 191 Yves Millet 201 Ren Gunon 204 Olivier de Frmond

Le symbolisme traditionnel207 Jean Borella 222 Roger Payot 234 Ren GunonDu symbole selon Ren Gunon Rflexions philosophiques sur le symbolisme selon Gunon Extrait dune lettre Jean Reyor

Lieux de rencontre et points daffrontements239 Mircea liade 242 Franois Chenique 273 Jean Hani 8Un autre regard sur lsotrisme: Ren Gunon A propos des tats multiples de ltre et des degrs du savoir : quaestiones disputatae Ren Gunon et le christianisme. A propos du Symbolisme de la croix

286 Portarius 297 Christophe Andruzac 310 Denys Roman 316 Denys Roman 3 24 340 342 351 352 355 366 370 373douard Rivet Ren Gunon Jean-Pierre Schnetzler Ren Gunon Marco Pallis Catherine Conrad Frithjof Schuon Ren Gunon Ren Gunon

Sur la possibilit dun sotrisme dans le christianisme Note sur la diversification des voies spirituelles Les cinq a rencontres de Pierre et de Jean Note additionnelle sur le SaintEmpire Ren Gunon franc-maon Extraits de deux lettres R. P Ren Gunon et le bouddhisme Une lettre A. K. Coomaraswamy Une lettre J.-P. Laurant Gunon et la philosophie Note sur Ren Gunon Lettre F. Schuon Trois lettres propos de linitiation fminine) )

Une lente imprgnation379 391 400 406 409 41 1 416Eddy Batache Pierre Alibert Frederick Tristan Luc Benoist Ren Gunon Jean Borella Franois Chenique Ren Gunon et le surralisme Albert Gleizes-Ren Gunon Extraits du Journal Lettre Jean Paulhan Deux lettres au peintre Ren Burlet Georges Vallin, 1921-1983 La vie simple dun prtre gunonien : labb Henri Stphane Ce que je dois Ren Gunon

42 1 Gaston George1

Entretiens43 1 440Entretien avec Jean Tourniac Entretien avec Emile Poulat

Commentaire des illustrations455 Ren Gunon 457 459Lettres Hillel Lettres F. G. Galvao Lettre Julius vola

Avant-Pro-aosA

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Jean-Pierre Laurant

Georges Vallin

Dix ans aprs la conversion de loccident au pessimisme rduisant la banalit le cri de Rimbaud, Gunon nen peut plus davoir raison. L a conspiration du silence autour de lui est une lgende *, temps la connu son mais refus de se reconnatre en lui et les fruits que porte larbre vieillissant du XX sicle montrent quil ne pouvait en tre autrement. Sil parat pntrer maintenant, nouveau cheval de Troie, de grandes citadelles de la pense, les guerriers sortis de ses flancs cherchent les dfenseurs et leur victoire devient sans objet. Trop tard, disent les uns, la cit tait dj morte, uoi bon sgarer dans les contorsions intellectuelles du commentaire? En ace de Gunon il ny avait rien, disent les autres, et de tous les arguments qui lui furent opposs que reste-t-il? I1 reste que cest aujourdhui que nous vivons, faisons notre chemin avec un moi, des systmes de pense et des idologies poussant leurs ramifications dans des lieux que nous navons pas choisis. Dun ct lvanouissement perptuel de lobjet mme des U sciences humaines B nous entrane, de lautre Gunon, parce quil est pass par le mme genre de situation, est notre viatique. La raison dtre de ce Cahier est l, dmarche traditionnelle dunit : je minterroge ici et maintenant. Lclatement apparent des sujets qui y sont abords et des approches presque contradictoires nindiquent pas autre chose que la ncessit daller chercher la pense vivante l o elle sest rfugie. Pour reprendre une terminolo ie littraire qui connut quelques succs, ce nest pas ce Cahier mais les sordres actuels qui constituent, hommage bien involontaire, des Mlanges offerts Ren Gunon.

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En cela nous limitons, bien modestement, car lui aussi na pas hsit aborder des terres inconnues, il a survcu aux embuscades. Ainsi ce qui

apparat aux yeux de certains comme un coup port sur une erreur de documentation ou une faute dargumentation est replacer dans la position de contradiction invitable entre une connaissance intuitive directe et son approche par des moyens qui ne le sont pas. Gunon a dvelopp un mcanisme dexposition mi-chemin entre la logique et la pense symbolique. Procd semi-incantatoire mais cohrent et rigoureux qui on ne peut appliquer les rgles qui fondent la pense dialectique. La dviation de son uvre est galement un danger rel, chacun dveloppant un niveau de lecture la mesure de ses forces, comme nous lenseigne certes le combat de Jacob et de lAnge mais condition dignorer les ombres projetes et la constitution de systmes ferms et exclusifs de comprhension. Dans la conscience collective, la pense traditionnelle risque la rduction au rle dans lequel Walter Benjamin imagine la thologie en nain bossu actionnant, cach sous son sige, lautomate joueur dchecs du matrialisme historique : contre culture occulte par les idologies dominantes . Cependant, ltat de la critique montre, cinquante ans a rs ses crits majeurs, la remarquable rsistance du discours gunonien ; faccusation de non-sens porte couramment contre lui tmoigne de son caractre difficilement rcuprable : enfin une clef qui nouvre rien.( (

Quelques rares absences mritent explication, tel reprsentant de groupe initiatique se rappelant de Gunon a refus par principe sa participation une uvre U extrieure n, tel autre sest rcus aprs lavoir tout dabord envisage et ce pour des raisons trs honorables. Marie-France James nest pas l non plus malgr une thse de doctorat dEtat sur Ren Gunon et les milieux catholiques 3. Ses conclusions affirmant lincompatibilit entre la foi catholique et lenseignement de Gunon ne pouvant rien apporter cet ouvrage. La maladie a travers dautres projets de collaboration; nous regrettons en particulier larticle de Ren Allar et celui du professeur Georges Vallin au titre prometteur : U Difficults dapproche dune gnose non dualiste. n Pour les absences volontaires comme pour les diffrences de langage tenu, nous rappelons ce qui a t dit plus haut sur linstant, la tradition vivante est une exprience intrieure que refait chaque gnration, faute de quoi elle va comme des nes chargs de reliques. Chacun des parcours ne reprsente ce endant quune infime partie du travail ncessaire, le reste est transmis, d o lutilit de ces indications dont nous jalonnons les carrefours. Ce Cahier nest pas sur Gunon mais sur nous travers lui.

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Certains sujets peuvent paratre manquer de dveloppement. La part de lIslam par exemple, eu gard son importance dans la vie de Gunon puis dans celle de nombre de ses continuateurs; la revue tudes traditionnelles o Gunon crivit le plus grand nombre de ses articles affirma, a rs 1960, ses choix islamiques sous la direction de Michel Vlsan. Il ne s agit pas pour nous dune attitude dlibre ou dune orientation discrte mais de lopportunit en soulignant que les choix personnels ne sont pas lobjet de ce travail collectif. Nous avons tenu compte galement des travaux accomplis depuis

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trente ans pour simplifier la biographie aux lments indispensables la comprhension du rsent travail et renvoyer aux bio-bibliographies fort compltes dj pub ies.

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Pour le fond, il est certain que le temps a abattu bien des obstacles tout en faisant surgir de nouvelles exigences. I1 y a dix ans dj, un colloque de Cerisy-la-Salle constatait lactualit de Ren Gunon et compos?it un tableau des domaines o sexerait son action et les rsistances : 1Eglise catholique, lIslam, la franc-maonnerie, etc. non pour faire une sociologie du gunonisme mais en considrant les milieux intresss comme dous dune volont propre et le contact avec son uvre comme un test de survivance de lesprit traditionnel. Le temps aidant et tout en reprenant un certain nombre de points abords pendant ce colloque, nous avons jet un regard plus froid sur notre sujet : Gunon confront saint Thomas dAquin et non au mouvement no-thomiste de son temps, tel problme de linguistique et non des gnralits sur les langages sacrs et profanes, tel usa e lexicologique en philosophie, etc. Ceci a t rendu possible grce, il aut le rpter, aux travaux de tout un courant de pense dbouchant sur une autorit ac uise peu peu par ses conceptions S. Au total il apparat clairement que a plupart des raisons invoques pour le rejeter ont permis au mieux de lesquiver, nous le retrouvons maintenant, au dtour du chemin, avec la chance davoir considrablement vieilli.

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Le plan suivi sest efforc darticuler ces divers aspects : la biographie sajoutent des indits de jeunesse et un tmoignage, celui de Gaston Georgel : Ce que je dois Ren Gunon. La crise du Monde moderne vient ensuite , bilan intgrant, trente ans aprs sa mort, le choc de son uvre et sefforant par des voies diffrentes de dlimiter les nouvelles fissures et ce quelles sont susceptibles de laisser entrer, cette partie conduit naturellement la question du mal. Quelques correspondances indites sur ce dernier point renforcent lclairage. Le problme des sources, domaine dlection du conflit entre les tenants dune origine providentielle et les partisans de lrudition, est abord partir de quelques points de vue prcis de luvre sans chercher identifier des personnes. Laxe doctrinal rassemble, aprs un rappel des domaines respectifs de lsotrisme et de lexotrisme dfini par Gunon, des tudes particulires, non homognes mais comment viter lcueil ? Les problmes de linguistique, de mtaphysique, de vocabulaire philosophique trouvent ici leur place. Nous avons privilgi le symbolisme traditionnel en sparant peuttre artificiellement ce chapitre du prcdent parce quil nous parat faire brche avec efficacit dans 1 epistm contemporaine. Une longue lettre indite de Gunon Jean Reyor, propos de lglise dOiron, vritable petit article, clt avec bonheur cette partie. Les grands carrefours : lglise catholique, le bouddhisme, la francmaonnerie ont fait lobjet de rflexions nettement dlimites sous le titre de lieux de rencontre et points daffrontement; quelques difficults souleves par linitiation fminine dans des correspondances indites ont t voques la suite. Lapprciation des dplacements de frontires de domaines intellectuels quil a provoqus est plus dlicate. Lintrt dun rejet comme celui) ( ) ( ) )

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dAndr Gide est vident : soulagement davoir connu trop tard Gunon prserv son uvre. Vision provoquante de lorient pour Andr et, raux qui, pour cela justement, lisait ses livres ds leur sortie 6. Heureuse Ma la rencontre et adhsion partielle pour Jean Paulhan qui opposa pour finir au refus gunonien du savoir occidental que lui prsentait Luc Benoist : U Je suis contraint la mtaphysique par la science >D Ces exemples pourraient tre multiplis, de Daumal Bosco en passant par Bonjean, Artaud et Breton, sans parler de suppositions propos des plus illustres. Le dernier chapitre consacre une large place la peinture, liconoclasme gunonien ayant largement contribu ralimenter un dbat ancien sur la notion dart sacr; il regroupe galement des tmoignages dhommes ou sur des hommes engags par ou avec Gunon dans une dmarche spirituelle : prtre, philosophe, crivain. A lap roche du centenaire de sa naissance, nous souhaitons que cet ouvrage CO lectif suscite de nouveaux travaux. Des publications systmati ues de correspondances en particulier claireraient la progression et la CO sion interne de sa pense par la succession des remarques, questions, informations nouvelles de ses lecteurs et des rponses apportes. En attendant de pouvoir raliser une vritable dition critique.

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J.-P. L.

NOTES

1. I1 figure dans le livre de Gatan Picon, Panorama des Ides contemporaines, Paris, Gallimard, 1954. 2. LHomme, le Langage et la Culture, traduit de lallemand par Maurice de Gandillac, Paris, Denol, 1971, chap. VII, p. 183. 3. Voir, sotrisme et Christianisme autour de Ren Gunon, Paris, Nouvelles ditions latines, 1981. 4. U Ren Gunon et lactualit de la pense traditionnelle *, Centre culturel international de Cerisy-la-Salle, du 12 au 21 juillet 1973, sous la direction de Ren Alleau et Marina Scriabine. 5. Nous nous limiterons ici un exemple: lusage du mot cosmologie par NicolCs Sd dans La Mystique cosmologique juive, Paris, E.H.E.S.S., 1981, repris de Gunon, Etudes s u r lHindouisme, Paris, Editions traditionnelles, 1966, p. 45. 6. Clara Malraux nous la confi au cours du colloque cit plus haut. 7. Lettre de J. Paulhan L. Benoist, du 20 octobre 1941.

Repres biographiques et bibliographiquesJean-Pierre Laurant

La vie dune seule personne est lobjet de la biographie nous dit le Petit Littr :dfinition trop claire pour un spirituel. Dun ct, lindividu et ses actes constituent aujourdhui le dernier obstacle lclatement face la multiplication des schmas explicatifs, de lautre, le dpassement de lindividualit commande la vie du spirituel : ... Ce nest plus moi qui vit mais le Christ qui vit en moi l . D Une dmarche initiatique se raconte dans les bornes du temps et de lespace ordinaires qui paraissent vite incohrents et contradictoires. En mme temps linvraisemblance efface lexemple et les lgendes dores nont plus quune existence phmre. Bref, la vie de Gunon est difficile raconter en termes de a cursus B, de journal, de roman, de notice. Navait-il pas, de son vivant, pour couper court aux divagations suscites par une polmique avec la Revue internationale des Socits secrtes de Mg*Jouin, dclar que si on lennuyait trop avec la personnalit de Ren Gunon, il la supprimerait purement et simplement. Avec une aversion pour les photographies * aussi forte que celle de Balzac, il manifesta un got prononc pour les pseudonymes; au Sphinx du roman de jeunesse repris dans la signature de La France antimaonnique en 19143, succdrent les changements de noms traditionnels : Palin nius, vque gnostique dAlexandrie et surtout Abdel-Wahid-Yahia en Is am dont les initiales servirent signer des articles dans le Speculative Mason 4. La direction de cette revue sinterrogea un moment sur lidentit de son correspondant. La premire monographie, la Vie simple de Ren Gunon5, rdige dans lentourage de la revue quil inspirait 6, voulut, comme le titre lin-

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dique, couper court aux spculations sur des contradictions possibles entre son intrt de jeunesse pour loccultisme, ses orientations chrtiennes puis islamiques, sa vie maonnique et son antimaonnisme en montrant lunit rofonde de la dmarche depuis la rencontre dun ou de matres jusqu f)a ralisation finale au Caire. Louvrage insistait sur lorigine non humaine de ses connaissances; le silence gard volontairement sur la nature de la transmission rendait vain tout travail didentification des personnes ou des ides. Michel Vlsan, successeur de Jean Reyor la tte des tudes traditionnelles limina tout lment personnel divertissant pour ne voir que U la boussole infaillible N et a la cuirasse impntrable . Mais, aralllement, la diffusion de son uvre dans des milieux intellectuels di rents apporta une masse dinformations difficile intgrer dans le cadre prcdent. Nole Maurice-Denis qui avait entretenu des liens damiti avec lui appuya les U rticences chrtiennes sur des donnes biographiques ; Paul Srant et Lucien Mroz centrrent leurs ouvrages sur la pense tout en sefforant de replacer la personne et son destin dans des catgories dj identifies, celle des hrsies gnostiques par exemple. Des travaux universitaires vinrent ensuite, mmoires, thses, publications classant de nombreux thmes et sources dans le courant de lhistoire des ides 9. M.-F. James, au terme dune enqute remarquable dans les milieux catholiques, reprit nombre de positions de N. Maurice-Denis tout en risquant quelques pas du ct de la psychanalyse. Il restait A. Thirion desquisser, superficiellement vrai dire, une interprtation marxiste du rejet du monde moderne par un petit-bour eois blsois issu dun milieu hostile lindustrialisation lo pour achever e circuit de ce que le jargon ! sportif appelle passages obligatoires. Dernire tude en date, celle de Jean Robin est revenue une vision hiratique en rinterprtant les matriaux accumuls par ses prdcesseurs en liaison avec le caractre providentiel de sa fonction. Les limites de ces mthodes sont visibles, dpourvu de sa finalit initiatique le rcit de la vie de Gunon est sans intrt, voire mdiocre; rduit un geste rituel, symbole de luvre crite, il est faux donc gnrateur derrances. Le dpassement de la personnalit suppose son existence comme la mort du moi une autre issue que la schizophrnie, ainsi les dfauts, les hsitations sont imbriqus dans le combat spirituel avec le dsir, la volont et la clairvoyance; il nest pas de notion plus antitraditjonnelle que celle de vie prive. 11 suffit pour sen convaincre de lire les Ecritures o voisinent si frquemment les caractres les plus tordus et les destins spirituels les plus tonnants, perversion et conversion. Nous avons lutter nous dit St Paul l2 a contre les Principauts, les Puissances, les rgisseurs de ce monde de tnbres, contre les esprits du mal qui habitent les espaces clestes [.. I .I1 est de ceux qui ont livr ce genre de combat avec le glaive de lesprit. Les repres biographiques suivants visent dlimiter le champ et clairer le paysage o sest droule laction intrieure et extrieure quil nous faut raconter nos enfants et nos petits-enfants. Repres sans valeur par eux-mmes, ils nont dautre but que de montrer comment le hros est all voir ailleurs.

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1886-1906 : les annes difficilesLe 15 novembre 1886 Ren, Jean-Marie, Joseph nat Blois, enfant unique du remariage entre Jean-Baptiste Gunon, architecte-expert et quinquagnaire et Anna Jolly. A douze ans Ren a fait sa premire communion et, de sant trop fragile pour aller lcole, avait appris lire et crire grce aux soins de sa tante, MmeDuru,dans la belle maison de la rue du Foix en bord de Loire.

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lve de lcole secondaire catholique Notre-Dame des Aydes, il est frquemment malade. Son pre, le jugeant victime de jalousies, lenvoie au collge Augus&-Thierry Blois. Anne de philosophie exaltante avec Albert Leclre spcialiste des prsocratiques, il est galement en relation avec le chanoine Gombault professant un thomisme un peu troit et intress par les phenomnes praeternaturels. Ren est reu au baccalaurat, srie philosophie. Seconde anne de classe terminale, il obtient son baccalaurat, srie mathmatiques lmentaires avec la mention assez bien n. Inscrit au collge Rollin Paris en mathmatiques spciales en vue de prparer les grandes coles. Lchec d, en partie au moins, sa sant chancelante qui lui vaut dtre rform, le dtourne des concours; il sinstalle alors au 51 de la rue Saint-Louis-en-1Ile et porte son attention vers loccultisme. Une bauche de roman, La Frontire de Vautre monde et des pomes tmoignent de ses proccupations.( (

1906-1912 : travers loccultismeI1 frquenta tout dabord lcole hermtique de Papus o Sdir et Barlet, avec qui il se lia, enseignaient. Admis dans lOrdre Martiniste, bientt Suprieur Inconnu B il participa galement la vie dorganisations maonniques parallles : la Loge Humanidad, rattache peu aprs au rite de Memphis et Misram et au Chapitre et Temple INRI du rite primitif et originel swdenborgien.((

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Secrtaire phmre du Congrs s iritualiste et maonnique, il y rencontra Albert de Pouvourville Matgioi) avec qui il aborda les traditions extrme-orientales, Fabre des Essarts, patriarche de lglise gnostique de France et Thodor Reuss, grand matre de lO.T.O. Premjers travaux crits avec la publication de deux comptes rendus de 1Ecole hermtique dans lInitiation de Papus, une polmique

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dans la revue maonnique lAcacia propos de la rgularit du rite de Memphis et Misram, et une mise au point dans lu France chrtienne. Dans le mme temps, il prenait la tte dun nigmatique ordre du Temple rnov la suite dune communication obtenue par criture automatique; cette affaire lui valut dtre exclu avec ses amis de lOrdre Martiniste et des organisations contrles par Papus. Sacr vque nostique dAlexandrie sous le nom de Palingnius, il commence a publication de la revue lu Gnose, et larticle Le Dmiurge , de dcembre 1909, montre une relle matrise chez un jeune homme qui put faire supposer dautres contacts traditionnels . I1 est galement inscrit 1Ecole pratique des hautestudes en compagnie de quelques amis gnostiques. Une quinzaine darticles paraissent dans lu Gnose, notamment des Remarques sur la production des Nombres w , divers articles sur la Maonnerie et des notes 1Archomtre de Saint-Yves dAlveydre, texte transmis par Barlet. I1 fait alors la connaissance du peintre sudois Ivan Aguli, islamis sous le nom dAbdu1 Hadi et Soufi, admirateur dIbn Arabi; Aguli, de retour aprs sept ans passs au Caire o il avait publi la revue islamisante Il Convito avec Enrico Insabato, collabora. lu Gnose. Vingt articles dans lu Gnose, parmi eux : La constitution de ltre humain selon le Vdntu et Le Symbolisme de la Croix .Notons galement Un ct peu connu de luvre de Dante. N La revue cessa de paratre quelques mois plus tard, son directeur avait rompu peu peu ses liens avec les milieux occultisants.

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19 12-1921 : Regards vers lglise catholique et luniversit1912Mariage catholique avec Berthe Loury, assistante de sa tante, MmeDuru; il appartient alors la Loge Thebah de la Grande-Loge de France, travaillant au Rite cossais Ancien et Accept, et reoit la mme anne linitiation soufie par lentremise dAguli sous le nom dAbdel Wahid Yahia. Abel Clarin de la Rive, directeur de lu France unti-maonnique ouvre les colonnes de son journal Gunon qui procde quelques mises au point propos de Maonnerie et de U pouvoir occulte . Celui-ci y rencontre Olivier de Frmond, catholique antismite et antimaon, avec qui il changera une importante correspondance largie liconographe chrtien L.A. Charbonneau-Lassay sur la question de la tradition. Les mmes thmes sont dvelopps, il faut y ajouter un article sur Lsotrisme de Dante M et, dans lu Revue bleue, U Les doctrines hindoues . entreprend une licence de philosophie la Sorbonne. I1 Licenci s Lettres avec mention U bien w en juillet, il prend un poste de supplant au collge de Saint-Germain-en-Laye et prpare un D.E.S. en philosophie des sciences avec le professeur Milhaud en compagnie de Nole Maurice-Denis, fille du peintre nabi, qui lamne lInstitut Catholique de Paris.((

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Reu son D.E.S. : Leibniz et le calcul infinitsimal B : N. MauriceDenis lui a fait connatre Jacques Maritain, le pre Peillaube et le milieu o se renouvelait ! thomisme. e Une anne denseignement Stif. Retour Blois, prparation de lagrgation de philosophie. chec loral de lagrgation; rdaction de comptes rendus dans la Revue philoso hique o le fait entrer Gonzague Truc. Le professeur S vain Lvi refuse N Lintroduction gnrale ltude des doctrines gindoues D comme doctorat dtat aprs en avoir initialement accept le projet. Un ouvrage parat sous le mme titre chez Rivire. En mme temps, Gunon rdige une srie darticles pour la Revue de Philosophie (no-thomiste) du pre Peillaube et publie le Thosophisrne, Histoire dune pseudo-religion par les soins de la Nouvelle Librairie nationale dans une collection dirige par Jacques Maritain : Enqute sur un groupe para-religieux mene rigoureusement selon les rgles de la critique historique.

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1922-1929 : lsotrisme en Occident1923Des comptes rendus paraissent encore dans la Revue de Philosophie mais les liens se relchent avec les amis de N. Maurice-Denis; Gunon, qui a abandonn lenseignement, reoit beaucoup de monde rue Saint-Louis-en-lIle, Occidentaux et Orientaux. Son ami F. Vreede affirmera en 1973 quil lui avait alors fait la confidence de son appartenance une association de Matres tous grades , hritire de lancien compagnonnage. Des runions hebdomadaires qui dureront jusquen 1928 dbutent chez les docteurs Winter et T. Grangier, frquentes par Mario Meunier, J. Bruno, F. Bonjean, Marc-Haven. Publication chez Rivire de lErreur spirite. A la suite du livre de F. Ossendowski, Btes, Hommes et Dieux, une table ronde organise Par les Nouvelles littraires runit sur le thme dun centre initiatique sacr oii sigerait le Roi du Monde Maritain, Grousset, F. Lefvre, Ossendowski et Gunon. Orient et Occident parat chez Payot, un cha itre est consacr aux conditions de la reconstitution dune vritablp lite. e Dbut de la collaboration au Voile dIsis de Paul Chacornac, revue qui perdra peu peu son caractre occultiste et Regnabit, revue universelle du Sacr-Cur du pre Flix Anizan, 0.m.i. et de L.A. Charbonneau-Lassay; cest par ce dernier que Gunon aura connaissance de la survivance de- groupes dhermtisme chrtien. Lditeur Charles Bosse publie ZEsotrisme de Dante, le chapitre II traite dune socit sotrico-religieuse, la Fede santa. LHomme et son devenir selon le Vdnta parat chez Bossard. Une confrence est donne en Sorbonne sur la mtaphysique orientale. Poursuite de sa collaboration Regnabit avec notamment : Terre sainte et cur du monde. I1 travaille galement pour le Voile dIsis et dans diverses revues : Vers lunit (organe de la droite nouvelle), la Revue bleue, Vient de paratre (dinspiration catho(( ) )

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lique), Au Christ Roi (organe du Hieron de Paray-le-Monial). Il aurait inspir la mme anne la formation dun groupe damis: Union intellectuelle pour lentente entre les peuples. En fait, il frquente alors des milieux bien divers, parfois trs parisiens comme le salon de Juliette et Albert Gleizes. Suite et fin de sa participation Regnabit, le pre Anizan est accus dhtrodoxie. Contacts avec le groupe des Polaires. Publications du Roi du Monde et de la Crise du monde moderne chez Bossard; attaques de la Revue internationale des socits secrtes contre lui. Anne de deuil, sa femme, puis sa tante, meurent tour tour, Rencontre de Jean Reyor qui prendra de plus en plus dinfluence la rdaction du Voile dIsis et laidera mener bien la transformation en tudes traditionnelles. Voyages et projets ddition en compagnie de MmeDina; il rside quelque temps aux Avenires en Savoie. Pendant ce temps paraissent Autorit spirituelle et Pouvoir temporel chez Vrin, ce qui le brouille avec Daudet et Massis frapps par lexcommunication de lAction fianaise et qui avaient bien accueilli sa critique du monde occidental moderne ainsi quune plaquette sur Saint Bernard. Quelques articles trs importants de symbolisme sont rdigs pour le Voile dIsis.

1930-1950: en Islam1930Dpart pour le Caire, en compagnie de MmeDina, la recherche de textes soufis; celle-ci rentra seule trois mois plus tard. Gunon, pratiquement sans ressources vcut quelques mois fort pauvrement dans le vieux Caire autour de la mosque Seyidna el Hussein, faisant la connaissance du sheikh Salma Radi de la branche shadilite laquelle il avait t rattach en 1912. Une srie darticles du Voile dIsis a trait lsotrisme islamique. A rs plusieurs dmnagements, il se fixe prs de luniversit Al A zar adoptant en tous points les us et coutumes locaux, maillant sa conversation en arabe de dictons populaires. Le Voile dIsis va donner rgulirement deux articles de sa main chaque livraison, une trs importante srie sur linitiation durera jusquen 1937. En prparation depuis fort longtemps, le Symbolisme de la croix parat chez Vga, ddi la mmoire du sheikh Elish. Se lie avec le sheikh Mohammed Ibrahim et voit souvent Valentine de Saint-Point (Rawheya Nour-Eddine). Publication des Etats multiples de ltre (Vga), suite de lHomme et son devenir ..., dont les matriaux taient galement rassembls depuis prs de vingt ans. Les questions relatives linitiation occupent en quasi-totalit sa collaboration au Voile dIsis; un certain nombre de ses lecteurs cherchant pour eux-mmes la lumire et refusant la Franc-Maonnerie, il vit dun bon il la constitution dun groupe soufi en France. F. Schuon fit deux voyages Mostaganem auprs de la Tariqah Alioua et exera la fonction de Moqaddem son retour.

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I1 pouse la fille ane de Mohammed Ibrahim, Fatma Hanem, sinstalle chez son beau-pre et liquide son appartement de Paris peu aprs tout en conservant avec la France une abondante correspondance : son information des problmes intellectuelles parisiens tait remarquable et il entretint plusieurs polmiques. 1935 Vacances Alexandrie, treize articles dans le Voile dIsis, quatre dans le Speculative Mason, signs A.W.Y. 1936 Le voile dIsis devient tudes traditionnelles, une longue srie sur des symboles fondamentaux double la prcdente. 1937 Sinstalle au faubourg de Doki, la maison lui est offerte par un admirateur anglais. Sa corres ondance est considrable, citons, parmi tant dautres, Ren Al ar, Andr Prau et A. K. Coomaraswamy. 1938 Intense activit pour les tudes traditionnelles, et maladie. 1939-1940 Rtablissement et rechutes, les visites se succdent : F. Schuon, Titus Burckhardt, J. A. Cuttat; il voit frquemment Martin Lings, Anglais islamis. 1940-1943 La guerre interrompt le courrier, prparation de plusieurs ouvrages. Luc Benoist travaille avec Jean Paulhan la cration dune collection traditionnelle chez Gallimard. Michel Vlsan, diplomate roumain qui a rejoint le milieu des tudes traditionnelles. peut servir dintermdiaire avec le Caire. 1944 Naissance de Khadija. 1945 La revue reprend vie; publication du Rgne de la quantit et les Signes des temps chez Gallimard. 1946 Retour au centre du Caire avec toute sa famille. Sortie des Principes du calcul injnitsimal chez Gallimard et de la Grande Triade (la Table ronde). Un recueil darticles parat chez Chacornac, sous le titre Aperus sur linitiation. 1947 Naissance de Leila, sa seconde fille. Les articles des tudes traditionnelles reviennent sur des problmes soulevs par les dfinitions dsotrisme et exotrisme, de mystique et de connaissance, de pratique religieuse, U Ncessit de lexotrisme traditionnel clt lanne. Visite de Marco Pallis et du fils de Coomaraswamy. Nadjn oud-Dine Bammate, jeune tudiant, est son pensionnaire; des correspondances importantes sont changes avec Julius Evola ou des Maons comme Marius Lepa e ou Denys Roman. Les rapports glise-Franc-Maonnerie sont argement dvelopps dans les lettres Jean Tourniac publies par celui-ci dans Propos sur Ren Gunon 13. Cration par des gunoniens de la Loge la Grande Triade, Rite cossais Ancien et Accept la Grande Loge de France. 1948 Nouvelles difficults de sant; douze articles rdigs. I949 Naissance de son fils Ahmed. Naturalisation gyptienne. Cration dune Loge sauvage , en dehors de toute obdience : n Les Trois Anneaux . Trois articles successifs dans les tudes traditionnelles sur christianisme et initiation. 1951 Meurt le 7 janvier 1951 23 heures. Le 17 mai, naissance dun fils posthume, Abdel Wahid.1934

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Initiation et Ralisation spirituelle, Paris, ditions traditionnelles, avant-propos de Jean Reyor. 1954 Aperus sur lsotrisme chrtien, Paris, ditions traditionnelles, avant- ropos de Jean Reyor. b esfondamentaux de la science sacre, Paris, Gallimard, N.R.F. 1962 So Tradition , introduction de Michel Vlsan. 1964 et 1973 tudes sur la Franc-Maqnnerie et le Compagnonnage, 2 vol. 1968 tudes sur lhindouisme, Paris, Editions traditionnelles. 1970 Formes traditionnelles et cycles cosmiques, Paris, Gallimard, N.R.F., avant-propos de Roger Maridort. 1973 Aperus sur lsotrisme islamique et le taosme, Paris, Gallimard, N.R.F., Les Essais, avant-propos de Roger Maridort. Comptes rendus.

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1976 Mlanges. La revue tudes traditionnelles a poursuivi rgulirement ses publications. Rivista di Studi tradizionali est dite Turin et, depuis 1982, Tradition Chlons-sur-Marne 14.J.-P. L.

NOTES1. Saint Paul, Ga, II, 20. 2. Lettres F. Galvao du 14 nov. 1946 et Marius Lepage du 10 nov. 1949. 3. Polmique commence en 1913 dans cette revue avec les milieux occultistes. Voir M. F. JAMES, cit., pp. 105 et sq. op. 4. 1935-1936-1937. 5. Paul CHACORNAC, Paris, ditions traditionnelles, 1958, 130 p. 6. Le Voile dlsis, devenu en 1936 Etudes traditionnelles et dirige sa mort par Jean Reyor jusquen 1960. 7. U Lsotriste Ren Gunon. Souvenirs et jugements Y, La Pense catholique, 1962, no. 71, 18, 79, 90. 8. Lucien MBROZ, Ren Gunon ou la Sagesse initiatique, Paris, Plon, 1962, 245 p. Paul Ren Gunon, Paris, La Colombe, 1953, 186 p. SRANT, 9. LAURANT, LArgumentation historique dans luvre de R. G., Ve section de lE.P.H.E., J.-P. 1971, 317 p. M.-F. JAMES, doctorat dEtat soutenu Nanterre, Paris X, le 5janv. 1978, le texte a t publi lgrement modifi, voir ouv. cit. 10. A. THIRION, Rvolutionnaires sans rvolution, Paris, R. Laffont, 1972. 11. J. ROBIN, Ren Gunon tmoin de la tradition, Paris, Trdaniel, 1978, 348 p. 12. Saint Paul, Ep. v, 21. 13. Paris, Dervy-Livres, 1973. 14. E.T., 11 quai Saint Michel, Paris v; R.S.T., Viale XXV Aprile 80, 10133 Torino; T., 14 av. du G1 de Gaulle, 51000, Chlons-sur-Marne.

Pomes de jeunesse

Ren Gunon

LES ASPECTS DE SATAN ISatan, vieil Androgyne! en Toi je reconnais Un Satyre dantan que, bien sr, je croyais Dfunt depuis longtemps. Hlas! les morts vont vite! Mais je vois mon erreur et, puisquon my invite, Javouerai qu mes yeux ce terrible Satan Dune trange faon rap elle le Dieu Pan. Examinons de prs ton arouche Visage, Effroi des bonnes gens, terreur du Moyen Age! Sans nul doute, le temps ta chang quelque peu, Et cependant tes yeux gardent le mme feu. Tes cornes ont pouss et ta queue est plus longue; Mais je te reconnais avec ta face oblon ue, Avec tes pieds de bouc, ton profil angu eux, Ton front chauve et rid (tu dois tre si vieux!) Ta solide mchoire et ta barbe caprine. Je te reconnais bien, et pourtant je devine Quil a d se passer certains vnements Qui ne tont point laiss sans peines ni tourments.

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Quest4 donc arriv? Quy a-t-il qui toblige A viter le jour de mme quune Stryge? Ton air sest assombri, toi dj si pensif Quon voyait autrefois, solitaire et craintif, Errer dans la campagne en jouant de la flte Ou garder tes troupeaux assis devant ta hutte. Qui donc ta dclar la guerre sans merci? Qui donc ta dnonc comme notre ennemi? Je ne laurais pas cru, et tu ny pensais gure Lorsque tu mditais paisiblement nagure. Cela est vrai pourtant, ou du moins on le dit, Et lon fait l-dessus maint horrible rcit. Traqu de toutes parts, le pauvre Lucifuge Au porche de lglise a cherch un refuge. I1 faut bien convenir que tu nes pas trs beau, Tel que je taperois sur ce vieux chapiteau. Te voil devenu la hideuse gargouille Que quelquun, ange ou saint, sous ses pieds crabouille. Le chrtien te maudit, et le prdicateur Te montre chaque instant pour exciter la peur; I1 te dpeint hurlant, tagitant dans les flammes, Et sans cesse occup tourmenter les mes. Lauditoire frmit, et, tout rempli deffroi, Redoute de tomber quelque jour sous ta loi ... Aujourdhui cest bien pis, et avec impudence, comble de disgrce! on nie ton existence. Toi qui pouvantais jadis les plus puissants, Te voil devenu un jouet pour enfants! Quelque vieille dvote, la pit insigne, Seule te craint encore et ton nom se signe. Moi, je sais qui tu es et je ne te crains pas; Je te plains de tout cur dtre tomb si bas! Je nprouve pour toi ni colre ni haine, Jimplore en ta faveur la Bont souveraine, Et jespre te voir, antique Rvolt, Las enfin et contrit, rentrer dans lUnit!

VSatan, roi des Enfers et seigneur de lAbme, Que ton empire est triste en son horreur sublime! L tu vis morne et seul; nul autre que la Mort Noserait partager ton lamentable sort. Si cuisante que soit ta douleur immortelle, I1 doit faire bien froid dans la flamme ternelle! Ils ont donc menti, ceux qui tont dpeint, Satan, Entour de ta cour, Bhmoth, Lviathan, Baal-Zboub, Moloch, Astaroth, Asmode,24

Une suite nombreuse et richement pare! Ce faste convient peu toi dont la souffrance Est sans bornes et sans fin, le dsespoir immense! Ton orgueil insens, tu dois le regretter, O toi qui Dieu mme as voulu tgaler! Ne savais-tu donc pas, quoi q d i l puisse paratre, Que lAbsolu nest rien, que 1Etre est le Non-Etre? Quoi! ignorais-tu donc que le haut, cest le bas? Car Dieu est lInfini, I1 est tout et nest pas! Hlas! Tu as pay bien cher ton imprudence, Et tu as reconnu trop tard ton impuissance! Tout est-il donc fini? et faut-il que toujours Tu passes dans lAbme et les nuits et les jours? Non! ce nest pas possible, et ton sort doit quand mme Toucher un jour le cur de la Bont suprme! Ne dsespre pas : un jour viendra enfin O, aprs si longtemps, ton tourment prendra fin, Et alors, dlivr de ton sombre royaume, Tu pourras contempler la clart du Plrme!

antique serpent, Nahash que connut bien Mose, .qui se tut et jamais nen dit rien, Do viens-tu? Nul ne sait! Qui es-tu? Un mystre! Jadis les Templiers tappelaient notre Pre; Pourquoi donc? Je lignore! Et quimporte, aprs tout, A moi qui ne suis rien, perdu dans le grand Tout?Ren Gunon

NOTE1. Deux cahiers dcolier tenus par une cordelette rouge tresse contenaient lun une bauche de roman La Frontire de lAutre Monde, lautre neuf pomes dont voici les titres : L Vaisseau fantme, La Maison hante, Baal Zeboub, La Grande Ombre noire, La Haute e Chasse, Litanies du Dieu noir, Samal, Les Aspects de Satan, Satan-Panthe.

La crise

du mondemoderne

Ren Guenon, hraut de la dernire chanceJean Bis

Tandis quimperturbablement, dans une indiffrence concerte, luvre de Ren Gunon retournait de fond en comble les illusions et les menson es de loccident, lnorme majorit des Occidentaux, en dpit dindices oquents qui auraient d tenir lieu davertissements, prfraient sabandonner aux dlices de Capoue de la contre-initiation, assurs quils taient dune inconstestable suprmatie matrielle dans le monde de lentre-deuxguerres. Au milieu de ces orgies dinconscience, Gunon lIn-ou se voyait condamn pour excs de lucidit, en guise de tout salaire, la peine de solitude capitale. Au moment o, avec cinquante ans de retard, on commence mesurer tant derreurs accumules et o lon qualifie la crise d universelle , Ren Gunon brusquement brille de lclat dont lavait priv une conjuration du silence systmatique. Des esprits plus nombreux dcouvrent lactualit, limportance dun tel message, y dcryptent la part dinsupportable et de salutaire que recle tout scandale . Beaucoup cependant lui reprochent de thoriser; et sans doute Gunon dnonce-t-il plus quil nlabore, noncet-il plus de principes quil nap orte de solutions l . Si lon sen avise pourtant, luvre met des hypot ses, quoique disperses, trop concises notre gr, fournit des directives. Ce sont elles quil convient dexaminer : aussi bien leur exploration a rarement t faite jusquici, laquelle nous invitent lurgence de lheure et son dsarroi z .

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La premire hypothse envisage par Gunon est qu linstar dautres civilisations loccident pourrait sombrer dans la pire barbarie et disparatre.

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N Il nest p a s besoin de beaucou dimagination pour se reprsenter lOccident jnissant p a r se truire lui-mme, soit dans une guerre gigantesque [...I, soit p a r les e f e t s imprvus de e faire produit qui, manipul maladroitement, serait capable Buelque sauter non plus une usine ou une ville, mais tout un continent =. P

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Nous ne nous tendrons pas longuement sur cette premire hypothse. Nous apprcierons seulement la lucidit de Gunon, en songeant quel usage luranium enrichi a pu servir depuis la rdaction de ces lignes (1923). Une ventuelle destruction de lEurope tiendrait lieu dpilogue une situation insoluble, toujours plus intolrable. Gunon assure que lhumanit est entre dans la priode la plus sombre de cet Age sombre que lInde dsigne sous le nom de Kali-yuga. Lattitude traditionaliste sgare en croyant pouvoir remonter un degr moins avanc de la dcadence, comme sgare le ((pro ressismen qui prend le crpuscule pour ! laurore, prcipite la course 1 abme. Cest ignorer dans les deux cas la loi du temps cyclique, qui veut que lloignement du Principe accentue, acclre la dgnrescence de toutes choses, ignorer les causes les plus lointaines - atlantennes , - de ltat prsent. Erreur dviation , monstruosit , somme de tous les dsordres B -, tel se prsente 1 ~ Age des Conflits , qui ne peut trouver sa conclusion que dans un cataclysme dont les prmices ne nous sont pas inconnues 4. Revenait Gunon le soin de dceler avec la prcision autorise cet arcane majeur de la doctrine des cycles , den surprendre les implications, den rassembler les preuves illustrant la gravit et la singularit du moment, concernant la fois les domaines matriels, sociaux, intellectuels, psychologiques et s irituels, dmontrant la quantification , la solidification et la volatiEsation N du milieu cosmique, le renversement de toutes les normalits en leurs contraires infra-humains : tous signes des temps N quil est devenu conformiste de dtecter, mais dont le vritable Agent codificateur reste ignor de la plupart. En dpit de tant de fractures et dcroulements, qui croirait pourtant une dmission de Gunon, et, si le mot ntait pas impropre, son pessimisme foncier ? Gunon sait que la connaissance spirituelle ne peut disparatre; tout au plus se retire-t-elle momentanment pour senfermer dans la conque de la Tradition . 1 prcise que ce quoi lon assiste 1 nest point tant la fin du monde que celle dun monde; que tout achvement dun cycle saccorde avec le commencement dun autre; que laspect malfique est toujours partiel et provisoire, quil a sa raison dtre dans la mesure o il permet lpuisement de toutes les potentialits infrieures. Cest lextrme limite de la dsagr ation que se produira le redressement ultime et intgral. Si le temps sacc re au point de tuer lespace cest, une fois la succession devenue simultanit, pour se retourner en espace, inaugurer un nouveau monde. Au temps des souffles terrifiants et des souveraines misres, au fond des ventuels cachots de 1Antichrist totalitaire, tout martyr du Kali-yuga naurait de cesse de se redire cette parole gunonnienne, vritable parole de vie illustrant lnantiodromie cosmique : Cest quand tout semblera perdu que tout sera sauv. N Ainsi, du point de vue de lAbsolu qui seul nous intresse, la fin du cycle nest que relativement catastrophique : laggravation du dsordre(( ) ) ) )( (

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empche le dsordre de se perptuer indfiniment . I1 va de soi que si le dsordre devait stendre lensemble de la plante - et telle est bien la situation en cette fin du me sicle - la restauration de lordre aurait seulement soprer sur une chelle beaucoup plus vaste , amenant le retour de lu tat primordial N - la Jrusalem Cleste du judo-christianisme, le Satya-yuga de lhindouisme. Enfin, au dtour dune de ses rares confidences, Gunon remarque que la perspective dune totale destruction laurait jamais dissuad dentreprendre aucun de ses ouvrages . Si cette hypothse ne rpand pas la question que tout le monde se pose : Que faire? elle nen a pas nioins le mrite dliminer le pire, de laisser dautres hypothses sexercer lexistence. Ce sont elles quexpose Gunon dans les dernires pages de son Introduction gnrale ltude des doctrines hindoues.((

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Autre hypothse : Un retour de lOccident lintellectualit, non pas impos et contraint U , mais cc efectu volontairement [.. I p a r une sorte de rveil spontan de possibilits laterites U . Cela suppose, dune part le retrait de loccident lintrieur de ses frontires, dautre part laction de lglise catholique retrouvant les sources de lsotrisme chrtien, ventuellement aide en cela soit par laile droite de la franc-maonnerie, soit par des intermdiaires occidentaux engags eux-mmes dans une tradition orientale. Lglise catholique apparaissait Gunon, malgr sa dgnrescence, comme la seule instance encore capable de remdier la situation. Quoique insuffisamment spare de la thologie, la scolastique thomiste gardait ses yeux une part importante de mtaphysique vraie . Dtriore elle aussi, la Maonnerie traditionnelle restait pour lui lArche possible destine conserver lessence des traditions jusquau retour lUnit. Lalliance de lArt spirituel du Sacerdoce et de lArt royal de la Maonnerie ne pouvait se faire quau plus haut niveau, celui dhommes entendant rester fidles lhritage mdival, lapport biblique et luniversalit qui accompagne la ralisation intrieure. Le souhait des hommes traditionnels B se concrtise aujourdhui, semble-t-il, dans la pratique dune voie individuelle relie telle ou telle confession, dans lexclusion de tout antagonisme de principe et le respect des souverainets, sans excommunication des obdiences, ni, de la part de celles-ci, dantichristianisme - ce que garantissent des landmarks immmoriaux -, un avenir lourd encore sans doute dincomprhensions rciproques dira si le mariage de la foi et de la gnose restait possible aux terres doccident, sil pouvait faire leur salut ou ntait quun cran darrt une volution irrmdiablement rgressive 7. Dans son souci de nexclure aucune carte du jeu, Gunon voque en outre laction du intermdiaires occidentaux, (dont lui-mme fera partie ds son entre dans lIslam en 1912 Gunon remarque que celui-ci nest pas sans veiller bien des susceptibilits europennes; et cest ce qui explique quil nait point propos ladhsion lIslam comme solution possible. Cependant, on le voit mentionner plusieurs fois les contacts secrets qui eurent lieu, au moyen ge, entre chrtiens et musulmans; il trouve dans lIslam un lien priviligi entre lorient et lOccident ; et son propre rattachement la chane initiatique du Taawwuf montre implicitement la possibilit dune telle conversion N pour des Occidentaux. On sait que sonc((((()j

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exemple est suivi par plus dun, aujourdhui. Le fait que lIslam ne comporte pas de clerg et de hirarchie, le fait aussi quil admet la pleine existence de lsotrisme, et proclame avant tout lUnit divine, contribuent sduire des esprits qui entendent chez nous, tort ou raison, saffranchir de tout contrle infantilisant,. prtendent en savoir davantage que les clercs sur le fond mme de la religion, ou encore ont hrit dun certain disme, tranger lide dIncarnation. I1 nest pas pour autant question, dans cette perspective, de substituer au christianisme une tradition orientale. Cest sur les ((principes n que laccord aurait se faire en raison de leur universalit 9. Mais pour aider 1Eglise retrouver son identit, Gunon sest appliqu tout au long de son uvre exposer les grands thmes de la mtaphysique orientale, en particulier ceux de lhindouisme qui offre, entre autres avantages, des formes dexpression relativement plus assimilables que dautres traditions. Quen est-il aujourdhui de cette hypothse? On constate aisment que lu glise universelle w , abuse peut-tre par son propre nom, ne sest plus soucie de redcouvrir lu universalit B de toutes les traditions, a seulement prfr souponner en Gunon quelque missaire des sectes occultistes. Le parti u intgriste B, fidle la maxime quil nest point de salut hors de Rome - une Rome qui na pas laiss de linquiter depuis Vatican II - a prfr se replier sur lui-mme, ou sy est vu contraint, en considrant tout le reste comme subversion lucifrienne et ngligeant la dnonciation clinique quen fait Gunon lui-mme dans le Rgne de lu quantit. Le parti N moderniste B sest de plus en plus spar des u principes w sur lesquels repose la doctrina christiunu, dont il brade ou mine les vestiges en servant de courroie de transmission aux forces antichrtiennes. trangre ou hostile aux notions de a Tradition primordiale B, de cyclicit, de u descentes divines B, de symbolisme, cette glise, dans le mme temps, na pas hsit souvrir des interprtations et des improvisations dont le rsultat final est dinvestir ses propres retranchements. En misant sur le quantitatif, ladaptation dmagogique, la dsacralisation, lingrance en des domaines qui ne relvent pas de ses instances, en contribuant linstauration dune vritable religion inverse, celle de lHumanit qui sautodivinise au lieu de se difier, on peut dire quelle a accompli tout le contraire de ce que prconisait Gunon. Celui-ci ne lui accorderait certes plus le brevet de confiance quil lui dcernait encore, sans se faire trop dillusions, dans lu Crise du monde moderne, et quil devait dailleurs perdre par la suite lo. Cependant, la complexit dune telle question nexclut pas lmergence de signes positifs. Notons dabord le fait curieux que, si les chrtiens se tiennent sur la dfensive ds quest prononc devant eux le mot dusotrismen, ils se montrent beaucoup plus accueillants quand on se rfre des donnes dsotrisme sans prononcer ce terme. Ce qui prouverait une fois de plus, sil en tait besoin, que le sens des mots employs nest jamais assez explicit au seuil dune discussion. Or, il est vident que cet U sotrisme B abonde chez les grands Orientaux : Grgoire de Nysse (le caractre inconnaissable de lEssence), Grgoire Palamas (les nergies divines), Isaac de Ninive(1a misricorde cosmique), Clment dAlexandrie (lidentification de lamour et de la connaissance transmise par une tradition secrte), Origne (les ((ons n de la vie posthume) - en dpit des

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condamnations du VC Concile cumnique, qui visaient plutt vagre -; et aussi, chez Eckhart (la Dit suressentielle), Bonaventure (lomniprsence divine lue dans le livre de la Cration), Silsius, Ruysbroeck, les pres du dsert, le bguinage, les Fidles dAmour. Un autre fait parallle au premier est quun certain nombre de catholiques, depuis que luvre de Gunon a t crite, montrent une plus grande ouverture de sympathie lgard de lorient, en reconnaissent mme les apports. Cest ainsi quon a pu voir un Louis Massignon travailler la rencontre de lIslam et de la chrtient, reconnatre dans lIslam une rvlation authentique l l ; un Olivier Lacombe tudier les systmes de Shankara et de Rmnuja sans se sentir heurt dans sa foi; un Henri Le Saux accomplir sans esprit partisan le plerinage aux sources du Gange; un Thomas Merton inaugurer la rencontre des monachismes chrtien et bouddhiste; un abb Stphane remettre le christianisme dans toute sa lumire mtaphysique en se rfrant la gnsis sans trahir la thologie classique 12. Expriences isoles, dira-t-on. En lesquelles toutefois on peut saisir un sensible changement dattitude, voir des pierres dattente D dans le champ de la rencontre. Gunon ne mentionne qu de rares intervalles lorthodoxie, sur laquelle on peut regretter quil ft peu renseign 13. Une meilleure connaissance du domaine chrtien oriental a confirm depuis les intuitions quil en avait; elle montre que lorthodoxie, beaucoup plus que lglise romaine, serait en mesure daccomplir la mission que souhaitait Gunon. Celui-ci rejoint la position orthodoxe quand, propos de linfaillibilit pontificale, il stonne quelle soit concentre sur un seul personna e alors que dans toutes les traditions ce sont tous ceux qui exercent une f; onction rgulire denseignement (en loccurrence les douze lises apostoliques), qui participent cette infaillibilit. I1 rapproche ail eurs les fols en Christ D et les gens du blme . I1 voque les rapports entre la conception byzantine de la Thotokos en tant que Sophia, Sa esse ternelle , et la conception hindoue de M a en tant que mre de YAvatra. I1 souligne la parent existant entre 1Y apophatisme dun Denys lAropagite et le neti neti vdantique 14. Quand il voit une preuve de la disparition de lsotrisme dans le fait que tous les rites sans exception sont publics l 5 , sans doute oubliet-il ceux de la liturgie de saint Jean Chrysostome ou de saint Basile le Grand, qui se droulent derrire liconostase; mais il remarque qu il ny a jamais eu [dans les glises dorient] de mysticisme au sens o on lentend dans le christianisme occidental depuis le XVI sicle ; et il insiste sur lhsychasme, dont le caractre rellement initiatique nest pas douteux . Linitiation hsychastique, exactement comparable la communication des mantra et celle du wird , laquelle sajoute une technique de linvocation, est au centre mme de lsotrisme chrtien l 6 . I1 est significatif que lEurope vive aujourdhui lavnement philocaLique travers la dcouverte de ce que Luc Benoist a nomm la dernire cole de ralisation mtaphysique constate dans une glise chrtienne . Se tourner vers lOrient sans quitter le christianisme est apparu bon nombre de gunoniens comme une solution naturelle, voire idale 17. Quelques inconvnients ont pu se rvler par la suite : en particulier, trop de blessures passes ou prsentes ont contraint les orthodoxes se refuser aux contacts extrieurs avec dautres religions, ce qui est protection mais risque de devenir sectarisme; la minorit orthodoxe en Europe occidentale,((

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jointe labsence de proslytisme, fait que lorthodoxie ny est pas connue comme elle le mrite, ou que lon prend pour Orthodoxie ce qui nen a que le nom (car ici comme ailleurs, les contrefaons abondent) ... Cela dit, lexistence de lhsychasme prouve assez que loccident est en possession de son propre moyen de libzration, dun ((Yoga chrtien 1 8 . Ce nest assurment point hasard si la prire du cur est sortie des monastres pour se rpandre aujourdhui dans le monde. Mme priv de toute glise, le chrtien ne sera jamais priv de linvocation du Nom. Celle-ci le rend en quelque sorte autonome; elle lui permet dj de traverser en adulte la dsertification spirituelle laquelle il est condamn.((

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Troisime hypothse

Les reprsentants #autres civilisations, cest--dire les peuples orientaux, pour sauver le monde occidental de cette dchance irrmdiable, se lassimileraient de gr ou de force, supposer que la chose f t possible, et que dailleurs lOrient y consentt.( () )

Une priode transitoire serait marque, dans ce cas, par des K rvolutions ethniques fort pnibles priode au terme de laquelle loccident aurait renoncer ses caractristiques propres. Serait ncessaire la constitution dun noyau intellectuel B assez fort pour servir dintermdiaire indispensable. Gunon allait estimer plus tard quil paraissait plus vraisemblable que jamais que lOrient ait intervenir plus ou moins directement l 9 . I1 est vident que les rvolutions ethniques annonces se sont concrtises trente ans plus tard par des guerres de dcolonisation que bien peu prvoyaient. Mais il est certain aussi que Gunon a ici tendance idaliser lOrient : non seulement le phnomne colonisateur a t la felix culpa qui permit aux Occidentaux dentrer en contact avec les sagesses orientales - tel fut le cas de Matgio -, mais la libration des peuples coloniss fut soutenue par une idologie que Gunon condamnait avec la dernire rigueur. Sans doute estimait-il que, pas plus en Inde quen terre dIslam, le (6 bolchevisme navait de chance de russir. On laffirmerait avec moins de force maintenant, dautant plus que la dernire phase du cycle doit tre illustre par la domination de la dernire caste, instituant la nuit intellectuelle sur la surface de la terre 20. Gunon assurait toutefois que les Orientaux se dferaient du communisme ds quils nen auraient plus besoin; les Chinois en particulier, dont toute invasion ne pourrait tre quune pntration pacifique 21 ... Il reconnaissait en mme temps que lorient se trouvait ravag par la modernisation occidentale; et il est un fait quon peut dire aujourdhui que lOrient ne sest libr de loccupation europenne que pour seuropaniser outrance, ou, tel le Japon, sastreindre dpasser loccident. A linverse, on voit ce dernier sorientaliser comme par plaques, avec des fortunes diverses, en important tout la fois lexotisme facile, les sectes et les drogues, qui ne font que saper les vestiges de la chrtient, et dautre part les arts martiaux, le Tao-Te-king, le Bardo- Thodol, la Bhagavad-Gt, plus ou moins bien assimils. Visiblement, nous sommes loin de lopposition absolue entre les deux moitis de la plante.); )( (((

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Quelle que doive tre lvolution des choses en son imprvisible complexit, Gunon prconisait imprativement la constitution dune lite , seule capable doprer un redressement vritable. Llite se constituera dindividualits issues de diffrents milieux dont elles se seront affranchies pour constituer une race mentale diffrencie, indpendante des conditions sociologiques et idologiques de lheure. Ceux qui nauront pas les qualifications requises sexcluront deux-mmes, mus par leur parti pris dincomprhension et leur peur daffronter la grande solitude 22 . Les plus minents universitaires, savants, philosophes, ont peu de chance, en raison de leurs habitudes mentales et de leur CI myopie intellectuelle , dappartenir cette lite. Ses lments, parpills, apparemment non agissants, sont nanmoins plus nombreux quon ne serait tent de le croire 23. Le nombre ne fait de toute manire rien laffaire pour que linfluence transformante puisse sexercer de faon effective; et il doit sentourer de discrtion 24. Llite aura pour principale fonction de prserver et de transmettre le dpt de la connaissance mtaphysique, et de prparer les conditions de la naissance du nouveau cycle: on ne doit pas attendre que la descente soit acheve pour prparer la U remonte . Mais si leffort ne dbouchait sur rien au plan du macrocosme, il ne serait point perdu au niveau individuel : ceux qui auront pris part au travail formation doctrinale et pratique spirituelle - en retireront forcment des bienfaits personnels 25. Quoique insuffisante au niveau livresque, la formation doctrinale sera le premier degr de la transmutation. Elle consistera tudier le contenu des C( enseignements traditionnels D et des sciences sacres dOrient et doccident, se donner la mentalit initiatique qua dtruit lducation profane. I1 est vident que depuis lpoque o Gunon dlivrait son message, dimmenses facilits ont t offertes ceux qui veulent sinformer de la Philosophia perennis, mme si celle-ci continue dtre touffe par les instances officielles - autant de compensations inhrentes lpoque, relevant pour la plupart dune saine vulgarisation et contribuant contrebalancer les pires amalgames de la contre-initiation . Ceux qui, sans tomber dans la dispersion mentale, sont parvenus se donner une doctrine cohrente, ne sauraient plus tre atteints par les influences dissolvantes et insidieuses du nihilisme contemporain. I( Ceux qui savent quil doit en tre ainsi ne peuvent, mme au milieu de la pire confusion, perdre leur immuable srnit 26. Ces assises doctrinales permettent au contraire de prendre une plus juste mesure de lpoque et de soi-mme, travers les dsagrments quelle suscite; et, par l, de sen mieux prserver. Elles enseignent viter linutile dialectique, source de confusion sans fin, rompre avec les systmes philosophiques qui ne font quengendrer la ((maladie de langoisse en multipliant les questions sans fournir de rponses 27. Elles dbarrassent jamais des prjugs et illusions qui, depuis le X V I ~ sicle au moins, pourvoient lintelligence occidentale : la dification N de la raison, la superstition B de la vie, la primaut de laction sur la contemplation, le progrs continu de lhumanit ... Certes, de tels hommes auront souffrir plus que les autres par excs de lucidit au sein de laveuglement panique; et mme, une hostilit inconsciente du milieu pourra se dclencher leur endroit 28. Mais il y a dans toute souffrance un ferment de maturation, et toute connaissance exige ranon.(( ) ) ( ( (( ))((

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Si salut n ne vaut pas dlivrance n, cest dj utiliser au mieux cette naissance humaine, si difficile obtenir , que de suivre une voie spirituelle. Llite vritable ne peut dailleurs se contenter de dtenir un savoir thorique; elle doit tendre la ralisation mtaphysique des tats supra-humains; elle doit tre relie au Centre . Ce nest qualors que laction des courants mentaux entranera dans le monde des modifications considrables se rpercutant dans tous les domaines 29. On ne peut certes suivre plusieurs voies la fois, et il convient, lorsquon sest engag dans lune delles, de la suivre jusquau bout et sans sen carter , sous eine des plus graves garements psychiques 30. Suivre la voie dans laque le on est n vite de recourir des adaptations plus ou moins dlicates. Mais il est vrai que les poques de dsordre souffrent des exceptions, accentuent les cas particuliers. Il se peut fort, prcise Gunon, que ce soient les circonstances qui choisissent pour nous - ce qui ne signifie pas quon doive se dispenser personnellement de toute recherche. - Un tre vraiment qualifi rencontrera toujours, en dpit des circonstances, les moyens de sa ralisation intrieure; et il rencontrera dabord son matre. Si loin que soit pousse la N solidification du monde, des exceptions permettent toujours certains tres de se librer du cycle des naissances et des morts, tout en restant dans ce monde pour en aider dautres. Rencontrer lun deux constitue un concours de circonstances qui indique dj une relle prsomption de qualification. Prvoyant lobjection de labsence de matre, Gunon voque le rle de lupuguru: tout tre, quel quil soit, dont la rencontre est pour quelquun loccasion ou le point de dpart dun certain dveloppement spirituel - prolongement, auxiliaire du Guru vritable, demeur invisible, en attendant quait lieu la rencontre avec le Guru intrieur, qui ne fait quun avec le Soi D 31. Quant aux pratiques elles-mmes, elles correspondent celles que prconise lexotrisme - Gunon insiste sur le respect des rites -, auxquelles sajoutent celles de lsotrisme correspondant, au premier rang desquelles linvocation dun Nom divin; (et lon sait que le cheikh Abdel Wahid Yahia sadonnait lui-mme la pratique du dhikr). - Si mme on ne doit pas sattendre des rsultats immdiatement visibles, ce travail intrieur est en fait indispensable; il correspond au changement de nos D, la transformation de ltre tout entier slevant, dit Gunon, de la pense humaine la comprhension divine - passage conscient des choses sensibles aux intelligibles, qui suscite la naissance de lhomme nouveau de saint Paul ou, selon la terminologie hindoue, qui ouvre le troisime (Eil , celui de lintuition intellective. Ce qui ne peut saccomplir sans un certain hrosme, fait dnergie et dautodiscipline intgrant et d assant les servitudes quotidiennes. Au milieu de forces confusment host1 es, il y aura, bien entendu, faire preuve tout ensemble de tact, de prudence, de souplesse, dquilibre, de discernement et de contrle de soi.((( (

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Dernire hypothse : elle laisse ouverte la voie un ensemble de possibilits imprvisibles ou indtermines. Gunon fait allusion ici un milieu non djni U qui, aid de lorient, pourrait constituer des groupes dtudes restant trangers aux luttes sociales ou politiques comme toute organisation rglemente qui entrane invitablement dviations et dissensions 32. Perspective plus vague sans doute, mais qui nentend dcourager aucune tentative et laisse aux Occidentaux la plusff

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grande libert daction. I1 se peut que lhypothse la plus floue se rvle la moins utopique, que la solution la moins dveloppe par Gunon soit la plus ralisable aujourdhui et mme, qu partir de ce champ dinitiatives, finisse par surgir une nouvelle forme de la Connaissance ternelle. Les diverses explorations dont nous sommes acteurs ou tmoins, quoique isoles les unes des autres, anarchiques en apparence, nen concourent pas moins peut-tre, travers obstacles et embches, la reconstitution dune gnose formule en un langage mieux appropri lhumanit actuelle. (Celle-ci se montre moins sensible certaines surcharges du mythe et de lpope quau dpouillement tout moderne des apophtegmata et des kan, moins la dialectique, ft-elle celle dun Platon ou dun Thomas dAquin, qu la vrification exprimentale des donnes du monde subtil.) Ponctuelles, ces tentatives se rvleront peuttre plus dcisives long terme quun front des religions ,dailleurs incapable de se constituer; et il se pourrait que, face aux toutes-puissantes armes de lathisme mondial, la gurilla en ordre dispers soit plus efficiente quune guerre en rgle. Depuis que Gunon sest tu dans le silence de Darassa, lon a pu assister plusieurs rvlations susceptibles de relancer la qute spirituelle. Nous avons mentionn plus haut lavnement philocalique. Ajoutons-y la dcouverte de ce curieux apocryphe D quest lvangile de Thomas, antrieur pour certains exgtes aux vangiles canoniques, porteur en tout cas dune indniable charge sotrique. Dissoci de tout contexte historique, exempt de colorations dpoque et de lieu, de toute incise phnomnale (y compris celle des miracles n, un tel texte rvle par l mme une dimen) sion universelle qui lapparente ceux du non-dualisme vdantin, du Tao et du Tchan. Autres faits significatifs : larrive du bouddhisme tantrique en Europe, la constitution de nombreux centres, la formation de lamas 33. Cest que non seulement les doctrines du bouddhisme veillent lintrt des psycholo ues (les tats du Bardo) et des physiciens (la mtaphysique de la Vacuit , mais leurs aspects exprimentaux les rendent assimilables et vrifiables par nombres doccidentaux dsirwx de pratique. Tandis que les tempraments dvotionnels se tournent vers lAmidisme, dautres, plus soucieux daustrit, trouvent leur voie dans le thravada, dautres encore, dans le zen aux vertus dcrbralisantes. Les traductions multiplies et commentes des Vda et des Upanishad, comme celles de sages rcents ou contemporains (Rmakrishna, Rmana Maharshi, M Ananda Moy, Shr Aurobindo), tiennent lieu de stimulants et de supports de mditation pour ceux qui, rests dans leur religion dorigine, la revivifient laide de ces enseignements. Luvre alchimique de Jung intresse son tour des Occidentaux qui souhaitent sancrer dans une tradition doccident, et compense largement les dangers rductionnistes de la dmarche freud ienne.) )

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Nous voudrions, avant de clore ces pages, et en ne quittant notre sujet quen apparence, consacrer quelques rflexions aux deux dernires personnalits mentionnes, dabord parce que leur influence saccrot fortement en Europe, ensuite parce quil nous est apparu que les tenants de Gunon adoptaient trop souvent leur endroit une attitude plus tranchante que vraiment informe.37

Dans les quelques lignes quil lui a consacres, Gunon critique svrement Jung. Mais pouvait-il connatre rellement le dernier tat de sa pense, bien mieux les ouvrages o elle est exprime et qui ntaient encore ni traduits, ni mme publis 3 4 ? Leur tude et rvl Gunon que le psychologue de Zurich nentendait- nullement confondre le psychique et le spirituel, laissant modestement lanalyse son rle de voie purgative et sinterdisant tout empitement sur le domaine mtaphysique. La notion incrimine d inconscient collectif N nest pas sans se retrouver dans celle dun substrat psychique commun toute lhumanit, et auquel font allusion les diffrentes traditions quand elles parlent de mmoire ancestrale . Dans un autre ordre dides, il sen faut de beaucoup que Jung se soit seulement intress aux dessins des malades mentaux. Quant ceux-ci, mme, Sohravard nadmettait-il pas qupileptiques et hypocondriaques, tout comme les a amis de Dieu , pouvaient recevoir les empreintes du Malakut? I1 faut bien remarquer en outre que si, comme lcrit Gunon, ladhsion un exotrisme est une condition pralable pour parvenir lsotrisme 35 , on peut soutenir quun lmentaire quilibre intrieur est la condition pralable pour prendre rang au degr zro dun exotrisme. Or, lhomme moderne est manifestement dpourvu de cet quilibre que, seules, garantissent les conditions et latmosphre dune socit traditionnelle; et le travail analytique de remise en ordre, effectu sous la direction dun thrapeute avis et reli lui-mme une voie spirituelle - ce point est capital - sera en mesure de le lui donner par une meilleure connaissance de soi-mme, lheure prcisment o la confession religieuse, bcle ou collective, est rduite une caricature. Cass psychiquement, coup de ses racines profondes, lhomme contemporain se doit dabord de rparer et dajuster son instrument de travail. Gunon tout le premier sait que, selon lhermtisme chrtien, la descente aux Enfers N prcde la monte au Ciel D : lanalyse ne fait que reprendre cet itinraire en faisant passer par la mort initiatique D - la mort toutes ses illusions - pour accder la vraie lumire , celle des contraires rconcilis, et en rcapitulant les potentialits ngatives, condition mme de la rgnration psychique 36. Au cur de la Age des Conflits plantaires, elle permet de rsoudre maints conflits personnels, de dcouvrir son svabhava, dactiver sa maturation, dviter les plus grossires erreurs karmiques, dallger par l latmosphre environnante. Pour toutes ces raisons, lanalyse conue en ces termes constitue une vidente prparation la vie intrieure. Bien plus, elle peut constituer dans ses prolongements aux Petits Mystres N une voie spirituelle part entire. Sa mthode la rapproche du tantrisme hindou dans la mesure o elle utilise les passions et les instincts en les retournant dans un sens positif au lieu de les refouler au nom dune morale - et nest-on pas dj ici dans une perspective sotrique? -, sans prtendre pour autant affranchir lhomme de la souffrance, sa meilleure auxiliaire de transformation. Linterprtation que Jung fournit du mal, face obscure de Dieu , dans Rponse Job, rejoint semblablement celle quen donne lorient, et que reprend Gunon quand il voque la ncessit des Asura dans lconomie cosmique 37. La psychologie analytique apparat comme une version occidentale du taosme, puisque son but est de concilier les opposs psychiques et de les dpasser dans la ralisation du Centre , ce dont Gunon a galement parl propos de lIdentit suprme 38. Quant(( ) ) ( ( ((((

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au dtachement lgard de laction extrieure, il rejoint de toute vidence le wou-we des taostes, dont Gunon recommande lusage aux sur-actifs que sont les Occidentaux39. Enfin, lon serait en droit de se demander si la notion d inconscient , assimile 1 ~ infra-conscient m, nentretient pas un grave malentendu partir dune querelle de mots ou dune reprsentation graphique dfectueuse. Dira-t-on que songes prmonitoires, phnomnes synchronistiques, rponses oraculaires du Livre des Transformations viennent den haut ou den bas? Ne viennent-ils pas plutt de derrire ou dailleurs? Il est paradoxal de voir Jung retrouver, comme malgr lui dabord, et presque son insu, le chemin du supra-conscient D partir de 1Unus Mundus des auteurs mdivaux. Le progressisme de Shr Aurobindo sest galement vu pris partie par certains gunoniens qui, dans un intgrisme assez intolrant, ne se sont gure reports lopinion de Gunon lui-mme. Celui-ci considre le matre de Pondichry comme a un homme qui, bien quil reprsente parfois la doctrine sous une forme un peu trop modernise peut-tre, nen a pas moins, incontestablement, une haute valeur spirituelle 40 . Luvre dAurobindo nest pas contraire la pense traditionnelle; cest sa manire de lexprimer qui peut drouter dans la mesure o elle se trouve traduite dans un langage moderne, adapt aux hommes de lpoque actuelle. Cest moins en ralit la pense dAurobindo que linterprtation qui peut en tre faite par certains volutionnistes zls, ou encore telles applications intempestives quen donnent des disciples infidles, qui motivent les rserves de Gunon. Shr Aurobindo nignore pas que la prsente humanit eat plonge dans le K a l i - p g a ; et sil y a chez lui une ide de progrs ,cest dabord parce que le Satya-yug_a constitue bien effectivement un progrs sans prcdent par rapport 1Age auquel il succde 41. On noubliera pas non plus que lactuel passage cyclique correspond celui dun Manvantara un autre, et cela, qui plus est, au centre mme de lactuel Kaka; ce qui marque le passage des Enfers aux Cieux , puisque les sept Manvantara passs sont traditionnellement mis en corrlation avec les Asura, cependant que le dbut du premier des sept Manvantara venir lest avec les Dva. Shr Aurobindo ne prtend rien dautre, en fait, que dvelopper les pouvoirs latents de lhomme par les divers procds quoffre le ((Yoga intgral , par lunion de la conscience humaine avec la Conscience divine, par le dpassement des mouvements de la nature infrieure et par un total abandon de soi au Soi. Sil lui arrive de marquer quelque sympathie lgard de certains systmes de la philosophie occidentale, innombrables sont les reproches quil adresse au U matrialisme rationaliste D doccident et une religion sectaire qui sen tient au Dieu personnel. La supriorit orientale ne fait ses yeux aucun doute 42. Enregistrant le ((vieux fiasco des religions ds lors quelles se sont combattues pour dominer le monde, constatant linefficacit des remdes profanes et la ncessit dun changement dordre intrieur comme seul rel, Aurobindo sest hardiment projet au-del darticles de foi exclusifs et de rites vids de leur efficace, vers une spiritualit ltat pur, qui sera peut-tre le pristyle de celle de demain dans la mesure o elle rejoint, par son absence de durcissements dogmatiques, la spiritualit antrieure tous les drivs de la Tradition primordiale. I1 y a plusieurs raisons de penser que ce regard tourn vers(( ) ) (((( ) )((

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lavenir trouve dans lactuel moment cosmique une justification premptoire. Nous ajouterons que luvre de Shr Aurobindo peut apporter celle de Ren Gunon une suite indispensable. Sil est en effet revenu Gunon de se faire le peintre ou le commentateur du Kali-yuga finissant, et le rcapitulateur des diffrentes traditions spirituelles de lhumanit, lon peut dire quil est revenu Aurobindo dtablir les bases possibles de 1Age futur. Anims par le souffle dune mme prsence de prophtie, le premier avertit les hommes de ce quils sont et des menaces qui psent sur eux, tandis que le second propose aux hommes de devenir autres, sils veulent conjurer ces menaces. Gunon mesure le degr du ((chaos quil sait ncessaire lmergence dun autre Ordre ; Aurobindo dcrit cet Ordre et les moyens dy parvenir. En se voulant, lun dnonciateur des tnbres extrieures, lautre citharde du Supramental, ils apparaissent ensemble trangement complmentaires. A un niveau dexistence o le moindre signe porte signification, il nest pas indiffrent de noter que lun et lautre, une fois leur mission respective accomplie, ont quitt leur enveloppe physique un mois dintervalle, en lexact milieu du sicle.) ) ((( (

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Les diffrentes dnonciations et prdictions faites par Ren Gunon dans la premire moiti du me sicle se sont vues confirmes en dnormes proportions, au cours de sa seconde moiti: le rgne de la quantit sest multipli comme une hydre dvoratrice. Depuis la bombe dHiroshima, laquelle ont succd des armes plus radicalement meurtrires, une odeur de suicide colle la peau de lhumanit, imprgne ses discours vides et ses actes manqus. Les si nes dangoisse sajoutent les uns aux autres en architectures drisoires; fes cris dalarme se perdent dans le tourbillon des informations dformantes, dans la clameur des jeux, dans les rles planifis de lorgasme collectif. Les solutions savouent incapables denrayer les dissolutions. On peut craindre que lhumanit ne svanouisse dans le bafouillage snile des univers dHuxley, Orwell, Soljnitsyne, pour laisser place au rgne myriadaire des insectes... Dans le mme temps, des indices compensatoires creusent patiemment leur voie dans la conscience des hommes : la science a cess d tre exclusivement scientiste pour reconnatre sa part la subjectivit elle retrouve sa faon bien des dires qui, dpassant le dualisme esprit-matire, rejoignent les enseignements du snkhya et du bouddhisme; les philosophies existentialistes se trouvent concurrences par les doctrines orientales. Signe des temps, le message de Gunon lui-mme se rpand, trouve audience, se voit rgulirement rdit jusque dans les collections de poche; des foyers de rsistance se fondent en marge ou au cur des institutions tablies. A mesure que se confirme la descente cyclique - cet avatrana parodique - se fait jour une perspective typiquement eschatologique, avec tout ce que cela sous-entend daccroissement des dangers comme de multiplication parallle des promesses germinatives. Mais au sein dune telle confusion, quen est-il aujourdhui des hypothses gunoniennes ? I1 appert quelles sont devenues peu peu ralits, mais selon des modalits qui ntaient point celles que prvoyait leur auteur. Tandis que Gunon les imaginait plutt sexclure lavantage dune seule, on constate quelles se manifestent de concert. On assiste en effet,((

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tout ensemble et simultanment, la dgradation croissante de loccident, son absorption par des peuples et des ides venues dAsie, une redcouverte de lsotrisme chrtien, enfin, louverture, en milieu non dfini, diverses voies B tant orientales quoccidentales. Mais, alors que Gunon envisageait une destruction matrielle, il est possible de constater quelle se fait, du moins pour le moment et plus subtilement, de lintrieur, au niveau psycho-mental, sous laction de ferments subversifs de tous ordres. Labsorption de lOccident par lOrient sopre beaucoup moins par llite spirituelle annonce que par des rfugis ou des migrs dracins ou ignorants de leur propre tradition. La redcouverte de lsotrisme chrtien se produit effectivement, mais en dehors et lencontre dune glise catholique de plus en plus emporte vers sa priphrie. Enfin, louverture diverses voies concerne des voies que Gunon navait pas explicitement prvues : Islam, bouddhisme, orthodoxie, zen, hindouisme, taosme. On peut donc dire de lui quil avait tout la fois tort et raison dans son estimation des possibilits occidentales, ce qui ne rduit en rien son tonnante lucidit. LOccident parviendra-t-il se ressaisir temps? demandait Gunon en 1924. La question na rien perdu de son pathtique; elle sest seulement largie aux dimensions de la plante. Parvenue aux portes du dsespoir, lhumanit parviendra-t-elle se ressaisir temps, ou cderat-elle lincoercible tentation dautodestruction habitant toute collectivit qui a tu le Dieu-Pre et la Nature-Mre, dont elle est issue?... Par-del les spculations et les difficults qui delles-mmes sestompent devant lauthenticit de leffort et lintensit de laspiration, seuls simposent dsormais le choix dune voie et son obstine pratique. Saffranchir des apparences aprs les avoir dtectes, redcouvrir en soi les dimensions de la transcendance, faire offrande au Divin de la totalit de son tre: tel est lentranement propos tout homme qui se veut conscient et diffrenci. Au long de cette entreprise, la rfrence luvre de Ren Gunon se rvle dcisive. Son lecteur ne tardera pas sapercevoir quune telle uvre, plus imposante par sa densit que par son volume, sans contradiction ni compromis, dun style marmoren, claire des feux du plus haut pass les possibilits dun lointain avenir. Aprs les premires impressions de difficults - mais pntre-t-on au centre sans passer par une mise lpreuve, et qui jamais a prtendu que tout devait nous tre gratuitement apport? - cette uvre apparatra porteuse dune lumire desprance; elle noffrira pas seulement une aide indispensable ou une certitude exemplaire, mais aussi et surtout, une chance ne pas manquer, car il est penser que cest bien la dernire.((

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NOTES1. Malgr la raret des conseils pratiques dans son uvre, Gunon nen a pas moins N vcu scrupuleusement lIslam, comme en tmoigne larticle de N. BAMMATE, Visite Ren Gunon P, Nouvelle Revue franaise, 1955, no 30.

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2. On trouvera nanmoins une intressante analyse des U hypothses envisages par Gunon dans le livre de J. ROBIN, Ren Gunon, tmoin de la Tradition, Editions de la Maisnie, 1978, pp. 175 et sq. 3. Orient et Occident, p. 98. Dans la cosmologie hindoue, le pralaya qui termine un c cle correspond au moment o, les atomes de la matire se dissolvant, seule demeure icnergie pure. 4. Gunon na pas donn dindication sur la date finale du Kali-yuga; il a seulement donn sa dure probable quelque 6480 annes. Au reste, N nul ne sait le jour ni lheure n - dautant plus que lors du renversement des Ples U le temps ne sera plus . G. Georgel, dont les travaux taient apprcis de Gunon, fixe cette date 2031 (aprs la Crucifixion). 5 . Autorit spirituelle et pouvoir temporel, pp. 113 et sq. Mme ide dans la Crise du monde moderne, p. 13. 6. Op. cit., p. 110. 7. Sur cette chance, voir J. TOURNIAC, Propos sur Ren Gunon, pp. 144 et sq., DervyLivres, 1973. 8. Voir M. VALSAN, II LIslam et la fonction de Ren Gunon in tudes traditionnelles, no305, 1953. 9. Introduction gnrale ltude des doctrines hindoues, p. 153 : IC La connaissance des principes est rigoureusement la mme pour tous les hommes qui la possdent, puisque les diffrences mentales restent en de du domaine mtaphysique. U 10. Dans laddendum Orient et Occident (1948), GUNON crivait : U Les chances dune raction venant de loccident lui-mme semblent diminuer chaque jour davantage. 11. Cette ouverture cumnique (dans le bon sens du terme) gagne certains milieux de lorthodoxie. Olivier CLMENT peut crire dans ses Dialogues avec le patriarche Athnagoras (Fayard, 1969, p. 175) : (I Nous ne pouvons plus nous en tirer comme saint Jean Damascne, qui voyait dans lIslam une hrsie chrtienne. U 12. Introduction lsotrisme chrtien, Dervy-Livres, 1979. Rfrences ECKHART, DENYS IAROPAGITE, LOSSKY, EVDOKIMOV, SCHUON, COOMARASWAMY et GUENONlui-mme. 13. Gunon est mort en janvier 1951. Les Rcits dun plerin russe (La Baconnire) et la Petite Philocalie (Cahiers du Sud) ont paru respectivement en 1948 et 1953, avant dtre priodiquement republis aux ditions du Seuil. 14. Sur ces diffrents points, se reporter respectivement aux Aperus s u r lInitiation, pp. 286 et sq.; Initiation et ralisation spirituelle, pp. 178 et sq.; Etudes sur lHindouisme, pp. 102 et sq.; LHomme et son devenir selon le Vdanta, p. 117. 15. Aperus sur lsotrisme chrtien, p. 21. 16. Op. cit., pp. 24 et sq. Dans son ouvrage Le Sens cach dans luvre de Ren Gunon (LAge dhomme, Lausanne, 1975, p. 243), J.-P.-LAuRANT une lettre de GUENON cite qui crit son correspondant quic il ny a que 1Eglise orthodoxe dont la rgularit soit incontestable . 17. M. VLSAN a signal que la lecture de Gunon a concid en Roumanie avec une revivification de la prire du cur (Etudes traditionnelles, 1969, no 411). 18. Selon lexpression dA. BLOOM, dans U LHsychasme, yoga chrtien? U , in Yoga, (Cahiers du Sud, 1953) : U Dans la mesure o lon peut dfinir le yoga comme une technique spiritualisante , il est lgitime de parler dun yoga chrtien . 19. Addendum dOrient et Occident. I1 avait djii constat que cest toujours loccidental qui est abscrb par les autres races - ce qui est confirm actuellement par le dsquilibre dmographique toujours plus grand entre lOccident et le tiers-monde. On pourra peuttre un jour, paraphrasant le pote Horace, attester que U lAsie vaincue a vaincu son superbe vainqueur . 20. Autorit spirituelle et Pouvoir temporel, p. 46. GUENON ajoute plus loin qu une fois quon sest enga sur une telle pente, il est impossible de ne pas la descendre jusquau bout . Il est ga ement vrai que le rgne des shdra *c sera vraisemblablement le plus bref de tous . 21. Orient et Occident, pp. 103 et sq.; pp. 111 et sq. 22. Op. cit., p. 222. GUNON revient sur ce thme dans la Crise du monde moderne, p. 132, en remarquant que lesprit (I diabolique de ce temps sefforce par tous les moyens), )

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dempcher que les lments de llite se rencontrent et acquirent la cohrence ncessaire pour exercer une action relle. I1 nen est cependant plus tout fait de mme en ces dernires annes du xx sicle. 23. La Crise du monde moderne, p. 127. GUNON devait varier sur cette estimation : le cataclysme peut survenir avant que llite ait eu le temps de se former. I1 sagit donc en quelque sorte dune course contre la montre. 24. Le passage dun cycle un autre ne peut saccomplir que dans lobscurit m, crit lauteur de la Crise du monde moderne, p. 28. Le rle de llite ne peut tre quindirect, et lon ne saurait minimiser ni exclure une intervention non humaine. 25. Op. cit., p. 126. 26. tudes sur lHindouisme, p. 22. 27. Initiation et Ralisation spirituelle, pp. 14 et sq.; pp. 23 et sq. 28. Aperus sur lInitiation, p 174 : N I1 arrive assez frquemment que ceux qui suivent une voie initiatique voient [les circonstances difficiles ou pnibles] se multiplier dune faon inaccoutume I.. ] I1 semble que ce monde, [le domaine de lexistence individuelle], sefforce par tous les moyens de retenir celui qui est prs de lui chapper. m Ces obstacles ne sont cependant pas confondre avec les U preuves initiatiques n, dans le sens techniyue du terme. 29. Orient et Occident, pp. 184 et sq. 30. Aperus sur lInitiation, pp. 49 et sq. 31. Initiation et Ralisation spirituelle, pp. 137 et sq. Lupaguru, prcise encore GUNON, peut tre une chose m ou une circonstance N dclenchant le mme effet. I1 est, dautre part, possible de demander des directives un matre dune autre tradition que la sienne. Op. cit., p. 164. 32. Orient et Occident, pp. 174 et sq. 33. On connat la prdiction de Padma Sambhava, au V I I I ~ sicle, selon laquelle au temps des oiseaux de fer ,les Tibtains seront parpills travers le monde, et le Dharma parviendra jusquau pays de lhomme rouge . 34. Voir Symboles fondamentaux de la science sacre,, pp: 63 et sq. Outre plusieurs inexactitudes, (Jung na jamais t le disciple de Freud), 1 article, la date o il fut crit (1949), prcdait les livres alchimiques de Jung, tels Aion, Racines de la Conscience, Mysterium Conjunctionis, Aurora consurgens. 35. Initiation et Ralisation spirituelle, p. 61. 36. Voir Aperus sur lInitiation, pp. 178 et sq. 37. Par exemple, tudes sur lHindouisme, p. 133. Mme si les preuves de la vie N ne sont pas lquivalent des preuves initiatiques , comme le souligne GUENON,il admet, dans Aperus sur lInitiation, p. 173, que la souffrance peut tre loccasion dun dveloppement de possibilits latentes; nous dirions : un dtonateur de maturit. 38. Voir le Symbolisme de la Croix, pp. 53 et sq.; pp. 59 et sq., et la Grande Triade, pp. 33 et sq. Le point de vue psychologique de Jung et le point de vue mtaphysique de Gunon crent une diffrence de plans, non pas une opposition de facto. 39. Initiation et Ralisation spirituelle, p. 174. 40. tudes sur lHindouisme, p. 145. I1 crit, p. 246 : Nous ne pensons vraiment pas quon soit en droit de le considrer comme un moderniste . 41. Voir entre autres allusions Le Cycle humain, pp. 8 et sq.; Le Yoga et son objet, pp. 8 et sq. La tentative didentifier Aurobindo Teilhard de Chardin est galement dnue de tout fondement. Dans la revue Synthse (1965, no 235), J. MASUIcrivait avec raison qucc un monde les spare . Voir de mme, p. 409. 42. Reproches consigns par C. A. MOORE in Synthse, pp. 435 et sq.( (

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Sciences et traditionLa place de la pense traditionnelle au sein de la crise pistmologique des sciences profanes

Michel Michel

La plus grande partie des commentateurs de Ren Gunon, disciples ou non, se sont plus mettre en vidence le caractre intemporel de son uvre, son htrognit radicale par rapport au monde moderne. Cette uvre dont le pre Danilou crivait : Elle se constitue si compltement en dehors de la mentalit moderne, elle en heurte si violemment les habitudes les plus intresses, quelle prsente comme un corps tranger dans le monde intellectuel daujourdhui cette uvre serait le fait dun homme seul * apparue comme une sorte de gnration spontane , un miracle intellectuel .Et il ne fait pas de doute pour Jean Tourniac ue sil est un point sur lequel saccordent tous ceux qui, un titre que conque - gunoniens, non-gunoniens, gunoniens marginaux et antigunoniens, lnumration nest pas limitative - sintressent luvre de Ren Gunon, cest que celle-ci se situe contrecourant de tout ce qui caractrise la mentalit moderne . On c